LA PÉDAGOGIE DE PROJET : OU COMMENT INTERROGER
LES PROCÉDURES D’APPRENTISSAGE
Françoise WERCKMANN E. N. S. A. I. S., Strasbourg
MOTSCLÉS : MÉTACOMMUNICATION PÉDAGOGIE DE PROJET AUTONOMIE STRATÉGIES D’APPRENTISSAGE - TRAVAUX DE GROUPE
RÉSUMÉ : La pédagogie de projet permet de « faire apprendre » selon l’expression de G. Delacote par une approche expérimentale de son chemin d’apprentissage grâce à l’analyse que l’apprenant fait de son propre fonctionnement intellectuel. Il s’agit de guider et d’accompagner l’étudiant dans ses démarches en lui proposant des méthodes de choix et d’élaboration des idées (schémas heuristiques, plans, tableaux, modèles, protocoles et méthodes diverses..) dans lesquelles il pourra puiser pour présenter son questionnement et son étude.
SUMMARY : Project-pedagogy enables to "make learn" (according to G. Delacote's expression) using an experimental approach such that the learner makes his way by analyzing his own intellectual functioning. In order to guide and accompany him along his way, the teacher proposes methods for selecting and developing ideas (heuristic diagrams, plans, tables, models, protocols and various other methods) from which the student may draw to present his questioning and his study.
I. INTRODUCTION
L’enseignement ne vise pas seulement à apprendre des connaissances ou des méthodes, il a aussi pour objectif d’inculquer des modes de comportement par rapport à l’apprentissage. Apprendre les disciplines et repérer les rapports qui existent entre elles (cf. les notions de transdisciplinarité et d’interdisciplinarité), et aussi repérer comment on apprend, quelles sont nos stratégies d’apprentissage : stratégies concernant aussi bien la mise en condition d’être en situation d’apprendre : « pacification » intérieure, se situer dans un groupe, dans l’espace, dans le temps, dans mes relations avec les autres…
Ceci peut se faire dans le cadre d’un cours mais est particulièrement approprié lors de la mise en place de travaux de groupe faisant appel à des activités interdisciplinaires où il est nécessaire de gérer le temps, les espaces, des partenariats comme par exemple : choisir et travailler sur un thème dans le cadre d’un cours de sciences humaines en classes préparatoires, organiser la tenue d’un marché de produits français à l’étranger en classe de B.T.S. « Commerce international » ou encore mettre en place des T.P.E. ( Travaux Personnels Encadrés ) en lycée, des travaux croisés en collège ou des P.P.C.P. ( Projet Personnalisé à Caractère Professionnel ) en lycée professionnel. La préparation et l’organisation de ce type d’action peut se faire grâce à une pédagogie de projet permettant de questionner les disciplines entre elles et grâce à la pratique d’une pédagogie active développant chez l’apprenant des qualités de responsabilité et d’autonomie par le biais de la pratique de la direction par objectif (D.P.O.) qui consiste à fixer des objectifs de réalisation de travaux en indiquant aux étudiants les moyens dont ils peuvent disposer : C.D.I. (Centre de Documentation et d’Information), B.N.U. (Bibliothèque Nationale Universitaire) ou bibliothèque municipale, Internet…, ainsi qu’une méthodologie de projet en leur proposant différents outils de réflexion, de résolution de problèmes, de mobilisation et d’organisation des idées comme la mise en œuvre du schéma heuristique proposé par Tony Buzan « Une tête bien faite » et « Dessine-moi l’intelligence » aux éditions d’Organisation ; des exemples de fiches, de grilles d’analyse, de tableaux, de carnet et journal de bord. L’objectif est de trouver l’outil le plus adapté à soi, au thème choisi. Certains sont imposés comme la grille d’analyse sur laquelle va se baser la notation et le carnet et journal de bord qui permet de suivre le déroulement du projet, les deux favorisant la communication réflexive c’est à dire « la petite conversation » avec soi-même dont parle Ricœur et l’auto-évaluation.
La classe est divisée en une dizaine de groupes fonctionnant sur le principe suivant : le travail doit s’effectuer individuellement et la notation est collective au niveau de l’écrit réalisé par le groupe, pour ce qui est des travaux à caractère professionnel en section B.T.S., et des thèmes étudiés en classe préparatoire. C’est à partir de la situation initiale de la classe, après un état des lieux des stratégies d’apprentissage des étudiants que nous élaborons notre stratégie pédagogique : organisation des travaux, élaboration et utilisation d’une grille d’analyse, apprentissage de l’oral, rédaction et présentation d’un projet.
2. LES STRATÉGIES D’APPRENTISSAGE DES ÉTUDIANTS
Parmi les objectifs pédagogiques que je me fixe, certains concernent la démarche des étudiants, leurs connaissances et leur stratégie. C’est le premier temps fort qui sera suivi ensuite de propositions d’outils de travail et de réflexion.
À partir du classement élaboré par C. Weinstein et R. E. Mayer (Sciences humaines, 1998) je demande à mes étudiants de se situer dans ces catégories, de donner des exemples et de réfléchir à ce qui leur conviendrait le mieux pour apprendre : comme souligner les passages importants d’un texte, faire des fiches de synthèse, réciter mentalement certains passages… et quelle stratégie conviendrait dans le cadre de l’étude d’un dossier ou d’un thème.
Voici les différentes stratégies proposées :
« Les stratégies d’énumération consistent à établir des listes de mots […]
Les stratégies d’élaboration : se fondent sur l’établissement de liens entre les informations [...] Les stratégies organisationnelles reposent sur l’organisation de l’information […]
Les stratégies de contrôle de la compréhension : un bon lecteur est un lecteur qui sait adapter sa vitesse de lecture à l’objectif qu’il s’est donné ou à son niveau de compréhension d’un texte [...]
Les stratégies affectives jouent sur l’analyse et la maîtrise de ses émotions afin de faciliter un apprentissage : se relaxer avant un examen, apprendre à gérer son temps, se concentrer pour étudier, etc.[…] »
Pour compléter et affiner leurs stratégies, je leur propose deux outils : la grille d’évaluation et le carnet de bord qui favorisent tous les deux l’auto-évaluation et la communication réflexive. Le carnet de bord tenu par chaque élève permet de suivre à titre personnel l’élaboration et la maturation du projet ainsi que les difficultés rencontrées par rapport au thème et par rapport au groupe au niveau personnel et inter-personnel : réussites trouvées, émotions ressenties, plaisir pris…
La préparation à l’oral est une formation qui accompagne tout au long de l’année les projets en cours d’élaboration. Elle a pour objectif de préparer l’exposé oral du thème choisi par les étudiants mais aussi de préparer une demande de stage, ou la soutenance d’une épreuve orale à un examen. La méthode consiste à apprendre à maîtriser une grille d’évaluation dont les différents items sont, dans un premier temps, étudiés abstraitement. Dans un deuxième temps, les apprenants sont mis en situation et s’évaluent entre eux en utilisant la grille d’évaluation préalablement étudiée lors de séances de présentations croisées des élèves permettant à chacun de faire connaissance, puis lors d’exposés oraux ou de petites mises en scène comme par exemple préparer et évaluer une entrée : frapper à la porte, entrer, dire, se présenter et s’asseoir.
3. LES STRATÉGIES D’ENSEIGNEMENT
Afin d’aider les étudiants à organiser leurs connaissances, à traiter les informations et à présenter à l’écrit et à l’oral leurs travaux en tenant compte à la fois des stratégies des élèves et du programme à enseigner j’utilise différentes stratégies permettant de développer l’autonomie des étudiants par la mise
en place de travaux de groupe et la préparation à l’oral. Il s’agit d’abord de mettre en place des travaux de groupe de trois à quatre personnes choisies par cooptation et organisés avec un animateur, un secrétaire et un documentaliste interchangeables en cours d’année scolaire. Le travail est suivi à chaque séance par l’enseignant et évalué semestriellement.
En classe de B.T.S., nous organisons des projets par groupes d’élèves mais intéressant l’ensemble de la section. Il s’agit de projets à vocation professionnelle comme, par exemple, l’organisation d’une mission à l’étranger ou à vocation culturelle comme, par exemple, la présentation d’un travail théâtral « Ma ville, Ta ville » en collaboration avec une lycée de Stuttgart et joué dans les deux villes. La méthode utilisée est proche de la pédagogie de projet avec une répartition des tâches par groupes. Les apprentissages vont du remue-méninges à la présentation de rapports d’activités et à l’évaluation globale du projet permettant aux étudiants de prendre conscience de leurs efforts et de leurs acquis. Pour la mission effectuée à Leicester en mai 2000 avec mon collègue Monsieur S. Schmidt, les étudiants ont travaillé par groupes selon les entreprises et les produits et ont pu ainsi passer de la théorie à la pratique : ils découvrent alors qu’un produit est une « chose vivante » ce qui suppose qu’on s’y intéresse particulièrement si on veut le « Vendre » ! Par ailleurs cela leur a permis de pratiquer la pluri-disciplinarité et d’acquérir ainsi des compétences transversales de méthodologie comme la gestion du temps, la planification des travaux à effectuer, la flexibilité voire l’improvisation, la recherche documentaire, le travail de synthèse en groupe et les langues étrangères.
L’objectif pédagogique de la préparation à l’oral est de favoriser l’auto-évaluation par la prise de conscience et l’appropriation des exigences requises et la méta-communication par le débat avec soi-même et avec les autres. Acquisitions que l’on devrait retrouver ensuite dans la tenue du carnet de bord ou dans l’aptitude à participer à un débat donc à se situer et à écouter les autres (cf. J. Habermas « La communication sociétale ») et qui constitue l’expérience de la légitimité. Il s’agit de mettre les élèves en situation d’acteurs de leur propre apprentissage et de « placer l’activité intellectuelle des élèves au centre des apprentissages » comme l’indique A. Giordan (1998).
4. CONCLUSION
L’enseignant qui transmet des savoirs doit aussi favoriser l’apprentissage de chaque élève. Et à l’instar de P. Perrenoud dans « 10 nouvelles compétences pour enseigner » nous pouvons considérer que « le métier d’enseignant se transforme : travail en équipe et par projet, autonomie et responsabilité accrues, pédagogie différenciée, centration sur les dispositifs d’apprentissage ». Cela signifie donc qu’il ne suffit pas d'avoir des connaissances dans une discipline pour enseigner. Si l’on admet notre approche on comprend que la pédagogie de projet ne s’improvise pas et qu’elle ne découle pas de l’expertise dans une discipline. Elle constitue une qualité professionnelle, allant de paire avec une certaine qualité de communication pédagogique se jouant pour l’enseignant dans une attitude, une prise de distance, ne pas confondre les faits avec la personne, se situer par rapport à des processus d’apprentissage et des relations de transfert et non par rapport à une attente de reconnaissance, ou en fusion avec les connaissances à transmettre.
BIBLIOGRAPHIE
BUZAN T., Dessine moi l’intelligence, Paris : Édition d’organisation, 1993. GIORDAN A., Apprendre, Paris : Belin, 1998.
HABERMAS J., Théorie de l’agir communicationnel, Paris : Fayard, 1987.
SONNTAG M., WERCKMANN F., Métacognition et pédagogie réflexive, XXes Journées
Internationales sur la communication, l’éducation et la culture scientifique et industrielle, Chamonix,
