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Bussy-Rabutin, homme de lettres.

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Academic year: 2021

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(1)

Abstract of thesis

Author: Rouben, César

Title of thesis: Bussy-Rabutin homme de lettres

Degree: Ph.D Department of French Language and Literature

L'oeuvre vaste, variée et mal connue de Bussy-Rabutin est ici l'objet d'une étude à la fois sociologique et littéraire. Notre première partie, analytique, examine successivement les oeuvres de Bussy afin de préciser la conception qu'il se fait des différents genres auxquels il s'essaie et le parti qu'il en tire. Le contenu de chaque oeuvre est étudié en détail; nous essayons de montrer dans quelle mesure et de quelle façon ses écrits reflètent la période où il a vécu. Ils sont replacés dans la production littéraire de l'époque, et nous examinons les influences qu'ils ont subies et celle qu'ils ont pu exercer. La deuxième partie, synthétique, apprécie la Signification de l'oeuvre de Bussy, la valeur de sa pensée morale, sa peinture de l'amour, son talent de conteur et de critique littéraire. Ainsi se trouvent précisés le r61e et l'impor-tance du grand seigneur homme de lettres dont l'oeuvre fut tant gofttée de ses contemporains.

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(2)

Author: ROUBEN, César

Title of thesis: Bussy-Rabutin homme de lettres Department: French Language and Literature

Degree: Ph.D

The enormous and little-known body of works of Bussy-Rabutin is examined in this thesis from both the sociological and literary point of view. The first, analytical part is devoted to a study of each of Bussy's works and seeks to define the author's conception of the several literary genres in which he wrote. The contents of each work i s examined in d~tail so as to. bring out the manner in which Bussy' s wr1tings reflect his periode They are situated in the literary currents of the age; possible influences exerted upon them and by them are

studied. The second part undertakes to synthesize the findings of the first. It assesses the value of Bussy's works,his thought,his analysis of love, his skill as a story-teJ.ler and as a literary, critic. The conclusion a.ttempts to define Bussy' s importanc~ for his. own day and for ours.

(3)

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VOL 1.

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(4)

by

César Rouben

A thesis submitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research,

. McGi11 University,

in partial fu1fi1ment of the requirements for the degree of

Doctor of Phi1osophy

Department of French Language and Literature

@) César Rouban 1971

1

(5)

TABLE DES MATIERES

' . Page

INTRODUCTION --- l

PREt.fiERE PARTIE: LES COMPOSANTES DE L'OEUVRE DE BUSSY

Chapitre 1. Histoire amoureuse des Gaules --- 11

A- Place de l'Histoire amoureuse des Gaules dans la production romanesque du XVIIe siècle 11 B- L'Histoire amoureuse des Gaules et les règles classiques --- 30

La vraisemblance --- 31

La bienséance --- 36

L'imitation des Anciens --- 40

La valeur morale --- 43

La loi de concentration;l'unité d'intérêt et les épisodes --- 46

C- Questions de technique narrative--- 50

D- Bussy novateur avec l'Histoire amoureuse des Gaules-- 59

E- Descendance de l'Histoire amoureuse des Gau1es--- 66

La France Galante--- 67

Courtilz de Sandras--- 69

Antoine Hamilton--- 70

F- Conclusion --- 72

Chapitre II. Mémoires --- 75

A- Le dessein premier des Mémoires de Bussy--- 75

B- Le sort des Mémoires de Bussy --- 77

C- La valeur historique des Mémoires de Bussy --- 80

D- Variété des sujets traites:la vie des camps, la vie sociale à la cour, à Paris, en province --- 89

E- Les Mémoires comme oeuvre littéraire et leur structure ---104

F- Bussy observateur et psychologue ---112

G- Les Mémoire~expression de la sensibilité de l'auteur120 H- Conclusion ---130

Chapitre III. Correspondance ---138

A- Historique des éditions de la Correspondance---138

B- La Correspondance est-elle une oeuvre litteraire ? --140

C- Les motifs de la Correspondance ---146

D- La Correspondance, conversation mondaine ---155

E- Les correspondants de Bussy ---162

F- Les lettres au roi ---171

G- La Correspondance, expression des sentiments de Bussy 186 H- Les méritës et les défauts de la Correspondance ---195

(6)

Chapitre IV~ Lettres d'Hélo!se et d'Abélard;

Bussy traducteur --- 202

A- Circonstances de la traduction des Lettres d'Hélo!se et d'Abélard --- 202

B- Bussy-Rabutin traducteur --- 209

C- Infidélité de la traduction des Lettres faite par Bussy --- 212

D- Pourquoi Bussy a pu s'intéresser. Hélo!se et Abélard --- 217

E- Les Lettres de la reli~ieuse portugaise et celles d'Hélo!se e d'Abélard --- 221

F- Analyse du texte de Bussy --- -227

G- Conclusion --- 241

Chapitre V. Histoire en abrégé de Louis le Grand--- 249

A- Introduction --- 249

B- Nature de l'ouvrage --- 251

C- Bref aperçu des méthodes historiques et des historiens du XVIIe siècle --- 260

D- Analyse de l'ouvrage de Bussy --- 266

*********

Vie de Louis-XIII---

295-Chapitra VI. nOpera minoran --- 301

l Bussy écrivain mondain.Les maximes d'amour --- 301

II Bussy généalogiste.L'Histoire généalogique de la Maison de Rabut1n --- 314

III Bussy écrivain moralisant. Les Discours --- 326

A- Circonstances de la composition des Discours --- 326

B- Motifs intéressés des Discours ---329

c-

Bussy moraliste homme du monde,

à

la mode de l'époque --- 332

DEUXIEME PARTIE: LA PORTEE DE L'OEUVRE DE BUSSY Chapitre I. La pensée morale de Bussy --- 349

Chapitre II. Bussy peintre de l'amour --- 367

Chapitre III. Bussy conteur et portraitiste: l'art de la médisance et de la démystification --- 381

(7)

iii

-CONCLUSION --- 460

NOTES

INTRODUCTION

---PREMIERE PARTIE:

LES COMPOSANTES DE L'OEUVRE DE BUSSY

471

472

Chapitre l - Histoire amoureuse des Gaules

473

Chapitre II- Mémoires --- 490

Chapitre III-Correspondance ---

506

Chapitre IV- Lettres d'Hélo!se et d'Abélard;

Bûssy traducteur ---

515

Chapitre V - Histoire en abrégé de

Louis le Grand ---

522

Chapi tre VI- "Opera minorait ---

530

DEUXIEME PARTIE:

LA PORTEE DE L'OEUVRE DE BUSSY

Chapitre l - La pensée morale de Bussy ---

550

Chapitre II- Bussy peintre de l'amour ---

555

Chapitre III-Bussy conteur et portraitiste.

L'art de la médisance et de la démystification ---

558

Chapitre IV - Bussy critique littéraire ---

565

CONCLUSION ---

574

(8)

Un ouvrage récent, aussi complet qu'utile, de l'éminent érudit Henri Peyre, passait en revue, il y a quelques années, les avenues encore riches de promesses pour les chercheurs en littérature française l • Au sein d'une mine de renseignements précieux, relatifs à toutes les époques littéraire~, url lecteur plus particulièrement attiré par le XVIIe siècle ne tardait pas

à

trouver la confirmation des sérieuses lacunes qui subsistent encore dans notre connaissance des moeurs de cette époque, fameuse cependant entre toutes. Pour expliquer cet état de choses, M. Peyre alléguait la tendance des chercheurs

à

se pencher

de préférence sur les grands chefs-d'oeuvre, alors que demeurait relégué dans l'ombre un fonds considérable de mémoires, de recueils épistolaires et de chroniques.

C'est ainsi que commença à germer l'idée du présent travail. L'orientation générale décidée, il fallait chercher, dans la chronique du temps, les périodes ou les chroniqueurs qui avaient plus particulièrement souffert de la négligence des chercheurs. Or, un travail soigné fait par Félix Freudmann, il y a quelques années, signalait , a

l'attention des lecteurs la grande misère de l'état des recherches sur les années troubles de la Régence 2, années

(9)

2

-qui furent décisives, cependant, pour le sort de la

monarchie absolue et, partant, pour l'histoire Je France. M. Freudmann, qui faisait une étude sur les Mémoires de la

Fronde, reconnaissait lui-même qu'il ne faisait qu'entreprendre un défrichage dans un domaine quasi-inexploré.

Parmi les figures de la Fronde les plus hautes en couleur, il y en avait une qui nous paraissait avoir été particulièrement négligée: c'est celle du tapageur, mais

très valeureux Roger de Rabutin, comte de Bussy. Ce brillant seigneur de très vieille souche, académicien et auteur de

maints ouvrages, n'est certes pas oublié aujourd'hui, mais on ne le rencontre qu'inCidemment, par le biais de l'oeuvre d'une Rabutin que la postérité a placée parmi les grandes gloires littéraires de son siècle: Marie de Rabutin Chantal, marquise de SéVigné. On sait que cette dernière a beaucoup écrit

à

son cousin Bussy et qu'elle lui a fait de très réels éloges sur son talent épistolaire, non pas une fois en passant, mais des années durant. Il est évident que les civilités

pratiquées par les gens de qualité sous le règne de Louis XIV ne doivent pas toujours être prises au pied de la lettre. Mais, dans un commerce épistolaire qui dura fort longtemps,

fut amical et familier, rien'n'obligeait la Marquise

à

faire dépense de compliments pour un Rabutin de la branche cadette, tombé, par surcroît, dans la plus profonde disgrâce. C'est

(10)

qui avait les accents de la sincérité. Du reste, elle ne louait pas son cousin pour ses seuls talents épistolaires, mais aussi pour tout ce qu'il écrivait et dont elle avait la primeur avec quelques privilégiés. Il suffit de connaftre l'étendue des lectures de Mme de Sévigné, de se rappeler que Retz, La Rochefoucauld et Mme de Lafayette furent ses proches

amis, pour apprécier

à

leur juste valeur les compliments qu'elle adressait au cous'in exilé.

Le peu que l'on sait des talents d'écrivain de Bussy, on l'a appris le plus souvent de la plume de sa cousine ou

dans les notes d'ouvrages de critique relatifs au XVIIe siècle, où il se trouve fréquemment cité. C'est ainsi que René Bray

3,

Maurice Magendie

4,

Henri Busson

5,

Antoine Adam

6

et bien d'autres s'appuient souvent sur des témoignages de l'homme de lettres bourguignon. La variété des sujets traités par ces chercheurs de qualité indique que l'on peut invoquer l'autorité de Bussy dans les questions les plus diverses: les

jugements littéraires, l'"honnêtetén, la pensée morale, les

moeurs, l'histoire. Il est du reste significatif, à cet égar~

qu'un ouvrage remarquable comme l'est celui d'Adam et qui

touche à tous les aspects du XVIIe siècle, juge bon en maintes

occasions différentes de faire appel à Bussy. Ces lignes ne devant pas pour autant prendre le ton du panégyrique, on s'empressera d'ajouter, afin d'éviter tout malentendu, que l'autorité de

(11)

4

-Bussy n'est généralement pas invoquée toute seule~ mais parmi d'autres~ à titre d'appoint utile dans une série de témoignages. Tout modeste que soit ce rôle~ il donne à

l'académicien bourguignon une dimension dont on ne soupçonne pas toujours l'importance: aujourd'hui~ --comme au XVIIe siècle avec la fameuse sentence de La Bruyère: "écrire comme Rabutin"

7 __

~ Bussy peut encore servir à illustrer une manière de s'exprimer~ un trait de moeurs, les goûts

littéraires des gens de qualité et bien d'autres particularités touchant à la civilisation de l'époque.

Et si ce rôle de miroir de son temps que joua Bussy n'est pas assez connu~ que sait-on alors de lui? On se

rappellera peut-être qu'il est l'auteur de la scabreuse Histoire amoureuse des Gaules et que celle-ci lui valut la disgrâce

royale et un exil quasi-définitif. Mais sait-on au juste

ce qu'est cette Histoire amoureuse avec son odeur de scandale? Ne la confond-on pas trop souvent avec quelque vulgaire écrit pornographique? Voilà généralement , a quoi se limitent nos connaissances sur un homme de qualité qui fut soldat courageux et bras droit du Grand Condé~ mais aussi académicien estimé de ses pairs et auteur de nombreux ouvrages qui eurent leur période de gloire.

Ainsi~ la tentation était grande de faire la connaissance de Bussy ailleurs que dans les lettres de Mme de Sévigné; elle

(12)

était grande aussi de découvrir un Bussy autonome, libéré d'un lien de parenté qui, en le mettant

à

l'ombre de la plus illustre des Rabutin, lui nuisait peut-être. Il

était tentant de rendre

à

leur contexte les notes dispersées au bas des pages dans de savants ouvrages de critique.

C'est ce que se propose le pr~~ent travail.

Ces recherches entreprises, un fait certain ne

tardait pas

à

se dessiner: la vie de Bussy ne présentait plus de mystères pour le. chercheur éventuel. Elle avait"été

remarquablement traitée par Emile Gérard-Gailly 8 dans un ouvrage académique datant de

1909

et dans une biographie romancée particulièrement alerte de Jean Orieux

9

en

1958.

Les biographies de Bussy n'avaient guère manqué dans le passé, mais elles se limitaient

à

des notices dans les

recueils épistolaires, aux rares articles bien documentés, et évidemment aux préfaces du plus fameux éditeur de Bussy, Ludovic Lalanne

10.

Emile Gérard-Gailly étant ainsi le premier à accorder un ouvrage entier

à

Bussy, on comprend

aisément qu'il ait consacré la plus grosse partie de ses efforts

à

une biographie aussi complète que possible; c'est une première étape qui s'impose quand la connaissance de l'oeuvre est particulièrement tributaire de celle de l'homme, comme c'est le cas pour Bussy. Ayant fait le point, avec une optique d'universitaire, sur la vie de ce dernier, Emile Gérard-Gailly ajoutait

à

son ouvrage une Cinquantaine de pages

(13)

-6-sur les jugements critiques de Bussy et autant pour son oeuvre. Il appelait d'ailleurs lui-même des recherches ultérieuresll sur Bussy.

Ainsi~ se trouvaient exclues du cadre du présent travail les recherches biographiques que d'autres s'étaient chargé de faire. Restait l'étude de l'oeuvre et c'est

précisément ce qui a été entrepris ici.

Le plan le plus indiqué pour ce travail paraissait~

de toute évidence~ être celui de l'analyse individuelle de chacun des ouvrages de Bussy, quitte

à

mettre subséquemment en valeur les thèmes principaux rencontrés au cours de l'étude. Plusieurs raisons militaient en faveur de ce plan. Tout

d'abord, l'étude descriptive complète de chaque ouvrage n'avait Jamais été entreprise dans un travail de quelque étendue. Pour faire entière justice

à

Bussy~ il fallait donc se pencher sur chacune des unités individuelles qui composent son oeuvre. C'est l'objet de la première partie de ce travail. Ce morcellement d'une oeuvre qui, dans son ensemble, peut être prise pour une vaste chronique de l'époque, n'est pas inutile; car, outre qu'il nous mène plus aisément

à une appréciation d'ensemble~ --c'est le but de la deuxième partie de ce travail--, il respecte l'esprit différent dans

(14)

lequel Bussy a conçu chaque nouvel ouvrage et son insistance

à

les distinguer de manière très nette. Les écrivains de l'époque classique avaient, en effet, une conscience très

aigu~ de la séparation des genres .. Bussy ne diffère pas, sur ce plan, de ses contemporains. Il faut suivre les commentaires circonstanciés qu'il fait de la conception de ses ouvrages et l'on saura qu'il n'yen a pas deux qui soient véritablement semblables

à

ses yeux.

Ainsi, foncièrement différents dans leur conception et appartenant à des genres littéraires différents, les ouvrages de Bussy ne sauraient se satisfaire d'une étude

globale; d'où la première partie de ce travail, qui examinera les composantes de l'oeuvre de Bussy, dans l'ordre que voici. En premier lieu, l'Histoire amoureuse des Gaules, l'ouvrage le plus connu de Bussy et d'ailleurs le premier en date, celui qui, en brisant sa carrière militaire, le lança dans celle des lettres. En dernier lieu, les oeuvres mineures groupées dans un même chapitre. Entre ces deux pôles

extrêmes, quel ordre fallait-il respecter? Quand il existe une chronologie exacte, elle impose d'ordinaire ses priorités. Elle n'existe pas dans ce cas précis, puisque les Mémoires

et la Correspondance sont simultanément l'oeuvre des jours et des années. C'est donc l'ordre chronologique de la

(15)

8

-puis la Correspondance et l'Histoire de Louis le Grand. C'est un ordre logique, du reste: les Mémoires sont relatifs

à

la période précédant l'exil, alors que la Correspondance est liée

à

la période subséquente. Quant

à

l'Histoire de Louis le Grand, elle est un ouvrage d'un caractère différent, entièrement consacré au culte du monarque et duquel l'auteur est absent; c'est l'ouvrage suprême qui couronne la carrière de Bussy et consacre pour la postérité la grandeur du Roi-Soleil. Il est donc logique que cette oeuvre historique ferme la marche de la trilogie: Mémoires, Correspondance, Histoire; dans l'esprit de l'auteur,

elle est l'aboutissement de son talent de chroniqueur. Entre la Correspondance et l'Histoire, figure cependant un chapitre consacré aux lettres d'Hélo!se et d'Abélard. Celles-ci,

traduites par Bussy, parurent dans la Correspondance, mais si une place spéciale leur a été réservée dans ce travail, c'est

à cause de l'influence considérable qU'elles eurent sur la fortune littér~ire des deux amants au XVIIIe siècle; et parce qu'elles sont aussi un jalon important dans le chemin qui mène du manuel d'art épistolaire au roman par lettres.

Dans la deuxième partie de ce travail,l'étude des centres d'intérêt de l'oeuvre vaste et morcelée de Bussy

tachera de faire la synthèse qui s'impose à partir de l'examen analytique de la première partie. C'est là qu'on trouvera la manière dont Bussy assimile les différents courants de la

(16)

pensée morale de son temps, ainsi que sa façon propre de peindre les moeurs amoureuses. On y trouvera également

une vue d'ensemble de ses talents de conteur et de portraitiste, rehaussés par l'art de la médisance qui fit son malheur,

mais aussi sa gloire première. Enfin une synthèse sur l'oeuvre de Bussy ne saurait être complète si elle ne faisait état des jugements littéraires en grand nombre que l'exilé bourguignon dispensa généreusement dans ses lettres, vingt-sept années durant,

à

la demande de ses correspondants. L'intérêt de ces jugements n'est pas négligeable quand on songe à l'importance de la période littéraire couverte (1666 à 1693) et au succès qu'ils

eurent auprès des destinataires parisiens. Aussi,une place sera-t-elle faite, dans la synthèse finale, à un Bussy

cultivé, lecteur insatiable et commentateur loquace. Il convient de rendre cette justice à un gentilhomme qui n'est souvent connu que par le libertinage de ses moeurs, ses récits frivoles et ses médisances.

(17)

PREMIERE PARTIE

(18)

HISTOIRE AMOUREUSE DES GAULES

A- Place de l'Histoire amoureuse des Gaules dans la production romanesque du XVIIe siecle.

L'Histoire amoureuse des Gaules n'a que fort peu retenu l'attention des historiens du roman. Recueil d'historiettes

com-l

posées pour "donner du plaisir" à quelques bons amis de l'au-teur, elle n'était pas destinée à la publication. Et cependant, elle est, dit Adam., "l'une des oeuvres de notre littérature qui ont été le plus souvent rééditées" 2. Cela est vrai, assurément,

comme le montre une "description raisonnée" des éditions de ce roman faite en

1887

par Léonce Janmart de Brouillant

3:

son in-ventaire, minutieusement établi, comptait alors non moins de quarante-huit éditions, auxquelles il faut ajouter celles du XXe siècle. Celles-ci sont, à notre connaissance, au nomù:r:e de huit 4; on remarque notamment parmi elles celle qu'a préparée Georges

Mongrédien en 1930 et qui fait aujourd'hui autorité. Enfin, que penser de la publication récente du roman de Bussy dans deux formats de poche, dans la Collection 10-18 et chez Garnier-Flam-marion? On ne connait guère un tel succès d'édition pour les

autres nouvelles du XVIIe siècle; celles de Segrais, de Mmes de Villedieu et d'Aulnoy ne tentent plus les libraires. Quant aux

(19)

12

-Scudéry, de Gomberville et de La Calprenède, il y a déjà bien longtempa qU'ils ne sont plus pUbliés. Seuls peut-être l'Astrée,

Francion et La Princesse de Clèves pourraient approcher du grand nombre d'éditions du roman de Bussy.

Mais qu'est-ce au juste que cette Histoire amoureuse que les libraires refusent de laisser mourir et qui pourtant est si mal connue? L'appellation d' "histoire" que lui donne Bussy a une résonance neuve en 1660. Henri Coulet, remarquable historien du roman, a bien signalé ce changement de terminologie quand on passe de l'âge baroque à l'époque classique: "le roman héro!que était un "poème"; le roman nouveau est une "histoire"

5.

Ce chan-gement de terminologie n'est pas gratuit; 11 traduit assurément des transformations profondes dans le genre romanesque. On verra, au cours de cette étude, les rapports qui unissaient les deux termes de "roman" et d'''histoire''. Toujours est-il qU'avec le titre qu'il choisit, Bussy se signale à notre attention comme un romancier de l'ère nouvelle. L'oeuvre a, d'ailleurs, comme son titre, un caractère de grande nouveauté. En effet, en racontant les galanteries de quelques dames de la cour de France, Bussy réalisait un voeu formulé par Aplanice dans la "Conversation sur les romans à Saint-Fargeau, autour de Mademoiselle", que

6

Segrais avait placée en tête des Nouvelles françaises • Dans cette "Conversation", qui est un spécimen intéressant de critique littéraire mondaine, quelques dames de la haute société, lasses

(20)

des chimères du roman idéaliste, réclamaient des réformes dans le genre romanesque. Aplanice souhaitait voir, dans le roman, des Il actions particulières Il, IIl es galanteries de la vieille

7 cour et ••• celles qui se passent aujourd'huill

• Bussy ne tarda pas à mettre ces suggestions en pratique.

Il parait évident que, dans l'esprit de l'auteur, l'His-toire amoureuse relevait de la chronique aussi bien que de la fiction. De la chronique, puisque sous des clefs faciles à élu-cider, le lecteur de la haute société pouvait aisément identifier les personnes de son monde qui étaient tristement mises en cause. Bussy le reconnait, du reste:

Je ne laisse pas de couper la gorge à des gens qui ne m'avaient jamais fait ge mal, ainsi que vous allez voir par la suite •

Mais l'oeuvre de Bussy avait aussi une part d'invention romanesque: Comme les véritables événements ne sont jamais assez

extraordinaires pour divertir beaucoup, j'eus recours à l'invention que je crus qui plairait davantage 9. Ces deux aspects de l'Histoire amoureuse se trouvent fort bien englobés par un même vocable, celui de IIroman .satiriquell

, qui était employé à l'époque. En effet, lices romans satiriques peignaient certaines parties de la société contemporaine, ils introduisaient dans la trame du récit des personnages et des épisodes connus ••• ils ne manquaient pas de scènes libres ou scabreuses" 10. Cette définition, que nous donne Adam, semble

convenir en tous points à l'Histoire amoureuse, et c'est d'ailleurf ce même terme de "roman satirique" qu'emploie Bussy pour décrire son ouvrage.

(21)

14

-Je me mis à écrire ~~e histoire, ou plutôt un roman satirique

Ce terme est préfé-rable à celui de "chronique scandaleuse" qui est souvent employé au sujet de l'Histoire amoureuse. Certes, l'on ne peut nier que Bussy, un des plus célèbres médisants de notre littérature, ait fait la chronique des scandales amoureux des contemporains, mais le terme de "chronique scandaleusell a un sens péjoratif qui dépasse de fort loin ce qU'est en réalité l'Histoire amoureuse. Celle-ci reste toujours dans les limites du bon gont; à l'époque classique, écrit Coulet, "décence et retenue sont les marques du "goo.t nouveau" même dans l'Histoire amoureuse des Gaules" 12 • Or, ce qU'on entend par "chronique scandaleuse" est fort bien défini dans une étude soignée faite par Jerrold Tieje sur la littérature romanesque antérieure à 1740 13: c'est, selon lui, un ramassis d'histoires indécentes et faiblement liées les unes aux autres, qui mettent en scène des personnages bien connus, historiques ou contemporains; les incidents sont réels ou fictifs; les personnages comprennent presque toujours des animaux, des êtres surnaturels; le but de la chronique a un caractère malicieux et médisant, lascif ru

obscène. Cette brève définition indique assurément que l'Histoire amoureuse relève en partie de la chronique scandaleuse, mais

sans les excès qui d'ordinaire la caractérisent: obscénité, lascivité, animaux et êtres surnaturels sont totalement absents des historiettes de Bussy.

(22)

amoureuse, qu'un simple libelle. Bussy a écrit lui-même qu'il n'avait pas le sentiment de faire oeuvre de pamphlétaire, mais celui d'écrire une histoire ou un roman satirique. Comme ses historiettes n'étaient pas destinées à la publication, cela devrait leur 8ter en partie l'étiquette de libelle qu'on leur a donnée après leur parution. Ainsi, avec l'Histoire amoureuse, nous sommes sans doute plus près d'une oeuvre littéraire que d'une simple narration de scandales.

Puisqu'il est commode de classer l'ouvrage de Bussy parmi les romans satiriques, qui "peignaient certaines parties de la société contemporaine" 14, il convient de se demander quels sont ses rapports avec le roman de moeurs. En vérité, IInul roman au XVIIe siècle ne prit le titre de roman de moeurs"

15

mais "les principaux romans satiriques et comiques furent des romans de moeurs, du moins c'est le nom que nous pouvons leur donner aujourd'hui" 16. Cependant, si l'Histoire amoureuse

,

est bien une peinture authentique des moeurs galantes et liber-tines de la Régence, si elle est pénétrante et d'un excellent observateur, cela ne suffit pas pour en faire nécessairement un roman de moeurs au sens où on l'entend aujourd'hui. Observa-teur et peintre, Bussy l'est assurément, et avec beaucoup de talent; mais est-il aussi créateur? Question importante, car le vrai romancier ne se contente pas d'observer, mais il crée aussi. Pour pouvoir véritablement parler de roman de moeurs dans le cas de l'Histoire amoureuse, il eüt fallu que Bussy,

(23)

16

-s'éloignant des portraits d'individus, décrivît des types hu-mains. Il ne semble guère que ce soit là une de ses préoccupa-tions, mais il se dirige du moins dans cette voie, car les observations qu'il fait sur les individus ne sont pas sans portée, leur psychOlogie n'est pas superficielle, et les carac-tères ainsi que les moeurs des courtisans semblent attirer son attention presque autant que les événements. Ainsi, l'Histoire amoureuse est un témoignag~ de l'évolution qui va lentement

mener le roman satirique au roman de moeurs. Qu'il nous suffise, à cet effet, de songer au long développement où Bussy décrit de manière méthodique les caractères de la débauchée, de la coquette et de l'honnête maîtresse 17 et l'on comprendra aisément qu'il y fait fort bien ce qu'Adam appelle "la typologie des dames de la haute société" 18. Nous avons pareillement la typologie des

jeunes aristocrates qui, entre deux campagnes, font, par devoir, des conquêtes féminines. Nous avons aussi un "type" d'intrus qui se glisse dans cette société aristocratique et que l'on tolère parce que "l 'argent lui tient lieu de mérite" 19: ce sont les financiers, --représentés par Paget et Janin de Castille--, "typel! social qui occupe une place de plus en plus importante dans une monarchie centralisatrice, où la part faite aux hauts fonctionnaires est fort belle. Ainsi, bien que l'Histoire amou-reuse soit une galerie de portraits sans large vue d'ensemble sur la société, sans pouvoir d'abstraction, Bussy a ébauché un début de "typologie" qui indique bien que, déjà lors de ce coup d'essai de dilettante, i l possédait en germe les éléments qui

(24)

mèneront plus tard le roman satirique au roman de moeurs.

Cependant, un roman satirique ne se limite guère à peindre

les moeurs d'un moment, il veut aussi divertir. Nous devons tenir

compte des protestations de Bussy quand il nous dit qU'il a voulu

avant toute chose "donner du plaisir" à quelques-uns de ses "bons

o""is" 20 Pl ' i 1 i t d 1 d

~u • us qu une s mp e pe n ure e moeurs, e roman e

Bussy est aussi une oeuvre littéraire qui s'inspire du Satiricon

, 21 é é

de Petrone • Ses pr tentions litt raires, Bussy nous les donne

lui-même dans sa Lettre apologétique à Saint-Aignan, et elles

sont sans doute fondées, même si, par ce subterfuge, il ne

cher-chait qu'à se justifier:

Je me mis à écrire une histoire, ou plutôt un roman satirique, véritablement sans dessein d'en

faire aucun mauvais usage contre les intéressés,

mais seulement pour m'occuper alors, et tout au plus pour le montrer à quelques uns de mes bons amis, leur donner du plaisir et m'attirer de leur

part quelque louange de bien écrire 22.

Le roman de Bussy n'est pas seulement un libelle, ce n'est

pas uniquement une peinture de moeurs; c'est une oeuvre aux

pré-tentions littéraires où l "histoire" et l' "invention romanesque"

se mêlent librement pour le plaisir de bien écrire et pour

celui de quelques lecteurs privilégiés. Le roman satirique, c'était précisément ce genre ambigu qui combinait librement les

événements vécus et la fiction, qui s'inspirait du Satiricon de

Pétrone et de L'Ane d'Or d'Apulée 23; ces deux romans jouissaient

alors d'une vogue considérable 24, écrit Adam, qui dit par ailleurs ~ue dans le genre du roman satirique, on n'est pas

(25)

18

-seulement observateur ironique des ridicules, mais on est aussi soucieux d'élégance et de raffinement 25. C'est préci-sément ce que fait Bussy: il ne s'est pas contenté de peindre des modèles vivants dans leurs pratiques amoureuses bouffonnes, de nous faire pénétrer dans les coulisses d'événements

histori-26

ques comme la Fronde , mais il a fait appel également à l'in-vention romanesque pour plaire, comme on l'a déjà vu.

Oeuvre d'inspiration mixte, ayant recours à l'histoire anecdotique, aux moeurs contemporaines, à l'invention romanesque, l'Histoire amoureuse des Gaules se range fort aisément dans ce qu'on appelait alors le roman satirique. Cette appellation authentique de l'époque couvre toutes les facettes qu'on découvre dans l'Histoire amoureuse; elle fait la part de l'histoire anec-dotique, de la satire, de la peinture des moeurs, ainsi que celle de l'invention.

Nous devons donner la préférence au terme de "roman sati-rique" sur celui de "roman réaliste" 27. Cette dernière appella-tion est dangereuse car elle pourrait nous faire commettre

l'erreur de confondre le prétendu réalisme du XVIIe siècle et celui du XIXe. De plus, elle manque d'authenticité; les écrivains tels que Bussy n'avaient pas conscience de faire oeuvre réaliste au sens où nous entendons ce terme aujourd'hui; l'Histoire amou-reuse cherche l'effet comique par l'accumulation de péripéties bouffonnes, de détails outrés, et par la caricature; la réalité

(26)

y est donc déformée dans le dessein de divertir, et cela n'est pas vraiment ce que nous entendons par réalisme. L'appellation de roman satirique est donc celle que nous devons retenir. Elle

~st préférable à toute autre, parce qu'elle offre un cadre

beaucoup plus vaste aux multiples aspects de l'Histoire amoureuse; c'est une appellation plus large que celle de chronique scanda-leuse. Enfermer le roman de Bussy dans la définition étroite de la chronique scandaleuse, c'est y voir surtout une sotte

énumé-ration de scandales. Or, il y a beaucoup plus que cela dans l'Histoire amoureuse.

Bussy a composé son roman à un moment où la vogue du long roman idéaliste était en baisse. Non pas que les sentiments nobles de la littérature romanesque héroico-épique fussent définitivement dévalorisés aux yeux des lecteurs, mais le goût du public récla-mait plus de vérité, une plus grande probabilité et des romans plus courts. Les témoignages abondent pour signaler ce changement d'orientation dans le genre romanesque. Témoignages de critiques

28

modernes: choisissons parmi tant d'autres ceux de Ratner , d'Adam 29, de May3°et de Coulet31 • Témoignages de l'époque, parmi lesquels nous remarquons ceux de Sorel 32, de l'Abbé de Charnes 33 et de Du Plaisir 34

Bussy s'est,lui aussi, orienté dans le même sens, celui d'une plus grande probabilité, et cela bien qu'il ait outré la vérité. Quelles sont les avenues qU'il a empruntées pour donner

(27)

20

-à son oeuvre la couleur de la probabilité? Un certain nombre de techniques qui avaient déjà été précisées par Segrais dans la préface de ses Nouvelles françaises servirent également à Bussy pour atteindre une plus grande probabilité. Nous avons la nette impression qu'il fait là oeuvre de pionnier ou presque, pUisqu'il composait son Histoire amoureuse deux ou trois ans seulement après les principes préconisés par Segrais.

Le premier de ces principes consistait à faire ce que Segrais appelait un roman national:

Je m'étonne que tant de gens d'esprit qui nous ont imaginé de si honnêtes Scythes et des Parthes si généreux n'aient pas pris le même plaisir d'imaginer des chevaliers ou des princes français aussi accom-plis dont. les aventures n'eussent pas été moins plai-santes

3;.

Or, donnant suite à ce voeu, Bussy s'est attaché précisément

à

peindre dès galanteries bien françaises et, de plus, très modernes; l'affabulation gaUloise, purement superficie~le, ne pouvait tromper personne.

La technique particulière de la nouvelle devait, elle

aussi, orienter le roman français dans la voie de la plausibilité. Il nous semble que Bussy s'est servi également de cette technique. Voici comment Sorel définit la nouvelle:

On commençait aussi à conna1tre ce que c'étaient des choses vraisemblables par de petites narrations dont la mode vint qui s'appelaient des nouvelles. On les pouvait comparer aux histoires véritables de quelques accidents particuliers des hommes 36.

L'Histoire amoureuse cadre bien avec cette définition: "petite narration, comme le veut Sorel, elle raconte, en effet, "quelques accidents particuliers des hommes".

(28)

La nouvelle a un cadre historique. Celui-ci avait déjà aidé Segrais à échapper aux erreurs habituelles qui choquaient la vraisemblance. Ce cadre, Bussy le trouve sans doute commode pour les mêmes raisons et i l l'adopte:

La nouvelle doit un peu davantage [que le roman] tenir de l'histoire et s'attacher plutôt à donner les images des choses comme d'ordinaire nous les voyons arriver que comme notre imagination se les

figure 3"(.

Bussy n'a-t-il pas, en effet, conscience de faire une Ithistoirelt38, n'a-t-il pas cherché une part de son inspiration dans des événe-ments réels? Qu'on ne nous objecte pas que sa façon de faire l'histoire est fort curieuse par son exagération et sa licence; cela n'était pas rare, car la nouvelle historique eut des rapports avec la chronique scandaleuse et le roman de moeurs, et certains auteurs de nouvelles avaient versé dans l'analyse des vices et des plus grands désordres. C'est ce que déplore Sorel, et cela nous montre que Bussy n'était pas seul à traiter la nouvelle sur le mode licencieux:

On se sert fort dangereusement de cette belle invention [la nouvelle]. Au lieu de nous donner des nouvelles sages et discrètes, on nous en fait souvent de folles et impertinentes où tous les vices sont en leur règne )9.

Le caractère licencieux des aventures racontées par Bussy n'a donc rien d'exceptionnel dans le genre de la nouvelle, comme le témoigne cette citation de Sorel.

D'ailleurs, n'est-il pas commun qu~"un écrivain satirique, comme Bussy l'était, verse quelque peu dans l'exagération? Bussy bâtissait sur un fond d'événements vrais, et il pensait ainsi

(29)

22

-être quitte avec la vraisemblance; en versant dans l'exagération, il ne déroge pas à une certaine conception particulière de la vraisemblance, celle des satiriques, qui consiste à rester fidèle à llaspect comique des choses; Bussy est romancier sati-rique avant dlêtre historien, et ce simple fait lui permet dlaccentuer les traits de ses héros.

Il faut voir en Segrais llinitiateur de la nouvelle histo-rique. Il avait indiqué la voie qu'il fallait emprunter et les auteurs contemporains la suivirent chacun à sa manière, alors que les règles du nouveau genre, encore très vagues, étaient en train de se fixer. Bussy exploita cette nouveauté littéraire sur le mode scandaleux en se servant de ses dons d'observateur. Mme

de Lafayette, elle aussi, fit ses armes dans la nouvelle histo-rique, mais dans une voie différente, et un peu plus tard que Bussy: en l66a, elle publia La Princesse de Montpensier qui

s'appuyait sur des lectures historiques sérieuses. C'est ordinai-rement au nom de Mme de Villedieu qu'on associe la nouvelle

historique, parce qulelle a joué un rôle important dans le

déve-40

loppement de ce genre , mais en vérité, elle est loin dlen être la pionnière, puisque ce nlest qu'en 1669 qui elle publia le Journal amoureux 41. Or, Bussy avait déjà composé une décade plus tôt son Histoire amoureuse. Leurs façons respectives de

con-cevoir la nouvelle étaient sans doute différentes, mais elles avaient des points communs. Bussy se servait de modèles vivants-et des moeurs contemporaines; i l mêlait des inventions à sa ~rame

(30)

d'événements récents et véritables. Mme de Villedieu se servait,

, 42

quant a elle, d'un cadre plus ou moins ancien , et allait cher-cher ses sujets et la peinture des moeurs chez Mézeray , le père Anselme et Davila

43.

Malgré ces différences, i l y. a entre eux un point commun dans leurs historiettes: les personnages n'étaient plus imaginaires, et le fond du récit s'inspirait de la chronique contemporaine ou passée: les noms gaulois de Bussy n'étaient pas des clefs trop difficiles à élucider; et chez Mme de Villedieu, les noms célèbres étaient la règle 44

Nous voulons montrer avec plus de précision la parenté qu'il y a entre l'Histoire amoureuse des Gaules et le genre de la nouV"elle qui commence à prendre son essor à partir de 1660.

Ce genre, les contemporains lui donnèrent des noms variés: tant6t "nouvelle", tant6t "histoire galante", "histoire secrète" ou

"mémOires"; mais ce n'est là pour Ratner 45 que des variétés d'un même genre remplaçant, selOn lui, -le roman hérolque qui est en train de s'éteindre.

Ratner voit deux types de nouvelles historiques 46: celles où le point de départ, imaginaire, s'appuie sur des noms histo-riques pour piquer la curiosité et donner à la fiction un air de vraisemblance; celles où le point de départ est historique, mais autour duquel on a brodé des fictions imaginaires. C'est surtout cette seconde façon de concevoir la nouvelle qui semble avoir prévalu; mais même dans ce cas, la part de l'histoire restait

(31)

24

-très petite. L'Histoire amoureuse entre bien dans le cadre de la deuxième variété déf:l.nie par Ratner: elle est, au départ,

constituée de "véritables événements",augmentés et ornés d'''inventions'' que Bussy n'avait "jamais oui dire"

47.

Les événements véritables qui font la trame de l'Histoire amoureuse ne sont pas en réalité des événements historiques, ce sont des scandales privés de personnes prises dans leur intimité, personnes qui ne faisaient certes pas l'Histoire. Cependant, ce manque d'intérêt historique à proprement parler n'est pas

suffi-sant pour soustraire à l'Histoire amoureuse l'appellation de nouvelle ou d'histoire galante. La nouvelle n'exploitait pas nécessairement des événements historiques; c'est ce que nous dit l'Abbé de Charnes:

Ce ne sont pas ••• de ces pures fictions où

l'ima-~ination se donne une libre étendue, sans égard a la vérité. Ce ne sont pas aussi de celles où l'Auteur prend un sujet de l'histoire, pour l'em-bellir et le rendre agréable par ses inventions. C'en est une troisième espèce, dans laquelle, ou l'on invente un sujet, ou l'on en prend un qui ne

soit pas universellement connu; et on l'orne de plusieurs traits d'histoire, qui en appuient la vraisemblance, et ré~eillent la curiosité et l'at-tention du lecteur ~ •

Suivons pas à pas la définition de l'Abbé de Charnes, qui date de 1679, et comparons la à l'ouvrage de Bussy qui lui est anté-rieur de deux décennies. Bussy n'a pas fait une pure fiction; il n'a pas choisi un sujet historique universellement connu, mais des intrigues amoureuses dont l'essentiel est vrai afin d'appuyer la vraisemblance et de piquer la curiosité des lecteurs. Ces

(32)

nous retrouvons aussi dans la définition de l'Abbé de Charnes: Ce sont des actions particulières de personnes

privées ou considérées dans un état privé, qu'on développe et qU'on expose à la vue du public dans une suite naturelle, en les revêtant de circonstances agréables ••• ~9

Les événements que nous raconte BUSRy sur Mmes d'Olonne et de Ctiâtillon étant des intrigues amoureuses, il s'agit forcément d'actions particulières de personnes privées ou considérées. dans un état privé; or, c'est précisément ce que réclame la définition de l'Abbé de Charnes. Mais là ne s'arrête pas l'iden-tification de l'ouvrage de Bussy à cette définition; celle-ci conçoit que "les actions particulières" des grands puissent être la source et l'explication de bien des événements historiques.

[ces actions particulières] s'attirent la créance avec d'autant plus de facilité, qu'on peut souvent considérer les actions qu'elles contiennent, comme les ressorts secrets des événements mémorables que nous avons appris dans l'histoire 50.

Cette citation nous fait songer au fond historique qui préside aux aventures de Mme de Châtillon. Ce fond historique est cons-titué de quelques épisodes authentiques de la Fronde. Les ressorts secrets de ces événements historiques, ce sont les intrigues

d'alcôve tristement comiques de Mme de Châtillon et de ses amis. Bussy donne ainsi une certaine importance aux turpitudes qu'il relate puisqu'elles sont liées à l'histoire de France et préten-dent même l'expliquer.

Un grand nombre de noms, et non des moindres, se trouvent ainsi figurer dans l'Histoire àe Madame et M. de Châtillon: ce

(33)

26

-sont ceux de Louis XIV, d'Anne d'Autriche 51, du Grand Condé et de Mazarin. Le duc d'Orléans, oncle du roi, le cardinal de Retz et Mme de Chevreuse, le prince de Conti, Mme de

Longue-ville et La Rochefoucauld y font aussi des apparitions fugitives. Mazarin et Condé, dont nous n'avons pas ici à retracer le rôle important qU'ils jouèrent dans les événements de la Fronde,

plongent les mains dans les intrigues les plus mesquines; celles-ci, selon Bussy, sont censées expliquer les événements officiels. Il est, par ailleurs, question du roi Charles d'Angleterre, en exil en France, qui "aimait ses plaisirs", s'il faut en croire Bussy

Se,

et qui entre en rapport avec la louche Mme de Châtillon.

Ainsi, Charles d'Angleterre et le Grand Condé se trouvent être rivaux dans les faveurs de la fameuse intrigante. On ne peut naturellement ajouter foi à cet imbroglio d'obscures intrigues; le voudrait-on d'ailleurs, que ce n'est pas dans l'Histoire amoureuse qu'on irait en chercher confirmation.

On voit que Bussy n'avait pax renoncé à donner un fond historique de quelque conséquence à ses historiettes; du moins, l'a-t-il fait pour celle de Mme de Châtillon. Cela rapproche

ses historiettes des nouvelles historiques de l'époque. C'est ce que nous voulions montrer.

Les rapports, bien que très'.lâches, que nous constatons entre l' histoire et la fiction. dans l' Histoire amoureuse, pré-sentent un certain intérêt. En établissant ces rapports, Bussy

(34)

trainer vers l'histoire. Georges May analyse les rapports qui unissent les deux genres, histoire et roman:

A l'époque envisagée ici, et qui s'étend à peu près de 1660 à 1730, nous allons voir qu'une nouvelle fusion de l'histoire et du roman se produisit, non plus dans l'épopée, mais dans les formes littéraires les plus familières et les plus personnelles du roman historique: la biographie et la chronique, et plus particu-lièrement l'autobiographie, ou plut8t les

mé-moires, sortis eux-mêmes des anciennes chroniques 55. Bussy compose son roman en 1660, et la part qu'il y donne à

l'histoire est encore très succincte; mais la mode est lancée et

après 1660, les romanciers du XVIIe siècle accrurent de plus en plUS leurs prétentions

histo~iques 5Z\-.

C'est ainsi que le fond h1storique va prendre de plus en plUS d'ampleur de l'Histoire amoureuse aux nouvelles de Mme de Ville-dieu, de Mme d'Aulnoy et de Courtilz de Sandras.

Cette mode, qui fusionne l'histoire et le roman, semble avoir été, selon May, un phénomène surtout français. La seule exception importante qu'il puisse constater est l'illustre ro-mancier anglais du XVIIIe siècle, Daniel Defoe. Georges,May ajoute que la langue elle-même est révélatrice; elle montre

qu'il S'agit d'un phénomène particulièrement français: l'anglais, écrit.-il, parvient à distinguer"story"de"history",alors que

(35)

28

-Georges May analyse alors les différents sens du mot "histoire": Selon Littré, histoire veut dire "récit des faits,

des événements relatifs aux peuples en particulier et à l' humanité en Wénéral", mais passant par les sens successifs de récit d'actions, aux événements de l'histoire" et de "récit de ~uelque aventure par-ticulière", aboutit au sens de 'récit mensonger". C'est ainsi que, vers 1675, lorsque.'J::e roman aban-donna à la fois l'extrême longueur et l'excessive extravagance qui l'avaient caractérisé sous Gomber-ville, La Calprenède et les Scudéry, le nouveau genre qui sortit de ce changement de goüt éprouva le besoin de se trouver un nom qui püt le

désolida-riser de l'ancien roman désormais discrédité. A c6té du mot nouvelle, le mot histoire fut le plus fré-quemment employé 5b •

Or, le terme d'''histoire'' avait déjà été employé par Bussy con-curremment avec celui de roman dès 1660. Le titre choisi par Bussy est déjà révélateur à ce point de vue. Les deux termes d'histoire et de roman passent indifféremment sous sa plume; c'est qU'il n'a pas pleinement conscience de l'originalité de la nouvelle. Toujours est-il qU'il donne la préférence au terme d' "histoire", qu'il emploie quatre fois dans sa Lettre apologé-tigue, contre deux fois seulement pour le mot de "roman", quand il S'agit de décrire l'Histoire amoureuse 57.

On ne saurait prétendre que Bussy soit un des créateurs de la nouvelle historique: son oeuvre romanesque est trop mince et ne S'adresse qu'à des amis; la part qU'il fait à l'histoire est trop mince, elle aussi; ensuite, il n'a pas réellement

conscience de faire oeuvre historique. Les préfaces des nouvelles historiques qui seront composées en France après l'Histoire

(36)

n'y a rien d'un tel hommage dans le très court "avis au lecteur" qui précède l'Histoire amoureuse; rien dans la Lettre apologé-tique; rien non plus dans les Mémoires ou la Correspondance de Bussy. D'autre part, Bussy était-il vraiment conscient de faire une oeuvre d'un genre nouveau? Il est permis d'en douter, et voilà pourquoi nous hésitons à élever Bussy au rang de créateur de la nouvell e •

Cependant, si Bussy n'a pas, à proprement parler, créé de genre, i l a contribué à ouvrir de nouvelles voies au roman. Celui-ci, discrédité par ses excès, essayait de regagner les faveurs du pUblic. Le roman de Bussy eut un succès immense, succès de scandale sans doute; mais il faut dire aussi qu'il combinait des éléments très nouveaux pour l'époque. Libelle courageux, sans pour cela verser dans la grivoiserie et la

vul-garité, i l est aussi une peinture de moeurs très ressemblante et une oeuvre littéraire satirique à la manière du Satiricon. Les cadres mêmes de l'Histoire amoureuse sont neufs: récit

coui~t à .la manière de la nouvelle, genre qui vient à peine de naître; événements nationaux; absence totale des procédés roma-nesques traditionnels, tels que naufrages, actes de piraterie et travestis. Genre hybride, empruntant ses caractéristiques à la chronique scandaleuse, à la nouvelle historique et au roman

d~ moeurs, le roman de Bussy tourne le dos aux Gomberville, aux La Calprenède, aux Scudéry, et contemple des horizons nouveaux.

(37)

30

-B. L'Histoire amoureuse des Gaules et les règles classiques.

, ti' t ' 59

Le roman n'echappe pas en eremen aux regles des doctes • Henri Coùlet signale que le roman de l~âge baroque s'astreignait à des règles et que celui de l'époque classique connaissait encore celles de la vraisemblance et de la bienséance 60. Et René Bray écrit:

Nous voulons ••• montrer comment le roman, genre neuf, genre libre, entraîné par le courang

1

se soumet de lui-même aux règles d'Aristote •

Quand Bussy critique La Princesse de Clèves sous le rapport de la vraisemblance, il montre qu'il y a là, pour lui, une règle très importante du genre. Aucune considération ne permet de s'en éloigner, pas même les considérations historiques, qui doivent se plier à la vraisemblance; raison de plus, dit Bussy, quand on lÎll1verJ.te à souhait; autant, alors, viser au vraisemblable.

L'aveu de Mme de Clèves à son mari est extrava-gant, et ne se peut dire que dans une histoire véritable; mais, quand on en fait une à plaisir, il est ridicule de donner à son hérolne un sen-timent si extraordinaire ••• La première aventure des jardins de Coulommiers n'est pas vrafsem-blable, et sent le roman. C'est une grande jus-tesse, que la première fois que la princesse fait à son mari l'aveu de sa passion pour un autre, M. de Nemours soit, à point nommé, derrière une pa-lissade, d'où il l'entend ••• Cela sent encore bien

62 le roman, de faire parler les gens tout seuls •••

n

est vrai que ce commentaire est postérieur de près de vingt ans à l'Histoire amoureuse des Gaules; dans l'intervalle, Bussy

(38)

a pu changer d'opinion sur la question. Nous voulions simplement montrer que le roman a ses règles et que Bussy en est très

cons-cient. Que le roman de l'époque ait ses règles, cela ne fait aucun doute pour René Bray:

Le roman ne marche pas à part sur une voie origi-nale. Il n'est pas la citadelle d'une réaction. Les théoriciens l'annexent et les romanciers

lais-sent faire ou même travaillent à cette annexion. Il subit lui aussi le joug des règles: l'esprit du temps le pénètre 63.

l La vraisemblance

La règle de la vraisemblance est, selon la doctrine 64 classique, de première importance dans tous les genres •

Bus~y connait bien cette règle et il y attache beaucoup d'im-portance dans sa critique de La Princesse de Clèves. Il faut voir jusqu'à quel point il l'a respectée dans son roman et de

.

,

quelle man~ere.

La vraisemblance, dit Bray, peut s'appliquer à trois b · t 65 ' 1 d . t d l ' t· d

o Je s : a a con u~ e e ac ~on; aux moeurs es personnages

de cette action; et à la représentation s'il s'agit de théâtre. Nous nous occuperons des deux premiers objets. Cependant, le deuxième objet, qui a trait aux personnages, peut être étudié séparément dans ce qu'on appelle la théorie de la bienséance.

En étudiant le texte d'Aristote, Bray arrive à dégager

~ ~

(39)

32

-Il faut entendre par réel ce qui s'est passé, par possible ce qui peut arriver; quant au vraisemblable, c'est ce qui entra1ne la crédulité du public.

La première interprétation des textes d'Aristote est celle de Vida et de Robortello; elle accepte que, lorsqu'on suit l'his-toire, on n'ait guère à se soucier de la vraisemblance; celle-ci ne doit devenir une préoccupation de l'auteur que quand il invente. La seconde interprétation est celle de Castelvetro, qui donne

à la vraiserr.blance une valeur plus grande qu'à la possibilité. La possibilité est affaire de science: elle exige que le public S'interroge sur la possibilité scientifique des événements de l'action. Quant à la vraisemblance, elle est supérieure, car elle entraîne immédiatement la crédulité. La vraisemblance est affaire d'opinion et non de science; l'écrivain doit entraîner la crédulité du lecteur par une préparation psychologique appro-priée. Après la sentence de l'Académie sur Le Cid, c'est la seconde interprétation, celle de Castelvetro, qui va triompher.

Comment Bussy, si attaché à la vraisemblance en matière romanesque, en a-t-il usé dans son propre roman? La vraisemblance est assez bien assurée dès le départ, du fait que les personnages étaient connus de leurs lecteurs; quelques scandales de notoriété publique, appuyés de la réputation fort entachée des personnages en cause, entraînaient a prior~ la conviction des lecteurs. A ce départ déjà favorable à la vraisemblance, Bussy a-t-il ajouté

(40)

l'art des préparations psychologiques? L'examen du texte nous

permet de l'affirmer jusqu'à un certain point.

Le roman abonde en remarques d'intérêt psychologique.

Elles s'expliquent sans doute par le goüt prononcé de l'auteur

pour l'analyse du coeur humain. Elles pourraient, cependant,

remplir un autre r81e, celui de préparer le lecteur ou de jus-tifier à ses yeux les invraisemblances de l'intrigue. L'analyse

des motivations intimes éclaire et rend plus plausible ce qu'

para1trait exagéré sans le pouvoir persuasif du psychologue.

L'app~t du gain explique les dérèglements de la cupide Mme

d'Olonne. Le désir de vengeance anime l'abbé Foucquet et la

plupart des autres personnages; et s'ils s'acharnent les uns sur les autres, c'est qu'il leur faut assouvir ce besoin impé-rieux. L'oisiveté est la mère de tous les vic~s; cela expljque

bien des inepties dans la conduite des G~ulois de Bussy.

Cour-tisans désoeuvrés, ils cherchent à se distraire; ils ont le temps

de se livrer entièrement au "j.eu" de l'amour; et pour éviter que ce jeu ne devienne monotone, ils vont y introduire de multiples

raffinements. Ces raffinements peuvent nous para1tre

invraisem-~lables et puérilS, mais le sont-ils quand i l

s'agit de cour-tisans en quête de sensations?

Bussy ne laisse rien au hasar.d. Il prend mille peines pour expliquer toutes les situations. Lui faut-il des motifs pour le vice italien de Manicamp et de Guiche? Il ne se laisse

(41)

34

-pas démonter pour si peu; i l trouve des arguments et les

pré-sente avec insistance. Les amitiés particulières des deux célèbres courtisans s'expliquent, dit Bussy, par leur mépris des conven-tions: puisque "les embarras des cours" ne comportent qu"ambition",

67

"envie", "médisance", i l faut prendre sa "retraite" On se met

donc à mépriser le "monde" et l'on cherche à se sauver comme on

68

peut • Manicamp expose ses arguments avec une logique qui se veut impl acabl e :

J'ai déjà gagné sur moi d'en mépriser la moitié

C:du monde; cette moitié, c'est le sexe féminin] ,

et j'espère que dans E~u de temps je ne ferai pas

grand cas de l'autre ~.

Les traits extérieurs des personnages servent, eux aussi, à préparer psychologiquement le lecteur et à le convaincre de la vraisemblance de leur conduite. Mme de Sévigné est "inégale", on ne peut faire "grand fondement sur son amitié", elle s'est "désho-norée par l'ingratitude" en refusant de prêter de l'argent à

Bussy. Tous ces défauts de caractère ne nous sont pas donnés

gratuitement; l'auteur tâche de les rendre vraisemblables. Le

physique même de Mme de Sévigné nous prépare à l'inégalité de

son caractère. Il fallait s'y attendre; cette inégalité est

-chose naturelle pour une personne qui a les yeux de Mme de Sévigné;

celle-ci n'est-elle pas, en effet, inégale "jusqu'aux prunelles

des yeux et jusqu'aux paupières"?

Elle a les yeux ùe différentes couleurs, et les

yeux étant les miroirs de l'âme, ces inégalités

sont comme un avis que donne la nature à ceux qui l'approchent ••• 70

(42)

On ne niera pas que Bussy ait fait un effort sérieux pour rendre les actes de sa cousine aussi vraisemblables que possible. Il n'est pas jusqu'à son physique qu'il n'exploite systématiquement.

Certes, des invraisemblances subsistent dans l'Histoire amoureuse; certes, nous ne croyons pas toujours possible ce qui nous y est raconté; mais nous sommes forcés de reconna1tre que l'auteur a pris bien des précautions. La première est d'avoir systématiquement refusé tout compromis avec les extravagances du roman héro!co-épique 71: il n'y a pas de place dans l'Histoire amoureuse pour les actes de piraterie et les enlèvements en

haute mer. C'était déjà un progrès considérable dans la voie de la vraisemblance, mais là ne s'arrêtent pas les efforts de Bussy dans ce sens. Des événements vrais, des personnages ruinés de réputation, sont autant de garanties supplémentaires si nous sommes lents à nous laisser convaincre par un tel amas de turpi-tudes. Ce fond d'événements vrais donne donc un bon départ à la vraisemblance; cette première impression favorable n'est pas contrariée par la part d'invention qu'il y a dans le roman.

C'est que Bussy prend la peine de tout expliquer: les caractères des personnages, les passions qui les rongent, l'impuissance où se trouvent les faibles de lutter contre un jeu irrésistible et à la mode, voilà les arguments de l'auteur pour nous convaincre. Nous sommes prêts sans doute à le croire en partie, à le rencon-trer à mi-chemin de la vraisemblance. Quant aux lecteurs de l'époque, ceux qui connaissaient les scabreuses turpitudes de Mmes d'Olonne et de Châtillon, sans doute étaient-ils prêts à

(43)

36

-tout croire. Après -tout, la vraisemblance n'est qu'affaire 72

d'opinion ; or, Bussy ne contrariait nullement l'opinion commune que l'on se faisait de l'immoraJ.ité des "Gaulois" et des "Gaulibises"; la vraisemblance de son roman était donc fort vaJ.able. Ce n'est certes pas sur cette question que les doctes

1 r auraient chicané, quand ils avaient tant àé1.redire sur le

chapitre de l'immoraJ.ité. Et d'ailleurs, n'avaient-ils pas encore en tête les dernières productions du roman héro!co-épique où, en fait d'invraisemblances, on se laissait aJ.ler à des excès autrement exagérés?

II La bienséance Le père Rapin écrtt:

Outre toutes ces règles prises de la poétique d'Aristote, il y en a encore une dont Horace fait mention, à laquelle toutes les autres règles doivent s'assujettir, comme à la plus essentielle qui est la bienséance. Sans elle, les autres règles de la poésie sont fausses, parce qu'elle est le fondement le plus solide

de cette vraisemblance qui est si essentielle à cet art, car ce n'est que par la bienséance que la vraisemblance a son effet: tout devient vraisemblable dès que la bienséance garde son caractère dans toutes les circonstances 73.

Ces phrases du père Rapin nous montrent l'importance de la notion de bienséance chez les théoriciens du XVIIe siècle.

Bray trouve que cette conception de la bienséance est fort vague chez les théoriciens de l'époque. En effet, sous le même

(44)

terme de bienséance, on joint, dit-il des conseils moraux, des préceptes techniques et des principes esthétiques 74• Nicole, lui, donne les éléments d'une définition plus précise de la bienséance:

La raison nous apprendra pour règle générale qu'une chose est belle lorsqu'elle a de la convenance avec sa propre nature et avec la natre

75.

La convenance dont parle Nicole, c'est la bienséance. Sa défi-nition est non seulement fort précise, mais elle présente l'a-vantage d'englober les deux notions que l'on entendait par le mot de bienséance: d'une part, ce qu'on a appelé la bienséance interne entre l'objet et sa propre nature; et d'autre part, la bienséance externe entre l'objet et le sujet. La bienséance in-terne est celle qui régit les rapports entre les caractères des personnages et les situations dans lesquelles ils se trouvent. La bienséance externe se préoccupe des rapports entre les

carac-tères, les sentiments, la conduite des personnages et le goût du lecteur.

Avec la notion de bienséance interne, nous touchons une fois de plus à celle de vrâisemblance qui lui est apparentée: la bienséance interne, si elle est respectée, place les person-nages dans des conditions, dans un tableau de moeurs qui

pour-raient être les leurs et renforce ainsi la vraisemblance.

Quant à la bienséance externe, qui tient compte des

Références

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