Comptes rendus
Albert DEROLEZ, The Palaeography of Gothic Manuscript Book. From the Twelfth to the Early Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge U.P., 2003 ; 1 vol. in-8°, XXI-300 p., ill. (Cambridge Studies in Paleography and Codicology, 9). ISBN : 0-521-80315-2. Prix : GBP 80.
Est-il encore nécessaire de présenter A. Derolez ? Ancien conservateur des collec-tions spéciales de la bibliothèque de l’Université de Gand et professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles ainsi que de la Vrije Universiteit Brussel, A.D. a consa-cré sa carrière à l’étude des manuscrits et des écritures anciennes. Il est notamment l’auteur d’un livre consacré à la riche bibliothèque de l’abbé bibliophile Raphaël de Mercatellis (1437-1508) et est également l’éditeur du Corpus catalagorum Belgii (CBB), collection dédiée à l’édition des anciens catalogues de bibliothèques belges avant 1500. Le présent ouvrage est le fruit de nombreuses années de recherches au contact du livre médiéval.
La tâche qu’A.D. s’est assignée n’est pas mince. L’A. souhaite en effet établir une vaste typologie des différentes terminologies relatives aux écritures dites gothiques en usage en Europe entre le XIIe et le XVIe siècle, soit, selon A.D., « all late medieval scripts that are not Humanistic » (p. 10). Il fait ainsi échos aux souhaits énoncés lors du premier colloque du Comité International de Paléographie, tenu à Paris en 1953. G. Lieftinck avait alors proposé, dans un article qui a fait date, de développer une nomenclature des écritures gothiques des anciens Pays-Bas. Cependant, bien qu’il fasse preuve d’une grande objectivité, le système de Lieftinck a relativement vite montré ses limites : les trois catégories mise au point pour classer les principales écritures – Textualis, Cursiva et Hybrida – n’arrivent pas à rendre suffisamment compte de certaines variantes présentes au sein d’écritures du même type. En réaction, A.D. propose d’étendre ce système en élargissant ces concepts : il parle ainsi de Textualis,
Semitextualis, Cursiva (recentior), Cursiva Antiquior, Semihybrida et Hybrida. En outre,
il ne souhaite plus se confiner à l’espace formé par les anciens Pays-Bas, mais bien s’étendre à l’Europe entière.
Le matériel documentaire d’A.D. repose principalement sur la vaste entreprise européenne de catalogage des manuscrits médiévaux, mise en chantier à la suite de ce fameux premier colloque du Comité International de Paléographie : les Catalogues
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des manuscrits datés (CMD). Actuellement, pas moins de 45 volumes ont été publiés
dans différents pays, fournissant ainsi aux chercheurs des centaines de reproductions d’écritures médiévales.
Après une introduction méthodologique et une brève présentation de la fabri-cation du livre manuscrit au Moyen Âge, A.D. passe en revue, d’un point de vue chronologique, les différentes étapes qui ont jalonné l’histoire de l’écriture gothique. Il entame ainsi son propos par l’héritage de l’époque carolingienne et le termine avec l’arrivée de l’humanistique. À l’instar de Lieftinck, l’A. a retenu comme critère de classification la morphologie des lettres. Dès lors, pour chaque type d’écriture, les caractéristiques de chacune des lettres la composant ainsi que les particularités des abréviations et des ligatures en usage sont décrites individuellement. L’A. revient également sur les causes du passage d’une écriture à une autre.
Le pari d’A.D. était certes ambitieux, mais il ne fait aucun doute qu’il est réussi. Cet ouvrage, grâce à sa clarté et à son imposant corpus iconographique, deviendra très vite un manuel de référence non seulement pour tous ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’étude des manuscrits médiévaux, mais aussi pour les chercheurs confirmés.
Renaud ADAM PIERRE DE BLOIS, Ambitions et remords sous les Plantegenêts, trad. Egbert
TÜRK, Turnhout, Brepols, 2006 ; 1 vol., 731 p. (Témoins de notre Histoire). ISBN : 2-503-51805-3. Prix : € 65,00.
Bien qu’il n’ait pas été un acteur majeur ni un auteur de première importance, Pierre de Blois (vers 1130-1212) reste pour nous, par l’ampleur d’une œuvre compo-sée au cœur des évènements, l’un des meilleurs témoins de l’histoire du XIIe siècle. Fondé exclusivement sur sa très abondante correspondance, le livre publié par E. Türk en propose de larges extraits traduits, ordonnés selon un parcours biographique scandé en cinq grands chapitres : Avant 1166, qui rassemble le peu que nous pouvons connaître des années de formation, Le séjour à Palerme et ses conséquences (1166-1168), où est évoquée son expérience malheureuse comme précepteur du jeune roi de Sicile Guillaume II auprès de la reine et régente Marguerite et d’Étienne du Perche, éphé-mère archevêque de Palerme. Pierre de Blois entre deux pôles (1170-1190), plus long chapitre de l’ouvrage, illustre à la fois l’importance et l’ambiguïté de son séjour à la cour du roi Henri II, dont il fut un proche, non sans réticences sur les tentations et compromissions que comporte nécessairement la vie de courtisan. Le temps de
l’ins-tabilité (1190-1200) évoque la période d’une extrême complexité que constituent le
règne de Richard Cœur de Lion, si souvent absent de son royaume, et les premières années du règne de Jean sans Terre. Pierre, simple chanoine mais figure influente et respectée du haut clergé anglais, fournit un témoignage sans équivalent des conflits politiques qui déchirent alors un épiscopat très engagé dans le gouvernement du royaume. Le dernier chapitre, L’archidiacre de Londres, retrace les dernières années de sa vie, alors que Pierre, ayant renoncé à toute ambition épiscopale, cherche dans l’action pastorale et la réflexion théologique à prendre ses distances avec les vanités mondaines. Laissant de côté l’œuvre poétique et les traités théologiques et didacti-ques, l’ouvrage présente donc la traduction complète de 150 lettres, introduites par de courts chapitres historiques et historiographiques mettant en évidence les enjeux