Evolution des pratiques et des performances technico-économiques et environnementales
au sein du réseau de fermes DEPHY
filière Grandes Cultures Projet de thèse 2020 – 2023 Encadrement : Nicolas Munier-Jolain, UMR Agroécologie, Dijon Lieu : UMR Agroécologie, Dijon
Début de la thèse : Septembre ou Octobre 2020
Enjeux scientifiques
L’agriculture est en tension entre la pression sociétale pour réduire la dépendance aux pesticides et une réticence d’une partie de la profession agricole qui craint des impacts économiques négatifs. La recherche est appelée à apporter des connaissances scientifiques sur les conséquences prévisibles d’une généralisation de modes de production mobilisant des méthodes alternatives aux pesticides pour contrôler les bioagresseurs. Il faut identifier quels sont les leviers et les combinaisons de leviers les plus efficients pour maîtriser les bioagresseurs et baisser le niveau de recours aux pesticides, et évaluer les conséquences de leur adoption sur le plan de la productivité (nature des produits récoltés, rendements, qualité), de la rentabilité, sur le plan de la réduction des impacts environnementaux, et sur des critères sociaux, comme la faisabilité en terme d’organisation du travail à l’échelle de l’exploitation, ou la charge mentale liée à la complexité des systèmes… Par ailleurs, il est très important d’apporter des connaissances génériques qui prennent en compte la très grande diversité des situations de production, car les solutions techniques pour concilier les différents aspects de la durabilité ne sont probablement pas les mêmes dans des contextes de production différents (sol, climat, environnement socio-économique).
La thèse se propose de traiter ces questions pour la filière des grandes cultures (y compris polyculture-élevage), en valorisant les données produites par le réseau de fermes DEPHY, dans la continuité des travaux conduits par Martin Lechenet (thèse soutenue au printemps 2017).
Etat de l’art scientifique
Le réseau des fermes de démonstration DEPHY, constitué aujourd’hui d’environ 3000 agriculteurs engagés dans une démarche de réduction d’usage de pesticides, constitue une source de données unique pour traiter de questions d’agronomie systémique en lien avec l’usage des pesticides. Il est constitué d’un grand nombre de fermes (Martin Lechenet a travaillé avec un échantillon de 1000 fermes), très diverses en terme de contextes de production, mais aussi en terme de stratégies de conduite des systèmes de culture et de niveaux d’usage de pesticides. Les pratiques sont décrites avec précision et de façon suivie dans le temps sur plusieurs années (les fermes les plus anciennes sont suivies depuis près de 10 ans). L’analyse de la diversité des systèmes de culture à l’époque de l’entrée des fermes dans le réseau a permis de montrer que :
• les systèmes de culture économes en pesticides reposent sur des combinaisons de leviers qui varient entre les types de situations de production, et même au sein d’un type de situation de production (Lechenet et al., Agricultural Systems 2016). L’analyse a permis d’identifier quels
leviers sont les plus fréquemment mobilisés dans les systèmes économes (diversité des rotations, travail du sol, diversité variétale, désherbage mécanique, réduction de doses…) ; • dans la majorité des situations, les systèmes à faible usage de pesticides étaient aussi productifs
(voire plus productifs) et aussi rentables (voire plus rentables) que des systèmes plus dépendants des pesticides dans des contextes similaires (Lechenet et al., Nature Plants, 2017), même si les rendements en blé tendraient à être plus faibles ;
• le faible usage de pesticides est toujours associé à une meilleure ‘multiperformance’, sur la base d’un indicateur de performances agrégeant des critères économiques, sociaux et environnementaux ;
• la généralisation des systèmes de culture DEPHY les moins consommateurs de pesticides dans les situations de production équivalentes se traduiraient par une baisse de l’usage de pesticide globale de l’ordre de 30-40% à l’échelle de la France, avec une tendance à l’amélioration de la performance économique des exploitations, une modification de la répartition géographique des productions, de moindres volumes de production de céréales, mais plus de volumes de maïs et de protéagineux qui concourrait à l’amélioration de l’indépendance en protéines végétales de la France et à l’amélioration de sa balance commerciale.
Le projet de thèse vise à poursuivre la valorisation des données du réseau DEPHY. L’ambition est de traiter le même sujet du lien entre stratégie de gestion des bioagresseurs, niveau d’usage de pesticides et performances économiques et environnementales à l’échelle du système de culture, mais cette fois sur la base des trajectoires d’évolution des pratiques et des performances dans les fermes du réseau DEPHY, depuis l’entrée dans le réseau jusqu’à aujourd’hui, soit 6 à 8 ans de suivi pour les fermes historiques du réseau. La thèse se limite à la filière ‘grandes cultures’, la filière ‘viticulture’ étant traitée par une thèse conduite en parallèle de façon coordonnée (pilotage UMR System, Montpellier). En cas de résultats convergents avec ceux de la thèse de Martin Lechenet, issus de la comparaison de fermes proches du point de vue du contexte, mais pas absolument identiques, la démonstration qu’il est possible de réduire l’usage de pesticide sans dégrader les performances économiques serait encore plus convaincante. Contribuer à la démonstration qu’il est possible de produire avec peu de pesticides et de bonnes performances économiques dans certaines situations de production est une chose. Démontrer qu’il est possible de changer de pratiques en est une autre, qui peut avoir plus de poids pour des agriculteurs dubitatifs. Les résultats constitueraient une brique supplémentaire dans l’argumentaire susceptible d’entraîner l’ensemble de l’agriculture française et européenne vers des pratiques moins dépendantes des pesticides.
Le projet se positionne clairement dans le domaine de l’agronomie des systèmes de culture, ambitionnant de traiter de questions techniques sur la base de données factuelles sur les pratiques, les performances et le contexte pédoclimatique et socio-technique. Il se distingue donc nettement, tout en étant complémentaire, de travaux antérieurs sur les trajectoires de changement et les dynamiques d’apprentissage à l’interface entre agronomie et sciences humaines (par exemple thèse d’Emilia Chantre, 2011), axés sur les processus d’apprentissage et les déterminants sociaux des choix des agriculteurs pour orienter leurs pratiques vers l’écologisation, ou sur les modalités d’accompagnement du changement favorisant la transition agroécologique (Cerf et al., 2010 ; Cerf et al., 2012 ; Chantre & Cardona, 2014).
Questions de recherche traitées dans la thèse
• Quels sont les leviers techniques mobilisés par les agriculteurs du réseau DEPHY qui ont baissé leur usage de pesticides depuis l’entrée dans le réseau ? Comment les combinaisons de leviers efficientes pour baisser l’usage de pesticides diffèrent-elles en fonction du contexte de production et du type de système de culture initial ?
• Quels sont les impacts des trajectoires de pratiques sur les trajectoires de performances ? Y a-t-il baisse de la productivité ? baisse de la rentabilité pour l’exploitation ? Y a-t-il des modifications de la nature des productions ? Y a-t-il amélioration de la multiperformance des systèmes de culture ? Les liens entre la baisse d’usage de pesticides et les performances économiques et environnementales dépendent-ils du contexte de production et des pratiques initiales ?
• Quels sont les freins techniques, biologiques, socio-économiques, expliquant l’absence de baisse d’usage de pesticides chez certains agriculteurs DEPHY ? Certains agriculteurs ont-ils modifié leurs pratiques en adoptant des leviers techniques qui n’ont pas été suffisants pour réduire le recours aux pesticides ? Des éléments du contexte, comme par exemple la nature des bioagresseurs rencontrés, peuvent-ils expliquer ces difficultés à réduire l’usage de pesticides ? Le projet de thèse entend rester dans le domaine technique du contexte pédoclimatique et socio-économique des déterminants du changement. En revanche le projet ne prévoit pas de traiter de questions relevant des organisations humaines requises pour apporter les motivations et les transmissions de connaissances partagées favorables au changement vers des systèmes agricoles plus durables.
Références bibliographiques
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