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Chroniques génomiques - Myriad Genetics L’arme du secret

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m/s n° 1, vol. 29, janvier 2013 DOI : 10.1051/medsci/2013291021 médecine/sciences 2013 ; 29 : 101-3 101

CHRONIQUES GÉNOMIQUES

FORUM

Encore Myriad et ses brevets sur les gènes ? Certes, cette entreprise défraye la chronique depuis de nombreuses années avec l’exclusivité qu’elle revendique sur les tests

BRCA1 et BRCA2, et de récentes péripéties judiciaires aux

États-Unis [1] ont remis la question du brevetage des gènes au premier plan de l’actualité biomédicale. Mais la présente chronique porte sur un sujet différent, bien qu’apparenté : celui de la « privatisation » par cette firme des corrélations entre génotype et phénotype, et s’appuie notamment sur une étude toute récente parue dans European journal of human genetics [2].

Bases de données génétiques :

la bouteille à l’encre

Il est banal de dire que la quantité d’informations de séquence croît de manière exponentielle, avec l’irruption en clinique du séquençage de jeux de gènes, d’exomes ou même de génomes entiers. Du coup, l’interprétation de ces données devient un enjeu cli-nique. Un certain nombre de mutations clairement pathogènes sont connues et bien répertoriées mais, pour la plupart des variations de séquence repérées, se pose la question du phénotype, if any, qui y est asso-cié. Des bases de données répertoriant ces variations et le phénotype associé existent depuis longtemps, mais elles sont très incomplètes. L’information sur les conséquences physiologiques d’une mutation donnée est souvent perdue, comme lorsqu’un laboratoire de service fait une recherche à la demande d’un clinicien : le laboratoire ignore le phénotype, et le clinicien ne s’intéresse, généralement, qu’aux altérations dont l’effet est connu.

Même si les informations ont été obtenues, leur inscription dans un registre demande un travail important et non reconnu. Quand à publier de tels résultats, il y a long-temps qu’il ne faut plus y penser. De plus, les données effectivement répertoriées sont truffées d’erreurs, dans une proportion qu’une récente étude évalue à 27 % [3] ! Cette situation est évidemment très dommageable : elle

a pour résultat que le clinicien (et le malade) ignorent la signification d’une mutation découverte dans l’ADN, alors qu’en fait l’information existe mais n’a pas été convena-blement répertoriée ou n’est pas accessible. On reste alors dans l’incertitude ou, pire, on ignore un signal d’alerte qui aurait pu motiver des mesures de prévention, voire même un début de traitement.

Le diagnostic est posé depuis plusieurs années, et la solution, une base de données publique aussi complète que possible et comportant des indications cliniques précises, est aussi évidente que difficile à mettre en œuvre. Il n’est besoin pour s’en persuader que de consulter le site de MutaDATABASE (www.mutadata-base.org), base de données publique lancée en 2010 pour répondre à ce besoin [4] : le nombre de gènes pour lesquels des variants ont été enregistrés n’est que de 279, et tout le site fait penser à une organisation en sommeil, le dernier item de nouvelles datant de plus d’un an. Un projet similaire mené sous l’égide du

National center for biotechnology information (NCBI)

et appelé ClinVar (http://preview.ncbi.nlm.nih.gov/ clinvar/intro/) semble plus vaillant - mais ce n’est encore qu’un projet, seule une préfiguration de la base étant actuellement en ligne.

Dans ces conditions, et selon les informations que l’on peut glaner ici et là, une multitude de répertoires spécialisés (et privés) fleurit au niveau des hôpitaux et des entreprises de diagnostic génétique. En somme, la situation actuelle se caractérise par une grande dis-persion entraînant une importante perte d’information et une duplication des efforts. À cet égard, elle n’est pas sans rappeler l’état des travaux sur la carte

géné-médecine/sciences

CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France bertrand.jordan@univ-amu.fr

Myriad Genetics

L’arme du secret

Bertrand Jordan

Chroniques

génomiques

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tique humaine à la fin des années 1980, lorsque chaque laboratoire besognait dans son coin sur son petit bout de carte, avant que les efforts du groupe de Helen Donis-Keller [5], et surtout de celui de Jean Weissenbach au Généthon [6], ne montrent l’incomparable effi-cacité d’une approche centralisée.

Cette situation est extrêmement dommageable : il ne s’agit de rien moins que l’établissement des corrélations entre génotype et phéno-type pour l’ensemble de notre génome.

Le jeu de Myriad Genetics

L’entreprise s’est, comme on le sait, réservé l’exclusivité (au moins aux États-Unis) de l’analyse des gènes BRCA1 et BRCA2 à la recherche de mutations pouvant entraîner une forte prédisposition au cancer du sein. Elle revendique la réalisation de près d’un million de tests (à plus de 3 000 dollars US l’unité) depuis la fin des années 1990, et annonce un chiffre d’affaires, pour ce seul test, de près d’un demi-milliard de dollars par an. Bien entendu, elle se bat pour conserver son exclusivité et pour l’étendre aux régions dans lesquelles celle-ci est contestée, comme l’Europe [7] où elle fait actuellement un gros effort d’implantation [8]1.

Dans ce combat, elle ne s’appuie pas seulement sur ses brevets actuellement très contestés, mais aussi sur sa base de données « pro-priétaire » - c’est-à-dire privée et confidentielle. L’entreprise affirme avoir investi des dizaines de millions de dollars et quinze ans de travail pour répertorier 18 000 mutations et leurs corrélats cliniques, et être ainsi parvenue à réduire la proportion de variants non inter-prétables (variants of unknown significance, VUS) à moins de 3 % des analyses pratiquées sur ces gènes - alors que le chiffre était de 13 % il y a 10 ans et que, toujours d’après Myriad Genetics, les tests effectués par des laboratoires ou hôpitaux européens présentent un taux de VUS qui s’élève à 25 ou 30 %.

La base de données de Myriad constitue donc un atout commercial notable pour la firme - et, bien entendu, elle s’en réserve l’accès ! En fait, elle a alimenté les répertoires publics jusqu’en 2004, mais a décidé depuis de considérer qu’il s’agit d’un secret commercial. Cette base lui confère ainsi une forme d’exclusivité, indépendamment du deve-nir de ses brevets, et lui permet d’être dans une situation privilégiée, puisqu’elle continue néanmoins à profiter des informations publiques. Cela rappelle un peu la course entre Celera et le programme Génome public pour la première séquence de l’ADN humain, dans laquelle Celera a largement profité des données (notamment cartographiques) du pro-gramme public tout en gardant ses propres informations confidentielles. Du point de vue des malades, cela signifie que nombre de mutations détectées ne seront pas interprétées si l’on n’est pas client de Myriad.

Un appel à l’action

L’article cité au début de cette chronique [2] ne se contente pas de décrire la situation - il donne aussi des pistes d’action, à l’occasion

1 Myriad a déjà ouvert des bureaux en Allemagne, Suisse, France, Italie et Espagne, et attend à terme un

chiffre d’affaires annuel de cent millions de dollars US en Europe.

notamment du début d’implantation de Myriad en Europe. On pourrait commencer par exiger le respect des règles de publication, lesquelles sont censées imposer la communication de l’ensemble des données : or, un article publié en 2007 par Myriad dans American

journal of human genetics ne donne d’information

complète que sur 118 variants parmi les 1 433 étudiés

[9]. Et surtout, la nature des systèmes de santé euro-péens leur offre un levier efficace : le remboursement des tests Myriad pourrait (devrait) être subordonné à la fourniture d’informations complètes sur les altéra-tions repérées et à leur inscription, avec les données cliniques correspondantes, dans une base de données librement accessible, sous l’égide par exemple du consortium ENIGMA [10] (www.enigmaconsortium.org) qui a été créé dans ce but2. Ce qui n’a pas été fait aux

États-Unis, où les remboursements sont assurés par une multitude d’entreprises d’assurance médicale dont l’intérêt général n’est pas le premier souci, devrait être possible en Europe, où ils sont gérés au niveau national avec - on l’espère - une prise en compte attentive des impératifs de santé publique.

Différentes modalités sont envisageables : subordon-ner l’enregistrement du test à la publication des résul-tats, ou intervenir au niveau du remboursement. Mais le principe est le même : utiliser l’existence d’un système globalisé pour imposer la divulgation des informations en employant l’arme financière, la plus efficace dans une telle situation.

Géopolitique de la santé

Ce n’est donc pas par hasard que ces auteurs nord-américains publient leur article dans une revue euro-péenne : constatant les effets pernicieux d’une dérive liée au jeu du marché dans la première économie mon-diale (la leur), ils s’adressent à la « vieille Europe » - si critiquée ces jours-ci. Ils espèrent que cette dernière

2 Le consortium ENIGMA (evidence-based network for the interpretation of germline

mutant alleles) est focalisé sur l’interprétation clinique des variations dans les gènes BRCA1 et BRCA2.

Figure 1. Le test BRACAnalysis de Myriad Genetics.

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CHRONIQUES GÉNOMIQUES

FORUM

pourra imposer à une firme de leur nation une politique plus respectueuse de l’intérêt général - comptant sans doute qu’en cas de succès cette approche pourra être étendue aux États-Unis. Décidément, la santé n’est pas un bien comme un autre, et même si le marché a évidemment un rôle important à jouer, le pouvoir poli-tique peut et doit intervenir pour fixer les règles du jeu et faire en sorte que l’intérêt général ne soit pas oublié dans cette affaire.‡

Myriad’s proprietary mutation database

LIENS D’INTÉRÊT

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

1. Cassier M, Stoppa-Lyonnet D. Un juge fédéral et le gouvernement des États-Unis interviennent contre la brevetabilité des gènes. Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 11-5. 2. Cook-Deegan R, Conley JM, Evans JP, Vorhaus D. The next

controversy in genetic testing: clinical data as trade secrets? Eur J Hum Genet 2012 ; 14 novembre (online). doi: 10.1038/ ejhg.2012.217.

3. Bell CJ, Dinwiddie DL, Miller NA, et al. Carrier testing for severe childhood recessive diseases by next-generation sequencing. Sci Transl Med 2011 ; 12 : 65ra4. 4. Bale S, Devisscher M, Criekinge WV, et al. MutaDATABASE: a centralized and

standardized DNA variation database. Nat Biotechnol 2011 ; 29 : 117-8. 5. Donis-Keller H, Green P, Helms C, et al. A genetic linkage map of the human

genome. Cell 1987 ; 51 : 319-37.

6. Weissenbach J. A second generation linkage map of the human genome based on highly informative microsatellite loci. Gene 1993 ; 135 : 275-8.

7. Cassier M, Stoppa-Lyonnet D. L’opposition contre les brevets de Myriad Genetics et leur révocation totale ou partielle en Europe : premiers enseignements. Med Sci (Paris) 2005 ; 21 : 658-62.

8. Myriad Genetics’ Q4 revenues rise 24 percent. Ramp up of european operations continues. GenomeWeb Daily News, August 15, 2012.

9. Easton DF, Deffenbaugh AM, Pruss D, et al. A systematic genetic assessment of 1,433 sequence variants of unknown clinical significance in the BRCA1 and BRCA2 breast cancer-predisposition genes. Am J Hum Genet 2007 ; 81 : 873-83. 10. Spurdle AB, Healey S, Devereau A, et al. ENIGMA-evidence-based network for the

interpretation of germline mutant alleles: an international initiative to evaluate risk and clinical significance associated with sequence variation in BRCA1 and BRCA2 genes. Hum Mutat 2012 ; 33 : 2-7.

TIRÉS À PART

B. Jordan

Figure 2. Les nouveaux locaux de Myriad Genetics à Salt Lake City (Utah, États-Unis). Prove-nance : http://www.kochmech. com/project.cfm?cid=1&pid=11.

À retourner à EDK, 25, rue Daviel - 75013 Paris

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Figure 1. Le test BRACAnalysis de Myriad Genetics.
Figure 2. Les nouveaux locaux  de  Myriad Genetics à Salt Lake  City (Utah, États-Unis)

Références

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