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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Innovation et formation des ingénieurs. Quelques données fondamentales

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Academic year: 2021

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INNOVATION ET FORMATION DES INGÉNIEURS.

QUELQUES DONNÉES FONDAMENTALES

Jean MICHEL

Les formations d'ingénieurs sont nées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, en France, et plus tardivement dans d'autres pays européens, pour répondre à un besoin de compétences spécialisées pour la construction des infrastructures des pays et le développement de leurs industries. Des modè-les pédagogiques différents ont vu le jour dans modè-les divers pays, tenant compte des spécificités culturelles et se sont largement diversifiés depuis. Mais à moins de dix années de la fin du XXe siècle, que constate-t-on? La plupart des responsables politiques, économiques, industriels des pays (d'Europe ou d'ailleurs) s'interrogent sur l'avenir de leurs systèmes natio-naux de formation d'ingénieurs : difficile adaptation aux besoins de l'indus-trie, résistance forte à l'introduction de nouvelles filières ou modalités de formation, difficultés à suivre les évolutions sociologiques des pays indus-trialisés et à intégrer sérieusement de nouvelles perspectives (la libre mobi-lité des professionnels en Europe, l'accès généralisé à l'information grâce aux nouvelles technologies, la compétition économique mondiale, la néces-sité de la recherche).

En d'autres termes, les formations d'ingénieurs semblent ne pas assez inno-ver dans ce qui est l'essentiel et se contentent de préserinno-ver des positions ac-quises ou des rentes de situation, en vendant à grand renfort de "coups mé-diatiques", des gadgets pédagogiques ou programmatiques peu convaincants à terme.

Et pourtant la filière “formation des ingénieurs” reste une des mieux organi-sées du système enseignement supérieur et est souvent considérée comme un modèle à imiter. L’innovation y est bien une pratique sociale forte,

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qu’elle touche à la pédagogie, aux contenus enseignés ou à l’organisation même de la formation.

Mais aujourd’hui la question qui se pose aux responsables de ces forma-tions d’ingénieurs est de savoir s’il ne faut pas toutefois rechercher de nou-velles approches éducatives réellement contemporaines et efficaces, qui ar-ticulent mieux formation, information, méthodologie, compétitivité, culture et technologie ? N'est-il pas temps, pensent certains, de mettre sur pied des processus de transfert des savoirs qui s'affranchissent des murs des Écoles, qui surmontent les frontières géographiques, sociologiques et disciplinaires et qui permettent de former des équipes mixtes pluridisciplinaires efficaces, des groupes performants et non plus des individualités ?

1. INGÉNIEUR, OUI MAIS PLUS PRÉCISEMENT QUEL INGÉNIEUR ?

Il existe, de fait, des conceptions différentes du rôle de l'ingénieur, selon que l'on considère l'ingénieur comme un généraliste ou plutôt comme un spécialiste et selon que l'on situe cet ingénieur dans la sphère de la science, dans celle de la technique ou dans celle du management.

En Grande-Bretagne et dans les pays influencés par la tradition britannique, on considère notamment l'ingénieur comme un professionnel, "super tech-nicien", concevant ou gérant des objets techniques. D'engine à engineer , la liaison sémantique est directe, naturelle et très prégnante. Il existe dès lors dans ces pays de fortes institutions d'ingénieurs (par exemple The Institu-tion of Civil Engineers, créée en 1814 et dotée d’une charte royale) qui at-testent de la compétence technique des ingénieurs affiliés et éditent de nombreuses revues permettant l'actualisation permanente des savoirs pro-fessionnels techniques. Historiquement, la formation des ingénieurs y appa-raît souvent plus tardivement dans ces pays, les professionnels acquérant traditionnellement "sur le tas", dans l'entreprise, les connaissances ques nécessaires. La contrepartie de cette approche pragmatique et techni-cienne de la formation des ingénieurs est sans nul doute le faible intérêt porté par la société à ses propres ingénieurs, une relative dévalorisation du métier, ainsi que la méfiance des milieux professionnels à l'égard des insti-tutions universitaires formant les ingénieurs. A noter que dans le débat ac-tuel sur l'harmonisation des formations européennes et sur le titre d’Euro-ingénieur (EUR-ING) la tradition britannique avec une formation académi-que courte des ingénieurs (3 ans en général, 4 ans parfois) est perçue, par les collègues continentaux mais aussi par les britanniques eux-mêmes, comme un handicap important. En Grande-Bretagne, la primauté est donc accordée aux données et savoirs à caractère technologique et aux outils de transfert des savoir-faire pratiques.

Dans d'autres pays, comme par exemple en Allemagne ou dans certains pays d'Europe centrale ou d'Europe du Nord, l'ingénieur, traditionnellement, est avant tout un scientifique, c'est-à-dire un spécialiste de haut niveau d'une certaine discipline scientifique. Selon les schémas conceptuels introduits au

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début du XIXème siècle par Wilhelm von Humboldt, le travail de labora-toire et de recherche constitue une composante essentielle de la formation supérieure. L'ingénieur, formé dans les Universités techniques allemandes est en principe fortement "exposé" à la recherche et à la science, qu'elles soient fondamentales ou appliquées. En Allemagne, dans les Universités techniques, on est donc amené à insister sur la documentation à caractère scientifique et technique et sur le travail de laboratoire. La durée des études est généralement longue (6 à 7 ans) et le travail personnel est largement dé-veloppé. Mais depuis les années 70, l'Allemagne a diversifié ses formations et a introduit une nouvelle filière visant à former des ingénieurs de produc-tion, plus praticiens, directement opérationnels pour l'entreprise, et maîtri-sant parfaitement des technologies sectorielles. Cette formation raccourcie (3 ans et demi) est dispensée dans de nombreuses Écoles spécialisées (Fachhochschulen). Et on sait bien aujourd’hui que la compétitivité des en-treprises allemandes réside en grande partie dans l’existence de profession-nels compétents aux différents niveaux hiérarchiques de l’entreprise.

Dans la tradition française (que l'on retrouve dans certains pays latins, lati-no-américains et africains), l'ingénieur doit apporter une réponse globale à des besoins des hommes et de la société. L'ingénieur joue un rôle influant dans la société, véritable "assembleur" de techniques et gestionnaire ou ma-nager de ressources diverses. En France, on cherche notamment à faire prendre conscience aux étudiants des enjeux de l'information économique, industrielle ou stratégique et de l’importance des méthodes générales de résolution de problèmes. L’ingénieur est plus un être social que l’homme d’une discipline. La formation de l'ingénieur met donc l'accent sur la multi-disciplinarité et sur l'approche par les "besoins" et par l'économie. Elle s'ap-puie généralement sur un principe de forte sélection à l'entrée dans les Éco-les d'ingénieurs et s'organise sur une durée de 5 à 6 ans. Mais contrairement à l’approche allemande, les formations françaises d’ingénieurs ont long-temps boudé la recherche, l’ingénieur étant tout sauf un chercheur.

2. LE POIDS DES INSTITUTIONS DE FORMATION

Les formations d'ingénieurs, quels que soient les pays dans lesquels elles se développent, sont fortement marquées par les conditions d'apparition des premières institutions chargées, en Europe, de préparer les premières géné-rations d'ingénieurs "modernes".

Ainsi, en France, à partir du milieu du XVIIIème siècle, l'ingénieur, parfait honnête homme, est formé avec l'objectif essentiel de contribuer à la conduite des affaires du royaume, de l'État ou plus tard de la grande indus-trie. Cet ingénieur, membre de l'élite du pays, participe à la plupart des grandes aventures du XIXème Siècle, aventures industrielles, scientifiques ou coloniales.

Imprégnées d'idées saint-simoniennes, puis positivistes, les premières for-mations d'ingénieurs évoluent dans le sens d'un renforcement du pouvoir des ingénieurs sur le société française, mais également aussi dans le sens

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d'une division croissante ou arborescente des spécialités scientifiques et techniques, au point de rendre inéluctable la multiplication, voire même la prolifération, des Écoles d'ingénieurs. La loi de 1934, instituant un contrôle sur ces formations d'ingénieurs, témoigne, en ce sens, de la préoccupation des responsables politiques comme industriels du moment de reprendre le contrôle d'un processus de génération quasi spontanée des Écoles et autres officines voulant former des ingénieurs. En 1992, la situation n'a guère changé, si l'on observe les grands débats médiatiques français sur les nou-velles formations d'ingénieurs et surtout l'activité débordante de la Commis-sion des Titres d'Ingénieurs habilitant de nouvelles Écoles d'ingénieurs toujours plus spécialisées, sans parler de la création récente par le Ministère de l'Éducation nationale des nouveaux IUP, Instituts Universitaires Profes-sionnels. Comme un siècle plus tôt avec les chemins de fer vicinaux, chaque Préfecture, chaque sous-préfecture finira bien par obtenir son École ou sa filière de formation d'ingénieurs, spécialisée dans le traitement des maté-riaux sous atmosphère raréfiée mais néanmoins fractale ou dans l'intelli-gence sur-artificielle des conurbatiques du troisième ordre.

En d'autres termes, un modèle archaïque mais poussé à l'extrémité de sa lo-gique de développement, l'École d'ingénieurs, née dans le giron d'un pou-voir centralisateur soucieux de maintenir son contrôle sur les activités tech-niques, industrielles ou économiques du pays, reste une référence in-contournable en cette fin de XXème siècle, même si de nouveaux pro-grammes universitaires sont habilités à procurer des titres d'ingénieurs (mais de fait, la structure, les orientations et les pratiques pédagogiques y restent identiques à celles des traditionnelles Grandes Écoles).

La situation à l'étranger est très proche de ce qui est décrit ci-dessus, même si les points de départ et les modèles canoniques ou historiques diffèrent. Les universités techniques allemandes, anglaises, néerlandaises, espagnoles restent fondamentalement des machines à enseigner héritées d'un XIXème siècle positiviste. Dans l'Europe du Nord, ce modèle va même plus loin que le modèle français en matière de division et de partage des territoires de la connaissance, dans la mesure où la professionnalisation de l'enseignement et l'accent mis sur le développement de la recherche scientifique conduisent à une véritable balkanisation des disciplines, à la création de chapelles et de chasses gardées et progressivement à un abandon des objectifs pédagogi-ques et à une fuite vers les activités nobles de la recherche (un Herr Profes-sor-Doktor allemand est d’abord et avant tout le patron d’un Institut de re-cherche, à travers les activités duquel il dégage de bonnes marges bénéfi-ciaires). Ce dernier point préoccupe du reste très sérieusement les spécia-listes des États-Unis et du Canada qui s'aperçoivent avec frayeur et affir-ment dans de récents colloques que les grandes universités techniques ne forment pas vraiment les gens qualifiés et communicants nécessaires à l'in-dustrie nord-américaine.

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Point n'est besoin d'évoquer la situation catastrophique de la formation des ingénieurs dans les pays en développement, les constats faits dans les pays du Nord y sont là-bas autrement plus douloureux.

3. FORCES ET FAIBLESSES DES SYSTÈMES DE FORMATION Il n'est pas aujourd'hui abusif d'affirmer que les institutions de formation d'ingénieurs comprennent difficilement (et peut-être de moins en moins) les besoins réels et actuels des sociétés modernes, qu'elles ne participent pas aux vrais courants de transformation de ces sociétés (pensons aux évolu-tions des villes et de leurs banlieues ou encore à la nécessaire protection de l'environnement). Et si les Écoles et autres formations d'ingénieurs restent sourdes aux appels des responsables politiques ou industriels, la raison en est principalement qu'elles ne savent pas se dégager de leurs traditions aca-demico-scientifico-corporatives. Les contenus de formation, les jeux de pouvoir autour des partages des territoires disciplinaires, un enseignement basé sur le transfert reproductif des connaissances, sont autant de freins à une transformation profonde de la perspective éducative.

Des formations trop scolaires (pensons aux charges de travail des étudiants des Instituts Universitaires de Technologie, aux élèves des classes prépara-toires aux Grandes Écoles, aux surcharges en effectifs des grandes Univer-sités Techniques allemandes,...), l'incapacité à intégrer de façon moderne l'accès aux ressources informationnelles dans la formation des jeunes, l'ab-sence de programmes qui permettraient de préparer des équipes mixtes et trans-disciplinaires (des techniciens associés à des ingénieurs, des docu-mentalistes ou des sociologues,...), la difficulté quasi insurmontable à for-mer les futurs ingénieurs à certaines méthodologies du travail intellectuel efficace (du problem solving aux techniques de créativité, en passant par les heuristiques de l'information, l'analyse de système ou la conduite des grou-pes mixtes), telles sont quelques unes des critiques que l'on entend souvent à propos des formations d'ingénieurs dès lors que l'on dépasse le niveau de l'autosatisfaction nombriliste sereine.

Il est en revanche vrai que des efforts sont faits en permanence par divers acteurs du système pour tenter d'améliorer ou d'adapter ces formations d'in-génieurs. Ainsi, au cours des vingt dernières années a-t-on recouru plus systématiquement aux stages en entreprises, aux projets personnels, aux échanges avec des partenaires étrangers, aux activités extra-scolaires ou extra-universitaires ou encore à certains outils modernes dont notamment l'ordinateur, véritable maître à bord des Écoles d'ingénieurs. La formation continue a également connu un essor certain. Mais au fond la plupart de ces "innovations" ont existé et ont été mises en oeuvre tout au long des XVIIIème et XIXème siècles et on peut se demander si elles ne sont pas devenues aujourd'hui le signe le plus évident d'une médiatisation forcenée de ces affaires de formation d'ingénieurs. Quelle École d'ingénieurs pourrait avouer aujourd'hui à des journalistes avides de "scoops" sur la concurrence entre établissements de formation qu'elle ne procède pas à des échanges

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d'étudiants avec des partenaires européens, qu'elle n'envoie pas ses étudiants en stage dans les entreprises, qu'elle n'utilise pas les derniers développe-ments de l'intelligence artificielle ou qu'elle n'a pas de pépinière d'entrepri-ses.

Les Écoles et autres formations d'ingénieurs tombent de plus en plus sou-vent dans le travers d'un marketing de façade (voir à cet égard les énormes budgets de communication de certains établissements, alors qu'aucun in-vestissement n'est fait en matière de recherche pédagogique, de formation des enseignants ou de prospective éducative). L'apparence de l'institution prime sur la capacité à trouver les bonnes réponses aux besoins de la socié-té. On vend désormais des formations d'ingénieurs comme on vend des yaourts. L'emballage des marchandises enseignables prévaut au détriment de l'analyse critique des modalités de transfert des savoirs et des savoir-faire. Les formations d'ingénieurs font désormais la "Une" des journaux, au même titre que les équipes de football ou les sous-vêtements de Madonna. Le débat s'emballe, "il faut former deux fois plus d'ingénieurs!", "l'ingénieur européen, une impérieuse nécessité!", "des doubles diplômes, c'est possible à l'École X ou Y!", etc...

Mais revenons aux choses sérieuses.

4. L'INGÉNIEUR, ENTRE INFORMATION ET FORMATION

Comment repenser le problème de la formation des ingénieurs dans le contexte de sociétés "postindustrielles", marquées par une mondialisation des économies, par une élévation incontestable du niveau de savoir et de curiosité des jeunes générations, par une imbrication accrues des diverses forces productives ? Peut-on inventer de nouvelles modalités de formation qui prennent mieux en compte l'accès de plus en plus généralisé à l'infor-mation et l’ouverture sur le monde? Quels partenaires, quelles structures, quels réseaux de compétence peuvent intervenir dans une transformation profonde des modalités de formation des ingénieurs ?

Comparée à celle qui prévalait au milieu du XIXème siècle, la situation ac-tuelle se caractérise surtout par une émergence de l'information et de la communication dans tous les aspects de la vie individuelle et profession-nelle. Pour l'ingénieur cette réalité est de plus en plus au coeur même de sa pratique, puisqu'au fond ce professionnel n'est qu'une courroie de transmis-sion entre les poseurs de problèmes (la société, l'industrie, le grand public, le politique,...) et les réalisateurs de solutions, les constructeurs techniques, les fabricants et diffuseurs de produits. L'ingénieur, qu'il soit chercheur-inventeur, maître d'ouvrage, maître d'œuvre, technico-commercial, directeur de société, inspecteur,...est au carrefour de l'échange et de la transformation des informations spécialisées de toutes natures. L'ingénieur ne fabrique pas lui même les produits qu'il procure, par contre il gère des systèmes d'infor-mations à caractère décisionnel qui permettent d'apporter une réponse aux besoins exprimés. L'ingénieur navigue en permanence dans l'information, il transforme cette information, il fait des plans et des projets qui ne sont que

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des concrétisations informationnelles à un moment donné. Il véhicule aussi l'information, vend son projet, cherche à convaincre d'autres partenaires ou décideurs. Il est à cet égard symptomatique d'observer et d'écouter des groupes d'ingénieurs dans des transports en commun (train ou avion) : l'échange d'informations y est dense et intense et l'on sent bien que sans ce partage de l'information, l'ingénieur ne pourrait pas exercer son métier. À un niveau plus macroscopique, il est évident que les systèmes d'informa-tion spécialisée deviennent de plus en plus puissants et incontournables. Des bases et banques de données aux systèmes experts, en passant par les chaînes informatisées de CAO, CFAO, XAO,..., par les flux trans-frontières de données ou encore par les normes ou les brevets, toute l'activité des en-treprises et des ingénieurs s'inscrit dans une perspective de développement des ressources informationnelles, véritable fer de lance de l'industrie et des services modernes.

D'ailleurs, il est important de souligner que cette information "profession-nelle" (scientifique, technique, économique,...) n'est pas la seule en jeu dans "l'entreprise du troisième type" : il faut désormais prendre en compte la lé-gitime capacité d'expression de l'ensemble des salariés (cercles de qualité, groupes de progrès,...), le dialogue indispensable avec des partenaires de cultures techniques ou géographiques différentes, la communication sociale avec le grand public, etc...

Dans ce contexte et dans ces conditions, la question de la formation des in-génieurs prend un tout autre relief et ne peut pas se limiter au seul transfert d'une "boîte" de connaissances figées. Si au milieu du XIXème siècle, il était évident que le rôle de l'établissement de formation était de permettre un accès à des données techniques peu répandues dans la société, il n'en est plus de même aujourd'hui puisque tout un chacun est désormais en mesure (dans les pays du Nord, en tout cas) d'accéder à n'importe quel élément de savoir, à n'importe quelle information, y compris aux données disponibles à l'autre bout de la planète et à des renseignements quasiment confidentiels. De façon schématique et volontairement provocante, on pourrait affirmer qu'il n'y a plus nécessité aujourd'hui, de s'appuyer sur des Écoles ou des Universités pour former des ingénieurs. Ou plus exactement, il n'est plus nécessaire de concentrer géographiquement des étudiants en un lieu précis, pour suivre des enseignements et accéder à des connaissances aisément transférables. Ou encore, si l'École d'ingénieur a encore un sens, pour quelle fonction et pour quel service l'a-t-elle : dispenser ce qui est aisément acces-sible de n'importe quel point de la planète, établir des liaisons entre des connaissances éparpillées et contradictoires, créer une vie culturelle spécifi-que, contribuer à la stimulation de la production et du transfert des savoirs ? Mais quel est donc, en 1992, le rôle juste nécessaire d'une École d'ingé-nieurs ?

Au fond n'est-il pas temps de mieux distinguer ce qui relève de la transmis-sion des données ou informations constitutives des savoirs, de ce qui a trait

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à la consolidation des connaissances et à la préparation des futurs ingé-nieurs à la maîtrise des méthodologies de l'action efficace.

Il est désormais impératif d'amener des étudiants futurs ingénieurs à savoir maîtriser leurs propres systèmes d'accès à l'information et à la connaissance. Dans ces conditions la fréquentation des bibliothèques et des centres de do-cumentation, la consultation des bases et banques de données, la lecture critique de nombreux ouvrages et articles, français ou étrangers doivent constituer la première étape de toute formation d'ingénieurs. Cela doit rem-placer, sans la moindre hésitation, plus de 50% des cours de premier cycle et un grand nombre d'enseignements ultérieurs qui, en fait, ne sont que des compilations d'informations. De telles ressources informationnelles et péda-gogiques peuvent provenir de diverses origines et la formation des ingé-nieurs doit inciter les étudiants à naviguer dans cet hyper-espace de l'infor-mation. Les moyens classiques que constituent les livres, les revues, la litté-rature grise, sont bien entendu à privilégier en priorité. Mais désormais les CD-ROM, les bases et banques de données, les vidéodisques, les satellites et les formations dispensées à distance constituent autant d'alternatives effi-caces pour l'accès à l'information et à la connaissance. Les contacts en mi-lieu industriel, les échanges avec des partenaires étrangers, le travail avec des techniciens ou avec des spécialistes d'autres disciplines, le développe-ment des activités culturelles extra-scolaires fournissent égaledéveloppe-ment autant d'occasions nouvelles aux étudiants d'enrichir leurs propres bases de don-nées personnelles.

Un cursus de formation d'ingénieur doit pour l'essentiel consister en un dis-positif organisé, guidé, mais personnalisé d'accès aux informations ou connaissances pertinentes. A côté de la stricte fourniture des modalités d'ac-cès aux ressources informationnelles, l'École d'ingénieurs doit mettre en place les procédures permettant de consolider les savoirs en constitution (travaux pratiques, projets, échanges pédagogiques,...) et de contrôler les résultats des étudiants eu égard aux objectifs assignés.

5. LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA FORMATION

Les Écoles situées dans une même région ou celles fonctionnant en réseau (la tendance au regroupement et au partenariat est patente depuis quelques années) sont ou seront amenées à investir dans de nouveaux équipements éducatifs lourds, véritables machines à dispenser de l'information structu-rante, consultables par des étudiants de diverses origines, sur place ou à distance, comme elles sont conduites aujourd’hui à renforcer leurs équipe-ments pour la recherche. Déjà les Universités IBM, Mac Donald ou Sie-mens montrent la voie à leurs consœurs plus traditionnelles. Dans le cas de la France, cette orientation pourrait signifier la fin de l'habilitation par la Commission des Titres d'Ingénieurs de nouveaux établissements dépourvus de moyens modernes et puissants d'accès à l'information et de structuration

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des connaissances nouvelles, comme elle est déjà amenée à s’interroger sur les capacités des établissements en matière de recherche.

Au niveau des étudiants, des efforts sont faits pour faciliter l'accès à l'in-formation, son traitement et sa diffusion. Dans les meilleurs des cas, des travaux sont menés en partenariat avec des industriels pour concevoir des postes intelligents d'auto-apprentissage intégrant divers outils de gestion de l'information. Ces postes de travail et postes d’apprentissage personnalisés pourraient être utilisés par les étudiants tout au long de leur scolarité. Après l'obtention du Diplôme, les étudiants pourraient conserver l'essentiel du pa-trimoine des ressources accumulées et l'actualiser, dans leur vie profession-nelle, grâce à la formation continue et aux diverses modalités d'entretien des savoirs. Des mécanismes financiers seraient du reste à inventer de façon à permettre le passage d'une formation de consommation à une formation d'investissement.

Les enseignements et chercheurs des Écoles et autres formations d'ingé-nieurs sont poussés désormais à réaliser des produits d'information et de formation aisément transférables, échangeables. Il faut pouvoir alimenter des banques de cas et des bases de données didactiques; il faut pouvoir créer des cours diffusables par satellite, le marché de la formation des ingé-nieurs se mondialisant. En d'autres termes, la rémunération d'un formateur doit de plus en plus privilégier l'investissement fait lors de la réalisation d'outils didactiques transférables et au contraire dissuader l'enseignant rabâ-chant, répétant le même discours devant des auditoires assoupis et passifs. Par ailleurs, la composante principale d'une formation d'ingénieurs a tou-jours été et restera la formation méthodologique. Celle ci est acquise pour l'essentiel, pendant les toutes premières années du cursus, mais est appro-fondie en fin de formation dans les domaines ou contextes précis d'ingénie-rie étudiés. Le développement de nouveaux processus d'information et de formation conduit les étudiants à recourir aux heuristiques d’apprentissage les plus riches et les plus efficaces. De même on cherche à stimuler la dé-couverte des milieux différents (l'entreprise, l'étranger, les autres discipli-nes). La communication sous toutes ses formes (orale, écrite, audiovisuelle, télématique,...), la dynamique des groupes mixtes, la maîtrise des langues sont autant de composantes d'une formation aux méthodologies de l'infor-mation active et du travail efficace.

6. MACROPÉDAGOGIE, QUALITÉ ET MANAGEMENT DE LA FORMATION

Plusieurs colloques récents abordent la question de la qualité de la form a-tion des ingénieurs et apportent d’intéressants éclairages sur ce que doit être le management d’un système de formation. Mais dès le début des années 80, les Grandes Écoles françaises d’ingénieurs confrontaient leurs idées et

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leurs réalisations en matière de “macropégagogie” et de gestion des alterna-tives de formation.

Plus que dans tout autre domaine de l’enseignement supérieur se pose la question de la façon dont on articule les différents moyens ou ressources pour atteindre les objectifs.

C’est d’abord la recherche du meilleur dosage possible entre enseignements (conférences plénières ou petites classes), travaux pratiques, travaux de la-boratoire, projets personnels de fin d’étude, stages en entreprise, séjours à l’étranger ou bien d’autres formules pédagogiques. N’est-il pas symptoma-tique que nombre de directions d'Écoles d’ingénieurs s’intéressent forte-ment aux activités extra-scolaires des étudiants, quand elles ne les suscitent pas ? En d’autres termes, former un ingénieur (du moins dans la culture française), c’est mettre un étudiant en face de multiples façons de gérer son ouverture sur le monde, mais c’est aussi prendre le risque d’un certain di-lettantisme (comme le font parfois remarquer les collègues allemands) si cette diversité des possibles pédagogiques n’est pas gérée.

Cette “macropédagogie” voulue est donc mise en oeuvre au sein des Écoles par une multiplicité d’acteurs dont on imagine mal l’équivalent dans d’autres domaines de l’enseignement supérieur. Ainsi a-t-on fréquemment dans les Écoles un responsable des stages ou un chargé des relations avec la profession. Des directions pour la formation alternée, pour la formation continue ou pour la formation par la recherche complètent le traditionnel dispositif que constitue la direction des études ou de l’enseignement. Les centres ou unités de service spécialisés (informatique, documentation, au-diovisuel,...) concourent de même à cette démarche de macropédagogie. C’est dire que la formation est prise, au sein d’une École d’ingénieurs, comme un tout et comme un processus collectif, au sein duquel chacun ap-porte sa touche, tout en permettant les libres parcours des étudiants.

Plus spécifiquement, la notion même de direction est intéressante, car elle conduit à évoquer le problème de formation en termes de management. Le Directeur d’une École d’ingénieurs est en quelque sorte un patron d’entreprise qui doit atteindre certains objectifs avec des ressources don-nées. L’équipe de direction (avec différents Directeurs spécialisés, en nom-bre variable selon la taille des établissements) met en oeuvre la politique de formation avec un schéma de fonctionnement original (par rapport aux en-treprises classiques) selon lequel on doit nécessairement trouver des convergences entre la logique décisionnelle et économique (la gestion de la “boîte”), la logique éducative (les départements d’enseignement et de re-cherche, les enseignants, les disciplines) et la logique des standards, des fi-nalités et du besoin (les filières de formation, les débouchés, les entreprises, les anciens élèves,...). Il serait du reste extrêmement intéressant d’entreprendre des recherches sur le management des institutions de forma-tion d’ingénieurs et d’examiner le rôle respectif des diverses composantes du système.

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Il faut ajouter que de plus en plus les Écoles s'orientent vers la conception et la mise en oeuvre de nouveaux programmes de formation spécialisée (les MASTERS, par exemple) qui sont, d’une certaine façon, une ouverture des établissements sur le monde marchand et qui les conduisent à se positionner sur un véritable marché mondial du transfert des connaissances. Mais qui dit marché de la formation dit automatiquement concurrence. Et qui dit concurrence dit nécessairement contrôle et validation de la qualité. C’est sur ce dernier point que des efforts sont faits dans différents pays pour appré-cier la qualité des formations dispensées.

De façon plus innovante encore, les Écoles d’ingénieurs se lancent, à l’image des entreprises dans la réalisation de “Projets d'École” (projets d’entreprise) ou dans la mise en place de cercles de qualité pour l’étude de tel ou tel aspect de la gestion de l’établissement. Cette vision plus “systémi-que” de la formation est bien moderne et permet de mobiliser l’ensemble des partenaires, l’ensemble des ressources disponibles (et pas seulement les enseignants) dans la recherche de nouveaux équilibres pour mieux former les ingénieurs de demain.

7. ET POUR CONCLURE, LA QUESTION DE L'ÉCONOMIE DE L'INNOVATION

La seule et véritablement cruciale question qui reste posée est celle de l’économie de la formation des ingénieurs. Dans le modèle allemand, l’enseignement de masse à l’université est une réalité incontournable qui conduit par exemple le professeur à dispenser des cours devant des auditoi-res de plusieurs centaines d’étudiants et où la relation de ces derniers avec la recherche n’est désormais plus qu’un mythe. Outre Manche ou outre Atlantique la misère des formations d’ingénieurs est réelle, renforcée par un libéralisme économique privilégiant les rentabilités à court terme aux in-vestissements éducatifs du long terme. Le contexte français n’est guère meilleur dans la mesure où nombre d'Écoles d’ingénieurs ont mis en place, dans les années 70, de remarquables structures “macropédagogiques” de formation, mais qui supportent malheureusement mal les contraintes éco-nomiques actuelles. En d’autres termes, vouloir former des ingénieurs selon des schémas innovants, n’est-ce pas un luxe que seules désormais les gran-des multinationales industrielles pourront s’offrir? Pour le secteur public traditionnel, il ne reste alors que la solution préconisée par certains en France, mise en place récemment aux Pays-Bas et consistant à réduire la durée de la formation et à ramener le cursus de formation de cinq à quatre années.

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