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Le discours sur la ville dans les films d'anticipation

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Academic year: 2021

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m

200 3

CAROLINE CLOUTIER

LE DISCOURS SUR LA VILLE DANS LES FILMS D'ANTICIPATION

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

pour l'obtention

du grade de maître ès arts (M.A.)

Département d'histoire FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL

FEVRIER 2003

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Ce mémoire a pour objet d'étude la ville et l'architecture dans les films d'anticipation. Le cinéma y est pris dans sa dimension critique, c'est-à-dire dans sa capacité de formuler des discours sur la ville et l'architecture. Ces discours se comprennent par la mise en relief des conditions d'émergence des films et par extension, celle de leurs décors. L'idée que l'on se fait de la ville du futur dépend donc de facteurs contemporains à chaque film : le contexte socio-politique, économique et culturel dans lequel un film a été produit, les théories et pratiques de l'architecture à la même époque ainsi que l'histoire que raconte le film sont quelques-uns de ces facteurs.

Cette étude présente donc l'analyse de quelques films d'anticipation sélectionnés à travers toute l'histoire du cinéma. Metropolis de Fritz Lang, Just Imagine de David Butler, Alphaville de Jean-Luc Godard, la trilogie Star Wars de George Lucas et Blade Runner de Ridley Scott sont les sujets principaux de ce mémoire.

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Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis le moment où j'ai entrepris cette maîtrise et de nombreuses personnes ont contribué à sa réalisation. Parmi elles j'aimerais d'abord et avant tout remercier mon directeur, Marc Grignon, ainsi que mon co-directeur, Martin Lefebvre, pour leur appui, leur ouverture d'esprit, leurs conseils judicieux et pour l'immense patience dont ils ont fait preuve tout au long de ces années.

Ma gratitude va aussi à Denise Binet et Émilien Cloutier, mes deux meilleurs co-locataires, pour leur support moral et financier inconditionnels durant toutes mes études. Merci aussi à Jacinthe Cloutier, Luc Boulanger, Manon Levasseur et Anne Fiset pour leur encouragement ainsi que pour leur compagnie dans les moments de détente et de divertissement parfois nécessaires.

De chaleureux remerciement vont aussi à Martin Lessard et à tous les ami(e)s du cinquième étage du pavillon Dekoninck. Je pense plus spécialement à Bernhardt Delaunay et Marc Lavoie, qui ont partagé un bureau avec moi, ainsi qu'à Johanne Gagnon, Laurent Richard et Charaf El Ghernati. Merci à vous tous pour vos rires, vos sourires et pour les discussions stimulantes que nous avons eues. Enfin, merci à Matthew Hatvany pour le dernier coup d'épaule qu'il m'a donné lors du « sprint » final.

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Page

RESUME

AVANT-PROPOS II TABLE DES MATIERES n i

LISTE DES FIGURES

INTRODUCTION 1 1. Problématique et objectifs 1

2. Hypothèse 3 3. Structure du mémoire 4

4. Nature et limite du texte 5 CHAPITRE I : CADRE ET MODÈLE THÉORIQUES 7

1. L'univers de Metropolis 9

2. Le contexte historique de production de Metropolis 10

3. Les thèmes 12 3.1. Le conflit père-fils 12

3.2. Le courant irrationnaliste 13

4. Les décors 14 5. Théories et pratiques de l'architecture sous la République de Weimar 17

6. Analyse de l'architecture 19 6.1. Michel Freitag et la ville 20

7. New York en 1984 21 8. New York 1930 21 9. Compétitivité et individualisme 22

10. Les décors de Just Imagine 23 11. Hugh Ferriss et l'ère des gratte-ciel 23

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13 Une aventure de Lemmy Caution 26 14 Paris et la Nouvelle-Vague dans les années 1960 26

15 Les thèmes d'Alphaville 27 16 Le tournage en décors naturels 28 17 Théories et pratiques de l'architecture moderne dans les années 1960 29

18 Analyse de la cité d'Alphaville 30 CHAPITRE n : STAR WARS ET LA PRESERVATION DES LIEI JX DE 31

LA MÉMOIRE

1. La trilogie Star Wars 33 2. Le space opera 34 3. Postmodernité et nostalgie 36

4. Les États-Unis à la fin des années 1970 et début 1980 38

5. Préservation et conservation du patrimoine 41 6. Star Wars et le mythe du conflit entre le bien et le mal 42

7. Les villes mythiques de Star Wars 44

8. Les décors 44 9. Architecture high tech : entre fiction et réalité 47

10. Conservatisme versus technologie 53 CHAPITRE m : BLADE RUNNER : LA VILLE CONSOMMÉE 54

1. Blade Runner 55 2. Réception critique 56 3. La science-fiction noire 58

3.1. La science-fiction et son aspect dans Blade Runner 59 3.2. Esthétique, iconographie et morale du film noir : leur rôle dans

Blade Runner 61 4. Los Angeles ou Los Demonios ? 64

5. Pierre Nora et la fin de l'histoire-mémoire 69 6. Les décors : reflet de la conception de l'espace 71

6.1. Le Bradbury building 72 7. Architecture et hétérogénéité 75 8. La ville consommée 79 CONCLUSION GÉNÉRALE 82 BIBLIOGRAPHIE 85 FILMOGRAPHIE 93 ILLUSTRATIONS 94

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Figure 1 : Metropolis, vue de la cité (F. Lang, Allemagne, 1927). Photographie tirée de Film Architecture : Set Design From Metropolis to Blade Runner, Munich, New York, Prestel, p. 96.

Figure 2 : Metropolis, vue de la cité souterraine des ouvriers (F. Lang, Allemagne, 1927). Photographie tirée de Film Architecture : Set Design From Metropolis to Blade Runner, Munich, New York, Prestel, p. 36.

Figure 3 : Metropolis, édifice en zigzag, (F. Lang, Allemagne, 1927). Photographie tirée de Film Architecture : Set Design From Metropolis to Blade Runner, Munich, New York, Prestel. Figure 4 : Metropolis, la tour de Fredersen, détail de la vue de la cité (F. Lang, Allemagne,

1927). Photographie tirée de Film Architecture : Set Design From Metropolis to Blade Runner, Munich, New York, Prestel, p. 96.

Figure 5 : Metropolis, esquisse pour un décors du film avec une cathédrale au centre (F. Lang, Allemagne, 1927). Photographie tirée de Film Architecture : Set Design From Metropolis to Blade Runner, Munich, New York, Prestel.

Figure 6 : Metropolis, maison de l'inventeur Rotwang (F. Lang, Allemagne, 1927). Photographie tirée de Metropolis, London, Boston, Faber & Faber, 1973, p.45.

Figure 7 : Lyonel Feninger, Cathédrale, couverture du premier manifeste du Bauhaus, 1919, bois gravé. Reproduction tirée de Reginald Isaac, Gropius, Boston, Toronto, London, Bulfinch Press Book, Little, Brown, and Company, 1991.

Figure 8 : Albert Robida, Maison de 12 étages. Dessin tiré de Albert Robida, Le vingtième siècle, Genève et Paris, Slatkine, 1981, p. 128.

Figure 9 : Just Imagine, vue de New York en 1980 (D. Butler, Etats-Unis, 1930). Photographie tirée de Film Architecture : Set Design From Metropolis to Blade Runner, Munich, New York, Prestel, p. 39.

Figure 10: Hugh Ferriss, «À l'ouest du centre des affaires», tirée de Hugh Ferriss, The Metropolis of Tomorrow, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987, p. 127.

Figure 11 : Alphaville (J.-L. Godard, France, 1965). Photographie tirée de The Cinematic City, sous la direction de David B. Clark, London, Routledge, 1997, p. 135.

Figure 12 : Star Wars: A New Hope, L'Étoile noire (G. Lucas, États-Unis, 1977). Photographie tirée de Mary Henderson, Star Wars : la magie du mythe, Paris, Presses de la Cité, 1998, p. 157.

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Figure 13 : Dr Strangelove or How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, vue du décor realise par Ken Adam (S. Kubrick, États-Unis, 1964). Photographie tirée de Vivian, Screening Space: The American Science Fiction Film, New York, The Unger Publishing Co.,

1987, p. 173.

Figure 14 : The Empire Strikes Back, vue de Cloud City (I. Kershner, États-Unis, 1980). Photographie tirée de Pierre Tchernia, 80-grands succ.es.de lascience-fiction, Tournai, Casterman, 1984, p. 32.

Figure 15 : Hans Scharoun, Tour de Bismarck, 1910-1911. Dessin tiré de Wolfgang, Expressionnist Architecture in drawings, London, Thames and Hudson, 1985, Wolfgang Pehnt, Express ionnist Architecture in drawings, London, Thames and Hudson, 1985, p. 42. Figure 16 : The Empire Strikes Back, la chambre de congélation de Cloud City ((I. Kershner, États-Unis, 1980). Photographie tirée de Mary Henderson, Star Wars : la magie du mythe, Paris, Presses de la Cité, 1998, p. 79-80.

Figure 17 : Archigram, Plug-in City. Photographie tirée de Colin Rowe et Fred Koetter, Collage City, Cambridge, Mass. and London, England, MIT Press, 1978, p. 40.

Figure 18 : Richard Rogers, édifice de la Lloyd, Londres. Photographie tirée de William J. R. Curtis, Modem Architecture since 1900, Upper Saddles River, New Jersey, Prentice Hall,

1982, p. 658.

Figure 19 : Star Wars: A New Hope, la ferme de l'oncle de Luke Skywalker sur la planète de sable Tatooine (G. Lucas, États-Unis, 1977). Photographie tirée de Mary Henderson, Star Wars : la magie du mythe, Paris, Presses de la Cité, 1998, p. 31.

Figure 20 : Mosquée, Chenini près de Tatahouine, dans le sud tunisien. Photographie, tirée de L Afrique du Nord, Paris, Larousse, 1978, p. 1.

Figure 21 : The Return of the Jedi, Le village des Ewoks sur Endor (R. Marquand, États-Unis, 1982). Photographie tirée de Pierre Tchernia, 80 grands succès de la science-fiction, Tournai, Casterman, 1984, p. 53.

Figure 22 : Hutte de la tribu des Jukun, sud de la Malaysia. Photographie tirée de La péninsule indochinoise, Paris, Larousse, 1978, p. 6.

Figure 23 : Hassan Fathy, maison à New Gourna village, Luxor, 1946-53. Photographie tirée de William J. R. Curtis, Modem Architecture since 1900, Upper Saddles River, New Jersey, Prentice Hall, 1982, p. 569.

Figure 24 : George Herbert Wyman, Bradbury building, Los Angeles 1883. Photographie tirée du site internet http://www.brmovie.com. consulté en mai 2002.

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Figure 25 : George Herbert Wyman, le Bradbury Building, Los Angeles, 1893. Photographie tirée de Film Architecture: Set Design From Metropolis to Blade Runner, sous la direction de Dietrich Neumann, Munich, New York, Prestel, 1997, p. 156.

Figure 26 : Frank Lloyd Wright, Ennis Brown House, Los Angeles, 1923. Photographie tirée de Jim Tice, «LA Block House, 1921-1924, Franck Lloyd Wright», Architectural Design, vol. 51, no 8-9,1980, p. 64.

Figure 27 : Blade Runner, Pyramide de la Tyrell Corporation (R. Scott, Etats-Unis, 1982). Photographie tirée de Pierre Tchernia, 80 grands succès de la science-fiction, Tournai, Casterman, 1984, p. 16.

Figure 28 : Les «strips» de Las Vegas. Photographie tirée Robert Venturi et al., L'enseignement de Las Vegas, Bruxelles, Pierre Mardaga, 1977, p. 51.

Figure 29 : Les enseignes lumineuses des grandes villes japonaises. Photographie tirée de AUER, Gerhard, «Artificial Light in Japanese Cities», Daidalos, Mars 1988, p. 42.

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1. Problématiques et objectifs

À quoi ressemblera la ville du futur ? Qui ne s'est jamais posé la question ? Villes souterraines, villes sous dômes, villes sous-marines ou villes de l'espace; villes de béton, de verre, ou de fer; villes aux tours de mille étages, villes au bâtiments mobiles ou villes flottantes. Voilà un inventaire limité des cités du futur qui peuplent notre imaginaire. Si ces villes ne se sont pas toutes concrétisées dans la réalité, l'industrie du cinéma a permis d'en illustrer plus d'une. De Metropolis (1927) à Blade Runner (1982) en passant par Just Imagine (1930) cXAlphaville (1965) le visage de la ville du futur a souvent changé de physionomie.

Les films d'anticipation, de par leur nature même, constituent tous autant qu'ils sont, des réponses potentielles à nos interrogations sur la ville de l'avenir. Chaque film d'anticipation présente en effet une ville du futur qui lui est singulière. Même si deux films ont été réalisés à la même époque, que leur pays de production est le même ou qu'ils sont l'œuvre du même réalisateur, la ville du futur que chacun présente est toujours unique. Metropolis et Just Imagine ont par exemple été produits à trois ans d'intervalle mais les villes du futur qu'ils présentent sont constituées de styles architecturaux distincts. Just Imagine, Star Wars et Blade Runner sont tous trois des films américains mais encore là, leur représentation de la ville du futur diffère. Enfin, George Lucas a réalisé THX1138 (1971) dans un décor des plus minimalistes qui n'a strictement rien à voir avec le déploiement extraordinaire de types et de styles architecturaux des films de la trilogie Star Wars.

Puisqu'il en est ainsi, puisque chaque film d'anticipation offre une vision particulière sur la cité du futur, on peut déduire que les idées sur le sujet ne font pas l'unanimité. À quoi correspond cette variété ? Les films d'anticipation ne seraient-ils pas, en ce cas, les véhicules de discours sur l'architecture ? Voilà ce que nous avons voulu démontrer par ce mémoire. Deux objectifs principaux ont permis de guider notre recherche :

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lui est propre.

Pour atteindre ce premier objectif, nous avons retracé les conditions d'émergence des formes urbaines et de l'architecture de chaque film. Nous nous sommes d'abord intéressés au contexte socio-politique, économique et culturel de l'époque de production des films. La conception des décors et les thèmes traités par ces mêmes films sont aussi des facteurs qui ont été pris en considération. Finalement, les fondements théoriques en architecture véhiculés durant la même période, ainsi que les pratiques architecturales s'y rattachant se sont aussi avérés déterminants.

2) Comprendre ces discours par l'examen de l'architecture des films à travers le schéma établi par Michel Fritag dans Architecture et Société1.

Freitag soutient que, d'une façon générale, la ville est un moyen, pour une société, de se rendre visible à elle-même . Une ville peut ainsi être le reflet de la conception du monde caractérisant la société qui l'a bâtie. Par sa forme et la disposition des bâtiments qui la composent, par exemple, la ville peut devenir la matérialisation de l'architectonique politique et idéologique de la société. Freitag prend pour exemple les sociétés traditionnelles où le pouvoir s'est constitué sous la forme de royautés et d'empires :

« ...c'est au contraire «la verticalité» de ce pouvoir et sa transcendance déjà extra-mondaine des dieux, qui vont s'incarner dans une architecture d'où l'individu, l'usage, la fonctionnalité instrumentale comme tels seront quasiment absents (je pense aux temples, palais et esplanades du Mexique, aux Pyramides, etc.) »3.

En ce sens, l'architecture ne se montre pas elle-même, toujours selon Freitag, mais montre plutôt la société. De ce point de vue, le thème de l'architecture, tel que traité dans les films d'anticipation, mérite d'être étudié en lui-même. L'anticipation fonctionne souvent par l'amplification de certaines tendances sociales contemporaines à l'écriture du récit : une loi, un système poUtique, un système économique ou, encore, une croyance religieuse peuvent être

1 Michel ^téX2%, Architecture et Société, Montréal, Éditions St-Martin, 1992. 2Ibid.,p.l8.

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présent observé sous la lentille grossissante d'un microscope. À notre avis, il en est de même pour l'architecture : l'architecture futuriste dans les films peut être comprise comme l'amplification de certaines tendances contemporaines comme la hauteur des bâtiments, leur austérité ou leur monumentalité par exemple.

Une précision s'impose-cependant ici : si-la ville réelle estune façon de se rendre visible, pour une société, il n'en est pas tout à fait de même pour la ville dans les films d'anticipation. Celle-ci, la ville imaginée, est davantage une interprétation, un point de vue particulier sur l'architecture, que son portrait fidèle. Le cinéma a l'avantage de permettre à un individu seul ou à une équipe, de créer des villes entières, selon des concepts uniformes, contrairement aux villes réelles d'aujourd'hui qui sont le résultat d'accumulation d'édifices et de projets autonomes. L'étude de la ville dans les films permet donc de saisir un type de discours sur l'architecture parce que les films ont ceci de particulier qu'ils rendent possible l'invention de villes nouvelles sans être embarrassés par les contraintes habituelles des projets d'urbanisme tels que les goûts des promoteurs, les règlements de zonage ainsi que certaines contraintes économiques et techniques. Bien entendu, le cinéma est lui-même soumis à des contraintes économiques et techniques mais il n'en demeure pas moins qu'il permet aux architectes de donner libre cours à une imagination qui ne leur est pas permise dans la pratique architecturale réelle.

2. Hypothèse

Dans les films, la société est représentée par un ensemble de personnages. Nous suggérons que le discours sur l'architecture qui émerge de chaque film est tributaire des rapports qu'entretiennent ces personnages à l'architecture. D'un côté, le choix des types de bâtiments et de leurs styles architecturaux peuvent se faire la matérialisation des valeurs de la société qui, nous supposons, a permis leur érection. D'un autre côté, l'utilisation qui est faite de ces bâtiments par les personnages - c'est à dire à qui est associé quel bâtiment ou quel style architectural -, leur état et à l'occasion leur transformation, peuvent permettre de démontrer leur commodité ou leur inutilité, leurs attraits ou leurs vices cachées, leur confort ou leur inconfort, etc.

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à la liste le cas échéant. C'est la mise en relation des différentes conditions d'émergence de la ville dans les films qui nous permet de mettre au jour leur discours sur l'architecture.

3. Structure du mémoire

Ce document est divisé en deux parties. La première, constituée d'un seul et unique chapitre, est consacrée à la démonstration des fondements théoriques qui sont à la base de ce mémoire. Trois films ont été sélectionnés pour la réalisation de cette tâche soit Metropolis, Just Imagine et Alphaville. Deux raisons principales justifient ces choix :

D'abord il nous importait de démontrer que notre théorie s'applique aussi bien à des films qui ont marqué l'histoire du cinéma d'anticipation, comme Metropolis, qu'à des films qui ont eu peu de répercussion, comme Just Imagine. Il ne s'agit pas ici de faire une analyse exhaustive des trois films choisis. Ceux-ci serviront plutôt de référence et d'objets de comparaison dans la démonstration de notre modèle théorique.

Nous voulions prouver que la disparité des styles architecturaux, des types de bâtiments et de l'état de ceux-ci dans les films ne peut être le fait de facteurs nationaux ou temporels uniquement. En effet, Just Imagine et Star Wars ont tous deux pris naissance dans les studios d'Hollywood et leur vision de la ville de demain n'est pourtant pas la même. De même Metropolis et Just Imagine ont été produits sensiblement à la même époque mais les images de

la ville qu'ils offrent comportent de nombreuses différences.

La seconde partie du mémoire comporte deux chapitres. Chacun de ces chapitres est consacré à l'analyse d'un film à partir de la méthode mise sur pied dans la première partie. Ces deux films, la trilogie Star Wars et Blade Runner, sont des productions américaines réalisées à quelques années d'intervalle seulement4. Ils sont donc le fruit d'un même contexte socio-politique. Pourtant, comme nous le verrons, leur discours s'opposent. Alors que Star Wars

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Runner questionne la nature économique (et commerciale) de toute cette diversité.

Le chapitre 2 est donc consacré à l'analyse des trois premiers films de la série Star Wars soit : Star Wars : A New Hope, The Empire Strike Back et Return of the Jedi. Puisqu'il s'agit de trois épisodes d'une même histoire, nous avons analysé les trois films comme un tout. Le regroupement des trois films permet de mieux saisir la variété des formes d'habitat que renferme l'univers de Star Wars.

Le troisième chapitre est une analyse du film Blade Runner. Nous avons utilisé pour l'occasion, la seconde version parue en 1992, soit dix ans après la version originale. Cette version, connue sous le nom de « version du réalisateur », nous a davantage semblé faire autorité pour la raison même qui justifie son appellation.

4. Nature et limite du texte

Le cinéma d'anticipation, comme bon nombre d'autres genres, doit beaucoup à la littérature. Une grande majorité de films d'anticipation sont en effet inspirés de romans ou nouvelles. 1984 de George Orwell, Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et 2001: A Space Odyssey d'Arthur C. Clarke sont tous des romans qui ont fait l'objet d'une adaptation cinématographique. Parmi les films sélectionnés pour ce mémoire, notons par exemple que Blade Runner est inspiré de Do Androids Dream of Electric Sheep ?, une nouvelle de Philip K. Dick. Cependant, comme les films constituent plus souvent qu'autrement des adaptations, ils ne véhiculent pas toujours le même discours que les œuvres écrites dont ils s'inspirent. Pour cette raison, ces sources n'ont pas été mises à contribution dans ce travail.

Pour l'ensemble de ce mémoire, nous avons choisi des productions à travers plusieurs périodes de l'histoire du cinéma et de différentes origines - quoique les films américains y soient prépondérants. Nous nous défendons bien toutefois, et ce au risque de nous répéter, de vouloir établir l'histoire de la ville du futur au cinéma, ou même, de vouloir proposer des caractéristiques architecturales propres aux films d'une nation, d'une période ou d'un genre cinématographique.

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« anticipation ». D'abord, nous entendons par film d'anticipation un film dont l'action se déroule dans le futur, c'est-à-dire le futur tel qu'imaginé à l'époque où le film analysé a été produit. Deuxièmement : anticipation est souvent confondue avec science-fiction. Quelle différence y-a-t-il entre ces deux vocables ? Si l'on en croit les résultats des recherches de Vivian Sobchack publiés dans Screening Space the American Science Fiction Films5, tout

dépend de la définition accordée à l'expression science-fiction. Certains auteurs plus pointilleux n'accordent ce terme qu'à des œuvres qui offrent des problématiques scientifiques plausibles. D'autres s'en tiennent à des critères moins rigoureux comme Richard Hodgens :

« Science Fiction involves extrapolated or fictitious science, or fictitious use of scientific possibilities, or it may be simply fiction that takes place in the future or introduces some radical assumption about the present or the past »6.

Loin de nous l'intention de proposer une définition de la science-fiction. Bien d'autres avant nous se sont plies à l'exercice et les désaccords persistent toujours en ce domaine. Ce qui nous importe de comprendre ici est que la science-fiction comporte souvent un caractère anticipatoire, même s'il ne s'agit toutefois pas d'une condition inhérente à celle-ci. Les films analysés dans le cadre de ce mémoire sont donc tous des films de science-fiction dont la caractéristique principale commune est ce caractère anticipatoire. Les deux termes - science-fiction et anticipation - seront donc employés dans le même sens tout au long de ce texte.

5 Vivian Sobchak, Screening S pace : The American Science Fiction Films, New York, The Unger Publishing Co., 1987.

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CADRE ET MODELE THEORIQUE

Les filins d'anticipation sont apparus dès les premiers balbutiements du cinéma. En France Fernand Zecca a tourné La conquête de l'air en 1902 et, la même année, George Méliès a réalisé Le voyage dans la lune. Ces deux films, cependant, n'offrent guère d'images de la ville du futur. Les plus vieux films d'anticipation présentant des villes et sur lesquels nous avons pu mettre la main datent du débutâtes-années T92Q7. Algol (1920); un fihn allemand, et

Aelita - Queen of Mars (1924), une production russe, en sont deux exemples. Toutefois, les images de villes du futur qu'ils présentent sont parcellaires et la quantité d'information à laquelle nous avions accès à leur sujet était trop limitée pour que nous les incluions dans notre corpus.

Nous avons choisi Metropolis (1927), de Fritz Lang, pour asseoir les fondements de notre théorie. La notoriété de ce film n'est plus à prouver; à l'automne 2001 il est d'ailleurs devenu le premier film classé par l'UNESCO8. Puisqu'il s'agit sans doute de l'un des films les plus

discutés et analysés de l'histoire du cinéma, la littérature sur Metropolis abonde. Il nous a donc été plus facile d'obtenir de la documentation à son propos.

Malgré son importance, Metropolis à lui seul ne pouvait suffire à démontrer notre théorie. Nous avons donc eu recours à d'autres films d'anticipation. Just Imagine a été choisi parce que, en terme de temps, il s'agit du film d'anticipation qui se rapproche le plus de Metropolis. De plus, Just Imagine est généralement considéré comme une réponse au film de Lang. Il s'agit en fait d'une comédie musicale et, conséquemment, le ton en est beaucoup plus léger

7 D existe peut-être, ou il a peut-être existé, d'autres films d'anticipation produits avant les années 1920 et présentant des

villes futuristes. Pour le savoir une recherche plus approfondie dans les cinémathèques et archives des maisons de production aurait été nécessaire. Dans le cadre de cette recherche nous nous en sommes tenus à l'information disponible dans la documentation publiée.

8 Le journal Libération du 3 novembre 2001 annonçait le classement prochain du film Metropolis au registre « Mémoire du

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que celui de Metropolis. D'un point de vue architectural, les deux films présentent des villes qui se développent en hauteur. Cependant, le tissu urbain, la structure de la ville et le style des bâtiments diffèrent d'un film à l'autre. Enfin, Just Imagine anticipe le futur d'une ville réelle, en l'occurrence New York, alors que Metropolis est une ville totalement fictive.

Les Américains sont parmi les plus grands producteurs de films de science-fiction. Par conséquent, notre sélection comporte une majorité de films produits aux États-Unis. Néanmoins, et comme nous l'avons déjà mentionné en introduction, ce mémoire n'a pas pour

objectif l'étude exclusive d'un cinéma d'anticipation national. Comme les deux prochains chapitres sont consacrés à des films américains, nous avons ajouté une production française à notre corpus soit Alphaville (1965) de Jean-Luc Godard, pour démontrer que notre modèle s'applique à des films de toute nationalité. C'est aussi à titre comparatif avec Metropolis que nous l'examinerons. Du point de vue de l'architecture, ce film se démarque des deux premiers par l'horizontalité de sa cité. De plus, le style de ses bâtiments se distingue des styles de Metropolis et Just Imagine. Ajoutons à ces deux facteurs que, contrairement aux deux autres films, les décors d'Alphaville n'ont pas été construits mais ont plutôt fait l'objet d'une sélection de lieux existant à Paris.

Notre objectif principal est d'établir les conditions d'émergence de la ville dans les films étudiés. Les conditions d'émergence de la ville dans un film sont multiples et donc de natures diverses. Nous les avons classées en deux catégories soit : les conditions intrinsèques au film et celles qui lui sont extrinsèques.

Les conditions intrinsèques relèvent de ce que nous désignons ici la diégèse du film en nous référant à la définition d'Etienne Souriau :

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l'œuvre, quelle que soit sa relation avec le monde réel. La diégèse peut donc avoir ses lois internes propres, différentes de celles de la réalité. Elle peut être cohérente avec elle-même selon d'autres principes que ceux de la nature physique réelle »9.

Il convient donc d'amorcer notre analyse par une description du monde auquel appartient la ville étudiée et de déterminer quelles en sont les lois internes. Ce sera le sujet de notre première partie pour chaque film.

La deuxième partie concernera les conditions d'émergence extrinsèques au film, c'est-à-dire le contexte social, poUtique, économique et culturel d.ans lequel un film a été produit. À cette étape, il sera donc question, dans le cas de Metropolis, du contexte historique de la République de Weimar et des courants artistiques expressionnistes en Allemagne à cette époque.

Par la suite nous tenterons de comprendre la formation de l'objet, c'est-à-dire de la ville et de son architecture. Nous tenterons donc, dans la mesure du possible et de la documentation disponible, de retracer le ou les concepts à l'origine de ces décors et les hens qu'ils entretiennent avec les théories et pratiques de l'architecture et de l'urbanisme à l'époque.

Finalement ce sont les liens entre ces trois parties qui nous permettront d'établir le discours sur l'architecture contenu dans ce film.

1. L'univers dç Metropolis

Résumer l'histoire que raconte un film permet habituellement de fournir une partie de l'information concernant la diégèse. L'année, les lieux, les personnages et le type de pouvoir auquel est soumise la ville sont des éléments qui y apparaissent. Ainsi, Metropolis a lieu en 2027 dans une ville terrestre mais imaginaire. Cette ville industrielle est dirigée par un riche homme d'affaires du nom de John Fredersen. Un jour Freder, le fils de Fredersen, aperçoit Maria, la fille d'un ouvrier, et en tombe amoureux. Il la suit alors jusque dans les quartiers

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ouvriers et ce qu'il y découvre l'horrifie. Des centaines d'hommes se tuent à l'ouvrage des heures durant pour faire fonctionner une série de machines au profit de son père. Cette découverte amène Freder à se rebeller et à joindre les ouvriers qui se rassemblent régulièrement dans les catacombes afin d'écouter Maria prêcher. La jeune femme leur raconte l'histoire de la tour de Babel. Cette histoire est celle d'un groupe d'homme ayant fait le vœu de bâtir une tour assez haute pour atteindre les cieux. Ne pouvant la construire eux-même, ils utilisèrent la force de milliers d'autres hommes pour le faire à leur place. Mais les bâtisseurs, ne connaissant pas le rêve des concepteurs, se révoltèrent et la tour ne fut jamais construite. Maria tire une morale de ce récit : entre le cerveau qui planifie et la main qui construit, il doit y avoir un médiateur. Ce médiateur, c'est le cœur. Maria demande aux ouvriers d'être patients; leur médiateur ne saurait plus tarder à venir.

John Fredersen qui a été témoin de la scène fait alors enlever Maria, en qui tout le monde a confiance, et la remplace par un robot ayant son aspect physique. Le robot a pour mission de semer la discorde au sein des ouvriers, mais il sème plutôt une révolte contre l'autorité. Dans la mêlée, des machines sont endommagées. Ces bris provoquent une inondation et la ville souterraine est presque engloutie sous les eaux avec les femmes et les enfants. Par bonheur, Maria et Freder réussissent à sauver la ville en faisant cesser le mouvement de révolte. Le film se termine sur une scène de réconciliation entre le patron et les ouvriers alors que John Fredersen et l'un des contremaîtres échangent une poignée de main.

2. Le contexte historique de production de Metropolis

Metropolis a été réalisé en Allemagne en 1927 sous la République de Weimar. Le gouvernement était à ce moment formé par la coalition de trois partis soit : le centre, le parti démocrate allemand et le parti social-démocrate. Malgré cette coalition, les opinions étaient partagées et de vives voix d'oppositions se manifestaient tant chez les partis d'extrême droite que d'extrême gauche. Néanmoins, c'est la droite, plus nationaliste, qui avec le temps s'est davantage imposée avec le concours indirect de la Révolution conservatrice.

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Cette attitude politique (la Révolution conservatrice) n'était ni de gauche, ni de droite, comme l'exprime le titre d'un ouvrage collectif publié sur le sujet10. La notion a été définie en

Allemagne vers 1949 par Armin Mohler :

«Pour de grandes parties de la «Révolution conservatrice» allemande, la lutte contre les idées de la Révolution française, et par conséquent du mouvement européen des Lumières, est un combat contre une «aliénation» venue de l'étranger, qui se change en tentative de reconquérir une « germanité » ensevelie durant des décennies, voire durant des siècles entiers »n.

En fait, entre les deux guerres mondiales, il s'agissait pour un certain nombre d'intellectuels allemands, de trouver une troisième voie politique qui serait une alternative à la fois au libéralisme et au socialisme-marxiste. Selon Gilbert Merlio, en préface au collectif déjà mentionné, l'Allemagne, centre géographique de l'Europe, s'est toujours défendue à la fois contre les dangers qui venaient de l'Est et ceux provenant de l'Ouest. Selon lui :

« ...le but poursuivi est le rassemblement national, c'est-à-dire l'instauration d'une communauté nationale ayant retrouvé une unité morale et sociale, exigeant de ses membres héroïsme et sacrifice, une communauté « organique », hiérarchisée, prête à relever les défis extérieurs et à sauver la nation de sa décadence »12.

Malgré leur désir de ne se rallier ni à la gauche ni à la droite, Merlio affirme que les partisans de la Révolution conservatrice se sont bien intégrés à la culture poUtique dominante qui était alors de droite. CeUe-ci, en effet, permettait la diffusion des idées de la Révolution conservatrice par leurs canaux ; les universités, les revues inteUectueUes et les mouvements de jeunesse par exemple. De cette façon, toujours d'après Merlio, la Révolution conservatrice,

plus modérée, a permis de rendre les politiques du national-sociaUsme plus acceptables.

10 Ni gauche, ni droite: les chassées-croisés idéologiques des intellectuels fiançais et allemands dans l'Entre-deux-guerres,

sous la direction de G. Merlio, Talence, MSHA, 1995.

11 Armin Mohler, La révolution conservatrice en Aliemagie 1918-1932, Puiseaux (Loiret), Pardes, 1993, p.38. 12 Gilbert Merlio, op.cit, p.9.

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Sur le plan de la poUtique extérieure, l'AUemagne est tenue responsable du déclenchement de la guerre à la suite de son mécontentement face au traité de Versailles de 1919. Celui-là stipule que l'Allemagne devra rembourser les pays aUiés pour les réparations encourues par le conflit et pour les frais que leur défense a nécessité. La somme à payer est astronomique et fait bientôt grimper l'inflation à un rythme affolant. La situation est telle que les États-Unis se voient dans l'obhgation d'intervenir en 1923. Grâce au plan Dawes, le niveau de la dette est abaissé, certaines institutions sont mises sous tutelle et des millions de Reich marks sont injectés en crédit à l'AUemagne. Le mot d'ordre, à l'exemple américain, devient la rationalisation. L'expression ne prend cependant pas le même sens pour tout le monde.

Alors que les syndicats y voient la possibilité de meiUeures conditions de travail, les patrons perçoivent une manière d'augmenter la productivité et du même coup, leur profit. En fait, sous la RépubUque de Weimar les avis étaient partagés quant à l'influence .américaine. Certains y ont vu un modèle à imiter alors que d'autres ont souhaité l'éviter. C'est donc au cours d'une période où l'AUemagne recherche une certaine stabilité qu'est né Metropolis.

3. Les thèmes

Metropolis a souvent été associé à l'expressionnisme. Cependant, en 1927, on considérait déjà l'expressionnisme comme dépassé. Dans ce sens, le seul film réellement considéré comme expressionniste aurait été Le Cabinet du Dr Caligari produit dix ans avant Metropolis. Cette association à l'expressionnisme trouve toutefois quelques explications. Nous nous intéresserons ici à ceUe du thème du conflit père-fils qui s'y retrouve ainsi qu'à l'irrationaUsme qu'il exprime.

3.1 Le conflit père-fils

La révolte de Freder contre son père correspond à un thème répandu dans le théâtre et la littérature expressionniste après la première guerre mondiale, soit la révolte des fils contre leurs « pères ». Après cette guerre, la jeunesse inteUectuelle, majoritairement issue de familles bourgeoises, se révolte contre la génération de ses parents qu'elle juge trop autoritaire. Cette génération (ceUe des parents), a encore le culte de la hiérarchie et de l'autorité auquel chacun

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est tenu de se soumettre. Cité par Lionel Richard, l'écrivain viennois13 Stefan Zweig se

souvient de sa jeunesse en ces termes :

« Avant tout nous devions être éduqués à respecter ce qui existait partout comme ce qui était parfait, l'opinion du professeur comme infaillible, la parole du père n'admettant pas d'être contredit, les organisations de l'État comme ayant une valeur absolue et de toute éternité. »14.

Après la guerre s'ajoute la colère des jeunes qui ont survécu au conflit. Ceux-là croient qu'ils ont été entraînés par leurs aînés dans une guerre perdue d'avance et qu'ils ont ainsi servi un sacrifice inutile. Ainsi, selon Jean-Michel Palmier, « la plupart des expressionnistes exalteront le parricide, la vengeance de ceux qui les ont mis en terre »15.

Malgré ce sentiment de révolte, plusieurs des expressionnistes, dégoûtés par la violence dont ils ont été à la fois les témoins et les victimes, prônent la paix, la fraternité et le sociahsme. Cette attitude s'exprime plus particulièrement à travers le courant irrationaliste.

3.2 Le courant irrationaliste

Au courant des années 1920, l'expressionnisme amorce son déclin. Le traité de Versatiles et la création de la Répubhque de Weimar marquent le passage de l'expressionnisme du côté de l'art populaire bourgeois. Voilà sans doute ce qui explique le style expressionniste des gratte-ciel de la viUe extérieure dans Metropolis. Ce phénomène amène plusieurs des protagonistes de l'expressionnisme à se tourner vers d'autres horizons. L'expressionnisme se retrouve tout de même, quoi que souvent de manière plus discrète, sous différentes formes et dans des courants divers jusqu'à 1933, année où la prise de pouvoir par les nazis signe son arrêt de mort.

15 La situation en Autriche était sensiblement la même qu'en Allemagne selon Lionel Richard. 14 Cité dans Lionel Richard, D'une apocalypse à l'autre, Pans, Union Générale d'Éditions, 1976, p. 22-23. 15 Jean-Michel Palmier, L'expressionnisme comme révolte, tome I, Paris, Payot, 1978, p. 130.

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Dans le courant irrationaliste, l'expressionnisme prend la forme d'une révolte de nature sentimentale, humaniste et pacifiste. Elle s'exprime souvent par un romantisme anti-capitaliste. Cette révolte permet aux expressionnistes de faire un lien avec les mouvements ouvriers, tout comme l'amour de Freder pour Maria l'amène vers les quartiers souterrains.

D'autre part, les irrationalistes sont fascinés par les mythes qu'ils opposent à l'histoire ainsi que tout ce qui est archaïques. Une fois de plus, il s'agit de deux éléments qui se retrouvent dans Metropolis ; le premier par la parabole de la tour de Babel, racontée par Maria, et le second par l'existence des catacombes. Jean-Michel Palmier affirme d'ailleurs à ce propos que les sectes les plus étranges proliféraient sous la République de Weimar16. Les

irrationalistes opposaient la « raison » à la « sensibilité » faisant du cœur l'organe le plus important. Maria déclare ainsi que le cœur doit être le lien entre la main et le cerveau, un thème récurrent dans l'art expressionniste.

4. Les décors

La première image de la ville est un plan en contre-plongée montrant des gratte-ciel pyramidaux qui s'effacent dans un fondu enchaîné derrière l'image de pistons de la même forme. La nature profondément industrielle de cette ville est signifiée de cette manière. Les premières images sont éloquentes; la forme pyramidale d'un édifice se fond dans celle presque identique d'une machine. La machine règne donc dans la ville de Metropolis. En effet, tout semble dépendre de son bon fonctionnement. La tour de Ferdersen, au centre de la ville, prend elle-même les apparences d'une machine, soit celle d'une immense foreuse jaillissant du sol. La technologie est devenue la religion de cité de Metropolis et John Fredersen, le maître, du haut de sa tour en est le dieu.

Metropolis est une ville verticale. On y retrouve deux types de quartiers : les biens nantis vivent dans la partie extérieure qui se développe en hauteur, alors que les défavorisés vivent et travaillent dans les quartiers souterrains. Dehors, le tissu urbain est très serré et les gratte-ciel

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rivalisent en hauteur et en technologie [fig. 1]. Us sont abondamment éclairés et plusieurs sont reliés par des passereUes destinées aussi bien aux piétons qu'aux automobiles. La circulation s'y fait par la voie des airs comme par terre. Enfin, des jardins ont été aménagés pour les enfants des hauts dirigeants de la ville.

En revanche, les quartiers souterrains sont sombres et les édifices s'y ressemblent tous [Fig.2]. Ce sont des blocs massifs en béton, dépourvus de tout ornement, et les fenêtres, toutes de mêmes dimensions, sont percées à distance régulière. Les ouvriers qui y vivent portent tous un costume identique et travaillent douze heures durant, tous les jours jusqu'à l'épuisement. Us ne voient pratiquement jamais la lumière du jour puisqu'un large ascenseur les transporte directement de l'usine à leur quartier résidentiel.

La viUe souterraine est introduite par un travelling suivant le mouvement descendant d'un ascenseur. EUe apparaît doucement, nous laissant d'abord voir le sommet des immeubles habités par les ouvriers.

Nous pouvons dès lors parler d'une métaphore de la lutte des classes. L'association des ouvriers à des souterrains et ceUe des dirigeants à des édifices en hauteur peut en effet être vue comme la matérialisation des concepts associés aux expressions anglaises « lower class » et « upper class ». En fait, on pourrait même associer cette image à la critique d'Engels bien qu'elle date de la fin du XIXème siècle. Ainsi, parlant de Liverpool, Engels écrivait : « Un bon cinquième de la population, soit plus de 45 000 personnes habitent dans des caves exiguës

1"7

et sombres, humides et mal aérées, au nombre de 7862 dans la ville » . Dans Metropolis, les mauvaises conditions de vie de ces ouvriers sont signifiées par le souterrain. Rosalind WilUams nous apprend, dans un ouvrage consacré à la symbolique des souterrains dans la littérature, que ces derniers ont toujours été signe de misère, d'oppression, de crainte et même

1 S

d'horreur . Les souterrains ont servi de refuge aux premiers chrétiens tout comme les ouvriers de Metropolis se rassemblent régulièrement dans un lieu rappelant étrangement des 17 Cité dans Frçoise Chaoy, Utopies et réalités, Paris, Seuil, p. 185.

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catacombes. C'est aussi dans des souterrains que de nombreux ouvriers sont morts en rravaiUant dans les mines ou en creusant des tunnels pour les chemins de fer; enfin, c'est là que se réfugient des bêtes comme les ours, les chauves-souris et les serpents. Plus près de nous, l'auteur de science-fiction Robert SUverberg a imaginé, en 1971, des tours immenses abritant des viUes entières pour son roman Les monades urbaines19. Un peu comme dans

Metropolis, les mieux nantis habitent les étages les plus élevés alors que les moins favorisés occupent les niveaux inférieurs des tours. Jean-Michel Palmier affirme que la ville oppressante est un thème récurrent des expressionnistes et ce, dans toutes les disciplines artistiques :

« Cette vision angoissée de la viUe moderne trahit bien son origine sociale : le développement rapide, en AUemagne, de l'industrie, la concentration des ouvriers dans des quartiers pauvres, le développement d'une misère urbaine de plus en plus profonde »20.

La partie de Metropolis située à la surface de la terre ne nous est jamais présentée dans son ensemble. Des prises de vue de différentes parties de la cité nous apprennent qu'elle est composée de gratte-ciel nombreux et aux formes parfois particutières (pyramidales ou en zigzag par exemple [fig.3]). La forme de la tour de John Fredersen est d'ailleurs plutôt diffictie à définir. Il s'agit d'une tour conique couronnée d'une étoile à quatre pointes que nous avons déjà comparée à une immense foreuse [fig.4]. Cette tour, en plein centre de la viUe, vient en quelque sorte remplacer la cathédrale de la vieiUe cité médiévale. D'aiUeurs, sur une esquisse réaUsée par Frank Kettelhut pour un décor de Metropolis, une cathédrale figure au centre de la cité [fig.5]. Selon Dietrich Neumann, Fritz Lang y a laissé une note

91

demandant à Kettelhut d'éliminer la cathédrale et de la remplacer par une tour de Babel .

La parabole de la tour de Babel est significative. Dans la version bibhque de la tour de Babel, c'est Dieu qui, voyant la force de l'union des hommes et leur orgueil, sème la discorde parmi

19 Robert Silverbeig, Les monades urbaines, Paris, R. Laffont, 1974. 20 J.-M Palmier, L'Expressionnisme comme révolte, Paris, Payot, 1978, p. 21 Dietrich Neumann, « Metropolis », in Film Architecture..., p.96.

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eux pour les empêcher d'atteindre leur but, alors que dans le film, c'est Fredersen qui commande à Rotwang le robot destiné à semer la discorde chez les ouvriers.

Engoncée entre les gratte-ciel futuristes, se trouve une petite chaumière [fig. 6], la maison de Rotwang, inventeur du robot et ami de Fredersen, ainsi qu'une cathédrale. Ces deux bâtiments ont un caractère médiéval et se démarquent donc du reste des édifices. Enfin, surgissant aussi du passé, notons la présence de catacombes, lieu de rassemblement des ouvriers qui vont y écouter Maria prêcher.

5. Théories et pratiques de l'architecture sous la répubUque de Weimar

MetropoUs prend les allures d'une grande ville américaine avec ses nombreux gratte-ciel. Fritz Lang a d'ailleurs affirmé que l'idée de MetropoUs lui était venue d'un voyage en Amérique en 1924. Il avait alors été très impressionné par la viUe de New York. Malgré cet air de parenté, MetropoUs ne révèle pas un caractère américain. Comme nous l'avons mentionné plutôt, sous la RépubUque de Weimar les avis étaient partagés quant à l'influence américaine. Dietrich Neumann rapporte qu'à cette époque, il y avait un groupe de critiques et d'architectes aUemands qui, bien qu'ils aient été plutôt anti-américains, désiraient une « germanisation » du gratte-ciel . Ces architectes se proposaient de réaliser des édifices moins historicistes que les gratte-ciel américains et de ne placer qu'un seul de ces grands bâtiments au centre de chaque viUe. Celui-là aurait remplacé la cathédrale de la ville médiévale. Ce projet ressemble bien à ce que l'on retrouve dans MetropoUs, où la grande tour de John Fredersen trône au mitieu des autres édifices et les surplombe. Il s'agit d'un tissu urbain qui demeure plutôt médiéval malgré la modernité des bâtiments qui composent la viUe. Une comparaison entre la Metropolis de Fritz Lang et la New York de 1984 telle qu'imaginée par David Butler pour le film Just Imagine nous permettra d'ailleurs de mieux en rendre compte un peu plus tard.

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Même si l'on associe les gratte-ciel à l'architecture américaine, il ne faudrait pas oublier que quelques architectes allemands ont imaginé de grande tours, souvent en verre, au cours des années 1920. Pensons simplement au projet de Mies Van der Rohe pour un gratte-ciel de verre dessiné en 1919. Le thème de l'architecture de verre a aussi été très populaire auprès des expressionnistes allemands et plus particulièrement auprès des membres de la Glàsern Kette23

dont faisait partie l'architecte Bruno Taut. La Glâsem Kette regroupait une dizaine d'architectes qui échangeaient idées et dessins d'architecture par correspondance. Ces échanges ont donné la chance à quelques architectes de poursuivre des recherches autrement impossibles en AUemagne après la première guerre mondiale. L'architecture de verre est un thème récurrent dans leur dessins. À la même époque, la cathédrale de verre est devenue un symbole du Bauhaus dont Bruno Taut a aussi fait partie à titre d'enseignant. Synonyme de progrès, la cathédrale de verre apparaît sur la page couverture du manifeste du Bauhaus [fïg.7]. Un passage de ce manifeste fait d'aiUeurs mention de l'édifice de verre :

« Tous ensemble concevons et réalisons l'architecture nouvelle, l'architecture de l'avenir où peinture, sculpture et architecture ne feront qu'un et qui, des mains de millions d'ouvriers s'élèvera un jour vers le ciel, symbole de cristal d'une foi nouveUe » 4.

Les dessins de ces bâtiments aux formes irréguUères sont davantage à rapprocher de ceux de MetropoUs que ne le sont les gratte-ciel américains de la même période. D'ailleurs s'il est une école d'importance à cette époque en AUemagne, ti s'agit bien du Bauhaus.

Fondé en 1919 par Walter Gropius, l'objectif du Bauhaus était de faire la synthèse de tous les arts sous l'égide de l'architecture et, grâce à une association avec l'industrie, de les réinsérer dans la vie quotidienne de la population. Cette idée est inspirée de l'art du Moyen-Age. Déjà, avant la première guerre, les premiers expressionnistes, et particulièrement le groupe Die Briicke25, s'inspiraient de cette période historique tant du point de vue des techniques que de

l'organisation du travail. Les expressionnistes cherchaient à atteindre l'idéal gothique du

23 La Chaîne de verre.

24 Cité dans Élodie Vital., Le Bauhaus de Weimar, 1919-1925, Liège, Pierre Mardaga, 1989, p.48. 25 Le Pont

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travail artisanal créant un Uen avec la communauté. Voilà peut-être une explication à la présence des deux bâtiments à caractère médiéval dans MetropoUs. La cathédrale et la maison de Rotwang sont en effet deux bâtiments qui donnent accès à la ville souterraine, ou plutôt, qui permettent le passage d'un quartier à l'autre. L'inventeur Rotwang n'a lui-même pas l'apparence d'un scientifique moderne mais davantage celle d'un alchimiste. C'est lui qui, d'atileurs, donnera à son robot une apparence humaine établissant ainsi un Uen entre les sciences et l'esthétique.

6. L'analyse de l'architecture

Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd'hui, certains critiques de l'époque ont trouvé le film quelque peu suranné. Comme nous l'avons vu, MetropoUs gardait quelques traces d'expressionnisme, un mouvement qui était alors à toute fin pratique sur son déclin. Siegfried Kracauer, pour sa part, a déclaré le film « humanly a shocking failure » alors que presque vingt ans plus tard, Maurice Bardèche et Robert Brastilach, dans leur Histoire du Cinéma27 le

trouvaient enfantin.

H. G. Wells figure aussi parmi ceux qui ont critiqué le film. L'auteur de plusieurs romans d'anticipation a particulièrement dirigé ses reprocUes contre l'image de la ville du futur que Lang a proposée. Dans un article paru dans le New York Times en 1927, il affirme que cette idée de développement de la viUe à la verticale est dépassée et que le film manque totalement d'originaUté en terme d'anticipation :

« The British census returns of 1901 proved that city populations were becoming centrifugal, and that every increase in horizontal traffic facilities produced a further distribution. This vertical social stratification is stale old stuff. So far from being a hundred years hence, Metropolis, in its forms and shapes, is aUeady as a possibility a third of century out of date »28.

26 Cité in John Baxter, Science Fiaion in the Cinema, New York, S. Barnes, 1970, p. 26.

28 H.G. Wc^,« M Welk Reviews a Current Fflm^^ (+f \

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U est vrai que l'idée de viUe souterraine ou se développant en hauteur était déjà très répandue dans les romans de science-fiction à la fin du XIXème siècle. L'auteur français Albert Robida a par exemple imaginé une maison de dix-huit étages [fig.8], en 1883, pour son ouvrage Le vingtième siècle . Pourquoi donc, en ce cas, avoir choisi une telle structure pour la ville de MetropoUs ? Pour l'expUquer, nous avons eu recours au schéma de Michel Freitag tel que nous l'avons annoncé en introduction.

6.1. Michel Freitag et la ville

Selon Michel Freitag le premier acte de l'architecture c'est de « faire une place »30,

c'est-à-dire de créer un espace proprement humain, un espace destiné à devenir la scène où se joueront des rapports sociaux et à marquer une distance avec la nature. D'après Freitag, « c'est en cet espace que la société se rend visible à elle-même »31. En fait, ce que Freitag

affirme vouloir tirer de son analyse, c'est que l'architecture est une matérialisation de l'idéologie dominante d'une société :

« ...l'architecture, dans la mesure même où eUe incame directement pour la présenter l'architecte-nique politique et idéologique de la société, ne se montre pas elle-même. Ce qu'elle montre, c'est la société »32.

Dans une certaine mesure, nous pouvons en dire autant de l'architecture et de la ville dans le film MetropoUs. En effet, la ville, par sa structure, révèle aussi la structure sociale de l'univers dont fait partie MetropoUs, c'est-à-dire, un ordre hiérarchique. Les dirigeants, comme nous l'avons démontré, habitent la ville externe et John Fredersen occupe plus particutièrement les étages supérieures de la plus haute tour de la ville. À l'inverse les ouvriers habitent dans des quartiers bâtis sous terre. Bien que MetropoUs soit une cité imaginaire et qu'eUe possède ses lois propres, comme le dit Etienne Souriau dans sa définition

29 Albert Robida, Le vingtième siècle, Genève et Paris, Slatkine, 1981, p. 128 30 Michel Freitag, Architecture et société, Montréal, St-Martin, 1992, p. 17. 31 lbid., p. 18.

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de la diégèse, cette structure correspond à une réalité de la RépubUque de Weimar. Nous avons en effet fait valoir que lajeunesse inteUectueUe de l'époque s'est révoltée contre l'ordre social imposé par la génération de leurs parents, soit un régime patriarcal autoritaire et une société qui valorise le respect de la niérarchie sociale.

Si cela expUque la structure verticale de la ville de MetropoUs, alors comment expliquer celle de la New York de Just Imagine, un film qui n'a pourtant pas été réatisé dans les mêmes conditions ? Reprenons, de manière abrégée cependant cette fois, les étapes de l'analyse en les apptiquant à Just Imagine puis à Alphaville.

7. New York en 1984

En 1930, un homme du nom de Single 0 est propulsé en 1980 au moment où une baUe de golf lui tombe sur le crâne. New York a évolué en cinquante ans; les gratte-ciel ont proliféré et sont devenus immenses. La circulation se fait surtout par de petits avions personnels, les humains sont identifiés par des chiffres, la nourriture se consomme sous forme de pilules et le mariage est une affaire organisée par la justice. Single 0 fait la connaissance de J-21, un jeune homme amoureux d'une jeune fille nommée LN-18. Ces derniers désirent se marier mais la justice a désigné un autre fiancé pour LN-18. Afin d'empêcher ce mariage et obtenir lui-même la main de la jeune femme, J-21 devra faire preuve de sa valeur aux yeux de la justice. Il part donc sur la planète Mars avec un ami et Single 0. Après plusieurs aventures, les trois compères reviennent sur la terre, où J-21 et LN-18 peuvent enfin convoler en justes noces.

8. New York en 1930

Au contraire de MetropoUs, Just Imagine nous présente le futur d'une ville ayant une existence réelle en 1930. Notre champ d'étude, du point de vue du contexte historique et socio-politique, est beaucoup plus circonscrit parce que nous devons prendre en compte l'histoire de cette viUe, c'est-à-dire New York, plutôt que celle du pays entier.

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Dans les années 1920, alors que l'Allemagne et toute l'Europe tentent de se sortir du marasme économique dans lequel la première guerre mondiale les a jetés, les États-Unis connaissent une certaine prospérité économique. La crise de 1929 constitue un coup dur mais il n'en demeure pas moins que le pays est passé du rôle de pourvoyeur à celui de créancier grâce à cette guerre.

New York, à partir de la fin du XIXème siècle était déjà « le cœur de la nouveUe économie »33et l'est davantage au cours des années 1920. C'est en "effet dans la métropole

américaine que de nombreuses banques, des entreprises industrielles et des compagnies maritimes choisissent d'asseoir leurs bases. New York, écrit François Weil, est aussi devenue « le paradis du petit industriel »34. La compétitivité y est toutefois féroce et ceux qui n'ont pas

les reins assez soUdes sont appelés à disparaître. De la même manière, J-21 doit se battre, dans la New York de 1984, afin de mériter la main de ceUe qu'il aime.

9. Compétitivité et individualisme

La compétitivité est l'un des thèmes qui se retrouvent en effet dans Just Imagine sous la forme d'une lutte pour la main d'une jeune fille. J-21 devra démontrer ses capacités s'il tient réeUement à épouser LN-18. On pourrait aussi soutenir l'idée que plusieurs des mythes

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fondateurs de la nation américaine, tels que définis par EUse Marienstras , se retrouvent dans ce film. Pensons au mythe de la frontière toujours à repousser plus loin - ici l'espace - par exemple, ou celui de l'opposition entre civilisation et sauvagerie, représenté par l'opposition entre la viUe de New York et le monde de la planète Mars. À New York, la recherche du progrès et des nouveUes inventions dans le but d'un profit plus élevé peut aussi être hé à ce mythe. Les gratte-ciel que se font bâtir les grandes multinationales en sont d'ailleurs l'expression, comme nous le verrons plus loin.

33 François Weil, Histoire de New York, Paris, Favard, 2000, p. 182. 34 lbid., p. 192.

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Les luttes sociales ne sont pas les préoccupations des New-yorkais, du moins pas celles que fait ressortir le film Just Imagine. Les conséquences des règles d'une économie capitaliste y sont davantage mis en rehef. Le film ne présente en effet pas des personnages qui se rassemblent pour lutter pour leur droit mais plutôt un individu qui se bat pour ses intérêts personnels.

10. Les décors de Just Imagine

Just Imagine représente aussi une ville verticale. À l'instar de MetropoUs, d'immenses gratte-ciel forment les rues de la New York du futur. La structure de la viUe est toutefois différente de ceUe de MetropoUs. Le tissu urbain n'est en effet pas aussi serré. Au contraire, le plan de la ville semble plus cartésien que celui de MetropoUs [fig.9]. De plus, les gratte-ciel de Just Imagine conservent certains traits de l'architecture classique (comme une division verticale tripartite), et des ornements néogothiques. Ces gratte-ciel correspondent en fait aux types d'édifices qui étaient construits à l'époque dans les viUes de New York et CUicago.

Stephen Goosson, le directeur artistique de Just Imagine, a avoué s'être inspiré de plusieurs sources pour la création de la ville. Il cite notamment Le Corbusier mais c'est surtout l'influence de Hugh Ferriss et des écrits de Harvey Wiley Corbett que l'on reconnut. Ferriss a pubhé un ouvrage, en 1929, sous le titre The MetropoUs of Tomorrow. Selon Donald Albrecht ce livre a été très influent en ce qui concerne l'interprétation des villes du futur dans l'industrie cinématographique hollywoodienne36. Ferriss mérite donc que l'on s'y attarde un peu.

11. Hugh Ferriss et l'ère des gratte-ciel

Ferriss était perspectiviste architectural (ce que les Américains appellent delineator), à New York à partir de 1914. Son travail consistait à réaUser des représentations picturales de constructions en trois dimensions. Ce type de dessins était utitisé dans les relations entre les architectes et leur clientèle parce qu'ils sont plus compréhensibles pour les profanes. D'abord

36 Donald Albrecht, Designing Dreams: Modem Architecture in the Movies. New York, Harper et Row en collaboration avec le

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engagé chez Cass Gilbert, l'auteur du Woolworth Building, Ferriss s'est établi à son compte en 1915 et a travaillé avec des fabricants de matériaux de construction, de syndicats de professionnels ainsi qu'avec des architectes de gratte-ciel comme Harvey Wiley Corbett et Raymond Hood.

Harvey Wiley Corbett a fait appel à la coUaboration de Ferriss en 1922. U avait alors besoin de quelqu'un pour tilustrer ses idées concernant les adaptations possibles, dans le domaine de la construction d'immeubles commerciaux, suite à l'instauration de la loi du zonage à New York. Cette loi promulguée en 1916 assignait des limites en hauteur et en volume aux constructions afin d'assurer une quantité de lumière et d'air suffisant aux canyons urbains. Partant de la forme générale des gratte-ciel qui existaient déjà, Ferriss s'est employé à découper la masse que ces bâtiments représentent de manière à créer des puits de lumière. Par la suite Corbett a aussi impliqué Ferriss dans divers projets comme celui d'élaborer des systèmes de circulation à plusieurs niveaux.

Les dessins de Ferriss publiés dans The MetropoUs of Tomorrow touchaient principalement les gratte-ciel et leur développement. La « zoning law » l'a amené à développer des édifices à redans qui permettaient de construire plus haut sans enfreindre les lois. Il a aussi imaginé des vtiles beaucoup plus aérées, où les gratte-ciel seraient plus espacés les uns des autres [fig. 10].

Stephen Goosson connaissait peut-être bien les dessins de Ferriss avant même la parution du livre, en 1929. En effet, le livre reprend en majeure partie des dessins réahsés tout au long des années vingt. Ce sont aussi des idées que Harvey Wiley Corbett a proposées dans ses écrits, entre autres dans le New York Times Magazine. Voilà peut-être un modèle qui a inspiré la conception de la New York de Just Imagine.

U ne faut cependant pas perdre de vue que les gratte-ciel existaient à New York et Chicago depuis déjà près de cinquante ans au moment où le film est produit. Les premiers bâtiments considérés comme des gratte-ciel ont été bâtis dans les années 1880. Leur construction s'est

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répandue car elle constituait une solution à la demande toujours croissante d'espace à bureaux sur un territoire restreint, comme l'exptique François Weil :

« Les gratte-ciel offrent l'espace nécessaire à l'expansion du secteur tertiaire, aux mMers de cols blancs employés par les grandes firmes ou par les sociétés qui remplissent auprès d'elles d'indispensables fonctions de services et de conseil »37.

D'un autre côté, et comme nous l'avons déjà évoqué, les gratte-ciel sont devenus un mode d'expression pour l'industrie capitaUste américaine. Chaque grande banque, compagnie d'assurance et même certaines industries - Signer par exemple - qui s'installe à New York cherche à se démarquer des autres par l'architecture. La compétition économique se reflétait donc à travers la hauteur et la splendeur des gratte-ciel qui étaient construits. Pensons simplement au Chrysler Building (1929) et à l'Empire State Building (1930).

12. Le discours sur la ville de New York dans Just Imagine

La ville de New York, dans Just Imagine, se développe en hauteur tout comme celle de MetropoUs, mais pour des raisons différentes. Just Imagine nous présente une vtile réeUe dont les caractéristiques ont été exagérées. Le nombre des gratte-ciel est supérieur à ce qui existait véritablement à l'époque, la Uauteur de ces bâtiments est amplifiée et son plan en damier semble poussé à l'extrême. Il ne s'agit pas ici d'une architecture et d'une structure urbaine qui expriment une lutte de classe et de génération, comme c'est le cas pour MetropoUs, mais plutôt celle d'une société qui valorise et encourage l'individualisme, la performance et la compétitivité. Tout cela grâce à des processus de standardisation et de rationalisation qui se sont concrétisés entre autres, au niveau de l'urbanisme, par des règlements de zonage et un plan cartésien.

L'architecture et l'urbanisme cherchent donc des moyens utilitaires d'économiser et d'augmenter le profit en exploitant au maximum les terrains disponibles. En Europe, les 37 François Weil, op. cit, p. 185.

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théories fonctionnalistes ont des objectifs davantage sociaux, du moins en principes. En fait, ce sont les Américains qui ont repris les théories modernes européennes et les ont standardisées.

Finalement, ajoutons que les deux villes cinématographiques, MetropoUs et New York, ne sont pas tout à fait de même nature. Alors que MetropoUs est présentée comme une ville industrielle, la New York de David Butler est une ville administrative, c'est-à-dire où les activités principales sont liées au secteur tertiaire. Ni industrielle, ni administrative, la ville qu'offre Jean-Luc Godard dans Alphaville est un tout autre modèle ; il s'agit d'une ville strictement fonctionnaliste.

13. Une aventure de Lemmy Caution

Le film de Jean-Luc Godard raconte une aventure de l'agent secret Lemmy Caution. Celui-ci est envoyé en mission à Alphaville afin de retrouver le professeur Von Braun qui a disparu du monde extérieur. Lemmy Caution, guidé par Natacha (la fille de Von Braun), découvre que la ville est sous le contrôle d'un immense ordinateur répondant au nom d'Alpha 60, lequel a été inventé par Von Braun lui-même. Les lois régissant la ville sont basées sur une logique instrumentale stricte. Ainsi, tout ce qui entrave les lois de cette logique, ou qui n'a pas d'utilité, est interdit ; l'amour et la poésie sont ainsi bannis et chaque jour des mots disparaissent du dictionnaire. D'autres termes correspondant mieux aux nouvelles idées les remplacent. Caution, confronté aux questions d'Alpha 60, provoquera un court-circuit dans le système informatique en émettant des réponses considérées irrationnelles par l'ordinateur. Il éliminera Von Braun avant de s'enfuir avec Natacha qu'il conduit vers les mondes extérieurs.

14. Paris et la Nouvelle-vague dans les années 1960

Quelques critiques ont écrit d'Alphaville qu'il n'apportait rien de neuf à l'anticipation du point de vue de la diégèse. Le monde & Alphaville avait déjà été dépeint, selon eux, dans des romans comme 1984 de George Orwell ainsi que dans A Brave New World d'Aldous Huxley.

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Alphaville, en effet, décrit une société totalitaire dans laquelle la machine sert à surveiller et contrôler les humains, particulièrement la circulation de l'information entre eux.

Dans les années 1960, l'État français a imposé une censure aux médias à cause des guerres coloniales en Algérie et en Indochine et, selon Lee Hilliker :

« [La Jetée and] Alphaville enact a bitter and pessimistic critique of contemporary French society in this tumultuous period of social change, suppression, and political turmoil between colonial-era censorship and Events of May »38.

Les années 1960 sont en effet une période de changement en France et ce, à différent niveau. Paris sera d'ailleurs grandement touchée par ces changements et particulièrement du point de vue de l'urbanisme. Cependant, les transformations de la ville ont souvent été réalisées sans l'avis des citoyens selon Bernard Marchand dans son Histoire de Paris : « absence de relation avec le public, pour lequel on planifiait sans le consulter ni même s'en soucier ».39

15. Les thèmes <TAlphaville

Le contrôle des communications est l'un des thèmes abordés dans Alphaville. De celui-là découle la suppression de la personnalité due au contrôle social par un ordinateur. Nous pourrions même ajouter, à l'instar de Robin Wood, la suppression des émotions et de l'instinct40:

« In Alphaville there is no art (the word 'poetry' has disappeared long since from the 'Bible') and tradition has been destroyed: there is no past and no future, all life is in the present »41.

38 Lee Hilliker, « The History of the Future in Paris : Chris Marker and Jean-Luc Godard in the 1960s », Film Criticism,

vol. XXIV, no 3, 2000, p. 3.

39 Bernard Marchand, L'histoirre de Paris, Pans, Seuil, 1993, p. 306.

411 Robin Wood, « Alphaville », in The Films of Jean-Luc Godard, Londres, Studio Vista, 1969, p. 86. 41 Ibid., p. 88.

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Régulièrement, à AlphaviUe, des mots sont retirés du dictionnaire ; les mots « amour » et « conscience », par exemple, n'y figurent plus. En fait, comme l'explique Lee Hilliker, le langage tend à être réduit à un instrument de communication de convenance :

« As a correlative to the disappearance of intellectual and emotional reference, social discourse has been degraded until it consists primarily of the purely pragmatic and instrumental conveyance of information, while more meaningful interaction in spoken language has been largely replaced by the exchange of formulas » .

16. Le tournage en décors naturels

Bien que les décors n'aient pas été construits, un choix judicieux des bâtiments a été effectué. Alphaville a été entièrement tourné dans Paris, mais le tournage s'est fait dans différents quartiers de la vtile. Abraham Segal note, dans un article paru en 1969 dans Son et Image, que les familiers de Paris reconnaîtront dans Alphaville le métro aérien, les boulevards périphériques et la Maison de l'O.R.T.F.43. Wood affirme à ce propos que le décor n'a pas été

conçu par la construction de bâtiments futuristes mais plutôt en isolant des éléments du Paris contemporain : « so AlphaviUe as a spiritual symbol is created by isolating, for clarity and emphasis, certain aspects of contemporary spiritual reality » . Grâce aux possibitités techniques du cinéma, Jean-Luc Godard et son directeur de la photographie (Raoul Coutard), ont réussi à créer l'image d'une cité de demain au style architectural plutôt uniforme, en filmant des édifices qui, en réahté, sont dispersés et isolés les uns des autres. Ces édifices sont, pour la plupart, construits à partir de matériaux comme le béton et les panneaux de verre [fig. 11]. Les murs sont blancs à l'intérieur et sont dépourvus d'ornementation. Les murs extérieurs sont, eux, constitués de murs-rideau et les toits sont plats.

Aucune vue générale de la cité n'est offerte, exception faite d'un plan pris d'une fenêtre du centre nerveux d'Alphaville. Le broutilard qui flotte au-dessus de la métropole empêche de

42 Lee Hilliker, loc. cit, p. 14.

43 Abraham Segal, « Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution », Imag et Son, no 233,1969, p. 2. 44 Robin Wood, loc. cit, p. 85.

Figure

Fig. 1 : Gratte-ciel de MetropoUs  Fig. 2: Quartier souterrain de Metropolis
Fig. 5: Esquisse de MetropoUs avec  Une cathédrale au centre.
Fig. 13 : Décor, Dr Strangelove
Fig. 18 : La Lloyd de Londres, R. Rogers
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