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Souvenirs et affectivité: «Les passions dans les mémoires particuliers du XVIIIe siècle»

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Souvenirs et affectivité

Les passions dans les Mémoires particuliers du XVIIIe siècle

par Nicole Corbett

Département de langue et littérature françaises Université McGill, Montréal

Thèse soumise à l’Université McGill en vue de l’obtention du grade de Ph.D. en langue et littérature françaises

Août 2014

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Table des matières PAGES 1-2 Abstract/Résumé PAGES 3-4 Remerciements Introduction : PAGES 5-17

Peut-on négliger impunément une partie du corpus mémorial ? ou introduction

Chapitre un : PAGES 18-64

Le langage des passions : sa richesse et ses difficultés 1. Par son nom, p. 33-34

2. Le corps parlant, p. 34-46 3. Les figures rhétoriques, p. 47-51 4. La voix. Un second visage, p. 51-55 5. Un silence expressif, p. 55-57 6. Les mondes contrefactuels, p. 57-59 7. Annexe, p. 64

a) Quelques mouvements du corps

Chapitre deux : PAGES 65-122

Le choix des passions : anodin ou important ? 1. Pierre-Daniel Huet, p. 75-80 2. Valentin Jamerey-Duval, p. 81-85 3. Madame de Staal-Delaunay, p. 86-91 4. Jean-Jacques Rousseau, p. 92-97 5. Madame Roland, p. 98-102 6. Annexe, p. 113-122 a) Le bien et le mal, p. 113-117

b) Les passions dans la deuxième partie des Confessions, p. 118-121 c) Légende, p. 122

Chapitre trois : PAGES 123-171

Les objets de l’affectivité : les différences, les ressemblances, les objets insignifiants et

les sujets inattendus

1. Les différences, p. 125-138

a) La passion que les mémorialistes expriment le plus souvent, p. 125-129 b) Pierre-Daniel Huet, p. 129-131

c) Valentin Jamerey-Duval, p. 131-133 d) Madame de Staal-Delaunay, p. 133-134

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e) Jean-Jacques Rousseau, p. 134-136 f) Madame Roland, p. 136-138 2. Les ressemblances, p. 139-141

3. Les objets insignifiants et les sujets inattendus, p. 142-162 4. Annexe, p. 163-171

a) Les objets des passions chez chaque mémorialiste, p. 163-169 b) Le suicide, p. 170-171

Chapitre quatre : PAGES 172-205

Comment les mémorialistes se souviennent-ils ? L’influence des passions selon les

mémorialistes et selon le rythme de leur œuvre

Les affirmations faites par les mémorialistes et le rythme de leur œuvre 1. Pierre-Daniel Huet, p. 181-183

2. Valentin Jamerey-Duval, p. 184-186 3. Madame de Staal-Delaunay, p. 187-189 4. Jean-Jacques Rousseau, 190-192 5. Madame Roland, p. 193-195

Les affirmations faites par Descartes et le rythme des Mémoires 1. Valentin Jamerey-Duval, p. 200 2. Madame de Staal-Delaunay, p. 200-201 3. Jean-Jacques Rousseau, p. 201-202 4. Madame Roland, p. 202-203 5. Pierre-Daniel Huet, p. 204 Conclusion : PAGES 206-213

Quelques mots pour conclure

Table des tableaux et des graphiques : PAGES 214-216 Table des illustrations : PAGE 217

Bibliographie : PAGES 218-238  

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Abstract

What influence does affectivity have on the memorial text? Do memorialists consistently relate certain passions, while others are very rarely, if ever, brought to mind? Could this preference also influence the subjects recalled by the memorialists or influence the rhythm of the text itself? In this thesis, each of the former questions are answered in the affirmative. Within the memorial text, there is a visible link between passion and memory (what memorialists choose to include or exclude from their works). By dividing passions into the following categories: agreeable, disagreeable, mixed, and

ambivalent (a division supported by treatises of the era and by the Encyclopédie), we will

see that agreeable and ambivalent passions (passions such as joy, hope, wonder, and astonishment), are much more likely to be remembered than disagreeable or mixed passions (sadness, fear, anger, and pity, for example). This preference, interesting in and of itself, is not without consequence; it influences the subjects memorialists choose to relate. Passions, however, do not simply influence what the memorialists remember. They influence how memorialists remember, subtly influencing the rhythm of the text.

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Résumé

Quelle influence l’affectivité a-t-elle sur le texte mémorial ? Certaines passions y reviennent-elles de manière continuelle, tandis que d’autres en sont notablement absentes ? Cette préférence pourrait-elle influencer les sujets narrés par les mémorialistes, voire le rythme du texte ? Il nous semble qu’il convient d’apporter une réponse positive à ces questions. Dans le texte mémorial, le lien entre les passions et la mémoire (ce que les mémorialistes incluent et excluent de leurs œuvres) est manifeste. En divisant les passions dans les catégories suivantes : agréable, désagréable, mixte et ambivalente (une division appuyée par les traités de l’époque et par l’Encyclopédie), nous verrons que les mémorialistes relatent souvent les passions agréables et ambivalentes (telles que la joie, l’espérance, l’admiration et l’étonnement) ; ce n’est pas le cas des passions désagréables et mixtes (la tristesse, la crainte, la colère et la pitié, par exemple) qui sont souvent absentes du texte. Cette préférence intéressante n’est pas anodine. Elle influence les sujets que les mémorialistes relatent. Nous verrons cependant que les passions n’influencent pas seulement ce dont les mémorialistes se souviennent, mais comment ils s’en souviennent, déteignant ainsi subtilement sur le rythme du texte.

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Acknowledgements

How ironic that I should have written a thesis about passions (or emotions) having been subject to so many during the course of its composition. Wonder, love, hatred,

desire, joy, sadness – Descartes’ six primitive emotions, enumerated upon in The Passions of the Soul, were certainly among those felt, as were those he would have

referred to as being composed of these six or of being species of them. While not all of the emotions I experienced writing this thesis were, to use my terminology, agreeable, it was not an unpleasant experience. I have the following individuals to thank for this.

First and foremost, my supervisor, Frédéric Charbonneau. The last six years have been filled with so many ups and downs, and I am extremely grateful to have had your unwavering support. I also cannot thank you enough for the time you spent reading, and re-reading, my chapters. Nor can I fully express my gratitude for the invaluable advice and suggestions you have given me. I am convinced that, without your direction, this thesis would have turned out quite differently. The link between memory and passion, for instance, may have remained tucked away, a small, and very insignificant section of the fourth chapter.

I would also like to thank a handful of former professors – Romira Worvill, Robert Proulx, Janice Best, and Giselle Corbeil – for the support and encouragement they have continued to provide me with. I would particularly like to thank my former supervisor, Romira Worvill, who has continued to be a source of inspiration for me. I am very grateful for her suggestion to read Charles Le Brun’s Conférence de Monsieur Le

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While my chapter on protestant memorialists never made it into the final draft of my thesis, I would nevertheless like to extend my appreciation to the individuals who offered me insight into Calvin’s writings and his thoughts on divine providence. I would particularly like to thank Daniel Shute, a member of Montreal’s Presbyterian College as well as the college’s librarian.

Writing in a second language presents its own set of challenges and difficulties. I am greatly indebted to Claire Leydenbach for the numerous times she proof-read my thesis, and for the in-depth suggestions and corrections she provided me with. I would also like to thank Aurélie Gillard whose suggestions and corrections were also very much appreciated. Since math is also a sort of second language for me, I would also like to take a moment to thank Erin Quinlan for using her engineering skills to look over many of my mathematical calculations.

Last but not least, I would like to thank my friends, and especially my family, for their love and support. I could not have done this without you.

Although the memories I have of writing this thesis are attached to a mixture of emotions – agreeable, disagreeable, mixed and ambivalent –, I truly believe, as did the memorialists, that it will be the memories attached to agreeable emotions that will stay with me. It will be these memories that I will linger on.

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« Comme nous avons dit que l’Admiration est la premiere & la plus temperée de toutes les passions, & où le cœur sent moins d’agitation : Le visage aussi reçoit fort peu de changement en toutes ses parties, & s’il y en a, il n’est que dans l’élevation du sourcil, mais il aura les deux côtés égaux, & l’œil sera un peu plus ouvert qu’à l’ordinaire, & la prunelle également entre les deux paupieres & sans mouvement, attachés sur l’objet qui aura causé l’admiration. La bouche sera aussi entr’ouverte, mais elle paroîtra sans aucune alteration, non plus que tout le reste de toutes les autres parties du visage ».

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Peut-on négliger impunément une partie du corpus mémorial ?

Ou introduction

Admiration, amour, haine, désir, joie, tristesse : les études qui portent sur les passions exprimées par les mémorialistes ne sont pas nombreuses ; ce n’est guère étonnant. Au cours des vingt dernières années, l’écart entre la façon dont les littéraires et les historiens appréhendent et étudient les Mémoires s’est considérablement creusé. La plupart des littéraires ne se sont cependant pas complètement affranchis de l’approche historique qui les a précédés. Le corpus qu’ils utilisent est celui-là même que leurs confrères ont établi au début du dix-neuvième siècle. Et l’accent continue d’être mis sur les Mémoires du dix-septième siècle, ces mêmes œuvres qui ont souvent attiré les historiens pour leur valeur documentaire. Enfin, la grande majorité de leurs recherches se concentre sur un petit nombre de Mémoires dont l’intérêt majeur semble résider dans le point de vue historique (ceux du cardinal de Retz, de Bassompierre, de Mme de Motteville, de la Grande Mademoiselle, de Louis XIV, de Gaston d’Orléans, de M. de Pontis, de la duchesse de Nemours et du duc du Saint-Simon1). Leur échec à se dégager

complètement de la perspective historique et à examiner les Mémoires que celle-ci ignore a eu une conséquence néfaste sur les études mémoriales. Il a influencé la façon dont les littéraires comprennent le genre.

Un panorama des sujets actuellement abordés illustre plusieurs lacunes qui ont été créées par cette manière particulière de percevoir les Mémoires, avec les œillères de l’histoire toujours insidieusement en place. Dans une première catégorie d’études, dont l’intention était de donner une certaine cohésion ou cohérence à ce genre, se trouvent                                                                                                                

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trois monographies importantes : Usage du monde, usage de soi : enquête sur les

mémorialistes d’Ancien Régime de Frédéric Briot, Les Silences de l’histoire : les mémoires français du XVIIe siècle de Frédéric Charbonneau et La Poétique des mémoires (1650-1685) d’Emmanuèle Lesne-Jaffro. L’approche de ces auteurs varient – F. Briot ne

recherche pas l’unité du genre dans le texte mémorial, mais bien dans une pratique d’écriture, un travail de soi sur soi, et dans la valeur curative de ces récits ; F. Charbonneau, pour qui l’unité discrète du genre réside dans son refus de l’histoire officielle, fait porter son analyse sur trois aspects des Mémoires : leur genèse historique, leur ancrage social et la rhétorique employée par leurs auteurs ; E. Lesne-Jaffro s’intéresse, elle, aux ressemblances textuelles entre les Mémoires – mais tous se concentrent sur les Mémoires du dix-septième siècle. Il est donc difficile de déterminer dans quelle mesure ces œuvres ressemblent aux Mémoires écrits au cours des autres siècles. Certains chercheurs soutiennent que les différences sont minimes, tel Frédéric Briot dont la monographie, Usage du monde, usage de soi, se veut une étude sur l’ensemble du genre :

Les lecteurs sensés, comme les autres, trouveront à la fin de l’ouvrage un répertoire alphabétique, qui donnera les informations biographiques concernant les mémorialistes utilisés dans cette enquête, ainsi que la succincte description et histoire de leur texte. Sans doute s’étonneront-ils qu’au cours du travail il n’y ait pas de périodisation, d’indication d’une évolution du genre, et qu’en revanche le XVIIe siècle y occupe une place prédominante. C’est affaire de compétence en partie, en partie aussi affaire de conviction : que les conditions mêmes de l’acte d’écrire ont peu varié, et qu’il serait fort vain d’essayer de voir dans leur succession une révélation progressive et cumulative qui irait son petit bonhomme de chemin (l’autobiographie par exemple, ou le moi…)2.

De telles assertions sont cependant prématurées. Sans avoir étendu les recherches hors du seul dix-septième siècle, il est impossible de savoir si tous les Mémoires partagent les                                                                                                                

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mêmes caractéristiques. Nadine Kuperty-Tsur, auteure de Se dire à la Renaissance : les

mémoires du XVIe siècle, commente cette lacune :

La majorité des études sur les Mémoires portent sur ceux du XVIIe siècle et passent assez rapidement sur les Mémoires du XVIe siècle, les considérant comme de « poussiéreux mémoires de capes et d’épées », ou comme des récits de prouesses un peu fanfaronnes dénués de la profondeur philosophique ou critique des Mémoires d’un Retz ou d’un Saint-Simon3.

La critique a également montré un penchant pour les études qui s’interrogent sur l’évolution des Mémoires et leur rapport avec l’autobiographie. Au sein des tenants d’une origine de l’autobiographie dans les Mémoires, deux axes de recherches prédominent : soit les chercheurs se concentrent sur les Mémoires du dix-septième siècle (Emmanuèle Lesne-Jaffro, « Les Lieux de l’autobiographie dans les mémoires de la seconde moitié du XVIIe siècle »), à savoir ceux rédigés par de grandes figures historiques (Yves Coirault, « Autobiographie et Mémoires (XVIIe-XVIIIe siècles) ou existence et naissance de l’autobiographie » ; Yves Coirault, « De Retz à Chateaubriand : des Mémoires aristocratiques à l’autobiographie symbolique » ; Jean Serroy, « L’Autobiographie à l’épreuve de l’histoire Les Mémoires de Retz » ), soit ils analysent les textes écrits après les Confessions de Rousseau4 (Geneviève Cammagre, « Les Mémoires après les

Confessions de Rousseau : l’exemple de Marmontel (1723-1799) ») ou qui en sont

contemporains (Jacques Voisine, « Mémoires et Autobiographie (1760-1820) »). Très                                                                                                                

3 N. Kuperty-Tsur, Se dire à la Renaissance : les mémorialistes du XVIe siècle, p. 13.

4 Plusieurs de ces études ont succombé à l’illusion de perspective décrite par P. Lejeune, « Autobiographie et histoire littéraire », p. 908-909 : « Il existe une seconde illusion de perspective : celle de la naissance du genre, après laquelle le nouveau genre, né d’un seul coup, se maintiendrait conformément à son essence. C’est là une forme d’illusion très tentante, en particulier dans le domaine français, où Rousseau a établi une sorte de modèle qui a longtemps obsédé les autobiographes. Il est réconfortant pour le critique de trouver une ‘origine’ qui permette de séparer nettement un ‘avant’ (qu’il appellera protohistoire comme l’a fait W. Shumaker, ou préhistoire comme je l’ai fait), d’un ‘après’, dans une perspective messianique : ‘Enfin Rousseau vint…’ ». Selon Y. Coirault, « Autobiographie et Mémoires (XVIIe –XVIIIe siècle), ou existence et naissance de l’autobiographie », p. 940 : « la littérature autobiographique, si j’ose ainsi parler, fait boule de neige. Mais la neige précède la boule ».

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peu des recherches effectuées s’intéressent aux Mémoires écrits par des hommes ou par des femmes qui ont joué un rôle mineur sur la scène publique. Plus rares encore sont celles qui examinent les Mémoires de la première moitié du dix-huitième siècle. Les quelques études qui ont comblé ces lacunes montrent pourtant que l’indifférence de la critique appelle un réexamen. Dans l’introduction à la bibliographie, Mémoires français

du règne de Louis XV, Frédéric Charbonneau fait ainsi porter son analyse sur les

Mémoires du dix-huitième siècle composés avant les Confessions. En mettant l’accent sur des mémorialistes qui étaient historiquement insignifiants – des précurseurs des

Confessions (selon lui, certains traits paraissent les annoncer, telle l’importance accordée

à la vie privée et particulièrement à l’enfance5) –, Charbonneau donne une idée de la

richesse de ces œuvres négligées.

Quantité d’autres sujets sont abordés. Mais alors que les études suivent de nombreux axes de recherche (la réception du genre6, sa place au sein de la littérature7, les

convergences entre les Mémoires et d’autres genres8, l’émergence du moi privé9, les

Mémoires féminins10, la vérité11, l’inoubliable12, l’idée d’opposition13, pour n’en nommer

                                                                                                               

5 F. Charbonneau, Mémoires français du règne de Louis XV, p. 11-12.

6 Voir Y. Coirault, « Destin des mémorialistes » (publié en 1985), F. Charbonneau « Les Mémoires écrits sous le règne de Louis XV ou de la difficulté d’être reçu » (2009) et F. Charbonneau, Mémorialistes français du règne de Louis XV, (2011).

7 Voir F. Briot, « Les Mémoires d’Ancien Régime ou l’invention d’un genre mineur » (1996).

8 Voir M. Fumaroli, « Les Mémoires du XVIIe siècle au carrefour des genres en prose » (1971) et N. Kuperty-Tsur, « Justice historique et écriture mémorialiste » (2000).

9 Voir H. Kleber, « L’émergence du moi privé dans les Mémoires du XVIe siècle et du XVIIe siècle » (2008) et M.-P. de Weerdt-Pilorge, « Moi privé, moi public, moi idéal dans quelques mémoires du XVIIIe siècle » (2008).

10 Voir F. Beasley, Revising Memory: Women’s Fiction and Memoirs in Seventeenth-Century France (1990), F. Watson, « Le moi et l’histoire dans les Mémoires de Mme de Motteville, Mme de la Guette et Mlle de Montpensier » (1991), H. Rossi, Mémoires aristocratiques féminins 1789-1848 (1998), C. Dornier, « Le baiser dans la tourmente révolutionnaire » (2004), A. Cron, « Larmes et identité féminine dans l’écriture mémorialiste : une corrélation problématique » (2007) et A. Cron, « Mineur(e)s parmi les mineurs : la rhétorique de la réticence dans les Mémoires féminins » (2009).

11 Voir Y. Coirault, « Mémoires et vérité, ou le double du mémorialiste » (1984), F. Briot, « Comment croire les mémorialistes sur parole ? » (1995) et J. Garapon et M.-P. De Weerdt-Pilorge (dir.), L’idée de

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que quelques-unes), elles se concentrent de nouveau sur les Mémoires du dix-septième siècle, souvent ceux écrits par de grandes figures historiques, ce qui mène à une compréhension incomplète du genre. Sans étudier en profondeur d’autres Mémoires, il est impossible de savoir si les observations sur ces sujets s’appliquent à tout le corpus ou seulement aux œuvres habituellement analysées. Il faut cependant noter que les études les plus récentes, remontant aux dix ou quinze derniers années, sont de plus en plus susceptibles d’éviter entièrement le dix-septième siècle. Les études de Nadine Kuperty-Tsur14, par exemple, se concentrent sur les Mémoires du seizième siècle. Damien

Zanone travaille sur le dix-neuvième siècle15. Et un certain nombre de chercheurs

s’intéresse aux Mémoires du dix-huitième siècle16 .

L’échec des littéraires à se dégager complètement de l’optique historienne et à examiner les Mémoires que celle-ci ignore a eu un autre effet néfaste. Les impasses de l’optique historienne ont fait converger l’attention des littéraires sur un nombre limité de sujets, qui entretiennent des liens étroits avec les œuvres habituellement abordées. Et leur attention y reste souvent fixée, même lorsqu’ils analysent d’autres Mémoires ; peu de chercheurs se sont demandés si d’autres thèmes étaient plus pertinents dans ces œuvres. Plus rares encore sont ceux qui envisagent que ces autres sujets puissent s’appliquer aux œuvres habituellement étudiées.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

vérité dans les Mémoires d’Ancien Régime : actes de la journée d’étude du group de recherches sur les Mémoires d’Ancien Régime (2004).

12 Voir J. Garapon (dir.), L’expression de l’inoubliable dans les Mémoires d’Ancien Régime (2005). 13 Voir M.-P. de Weerdt-Pilorge (dir.), L’idée d’opposition dans les Mémoires d’Ancien Régime : actes des journées d’études des 27-28 mai 2004 (2005).

14 Voir surtout N. Kuperty-Tsur, Se dire à la Renaissance.

15 Voir D. Zanone, Écrire son temps : les Mémoires en France de 1815 à 1848, « Le monde ou moi : les embarras poétiques des Mémoires historiques » et « Les Mémoires au XIXe siècle : identification d’un genre ».

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Nous souhaitons que la présente thèse rompe complètement avec ce biais. Les chapitres qui suivent porteront donc non seulement sur une période souvent écartée par la critique (le dix-huitième siècle), mais également sur un groupe de mémorialistes qu’elle passe fréquemment sous silence (les particuliers).

Certes, aucun mémorialiste n’est un particulier dans le sens le plus complet du mot. Si c’était le cas, ces individus auraient écrit leur autobiographie. Ce genre décrit l’histoire de la personnalité, comme le suggèrent ses origines grecques (autos [soi], bios [vie] et graphein [écrire]). Il est, comme le définit P. Lejeune, un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur la vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité »17. Bien que le terme

« autobiographie » n’apparaisse en français qu’au début du dix-neuvième siècle (vraisemblablement entre 1810 et 183518), il faut se rappeler que le mot n’est pas la chose

– l’autobiographie, ou les prémices de l’autobiographie, auraient pu exister sous un autre nom – et que le terme est une construction savante, non pas littéraire. Très peu d’autobiographies sont désignées par ce titre générique. Les Mémoires, par contre, présentent l’histoire publique sous un angle particulier. Selon le Furetière,

MEMOIRES, au pluriel, se dit des Livres d’Historiens, écrits par ceux qui ont eu

part aux affaires ou qui en ont esté témoins oculaires, ou qui contiennent leur vie ou leurs principales actions : Ce qui répond à ce que les Latins appelloient

commentaires19.

Leurs auteurs ont deux visées principales qui sont plus ou moins présentes dans chaque texte : offrir leur témoignage au lecteur tout en plaidant leur cause ou celle de leurs proches quant au rôle qu’ils ont tenu dans les événements.

                                                                                                               

17 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, p. 14.

18 Voir A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, Paris, Le Robert, 1992. 19 A. Furetière, « MEMOIRES », dans Dictionnaire universel contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, 1690.

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Il existait cependant des mémorialistes qui étaient la plupart du temps en marge de la sphère publique – des hommes de lettres, des spirituels et des femmes – et dont la vie se déroulait le plus souvent dans la sphère privée. Plusieurs de ces auteurs décrivent en détail cette partie de leur existence, donnant à leur œuvre une dimension « autobiographique » avant la lettre. Son importance varie certes selon le texte examiné, mais, au fil du dix-huitième siècle, le témoignage sur soi commence lentement à éclipser le témoignage historique. Ce sont ces mémorialistes que nous qualifions de particuliers par opposition à ceux qui se concentrent principalement sur les événements de la sphère publique, et qui écrivent des Mémoires publics.

Cinq Mémoires écrits par les particuliers serviront de base à cette étude : les Mémoires de Pierre-Daniel Huet, de Valentin Jamerey-Duval, de Madame de Staal-Delaunay, de Jean-Jacques Rousseau20 et de Madame Roland. Non seulement ces cinq

œuvres ont été écrites à des dates qui s’échelonnent tout au long du dix-huitième siècle21,

mais elles ont été écrites par des femmes ou par des hommes de lettres, deux catégories importantes de particuliers.Nous n’aborderons pas avec elles les Mémoires rédigés par des spirituels, qui constituent une troisième catégorie de particuliers : leurs caractères propres, leur croyance en la providence divine surtout, rendent la comparaison difficile. Nous souhaitons également que cette thèse comble une lacune engendrée par l’optique historienne, en particulier le nombre restreint des sujets actuellement examinés                                                                                                                

20  Le témoignage sur soi est clairement prédominant dans les Confessions, la raison pour laquelle cette œuvre est souvent désignée par le terme « autobiographie ». Il faudrait cependant se rappeler que, d’une certaine manière, Rousseau cherche, lui aussi, à présenter l’histoire publique sous un angle particulier. L’histoire qu’il tente de réécrire est cependant la sienne : il n’est pas l’homme que ses « ennemis » présentent au public. Autrement dit, le témoignage historique et le témoignage sur soi sont une seule et même chose. De plus, cet auteur se sert à quelques reprises du terme « Mémoires » pour qualifier les Confessions.

21 Pierre-Daniel Huet (1712-1718), Valentin Jamerey-Duval (1733-1747), Madame de Staal-Delaunay (1735-1741), Jean-Jacques Rousseau (1765-1770) et Madame Roland (c. 1793).

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par la critique. Dans les chapitres qui suivent, nous analyserons les passions exprimées par les mémorialistes, un sujet qui n’a généralement pas suscité l’intérêt des littéraires malgré son importance dans certains Mémoires. Il ne faut pas croire qu’elles sont passées complètement inaperçues ; on reconnaît en effet généralement que les passions font partie du texte mémorial. Selon A. Coudreuse et B. Delignon, par exemple, « les écritures du moi semblent être un lieu privilégié de la mise en discours des passions »22. Et La

poétique des mémoires fait parfois référence aux passions dans un texte mémorial :

« Mademoiselle dépeint ses chagrins, ses colères, ses désirs, ses haines, mais elle n’annonce pas que ses pensées sont le sujet de ses Mémoires »23. Mais les études sur les

passions dans le texte mémorial ne sont pas nombreuses. La plupart touchent aux Mémoires, mais elles ne se concentrent pas entièrement sur ces œuvres. Érudition et

passion dans les écritures intimes, par exemple, livre dirigé par la chercheuse Manon

Brunet, examine « la conjonction inextricable entre l’érudition et la passion dans les écritures intimes »24. Les Mémoires font partie de ces œuvres, certes, mais ils ne sont pas

le seul centre d’intérêt. D’autres genres, tels que le journal intime et la correspondance, font aussi partie de l’étude. Le même phénomène peut être perçu dans Robert Challe et

les passions. Les passions sont examinées dans la production entière de cet auteur, pas

seulement dans ses Mémoires. L’envergure possible d’un sujet qui a été quasiment passé sous silence est considérable ; il fallait la réduire. Nous nous concentrerons sur le lien entre les passions et la mémoire, ce que les mémorialistes incluent et excluent de leurs œuvres, sujet suggéré indirectement par J. Garapon :

                                                                                                               

22 A. Coudreuse et B. Delignon, « Le voile de Timanthe », dans A. Coudreuse et B. Delignon (dir.), Passion, émotion et pathos, p. 5.

23 E. Lesne-Jaffro, La poétique des mémoires (1650-1685), p. 271.

24 M. Brunet, « Présentation : l’érudition à fleur de peau », dans M. Brunet (dir.), Érudition et passions dans les écritures intimes, 10.

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L’inoubliable dit en effet l’autonomie du passé et sa survie dans le présent, son jaillissement, sa présence insistante, presque autoritaire dans le temps de l’écriture ; mais l’inoubliable dit aussi la puissance de la remémoration, et au fond les virtualités orphiques de l’écriture liée à la mémoire, accompagnée de joie ou de douleur, toujours d’émotion25.

Après avoir défini le mot passions, nous examinerons les façons multiples dont les mémorialistes expriment l’affectivité. Nous espérons non seulement attirer l’attention sur les diverses manières qu’ont les mémorialistes d’exprimer l’affectivité, mais aussi expliquer pourquoi, en dépit de cette richesse, nous avons décidé de limiter notre enquête aux passions qui sont directement exprimées (CHAPITRE UN). Nous diviserons ensuite les

passions dans les catégories suivantes : agréable, désagréable, mixte et ambivalente (une division appuyée par les traités de l’époque et par l’Encyclopédie). Nous verrons que les passions agréables et ambivalentes (telles que la joie, l’espérance, l’admiration et l’étonnement) surpassent largement en nombre les passions désagréables et mixtes (la tristesse, la crainte, la colère et la pitié, par exemple) (CHAPITRE DEUX). Cette préférence

intéressante n’est pas anodine. Elle influence les sujets que les mémorialistes abordent. Il y a d’abord, ce qui est évident. Ces passions sont les plus susceptibles d’être celles dont les auteurs veulent se souvenir. Mais elle influence la mémoire d’une autre manière, plus profonde peut-être, mais moins apparente. Les passions ne sont pas des entités autonomes, elles s’attachent infailliblement à quelque chose. Les objets qui provoquent les passions agréables et ambivalentes reviennent donc plus fréquemment dans le texte. Comme nous le montrerons, ils ne sont pas complètement disparates. Dans la majorité des cas, une passion s’attache à un nombre limité d’objets. Nous verrons aussi que des objets insignifiants et des sujets inattendus font partie des Mémoires : sans leur rapport                                                                                                                

25 J. Garapon, « Avant-propos », dans J. Garapon (dir.), L’expression de l’inoubliable dans les Mémoires d’Ancien Régime, p. 10.

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aux passions, il est peu probable que la plupart apparaîtraient dans le texte mémorial. Pour ce faire, un lien entre les passions fortes et l’inoubliable sera examiné. (CHAPITRE TROIS). Nous verrons cependant que les passions n’influencent pas seulement ce dont les

mémorialistes se souviennent, mais comment ils s’en souviennent, déteignant ainsi subtilement sur le rythme du texte. Pour établir l’influence de ces passions sur le rythme mémorial, nous utiliserons une approche macrotextuelle. Après avoir calculé la vitesse de chaque unité narrative, nous nous concentrerons d’abord sur les unités dont la vitesse s’écarte le plus de la moyenne tant vers le haut que vers le bas. Si les passions influencent le rythme des Mémoires, une tendance devrait généralement se manifester. Dans l’unité la plus lente, la fréquence à laquelle les passions agréables sont exprimées devrait généralement dépasser la fréquence moyenne à laquelle elles apparaissent dans le texte. Dans l’unité la plus rapide, l’inverse devrait être vrai. La fréquence à laquelle les mémorialistes expriment les passions désagréables devrait être supérieure à la fréquence moyenne de leur expression (CHAPITRE QUATRE).

Bien que nous envisagions notre corpus comme un tout cohérent, il faudrait mentionner que les titres de nos œuvres varient, indiquant la tradition à laquelle l’auteur (ou l’éditeur) les rattache. Selon F. Charbonneau,

le terme "Mémoires" s’ajuste à une variété de textes, il est des œuvres que nous identifions comme telles et qui pourtant n’en portent pas le titre. Le phénomène est d’autant plus complexe que la majorité des mémorialistes n’ayant connu la publication qu’à titre posthume, les éditeurs de toute époque ont eu beau jeu de modifier ces titres, qu’en l’absence de manuscrit autographe il est parfois impossible de restaurer. Le territoire reste ainsi mal délimité et surgit au croisement de traditions multiples [...] les termes disponibles ont au moins trois domaines d’origine : les deux Antiquités et le Moyen Âge. Au domaine gréco-latin se rattachent en gros les Vies (Plutarque, Suétone) – qui peuvent, au prix d’un glissement, être écrites ou dictées par l’intéressé – et les Commentaires

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(César) ou Mémoires ; au domaine paléo-chrétien, les Confessions (Augustin) ; au domaine médiéval enfin, les Chroniques ou les Journaux (Suger, Froissart) 26.

Ainsi les textes de Jamerey-Duval, de Madame de Staal-Delaunay et de Madame Roland, portent le titre « Mémoires » (Mémoires. Enfance et éducation d’un paysan au XVIIIe

siècle, Mémoires de Madame de Staal-Delaunay sur la société française au temps de la régence, Mémoires de Madame Roland). L’œuvre de Huet s’intitule Commentarius de Rebus Ad Eum Pertinentibus, celle de Rousseau Confessions. Quand le titre est

clairement le choix de l’auteur – c’est le cas des Commentarius (Huet) et des Confessions (Rousseau) – il nous renseigne sur l’esprit et la visée de l’œuvre, ainsi que sur l’incidence des passions.

Quoique le titre choisi par Huet – Commentarius – soit le mot latin pour

Mémoires, comme le rappelait Furetière dans sa définition27, le choix d’écrire en cette

langue n’est pas anodin. En fait, Huet « écrit coup sur coup son Commentarius en latin et son Huetiana en français, reprenant déclarations et anecdotes du premier dans le second, pour deux auditoires distincts »28. En choisissant le latin, Huet signale son attachement à

la République des Lettres, une république qui était, selon lui, en voie de disparition. Les passions qu’il exprime témoignent de cet attachement. Huet évoque souvent son amour des hommes et des femmes dont la République est/était composée. De même, la douleur, provoquée par la mort de ces individus, occupe une place importante chez lui.

En se servant du titre Confessions, Rousseau rattache son œuvre au domaine paléo-chrétien et aux Confessions d’Augustin, une filiation que l’auteur lui-même affirme dès les premières lignes de son œuvre :

                                                                                                               

26 F. Charbonneau, Les silences de l’histoire, p. 8-9. 27 Ibid., p. 7.

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Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai ce livre à la main me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon [...] Je me suis montré tel que je fus, méprisable et vil quand je l’ai été, bon, généreux, sublime, quand je l’ai été : j’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même. Etre éternel, rassemble autour de moi l’innombrable foule de mes semblables : qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémissent de mes indignités, qu’ils rougissent de mes miséres29.

Une telle filiation suggère que certaines passions, notamment le repentir et le remords (provoqués par les fautes commises), devraient prédominer chez ce mémorialiste. Bien que le lecteur anticipe l’importance de ces passions, ses attentes seront largement déçues. Le repentir et le remords occupent une place insignifiante dans les Confessions à la différence du plaisir et du désir, les passions les plus souvent exprimées. Le lecteur se rend rapidement compte que le titre de cette œuvre n’est qu’une devise rhétorique utilisée par Rousseau afin de se disculper. Cet auteur a certes commis des « fautes », qu’il détaille tout le long des son texte, mais il le fait uniquement pour montrer qu’il est néanmoins innocent : ses fautes sont le résultat d’un monde corrompu ou elles ne sont que de simples erreurs.

Une dernière remarque mettra fin à ces premiers pas vers une analyse de l’affectivité mémoriale. Le genre mémorial est d’une envergure plus vaste que ne le suggère la critique actuelle. Si nous réussissons non seulement à rompre avec l’optique historienne, mais aussi à établir l’intérêt d’un sujet qui demeure quasiment inexploré, notre thèse aura commencé à faire voir l’aberration que constitue la négligence d’une partie du corpus mémorial. Il faut selon nous combler cette lacune ou faire le deuil des nuances d’un genre dont la connaissance restera alors incomplète.

 

                                                                                                               

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« Les mouvemens de cette passion, lors qu’elle est simple, sont fort doux & simples, car le front sera uni, les sourcils un peu élevés du côté que se trouve la prunelle, la tête inclinée vers l’objet qui cause de l’amour, les yeux peuvent être mediocrement ouverts, le blanc de l’œil fort vif & éclatant, la prunelle doucement tournée du côté où est l’objet, elle paroîtra un peu étincelante & élevée, le nez ne reçoit aucun changement, de même que toutes les parties du visage [...] la bouche doit être un peu entr’ouverte, & les coins un peu élevés ».

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Le langage des passions

Sa richesse et ses difficultés

« S’il m’arrivait d’entendre quelqu’un lire un conte, je portais une envie extrême à cette personne-là, me figurant mille plaisirs, du moment que je pourrais de moi-même, et sans l’aide d’autrui, lire et m’amuser comme elle »1. « Je trassaillois de joye à l’aspect

d’un bois, d’une fontaine ou d’un paysage agréable ; la rougeur de mon visage et les larmes que je versois dans ces occasions marquoient l’excèz de mon contentement de meme que ma sensibilité pour les plaisirs naturels et champêtres »2. « Je passai plusieurs

années dans les pénibles alternatives que j’ai marquées, sans être un moment d’accord avec moi-même. Je perdis pendant ce temps-là les personnes qui m’étaient les plus chères : le marquis de Silly, par une mort affreuse dont je ne veux pas renouveler le souvenir »3. « C’est d’ici que je date ma première connaissance avec mon vieux ami

Gauffecourt, qui m’est toujours resté, malgré les efforts qu’on a faits pour me l’ôter. Toujours resté ! non. Hélas ! je viens de le perdre »4. « Je me dérobe à la surveillance de

mes gardiens frappés, je sors impétueusement : ma mère ! ... elle n’était plus ! »5.

L’envie, la joie, vraisemblablement la tristesse et le désespoir, voici les passions qui se manifestent dans les extraits ci-dessus. Mais la manière avec laquelle elles sont exprimées varie, et parfois considérablement. Les mémorialistes ne déclarent pas toujours ouvertement ce qu’ils ont ressenti (ou ressentent au moment de la rédaction), ils ne le nomment pas toujours. Ils peuvent ainsi s’exprimer par le corps ou par des figures

                                                                                                               

1 P.-D. Huet, Mémoires, p. 8.

2 V. Jamerey-Duval, Mémoires. Enfance et éducation d’un paysan au XVIIIe siècle, p. 113.

3 Madame de Staal-Delaunay, Mémoires de Madame de Staal-Delaunay sur la société française au temps de la régence, p. 221-222.

4 J.-J. Rousseau, Confessions, p. 212.

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rhétoriques. Le son de la voix, les silences du texte aussi bien que l’évocation de mondes contrefactuels peuvent également en être une manifestation. Dans les pages qui suivent, nous examinerons différentes manières par lesquelles les passions se manifestent dans les Mémoires ; nous montrerons aussi pourquoi, en dépit de cette richesse, nous avons décidé de limiter notre enquête aux passions qui sont directement exprimées.

Avant de poursuivre cette piste et de mener à bien cette enquête, il convient de définir ce que nous voulons dire lorsque nous employons le terme passion. La signification du mot a subi certains changements. En français moderne, le mot passion ne sous-entend plus la passivité ; il possède au contraire « une valeur active et positive, pour désigner une affection violente, voire un goût vif : c’est avec ces connotations qu’on parle d’amour-passion »6. Emprunté au latin passio, -onis, qui vient du verbe pati

(souffrir7), il est passé en français au dixième siècle. Mais seul le sens religieux

« supplice subi par un martyr » est alors retenu. Trois siècles plus tard, sa définition s’étend, pour inclure les souffrances physiques aussi bien que les affections de l’âme. Selon une conception toujours dominante sous l’Ancien Régime, l’âme est passive ; elle

souffre ces affections. Dans cette acception, passion peut être rapproché de pathos (grec)

et ses dérivés.

                                                                                                               

6 A. Rey, « PASSION », dans le Dictionnaire historique de la langue française, vol. 2, 1992.

7 « PASSION n. f. est emprunté très précocement (v. 980, Passion) au latin passio, -onis, formé sur passum, supin du verbe pati ‘souffrir’ (pâtir). Son emploi étant attribué une première fois par le grammairien Charisius (IVe s.) à Varron au sens de ‘douleur morale’, passio est réellement attesté depuis le IIe s. (Apulée)

au sens de ‘fait de subir, de souffrir, d’éprouver’. Il est employé pour ‘action de subir de l’extérieur’ s’opposant à natura (nature). Le mot désigne spécialement la souffrance physique, la douleur, la maladie (IIIe s.) et il est employé en latin chrétien pour désigner les souffrances du Christ (textes patristiques depuis

Tertullien) et celles des martyrs (397, concile de Carthage), puis, par métonymie, le dimanche avant Pâques où est commémorée la crucifixion (VIIe s.) À partir de la fin du IIIe s., passio connaît un emploi actif au sens de ‘mouvement, affection, sentiment de l’âme’ (Arnobe, saint Augustin), spécialement au pluriel et avec une valeur péjorative : ‘les passions’ (passiones peccatorum, passiones carnales) ; il traduit alors le grec pathos (pathos) » (Ibidem.).

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Ainsi, la manière dont on perçoit les passions a varié considérablement au cours des siècles8. Selon certains philosophes, tels Aristote, elles sont des entités neutres – en

soi, elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, ni vertueuses ni vicieuses9. La philosophie

aristotélicienne ne donne cependant pas libre cours aux mouvements de l’âme. La vertu consiste à les réguler, à trouver la voie du milieu entre les « vices » que sont l’excès et le manque10. Cicéron et Sénèque en avaient une conception très différente, manifeste dans

les Tusculanes et De la colère. Ces deux auteurs les considèrent comme des ébranlements ou des maladies de l’âme, une idée répandue parmi les Stoïciens. Selon cette école philosophique, les êtres humains sont des êtres rationnels. Et c’est sur cette rationalité que se fonde une vie vertueuse. Les passions doivent être réprimées puisqu’elles viennent couvrir la logique d’un voile dont l’opacité change selon l’intensité de la passion. Il n’y a aucune circonstance qui puisse justifier leurs présence chez les vertueux. Ni le meurtre du père, ni même le viol de la mère ne justifie d’y céder.

Comment ! dit-on, un homme vertueux ne s’irrite pas, s’il voit frapper son père, ravir sa mère ?

- Il ne s’irritera pas, mais il vengera, il protégera. Crains-tu donc qu’à défaut de la colère, la piété filiale ne soit pour lui un trop faible aiguillon. Tu peux aussi bien dire : « Comment ! En voyant mettre en pièces son père ou son fils, l’homme vertueux ne pleurera pas et ne tombera pas en défaillance ». C’est ce que nous voyons faire aux femmes, au soupçon du plus léger péril. L’homme vertueux                                                                                                                

8 L’introduction d’Emotions and Choice from Boethius to Descartes passe aussi en revue plusieurs théories de passions (y compris celles d’Aristote, des stoïciens, d’Augustin et de Thomas d’Aquin). Les auteurs, H. Lagerlund et M. Yrjönsuuri, s’intéressent particulièrement au rôle attribué à l’affectivité dans le processus décisionnel. Sur ces différentes théories, voir également : J. Brachtendorf, « Cicero and Augustine on the Passions » ; S. Braund et C. Gill (dir.), The Passions in Roman Thought and Literature ; J. Fitzgerald (dir.), Passions and Moral Progress in Greco-Roman Thought ; L. Gerson, Aristotle : Critical Assessments ; R. Miner, Thomas Aquinas on the Passions: A Study of Summa Theologiae 1a2ae 22-48 ; et C. Talon-Hugon, Les passions : analyse de la notion, études de textes : Ciceron, saint Thomas, Descartes, Hume.

9 Avec certaines exceptions. « Mais toute action n’admet pas la médiété, ni non plus toute affection, car pour certaines d’entres elles leur seules dénomination implique immédiatement la perversité, par exemple la malveillance, l’impudence, l’envie, et dans le domaine des actions, l’adultère, le vol, l’homicide : ces affections et ces actions, et les autres de même genre, sont toutes, en effet, objets de blâme parce qu’elles sont perverses en elles-mêmes, et ce n’est pas seulement leur excès ou leur défaut que l’on condamne » (Aristote, Éthique à Nicomaque, p. 114).

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accomplira son devoir sans trouble, sans frémissement et agissant en homme vertueux, il n’agira jamais qu’en homme. Mon père va-t-il être frappé ? Je le défendrai. L’a-t-il été ? Je le vengerai par devoir, non par ressentiment11.

Dans toutes choses, les êtres humains doivent rester neutres, ou stoïques.

La liste des passions attribuées aux êtres humains est aussi sujette à variation au cours de l’histoire. Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote mentionne l’appétit, la colère, la crainte, l’audace, l’envie, la joie, l’amitié, la haine, le regret de ce qui a plu, la jalousie et la pitié12. Dans la Rhétorique, c'est en revanche la colère et son contraire, le calme,

l’amitié et la haine, la crainte et la confiance, la honte et l’impudence, l’obligeance et la désobligeance, la pitié et l’indignation, l’envie et l’émulation (qui peut aussi devenir le mépris) qu’il nomme13. Dans les Tusculanes, Cicéron, qui utilise les définitions et la

taxinomie des Stoïciens, affirme qu’il y a quatre passions principales ; le désir et la joie, qui se rapportent au bien (le désir à un bien futur et la joie à un bien présent) et la crainte et le chagrin, qui se rapportent au mal (la crainte à un mal futur et le chagrin à un mal présent). Il énumère aussi leurs subdivisions : la joie – la malveillance, le ravissement, la vantardise ; le désir – la colère, l’emportement, la haine, l’intimité, la rancune, l’insatiabilité, l’impatience ; la crainte – la paresse, la honte, l’effroi, la peur, l’épouvante, le saisissement, le bouleversement, l’appréhension ; le chagrin – l’invidentia (ou l’envie)14, la jalousie, la rivalité, la pitié, l’angoisse, le deuil, l’affliction, l’abattement, la

                                                                                                               

11 Sénèque, De la colère, p. 15.

12 Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, p. 107. 13 Voir Aristote, Rhétorique, p. 61-90.

14 Cicéron utilise le mot invidentia. « Cicero here coins the word invidentia “envying” as a way of resolving a linguistic ambiguity. It is not possible to use the expression incidere in invidiam in parallel to the terms already used, since cadere in invidiam regularly means to incur envy, rather than to feel it. The new term is based on the verb stem and is thus more suggestive of agency » (voir les commentaires de M. R. Graver dans Cicero, Cicero on the Emotions: Tusculan Disputations 3 and 4, M. R. Graver (éd.), Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 89).

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souffrance, la désolation, l’inquiétude, la peine, l’accablement, le désespoir15. Comme

Cicéron, saint Augustin perçoit aussi quatre passions principales chez les êtres humains : la crainte et le désir, la joie et la tristesse16. À la base de ces passions se trouve l’amour17.

Thomas d’Aquin divise les passions en deux catégories : le concupiscible (qui se compose des paires suivantes : l’amour et la haine ; le désir ou concupiscence et la fuite ou aversion ; le plaisir ou joie et la douleur ou tristesse) et l’irascible (l’espérance et le désespoir ; l’audace et la crainte ; la colère)18. Les passions concupiscibles existent pour

pousser les êtres humains au bien et les éloigner du mal. Les passions irascibles remplissent la même fonction, à une nuance près : le bien est difficile à atteindre, le mal est difficile à fuir. Selon la Somme théologique, l’amour est la pierre angulaire des passions, lesquelles n’existeraient pas sans lui :

Or dans les mouvements de l’appétit, le bien possède comme une force attractive, et le mal, une force répulsive. Et donc, le bien produit d’abord dans la puissance affective une sorte d’inclination ou d’aptitude au bien, une connaturalité avec lui ; c’est la passion de l’amour, qui a pour contraire la haine, dans l’ordre du mal. – Puis, si le bien n’est pas encore possédé, il donne à l’appétit du mouvement pour atteindre le bien qu’il aime, par la passion du désir ou concupiscence. A l’opposite, dans l’ordre du mal, on aura la fuite ou aversion. – Enfin, lorsque le bien est obtenu, il donne à l’appétit un certain repos en lui, qui a nom plaisir ou

joie. Dans l’ordre correspondant du mal, on a la douleur ou la tristesse. Dans les

passions de l’irascible est présupposée l’aptitude ou inclination à poursuivre le bien ou à fuir le mal, laquelle appartient au concupiscible, qui regarde d’une façon absolue le bien ou le mal. A l’égard du bien non encore atteint nous avons l’espoir et le désespoir ; à l’égard du mal non encore présent, la crainte et l’audace. Il n’y a pas, dans l’irascible, de passion qui ait rapport au bien possédé, car ce bien, avons-nous dit, ne présente plus de difficulté. Mais le mal effectivement présent déclenche la passion de colère19.

                                                                                                               

15 Voir Cicéron, Tusculanes, p. 59-62.

16 Voir saint Augustin, La cité de Dieu, vol. 3, p. 65.

17 Ibid., p. 68 : « S’il [l’amour] se porte vers quelque objet, c’est le désir ; s’il en jouit, c’est la joie ; s’il en détourne, c’est la crainte ; s’il le sent malgré lui, c’est la tristesse. Or, ces passions sont bonnes ou mauvaises selon que l’amour est bon ou mauvais ».

18 Voir Thomas d’Aquin, Somme théologique. Les passions de l’âme ; 1a-2ae, questions 22-48, vol. 1, p. 38-41.

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Sous l’Ancien Régime, la conception des passions est complexe. Des influences diverses entrent en jeu : les théories des stoïciens, de saint Augustin, de Thomas d’Aquin20, pour n’en nommer que quelques unes21. Selon C. Talon-Hugon, deux discours

sur les passions coexistent : « celui des tenants d’une anthropologie traditionnelle et celui des partisans d’une anthropologie nouvelle »22.

D’une part, certains mémorialistes paraissent être « des tenants d’une anthropologie traditionnelle ». Dans leurs Mémoires, nous trouvons plusieurs références à la philosophie ancienne. La révélation que son bienfaiteur, M. le baron de Pfützchner, n’était pas différent du sage cherché par les Stoïciens amusait considérablement Jamerey-Duval. Non seulement le baron se caractérisait par « son extrême modération, sa prudence, son flegme et la maturité de son esprit et de sa raison »23, mais Jamerey-Duval

donne à penser qu’il admire son empire absolu sur les passions24. Dans les Confessions,

Rousseau se compare à un Cynique. « J’ai des passions très ardentes », écrit-il, « et tandis qu’elles m’agitent rien n’égale mon impétuosité ; je ne connois plus ni ménagement, ni respect, ni crainte, ni bienseance ; je suis cynique, effronté, violent, intrépide : Il n’y a honte qui m’arrête ni danger qui m’effraye. Hors le seul objet qui m’occupe l’univers n’est plus rien pour moi : mais tout cela ne dure qu’un moment et le moment qui suit me                                                                                                                

20 Selon L. Desjardins, Le corps parlant : savoirs et représentation des passions au XVIIe siècle, l’école

thomiste dominait au dix-septième siècle (voir. L. Desjardins, Le corps parlant : savoirs et représentation des passions au XVIIe siècle, p. 3).

21 V. Aucante, « La démesure apprivoisée des passions », donne une idée de ces influences. Voir aussi C. Talon-Hugon, Les passions rêvées par la raison et l’introduction d’Emotions and Choice from Boethius to Descartes écrit par H. Lagerlund et M. Yrjönsuuri.

22 C. Talon-Hugon, Les passions rêvées par la raison, p. 14. 23 V. Jamerey-Duval, Mémoires, p. 279.

24 Voir ibidem. Jamerey-Duval se réfère aussi à la théorie de Platon : « J’ai toujours sû bon gré à Platon de s’être efforcé de développer notre intérieur et de nous faire connoître à nous mêmes. Pour y réussir, il s’avisa de partager nôtre ame en trois parties : la raisonnable, l’irascible et la concupiscible, et assigna à chacune d’elles les appétits et les passions qu’il crût leur convenir » (Ibid., p. 383-384). Le mémorialiste fait allusion à la division tripartite de l’âme proposée par Platon dans La République.

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jette dans l’anéantissement »25. La déclaration faite par Rousseau (selon laquelle il ne

connaît ni ménagement, ni respect, ni bienséance, et ne ressent ni crainte, ni honte, ni effroi) cadre bien avec le Cynisme. Selon David Aune, le Cynisme se caractérise par la liberté – l’affranchissement des lois, du gouvernement, de la coutume et des passions26.

Quant à Huet, il fait référence aux idées de Descartes pour se prononcer contre une partie importante de sa doctrine des passions : la glande pinéale n’est pas, selon lui, le siège de l’âme27.

D’autre part, certains (parfois les mêmes mémorialistes) paraissent être des « tenants d’une anthropologie nouvelle ». Jamerey-Duval mentionne aussi Les passions

de l’âme ou, comme il l’appelle, « le Traité que le célèbre Descartes a fait sur les

passions et ou il a tâché d’en expliquer le méchanisme »28. Dans ses Mémoires, il décrit

comment il a eu recours au traité de Descartes pour identifier une passion qui le troublait :

La quatrième et dernière fois que je fus chez cette charmante personne, il me parut que ses attraits étoient le double plus touchants que je ne les avois remarqués jusqu’alors. Comme on étoit prêt de se mettre a table, elle m’invita de m’asseoir auprès d’elle. Cette faveur me pénétra de joye la plus vive que l’on puisse représenter. Mais a peine eus je pris place qu’un tremblement général s’empara de moi de telle facon que tous les convives s’en apercurent et m’ayant demandé ce que j’avois, je leur répondis que je l’ignorois, mais d’un ton de voix aussi entrecoupé que si le frisson de la fièvre m’eut agité. Voyant que je ne pouvois manier ma cuiller ni couper du pain qu’en tremblottant, je feignis de me trouver mal pour avoir le prétexte de sortir et de retourner chez moi, comme je fis                                                                                                                

25 J.-J. Rousseau, Confessions, p. 36. (Dans cette citation le terme passions ne signifie pas émotions mais affections violentes. Voir le Dictionnaire de l’Académie française : « PASSION signifie quelquefois,

L’affection violente qu’on a pour quelque chose que ce soit. Il a une grande passion pour les tableaux, pour les médailles. Il a la passion des médailles, des tableaux » (Académie Française, « PASSION », dans

Dictionnaire de l’Académie française, 1762).

26 Voir D. Aune, « The Problem of the Passions in Cynicism », dans J. Fitzgerald (éd.), Passions and Moral Progress in Greco-Roman Thought, p. 50.

27 Voir l’Abbé Flottes, Étude sur Daniel Huet, évêque d’Avranches, p. 142.

28 V. Jamerey-Duval, Mémoires, p. 397. Les autres mémorialistes connaissaient aussi la philosophie de Descartes. Voir, par exemple, Huet, Mémoires, p. 16 et p. 143-144, Madame de Staal-Delaunay, Mémoires, p. 34, Rousseau, Confessions, p. 237 et Madame Roland, Mémoires, p. 392.

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effectivement. Le tremblement cèssa lorsque je fus à quelque distance de la maison, mais lorsque je fus arrivé dans ma chambre, je commencay a réfléchir sur les causes d’un phénomène que je n’avois jamais éprouvé. Il me sembla que l’amitié étoit une passion trop sage et trop tranquille pour produire des mouvements si impétueux et si turbulents. Je voulus en connoitre la cause et malgré mes distractions, je lus avec plaisir le Traité que le célèbre Descartes a fait sur les passions et ou il a taché d’en expliquer le méchanisme. J’en remarquay plusieurs ou l’esprit n’avoit pas beaucoup de part et peut etre en aurois je eu une notion plus exacte si j’eusse possédé l’anatomie comme le sage Descartes. Je m’étois imaginé que je trouverois l’explication du tremblement en question à l’article de l’amitié, mais je n’y en remarquay aucun vestige. Ce fut précisément à l’article de l’Amour ou je le trouvay et dès lors ma passion cessa ses déguisements et je la pris pour ce qu’elle étoit29.

Son recours à la ciguë pour étouffer cette passions peut également être attribué aux

Passions de l’âme : « [J]e me souvins que Descartes avoit expliqué d’une manière fort

méchanique la passion dont j’étois agité, de facon qu’il la faisoit consister plutot dans la disposition du sang que dans celle de l’esprit. Ses idées a cet égard me firent penser que si je trouvois le moyen de changer la disposition actuelle de mon sang, que peut etre la passion qui me dominoit changeroit aussi »30. Jamerey-Duval trouve ce moyen, tout à fait

par hasard, dans un tome des Œuvres de saint Jérôme : il y découvre que les prêtres de Cérès d’Athènes utilisaient du jus de cigüe pour « garder la continence »31. Il lie cette

                                                                                                               

29 V. Jamerey-Duval, Mémoires, p. 396-397. Il apparaît cependant que Jamerey-Duval a mal lu Les passions de l’âme. Descartes affirme que la langueur peut provenir de l’amour. Il souligne que dans ce cas, comme pour les tremblements, elle est causée par l’absence d’esprits animaux dans les nerfs. Mais Descartes ne déclare pas que l’amour engendre des tremblements : « La langueur est une disposition à se relâcher et être sans mouvement, qui est sentie en tous les membres ; elle vient, ainsi que le tremblement, de ce qu’il ne va pas assez d’esprits dans les nerfs ; mais d’une façon différente : car la cause du tremblement est qu’il n’y en a pas assez dans le cerveau pour obéir aux déterminations de la glande lorsqu’elle les pousse vers quelque muscle, au lieu que la langueur vient de ce que la glande ne les détermine point à aller vers aucuns muscles plutôt que vers d’autres. Et la passion qui cause le plus ordinairement cet effet est l’amour joint au désir d’une chose dont l’acquisition n’est pas imaginée comme possible pour le temps présent ; car l’amour occupe tellement l’âme à considérer l’objet aimé, qu’elle emploie tous les esprits qui sont dans le cerveau à lui en représenter l’image, et arrête tous les mouvements de la glande qui ne servent point à cet effet. Et il faut remarquer touchant le désir que la propriété que je lui ai attribuée de rendre le corps plus mobile ne lui convient que lorsqu’on imagine l’objet désiré être tel qu’on peut dès ce temps-là faire quelque chose qui serve à l’acquérir » (R. Descartes, Les passions de l’âme, p. 98-99).

30 V. Jamerey-Duval, Mémoires, p. 400. 31 Ibidem.

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