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La contradiction dans l'oeuvre de Germaine Guèvremont.

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Academic year: 2021

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de Germaine Guèvremont la présence des concepts de stabilité et de liberté -- concepts contradictoires -- en utilisant une méthode qui tend à faire parler le texte. Cela nous a amené à éviter toute donnée de nature anecdotique, biogra-phique, tout témoignage de l'auteur même.

Notre démarche est fondée sur l'établissement' d'inventaires du comportement des protagonistes et des

personnages secondaires, ainsi que des actions de la nature. La conclusion à laquelle aboutissent ces inventaires est celle de l'universalité du phénomène de la contradiction.

Cette contradiction, qui est au fond un élément de la structure de l'oeuvre, va lui donner une dimension beaucoup plus profonde que ne le ferait une simple lecture traditionnelle qui définirait par exemple cette oeuvre comme un roman de terroir.

Guy Gordon: LA CONTRADICTION DANS L'OEUVRE DE GERMAINE GUEVREMONT Département de Langue et Littérature Françaises

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by

Guy Gordon, B.A.

A thesis submitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University,

in partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts

July 1972

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INTRODUCTION

Selon son propre témoignage, Germaine Guèvremont n'a cherché, en écrivant Le Survenant 1 et Marie-Didace, 2 qu'à peindre la société agraire canadienne-française à son déclin. Cependant, seul ce bref passage dans Marie-Didace y fait allusion directement: "Aux yeux de Didace Beauchemin,

la mort de Péloquin représentait plus que la mort d'un homme, c'était le commencement de la fin, un signe des temps: l'ef-fritement d'un pan de l'ancienne paroisse, ( ••• ), les chan-gements dans la migration des canards que la civilisation refoulait plus au nord, d'année en année, le poussaient au dos, comme pour le précipiter plus tôt dans la fosse." 3

Dès lors, si un seul passage du roman justifie l'aveu de l'auteur, i l est quasi inutile de suivre une piste qui ne mènerait finalement qu'à redire, qu'à répéter ce qui a déjà été amplement diffusé par la critique traditionnelle.

Nous avons donc choisi de considérer l'oeuvre de Germaine Guèvremont sous un éclairage neutre, dépourvu de données comme la motivation explicite" de l'auteur ainsi que

1 Germaine Guèvremont, Le Survenant, Bibliothèque Canadienne-Française, Fides, Montréal, 1971.

2

Germaine Guèvremont, Marie-Didace, Collection du Nénuphar, Fides, Montréal, 1969.

3

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les éléments biographiques la concernant. Cet éclairage neutre va nous amener à examin~r l'écriture en tant qu'oeuvre d'art, sans aucune désignation~

C'est à partir de là qu'on peut alors se permettre d'apporter comme critères d'analyse des notions universelles -- et non plus particulières. Si le critère que nous avons choisi est celui de la contradiction, ce n'est donc pas parce qu'il est fondé sur des propos de Germaine Guèvremont concer-nant son roman, ou que nous ayons fait une lecture biographi-que de son oeuvre. C'est plutôt parce qu'il découle d'une méthode d'analyse de l'oeuvre qui fait parler le texte, tout en éliminant tant l'auteur que le lecteur (du roman). Or la contradiction fondamentale qui se dégage tout au long du texte est constituée par les oppositions stabilité-liberté.

Ces oppositions se vérifient principalement à l'in-térieur de deux mondes: celui, interne, du sujet, de la conscience, d'une part; et celui de l'objet ou du monde physique externe, d'autre part. En gros, la liberté est synonyme de changement, tandis que la stabilité dénote son opposé, l'invariance; et cela à tous les niveaux, qu'ils soient personnel, historique, etc.

Ce critère d'analyse qu'est la contradiction va ' exiger une justification. Car procéder d'après une méthode inductive fondée sur l'établissement d'inventaires sortis

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du texte ne suffit certes pas. Une conclusion va s'imposer. Elle apparaîtra à la fin de notre étude, encore que nous aboutissions à des conclusions d'ordre secondaire en cours de route.

Dans les grandes lignes, la contradiction inhérente au monde physique externe se traduit par la fin d'une époque dans le contexte d'un univers dont les lois sont pourtant stables. Cette contradiction, parmi tant d'autres, représente en quelque sorte un caprice de la nature. D'ailleurs, on

retrouve dans le texte une observation tout aussi significati-ve, bien que moins générale, sur la maîtresse d'école Rose-de-Lima Bibeau: "( ••• ) la nature, par caprice, s'était plu à accentuer (sa laideur) en la couronnant d'une somptueuse chevelure noir-bleu." 4 Il ne serait pas trop audacieux d'ajouter que les contradictions dues aux "fantaisies du hasard" 5 peuvent se produire en sens inverse, comme dans l'exemple de la femme et de la fille de Louis Désy (ancien habitant du Chenal) qui ont survécu miraculeusement à "l'é-pouvantable débâcle du mercredi saint de 1865." 6

La "race" Beauchemin, qui est en quelque sorte le microcosme de cette société agraire, est elle aussi en voie

4

Le Survenant, p. 59 (souligné par nous). 5

Ibid., p. 134. 6 Ibid., p. 133.

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de disparaître, bien qu'elle ait été le symbole de la sta-bilité depuis cinq générations. Il est donc évident que la stabilh;é en laquelle croit Didace, patriarche du clan, est illusoire. En effet, les caprices de la nature s'en mêlant, la stabilité finit par devenir imprévisibilité, discontinuité, voire liberté (liberté objective, bien entendu, puisque se rapportant au monde physique externe), étant donné que ces caprices rompent la contrainte imposée par les lois de la nature.

Par contre, la liberté en tant que libre arbitre (en somme, liberté subjective), à force de répétitions, finit par prendre l'aspect de la routine, c'est-à-dire du prévisible, du continu, voire de la stabilité. Ainsi, la disponibilité, la liberté dont est épris le Survenant -- étranger de passage, sans attaches -- est tout aussi illusoire.

Dans la mesure donc où Didace se veut stable et où le Survenant se veut libre, cette contradiction manifeste qui les oppose de prime abord reste simpliste sinon fausse. Car, comme on vient de le voir, cette contradiction est de nature assez complexe.

Deux conclusions découlent de cette vision du monde renversé. D'abord, le déclin d'une telle société est inévi-table en raison de l'instabilité qui résulte des contradic-tions de la nature. Ensuite, l'homme à la recherche de la

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stabilité ou de la liberté devient un personnage tragique, puisqu'il ne peut atteindre ni à l'une ni à l'autre, celles-ci étant à la fois individuellement et mutuellement contra-dictoires; sans compter que -- comme on le verra -- l'homme est aux prises avec le phénomène de la contradiction, quoique de façon inconsciente.

Il est donc clair que dans l'oeuvre, les concepts de la stabilité et de la liberté sont étroitement liés aux personnages de Didace et du Survenant (ainsi qu'aux au·tres, secondaires). Mais i l n'y a pas que cela. En effet, la con-tradiction constitue une structure sous-jacente, latente, presque un motif, d'où évoluent tant ces concepts que les personnages. Dans le cas de Didace et du Survenant, cette contradiction se révèle sous la forme d'un jeu de miroir qui renvoie l'image en valeurs inversées.

Avant d'entreprendre la suite de notre travail, nous aimerions dire qUelques mots pour présenter une esquisse du plan d'ensemble que nous nous proposons de suivre. Les deux premiers chapitres' vo~t"trai ter de la contradiction qui découle de la relation conscience-nature, tandis que le troi-sième chapitre va analyser les contradictions inhérentes au rapport nature-conscience, rapport donc sous une optique dia-métralement opposée à celle des chapitres précédents. Enfin dans la conclusion, nous mettrons l'accent sur le résultat

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d'une démarche inductive pour exposer la généralisation sur laquelle se fonde l'oeuvre de Germaine Guèvremont.

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CHAPITRE l

LA STABILITE ET LA LIBERTE

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CONTRADICTIONS REGISSANT LES CONCEPTS

Dans l'introduction, on a vu que les concepts de stabilité et de liberté sont présentés de manière à apparaî-tre structuralement contradictoires. A vrai dire, ils finis-sent par se croiser. Les exemples donnés ci-dessous serviront à mettre en relief ces contradictions qui apparaissent égale-ment sous la forme d'un jeu de miroir (appendice, schéma I), où tout est interverti.

La stabilité

La stabilité implique le continu, le prévisible. Didace dit bien à l'Acayenne qui voulait consulter un almanach pour connaître le temps: Il ( • • • ) nous autres ( ••• ) on l i t le

. 7 temps dans le firmament comme sur la paume de notre main.1I

Ainsi pour lui, la stabilité est le résultat naturel des cycles des saisons. En effet, lIil ne doutait pas alors que le prin-temps ne ranime l'eau des rivières, que l'été ne mûrisse, par grappes blondes les avoines, avec tous les fruits de la terre. Il savait que le départ,des oiseaux sauvages est nécessaire, à l'automne, et qu'il engendre la fidélité du retour au prin-temps. Il savait aussi que la neige tombe à son heure et pas avant I l . 8

Mais les caprices de la nature peuvent affecter la stabilité, si bien que cette dernière finit par devenir

dis-7 Marie-Didace, p. 92. 8

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continu, imprévisible, voire liberté. D'une part, la mort risque de frapper à tout moment; les exemples d'ailleurs ne manquent pas: i l y a la mort accidentelle d'Ephrem, celle d'Amable, celle de Varieur et celle des "trente-quelques

personnes (qui) ont péri dans une explosion à la station des chars du Pacifique, à Montréal", 9 ainsi que celle de Mathilde, de Blanche, de Didace et celle, prématurée, du Survenant.

D'autre part, le facteur génétique, lui aussi, est sujet à une certaine instabilité: Didace lui-même admet que son fils "Amable-Didace, le sixième du nom, (n'est pas) un vrai Beau-chemin". 10 Si la race Beauchemin est sur le point de dis-paraître malgré ses cinq générations de stabilité, c'est précisément à cause de ces caprices de la nature. Les deux seules survivantes du clan, Phonsine et Marie-Didace, quoi que le sort leur réserve, seront les dernières à porter le nom de Beauchemin.

La liberté

La liberté, elle, implique le discontinu, l'impré-visible. Pour le Survenant, c'est surtout le pouvoir de se déplacer à volonté. "Vous autres, vous savez pas ce que c'est d'aimer du pays, de se lever avec le jour, un beau matin,

pour filer fin seul, le pas léger, le coeur allège, tout son

9

Le Survenant, p. 114. 10 Ibid., p. 33.

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. l d " 11 d· t . l . . . . h avo~r sur e o s , ~ -~ un so~r aux vo~s~ns reun~s c ez les Beauchemin. Mais par le fait même qu'après chaque temps d'arrêt "la route le reprendra ••. ", 12 i l est évident que sa vie évolue selon un mouvement cyclique. D'ailleurs "à son sens, i l n'a été tout le temps qu'un passant au Chenal du Moine. Ce sont les autres qui se sont mépris sur la durée de sa présence dans la maison et qui ont ainsi contrecarré sa routine." 13 La liberté qu'il prise finit donc par devenir continuité, prévisibilité, voire stabilité.

CONTRADICTIONS REGISSANT LES DEUX PROTAGONISTES

Il a été mentionné dans l'introduction que l'homme est aux prises avec le phénomène de la contradiction. Cela ressort clairement du comportement de Didace et du Survenant. Seulement, à partir de cette prémisse, des contradictions formelles se dessinent selon qu'on observe ces protagonistes séparément ou ensemble.

Contradictions au niveau individuel

Didace et le Survenant sont animés à la fois par le sentiment de la stabilité et de la liberté, bien qu'eux-mêmes n'en soient pas conscients, puisqu'ils ne soupçonnent aucune

11 Le Survenant, p. 210. 12 Ibid., p. 218.

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contradiction intérieure. Mais i l y a plus. En fait, les quanta de stabilité et de liberté qui animent chacun d'eux durant les quatre périodes de leur vie décrites brièvement ci-dessous, varient inversement d'une période à l'autre,

créant ainsi des contradictions entre chacune de ces périodes. Contradictions au niveau mutuel

Pour ce qui est des contradictions entre Didace et le Survenant, i l faudrait noter que les sentiments de stabi-lité et de liberté qui les régissent apparaissent chez eux en ordre inverse également; autrement dit, Didace attache plus de prix à la stabilité qu'à la liberté, tandis que le Survenant en attache davantage à la liberté, quoique tous deux ignorent la dimension ambivalente de leur motivation. D'autre part, les quanta de stabilité et de liberté, tout en suivant un parcours similaire dans le cas de Didace et dans celui du Survenant, produisent néanmoins un effet contradic-toire si l'on compare leurs états d'âme. Par exemple, durant la première période, quand le quantum de stabilité dépasse celui de liberté, Didace est "heureux" tandis que le Survenant est "malheureux" (appendice, schéma II) •

Les quatre périodes auxquelles on a fait allusion ci-dessus sont:

1) celle de leur jeunesse

2) celle qui précède le séjour du Survenant au Chenal du Moine

(15)

3) celle de son séjour chez les Beauchemin

4) celle qui suit son départ du Chenal du Moine.

Les contradictions soulignées plus haut apparais-sent aussi sous la forme d'un jeu de miroir (appendice, schéma III). Les courbes décrites dans ce dernier schéma indiquent clairement que les "convictions" de Didace et du Survenant sont diamétralement opposées. Par contre, ce qui les unit, c'est l'élément de liberté propre au Survenant que l'on trouve chez Didace, et celui de stabilité propre à Di-dace chez le Survenant.

Didace période l

Didace croit à la stabilité de la vie; i l est heureux: "Quand i l avait pris possession de la terre ances-traIe, puis à la naissance de son fils, un sentiment de durée, de plénitude, l'avait pénétré jusqu.e dans sa substance

mê-me". 14 De plus, les six générations de la famille Beauchemin, dont "le plus vieux s'est toujours appelé Didace", 15 confè-rent à cette stabilité son continuum. Mais Didace a aussi le goût de la liberté: "Pierre-Côme, à la fois maire de la paroisse et garde-chasse, avait plusieurs fois averti Didace de ne pas chasser en temps prohibé. Après l'avoir inutilement

14 Le Survenant, p. 91 (souligné par nous) . 15 Marie-Didace, p. 141 (souligné par nous) •

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menacé de le mettre à l'amende, i l brûla son affût. Il 16

Malgré cela, Didace continue à chasser lorsqu'il est dé-fendu de le faire. Du reste, ses écarts de jeunesse, dont i l se confesse à ses derniers moments, témoignent d'un besoin de liberté.

Période 2

Aussitôt que les lIacc idents Il de la nature COIfuliem-cent à se manifester, comme la mort de Mathilde et celle, imprévue, d'Ephrem, Didace est à la fois déçu et attristé:

liMais le gel de la mort a abattu une jeune branche avant son terme; une autre s'en détache d'elle-même, comme étrangère à la sève nourricière, et le vieux tronc, ses racines à vif, peine sous l'écorce, une blessure au coeur.1I 17 Autre

décep-tion: i l fonde son espérance sur Amable dont i l attendait beaucoup, mais en vain. Plus tard, i l confie au Survenant:

"( •.• ) Amable, lui, je peux presquement pas compter dessus pour prendre soin de la terre. Quand je serai mort, aussi vrai que t'es là i l la laissera q~ler. Il est pas Beauchemin pour mon goût. L'ouvrage lui fait peur, on dirait. Toujours éreinté, ou ben découragé." 18 En outre, depuis la mort de Mathilde lion eût dit que, sous la main de la bru, non

seule-16

Le Survenant, p. 28. 17 Ibid. , p. 92.

(17)

ment la maison des Beauchemin ne dégageait plus l'ancienne odeur de cèdre et de propreté, mais qu'elle perdait sa vertu chaleureuse. 1I 19 Alphonsine, IIfaible, et d'un naturel

crain-tif, ( ••• ), ne parvenait pas à donner à la maison cet accent de sécurité et de chaude joie, ce pli d'infaillibilité qui fait d'une demeure l'asile unique contre le reste du monde. Il 20

Ainsi, lIà mesure qu'il vieillissait, sachant éphémères tant de choses qu'il avait crues immuables, Didace ne se reposait plus comme autrefois dans la certitude des saisons.1I 21 D'ailleurs,

quand la neige tarde à venir, inquiet, i l finit par se dire qu' "à force de tomber depuis le commencement des siècles,

(elle) devrait fatalement venir à manquer." 22

Ce scepticisme découle des déceptions qu'il a connues et déclenche en lui un mouvement de liberté qui va au-delà de ses propres abus -- la chasse en temps défendu ou ses écarts de jeunesse -- qu'il ne considère d'ailleurs à aucun moment comme des manifestations de liberté, d'autant plus que, pour lui, un des commandements de Dieu et de l'Eglise est d' "être

.... .. . l t ,,23

severe envers so~ comme envers es au res. Que cette

19 Le Survenant, p. 32.

20 Ibid. , p. 31-32 (souligné par nous) • 21 Ibid. , p. 91 (souligné par nous) . 22 Ibid. , p. 89.

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- 15

-liberté acquise consciemment afflige Didace, i l va de soi. Toujours est-il qu'il s'y soumet: "( .•• ) non seulement Didace recherchait les occasions de s'éloigner de la maison, mais i l la fuyait, comme si le sol lui eût brûlé les pieds, comme si les choses familières, jadis hors de prix, à ses yeux, s'y fussent ternies et n'eussent plus porté leur va-leur." 24 C'est dans cet état d'esprit que le Survenant le trouvera à son arrivée au Chenal du Moine.

Période 3

Pour Didace, le Survenant représente le reflet de de sa propre jeunesse. En fait, quand celui-ci se bat avec Odilon Provençal, Didace revit ses jours heureux empreints de stabilité: "Une grosse joie bouillonnait en lui avec son sang redevenu riche et ardent. Sa face terreuse sillonnée par l'âge, ses forces en déclin, son vieux coeur labouré d'inquiétude? Un mauvais rêve. Il retrouvait sa jeune force intacte: Didace, fils de Didace, vient de prendre possession de la terre. Il a trente ans. Un premier fils lui est né. Le règne des Beauchemin n'aura jamais de fin." 25 Il partage aussi avec le Survenant la même admiration pour la force physique, le même goût de l'ouvrage, la même perspica-cité: "Didace pensa: ' I l a tout pour lui. Il est pareil à

24 Le Survenant, p. 31. 25

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moi: fort, travaillant, adroit de ses mains, capable à l'occasion de donner une raclée, et toujours curieux de connaître la raison de chaque chose.' Le vieux se mirait secrètement dans le Survenant jusqu'en ses défauts. Ah! qu'il eût aimé retrouver en son fils Arnable-Didace un tel prolongement de lui même!" 26 Leurs escapades à Sorel, où ils fréquentent les femmes de la Petite-Rue, leur penchant pour l'alcool et leur attachement pour l'Acayenne, témoignent de la conformité de leur caractère. De plus, ils apprécient la bonne chère, une maison bien ordonnée "Venant ne

27

suffisait pas à emplir la boîte à bois." -- et, comme Didace, le Survenant est "capable de chaude amitié pour la terre" • 28 Au demeurant, ils sont tous deux fiers de leurs origines, sachant que leurs ancêtres "avaient quitté père et mère et patrie, pour devenir (leur) maître et refaire (leur) vie." 29

Ce sentiment de communion qui s'établit entre eux redonne à Didace le goût de la vie, l'amène à croire à la stabilité d'autrefois: "Didace ne cherchait plus à s'éloi-gner de la maison." 30 Cela est si évident que le jour où

26 Le Survenant, p. 174 (souligné par nous) • 27 Ibid. , p. 97. 28 Ibid. , 65. p. 29 Ibid. , 171. p. 30 Ibid. , 58. p.

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le Survenant parle "de l'animation des grands ports quand ils s'éveillent à la vue du printemps, et surtout du dé-bardage, ( ..• ) le coeur de Didace battit à se rompre. (

...

)

Il se vit de nouveau seul avec Amable et Alphonsine. Il vit la maison terne et la terre abandonnée à elle-même." 31

Si Didace trouve incompréhensible la façon de vivre du Survenant, c'est qu'il ne perçoit chez lui que la facette la moins importante de son comportement, son côté stable. L'on n'aurait donc pas tort d'affirmer que Didace souffre de "myopie" dont la cause serait un excès de pro-jection subjective. D'après lui, les arrêts et les départs constants du Survenant masquent une inquié~ude que de tels déplacements ne sont pas à même de guérir. S'il avait su "le tour de parler" i l lui aurait dit "en gage d'amitié et pour mieux (se l') attacher ( ••• ): 'le malheureux qui porte dans son coeur un ennui naturel, s'il croit trouver toujours plus loin sur les routes un remède à sa peine, c'est pour rien qu'il quitte sa maison, son pays, et qu'il erre de place en place. Partout, jusqu'à la tombe, i l emportera

avec soi son ennui'." 32 On voit bien que pour Didace l'homme "libre" est malheureux tandis que la stabilité implique néces-sairement le bonheur.

31 Le Survenant, p. 135. 32 Ibid., p. 174.

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L'impossibilité d'imaginer que le Survenant veuille sérieusement quitter le Chenal du Moine encourage Didace à croire qu'il "ne repartira pas.

i l épousera Angé1ina Desmarais.

(Qu') à la première nouvelle, (Qu') à son tour i l prendra racine au Chenal du Moine pour le reste de ses jours." 33 L'intéressant c'est que, sans s'en douter, Didace critique une façon de vivre qui, somme toute, offre plus de chances de stabilité que la sienne, si l'on se rappelle que la société agraire dans laquelle i l vit est en train de se dé3agréger. De fait, les mots "toujours", "partout", "jusqu'à la tombe" en sont la preuve. Cette critique rejoint les remarques

faites dans l'introduction concernant l'inversion des concepts: liberté devenant stabilité et vice versa.

Période 4

Après le départ du Survenant, Didace, qui est le seul ~'le regretter (avec Angé1ina), s'abandonne de plus en plus à une existence languissante. L'influence stabilisatrice que la présence du Survenant exerçait sur lui -- contrairement à l'influence perturbatrice que ce dernier exerçait sur les autres membres de la paroisse -- lui manque: "Soucieux, le père Didace Beauchemin n'accomplissait plus que les travaux urgents. Le matin, i l se contentait de manger les restes de

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la veille, souvent froids, ou encore du pain et qu lait, avec du sucre du pays. Jamais i l ne se plaignait de la nourriture." 34 Finalement, dégoûté de la "maudite race de monde", 35 et ressentant le besoin de combler le vide laissé par le départ du Survenant, i l décide de suivre son conseil et d'épouser l'Acayenne. Selon toute vraisemblance, la liberté pour Didace est synonyme d'angoisse existentielle, de néant de l'être.

Le Survenant

Ce n'est qu'à la fin du premier récit que certaines indications sont données sur les deux périodes initiales de la vie du Survenant, grâce au procédé qui consiste à mettre à jour un vieil article de journal.

Période l

Le Survenant mène à Montréal une vie d'étudiant empreinte de stabilité dont les perspectives s'annoncent excellentes. Cependant, on a l'impression que si ce n'é-taient les sports où i l excelle et qui lui donnent une li-berté d'action en rapport avec sa nature, i l serait malheu-reux.

période 2

En effet, "quelques mois avant de terminer son

34 Mar~e-D~ . . d ace, p. 10 35 Le Survenant, p. 237.

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droit, au grand scandale des autorités i l abandonnait ses études et épousait une jeune Québécoise issue d'une famille égale à la sienne." 36 Puis un jour, huit ans environ avant la parution de l'article, i l disparaît sans raisons apparentes.

Plus tard, quand i l arrive au Chenal du Moine, i l se croit libre et semble fort satisfait de sa personne. Le ton hautain qu'il prend lors de ses premiers entretiens avec Didace, son refus de donner son nom ou des détails sur son passé, et sa coutume de ne travailler que "moyennant asile et nourriture", sont significatifs. Mais loin de produire une impression désagréable "cette façon droite de parler, ce langage de batailleur (plaisent) à Didace." Cependant, quand le Survenant ajoute: "de mon bord, si j'aime pas l'ordinaire, pas même le temps de changer de hardes et je pars", 37 on ne peut s'empêcher de percevoir une habitude dans sa manière de vivre, qu'il reconnaît lui-même d'ailleurs, puisqu'il l'appelle plus tard sa "routine", 38 bien qu':i.l soit incapable de saisir l'aspect négatif que cela prête au sentiment de liberté qui l'anime.

Depuis son départ de Montréal i l parcourt "le vaste monde", travaillant comme bûcheron, débardeur, ou bien servant

36 Le Survenant, p. 241. 37 Ibid. , p. 50. 38 Ibid. , p. 217.

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d'engagé. Ses arrêts ne durent pas longtemps, mais i l en garde de bons souvenirs, si bien qu'il en parlera avec affection pendant les repas comme aux veillées d'automne chez les Beauchemin. Ainsi, bien que la route, les grands espaces, les horizons et les "lointains inconnus" 39 l ' a t t i -rent constamment, ses arrêts témoignent, à tout le moins, d'un goût latent pour la stabilité. Il n'est pas question ici, comme on pourrait l'imaginer, d'un besoin de survivre. Le Survenant

abho~e

l'argent, mais i l exige certaines com-modités.

Période 3

Le Survenant se rend compte que Didace est plutôt différent des autres habitants du Chenal du Moine. Il n'a pas tort car "le patriarche Beauchemin dont la parole est loi", 40 tout épris qu'il soit de stabilité, manifeste

aussi un penchant in:::onscient vers la liberté: i l viole la loi en chassant avant le temps, ce que le Survenant lui-même n'avait pas cru possible avant d'en avoir des preuves. De plus, comme lui, Didace est taquin et prend plaisir à chanter. Il n'est pas prude: i l admet que "c'est pas toujours une

méchan"':e chose qu'un chacun fasse un écart icitte et là". 41

39 Le Survenant, p. 210. 40 Ibid. , 148. p. 41 Ibid. , 149. p.

(25)

En outre, voyant que le Survenant se passionne pour le travail du bois, Didace lui laisse toute latitude pour construire un canot et des meubles.

La "myopie" de Didace a déjà été soulignée. Le Survenant montre cette même disposition quand i l met l'accent sur le côté le moins évident de la personnalité de Didace. Ce dernier, on le sait déjà, ressent un vif intérêt, une grande admiration pour le Survenant, engendrés cependant par des considérations inverses, celles qui semblent révéler

la stabilité. Chose curieuse, le Survenant ne le déçoit pas puisque "de semaine en semaine, (il) prenait le ton du com-mandement, à la connaissance du père Didace qui semblait approuver le nouvel état de choses." 42 Ainsi, non seule-ment le Survenant finit-il par s'attacher à la maison qui

43 ressemblait à une autre "par lui aperçue en rêve autrefois", et surtout à Didace, qu'il appelle affectueusement "un vrai taupin", 44 mais i l prend les habitudes des Beauchemin en se construisant un fauteuil, Didace et Amable ayant chacun le leur, et i l acquiert leur façon de raisonner fondée sur le conditionnement qui résulte d'une stabilité cyclique. C'est lui-même qui fait remarquer à Amable qu' "une famille, c'est

42 Le Survenant, p. 130. 43 Ibid. , p. 51.

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quasiment comme le sel. L'eau de pluie tombe du ciel, pénètre la terre, prend le sel dedans, puis gagne les ruis-seaux, les rivières et court enrichir la mer. Le ciel pompe l'eau de la mer et retourne le sel à la terre. On dirait que faut que tout recommence dans ce bas monde. Il Mais

deuxième surprise: Didace l'interrompt pour ajouter de " sa grosse voix bourrue comme voilée de mélancolie: Ouais,

. ' t · . 1 ' " . Il 45

ma~s c es Jama~s a meme eau qu~ repasse. Nous sommes ici en présence du phénomène d'osmose réalisé précisément par la binarité (contradictoire) du mouvement intérieur des deux protagonistes.

Par surcroit, le Survenant semble projeter un long séjour au Chenal du Moine. En parlant un jour du poulailler qui, par ses soins, rapportait plus que jamais à semblable époque, i l dit: "Et si j'suis encore en vie, l'année

prochaine, ( ••. ), vous aurez des poules qui pondront en hiver." Continuant à exposer ses plans, i l ajoute: "On pourrait semer du trèfle dans la vieille prairie. En amen-dant la terre, comme de raison. Le 'Journal d'Agriculture' dit qu'avec de la chaux mêlée dedans, on peut faire des merveilles. Et pourquoi pas avoir un carré de fraisiers ? Les deux premières années sont un peu dures, mais après, les

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fraises se tirent d'affaire toutes seules." 46

Mais n'y a-t-il pas aussi Angélina qui, apparem-ment, le retient au Chenal du Moine? Bien qu'il ait quitté sa femme, issue d'une famille égale à la sienne, et qu'il se tînt à l'écart de celles qu'il voyait aux veillées et aux "fricots", de peur de s'enraciner à nouveau, i l avait fini par éprouver de la sympathie pour Angélina. On sait pour-tant qu'à leur première rencontre, i l avait refusé son offre de recoudre un bouton à sa chemise et que, chez les Salvail "un peu gris et soudain mélancolique, une voix questionna en lui: Pourquoi me suit-elle ainsi des yeux? Pourquoi attache-t-e,11e du prix au moindre de mes gestes ?" 47 Peu à peu cependant i l s'était laissé entraîner, si bien que cédant aux instances d'Angélina, i l chasse le rat d'eau, espérant gagner assez d'argent pour s'habiller un peu plus décemment, quoiqu'il lui ait déclaré que "l'habillement a pas une grosse importance quant à (lui)." 48

Toutefois, cette vie qu'il mène ayant touché les limites que lui imposent son quantum de stabilité (dont i l est -- on l'a déjà vu inconscient), va le forcer à la remettre en question. Ses nombreux moments d'agitation,

46 Le Survenant, p. 167 (souligné par nous) • 47

Ib id., p. 114 • 48

(28)

quand i l sent le besoin de reprendre la route, le démon-trent incontestablement. En général, tant qu'il est occupé, i l ne pense pas à partir, encore que les nombreuses visites à Sorel en compagnie de Didace d'où ils reviennent "gais et éméchés" 49 l'aident à satisfaire provisoirement sa passion des départs. Mais quand "l'ouvrage manqua ( ••• ) le Survenant ne tint pas en place. Oisif, rembruni, silencieux, i l tour-nait en rond dans la maison ou ravaudait aux alentours, furetant dans tous les coins, à la recherche d'on ne savait trop quoi." 50 Et "un soir (que) Didace, pour (le) tirer du silence ( •.. ), évoqua l'épouvantable débâcle du mercredi saint de 1865 ( ••• ), le Survenant ne broncha pas", 51 et "se mit à parler à voix basse, comme pour lui-même, ( ••• )

52

du débardage comme d'une personne aimée". Didace, perce-vant le ton nostalgique de ces paroles, lui remet alors l'argent nécessaire pour "aller à Montréal faire des marchés et acheter les outils qu'il (lui) faut", 53 espérant ainsi le retenir plus longtemps. Cependant, le Survenant se rend directement à l'auberge de Sorel d'où i l revient quelques jours après, ivre et sans le sou. Si Didace sort de moins

49 Le Survenant, p. 93. 50 Ibid. , p. 131. 51 Ibid. , 133. p. 52 Ibid. , 135. p. 53 Ibid. , p. 131.

(29)

en moins, ayant retrouvé sa stabilité depuis l'arrivée du Survenant, ce dernier, au contraire, est déchiré entre le besoin d'évasion, de liberté, quand i l se trouve chez les Beauchemin, et celui de stabilité quand i l ne s'y trouve pas. Il essaie d'éviter de prendre parti en s'enivrant. Il le fait également quand Angélina lui avance "trois billets de cinq piastres" 54 pour s'habiller, et finit d'ailleurs par s'adonner à la boisson à tel point que Didace se demande "où le Survenant pouvait ainsi se procurer de quoi boire". 55 Celui-ci admet du reste lui-même, le jour de son départ, "ses petites dettes aux autres du Chenal du Moine". 56

Il se sent également attiré vers la route au moin-dre signe susceptible de rappeler un souvenir de sa course errante. Ainsi, le jour où i l explore le paysage environnant pour s'assurer que les rassemblements de canards dont Didace lui avait parlé existent vraiment, i l "renifla d'émotion. Quelque chose de grand et de nostalgique à la fois, ( ••• ) remuait en lui". 57 De plus, quand i l se fait dire la bonne aventure par la gipsy et qu'elle lui annonce "qu'avant long-temps (il ferait) une longue route", 58 i l semble la

54 Le Survenant, p. 153. 55 Ibid. , p. 156.

56 Ibid. , p. 217. 57 Ibid. , p. 73. 58 Ibid. , p. 192.

(30)

croire; et i l est tout excité quand elle lui apprend qu' "il Y a un cirque qui vient à Sorel à la fin de la semaine." Il dit à Angé1ina: "Ah! va falloir que j'y aille à tout prix. Un cirque! Tu y penses pas ? (

...

)

Le Survenant regarde défiler en soi la parade, ( ••. ). Une cavalcade de cow-boys. ( ••• ) Toute la jungle. Et le Far-West. L'Asie. L'Afrique. Le monde. Le vaste monde. Et

. 1 t " 59

pU1S a rou e •••• Une observation s'impose ici: si le cirque et la gipsy sont un symbole de liberté à cause de leur caractère d'errance, ils sont néanmoins un signe de la stabilité, la gipsy par son pouvoir de "prévision", et le cirque en raison du caractère répétitif de ses représenta-tions. Une fois de plus donc, liberté et stabilité s'avè-rent interchangeables.

L'indécision du Survenant à l'égard d'Angé1ina s'était déjà manifestée à deux reprises: une première fois i l avait manqué son rendez-vous à Sorel et, une autre fois, i l l'y avait carrément abandonnée. Pressé de questions, i l lui dit même un jour, rêveusement: "Je pense que nulle part j'ai resté aussi longtemps que par icitte. Avant,

quand j'avais demeuré un mois à un endroit, c'était en masse. Mais, au Chenal, je sais pas pourquoi ••• Peut-être parce

(31)

qu'il y a de l'eau que j'aime à regarder passer, de l'eau qui vient de pays que j'ai déjà vus •.. de l'eau qui s'en va vers des pays que je verrai, un jour ••. je sais pas trop " 60 Cette image de l'eau est en contradiction avec l'image circulaire que le Survenant avait présentée à Amable et qui a été relevée plus haut. C'est, sans contes-te, une contradiction qui met en évidence le changement qui s'opère chez le Survenant. Il y a de fait, ici, mouvement de la stabilité à la liberté.

Deux autres facteurs nettement contradictoires

amènent pourtant le Survenant à s'arracher du Chenal du Moine. D'une part, i l constate que "pendant un an i l avait pu par-tager leur vie, mais (qu') i l n'était pas des leurs; (qu') i l ne le serait jamais." 61 D'autre part, l'attachement qu'il éprouve pour la maison Beauchemin devient un joug, une contrain-te, puisque "de jour en jour, pour chacun d'eux, i l (est)

davantage le Venant à Beauchemin: au cirque, Amable n'a pas même protesté quand on l'a appelé ainsi. Le père Didace ne

jure que par lui. L'amitié bougonneuse d'Alphonsine ne le lâche point d'un pas. Z'Yeux-ronds le suit mieux que le maître." 62

On s'aperçoit précisément à ce point que les

60 Le Survenant, p. 186. 61 Ibid. , p. 209.

(32)

211-affinités entre le Survenant et Didace sont en fait spé-cieuses, les quanta de stabilité et de liberté présents en chacun d'eux étant tout à fait disproportionnés. Ainsi

le Survenant ne pouvant plus refouler son élan vers la liberté, va finalement dire aux voisins réunis chez les Beauchemin: "Vous autres, ( ••• ) vous aimez mieux pié-tonner toujours à la même place, pliés en deux sur vos terres de petite grandeur, plates et cordées comme des mouchoirs de poche. Sainte bénite, vous aurez donc jamais rien vu, de votre vivant!" 63 Pour lui, la stabilité à laquelle les habitants du Chenal sont attachés équivaut à un esclavage; évidemment, i l ne se rend pas compte que sa façon de vivre est somme toute plus stable que la leur

la société agraire étant, après tout, à son déclin. Didace n'est pas présent -- i l est à la chasse lors du discours enflammé du Survenant. Absence délibérée ou simple oubli de la part de l'auteur? Quoiqu'il en soit, cette absence maintient l'équilibre contradictoire entre les périodes de la vie des deux héros. Car autre-ment i l Y aurait échec du roman tout au moins au niveau des paramètres établis qui, seroble-t-il, sont la raison d'être de ce roman.

(33)

Finalement, n'y tenant plus, le Survenant décide de partir. Mais jusqu'à la dernière minute "un sourd regret le pinça au coeur. S'il restait? Il est encore temps. S'il reste, c'est la maison, la sécurité". Mais i l y a l e revers de la médaille: "( .•• ) l'économie en tout et partout,

( ••• ) le souci constant des gros sous ( •.• ) Puis la contrain-te et les questions ( ..• ) L'étouffement, l'enlisement ( ••• ) La plaine monotone sans secrets. Toujours les mêmes discours. Touj ours les mêmes visages. Touj ours la même_ chanson jusqu'à la mort. ( ••• ) S'il part, c'est. la liberté, ( ••• ) avec son mystère ( ••• ). Des visages étrangers. Du pays nouveau. La route. L e vas e mon e •••. t d " 64 Certes, car la liberté c'est le discontinu, c'est l'imprévisible, la surprise. Mais aussi faut-il qu'elle ne se manifeste pas toujours, car alors on est repris dans le cycle de la stabilité.

période 4

Le Survenant s'étant remis en route, i l est, vrai-semblablement, une fois de plus dans son élément. Deux mots pourtant: dans le passage consacré à la période 4 de Didace, i l avait été question de l'angoisse existentielle qui le tenait, angoisse fondée sur la liberté. Le Survenant, lui,

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ressent finalement une angoisse à deux niveaux. D'une part, s ' i l est attiré par la stabilité (attirance qui est le reflet d'un besoin inconscient), i l sait qu'elle com-promet sa liberté. D'autre part, le vide de la liberté est un tourment -- tourment qu'il cache mal d'ailleurs, à en croire l'Acayenne: "Un homme qui rit tant que ça, la plupart du temps, i l est pas vraiment gai dans son coeur." 65

CONTRADICTIONS SUR LE PLAN DES PASSIONS

Les concepts de stabilité et de liberté ont déjà été explorés. Par ailleurs, les contradictions internes des protagonistes, ainsi que celles régissant leur relation, ont aus~i été mises à jour. Cette analyse ne sera donc

consacrée qu'aux comportements particuliers de Didace et du Survenant.

On sait que ces derniers partagent plusieurs passions. Quand, sur le point de mourir, Didace dit en se confessant:

"

je manquais rarement un coup. Et quand j'étais chaud, je cherchais rien qu'à me battre. Je me battais, un vrai yâble! Et j'étais un bon homme un peu rare. J'ai donné des rondes, c'est vrai, mais j'en ai

(35)

mangé des rôdeuses. Je sacrais comme un démon. A tout bout de champ. Pour rien. J'allais voir les femmes des autres. J'm'en cachais pas", 66 nous reconnaissons les mêmes passions que celles du Survenant. De fait, le "Ah! neveurmagne~" 67 que celui-ci emploie souvent, ne cache-t-il pas une impatience 1 Et ne revient-il pas un jour de Sorel

"une bosse au front et le côté droit de la figure passable-ment tuméfié" 1 68 Ne décide-t-il pas aussi d'essayer ses forces en combattant avec le lutteur du cirque 1 Enfin sa bataille avec Odilon Provençal qui a lieu seize ans, presque

jour pour jour, après celle de Didace et de Pierre-Côme, ainsi que les fréquentes randonnées à Sorel qu'il fait en compagnie de Didace, sont autant d'exemples qui font ressor-t i r des passions analogues chez les deux proressor-tagonisressor-tes.

Si Didace prend plaisir à boire de temps à autre, son goût pour l'alcool est loin d'égaler celui du Survenant. Parlant seul, un soir à son retour de Sorel, i l dit: "Didace Beauchemin, là, je t'attrape~ T'es pas capable de boire sans te saouler, hein 1 Eh ben! tu prendras plus un coup du carême. Pas

un~

Tu m'entends 1" 69 Par contre, "le

66 Marie-Didace, p. 174. 67 Le Survenant, p. 109. 68 Ibid. , p. 108.

(36)

Survenant buvait autrement. Lentement. Attentif à ne pas laisser une goutte s'égarer. ( ••• ) Il buvait lentement et amoureusement. Il buvait avidement et i l buvait pieusement. Tantôt triste, tantôt comme exalté. Son verre et lui ne faisaient plus qu'un. Tout ( •.• ) dans le monde qui n'était pas son verre s'abolissait." 70 Il est évident que la bois-son est la passion maîtresse du Survenant comme la chasse en maraude est celle de Didace. Au demeurant, le Survenant fait figure de piètre chasseur quand i l s'essaie à attraper le rat musqué, tandis que "Didace ( •.• ) connaissait si bien la portée (de son fusil) que, vînt à passer du gibier, gibier d'eau ou gibier à poil, rarement i l lui arrivait de gaspiller une cartouche." 71 Il "traitait en ami le fusil de chasse. Il l'entourait de petits soins ( ..• ), tel que de toujours l'engainer quand i l le transportait au grand air, afin de ne pas trop l'exposer aux duretés des intempéries." 72 Pour rien au monde i l n'aurait cédé "tout un jeu de canards

dressés pour la chasse, ( •.• ) tant ils lui étaient chers." 73 Et quand les canards sauvages quittaient le pays, "il se

(recueillait) pour entendre en lui, encore une fois, leur

70. Le Survenant, p. 12l. 71 Ibid. , 76. p. 72 Ibid. , p. 75. 73 Ibid. , p. 80.

(37)

dernier vol." 74

Ces exemples montrent clairement qu'il y a contra-diction dans la mesure où la même passion est maîtresse chez l'un et non chez l'autre: ils boivent et chassent tous deux, mais c'est sous un rapport inversement proportionnel que chacune de ces passions se manifeste chez eux. De plus, et sous un aspect tout aussi contradictoire, Didace, en chassant avant le temps, agit en violation des règlements, tandis que la passion de l'alcool chez le Survenant reste dans les bornes de la légalité. Ce dernier dit bien à Didace: "Prenez-moi pas pour un larron ou pour un scélérat des grands bois. Je ne suis ni un tueur, ni un voleur. Et encore moins un tri-cheur." 75 Le Survenant affirme sa liberté sans pour autant être forcé à transgresser la loi. Ainsi on peut bien se demander si les rôles ne sont pas renversés ici, puisqu'au fond Didace se montre plus libre que le Survenant sans toute-fois en être conscient. Mais comme ils sont tous deux à la merci de leur passion, ne faudrait-il pas voir ici encore une sorte de "routine", de stabilité en somme? Il est clair par ailleurs que la passion maîtresse de Didace se manifeste quand sa vie devient moins stable (donc plus libre) et qu'il

74 Le Survenant, p. 79.

75 .

(38)

tend à s'éloigner de la maison. Cependant, le Survenant, lui, semble davantage porté à boire quand sa vie devient moins libre (donc plus stable), quand i l sent le danger de l'immobilisme le guetter.

LE FACTEUR GENETIQUE ET LES CONTRADICTIONS

La contradiction entre les lois stables de la nature et ses caprices a déjà été établie; la nature agit donc quelquefois sous le signe de la liberté. Une preuve supplémentaire de ce phénomène de la contradiction apparaît dans le texte: c'est celle du facteur génétique. Sa sta-bilité se manifeste dans les personnages de Didace et du Survenant en ce sens qu'ilS ressemblent respectivement à leurs ancêtres, notamment au premier Didace et à "Beauchemin dit Petit", 76 ce qui explique la cause des contradictions et des similitudes chez les protagonistes. Quant à l'ins-tabilité ou à la liberté dans le facteur génétique, elle se révèle dans la rupture soudaine du continuum à la sixième génération des Beauchemin, comme dans le cas d'Amable, et dans l'apparition, tout aussi soudaine, d'un lointain ata-visme dans l'autre branche présumée de la famille, comme dans le cas du Survenant.

(39)

Didace, tout analphabète qu'il soit, reconnaît pourtant la pertinence de la transmission des caractères héréditaires. Cela ressort de l'explication fournie au Survenant concernant son fils Amable: c'est Ille bo'homme Phrem Antaya tout craché! Il a apporté ça de sa mère. Du côté des Antaya, i l y avait rien que Mathilde de vail-lante. Les autres, les frères, les soeurs, tous des flancs mous." 77 Indirectement, Didace donne ici un autre exemple de l'instabilité, de la liberté du facteur génétique, puis-que Mathilde est la seule des Antaya qui ait été différente. Il y a aussi le cas deMarie-Amanda qui, contrairement à son frère Amable, est une vraie Beauchemin, de même que Marie-Didace qui lIétait de la racell

, 78 bien que Phonsine

et Amable, ses parents, ne le fussent guère.

Il serait bon de comparer maintenant le premier Didace avec Didace, et Beauchemin dit Petit avec le Surve-nant, afin d'étudier dans le détail la correspondance entre

le facteur génétique et les contradictions et les simila-rités chez les deux héros.

Le premier Didace et Didace

Hormis l'appellation de coureur des bois, Didace

77 Le Survenant, p. 177. 78 Marie-Didace, p. 139.

(40)

est l'image de son ancêtre qui, six générations plus tôt, avait pris la décision d'épouser une fille du pays pour

laquelle i l s'était pris d'amitié. Il va de soi que s'étant marié, i l a opté pour une vie stable. Le même sentiment de stabilité se manifeste chez Didace, comme celui d'ailleurs de la liberté du coureur des bois dont i l n'est cependant pas conscient, liberté concrétisée par ses écarts de jeunesse et sa passion pour la chasse avant le temps en violation des règlements. Il faudrait toutefois souligner ici que les deux frères Beauchemin étaient imbus du sentiment de liberté bien avant leur arrivée an Canada, puisqu'ils avaient pré-cisément quitté la société féodale française pour refaire leur vie et devenir leur maître. Ils étaient selon Didace "deux taupins, forts, ( ••• ), du vif-argent dans le corps et qu'il fallait pas frotter à rebrousse-poil trop longtemps

79 pour recevoir son reste."

Beauchemin dit Petit et le Survenant

Le premier Didace et son frère étaient identiques sous tous rapports, sauf que ce dernier était hostile à l'idée de se fixer. En effet, lorsque le premier Didace avait décidé de s'établir au Chenal du Moine, i l "s'est

79

(41)

est l'image de son ancêtre qui, six générations plus tôt, avait pris la décision d'épouser une fille du pays pour

laquelle i l s'était pris d'amitié. Il va de soi que s'étant marié, i l a opté pour une vie stable. Le même sentiment de stabilité se manifeste chez Didace, comme celui d'ailleurs de la liberté du coureur des bois dont i l n'est cependru~t pas conscient, liberté concrétisée par ses écarts de jeunesse et sa passion pour la chasse avant le temps en violation des règlements. Il faudrait toutefois souligner ici que les deux frères Beauchemin étaient imbus du sentiment de liberté bien avant leur arrivée an Canada, puisqu'ils avaient pré-cisément quitté la société féodale française pour refaire leur vie et devenir leur maître. Ils étaient selon Didace "deux taupins, forts, ( •.• ), du vif-argent dans le corps et qu'il fallait pas frotter à rebrousse-poil trop longtemps

79 pour recevoir son reste."

Beauchemin dit Petit et le Survenant

Le premier Didace et son frère étaient identiques sous tous rapports, sauf que ce dernier était hostile à l'idée de se fixer. En effet, lorsque le premier Didace avait décidé de s'établir au Chenal du Moine, i l "s'est

(42)

- 38

-trouvé si mortifié qu'il a continué son chemin tout seul", 80 et "par vengeance, i l a jamais voulu porter le nom de Beau-chemin: i l s'est appelé Petit." 81 Si l'on suppose que l'arrière-grand-père du Survenant était Abraham Petit, on pourrait émettre l'opinion que celui-ci était le descendant de Beauchemin dit Petit, et que ce dernier avait fini par se marier ou, tout au moins, par avoir un fils qu'il avait re-connu et qui portait son nom, sans pour autant s'être jamais établi nulle part.

Le Survena.nt, dans sa nouvelle vie, c'est-à-dire après celle qu'il avait menée à Montréal, est l'image de Beauchemin dit Petit, homme libre; mais comme on l'a déjà dit, s ' i l liest, c'est dû à un atavisme. n'autre part, à partir d'Abraham Petit, ou même avant lui, la famille Petit, ainsi que ses riches descendants, menaient selon toute pro-babilité une vie des plus stables. Cela expliquerait le quantum de stabilité chez le Survenant, à moins qu'il l ' a i t hérité directement de Beauchemin dit Petit, qui, lui aussi, était porteur du même caractère génétique quoique à l'état récessif.

80 Le Survenant, p. 172. 81

(43)

En l'absence de toute évidence contraire, ne devrait-on pas présumer, pour maintenir l'équilibre contra-dictoire entre la lignée des deux frères Beauchemin, qu'en dehors de Beauchemin dit Petit, le seul parmi ses descendants qui lui ressemblât est le Survenant ?

Une autre contradiction d'ordre génétique se dégage, relative au métier artisanal cette fois. Bien que les deux protagonistes aient eu dans leur branche respective des ancêtres artisans qui avaient des coffres d'outils sembla-bles, seul le Survenant hérite de l'habileté de son ancêtre, qu'il appelle à la fois "mon grand-père, mon arrière-grand-père", 82 et qu'il qualifie de "vieux

détour~'eux",

83 sans doute pour cacher son identité.

Ainsi donc, la prémisse implicite dans l'apport du facteur génétique est la suivante: si Didace croit à la stabilité et le Survenant à la liberté, ils n'en sont pas moins déterminés, même si leur composition génétique est contradictoire. Autrement dit, ils n'ont pas le choix. Et cependant, ils semblent conscients de cela, quoique de ma-nière contradictoire sur le plan social cette fois. En effet, Didace est fier de sa race, tandis que le Survenant

82 Le Survenant, p. 131. 83

(44)

a rompu tout lien avec son passé. Quoiqu'il en soit, on trouve ici un autre exemple de la condition tragique de l'homme puisqu'il ne peut véritablement décider de sa pro-pre destinée.

(45)

CHAPITRE II

LA STABILITE ET LA LIBERTE

(46)

On a constaté dans le premier chapitre que l'horrme est inconsciemment épris à la fois de stabilité et de liberté, et que les quanta de celles-ci sont déterminés génétiquement

comme le sont d'ailleurs les autres caractères de l'homme. Ainsi, s ' i l se veut soit entièrement stable soit entièrement libre, l'homme se leurre. De plus, i l est à la merci des lois du monde physique qui, si elles sont pour la plupart stables,

~~t~

ne sont pas pour autant 8é~eeFvees d'instabilité, de liberté. Pour celui dont la tendance à la stabilité est supérieure, tel Didace, l'action stabilisatrice de la nature constitue un renforcement, si bien qu'il finit par être conditionné. On retrouve ce phénomène à l'oeuvre chez Amable, chez Angé-lina, comme chez bon nombre d'habitants du Chenal.

Le même processus de conditionnement, mais en sens inverse, se vérifie chez l'Acayenne, en qui la liberté prime. En effet, elle est toujours à dire IInous autres, sur l'eau

salée .•• 11, 84 même si cette mer dangereuse a tué son mari et si elle a aussi failli périr. Comme on le voit, le condi-tionnement ici provient de l'instabilité de l'environnement. Là où le conditionnement ne s'opère pas, comme dans le cas du Survenant qui; élevé dans la stabilité, refuse de s'y soumettre et la fuit pour mener une vie libre, c'est que

(47)

l'élément de stabilité est minoritaire.

Ainsi donc, selon toute vraisemblance, le condi-tionnement n'aura pas lieu tant que l'action de la nature ne sera pas en accord avec la composition génétique. C'est, en somme, une simple question de complémentarité. Chez

Phonsine ce même symptôme est à l'oeuvre, mais renversé, puisqu'elle ne peut accepter l'instabilité qui l'accable, depuis la mort de sa mère jusqu'à son mariage. Apparemment son "côté" stable étant majoritaire, celui-ci agit comme un anticorps qui défend l'entrée à un corps étranger.

Donc, le libre arbitre n'existe guère puisque l'homme est déterminé génétiquement, et souvent même, i l est aussi conditionné. Au demeurant, que l'homme choisisse sans interférences observables ne changera rien au fait qu'il est le jouet de forces qui le déterminent sans qu'il en soit conscient. Toutefois, un roman ne peut toujours pas aller si loin, puisqu'il se doit de concrétiser le principe de causalité qui, lui, est abstrait. Le procédé dans l'oeuvre de Germaine Guèvremont va alors consister à faire déclencher le choix de l'agent sous l'influence

d'autrui. Cela est visible dans le cas du mariage de Didace -- "rI n'y avait jamais songé" 85 avant que le Survenant

(48)

lui en parle --; dans celui de l'Acayenne, influencée à son tour sans doute par Didace qui avait hâte de se marier

"L'Acayenne! Seulement à la nommer ses vieilles chairs en tremblèrent de joie" 86 --; enfin dans le départ d'Ama-ble poussé par Phonsine.

D'autre part, i l ressort de l'oeuvre que la notion de choix implique qu'il faille aller à l'encontre de l'ordre des choses, et que cela risque d'aboutir à des conséquences nuisibles. D'abord., parce que choisir c'est en fait imposer des limites, des frontières à la nature, au-delà desquelles réside le Mal, la chose rejetée; or cela est physiquement et logiquement impossible. Ensuite, c'est former des projets d'amélioration qui, précisément parce qu'ils ne se réalisent pas, ont un effet négatif qui déçoit à tel point que celui qui a choisi est maintenant moins fortuné qu'il ne l'était avant son choix.

Effectivement, aucun des choix des trois personnages mentionnés ci-dessus n'aura une issue heureuse. Pour trouver un bonheur relatif sur cette terre i l faut donc se faire une une raison à la façon de Marie-Amanda, c'est-a-dire accepter l'inévitabilité de la stabilité et de l'instabilité de la nature, puisque l'homme n'y peut rien et que toute autre tentative est vouée à l'échec. Paradoxalement, l'influence

(49)

de Marie-Amanda sur Phonsine et Angélina pour les amener à se résigner à la vie, à rejeter l'option d'une alterna-tive, n'apportera rien, restera ignorée, de telle sorte que leur souffrance ne va pas s'amoindrir. Il faut dégager ici une contradiction à deux niveaux; d'une part, dans la mesure où choisir implique pour les personnages -- hormis Marie-Amanda -- l'espérance du bonheur, l'acceptation du destin est, au contraire, le symbole de la souffrance. D'autre part, on verra que pour l'auteur (qui s'exprime par le truchement de Marie-Amanda), c'est l'inverse qui est vrai.

Marie-Amanda, de par son fatalisme ou son réalisme -- selon l'interprétation qu'on pourrait donner â son atti-tude --, vit une vie pratiquement sans angoisse, florissante même. Toujours est-il, qu'à l'instar des autres personnages, cela est inhérent â la qualité particulière de la transmis-sion génétique. Le déterminisme est donc â l'oeuvre non moins ici qu'ailleurs; la différence n'étant que quantita-tive puisqu'il y a chez elle équilibre entre stabilité et liberté.

La vie des autres personnages se fonde sur la per-manence de la stabilité en ce sens qu'ils la désirent sans remous {comme c'est le cas pour Didace, Phonsine, Amable et

(50)

Angélina), ou sur la permanence de la liberté (comme chez le Survenant, et telle que la conçoit l'Acayenne). L'in-téressant pourtant c'est que la façon de choisir par la-quelle ces personnages (le Survenant inclus, si sa mort est le résultat d'un choix) espèrent arriver à leur fin, détraque cette permanence et en même temps accroît la souffrance. Il faudrait noter que le catalyseur qui pro-voque ici une suite continue de choix n'est autre que le Survenant. Toutefois l'auteur va aider au processus de dislocation, va aider en quelque sorte le Survenant de di-verses façons: d'abord en introduisant des facteurs de dé-bilité physique (comme chez Phonsine et Amable); ensuite en privilégiant certains caractères, certaines tendances, qui s'opposent à des quanta majoritaires (dans les person-nages de Phonsine, d'Amable et d'Angélina); ou en mettant en conflit le résultat d'un conditionnement avec un état présent des choses (comme chez l'Acayenne); enfin en désassortissant des époux (Didace-l'Acayenne et Amable-Phonsine) et un couple (Le Survenant-Angélina) •

La question qui se pose ici est celle du vraisem-blable. Le roman est certes une oeuvre d'art, et entre l'art et la Vie, en somme la Vérité, i l y a un fossé à

combler. Or le vraisemblable, malgré tout, n'y arrive pas. Mais les désavantages causés par les moyens arbitraires

(51)

utilisés par l'auteur pour opposer ce qui, après tout,

est la réalisation d'un absolu (la stabilité ou la liberté), vont se voir annulés par l'histoire de cette époque, en somme l'effritement de la société agraire canadienne-française.

Le terrain ayant été préparé, on peut passer

maintenant à l'analyse des personnages secondaires suivants: l'Acayenne, Phonsine, Amable, Angélina et Marie-Amanda (si l'Acayenne et Marie-Amanda apparaissent l'une au début et l'autre à la fin, c'est qu'elles sont différentes des autres). La vie des quatre premiers sera divisée en deux, trois, quatre ou six parties selon le cas, de manière à relever les oppositions à l'intérieur 'et entre chacune des parties. Quant à Marie-Amanda, sa vie étant quasi uni-forme et ne se prêtant donc pas à un quelconque découpage, elle est visiblement en contradiction avec celle des autres personnages secondaires.

L'on devrait souligner que dans le premier cha-pitre les oppositions étaient principalement fondées sur des critères logiques tandis que les oppositions ici sont en grande partie fondées sur des critères éthiques, tous les personnages ne cherchant qu'à trouver le bonheur. Il faut préciser aussi que, les cas du Survenant et de l'Aca-yenne mis à part, stabilité est synonyme de vie heureuse,

(52)

tandis qu'instabilité l'est de vie malheureuse. Cela dit, l'expression "vie heureuse" suppose la prévisibilité, alors que "vie malheureuse" sous-entend l'imprévisibilité.

On s'apercevra dans les pages qui suivent de l'emploi des oppositions instabilité plutôt que stabilité-liberté. La raison en est fort simple: sauf l'Acayenne

(encore faut-il ne pas trop verser dans l'exception), les autres personnages secondaires ont, en fait, une conception vague de la liberté au sens "survenantien" du terme. Tou-jours est-il qu'instabilité implique pour eux -- qu'ils en soient conscients ou non une forme de liberté, puisqu'il y a dislocation du statu quo et de son invariance.

L'Acayenne

On peut discerner deux périodes dans la vie de l'Acayenne. La première, instable, comprend le temps de son mariage avec Varieur, et celui qu'elle passe à naviguer pour gagner sa vie après la mort de ce dernier. La deuxième période, qui est stable, commence lorsque l'Acayenne épouse Didace et vient habiter la maison Beauchemin. Chacune de ces périodes révèle, en outre, l'élément opposé.

Dans la première période l'Acayenne mène une vie instable. Elle dira plus tard de Varieur: "( ••• ) c'était pas un ange, ( ••. ). Il buvait. Des fois i l buvait toutes ses pêches. En fête i l ne se possédait pas. Il faisait

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maison nette". Elle ajoutera: liCe son vivant je l'ai ben attendu. Il Mais, s ' i l a ses d€fauts, i l est aussi bon envers

elle. Ecoutons-la: Il ( • • • ) i l Y avait pas meilleur coeur

d'homme. Quand i l disait: 'La Blanche', en parlant de moi, i l avait tout dit." 87 C'où €l€ment de stabi1it€ ici. Lors-que Varieur meurt noy€, l'Acayenne est ob1ig€e de travailler comme cuisinière à bord d'un bateau pour assurer sa subsis-tance ainsi que celle de son fils. L'instabi1it€ va attein-dre son point culminant lors du naufrage de la 'Mouche à Feu' sur le lac Saint-pierre où elle a failli perir. Cepen-dant et malgr€ tout, elle €prouve en même temps un sentiment de stabilite. Elle explique cela ainsi: ilLe fait d'être sur l'eau, on aurait dit que je me sentais moins seule et comme un peu plus proche de mon Varieur." 88 On notera l'emploi du futur pour introduire les citations ci-dessus. Cela a pour but de faire ressortir que ces propos ne sont tel1us qu'après son mariage avec Cidace lorsque les effets du conditionnement à l'instabilit€ de sa vie passee remon-tent à la surface; sans compter qu'elle tend elle-même in-consciemment vers la libert€ comme on l'a d€jà fait remarquer.

La deuxième periode, qui commence par son mariage avec Cidace, est en grande partie stable. Elle l'admet

87 Marie-cidace, p. 79. 88 Ibid., p. 80.

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