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Les permanents sont-ils des militants ?

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Les permanents sont-ils des militants ?

Philippe Aldrin

To cite this version:

Philippe Aldrin. Les permanents sont-ils des militants ?. L’OURS. Hors-série Recherche socialiste,

Office universitaire de recherche socialiste, 2009, pp.67-81. �halshs-00520809�

(2)

ALDRIN (Ph.), « Les permanents sont-ils des militants ? »,

Recherche socialiste,

dossier spécial « Les transformations du militantisme socialiste » (dirigé par Rémi Lefebvre), Hors-série, 46-47, 2009

Les permanents

sont-ils des militants ?

Philippe ALDRIN

1

Les permanents sont-ils des militants ? Poser ainsi la question, c’est admettre qu’on puisse y répondre par la négative. Supposer donc que des permanents, c’est-à-dire le plus souvent des salariés du parti, puissent ne pas participer à la lutte pour le triomphe des idées de l’organisation politique qui les emploie. Et supposer aussi que l’administration courante du parti à laquelle les permanents œuvrent quotidiennement n’ait pas toujours à voir avec le militantisme. La question et ses présupposés peuvent surprendre. Mais, compte tenu du débat actuel sur les mutations des organisations politiques2 et du militantisme3, il n’est pourtant pas

absurde d’interroger au concret la pratique ou l’identité militante des permanents. Beaucoup de choses, au fond, éloignent les permanents de la figure du militant. Leur lien avec le collectif politique qu’est le parti ne se limite pas seulement au désir d’investissement moral et physique dans son action. Il y a entre le parti et eux autre chose que l’acte d’engagement. Il y a un contrat de travail, une convention collective, une rémunération et toutes sortes de problématiques professionnelles ordinaires (organigramme, salaires, promotions, congés, etc.). En outre, comme les cadres locaux ou nationaux du parti, les permanents servent l’appareil et sont pris dans ses tensions complexes et parfois contradictoires, quand le militant, lui, garde toujours son Aventin moral.

L’engagement militant est spontanément pensé en termes de choix individuel. Devenir militant résulterait en somme de la coïncidence entre des dispositions à investir l’action politique collective et l’opportunité de transformer ces dispositions en actes. Quand ils se racontent, les militants évoquent d’ailleurs sur l emode d’un cheminement intérieur les étapes qui ont déterminé leur passage à l’acte militant : l’éveil d’une sensibilité citoyenne, la naissance d’une conscience politique, l’affirmation d’une préférence idéologique, les fréquentations militantes, l’événement déclenchant, l’adhésion, la découverte de la réalité militante… Le récit du lent processus de politisation explique très souvent comment la survenue d’un événement fait basculer ce militantisme rentré dans la décision

1 Professeur de Science politique à l’Université de Nice.

2 F. Haegel, Partis politiques et système partisan, Paris, Presses de

Sciences Po, 2007.

3 O. Fillieule, dir., Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005.

d’adhérer et l’action4. La vision psychosociale de

l’engagement comme l’auto-roman militant s’arrêtent à l’horizon biographique et occultent généralement les raisons plus sociologiques du phénomène. Interroger le militantisme à l’aune des permanents oblige à dépasser cette approche individualisante du militantisme. D’une part, parce que l’étude du profil des permanents montre que les trajectoires militantes ne se limitent pas à une question de choix ou de désirs individuels mais sont prises dans des logiques proprement sociales (c’est-à-dire de classes, de positions, de propriétés sociales) conditionnant l’entrée dans la politique professionnelle. D’autre part, parce que l’examen de leur situation ramène aux torsions et transformations historiques de l’action politique collective et qui en changent structurellement le sens et les modalités indépendamment des intentions conjoncturelles des individus. Les ouvrages fondateurs de l’analyse des partis politiques (Moisei Ostrogorski, Max Weber, Roberto Michels, Maurice Duverger) comme la littérature scientifique plus contemporaine insistent sur les coordonnées sociales, culturelles et historiques très marquées du travail politique5, des mobilisations6 et

bien sûr du militantisme7. La transformation du statut,

des conditions matérielles et des tâches du travail des permanents est à la fois le symptôme et l’indicateur des contingences de l’activité politique. Depuis une quinzaine d’années, les salariés du siège national du Parti socialiste ont vu leur situation juridique se normaliser, leur emploi se stabiliser, l’organisation du travail se rationaliser sur le modèle de l’entreprise8. Une partie de leur activité a été externalisée (revue de presse, communication électorale, logistique des congrès, …). Leur recrutement lui-même s’est progressivement technicisé (entretien d’embauche avec tests), professionnalisé (CV, fiche de poste) et dépersonnalisé (jury d’embauche, traitement par DRH), relativisant du même coup les logiques de l’enrôlement militant. Dans cette perspective, la dimension militante de leur activité professionnelle fait question.

4 Les enquêtes par entretien des trajectoires militantes retracent

invariablement ce schéma narratif. Des références à la famille, au milieu social de la jeunesse, à la trajectoire biographique et aux rencontres politiques en amont d’un événement déclenchant (souvent un épisode saillant de la vie politique nationale : la victoire de l’autre camp politique, une mobilisation étudiante, la menace sur la République comme la présence du candidat FN au second tour de l’élection présidentielle de 2002).

5 A. Cohen et al., dir., Les formes de l'activité politique. Eléments

d'analyse sociologique XVIIIe-XXe siècle, Paris, PUF, 2006.

6 Pour une synthèse récente, voir Daniel Cefaï, Pourquoi se

mobilise-t-on ?, Paris, La Découverte, 2007.

7 La problématique de la « fin des militants » et celle, corollaire, des

« nouveaux militants » – dopées par l’émergence de l’engagement humanitaire et de la sociologie des mobilisations – incorporent cette dimension historique. Pour une synthèse, voir Jacques Ion et al., Militer aujourd’hui, Paris, Autrement, 2005.

8 Les informations, les données chiffrées et les extraits d’entretien sur le

siège national du Parti socialiste sont tirées d’une enquête réalisée entre 2004 et 2006. Cette enquête fournit la matière au présent article et à d’autres publications, notamment Ph. Aldrin, « Si près, si loin du politique. L’univers professionnel des permanents socialistes à l’épreuve de la managérialisation », Politix, 79, 2007.

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Le permanent : un militant paradoxal

L’analyse des milieux partisans s’articule classiquement sur une spécialisation des rôles qui distingue voire oppose leaders, dirigeants (cadres politiques locaux et nationaux), collaborateurs, permanents, militants, adhérents, sympathisants, supporters, électeurs. Cette segmentation a cours dans les partis eux-mêmes où elle s’impose, il est vrai, avec une certaine évidence pour identifier des fonctions, des degrés différents d’investissement ou de responsabilité dans le parti. De façon implicite, le militant se définit en creux dans l’univers partisan, par opposition aux rôles mieux prescrits qu’il n’y occupe pas : il est bénévole (contrairement au permanent), actif (contrairement au simple adhérent), anonyme (contrairement au leader) et il sert le part à la base (contrairement au dirigeant). Contre un préjugé commun tenace et malgré les discours édifiants des responsables partisans, militant

est bien une sorte d’identité par défaut au sein du parti. Une identité qui devient une évidence d’arrière plan (et à l’occasion un ressort rhétorique) pour qui obtient un mandat électif ou pour qui accède à une fonction d’encadrement dans l’organigramme politique. Qu’ils en acceptent la validité fonctionnelle ou qu’ils s’en saisissent sans inventaire préalable, les observateurs du fait partisan reprennent pourtant généralement à leur compte cette catégorisation indigène. Or l’appui sur celle-ci dresse au moins deux écueils de taille à l’analyse du militantisme, et plus précisément à la question posée ici. Premier écueil : un compartimentage du regard que l’on porte sur la morphologie des univers partisans. L’étude du militant et celle de dirigeant – pour prendre la dichotomie quasi-canonique la plus saillante – ne ressortissent habituellement pas des mêmes registres analytiques. Au militant, la rhétorique de l’engagement, de la cause et du collectif qui privilégie les explications psychologiques et sociétales. Au dirigeant, la rhétorique de l’appareil, de la carrière et des jeux politiciens qui penche du côté de l’analyse systémique ou de la théorie des champs et flirte volontiers avec la sociologie des élites9.

L’usage d’une telle dichotomie a donc pour principal effet de naturaliser l’opposition dirigeant-militant et, second écueil, de cantonner au militant l’analyse du militantisme. Or, sur ce point précisément, les catégories indigènes dont nous parlons ne rendent qu’insuffisamment compte des rapports de sens qu’elles véhiculent dans les interactions militantes (y compris par des effets de la théorie sur l’ordre des représentations, des interactions et des pratiques)10 ou

9 Pour un panorama critique, voir F. Sawicki, J. Siméant, « Décloisonner

la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, 51 (1), 2009.

10 Pierre Bourdieu a notamment analysé l’effet de théorie dans le domaine de l’économie (où les modèles théoriques exercent une

des modalités de transfert de l’une à l’autre (comment un militant devient secrétaire de section, député ou permanent). Sur cette question du transfert et de l’endossement des rôles partisans, l’étude de la fabrication sociale et organisationnelle des dirigeants – ou des notables – du parti montre que les processus de sélection-affectation-promotion dans les « postes » de l’espace partisan ne résultent pas seulement d’un choix délibéré dans le niveau d’engagement consenti. Ces processus résultent pour l’essentiel autant de mécanismes endogènes (tractations, routines, cooptation, procédures de désignation en cours dans le parti) que de facteurs exogènes (effets sur les trajectoires militantes des propriétés sociales telles que l’origine sociale, le niveau scolaire ou le capital social). L’étude des permanents offre justement une voie pour sortir l’analyse du militantisme des écueils du compartimentage et du cantonnement, en permettant de le penser par-delà les catégories indigènes fossilisées par la théorie et lui restituer ainsi son caractère à la fois plastique et pluriel. Ce, essentiellement pour deux raisons :

1)D’abord parce que, en étant à la fois militants et salariés du parti, l’examen de la position des permanents dans l’univers partisan oblige à abandonner toute classification trop normative. Pour la plupart, les permanents socialistes ont été militants plus ou moins actifs avant d’être collaborateurs assidus puis appointés du parti. En outre, l’emploi de permanent ne signifie en rien l’abandon de toute activité de « militant de base » en section ou en fédération, au contraire, pas plus qu’il n’exclut l’exercice de mandats électifs locaux (notamment dans les conseils municipaux). En l’espèce, les catégories indigènes comme leur réemploi savant ne valent donc que dans une approche synchronique où les individus qui agissent et interagissent dans l’univers partisan sont fixés dans un moment ou un aspect de leur engagement. Elles n’ont d’utilité que taxinomique voire statistique à un instant donné. Et une considération diachronique des positions dans le parti et sa nébuleuse associative révèle d’ailleurs que l’intensité de l’activité militante comme l’occupation de certains postes ou fonctions n’ont rien de figé. Il s’agit plutôt d’étapes dans des parcours d’engagement dont l’étude longitudinale montre assez le caractère mouvant, non linéaire. Ainsi, en examinant des « carrières de militants », l’analyse processuelle11 ne subvertit-elle

pas seulement le sens des mots12, elle subvertit aussi et

influence sur les représentations et les pratiques). La réflexivité des individus (c’est-à-dire leur faire retour sur leur situation et leurs actions pour les analyser) est aujourd’hui plus hier marquée par la diffusion sociale des discours savants les concernant. C’est le cas d’une partie des militants socialistes qui disent lire ou connaître les thèses principales sur le mouvement socialiste et le militantisme.

11 O. Fillieule, « Propositions pour une analyse processuellle de

l’engagement individuel », Revue française de science politique (RFSP), 51 (1-2), 2001.

12 Au sens où, en politique, le terme de carrière est communément associée à l’idée d’exercer des mandats électifs, de faire profession de

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plus encore la perception asymétrique a priori des parcours d’engagement des « simples militants » (ou des « militants de base ») et des dirigeants du parti. Il en va de même pour les carrières de permanents 2) Ensuite, l’étude des permanents montre qu’il n’y a pas un type de permanent mais une multiplicité. Si le terme même de permanent renvoie dans le langage commun à la figure de militant professionnel13, les

« collaborateurs » salariés par le parti empruntent dans la réalité des profils très divers : membres du cabinet d’un responsable national, responsable de service, secrétaire, comptable ou agent administratif au siège national, chargé de communication du premier secrétaire fédéral. On peut ajouter tout collaborateur direct d’un responsable local ou national du parti dont le travail recouvre des enjeux internes au parti (e. g.

relations avec les membres du bureau exécutif fédéral) mais dont le salaire est financé sur enveloppe parlementaire ou un contrat dans une collectivité territoriale. Comme la catégorie militant, la catégorie indigène du permanent renferme une réalité éclectique et des situations très hétérogènes. L’enquête réalisée auprès des permanents du siège national du PS en donne une illustration. Les deux tiers d’entre eux14 sont

employés à des fonctions « administratives »15 et

officient par ordre décroissant au sein du secteur « Organisation »16, au service du personnel et à la comptabilité. Il est important de noter qu’un peu plus de 60% de ces employés administratifs sont entrés comme salariés au siège avant 1993 (date de la normalisation juridique du statut et du cadre d’emploi des permanents). Seulement un tiers donc des salariés du siège sont occupés à des tâches définies comme « politiques », c’est-à-dire en lien direct avec les activités nationales ou internationales, internes ou externes du parti. Mais il faut encore noter que l’examen au concret de leur situation au travail révèle qu’à l’exception de quelques uns chargés de rédiger des notes, des communiqués de presse et des études, l’immense majorité d’entre eux s’appliquent à des tâches de nature administrative (suivi de courrier, accueil téléphonique et gestion de l’agenda des secrétaires nationaux en responsabilité du secteur, veille médiatique et documentaire spécialisée). La fonctionnarisation des permanents du siège national, le caractère administratif des tâches auxquelles ils s’occupent, la placardisation de certains d’entre eux liée aux changement des majorités et donc des équipes

la politique (« carrière politique », « carrière ministérielle », etc.) ou d’occuper des fonctions de direction dans le parti.

13 Figure idéalisée (comme dans la prosopographie du mouvement

communiste) ou détestée (dans la littérature dénonçant la bureaucratisation des appareils politiques).

14 Les chiffres sont extraits du fichier anonymé de 108 salariés du PS

mis à ma disposition par le secrétariat général en 2005. Pour une exploration plus fouillée de ces données, voir Ph. Aldrin, « Si près, si loin du politique », art. cit.

15 La convention collective distingue depuis 1993 les emplois selon deux

filières, l’une administrative, l’autre politique (v. infra).

16 Ce sont l’accueil (visiteurs et appels téléphoniques) et la sécurité

(vigiles, gardiens de nuit, service d’ordre) qui occupent le plus de poste. Le courrier, la maintenance et la logistique venant juste derrière.

dirigeantes : tout cela témoignent de l’écart qui existe entre la figure du militant professionnel attachée au terme permanent politique et la réalité diverse de leur position dans l’univers partisan.

Loin de la vision poétique, héroïque ou sacrificielle du militant, les permanents disent « militer » de diverses manières : en collaborant avec un cadre ou un élu du parti (gérer son agenda, classer les demandes, filtrer les appels, rédiger des notes), en accomplissant les missions ordinaires du siège national ou des fédérations (gestion du courrier, accueil, préparation des réunions du secrétariat fédéral, rédaction et/ou mise en page de la newsletter de la fédération), en animant leur section ou en défendant les idées socialistes aux réunions du Conseil municipal. Pour la plupart, leur militantisme réside encore dans l’effectuation de tâches – même objectivement non-politiques – qui servent le parti, ses responsables politiques ou ses militants17. Un militantisme paradoxal donc parce que dilué dans la routine professionnelle, et parce que pris d’une façon singulière dans la dialectique de l’engagement (libre et volontaire) et du contrat (formel et obligataire)18. Même quand il ne

milite pas au sens restrictif du terme (animer une section, manifester, pétitionner), un permanent participe au travail politique collectif accompli dans, par et pour le parti. Or, comment séparer (et spécifier réciproquement) militantisme et travail politique ? Au fond, la question n’est donc pas seulement de savoir si des militants devenus permanents sont (encore ? toujours ?) des militants à côté de leur activité salariée mais plutôt de savoir en quoi leur participation fonctionnelle au travail politique collectif peut être vue (objectivement) et vécue (subjectivement) comme une activité militante. À cette question, il ne peut y avoir de réponse univoque tant la réalité des situations au travail des permanents socialistes est diverses.

17 « Quand des militants appellent de province, je mets un point

d’honneur à toujours bien les accueillir et bien les renseigner. La correction et l’information, ça fait partie du travail de tout bon militant. »

18 On a ici un rapport militant au parti à fronts renversés du « modèle

français d’association » repéré par J. Ion et qu’il caractérise « comme une sorte de compromis entre les deux pôles permettant de décrire habituellement toute organisation sociale, le pôle communautaire d’une part, le pôle sociétaire ou contractualiste d’autre part », le contrat renvoyant selon Ion à la liberté d’action ou de retrait du militant. Pour le permanent, salarié de « l’entreprise PS », le pôle contractualiste est partagé entre le versant militant de l’engagement moral (celui identifié par Ion) et le versant professionnel-juridique du salarié. Cf. J. Ion, La fin des militants ? op. cit., p. 26

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Le collaborateur politique

et le fonctionnaire du parti

À bien des égards, les permanents se posent donc comme un cas exemplaire des problèmes de pertinence descriptive comme analytique que soulève la notion de militant(isme). Et aussi comme un terrain approprié à l’étude des transformations historiques du travail politique. Militants et salariés, les permanents poursuivent en effet une double carrière à la fois comme salariés d’une organisation (carrière est pris ici au sens strict – juridique – de cursus professionnel dans une organisation) et comme militant (carrière est pris ici au sens de l’analyse processuelle – sociologique – comme trajectoire physique, idéologique et fonctionnelle dans l’espace partisan). Se pose alors pour eux la question de l’adéquation entre les deux carrières. Prenons cette question par son trait le plus atypique dans l’espace militant : celui du statut salarié et de ses différentes dimensions (contexte, cadre, temporalités et relations de travail). Jusqu’à la fin des années 1980, peu des permanents qui servent au PS ou dans les autres organisations politiques en France possèdent le statut de salariés déclarés. Il existe alors différentes façons d’être rémunéré tout en travaillant directement pour le parti : être employé dans une des municipalités administrées par des élus du parti, dans des entreprises ou des bureaux d’études « amis », être assistant parlementaire d’un responsable politique du parti. Certains encore sont des faux « bénévoles » récompensés par des rétributions de différents ordres (payes non déclarées) ou des intermittents du travail politique finalement remerciés de leur dévouement par l’octroi d’un logement social ou d’un emploi public, et parfois d’un poste de permanent19. Ceux qui obtiennent

du parti un contrat de travail ont souvent tâté de ces différents expédients. L’embauche contractuelle survient après un engagement très actif, notamment dans l’équipe de campagne d’un candidat socialiste, et constitue souvent un acte de double reconnaissance de la part des responsables du parti : reconnaissance (au sens de prendre en considération) d’un dévouement, d’une compétence politique et souvent d’un capital militant pratique20 et reconnaissance (au sens de

manifester sa gratitude) pour services rendus à la cause du parti et plus encore de son candidat.

Outre l’adhésion au corpus idéologique du parti, ce recrutement suppose, d’une part, la disponibilité physique et professionnelle du militant et, d’autre part, l’existence de besoins et plus encore de ressources dans l’organisation pour salarier un nouveau permanent. Sociologiquement parlant, ce sont donc

19 Mêmes précaires, de tels postes comptent parmi les incitations au

militantisme dont disposent les partis dits de masse. Voir D. Gaxie, « Economie des partis et rétributions du militantisme », RFSP, 27 (1), 1977.

20 Sur cette question, voir F. Matonti, F. Poupeau , « Le capital militant », Actes de la recherches en sciences sociales, 155, 2004.

plutôt les militants disposant de faibles ressources nominales en termes de diplôme, de capital de relations et d’origines sociales qui sont alors recrutés ; ceux disposant en plus grande importance de ces mêmes ressources sont soit déjà investis dans une carrière professionnelle soit amenés à occuper des fonctions plus prestigieuses dans la collaboration politique (assistants parlementaires, personnels de cabinet d’élu voire de ministre en cas de victoire du parti aux élections législatives). Mais, parmi les permanents, notamment ceux du siège national, la nature des postes proposés varie grandement selon les capitaux – surtout social, culturel et scolaire – dont est dotée la recrue. Tendanciellement, plus ces capitaux sont élevés, plus les postes proposés sont politiques et les dossiers confiés sensibles. Il y a loin entre le permanent recruté au cabinet ou même au secrétariat particulier d’un membre du secrétariat national et le permanent recruté à l’accueil ou à la maintenance informatique21. Dès cette époque, on peut donc différencier deux pôles dans la situation professionnelle et militante des permanents. D’un côté, le pôle collaborateur politique salarié vers lequel tendent les permanents effectuant des tâches proprement politiques et souvent engendrées par la collaboration rapprochée et durable avec les responsables politiques du parti. Cette situation implique la reconnaissance d’une compétence militante, sinon politique, et est souvent corrélée à un capital scolaire et/ou un capital militant élevés (connaissance concrète de la politique et du parti, inscription marquée dans un réseau ou un courant du parti, savoir-faire relationnel et/ou rédactionnel)22. De l’autre, le pôle fonctionnaire du parti vers lequel tendent les permanents assignés à des tâches moins politiques, plus administratives ou techniques suscitant une faible collaboration directe avec les responsables politiques du parti. Cette situation correspond à des salariés dont l’activité professionnelle se déploie dans un contexte fortement politisé sans être elle-même déterminante ou déterminée par la vie politique du parti. Pour les premiers, le statut, les missions, le cadre, les relations et l’agenda de travail prolongent directement l’engagement militant. Ils s’apparentent à l’image du militant total dont l’habitus militant est consacré et perpétué par le statut de permanent23. Pour

les seconds, le lien entre l’engagement et l’espace professionnel se borne au statut et au cadre de travail. La dimension militante du « métier » de permanent

21 Cette logique – connue en sociologie politique sous le nom d’effet

d’homologie – de l’affectation dans la division du travail politique et les chances de promotion professionnelle ou politique des militants est opérée par la reconnaissance implicite et explicite dans l’espace partisan des différentes espèces de capitaux (social, culturel, scolaire et économique) socialement hiérarchisées. Ce phénomène témoigne de la porosité des espaces partisans aux logiques sociales de classement des individus. Pour une synthèse, voir Jacques Lagroye et al., Sociologie politique, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2003, p. 258-260.

22 Pour une illustration un brin idéalisée de ce profil de permanent, voir

D. Mothé, Le métier de militant, Paris, Seuil, 1973

23 Sur l’habitus militant, notamment du « révolutionnaire

professionnels » chez les jeunes lambertistes, voir K. Yon, « Modes de sociabilité et entretien de l’habitus militant. Militer en bandes à l’AJS-OCI », Politix, 70 (2), 2005.

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s’accroît ou s’amenuise donc selon que la situation au travail tend vers le premier ou le second pôle. Pour autant, le sentiment de militer en travaillant peut être partagé (subjectivement) au-delà des positions occupées (objectivement) selon cette typification. C’est le cas quand Solferino est le véritable QG des campagnes nationales, comme lors de l’élection présidentielle de 198124.

À partir de la fin des années 1980, la donne du travail politique change considérablement en France et particulièrement au PS. L’affaire Urba où le parti est impliqué et les premières lois sur le financement de la vie politique25 marquent l’amorce de ce changement. En 1993, le PS se dote d’une nouvelle convention collective des personnels du siège alors même que les résultats catastrophiques des législatives grèvent sérieusement ses ressources26. La réforme engagée par la direction

opère une rationalisation juridique, budgétaire et organisationnelle mais elle entend surtout « démilitariser » le siège, sanctuariser l’administration centrale du parti et rompre avec le système des dépouilles qui affecte les personnels du siège – donc les permanents – après chaque congrès. La convention collective et l’accord d’entreprise signés en octobre 1993 entre les représentants des personnels et la direction du PS manifestent la volonté de cette dernière de professionnaliser les activités du siège. Les textes adoptés instituent notamment deux filières d’emplois : l’une, désignée Animation et études regroupera désormais les services en charge des « missions d’animation politique » ; l’autre, intitulée Administration et moyens généraux prendra en charge les « tâches techniques et administratives ». La dichotomie ainsi établie sépare, au moins pour les postes les plus bas de la nouvelle classification, les emplois politiques des emplois administratifs. La filière politique est elle-même divisée en domaines spécialisés afin de distinguer les activités attachées aux organismes centraux (bureau national, secrétariat national, conseil national), celles liées aux fédérations, aux élus et partenaires politiques (syndicats, associations) et enfin tout le travail d’études couvrant les différents champs d’action politique du parti (donne électorale, questions de sociétés, politiques publiques). La convention opère donc une « départementalisation »27 et découpe chaque

département en plusieurs secteurs souvent placés sous la responsabilité politique de différents secrétaires

24T. Jouteux, Le parti socialiste dans la campagne de François Mitterrand

en 1981, Paris, Fondation Jean-Jaurès, 2005.

25 Rappelons qu’une première loi est voté en mars 1988 (elle

proportionne le financement d’un parti au nombre de parlementaires) avant celle de janvier 1990 (qui intègre les résultats du premier tour dans le calcul du financement et plafonne les dons des personnes morales et physiques).

26 Plusieurs dizaines de permanents doivent quitter le siège.

27 Six départements sont créés : Animation politique ; Communication ;

Relations internationales et affaires européennes ; Environnement, aménagement du territoire, cadre de vie, éducation et culture ; Affaires sociales, problèmes sociaux et économiques ; Etudes et prospectives. Un septième département, Direction de l’administration générale, regroupe les services de l’autre filière.

nationaux et qui, surtout, resteront désormais sous la direction administrative d’un même cadre permanent, le « chef de département ». La réinstallation statutaire d’un secrétaire général administratif du siège28, achève le dispositif de sanctuarisation. Chaque poste est redéfini selon la filière, les départements, les compétences attendues, le grade, et la rémunération de celui qui l’occupera. Ajoutée à la sécurisation progressive de l’emploi (par l’augmentation des ressources publiques reçues par le parti après la victoire de 1997), cette sanctuarisation de l’administration centrale va assez rapidement produire un découplage de l’activité des permanents avec la vie politique interne et externe du parti. La rigidification de l’organigramme et la stabilisation des cadres permanents va amener la plupart des membres du secrétariat national à « se comporter en ministre », c’est-à-dire à intégrer la charge de travail de leur fonction au parti au périmètre de travail déjà effectué par leurs collaborateurs personnels et les membres de leur cabinet – le plus souvent constitués autour de l’exécutif local qu’ils dirigent et/ou de leur mandat parlementaire. Tendanciellement, ce sont les secrétaires nationaux non notabilisés ou pas encore installés dans une carrière élective qui, faute d’équipe personnelle, s’appuient sur les ressources en personnels du siège ou y font salarier leurs collaborateurs.

Outre que, sous l’effet de telles pratiques, le désœuvrement succède bientôt pour bon nombre de permanents à la placardisation, la situation générale des personnels salariés du siège socialiste est également affectée par un mouvement plus ancien et plus global de professionnalisation des activités politiques29. Ce mouvement se traduit principalement par l’importation dans l’espace partisan, depuis les années 1970-1980, du modèle d’organisation et de management de l’entreprise privée30. Dans tous les

grands partis politiques, la même tendance est observable : managérialisation du travail politique31,

professionnalisation des recrutements (fiches de poste, protocole de sélection, embauche de non-encartés), technicisation et externalisation des activités liées à l’espace public et aux médias de masse (campagnes de communication, marketing électoral, études d’opinion,

etc.). Sans compter que, sous l’effet de la

28 Selon la convention collective, il « coordonne l’activité des services et

le fonctionnement administratif des départements en liaison avec leur directeurs ». Neutralisation du siège oblige, son mandat (quatre ans renouvelables) n’est pas attaché à celui de la direction politique. Un délégué général à la coordination est « est en charge des organismes centraux et coordonne l’activité politique des permanents ». Le caractère politique de cette fonction est inscrit dans la durée de son mandat « liée à celui de la direction politique ».

29 A. Panebianco Political Parties. Organizations and Power, New York,

Cambridge University Press, 1988

30 J. Hopkin, « The Business Firm Model of Party Organization : Cases

from Spain and Italy », European Journal of Political Research, 35, 1999.

31 Avec son lot de concepts opératoires : audit, rationalisation des

process de production, optimisation des rendements, responsabilisation individualisée des objectifs que l’on retrouve dans les communication interne de la direction administrative dans les années 1990.

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présidentialisation de la vie politique française, de l’épreuve du pouvoir et de la fin du mitterrandisme, les fondations politiques et idéologiques du PS se déplacent comme d’ailleurs la société des socialistes32. Au bout du compte, le rôle de collaborateur politique salarié se raréfie pour les permanents. Stabilisés dans l’emploi grâce à un statut juridique normalisé et des ressources publiques importantes et pérennes, ils sont aussi fonctionnarisés par la rigidité de l’organigramme administratif33. L’occupation d’un poste de permanents n’est plus envisagé comme un emploi temporaire, un passage par la politique professionnelle ou un marchepied vers une carrière élective : c’est désormais un emploi à vie pour la plupart des permanents. La dépolitisation des pressions exercées sur l’administration centrale a aussi entraîné une dépolitisation des carrières de ses personnels. Aujourd’hui, la situation générale des permanents traduit la tendance à la fonctionnarisation amorcée depuis plus d’une décennie. Tous les indicateurs montrent que l’évolution de l’entreprise socialiste travaille à refouler les dispositions au militantisme de ses salariés. Subjectivement, cette situation n’est pas vécue de la même manière selon le type de trajectoire militante et le type de carrière dans le salariat politique. Les permanents qui sont entrés « par hasard » au PS continuent d’y voir une opportunité de rémunération et d’occupation professionnelle – voire une planche de salut – conformes à leurs préférences politiques34.

L’évolution est plus mal vécue par ceux qui y avaient vu la chance de concilier le service du parti, un militantisme intense et un gagne-pain. Fatalistes nostalgiques ou repliés dans un professionnalisme dépouillé de toute ferveur militante, ils sont des « sortants silencieux »35 de l’esprit de parti de la « vieille maison ». Seuls ceux disposant de ressources distinctives parviennent à occuper et circuler entre des postes de collaborateurs politiques incluant d’ailleurs l’ensemble des potentialités de collaborateur politique du monde socialiste (cabinet dans l’exécutif des collectivités socialistes, charges de mission, assistanat parlementaire, sièges fédéraux, FNESER, etc.). Des permanents intermittents en quelque sorte, échappant à la fonctionnarisation. Par contraste, ceux qui, parce que dotés de titres universitaires et d’expérience militante, concevaient leur embauche au PS comme un tremplin vers une carrière de « grand collaborateur » ou une carrière élective nourrissent un profond désenchantement militant du fait de la dépolitisation de leur travail et dans une moindre mesure de la

32 R. Lefebvre, F. Sawicki, La société des socialistes. Le PS aujourd’hui,

Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2006,

33 En 2005, l’âge moyen des permanents du siège est 44 ans (33,6% des

salariés ont plus de 50 ans) et l’ancienneté moyenne de dans l’emploi au siège est de 15 ans.

34 « C’est quand même intéressant quand on est socialiste de travailler

ici, à Solferino. Même si ce que je fais moi, personnellement, je pourrais le faire chez Adidas ou dans une banque, c’est bien d’être au cœur des choses, de suivre ce qui se passe… même si des fois c’est vrai qu’on peut pas tout suivre ».

35 Selon le mot de Catherine Leclercq à propos des ex-communistes

qu’elle a étudiés. Voir C. Leclercq in .O Fillieule, dir., Le désengagement militant, op. cit.

fonctionnarisation de leur emploi. Ils déplorent le glissement du PS d’un parti de militants à un parti de notables, électoraliste et consensualiste, avec des dirigeants plus soucieux de communication et de coups médiatiques que de projet politique. Certains d’entre ont investi leur énergie et leur savoir-faire militants dans le combat syndical et la défense salariale des permanents, reconvertissant leur militantisme politique en militantisme d’entreprise comme lors du conflit qui a opposé en 2005 la direction du parti aux revendications des permanents36. Au-delà de ce militantisme de résilience éphémère, ils déplorent que la « parenthèse militante »37 des années 1970 soit bien refermée au PS.

*

La littérature, notamment française, consacrée à la question du militantisme entérine depuis les années 1990 la thèse d’une recomposition profonde des motivations et des pratiques militantes. Après des décennies d’immobilisme supposé, le militantisme aurait désormais une actualité. Il ne serait pas vraiment en crise mais ferait l’objet d’un renouvellement38. Le

cas des permanents socialistes montre assez que si la posture du militant, ses attentes et ses intentions changent, elles ne sont pas seules en cause. Ce changement s’inscrit dans une recomposition plus large du travail politique marquée par la référence au modèle économique (avec sa rhétorique et ses recettes managériales), le financement public (les ressources des grands partis sont principalement indexées sur leur score aux élections nationales), la personnalisation des options politiques et la prégnance des enjeux médiatiques (évaluer et influer sur les tendances de l’opinion publique). Dans cette perspective, la base militante servirait surtout – par le dénombrement des cartes et des votes – à notabiliser ses notables39 et légitimer leur poids respectif40 dans un parti réduit à sa fonction d’agence électorale. Le « malheur militant » et le refoulement des dispositions militantes de ses salariés résident profondément dans ce réagencement structurel des entreprises partisanes. Le « bonheur militant » se loge donc ailleurs, hors-parti41, dans des collectifs moins entrepreneurisés ou moins institutionnalisés dont la ressource militante pratique, affinitaire comme intellectuelle est encore la matière politique première. Là, finalement, où le rôle permanent reste un paradoxe de militant.

36 « [nos dirigeants ont] le mirage du management d’entreprise. Ils ont

aussi en tête le modèle des collectivités territoriales où l’administratif et le politique sont dissociés… Mais nous, au fond de nous, on reste quand même des militants. » Voir. Ph. Aldrin, art. cit.

37 R. Lefebvre, F. Sawicki, op. cit., p. 55. 38 Voir ouvrages de J. Ion déjà cités.

39 Ph. Juhem, « La production notabiliaire du militantisme au Parti

socialiste », RFSP, 56 (6), 2006.

40 L. Olivier, « Ambiguïtés de la démocratisation partisane en France (PS,

RPR, UMP) », RFSP, 53 (5), 2003.

41 L. Bereni, « Lutter dans ou en dehors du parti ? L’évolution des

stratégies des féministes du Parti socialiste (1971-1997), Politix, 73 (1), 2006.

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