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El~ment8 pour une cri!. ti e l i tt~r.ire cheE Maurice Merleau Pont y
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l, 'ACCE'S
AU
MONDE'LITTERAIRE
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ELEMEN1~
POUR UNE CRITIQUE
LITTE~IRECHEZ
MAURICg ME.'RLEAU-PON2'Ypar
Huber't WALLOT
Th~se
pr>dsent4e à
LaFacult4
des
lettres
de
l'Un~ver'sitlMcGiLZ
en
vue de
l'obtention
du
M.A.
(f'ltangais).)
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1NontNal19?4
Hubert Wall ot \\ \ \.'.
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l 'RESUME O'RANCAIS ET ANGLAIS) DE LA THESE INTITIJLEE:
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L'ACcÈS AU MONDE LITTÉRAIRE )
OU
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ELEMENTS POUR UNE CRITIQUE IJTTERAIRE
CHEZ MAURICE MERLEAU-PONTY
"'PAIl HUBERT WAIlÔT
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11,1
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r. , 1 11
•RESUME!,' FRANCAIS
f,
A notre époque, la critique littéraire fait l'Qbjet de
multiples controverses. La phénoménologie de Merleau-Ponty offre
un tremplin idéal pour défricher les principaux concepts devant
~onduire ultérieurement à une redéfinition de la critique littéraire.
/'
1
1
Dans un premier temps, le philosophe tente de décrire l'opération fondamentale de l'homme, la perception, et de
.
caractériser l'acte même de cette description. En effet, l'art, de
son côté, sera défini conune devant livrer un "concret originaire" et
-.
donc, une forme de réhabilitation des riches qualités de la perception·\
iv
vièrgç de toute contamiÏ,~tiOn intellectuelle ou culturelle. De plus, une description du "monde vécu" nous le dévoile cDmme déjà un "monde
~
expressif" tel que l'indiquent la peinture et le cinéma.
Dans un second temps, le lImonde véC!u" s'avère non seulement
,
1
un "monde expressif", mais le monde "muet" est bruissant de paroles et le sujet qui félit face' nu fonde n'est pas 'un "je pense" mais un "je peux" dont ln parole est une prise de position dans le monde des
!
significations comme le geste est une attitude pratique devant le munde concret. rour cette raison, parce' que le langage est un ph6nom~ne en sttuation, ~'universaljt~ ne sera pnB atteinte par une langue univer-selle, mnis par un passage ohlique de telle langue que je parle, qui m'initie au ph~nom~ne de l'expression à telle autre langue que J'apprends
li par 1er et qui pratique l'acte d'expression selon un tout autre style.
#
D'où, en dernier i~;ssort, le non-sens de l'id6e d'expression totale.
.
.
Fiqalcment, exprimer; pour le sujet parlant, c'est prendre conscience; if n'exprime pas seulement pour les autres, i l Je fait pour savoir lui-même ce qu'il vise. La parole de l'écrivain crée elle-même un "allocutaire" capable de la comp.rend"re. Ecrire n'est plus énoncer ce qu'on a conçu, c'est travailler aveé un instrument, donnant tantôt plus
tantôt moins que ce qu'on y a mis.
L'acte d'écrire n'est pas sans l'emprise de causalités externes.
La crise des sciences humaines, telle que révélée par la psychanalyse, le structuralisme (surtout l'anthropologie), l'histoire et le marxisme,
.'
-•
v
met en évidence 'des .otivations de l'oeuvre qui, cependant, ne sont pas l'oeuvre comme en attestent les exemples d'analyse d'art et de
Jittérature de Merleau-Ponty.
La
critique du langage de la littératureet de la vie, justement, si elle est radicale, passe tout entière dans une pratique du langage' et de la vie.
..
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•
,,
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vi
RESUME ANGLAIS\\
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\q \ ' , \ \; ~'- \~
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lti~ewhen literary criticism is the object of much
\
\controvera~, the\~henomenology
of Merleau-Ponty offers an idea!
spring-\
\,
"-,board to
deli~ate t~principal concepts needed to lead subsequently
...
to a redefinition of
li~ry~riticism
•
.. -.."<IitW",. ...The philosopher tries to describe man's fundamental proces8,
')
perception, and to caracterize the Act itse!f of description.
In
effect,
ar
t f~--r'li'IUIIbe
defin~das having to revea! an original aspect of the
and thus, to create a form embellished of the ricb
, r
vii
•
Furt'hermore, a description of the "L('hensw(,lt" reveals i t already as an "expressivC' world" as shawn by pnlntiny,s and the cin('ma.The "Lebenswelt" i8 not only revC'aled as expressive, but the "mule" world ls "buzzing wilh words" and thC' slIbject unveilpd la the world is Ilot an "1 think" but an "1 can" whose talk:lnt( tak .. s itH
position in th(' world of m('nnings as do('s the 8~stur(' in the rpaJ world. For thif: Tl'nson, bpcause language iH a "si tuntion" phC'nol1fcnon, uni ver-salit y will not b(' attalned by an univcrsnl languagp, but by the oblique pasfHlgl' of sueh fi Inngllagc as l SpNlk, wh:f ch j ni tiatC's me to the
phC'1\onll'non of l'xprC'ssion in whatevpr languagl' 1 lenrn to spC'ok llnd which ('lIlhodi0S 1Il.(' Hel of expressiun according
"to
an entlrely diffcrent style. From lhis, in th'è last an1l1yHi H, lhe "non sense" of the idea oftalaI expression.
Finally, to express, fO'! the speaker, is ta take cognlzance; he doeH not express only for others, he does this in arder to know himself wha t he ls aiming at. The spoken word of the writer itself creales a "speQI< ... " capable of underslanding it. To write i5 more than
"
\to state what one has conceived, but ta work with an ~nstrument, an
,
apparatus giving no more or no less than what one puts into it. .-!.
..
":~
The act of writing ia not witHout the grasp of external
"
causality. The crisis of human sciences, such as revealed by psycho-analysis, structuralism (especially anthropology), history and marxism,
p~ainly show motivations whlch, Indeed, are not the work as witnes8 the
•
.
\
...
•
viii
examples
ofthe analysie
ofart and literature
byMerleau-Ponty.
For
criticism
ofliterature and life,
if
it 18 radical, surpasses
every~hln8!n
lire
and the use
of
language •
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1•
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Dédié
à
Jean MaI'C Denis'~ai8 c'est ici qu'il fa~t ,se taire car seul le héros vit jusqu'au bout
S8 relation aux hommes et au monde
et 11 ne convient pas qu'un autre
parle cn son nom." (Phénom6wlogie
de ta
Perception, p.519)
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\ o PLAN DE L'OUVRAGE r "1
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•
PREMIERF:" PARTIE - DU MONDE AL' F:XPRESSroN MUETTF:
• A.
Une
pMn~m(nologie
de la
.pel"ce~
.
B.
L'art et lc concret O1'igùzail'eCfzanne
.lt
te l'oman ct la
matarhy~C. Le n~nde
srnnible
etlr monde de l'CXPl"CBBion
•
c.r('mple8 : peùlilœe,
cinrma
DElIXIRMJo.; l'Al?Tlr: - DU MONDg PAHI,!:) AL' USAGF LI 'l'Tl!:rutIHl--' DU LANGAm:
"
.. ; t ~.
-
.
· f
A.
Le' mond('
de la. parole: cf. Phénomt-nologie de la Perception,S1gn('8, La )lt'ORC du Monde
B. SUl" l'uBage Utt61"ah'c du langaHC':
à
paY'til"de
l 'e:xpéY'{cnc~de
VaUry etde Stend1zab
TROISIE-'ME: PARTIE - CAUSALITRS F,'XTERNES ET LE Sf:NS DE l, 'OEUVRE
A.
CY'ise des sciences humaines et notions de motivation,
do motif
et de libel"té
B.
Sen8 de l 'oeuvl"e:
cxr.mples
CONCLUSION ~ ~ r •
~
Le.
prob!am.. tais.4. en plan
parHer!eau-~nty
et
~ewr.
implications en
c~itiquelitt6rail"e
,
...
J ((
INTRODUCTION
,
1
f , 1••
"_.
...
·.~II, ... ",-"•
•
",
2 oLa critique: "Pas de savoir, mais un
savoir-faire." (S. Doubrovsky,
Pourquoi
la Nouvelle CPitique,
p. 239.)...
Il nOU8 paratt fondamental de réf]~chir sur les propos de
Merleau-Ponty lorsque la critique litt6raire en est à la fois à se
demander cc qu'est la critique littéraire, msis aussi, corfélatiVement
et inéluctablement, 80n objet: la littérature, par delà les définitions
,
conscientes et variables que chaque ~poque a pu donner à ce terme.
,
LedAbat n'est pas seu lement entre l'ancienne
critique et la nouvelle: il
est~à
l'intlrieur
de
lanouvelle
critique~entre ceux qui croient
en un ddchiffrement objectif#
BU:!'le
mod~ledes
sciences
humaines~et ceux pour qui toute
inter-p~tation
exige une philosophie de
lasubJectivitd.
Loin d'esquiver cette
controntation~il
faltait~pour
Lapremiare fois, la conduire jusqu'au bout,
non sans espdrer cette réconciliation ultime
qu'indiquait Merleau-Ponty.
(s.
Doubrovsky,
op.cit.)
Le
cheminement que noua allona suivre l travers l'oeuvre de
Merleau-Ponty, se fera en troia temps: d'abord, il a'agira de 4lcrire
•
... t " ... <1"_
•
3
le th~e de la littérature, soit le monde muet déjl expressif; puis
la
réflexion se poursuivra de la parole l l'usage littéraire du langage;1
enfin, l'itinéraire s'ach~vera sur les rapports entre l'oeuyre
litté-"
raire et les causalités externes •
•
,
..
•
,
..
PREf.ilERE _TIE
,
-DU MONDE PERCU AL' EXPRESSION MUETTE
'
..
•
•
5
A. UNE" PHENOHENOLOGlE DE LA PERCEPTION.
Une des thc.ses dt, Merleau-Ponty nous semble être que l'art a pour
but de nous repIncer dans la perception originaire. Aussi nous faut-il
parler un peu de celte perception originaire(d'autant plus que selon certains, on nc saurait cn parler).
Le
passage du monde animal au monde hu~ain, en particulier du singpsupérieur à l'homme, se fait dans le pouvoir, chez l'homme, de saisir une
\
chose en soi. Ainsi, scIon nous, se termine la principale partie de la
1
Structure du Compoptement La perception, qui fait qu'il y a.de l'en
soi pour nous, est cette contradiction vécue sur laquelle il faut réfléchir.
Dans l'expérience na!ve, la chose est atteinte elle-même, notre corps se faisant oublier en faveur du perçu. Mais la chose comme en 80i
,
pour moi, voilà une dualité qui, franchie dans la perception, demeure irréconciliable aux yeux de la réflexion. Comment autrui et moi, aux
yeux de la réflexion, pouvons-nous aboutir l un même ~nde co~n, alors
que nos vues sont privées?
)
...
--
--_
..
_._._----•
6
•
La sol ution empiris te (dont ]' associationisme) suppose touj ours ce qu'elle veut expliquer en invoquant une causalit~ directe du monde
sur POUH, rpndnnt con~tc d~h conditions de ln perception, n?n de l'aspect
:intcntiOnTw] qui f(lit quc je vois telle chosp. Quant à l'jntpllectua-lismc, pn dis<1nt quc, puisqup mes YP\lX ne m'offrent que dps profils, tOUR les m~canismcs physiologiqucs ne servent
a
rien sanR une inRpcctlon de l'esprit qui fasse surgir un sens, il Il(' fait quesuraJoutpr
a
une ohjectlvjt~ nbGolup unc SUbJCCllvil~ ahsoluc qui sc conte'nlp dC' l 'univ('rsallt{- ct n'a qUl' faire de la r{-alit~ existentiellecie 1<1 chose' qui p('rd S(ln l'cclii l~.
En r(.nlit(" empirisme pt inl('11cctualisme vivent clans l'incon-scll'ue(' dt' IC'ur origil1P, dt, leur genèse': chaque perccptlon affirme plub qu't'Ile' ne dOllnc: il y a un phé'nomèll(' de' foi pl'rceptive en deça de
toute preuve puisquc la perccpUon est l'assis(> de toute démonstration
a
titrp d'ouvertur(> prerni~re au monde ct ~ autrui. Lt~tre donn6 n'est 2 pas une somme de sensations, ni le géométral d(> toutes les perspectives, mais une essence concrète, opérante, unE:' gestalt. Cet être est vécu comme C'xistant, c'est-à-dire marquant en nous une certaine passivité, mais en même temps nou~indiquant notre existence en tant que vis-à-vis.Mais une réflexion sur la perception est-elle possible? Bergson nous dit que le discours philosophique a une faiblesse inexplicable et nous invite à un retour au vécu comme ineffable, à l'immédiat (ce que
pour Merleau-Pon ty appelle le "positivisme de l' exisrfce"). Mais,
Merleau-Ponty, tout rapport à l'immédiat est
dé~médiatisé.
Entre la réflexiJn et la foi perceptive, le rapport est le même qu'entre le sujet7
perceWlnt et le monde (saisi en personne et pourtant li distance). La
réflexion n(' serai t pas coi'nddcnce totale avec la perception, comme la perception n'est pas corncidence totale av~c la chose (mais par exemple, vue d'un aspect i une distance ou proxlmlt~ optimale).
L'intellectualisme (ou "positivisme d(' l'ess(,l1ce") rfpondra que
('('ttc dir;tanc<.> n'app~lrail qu'avec le lanr,nge qui Cf,l la plus importante
médidtion entre l{' sujet et le monde. En effet, comme le dit RicoC'ur, s'il y a p('rcf>ption dl' quelqut> (hosc, c'est qu'il ya synthèse'
pr(.somptive pt d(.pdhsement d('f; perspectivt><;, c'est parcc qu'€'n
"naissant,
J'
entrC' dans le mondC' du langage qui alors signifier dcvit'rlt vouloir <lin', C't J'expp)-je\1cC' perceptive naîtrait de l'application d'ull tH"OS lang.lgicr?i U\1e l1l;1ti('re amorp!\('. D'où 1(>projet d'une phénomPI1l)1op,ic de la perception serillt mint>, et il ne res t(·r.l1 t qu'à n>chprch{'r lt-.s e&senc('s purC's. Hill s en r[.a l i t~, la
"
distance pr~c~dc l{' langage; la ~onc('ptualisation id~alistc est une reconstruction qui np rend pas compte de sa gen~se. Cc qui est donn~,
c'est le sens i la jointure de la cons~jcnce et du monde, un s{'ns i
l'~tat nulssdnt, à la fois n~cessitf et facticit~, essence concr~te
articulée sur l'existence. Et la réflexion, selon Merleau-Ponty, si elle es t un dire sur le monde, n'es t pas un "lexique"; le recul du
langage, loin de s'y opposer, facilite Je dévoilement du monde. Mais ce langage tout fait n'est pas celui tout fait et clos des intellectualistes, ni celui qui es t obj et de sc ience pour les linguis tes, mais le langage découvrant, à l'état naissant; le langage n'est pas un reflet, mais un
(1 •
.,
,t _ _
8
L'être-au-monde de l'honune en effet, n'est pas une conscience purc, un je pense, mais un corps, un "je peux", une prise sur le monde (y compris le regard) et il cet .c;gard est très bien rpv~lé dans cleR i ntenUonnalités moins intellectu('lles (i .e. motrice, sexuelle, etc.): donc la conscience est un champ et peut même eff('ctuer un rapport à elle-même dans ses
comportements.
B. L'ART ET LE CONCRET ORIGINAIRE.
c'est à travers son évolution historique que nous allons tenter d'exposer le chcminement de la pens~c de Merl('au-Ponty quant à l'art.
1. Cpzanne.
L'étude de C{ozanne montre comment ce dernier ('ssayait d'échapper
à l'alternative de la chose et de la sensation, celle de l'intelligence et des s('ns. Cézanne veut retrouver la densité des réalités peuplant l'expérience originaire. Cette volonté de "rechercher la réalité sans
4
quitter la sensation" , n'est que le retour à ce que la phénoménologie de Merleau-Ponty désigne comme la perception authentique. En effet, "nous vivons dans un milieu d'objets construits par les hommes, entre des ustensiles .•• et la plupart du temps nous ne les voyons qu'à travers
les actIons humaines dont ils peuvent être les points d'application ... ", univers inébranlable et nécessaire à cause de l'habitude; mais freinant ces habitudes, "la peinture de Cézanne ••. révèle le fonds de nature
inhumainè sur lequel l'homme s'installe. C'est pourquoi ses personnages
9
~ont étranges et comme vus par un être d'une autre espèce. La nature
elle-même est dt>pouillée des attributs qui la pr{>parent pour une commu-nion animiste: l~ paysage est sans v~nl . . . . ,,5
Mais comment clirf' désormais avf'C Hf'rle:ll/-Ponty qu~ "1' llrU ste est celui qui fixe ct rf'nd accessihl~ aux plus 'humaiml' des hommes le
6 spectacle dont ils font partie sans le voir"
.
Mais, dans la mesurpoù leI semble être le sens de la peinturp de Ci'zanne dans sa sppcifici té, ou toute peinlurp doit ~tre cfzanniennc, ou ce qui a ~t~ dit est faux.
Peut-~trf' le hiaib court d'un autre essai nous permettra de
résoudre cettc difficul tf. Comm(\ntant le pr~mier roman de Simone de Beauvoir, Merleau-Ponty expose sa th~sc. "L'oeuvrc d'un grnnd romancicT
est touj turs por tée par deux ou trois idées philosophiques ... La fane tion
"
j
du romancicr n'est pas de thématiser ces id~es, elle est de les faire exister devant nous à la manièrc des choses 7." Il écrit ailleurs: "Les idc;es littc;raires, çomme celles de la musique et de la peinture, ne sont pas des 'id~es de l'intelligence': elles ne se d~tachent
jamais tout à fait des spectacles, elles transparaissent, irrécusables 8
comme des personnes mais non définissables" , sans doute parce. que, comme les personnes, ces idées sont polysémiques9. Donc, le roman n'est pas un récit pour le simple ~aislr de raconter, ni la démonstration d'une idée: dans ce dernier cas, On n'aura qu'un roman à thèse, c'est-à-dire
•
••
~'iZZu8tration
plus ou moins bien réus8ie .
d'une idée capablo do
Sf?fOl't bien justifier
par
eUe-mêrne. Pal'eiUe oeuvre est une double
imposiUl'e:
elle tl'ahit t'idée
qui~dans cette
desal'nte aux l"nfel's, n(! peut que
DecOl'rompre;
mais elle tl'ahit tout autant le conal'et
romanesque pal'CC qu'elle le pl'ive fatalement
de aette caractéristique suppêmr du concret
qui est de vivl'c sa
pif?pl'opl'e.
Ce qu'entend
et vise Merleau-Ponty
eRt~au cont:i·aire, une
idée qu1: n'est elle-mêrnn
quedans le concret,
dont le caractèpe concret ne
80réduit pas
àune simple addition mais forme le
COpp8substantiel qui lui pepmet d'êtpe et de
devenip.
1010
1 AURSi, n'y a-t-il pas à s'étonnèr que bien des écrivains, "lorsqu'ils
s'intére;sent d~libérérnent aux philosophies ..• rcconnaissent si mal leurs
.. I l
paren~és" ,comme Stendhal faisant l' f.loge des idéologues, qui Iniail'nt
la subjectivité, comme Proust citant l'associationisrne anglais pour faire comprendre ce qui en est tout
le
contraire.3.
L'activité de l'art.
Pour reprendre De Waehlens,
Le dévoilement de l'étant pal' le comportement
hwnain a lieu selon diverses modalités.-
POUl"chacune de ces modalités, l'aspect ,dévoilé et
l'activité dévoilante sont
différ~nts,mais
àchaque dimension dévoiUe correspond
un
type
proprede comportement dévoilant. Ainsi
dira-t-on que la Nalité "ustensilail'e" ou
pragmatique du marteau ne se
d~couvI'eque dans
Z'aotivit~
pratique.
au
que
80'1type
d'être
global ne se Zivl'e tMmatiquenent qu'à
~aréflexion phitoBophiqu.e.
Ouenaore que sa
l'daZiU corrme en soi n'est accessibZ6
qu'à
un
1,."
-•
'1•
sujet explorant
seconstituant cOTTf7le sujet
universel, a'est-à-dire comme savant .•• L'art
met en Zumiare la
concrétion originairede
l'étant, son individualité immédiate et,nue.
Celle-ci ne saurait
apl~1'a{tredans aucune
des autres modalités de l' e:x:pdrience, parce
que celles-ci se proposent d'autres fins .•.
Ors'il est vrai que ni l'action, ni la
science ne pourraient réussir sans
impliquerl'individualité concrate, il est vrai
aussi
qu'elles se contentent de cette implication
..•• la perception de l'expérience quotidienne
n'est plus originaire parce qu'intégrée le
plus souvent
àune intention qui n'est pas"
àppopremcnt parler cellQ de percevoir
purement. 12
I l
Merleau-Ponty, sans rappeler le texte déjà Cité13, écrit aussi:
" ... je sais toujours sourdement qu'il y a au monde autre chose que 'moi
et mes spectacles. Mais d'ordinaire, je ne retiens de ce savoir que ce
14
qu'il faut pour me rassurer ."
Quelle serait donc la différence entre ,la phé~?ménologie et
l'art? La première parle toujours de la perception originaire sans
nous la faire vivre, cherchant à "dégager le sens général et originel
au percevoir, non à nous rendre"présent un concret déterminé tel, qu'il
15
se livre originairement à nous" pratiquant à l'égard de la perception
quotidienne ou pathologique une espèce de réduction eidétique, non en
nous présentant ou en nous faisant vivre le monde naturel. L'art, au
contraire, effectuerait donc quelque chose d'analogue au projet du
/
"pas i ti visme de l ' exis tence" mentionné plus hau t : le re tour à la
con-crétude.
N'y
a-t-il pas contradiction entre l'idée d'un retour à uneperception originaire et la notion de
cr4ation
artistique? Hais•
•
.,'
f
tion et p-rojet perceptif sont inséparables.
Que nous tentions plus ou moins artificiellement de nous plonger dans la réalité or1:girzaire du
concret
en
nous laissant envahirpar
elle,et
ilse
fem
f-a'l·alementque
cette pe;',ception serurâprise ptll' nos projeta coutumiers .. '. cormze oes
speotateurs qui ne peuvent app-récic-r un po:rtr'ait
que selon sa ressemblance objective avec le
modèle. Ceoi ne pourra être pvit6~ le poids
du monde éoaY'M., que si le "lai8seY>-êtY'e" du
ponoret originaire' se fa,it lui-même projet~
~/c'e8t-à-dire Bi nous présentons oe conoret en
rupture expresse aveo le monde de l' e:rpérience
quotidienne. C'est poul'quoi l~ laisser-être
et la présentation du ooncY'et o-riginail'e doivent
s'acoompli-r dans et: par une oeuvre, c'est-à-dire
sous les espèces d~nc chose réeUe mais qui se
place hors du système de la pPéoocupation
quotidienne ... à traver'a uno transpo[:ition qui la rend "inutil.ù;able. 16
12
Ainsi la chais~ de Van Gogh, la photographie d'art, etc. On comprend
•
alors l'étrangeté des peintures de Cézanne.
Il Y aura ainsi divers arts et divers styles, parce que le réel est inépuisable en une seule intuitio~ et que tout art n'enclot jamais le concret originaire q~'il livr~ et qu'une approche nouvelle révèlerait différe11DDent. Ainsi, "l'impressionisme s'attache au sens de la lumière
17
comme expression des couleurs" ,etc.
r
i
C.
LE MONDE SENSIBLE ET
LE,MOND~DE L'EXPRESSION. '
c'est à l'intérieur d'un résumé de cours du Collège de France en 1952-1953, que Merleau-Ponty précise plus généralement sa pensie
•
or~
concernant l'exp6rience de la perception, prérequise à celle de l'expression.
..".
Le 8ens d'une chose perçueJ s'il- la distingue
de tou,te8 les autl'esJ n'est pas e'1COI'C isolé
de la constellation oil eUc apparaîtJ i l ne sc
prononce quo c01Tl11e un cel'tain écarl
à
l'égal'ddu niveau 8'espace, de tP.mps, de mobilité et en gén6l'al de sigmJication où nous sommee établis, il n'est donné que ('orme une
défoI'fTIa-tionJ mais systém(ltique, de notl'C urliverB
d' expél'ùJt'1.CC', sa~à qut' nous pu iss{ot2s encore
en nDTTU1/C1' le pl' ihcipe. -' 'l'oute pcr'ception n'est
perception de quëlquo. (J11Ol/C qu'en ét,ant aUSS1:
re Zative imperception d'un
hol'
izon ou. d'unfonds qu'elle impli~~e, mais ne thématise pas.
la conscience pel'ceptive est donc iruli1'ecieJ
ou même invC'1'8ée pal' rapport à un id(Jal
d'adéquation qu'elle pr(>swlIe mais qu'elle ne
regarde pas pn face. si l p monde perçu . .
-a1:nsi compris comne un chaJ7/p oZ1vm'i, i l Wa1:t
aussi abmœde d'y rRduire tout le l'este que de lui superposer un "univers des idées" qui ne lui dût l'ien'
18
13
Il est étrange de voir la description du perçu non plus seulement en terme de gestalt mais d'écart, par évocation saussurienne. Cela nous rappelle la Phénoménologie de l'Espl'it de Hegel, où ce dernier
définit' la chose comme fait de propri~tés déterminées, i.e. valant par
1 eur oppos i t
i
,iOn aux autres et non en e es-rnernes ~· Il ... 19 . Hegel serait ainsipère du structuralisme? ~~s fermons cette parenthèse.
Merleau-Po~ty reconnaît toutefois un renversement dans le
passage du monde sensible "où nous sommes, pris" au monde de l' expr~ssion
f
'
"où nous cherchons à capter et tendre disponibles les significations",
mais ce "renversement~' et "le mouvement rétrograde du vrai" sont appelés
par une anticipation perceptive. L'expression proprement dite. telle que l'obtient le lanaage, reprend et amplifie une autre expression qui
•
l'•
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•
•
naiaaanae en eUe de t'expression proprement
dite.
C'est ae
à quoi noua aident Zes
reaherches contempOPaines autour du sch6ma
cOl'pol"el. 22
Reprenant dans son cours, mais d'une façon nouvelle, des analyses
analogues à celles faites dans la
Phénoménologie de la Peroception,
Merleau-Ponty conclut:
r
Le aorrps
est le porteur d'un nombre indéfini
de systèmeB symboliques dont le développement
intrinor~~e c~cède
assuroément ta signification
des geBtes "natuI'élB"" mais
quis'effondrent
si
le coPps
cesg~d'en ponctuel"
l'e~e~ciceet
de les installer dans le monde et dans notre
vie.
Le
B01T111~ildédifj'6I'enaie nos fonctions
pra:r:iqueo
Jct'aDord leD plus
~u.btUesJc'est-à-dire le système phonématique
Jet
à la fin
J·usqu. 'aux plus
élémentaiI'eo~au point
quele
somme
a
profond sans rêve a pu être assimUé
à un état d'apraxie . . . lnvcr8ement
Z'éveU et
la conscience lucide nous rendent Zes systànes
diacritiques et oppositifs Bans lesquels notre
rapport
tw monde sc désarticule et s'annule
bientôt. Ces aOI'l"élations attestent la
mutation ou la sublimation qui tI'ansforomeJ
dans l
'horrme~la motricité en gesticulation
BY"1
liqueJ l' 8."Cpresswn 'implicite en e:tpl"ession
ma ifeste. 23
L'art ente une espèce de visibilisation de l'invisible (la ,
1!1
moitié t parlait Proust). "Le peintre reprend et convertit
justement en objet isible ce qui sans lui reste enfermé dans la vie de
chaque conscience: la vibration des appa~ences qui est le berceau des
aauses 24. "
A l'occasion de ce cours, Merleau-Ponty donne l'exemple du mouvement comme moyen d'expression universel. En effet, la peinture
•
•
Elle invente des emblèmes qui le
rend;~
présent en 8ubotance • •. aomne une métcunorphoBe
(Rodin) d'urie, attUude dans une autre attitude,
C"orrme l'implication d'un alJen-z"r dans un
présent. 01', Bi m&ne le changement de lieu
peut êtr'e aUSM: figuré, traniJmiB et appl'fhendé
pm> de8 symbolc8
qui
ne bt)ugent pas, on s'explique que dan8 l' hiotoiY'e de la pcintur'c la catégorie du mouvement s'étende b1:en au delà du déplacementlocal, et que, paY' exemple, la représentation picturale puissp être connid6rpe, pal' opposition
à la reprusentation linéaire, eorrU7le un pl'ogrèa
du mouvp.ment demn la pe1:ntlœe. F1:nalement, on
parlp de mouvpment en peinture chaque fois que lc monde eat IJréllentl! indit>petement, pal' des
fonnco oUVel'teA, à travero certain8 aopects
oblique8 ou par'i iels. De la plus simple perception
de mOUV(>lnent à l'exp6riencf? de la peintuY'e, c'est toujolœs le mana paradoxe d'une flOrce tisible
dmw
une forlne, d'une trace ou d'une SUJIU1. tupedans le temps pt l 'c.qpaef'. Le cùwma, inventé
corrune moyen de
phot
ogT>aphicr' lcs obj c iD enmouve-ments ou comme rpprésentation du mouvempnt a
d6eouv('rt avec lui beaucou[1 plus qué le changcmen t
de lieu: une manière nouvelle de Bymboliser leB
pennre8, un mouv('ment de la représentation. Cal'
16
le'
ri
Zm, son dl?eoupage, son montage, sen changementsde point de vue soZZieheni et pour ainsi dire
~éZèbr()nt notre ouvel'tUI'e au monde et à autrui dont
i l fait perpétuellement varier le diaphrogme; il
joue, non plus comme
à
Bes débuts, de mouvementsobjpctifB, mais des changements de per8pe~tiveB
qui ·dffini88ent le passage d'un personnage
à
unautre ou le gli8sement d'un pel'80nnage vers
l'événement. 2S
Dans son livre L'Oeil et l'E8prit, Merleau-Ponty reprend les
mêmes thèmes, mais en faisant allusion à l'ontologie du Visible et
• b1 26
l'Inv~si ~e , notamment à la notion de chair, comme lieu de la
réver-sibilité, du chiasme, de la viréver-sibilité, de la réflexion du corps sur lui-même comme touchant se touchant, voyant visible et où Merleau-Ponty
développe la notion d'un monde (et d'un corps) ~ double feuillet dont
le visible s'adjoint toujours d'une doublure diinvisible. Ainsi, alors
27
...
---17
en prêtant son corps au monde que le peintre change le monde en peinture. Pour comprendre ces trnnsubstantiations, il faut retrouver
·28
le corps opérant et actuel
... a
la fois voyant et visiblc29
et mobile.: .Mais puisqu'il voit et se meut, 11 tienl les choses cn cercle autour de soi, eJ les sont une annexe ou un prolongement de lui-même,elles sont incrust6es dans sa chnir .. . et le monde est fait de l'étoffe
30
même du corps" . D'où la vision sc fait dans Ips choses, "leur
vlsibiJ ité manifeste se double d'un<.' visibil itf secrète: la nature est
31
à l'inté'rieur, dit Cézanne" . Or la peinture ('st "une opé'ra tion centrale qui contribue à définir notre accès à l' Elre" et ainsi "toute
32
théorie de la peinture est métaphysique" Et ce n'est pas par hasard que l'espace ct ]a profondeur deviennent un th~m(' central dans la
peinture: "Quatre siècles après les 'solutions' de la Renajssance, et trois siècles après Descarles, la profondeur est toujours neuve pt elle exige qu'on la cherche. Il ne peut s'agir de l'intervalle sans mystère
33
que je verrais d'un avion entre ces arbres proches et lointains ." "Elle est la dimension selon laquelle les choses ou les éléments des choses s'enveloppent l'un l'autre, tandis que la largeur et la hauteur
34
sont des dimensions selon lesquels ils se juxtaposent ." "De la
profondeur ainsi comprise. on ne peut plus dire qu'elle est 'troisième dimension'. D'abord si c'en était une, ce serait plutôt la première35 " Cette recherche d'ailleurs se fait par différents moyens: le problème se généralise de l'espace et du contenu à la distance, à la ligne, à la forme, mais aussi
a
la couleur36• En dernier ressort, "parce que profondeur, couleur, forme, ligne, mouvement, contour, physionomie sont des rameaux de l'Etre et que chacun d'eux peut ramener toute la touffe,•
)
7
18
il n'y a pas en peinture de 'probl~me8' s~parést ni de chemins vraiment
opposés, ni de 'solutions' partielles, ni de progr~s par accumulation,
37
ni d'options sans retour" • Donc, malgré un certain privilège de la peinture cézannienne, il reste donc d'autres peintures possibles.
,
-Reste le problème de la finitude de l'expression, que nous reportons après le. chapitre sur le langage, de même que les rapports entre une oeuvre d'art et les causalités externes et la liberté de l'auteur.
"
..
•
.
,-
',
.
NOTES DE LA 7>REMIERE PARTIE
..
1 _
,-•
•
...
..
1.
Maurice Merleau-Ponty,
La
Stpucture
du Comportement, Paris,
P.U.F.,
1962.20
2. Cf.
Jean-Paul Sartre,
Etrf? et Néant: lachose comme raison de
toutes les apparences, nous y
re~endrons.3.
Paul Ricoeur,
L'Homme failZible.
4.
Maurice Merleau-Ponty,
Sens
at
Non-Sens,
Paris, Nagel,
1948,
p. 22.
5. 'l
Ibid.,
p. 28. 6.Ibid.,
p. 31.7 •
Ibid.,
p. 34 •8.
Maurice Merleau-Ponty,
Ré8U1Tld de Cours, "Annuaire du Collège
de France", 1969, p.
40.
9.
Cf. la plurivalence implicite de la notion d'existence.
10.
A.
De Wae1hens,
Une Phito8ophie de
t'Amb~ftl,Louvain,
Blb1ioth~que
philosophique
d~Louvain, 1951, pp. 370-371.
11.
Maurice Merleau-Ponty,
Sens et Non-Sens,
p.
46.
12.
A.
De Wae1hens,
Uns Phito8ophie de
t'Amb~ttf.pp. 372-313.
13.
Maurice Merleau-Pouty,
Stm8,t
Non-StmB.
p. 28.
•
21
14. Maurioe Merleau-Ponty,
Sens et Non-Sens,
pp. 50-51. 15. A. De Waelhens, UnePhilolJophie
det'Ambiguf!~,
p. 373.16. Ibid., p. 374.
17.
Ibid., p. 376.18. Maurice Ncrleau-Ponty, Annuaù'e du Collège de Prance 1952-195:5,
p. 145.
19. Cf. première pArtie, chapitre sur la phénoménologie de la perception.
20. Ainsi, dans l'expérience de Stratton faisant porter à son sujet des verres inversant les images rétiniennes, il y a une phase d' étrange té et de bouleversement suivie ci' une phase de réadaptation d'autant plus rapide que le sujet est actif: c'est que l'orientation (le haut et le bas) n'appartient pas d'une façon absolue aux choses, mais aussi ne dépend pas d'un pur sujet rationnel maniant absolument la relativité des points de vue. L'orientation appartient à un sujet
'~
,
situe, el l'espace natur~l du corps et des choses suppose toujours l'espace préobjectif.
21. Maurice Merleau-Ponty, Annuaire du Cotlè{]e de France 1952-1953,
p. 146.
22. Ibid., p. 148.
23. Ibid., p. 149.
24. Maurice Merleau-Ponty,
Sens
~t Non,-~en8, p .• 30.~
25. Maurice Merleau-Ponty,
Annuaire'd~'
Collège de France 1952-1953,pp. 149-150.
26. Ouvrage posthume et inachevé.
27. Maurice Merleau-Ponty,
L'Oeil
et l'Esprit, Paris, Gallimard,1964, p. 9. 28.
29.
30. • 31. 32. Ibid., p. 14. Ibid. , p. 18. Ibid. , p. 19. Ibid., p. 22. Ibid., p.42.•
•
33.
,
..
Maurice Merleau-Ponty,
L'Oeil et
t'E8prit~p.
64.22
34.
Maurice Merleau-Ponty,
La Phdno~noZogiede ta
Peraeption~Paris,
Gallimard, 1962,
p. 306.35.
Mfurice Merleau-Ponty,
L'Oeil et
t
'E8prit~ pp. 64-65 ..36. Ibid ... pp. 65-67. 37.
Ibid ...
p. 88. { .1. ./ 'l' 1 \,\
•
..
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•
,"",'.
.
' 1 -• '1 .. '.. .1
'l'''' -J ... 1 •. X
DEUXIEME PARTIEDU MONDE PARLE A L'USAGE LITTERAIRE DU LANGAGE
\
24
•
1
A. LE MONDE VECU EST UN MONDE PARLANT •
Pour un cnfant, deux choses sont perçues comme 8emblab]~s si
elles Aont désignl'cs par le même mot. c'est que le langage est le
véhicule de toute communication. En revanche, un silence enve10ppe le
'~ondc de la parole: leurs rapports sont analogues
a
ceux du monde sensible et du monde intelligible,' de l'idi'alité d' horh;on et de l'idéalité pure.1. La parole aorrrne geste.
Le
corps n'exprime pas l'existence comme une traduction de l'âme(i.e. il ne traduit pas une colère en manifestations), mais il la
rêalise, il en esf l'actualité. Le geste n'est donc pas l'accompagnement
d'une intention: il est cette intention même visant le monde: il est
•
compris par autrui comme une possibilité.
Or, la parole est une excroissance de mon corps expressif. Le
•
l'-ngage - système de significations acquises - est ~ la parole ce quele corps habituel est 1 la transcendance du corps actuel - existence.
Quant ~ la pensée pure, elle n'existe pas, pas plus qu'une
2
langue parf ai te n'es t possible. La penstie es t donc "bruissante de
paroles" : comme le ges te es t prise pra tique sur le monde, la pa""role
vivante est prise de position du sujet dans le monde des
significa-tions.
La transcendanc~ de la parole, comme celle du corps, n'est pas
,
de l'ordre du "jC' pense", mais de l'ordre du "je peux".
De même que le phénomène d' autrui, le phénomène de ia parole ('st inconcevable par la pensée objective, mais ni'anmoins présuppose' la même r{>flcxion du corps d'autrui qui a fait apparattre
l'intcr-Bubj ec tivj t {>: notre communica tion repose sur le réglage mutuel de
nos organismes qui échangent une symbolique universelle et non sur
notre participation à un m~me "je pense".
2.
Phénom~noZogieet Zinguistique.
Il est frappant de voir qu'en 1952, comme en témoignent à la
fois l'essai sur la "Phénoménologie du Langage" (dans
Signes),
3 .
l'inédit La
Prose
surle MOnde
et le cours au Collège de France(1953-1954), Merleau-Ponty était sensibilisé à une dimension des
sciences humaines qui ne devient la coqueluche intellectuelle qu'entre
les années,1960-l970, particul1lrem~t avec le structuralisme. Il
est non moins frappant de voir combien, A l'époque, ce qui le séduit
•
26
trop objpctiviste. le dFpassement dJ structuralisme (ou d'un certain
"
structuralisme positiviste) par la notion de parole qui, émis6 par.
~ ~
Saussure, remet justement eh cause sa façon de voir.
Pour 1'1crledu-Ponty, on nC' saurait j uxtapoSl'r le langage conmle fait accompli - synchronie - et le langagE.' comme mien - diachronie: car alor&, l'cxp6ricnce de la parole n'enseignerait rien sur l'Etre du langage.
Le point dt> vue "subJ('ctif" enveloppC' le point d<, vue "objectif"', la synchronit> cnveloppt> ]a dfachroni<" car le pass~~u lanRngc a
c'omrnC'nc<> par êtrC' pr<>sC'lü4. La diachroniC' enveloppe la synchronie, car la bynchn)ni(' doit compol"t<,r des fissures où le hasnrd peut venir
s'ins~rer pour former la diachronie. 1] y a donc une logique de la 5
diachroniE:' du point de vue de l'expreRsivil~. Par ailleurs, nous l'ayons dit, la synchronie comporte des changements latents, car Il n'y a jamais de significations univoques mais un ensemble de gestes linguistiques convergents. Si l'universalité est atteinte, cc nc
"' '
sera pas
par
une langue universelle, "mais par un passage oblique de telle langue que je parle, qui m'initie au phénomène de l'expression~ telle autre langue que j'apprends à parler et qui pratique l'acte 6
d'expression selon un tout autre :Style" •
De même que la perception ne se c~enait pas par une somme de sensations élémentaires, de même la valeur de la langue parlée n'est'pas la somme des valeurs expressives de chaque élément. Dans la langue. il n'y a que des différences de significations. Cependant, Merleau-Ponty s'avise d'interpréter Saussure.
•
/,
•
27
D~j~ chez Saussure, en d6pit de définitions restrictives, la
parole "est loin d'être un simple effet, elle modUie et soutient la .
7
langue autant qu'elle est portée par eUe". Et, faisant de Saussure
un au-delà de Saussure, Merleau-Ponty continue:
l!,'n ppenant pOUl' thème la parole, 0
'est
enl'dal.ité dans un milipu ~lOuv('au que SaUBBUl'e
transportai t l' étude du l an(lagc, 0' es tune
p~vision de nos cat.égories qu'il co/Tttlençait.
n
mettait en oause la di stinotion masfJivedu pigne et de la sÛJniflcaiion
qui
par'art8 'imposel' èl ne considérer' que la langue
instituée, mais qui
se br'ouille dans la pal'ole. loi, le son et le Sens ne sont passimplement aSROoi~s. lA fampusc définit'Z:on
du signe COrmle "diacritique, oppositif et
négatif"
veut
dire que la 7angue est ppéscnteau sujet pa:rlant corrme ml système d'h!apts
en tre signes et' signiflca t t'mu; (compr'cnons
signifiants et signifié), que la par'ole opèpe
d'un seul geste la diffé;WJnciation des deux ordpes, et que finn.lement à des significations qui ne sont pas closes et des signes qui
n,'
existent que dans leur rappopt, on ne peutappliquer' la di8tinction de l~ reE extensa
.'
et de la l'.es oogt-tans. 8
Les mots ~e signifient donc que latéralement et "font tous
allusion à une signification en sursis qui n'est jamais totalement
"
étalée dans les signes diacritiques et vers laquelle je les dépasse
san~ qu'ils la contiennent ••• comme les gestes d'autrui qui visent
9
et circonscrivent un obje~ du monde que je ne vois pas". D'où en
dernier ressort, le non-sens d'une idée d'expression totale. Le
•
"
..
~ • ft d "! 28 . "3.
P~oleparlante et parole
papt~e.Llint~lligence se situe au niveau de la parole constitu~e'qui
suppos~ accompli le pas d~cisif de l'expression, parol~ originaire
seul~ identiqu(' li la pcnst'c. Le problc.me de l'origine de la parole n'est pns un probl(\mC' ('mpiriquc mais un problème ph6nomfnologiquc10•
La tr,1I1sC'C'ndanC'(' de l'existence Itcr{>e une parole comme appui empiriqul' de son propre non être". L'('ssence du lllngage est cette parol(' parlante qui, à l 'origint>, utilise les mots comme 1(' corps
'.
s'est servI de st>s mains ou ùC' seA outils. Ceci rend pORS lb 1 e la ~
sf>ùimenllltion (dont nous pllrlcrolls plus loin).
, /
Lp parole parl{>e donllC' L'illusion d'un langa~e clair, mais le langag~ vrailll('nt expressif "tâtonne llutour d'une intention de signifier", est toujours indLrccle, sur un fond de silence. L'intention
~igni-f,icative à l'origine de J'acte d'expression n'est pas une pensée
explicite mais un certain manque qui cherche à se combler et la reprise par autrui de cette intention n'est pas une opération de connaissance, mais une "transformation de mon être", puisque le sens existe à
J'entrecroisem~nt des gestes linguistiq~s, lesquels, pris un à un.
sont insignifiants • La communication ligguistique est donc de l'ordre . , du "je peux" corporel, et,,",non du "je pense". Comme le corps et le
7
monde, le langage est WESEN. "reprise du fortuit dans une totalitê qui a un sens".
Mais qu'est-ce donc que l'e.xpression? "J'exprime 'lorsque,
utl1~.nt tous
ces instruments dêjl parlant, je leur faia dire
1
29
quelque chose qu'ils n'ont jamais dit ••• Exprimer, pour le sujet
parlant, c'est prendre conscience; il n'exprime pas
seulement-~r
.
)es I lautres, il exprime pour savoir lui-même ce qu'il vise ." Cette dernière partie, qui pourrait faire penser à la cure psychanalytique, n'est que la reprise de la th~se: la pensée est bruissante de mots.
L'intention significative se donne un corps et se cannait elle-m3me en se cherchant un ~quivalent dans le s,st~me des
significa-tians disponibles que représentent les langues que je parle et l'ensemble des 6crits et de la culture dont je suis l'hériti!r, de façon à ~ncrer une signification inédite dans les significations déjà disponibles, lesquelles sont disponibles parce qu'elles ont été, en leur temps, "instituées" comme significations auxquelles je puis avoir: recours, que J'Al - par une opération expressive de même sorte.
/
Savoir une idée, c'est avoi~ acquis un style. Quant à la
signification des paroles, elles sont des idées au sens ~antien, pôles d'un certain nombre d'actes d'expressions convergents "qui aimantent
12
le discours sans être proprement donnés pour leur compte" Par suite, l'expression n'est jamais totale. Pour Merleau-Ponty,
Chaque acte d'expression
~ittéraireou
phi~o8ophiquecontribue à accomplir le
voeu de réaupération, du monde qui
8'est
prononcé avec l'apparition d'une langue,
c'est-à-dire un
syst~efini de signes
qui sè prétendait capable en principe de
captel' tout être qui
86présenterait. Il
l'éa
1,ise pour une part une partie de ce
pl'oj et et proroge de plus le pacte qui vient
de venir
11
échéance en ouvrant un nOuveau
champ de vérité. Cela n'est possible que
qui
donne autl'Ui~et,
OOlTlTl6 eUe.le
phdno-m~ne de v~rit~,
théoriquement impo8sible, ne
8e
connatt que par
la praxisqui
la
fait" '134, Sédimentation et vérité,
30
Or, la v~rlt~ est un autre nom de la sidimentation qui "est
14
el]E'~ême la présence de tous les présents dans le nôtre"
...
, En effet,lS
la parole est une mani~re originale de s'exprimer, car elle Reule pourrait se s{>dimenter en acquis intersubjectH, ce qui explique à la fois son pouvol rd' expression et l '"apparition de l'idée de vi!ri té
16
comme' "limite' présomptive de son effort"
L'ordre de la vérit~ antéprédicative est CE' dévoilement
p~imitif qui m'ouvre à autrui et au monde, communion originaire au
fondement de toute connnunication explicite. Cette clarté recèle
une certaine opacité, mais la foi perceptive en un monde est garante des oscillations do cogito entre réalité et apparence, entre vérité et
err;~r connne la vérité antéprédicative fonde la vérité prédicative.
Donc, pas de vérité absolue, mais une certitude du monde en général.
L'unique de l'expression est que quelquefois, la vie est la même devant soi, devant les autres, devant le vrai. Toutefois, l'expérience.de la vérité ne donne jamais le droit d'aff1r~er une
vérité absolue, elle fonde seulement une "té1~ologie" de la conscience,
laquelle aura toujours l reprendre et l perfectionner 80n approche l
.
.•
la fois
dans sa perceptionet
son discours.Et comme l'écrit Merleau-Ponty dans La
Prose
du
Monde:
Le
pens~n'est pas'le perçu, la connaissance
n'est
pasta perception, ta parote n'est pas
un geste parmi
tou~le8 gestes, mais la paroLe
est le véhicule de notre mouvement vers la
v~rité
comme le corps est le véhiauZe de l'être
au monde17
(et)parter n'est pas seulemenp une
initiative m{enne, éaouter n'est pa8 subip
l'initiative de l'autre, et cela,
en derni~reanalyse, parce que, comme sujets partants,
nous continuons,
nous reprenons un même effort,
pltts vieux que nous,
SUl'lequeZ
nOUBsommes
ancrés l'un l'autre et qui est la manifestation,
lé devenir de
lavérité ... Le fondement
dela
vérité n'cst'pas hors du temp8
J ilest dans
l 'ouvertw'e de chaque moment de la connpissance
à ceux qui le
raprend1lontet te a711.mgeront
en80n sens.
185.
Fonctions conquérantes de la parole.
31
Merleau-Ponty, dans son cours au Collège de France, rapporte les expériences de 1akobson qu'il commente avec son oeil critique habituel:
La
déflation soudaine des sons au moment où
l'enfant va parler tient à ce que; pOUl" être
à sa disposition
C0117Tl8moyens de' signifier,
les sons doivent être pa:r lui inMg:r48
ausy8t~e
des oppositions phon4matiques
su:rlequel
ta
langue de l'entcurage est construite,
et les pnncipes de ce systtbne aoquis
tmquelque
mani~re.19
On-peut aussi relier l'acquisition du langage l/toutes les
1
•
démarches par lesquelles l'enfant assume son entourage, et en particulier, à ses relations avec les autres. Simplement,
•.• ce pecoups au contexte affectif
n'expliquepas Z 'aequis{.tion
dutangage.
D'abopc1 paPce
que Zes ppogpès' de la
d~c~ntpationaffective
80nt aussi énigmatiques qu'elle. Ensuite et
surtout parce que le Zangage n'est pas
;LeMcalque ou Za péplique de la situation
affec-tive: il y joue un rôle, il y intpoduit
d'autpes motifs, il en change le sens de
l'intépieur,
àla limite il est lui-même une
forme d'existence ou du moins une diversion
àl'existence ... Le eas dJHelen Kellep montpe
à
lafois quelle détente et quelle médiation
la
paPole appopte
àla cQlèpe et
àl'angoisse
de l'enfant, et qu'elle peut être un masque,
une réalisation en "eomme
si"tout autant
qu'une véritabZe exppession, comme il arrive
chez,ce sujet qui ne Za possède pas pleinement.
2032
Enfin, Merleau-Ponty cite des études de pathologie de Goldstein, et écrit:
C'est parce que le langage artiauU est
capable de maniep des symboles vides qu'il
peut non seulement, convne
Lecpi ou le geste,
apporter un eupcroit de sene
àune situation
donn~e,
mais évoquep lui-même 80n propre
contexte, induipe la situation mentale dont il .
ppocède et au sens pZein
~mot exprimer.
2133
B. L'USAGE LITTERAIRE DU LANGXGE.
1. Parole et éorivain.
c'est à la parole comme médiateur, esprit immanent au langage, que l'écrivain a professionnellement, affaire. Rappelant Proust,
Merleau-Ponty dit que l'acte d'écrire est en un sens à l'opposé de la parole ct de la vie puisqu'clIc nous ouvre aux autres tels qu'ils sont, en nous fermant à nous-mêmes. "La parole de l'écrivain, au contraire, crée elle-même un 'allocutaire' •. ,capable de la comprendre, et lui impose conune évident un univers privc.,,22, recommençant alors "le travail origine1 du langage, avec la résolution de conquérir et de
mettre en circulation, non seulement ]('s aspects statistiques et communs du monde, mais jusqu'~ la mani~re dont il touche un individu et s'introduit dans son cxp6rience,,23. Il est donc impossible de se contente~des
sig.nifications déjà acquises ou qui ont cours.
Corrune le peintre et le musioien font sel'Vir
des objets, des couleurs, des son8,
àmanifester les rapports des éléments du
monde dans l'unité d'une vie - par exemple
los correspondances métaphoriques d'un paysage
marin - l'éorivain, prenant le langage de
toua, le fait servir
àrendre
laparticipation
prélogique des
paysages~des demeures, de8
lieux, des
ge8te8~des hommes entre eux et
avec nou8'24
Les idées littéraires, comme les idées musicales ou picturales, ne sont pas des "idées de l'intelligence"; ne se détachant jamais tout l fait des spectacles, ~'e:Uel1 transparaissent irrécusables comme