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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Quand la génétique se fait dessin d'humour Petite histoire d'une grande métamorphose

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Academic year: 2021

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QUAND LA GÉNÉTIQUE SE FAIT DESSIN D'HUMOUR...

PETITE HISTOIRE D'UNE GRANDE MÉTAMORPHOSE

Pascale CORTEN - GUALTIERI Laboratoire de Pédagogie des Sciences Université Catholique de Louvain

MOTS-CLÉS : VULGARISATION SCIENTIFIQUE (SÉQUENÇAGE DU GÉNOME HUMAIN) DESSIN D'HUMOUR - SÉMIOLOGIE

RÉSUMÉ: S'il est exclu de découvrir un dessin d'humour dans une publication savante, la vulgarisation scientifique (V.S.) quant àelle, nous régale de ces images sans pareilles... Dans le présent article, nous adoptons une approche sémiologique pour démonter, pièce par pièce, les procédés de figuration de concepts scientifiques,àl'oeuvre dans deux planches humoristiques.

SUMMARY : Ifcartoons are excluded from scientific papers, the popularization of science proposes such peerless images... Through a semiotic approach, this paper "dissects" two cartoons in order to study proceedings of figuration of scientific concepts.

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1. INTRODUCTION

Au sein de la diversité des grammaires d'images proposées par les revues de Vulgarisation Scientifique (V.S.), le registre du dessin d'humour a retenu notre intérêt, pour son parti pris d'originalité. Notre propos consiste à démontrer,àtravers une approche d'ordre sémiologique, que ces images particulières participentà la socio-diffusion de concepts et de notions scientifiques.

Nous invitons ici le lecteuràune exploration minutieuse de deux planches humoristiques illustrant le grand projet de la génétique moléculaire: le séquençage du patrimoine héréditaire humain. Le premier de ces dessins est signé Sabatier;ilaccompagne un article de Lefèvre(c.)et Happa(l), intitulé "Le livre de nos gènes", paru dansScience et Vie, 1989, n0866, p.48-53. Le second est dû au talent d'Avoine; il apparaît dans un article de la rédaction deLa Recherche, 1989, n0211, p.718, intitulé "Quand le génome tient les scientifiques".

2. TRAME THÉORIQUE

En guise de préalableàl'analyse, nous désirons apporter ici quelques indications concernant la nature du dessin d'humour...

L'épithète "humoristique" ne doit pas systématiquement être entendue au sens de "comique". En effet, le dessin humoristique n'est pas nécessairement destiné à provoquer l'éclat de rire, mais peut, plus subtilement, faire naître un sourire : sourire complice de la vision du monde du dessinateur; sourire admiratif lié au rapprochement d'idées original suggéré par le dessin, ... Morin (1970) définit le dessin d'humour comme comportant au moins un élément insolite, un "jeu[x] de traits", susceptibleà l'image des jeux de mots des histoires drôles, de créer une "disjonction" de sens. L'effet humoristique peut également résulter de la mise en parallèle d'un dessin et d'un écrit (l'article illustré, par exemple) "normaux".

Le dessin d'humour procède d'une structure bipartite. Il s'inscrit en effet sur (au moins) deux "[ ...] espaces sémantiques,àla fois distincts et imbriqués", donnant ainsi lieuà des "lectures" différentes: sous le prétexte d'une "isotopie de référence", interprétation première et souvent anodine, transparaît le "second contenu du texte iconographique" : l'isotopie scientifique, assortie du regard du dessinateur sur le monde de la science (Tardy, 1988). Certains "signaux de transposition" appartenant au dessin lui-même ouàson environnement écrit, régissent l'articulation de ces différents registres de l'interprétation iconique (Tardy, 1988).

Jacobi (1987) établit des analogies entre les images oniriques et le dessin d'humour de V.S. Il montre que ces images résultent d'une "[...] condensation de plusieurs notions et concepts [scientifiques] en une seule figure", ainsi que d'un "déplacement" vers des infonnations plus

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aisément visualisables. Nous ajouterons que cette mise en imagedudiscours scientifique peut également s'accompagner d'une reformulation des images savantes elles-mêmes.

3. UN DÉFI MONUMENTAL. ..

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Le monument constitué de deux colonnes entrelacées constitue en tant que colossal défi architectural, un de ces éléments qualifiés par Morin (1970) de disjoncteurs.

Une vingtaine de personnages masculins, munis de cordes et d'échelles, de crayons et de feuilles de papier, gravitent autour de l'édifice. L'impression de fourmillement créée par l'activité passionnée de ces petits hommes contraste en regard de l'inertie des blocs gigantesques. La diversité et la fantaisie des postures adoptées fait sourire. En dépit des situations des plus incommodantes, aucun d'entre eux ne paraît devoir fournir d'effort physique, ni éprouver quelque inconfort. Ils se livrent avec sérieux et minutieà l'examen et à la retranscription des signes ornant les colonnes. Ces derniers rappellent par ailleurs l'écriture hiéroglyphique, ce qui situe la fiction iconique dans le cadre d'une découverte archéologique égyptienne. Les colonnes constituent ainsi une énigme de taille,à laquelle sont suspendus les personnages/égyptologues. Quel précieux message ces signes recèlent-ils?

Le défi herculéen qu'ont entrepris de relever ces chercheurs, s'accompagne d'une approche périlleuse, relevant de l'escalade. Le dessin se fait ici traduction de l'expression métaphorique "escalader un obstacle, une difficulté" ...

RELEVÉ PAR DES SCIENTIFIQUES

La blouse blanche des personnages (en tant que signe de scientificité), ainsi que la structure doublement entrelacée du monument constituent ce que Tardy (1988) nomme des "convertisseurs d'isotopies". Ces éléments iconiques révèlent la portée scientifique de l'image: la double colonne apparaît en effet comme une reformulation du modèle en double hélice de l'A.D.N.Lanotion de patrimoine héréditaire est ainsi transcodée, via un déplacement sémantique, sous les traits d'un monument évoquant le patrimoine culturel légué par l'Antiquité égyptienne. L'isotopie égyptologique fait placeà la génétique moléculaire et les personnages/égyptologues se muent en généticiens...

L'activité des personnages, qui retranscrivent signe après signe le message ornant la double colonne, renvoit au projet de séquençage de l'A.D.N. humain: l'identification de la succession des 3,5 milliards de nucléotides qui le composent (La traduction ultérieure de cette séquence consistera à identifier le message génétique et ses fonctions). Un gène correspondantàune séquence déterminée de nucléotides, chaque tronçon de colonne, porteur d'un agencement particulier d'hiéroglyphes/nucléotides, peut être mis en relation avec le concept de gène. L'A.D.N. ne comportant que quatre types différents de nucléotides, cette interprétation pourrait chiffonner les scientifiques: les hiéroglyphes présentent en effet une très grande diversité. C'est pourquoi, on peut les considéreràleur tour comme une illustration du concept de gène, l'hérédité humaine en comportant plusieurs dizaines de milliers différents.

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La multitude d'hiéroglyphesàretranscrire est particulièrement apteàillustrer l'extraordinaire complexité du message héréditaire, ainsi que le caractère titanesque du séquençage de l'A.D.N. humain. Par ailleurs, la structure moléculaire de l'AD.N., élevéeàla taille d'un édifice colossal, concrétise au pied de la lettre le "gigantisme scientifique" dont le chapeau de l'article de V.S. qualifie le projet des généticiens.

Le clin d'oeil du dessinateur consiste à illustrer la notion de code génétique via l'inaccessibilité de l'écriture hiéroglyphique aux non-initiés. Ceci constitue ce que Jacobi (1987), empruntant ce terme à Freud (1967), désigne comme un "déplacement" de la signification du concept illustré. En effet, le code génétique fait référence, dans le discours scientifique, au système de codage qui permet de passer des gènes aux protéines dont ils contrôlent la synthèse. Ce concept ne désigne en aucun cas un quelconque langage ésotérique compréhensible des seuls généticiens.

Vulgarisateurs et pédagogues comparent volontiers l'A.D.N. àun livre, dont les gènes constituent les mots (ou les phrases) et les nucléotides, les lettres (l'alphabet). Le titre de l'article utilise cette métaphore:"Lelivre de nos gènes". Ainsi, nous établissons un lien de similarité entre le "livre" et le monument couvert d'une écriture hiéroglyphique, cette mise en parallèle s'assortissant d'un second prédicat d'équivalence: celle des "gènes" auxquels est consacré ce "livre" et des hiéroglyphes inscrits sur la double colonne.

Si le titre confirme l'interprétation des hiéroglyphes en termes de gènes, le chapeau de l'article de V.S. corrobore plutôt la première hypothèse que nous avons émise à ce propos. Le

séquençage, "[...] l'analyse exhaustive du patrimoine génétique humain: un impressionnant message de 3,5 milliards de "lettres" porté par nos chromosomes" est en effet signifié dans le dessin par l'activité des personnages retranscrivant les hiéroglyphes.

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4. LE PATRIMOINE GÉNÉTIQUE DE L'HOMME À PORTÉE DE MAIN ...

Fig. 2 : Avoine,La Recherche, 1989, n0211, p.718.

Le dessin ne comporte aucun indice de scientificité; extrait de l'article de V.S., il ne peut engendrer qu'une lecture anodine: un personnage dont l'image ne nous donne à voir que quelques doigts (il s'agit vraisemblablement d'un homme, au vu des ongles coupés courts), assemble ou décompose un puzzle...

Le titre de l'article livre la clé de l'isotopie scientifique: "Quand le génome tient les scientifiques". "Être tenu par quelque chose" signifie être pris... au jeu! Les "scientifiques" sont mobilisés par le séquençage du génome humain,àl'image de l'actant iconique, absorbé par le puzzle. De même que les généticiens manipulent l'A.D.N., le personnage manie les pièces d'un puzzle... Les équivalences (geste du) personnage/(activité des) "scientifiques" d'une part, et puzzlel"génome", d'autre part, s'imposent. .. La traduction iconique inverse également le sujet et le complément d'objet direct du titre, en ce sens que le personnage/scientifique "tient" également (mais au sens premier de ce verbe, cette fois) le puzzle/génome.

Nous reconnaissons dans le motif tricolore en demi-disque dessiné sur le puzzle, un oeil, très stylisé. Dès lors, le contour du puzzle cependant inachevé, évoque le profil d'un visage humain. Nous devinons le nez, dans l'angle droit formé par les pièces situées dans le prolongement de l'axe de l'oeil, et la bouche (ou plutôt la jointure des lèvres) en contrebas, dans la ligne séparant les deux

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dernières pièces présentes dans le cadre de l'image... Ceci renvoie doncàla nature humaine du patrimoine génétique illustré par le puzzle.

Chaque pièce peut constituer une mise en image du concept de nucléotide. Le contour des pièces est fort peu variable, ce que nous mettons en relation aveclefait que l'A.D.N. ne comporte qu'un faible nombre (quatre) de nucléotides différents.

Les traits extérieurs du corps humain sont, en règle générale, définis par le patrimoine héréditaire: ce sont un ou plusieurs gènes donnés qui en contrôlent l'apparition. On peut dès lors considérer que chacune des pièces illustre le concept de gène, l'ensemble de celles-ci participant en effetà la figuration du visage.

Lamaindu personnage constitue une mise en image "hypennétonymique" de la communauté des généticiens. L'ambiguïté du geste de cette main (assemblage ou décomposition du puzzle? ) ne reflèterait-elle pas les deux facettes du génie génétique, respectivement: les manipulations génétiques réalisables sur le génome humain et le séquençage de celui-ci (l'élaboration du "puzzle" de l'hérédité humaine)?

5. CONCLUSION

SIMILITUDES

UN THÈME, DEUX PLANCHES • DIFFÉRENCES ET

Le dessin de Sabatier élève un monument(!)à la recherche scientifique. Quelle que soit l'isotopie envisagée, un fossé sépare l'observateur/profane et les personnages/chercheurs: qu'ils sont loin de nous ces hommes en blouse blanche, capables de déchiffrer des signes abscons... L'aura de Champollion, indissoluble de l'écriture hiéroglyphique, participeàmythifier ces savants. Les chercheurs apparaissent ici comme des acrobates faisant preuve de toutes les audaces physiques...

À l'opposé de cette tendance, ledessin d'Avoine conjugue la science au quotidien, le séquençage du génome humain étant présenté comme un puzzle que l'on manipule.Lapart ludique du travail des scientifiques est ici clairement mise en image, ce qui participe à nous le rendre plus proche. Ce dessin semble également rechercher la complicité, l'identification de l'observateur au personnage/chercheur, par l'intermédiaire de son dispositif fonnel :

- l'insert (ou très gros plan) de la main du personnage/chercheur crée un sentiment d'intimité et, inversement, les personnages de Sabatier, de par leur petite taille, paraissent très éloignés de l'observateur ;

- l'identification est recherchée via la taille des doigts dessinés et leur facture réaliste: ils pourraientêtreles nôtres;

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- de plus, si on imagine la présence du personnage dans notre monde réel,ilsemble, d'après l'emplacement de sa main, se tenir au même endroit que nous qui examinons cette page de la revue sur laquelle apparaît le dessin: "nous" sommes "lui" et "il" est "nous".

Puzzle et message codé des colonnes illustrent à leur manière le caractère énigmatique de l'hérédité humaine. Patience et perspicacité sont dans les deux cas, au rendez-vous...

Si le dessin d'Avoine n'est pas à proprement parler humoristique, c'est la confrontation dessin/article qui est ici amusante. Si la comparaison génome/puzzle a perdu aujourd'hui une grande part de son originalité, il ne faut pas perdre de vue que ce dessin parut en 1989, au moment où le projet des généticiens n'en était encore qu'à ses débuts et n'avait pas encore suscité les nombreuses comparaisons métaphoriques que lui prête aujourd'hui la presse de V.S. D'autre part, qui oserait, autre qu'un humoriste, laisser entendre que le séquençage de l'A.D.N. est un jeu d'enfant?

BIBLIOGRAPHIE

FREUD(S.), Die Trawndeutung (1900) (L'interprétation des rêves, Paris: P.U.P., 1967.) JACOBI (D.),Diffusion et vulgarisation. Itinéraires du texte scientifique, Annales Littéraires de l'Université de Besançon, Paris: Les Belles Lettres, 1986.

JACOBI (D.),Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne: Peter Lang, 1987, Coll. Exploration Recherches en Science de l'Éducation.

JAKOBSON (R.),Essais de linguistique générale, Paris: Éd. de Minuit, 1963. MORIN (V.), Le dessin humoristique,Communications, 1970, 15, p.llO-132.

TARDY (M.), La fonction sémantique des images, Études de Linguistique Appliquée, 1975, 17,.p.19-43.

TARDY(M.), J'ai regardé ce dessin ... ou le voyage de noces des isotopies, Bulletin de Psychologie, 1988, XLI, 386, p.611-615.

Pour une analyse approfondie du dessin de Sabatier, se référer à:

CORTEN-GUALTIERI (P.) ET HUYNEN (A.M.), Quand le grand projet de la génétique moléculaire se fait escalade d'humour,Les Cahiers du C.RELE.F., 1992, 1,33, p.75-90.

Figure

Fig. 1 ; Sabatier, Science & Vie, 1989, n0866, p.49.
Fig. 2 : Avoine, La Recherche, 1989, n0211, p.718.

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