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Conceptions et expériences des hommes amérindiens ayant vécu des incidents de violence conjugale au Québec

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Academic year: 2021

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Conceptions et expériences des hommes amérindiens

ayant vécu des incidents de violence conjugale au

Québec

Mémoire

Lisa Ellington

Maîtrise en service social

Maître en service social (M.Serv.Soc.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

La violence conjugale est une problématique sociale très répandue au sein des peuples autochtones (Jones, 2008). Malgré ce constat, les travaux de recherche sur le sujet ne sont pas légion et ont été majoritairement réalisés auprès de femmes ou d’intervenants, le discours des hommes étant éclipsé par la perception qu’ont les chercheurs de la problématique. Cette recherche vise alors à rendre compte de l’expérience et du point de vue des hommes amérindiens ayant vécu des incidents de violence conjugale au Québec. L’analyse de contenu des neuf entrevues réalisées suggère la nécessité de considérer l’interaction dynamique et l’influence mutuelle de différents facteurs (historiques, environnementaux, individuels et culturels) qui façonnent les conceptions de la violence conjugale et les logiques d’action des hommes amérindiens. Ce mémoire met également en lumière la diversité des rôles joués par ces derniers lors des incidents, qu’ils soient les instigateurs et/ou les victimes, à travers les différents types de violence dans lesquels ces rôles s’inscrivent (violence conjugale situationnelle ou terrorisme conjugal).

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Table des matières

RÉSUMÉ... III TABLE DES MATIERES ... V LISTE DES TABLEAUX ... IX REMERCIEMENTS ... XI

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : LA RECENSION DES ÉCRITS, LA PROBLÉMATIQUE ET LA PERTINENCE DE LA RECHERCHE ... 5

1.1STRATEGIE DE REPERAGE DE LA LITTERATURE SCIENTIFIQUE ... 5

1.2RECENSION DES ECRITS SCIENTIFIQUES ... 6

1.2.1 L’ampleur du phénomène de la violence au sein des couples autochtones ... 6

1.2.2 Théories explicatives de la violence au sein des couples autochtones ... 9

1.2.2.1Thèses macrosociologiques ... 9

1.2.2.2 Thèses microsociologiques ... 12

1.2.2.3 Thèses sur les masculinités et la socialisation de genre ... 13

1.2.3 Études qualitatives sur l’expérience des hommes allochtones ayant vécu de la violence conjugale ... 16

1.2.4 Études qualitatives sur l’expérience des hommes autochtones ayant vécu des incidents de violence conjugale ... 18

1.2.4.1 Les hommes autochtones en tant que témoins de la violence conjugale ... 18

1.2.4.2 Les hommes autochtones en tant qu’instigateurs ... 19

1.3PRINCIPALES LIMITES DES ÉTUDES RECENSÉES ... 21

1.4PROBLÉMATIQUE SPÉCIFIQUE DE RECHERCHE ET OBJET D’ÉTUDE ... 23

1.5DÉFINITION DES CONCEPTS CLÉS... 23

1.6PERTINENCE DU PROJET DE MÉMOIRE ... 26

1.6.1 Pertinence scientifique ... 26

1.6.2 Pertinence sociale ... 27

CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ... 29

2.1LE CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL ... 29

2.1.1 La sociologie de l’expérience ... 30

2.1.2 La typologie de la violence conjugale de Johnson ... 31

2.1.3 Pertinence de la sociologie de l’expérience et de la typologie de la violence conjugale de Johnson dans l’analyse des propos des hommes amérindiens ... 32

2.2MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ... 34

2.2.1 Approche privilégiée ... 34

2.2.2 Type de recherche ... 34

2.2.3 Population et échantillon ... 35

2.2.4 Technique de collecte de données ... 38

2.2.5 L’analyse ... 39

2.3CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES ... 40

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CHAPITRE 3 : EXPÉRIENCES DE VIOLENCE CONJUGALE CHEZ LES HOMMES AMÉRINDIENS : ENTRE

CONTEXTES, TRANSFORMATIONS ET LOGIQUES D’ACTION ... 45

3.1CONCEPTIONS DE LA VIOLENCE CONJUGALE DU POINT DE VUE DES HOMMES AMÉRINDIENS ... 45

3.1.1 Cadre émotionnel entourant l’expression de la violence ... 46

3.1.1.1 De la colère à la rage ... 46

3.1.1.2 La notion de pouvoir et de contrôle ... 46

3.1.2 Gradation de la violence au sein des couples amérindiens ... 47

3.1.3 Au-delà de la violence conjugale ou familiale : la violence communautaire ... 48

3.2CONTEXTES HISTORIQUES ET SOCIAUX AU CŒUR DE L’INTERPRÉTATION DES EXPÉRIENCES DE VIOLENCE CONJUGALE ... 48

3.2.1 Contexte politique et historique ... 49

3.2.1.1 La colonisation ... 49

3.2.1.2 Le régime des pensionnats ... 50

3.2.2 Contexte social et communautaire : vivre au sein d’une communauté autochtone ... 51

3.2.2.1 La transmission intergénérationnelle de la violence : grandir et vivre dans un environnement violent ... 52

3.2.2.2 Un passé ponctué de violence et d’abus ... 54

3.2.2.3 Le manque d’activités sociales dans les communautés ... 57

3.2.2.4 La consommation abusive d’alcool ou de drogues au sein des communautés ... 57

3.2.2.5La loi du silence au sein des communautés autochtones ... 59

3.2.3 Les effets du passé colonial sur la transformation des rôles et des dynamiques communautaires, familiales et conjugales ... 60

3.2.3.1 La perte des rôles et des statuts pour les hommes ... 61

3.2.3.2 Les rapports inégaux de pouvoir et l’expression difficile des émotions au sein des couples amérindiens ... 62

3.2.3.3 La possessivité et la jalousie chez les couples amérindiens ... 63

3.3.EXPÉRIENCE DESCRIPTIVE DE VIOLENCE CONJUGALE ... 64

3.3.1 Les principales formes de violences vécues par les hommes autochtones, en tant que victime et/ou instigateur ... 64

3.3.1.1La violence physique ... 64

3.3.1.2 La violence psychologique ... 66

3.3.1.3 La violence sexuelle ... 67

3.3.1.4 La violence économique ... 67

3.3.1.5 La violence spirituelle... 68

3.4CONSÉQUENCES DE LA VIOLENCE CONJUGALE…AU-DELÀ DU COUPLE ... 69

3.5ÉLÉMENTS DÉCLENCHEURS DES INCIDENTS DE VIOLENCE CONJUGALE ... 70

3.5.1 Le rôle de la consommation abusive d’alcool ou d’autres drogues ... 70

3.5.2 La jalousie, les relations extraconjugales et les rumeurs ... 73

3.5.3 L’explosion d’émotions refoulées ... 75

3.5.4 La dépendance affective, la peur de l’abandon et le manque d’estime de soi ... 77

3.6LES LOGIQUES D’ACTION DES HOMMES AMÉRINDIENS RENCONTRÉS ... 78

CONCLUSION ... 79

CHAPITRE 4 : LE RÔLE OCCUPÉ PAR LES HOMMES AMÉRINDIENS LORS DES INCIDENTS DE VIOLENCE CONJUGALE : ENTRE DESCRIPTION ET LOGIQUES D’ACTION ... 81

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4.1.1 Les hommes instigateurs ... 82

4.1.2 Les hommes victimes ... 84

4.1.3 La violence des hommes en réponse à celle subie ... 85

4.1.4 Dynamiques interactionnelles et confusions des rôles : les hommes à la fois victimes et instigateurs ... 87

4.1.5 Des rôles ambivalents ... 88

4.2DES RÔLES QUI CHANGENT ET SE TRANSFORMENT AU GRÉ DES SITUATIONS DE VIOLENCE CONJUGALE ... 89

4.2.1 La perception d’être victime à la prise de conscience de leur rôle d’instigateur ... 89

4.2.2 Le passage d’instigateur à celui de victime ... 91

4.2.3 Des interruptions de la violence conjugale ... 92

4.3DÉCALAGES ENTRE LES FAITS DÉCRITS PAR LES HOMMES ET LEUR PERCEPTION QUANT À LEURS RÔLES ... 93

4.3.1 Les hommes instigateurs qui se perçoivent uniquement comme victimes ... 93

4.3.2 Les hommes victimes qui ne se considèrent pas comme tels ... 93

4.3.2.1 Le juste dû : le cas de Serge ... 94

4.3.3 Quelques éléments de compréhension du décalage qui existe entre la description des incidents et la perception du rôle ... 96

4.4.ANALYSE DU RÔLE OCCUPÉ AU SEIN DES INCIDENTS DE VIOLENCE CONJUGALE SELON LA TYPOLOGIE DE VIOLENCE CONJUGALE DE JOHNSON... 97

4.4.1 Les données qui convergent avec la typologie de Johnson ... 97

4.4.2 Les ajouts à la typologie de Johnson ... 99

4.4.2.1 De la violence conjugale situationnelle au terrorisme conjugal : le cas de Billy ... 99

4.4.2.2 D’instigateur de terrorisme conjugal à victime de violence situationnelle : le cas de Serge 100 CONCLUSION ...101

CONCLUSION GÉNÉRALE ...103

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ...107

ANNEXE A – MESSAGE DE RECRUTEMENT ...121

ANNEXE B – FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ...123

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Liste des tableaux

TABLEAU 1.VARIABLES SOCIODÉMOGRAPHIQUES DES PARTICIPANTS ... 37

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REMERCIEMENTS

Mon parcours dans le programme de maîtrise a été passionnant et stimulant, mais également parsemé de remises en question, de doutes et de surprises. La réalisation de ce mémoire n’aurait pas été possible sans le soutien de nombreuses personnes qui méritent d’être soulignées.

D’abord, je tiens à remercier sincèrement ces hommes qui m’ont ouvert leur cœur et leurs pensées avec une si grande générosité. J’espère avoir su bien mettre en mots vos expériences et que celles-ci serviront à briser le silence, pour éventuellement améliorer les services en matière de violence conjugale au sein des communautés. Kitci Migwetch. Je tiens également à exprimer toute ma gratitude à ma directrice de maîtrise, la Professeure Renée Brassard. Votre disponibilité, votre fougue, nos fous rires et toutes nos discussions m’ont permis d’avoir confiance en moi, de pousser mes réflexions et de me redonner la motivation d’avancer dans les moments de doute. Merci pour votre générosité et votre soutien. Votre passion pour la recherche auprès des Autochtones marquera à jamais celle que je deviens.

Merci à tous ceux ont cru en moi et qui ont su m’écouter, me comprendre et me soutenir à travers cette aventure. Un clin d’œil particulier à Karelle, Marilie et Jean-Michel. Maman, merci de me faire prendre conscience de mes forces et de m’aider à connaître mes limites. Un merci spécial à mon conjoint qui a subi mes hauts et mes bas pendant ce parcours. Merci d’être là et de m’avoir encouragée du début à la fin. Merci également à mes collègues de la CSSSPNQL ainsi qu’à l’équipe Masculinités et sociétés. Vous m’avez permis d’enrichir ce mémoire avec vos suggestions, commentaires et idées.

J’aimerais également souligner le soutien que j’ai reçu par le Centre Wapan, le Centre d'aide pour hommes de Lanaudière CAHo et par la Société de communication Atikamekw– Montagnais (SOCAM) pour le recrutement des participants. Votre aide m’a été très précieuse. Finalement, j’aimerais remercier spécialement le Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC) et le Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF) pour leur soutien financier.

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INTRODUCTION

La violence conjugale 1est considérée comme un problème social fortement répandu partout au Canada y compris au Québec. Selon Statistique Canada (2006), c’est environ 30% des couples mariés, qui l’ont déjà été ou encore, qui vivent en union libre qui aurait vécu au moins un incident de violence physique ou sexuelle à un moment ou à un autre de leur union. Au cours des cinq dernières années précédant l’Enquête sociale générale de 2009, ce serait 6% des femmes et 5% des hommes qui auraient été victimes de violence par leur partenaire au Québec (Statistique Canada, 2009). Devant l’ampleur du phénomène, les rapports d’enquêtes et les travaux scientifiques ont abondé, au cours des dernières années, afin de documenter le phénomène et d’élaborer des pistes d’intervention appropriées autant pour les femmes que pour les hommes concernés (Centre canadien de la statistique juridique, 2001; Cousineau et Rondeau, 2004).

Il s’avère que la violence conjugale affecte particulièrement les familles issues de groupes minorisés, notamment les Autochtones2 (Latta et Goodman, 2005; Jones, 2008). De fait, la violence constitue le problème le plus répandu, le plus coûteux socialement et économiquement pour les peuples autochtones (LaRocque, 1994; Brownridge, 2003; Bourque, 2008), sans compter qu’elle est une grave menace pour le bien-être et la prospérité de ces derniers (Bopp, Bopp et Lane 2003; Chartrand et McKay, 2006). Malgré ces constats, les travaux de recherche qui portent sur la violence au sein des couples autochtones ne sont pas légion. Non seulement elles sont peu nombreuses, mais les recherches empiriques effectuées en matière de violence chez les Autochtones ont souvent été l’initiative d’organismes autochtones et ont été majoritairement réalisées auprès de femmes ou d’intervenants œuvrant dans ces divers organismes (Victorian Indigenous Family Violence Task Force, 2003; Mullaney, 2007). Or, rares sont les études qui s’attardent à l’expérience des hommes autochtones concernés par cette problématique (Mullaney, 2007), leur point de

1 La violence conjugale est définie comme une série d’actes répétitifs, qui se produisent généralement selon une courbe

ascendante […]. La violence conjugale comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique […]. La violence conjugale peut être vécue dans une relation maritale, extramaritale ou amoureuse, à tous les âges de la vie. (Gouvernement du Québec, 2012, p.1).

2 Le terme « Autochtone » réfère aux premiers habitants de l’Amérique du Nord et à leurs descendants. La Constitution

canadienne (1982) _reconnaît trois catégories officielles de peuples autochtones, soit les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Cependant, étant donné qu’une grande hétérogénéité existe entre ces trois groupes sur le plan de l’histoire, de la langue, des pratiques culturelles et des croyances, ce projet de recherche tient uniquement compte des personnes s’identifiant comme membres des Premières Nations.

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vue et leur expérience étant « fréquemment occultés alors qu’ils devraient être considérés comme faisant partie intégrante de la dynamique de la violence » (Montminy, Brassard, Jaccoud, Harper, Bousquet et Leroux, 2010, p.62). Devant un tel constat, il n’est pas surprenant de constater que l’expérience des hommes amérindiens québécois ayant été impliqués au sein d’incidents de violence conjugale soit demeurée inconnue.

Peu importe l’angle adopté ou les acteurs considérés, la violence conjugale qui implique les Autochtones ne saurait être appréhendée sans tenir compte des contextes historique et culturel dans lesquels elle s’inscrit. Le processus de colonisation au Canada, accompagné de différentes politiques d’assimilation et de l’ignorance des Européens quant aux sociétés autochtones traditionnelles, a produit des changements structuraux importants au sein des familles (Weaver, 2009). Ces dernières attribuent à la colonisation la perte de leurs territoires, de leur autonomie et des bases spirituelles, ainsi qu'une perturbation profonde de leurs structures sociales et des rôles conjugaux (Bopp et al., 2003; Jaccoud et Brassard, 2003; Weaver, 2009). En ce sens, la violence conjugale chez les Autochtones apparaît en tant qu’un des symptômes de la déstructuration familiale, alimentée et soutenue par un environnement social promulguant des stéréotypes avilissant les peuples autochtones du Canada (Brownridge, 2003).

À l’exception de deux études australiennes (Task Force, 2003; Cheers et al., 2006) et d’une récente étude canadienne (Comack, 2008), aucune autre recherche, à notre connaissance, n’a tenté d’appréhender les propos qu’entretiennent les hommes autochtones sur la problématique de la violence conjugale dans laquelle ils ont été impliqués. Pourtant, au cours des deux dernières décennies, de nombreux organismes autochtones du Canada et du Québec n’ont cessé de décrier l’absence de travaux de recherche qui met en lumière l’expérience et la manière dont les hommes autochtones comprennent la violence conjugale qui les concerne (Ontario Native Women’s Association, 1989; Femmes Autochtones du Québec/FAQ, 2008). Or, il est essentiel de saisir le sens que ces derniers donnent à leur expérience de la violence conjugale afin de développer des réponses sociales et méthodes d’intervention appropriées (Peralta, Tuttle et Steele, 2010). Sachant les lacunes au niveau de la littérature et les besoins omniprésents des hommes amérindiens ainsi que de leur

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3 conjointe, l’objet du présent mémoire consiste à mieux comprendre l'expérience et le point de vue des hommes amérindiens ayant vécu des incidents de violence conjugale au Québec. Ce mémoire s’inscrit dans une recherche dirigée par mesdames Renée Brassard3 et Lyse Montminy4, intitulée Masculinités et violence conjugale chez les hommes autochtones au

Québec. Plus spécifiquement, les objectifs poursuivis dans le cadre de ce mémoire sont les

suivants :

1) Saisir la manière dont les hommes amérindiens5 conçoivent la violence conjugale; 2) Comprendre l’expérience de violence conjugale vécue par les hommes amérindiens. Plus spécifiquement, il s’agit d’explorer leurs différentes logiques d’action liées à leur expérience de violence conjugale et les différents contextes sociaux qui façonnent leur compréhension des incidents, en plus d’analyser les formes de violence conjugale vécues ainsi que les éléments déclencheurs.

3) Appréhender la manière dont les hommes amérindiens perçoivent les rôles qu’ils occupent, en tant qu’acteurs impliqués, lors des incidents de violence au sein de leur couple. Il s’agit donc non seulement d’analyser s’ils se perçoivent comme instigateur, victime ou les deux, mais également le type de relations violentes dans lequel ces rôles s’inscrivent (violence conjugale situationnelle ou terrorisme conjugal) à l’aide de la typologie de violence conjugale de Johnson (2008).

Le présent mémoire est divisé en quatre chapitres. Le premier présente la stratégie de repérage documentaire réalisée. Une recension des écrits, axée sur le thème de la violence conjugale chez les Autochtones et sur l’expérience des hommes est ensuite élaborée, suivi d’un aperçu des limites des recherches actuelles et de la pertinence de s’attarder à cette problématique. L’opérationnalisation des principaux concepts est finalement présentée. Le second chapitre expose le cadre théorique dans lequel s’inscrit la présente étude ainsi que la méthodologie de recherche. Il comprend une description de l’approche et du type de recherche privilégiés, la méthode de collecte de données, la population à l’étude, l’échantillonnage et la stratégie d’analyse des données. Le chapitre 3 présente ensuite les résultats de l’analyse touchant à l’expérience des hommes amérindiens, soit la manière dont ils conçoivent la

3Madame Renée Brassard est Professeure à l’École de service social de l’Université Laval. 4Madame Lyse Montminy est Professeure à l’École de service social de l’Université de Montréal.

5 Ce terme désigne toute personne qui déclare appartenir au genre masculin et qui se définit comme amérindien ou

Première Nation. Dans le cadre de ce mémoire, la population étudiée comprend les hommes qui considèrent faire partie d’une des neuf Premières Nations amérindiennes suivantes : Abénaquis, Algonquins, Atikamekw, Cris-Eeyou, Hurons-Wendat, Innus, Malécites, Mi’gmaq ou Mohawks (Johnson, 2006).

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violence au sein des couples, les éléments de contexte façonnant leur expérience de violence conjugale, les formes de violence vécues ainsi que les éléments déclencheurs. Finalement, le chapitre 4 expose les résultats se rapportant au rôle joué par les hommes lors des incidents de violence, qu’ils en soient les victimes et/ou les instigateurs.

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CHAPITRE 1 : LA RECENSION DES ÉCRITS, LA PROBLÉMATIQUE ET LA PERTINENCE DE LA RECHERCHE

Ce chapitre vise à rendre compte de l’état des connaissances relatives à la problématique de la violence au sein des couples autochtones. À travers une revue de littérature, ce chapitre met en lumière les connaissances issues de nombreux ouvrages scientifiques et il est divisé en six parties. La première partie expose la stratégie de repérage de la littérature scientifique, alors que la deuxième présente la recension des écrits. Les données concernant l’ampleur du phénomène de la violence conjugale en milieu autochtone sont présentées. Les théories explicatives de la violence au sein des couples autochtones sont ensuite exposées. La troisième partie, quant à elle, énonce les limites des recherches actuelles. L’analyse de ces écrits permet de constater un vide empirique concernant non seulement le point de vue des hommes sur leur expérience de violence conjugale, mais également sur le vécu des hommes autochtones concernant cette problématique, qu’ils en soient les victimes et/ou les instigateurs. Ce manque de littérature justifie l’objet de la recherche ainsi que le choix de la population à l’étude. Or, la quatrième section est consacrée à l’objet d’étude de même qu’aux objectifs spécifiques de la recherche. Puis, une définition des principaux concepts qui sont au cœur du mémoire seront présentés et finalement, les éléments qui justifient sa pertinence scientifique et sociale.

1.1 Stratégie de repérage de la littérature scientifique

La recension des écrits scientifiques s’appuie sur la littérature québécoise, canadienne et internationale qui traite, en tout ou en partie, du phénomène de la violence vécue au sein des couples autochtones, plus spécifiquement en ce qui concerne l’expérience vécue par les hommes concernés. La démarche documentaire a débuté par la consultation de documents gouvernementaux et de documents provenant d’organismes autochtones et allochtones, notamment la Commission royale sur les peuples autochtones ainsi que les documents provenant de Femmes Autochtones du Québec (FAQ), de la Fondation autochtone de guérison

(FAG), de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) et de l’Ontario Native Women’s Association (ONWA).

Les banques de données en service social et dans d’autres disciplines connexes, telles que

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full text ont été largement utilisés et ont permis de consulter les revues Journal of Social Work, Journal of Interpersonal Violence, Violence Against Women, Nouvelles Pratiques Sociales, Trauma, Violence and Abuse, Journal of Family Violence, American Journal of Community Psychology, Men and masculinities, Journal of Social and Personal relationships, etc.

Les mots-clés utilisés pour la recherche documentaire varient selon la banque de données. Généralement, les articles anglophones relatifs à l’expérience des hommes autochtones quant à la violence conjugale étaient générés par les mots-clés « Aboriginal men », « Native men », « Indigenous men », « First Nations », « Accounts » « Perspective », « Experience », « Domestic Violence », « Spouse/partner abuse », « Intimate partner violence », « Conjugal violence », « Perpetrators », «Victimisation», « Role », « Masculinity », « Masculinities ». La recherche documentaire francophone effectuée sur l’expérience des hommes autochtones était désignée par les mots-clés « Homme autochtone », « Homme amérindien », « Premières Nations », « Perception », « Expérience », « Discours », « Propos », « Violence conjugale », « Violence entre conjoints/partenaires », « Agresseurs », Instigateurs», « Victimisation », « Rôle », « Masculinité », « Masculinités ». Afin de diversifier les sources documentaires, certains livres ou chapitres de livres, rapports de spécialistes, mémoires de maîtrise et thèses de doctorat ont également été retenus. De plus, le réseau québécois de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG) a été consulté.

1.2 Recension des écrits scientifiques

1.2.1 L’ampleur du phénomène de la violence au sein des couples autochtones

Les communautés autochtones représentent environ 4% de la population canadienne, pour un total de plus d’un million d’individus (Statistique Canada, 2011). Les Amérindiens (ou Premières Nations) sont les plus nombreux, représentant près de 61% de la population autochtone canadienne et 88% de la population autochtone québécoise (Picard Marcoux, 2012). Au Québec, il est possible de dénombrer 54 communautés autochtones (40 des Premières Nations et 14 communautés inuit), dispersées partout dans la province : dans les régions isolées géographiquement, dans les zones rurales et dans les régions limitrophes aux grands centres urbains (Johnson, 2006). Les communautés des Premières Nations se répartissent à l’intérieur de dix nations amérindiennes : les Abénaquis, les Algonquins, les Atikamekw, les Cris-Eeyou, les Hurons-Wendat, les Innus, les Malécites, les Mi’gmaq, les

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7 Mohawks et les Naskapis. En 2006, la population ayant déclaré une identité autochtone au Québec se chiffrait à 108 425 individus (Johnson, 2006).

Bien que les membres des Premières Nations demeurent principalement dans leur communauté (70%), un nombre croissant d’Autochtones migrent dans les grandes agglomérations urbaines (Statistique Canada, 2011), notamment en raison des hauts taux de pauvreté et de chômage qui les afflige, de l’absence de possibilités d’emploi, de conditions de logement inadéquates et du manque d’accès au système de santé et de services sociaux (Pharand et Rousseau, 2008). De plus, certaines études soutiennent que la violence conjugale ou familiale qui sévit dans les communautés autochtones serait une autre raison pour laquelle les femmes autochtones migreraient vers les villes (Jaccoud et Brassard, 2003). Il demeure néanmoins pratiquement impossible d’obtenir des données statistiques précises concernant l’ampleur et la portée de la violence vécue au sein des couples autochtones ayant migré en milieu urbain. En fait, les données précises sur l’expérience des hommes autochtones ayant été impliqués dans des incidents de violence conjugale sont inexistantes. L’information actuelle dont nous disposons est fondée uniquement sur les données quantitatives des recensements et celles provenant des institutions carcérales (Johnson, 2006; Brassard, Giroux et Lamothe-Gagnon, 2011). Actuellement, aucune étude ne permet de dresser un portrait global de la prévalence de cette violence chez les hommes autochtones.

Malgré le peu de données actuelles, les travaux consultés témoignent d’un consensus général : la violence conjugale est un problème très répandu et préoccupant chez la population autochtone (Task Force, 2003). Aux États-Unis, Jones (2008) estime que la prévalence de la violence conjugale se situerait entre 80% et 90% en milieux autochtones américains. Toutefois, ces taux élevés pourraient être expliqués par le fait que les données aient été recueillies auprès d’une population clinique. Par ailleurs, une récente étude statistique menée en Australie auprès des communautés autochtones stipule que les hommes sont également victimes d’actes de violence de la part de leur conjointe et que le nombre de décès suite aux actes de violence du partenaire est semblable entre les hommes et les femmes autochtones (Australian Institute of Health and Welfare, 2005).

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Au Canada, l’Enquête sociale générale (ESG) de 2009 rapporte que les Autochtones sont trois fois plus susceptibles que les Allochtones d’être victimes de violence conjugale. En effet, 21% des Autochtones (24% des femmes et 18% des hommes) ont affirmé avoir subi des actes de violence de la part de leur partenaire présent ou antérieur au cours des cinq dernières années, alors que ce chiffre était de 6% parmi la population non-autochtone. Selon une autre enquête menée par Statistique Canada en 1999, 30% des hommes autochtones et 37% des femmes autochtones rapportent avoir été victimes de violence émotionnelle (insultes, jalousie, tentative de limiter les relations sociales du partenaire, etc.) pendant une période précédente de cinq ans (Brzozowski et Mihorean, 2002). Fait intéressant, le nombre de victimes de violence conjugale relevé dans ces deux enquêtes, bien que légèrement plus élevé chez la gent féminine, est tout de même similaire entre les hommes et les femmes autochtones. D’ailleurs, une récente étude canadienne menée par Brownridge (2010) auprès de 6,434 hommes (6,331 Allochtones et 103 Autochtones) souligne l’importance de tenir compte des hommes victimes de violence conjugale lorsque l’on tente d’en établir la prévalence. En effet, les données de l’étude, recueillies par entrevue téléphonique à l’aide du Conflict Tactics Scale (CTS) indiquent que les hommes autochtones auraient dix fois plus de risques que leurs homologues allochtones d’être étranglés, menacés avec un couteau ou avec une arme à feu de la part de leur conjointe. De plus, la victimisation des hommes autochtones s’élevait à 10% pendant les cinq années précédant l’enquête, en comparaison à 4% pour les hommes non-autochtones (Brownridge, 2010). Malgré ces chiffres, les conséquences physiques subies par les femmes, dues à la force physique plus élevée des conjoints, sont beaucoup plus graves et expliqueraient pourquoi la majorité des études s’attardent à leur expérience, campant la femme dans le rôle de victime et l’homme dans celui d’instigateur (Wenitong, 2006).

À l’instar des chiffres canadiens, Montminy et ses collaborateurs (2010) de même que la CSSSPNQL (2003) rapportent que les femmes autochtones ont trois à quatre fois plus de risque, comparé aux femmes allochtones, d’être victimes de violence au sein de leur couple. De plus, l’étude menée par Petawabano, Gourdeau, Jourdain, Palliser-Tulugak et Cossette (1994) rapporte que 68% des cas rapportés à la police québécoise amérindienne entre 1987 et 1992 sont des cas de violence physique conjugale. Une autre étude menée par Dumont-Smith

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9 et Sioui-Labelle (1991) auprès de femmes autochtones rapporte que 71% de celles demeurant actuellement en zone urbaine relatent avoir été impliquées dans un incident de violence conjugale au cours de leur vie. Toutefois, ces données sont entièrement de nature quantitative et sont essentiellement recueillies auprès de femmes. À la lumière de ces constats, les données concernant les hommes amérindiens québécois méritent d’être approfondies.

1.2.2 Théories explicatives de la violence au sein des couples autochtones

Les taux élevés de violence conjugale chez les Autochtones ont conduit de nombreux chercheurs de la communauté scientifique à développer différents modèles explicatifs afin d’en identifier les causes. Bon nombre de ces modèles ont une certaine validité et utilité, mais presque tous ces éclairages tentent d’expliquer certaines dimensions du problème alors qu’ils négligent d’autres dimensions très importantes et des pans complets de la problématique (Bopp, Bopp et Lane, 2003).

1.2.2.1Thèses macrosociologiques Théorie du colonialisme

Selon plusieurs écrits portant sur l’explication de la violence au sein des couples autochtones, cette problématique s’est construite de façon indissociable de l’histoire et des conditions de vie de ces peuples (Larocque, 1994; Hamby, 2000; Jones, 2008). La littérature relate, entre autres, les effets néfastes de la colonisation et de la dépossession culturelle (ONWA, 1989; Task Force, 2003). En effet, la violence conjugale s’inscrit dans un contexte plus large de contraintes sociales, provoquées par l’ignorance des Eurocanadiens à l’endroit des sociétés autochtones traditionnelles et des politiques d’assimilation des populations autochtones contre leur gré (Fondation autochtone de guérison-FAG, 1993; Weaver, 2009). D’ailleurs, la Loi sur les Indiens, à l’origine de la création des réserves et de l’interdiction de certaines pratiques traditionnelles, est perçue comme une manifestation de l’infantilisation de ces peuples et des rapports de pouvoir entre Autochtones et Allochtones (Lessard et al., 2010). Une étude de LaRocque (1994) qui a exploré les principaux facteurs contribuant à la violence dans les communautés indique que plusieurs Autochtones considèrent avoir été écartés du processus décisionnel les concernant, pour se retrouver dans une société dont les structures économiques, sociales et

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politiques leur étaient inconnues. De plus, une étude longitudinale américaine, effectuée à l’aide des questionnaires « The Historical Loss Scale » et « The Historical Loss Associated Symptoms Scale », qui mesurent la perception des Autochtones en ce qui concerne les conséquences de la colonisation, a révélé qu’une majorité des 143 participants attribuent à celle-ci la perte de leur autonomie, de leurs territoires, de leur langue, des bases spirituelles traditionnelles ainsi qu’une perturbation profonde de leur mode de vie (Whitbeck, Adams, Hoyt et Chen, 2004). Parallèlement, les terres et les ressources indispensables au maintien de l’économie et des moyens de subsistance autochtones ont été considérablement érodées, par l’absence de reconnaissance et de protection des droits de propriété des populations autochtones par les gouvernements canadiens (Commission royale sur les peuples autochtones- CRPA, 1996). Toutes ces politiques ont eu pour conséquences une destruction de la culture, de l’identité et de la spiritualité autochtones, plaçant les familles dans un engrenage de pauvreté et de désespoir (CRPA, 1996; Downe, 2008).

Théorie de l’anomie sociale

Compte tenu de la complexité de tous les facteurs politiques et historiques entourant la problématique de la violence conjugale chez les Autochtones, plusieurs théories explicatives découlent de celle du colonialisme. Par exemple, suivant la théorie de l’anomie élaborée à l’origine par Durkheim (1965), certains auteurs stipulent que les changements rapides et des bouleversements sociaux vécus par les sociétés autochtones à la suite de la colonisation ont causé de la confusion identitaire (Reser, 1990a), la perte de statut des femmes autochtones (Cercle autochtone, 1993), la perte des rôles traditionnels pour les hommes (Audet, 2002) et un sentiment d’aliénation et d’anomie (Memmot, Stacy, Chambers et Keys, 2001). En 1996, la CRPA a conclu que « les assauts répétés qui ont été lancés contre la culture et l’identité collective des autochtones [...] ont sapé les bases de la société autochtone et contribué au sentiment d’aliénation qui est souvent à l’origine des comportements autodestructeurs et antisociaux» (CRPA, 1996, p.34). Certains auteurs soulignent particulièrement les effets dévastateurs de la colonisation sur les hommes, qui ont été privés de leur statut de leader et de leur identité (Audet, 2002; Snowball et Weatherburn, 2008). Il importe de souligner qu’actuellement, il existe très peu de

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11 ressources pour aider ces hommes à gérer les effets psychologiques et émotionnels des bouleversements causés par le processus de colonisation (Downe, 2008).

Théorie de la désorganisation sociale et familiale

Selon la théorie de la désorganisation sociale, également issue de la théorie macrosociologique du colonialisme, le processus de domination historique a engendré de nombreuses perturbations non seulement au niveau des politiques et structures traditionnelles autochtones, mais également au sein des familles. Avant les premiers contacts avec les Européens, les rôles des hommes et des femmes autochtones étaient distincts, mais étaient considérés complémentaires et égalitaires (FAQ, 2008). L'imposition du modèle patriarcal eurocanadien, dans lequel l'homme domine, contrôle l'accès aux ressources et représente l'instance décisionnelle principale, a provoqué de profonds changements au sein des familles autochtones (Weaver, 2009). Ce modèle patriarcal a amené l’idée qu’un homme doit «être fort, qu’il doit garder ses émotions pour lui-même, ne doit jamais pleurer et doit être le chef au sein de sa famille [...] alors que la culture autochtone fait plutôt la promotion de la force tranquille, de l’invulnérabilité, de l’autosuffisance, de la dignité et du respect de toutes choses vivantes » (ONWA, 1989, p.27). Certains auteurs font également état du fait que « les effets de la colonisation sont particulièrement graves chez les hommes qui, comme guerriers, étaient censés repousser les oppresseurs et protéger leur famille et leur communauté » (Archibald, 2006, p.90). La théorie de la désorganisation sociale indique qu’il est ainsi possible d’envisager que le début de la colonisation au Canada, accompagné des interventions étatiques et du système de pensionnats, ont apporté des changements importants au sein des couples et a provoqué des tensions et de la frustration qui ont miné les rapports au sein de la structure familiale traditionnelle (Jaccoud et Brassard, 2003 ; Weaver, 2009). Or, les relations entre hommes et femmes sont maintenant empreintes de pouvoir et de domination plutôt que de partage égalitaire (LaRocque, 1994; Weaver, 2009). Ainsi, la violence conjugale n’est qu’un des symptômes de la déstructuration familiale, alimentée et soutenue par un environnement social promulguant des stéréotypes avilissant les peuples autochtones (Abadian, 1999; Jaccoud et Brassard, 2003).

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Théorie de la «privation sociale » (social deprivation theory)

Une autre théorie découlant de la thèse macrosociologique du colonialisme stipule que les nombreux désavantages sociaux et économiques vécus par les peuples autochtones à la suite de la colonisation ont généré un plus haut risque de violence conjugale. Or, la discrimination et la marginalisation des peuples autochtones ont des conséquences qui s’observent par des taux de chômage élevés, la pauvreté, l’acceptation généralisée de la violence comme « norme » (LaPrairie, 1994) et une détérioration globale de leurs conditions de vie (Bopp et al., 2003; Brownridge, 2003). La confusion identitaire, l’exclusion sociale et l’isolement géographique, tous causés par le processus colonial, seraient également des facteurs de risque (CSSSPNQL, 2003; FAQ, 2008; Jones, 2008; Pharand et Rousseau, 2008). Corrado, Cohen, Belisic et Jonas (2000) indiquent également que la dévalorisation des hommes autochtones, entraînée par le chômage chronique, le sentiment d’impuissance, la dépendance à l’aide sociale et le peu de possibilités de participer à des activités traditionnelles de subsistance, peut provoquer de la frustration et de la colère chez ces derniers. Cette situation aurait pour conséquence d’augmenter les rapports de pouvoir problématiques entre les hommes et les femmes, contribuant ainsi aux taux élevés de violence conjugale (CRPA, 1996).

1.2.2.2 Thèses microsociologiques

Bien que plusieurs contextes sociaux et historiques aient contribué à l'émergence de la problématique de la violence conjugale en milieu autochtone, certains auteurs rejettent les théories colonialistes en mettant l’accent sur le cumul et l’interaction de nombreux facteurs de risques spécifiques aux populations autochtones (Pearson, 2001). Par exemple, la théorie du mode de vie (Lifestyle/routine activity theory) explique que la violence conjugale ne peut être réduite aux facteurs historiques, mais découlerait directement d’un mode de vie qui serait adopté par de nombreuses familles autochtones. Selon Pearson (2001a; 2001b), la consommation abusive d’alcool et de drogues serait le premier facteur explicatif du haut taux de prévalence de la violence.

D’autres théories microsociologiques, comme celle de l’apprentissage social, aborde plutôt la violence conjugale en contexte autochtone comme étant le produit d’un processus de

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13 transmission intergénérationnelle et d’apprentissage social. Selon cette théorie, les hommes autochtones ayant eu recours à des comportements violents envers leur conjointe ont vécu des expériences directes ou indirectes en tant que victimes de violence, soit au sein de leur famille d’origine ou au sein d’une relation conjugale antérieure ou actuelle (Archibald, 2006). En effet, les données recueillies auprès d’hommes autochtones judiciarisés ayant commis des actes de violence au sein de leur couple indiquent qu'ils sont beaucoup plus nombreux que les hommes allochtones à avoir connu, dans leur famille d’origine, des problèmes de violence familiale, d’abus de drogues ou d’alcool de leurs parents et à compter d’autres délinquants parmi les membres de leur famille (Trevethan, Moore, Auger, MacDonald et Sinclair, 2002). Les répercussions intergénérationnelles du régime des pensionnats seraient également liées à la violence actuelle au sein des couples autochtones: les conséquences des abus sexuels et des mauvais traitements physiques vécus dans ce régime se sont transmis aux enfants, aux petits enfants et aux arrière-petits-enfants des Autochtones qui les ont fréquentés (Bopp et al., 2003). Ces sévices, selon la thèse de la transmission intergénérationnelle, auraient engendré un lourd héritage de traumatismes et de deuils non résolus qui expliqueraient les hauts taux de violence actuels (Blackstock, Trocmé et Bennet, 2004).

1.2.2.3 Thèses sur les masculinités et la socialisation de genre

Quiconque s’intéresse à la problématique de violence conjugale en contexte autochtone ne peut occulter les théories sur les masculinités. Développées surtout auprès de populations allochtones, ces thèses soutiennent que l’utilisation de la violence envers les femmes serait l’une des conséquences de la socialisation de genre des hommes (Anderson et Umberson, 2001; Moore et Stuart, 2005; Cohn et Zeichner, 2006; Turcotte et Bernard, 2008). Plus précisément, les hommes feraient l’apprentissage que le pouvoir, le contrôle, la compétition et la domination sont des caractéristiques masculines, tandis que les émotions, la vulnérabilité et l’intimité seraient typiquement féminines (Dulac, 2001). Selon ces théories, les diverses attentes envers les hommes engendreraient une crainte de ne pas être à la hauteur, les comportements violents ayant donc pour fonction de maintenir ou d’affirmer leur identité masculine en leur assurant un certain contrôle des situations ou des personnes (Brooks et

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Silverstein, 1995; Bernard, 2010; Turcotte, 2010). La violence conjugale serait en ce sens « a resource for demonstrating and showing a person is a man » (Hearn, 1998, p.37).6

Certains travaux issus de la perspective des masculinités et de la socialisation de genre se sont également intéressés à ces concepts en contexte autochtone. L’utilisation de ces travaux comme cadre visant à expliquer la violence conjugale ne fait toutefois pas consensus. De fait, alors que certaines recherches soulignent qu’il faut porter une attention particulière au genre lorsque l’on s’intéresse à la violence au sein des couples autochtones (Brownridge, 2010), d’autres (tel le livre Masculindians), évoquent plutôt le fait que le genre, étant indissociable du statut autochtone, est difficile à considérer de façon distincte dans le cas des Autochtones (McKinley, 2014). Il y a également différentes manières de théoriser le genre en tenant compte de l’histoire de colonisation de ces peuples. Alors que Snowball et Weatherburn (2008) suggèrent que l’expérience commune de la colonisation chez les hommes et les femmes autochtones aurait un effet similaire sur ceux-ci (y compris à l'égard de victimisation lors d’incidents de violence conjugale, où les femmes en seraient autant les instigatrices que les hommes), d’autres études révèlent plutôt que la colonisation a été vécue comme un processus ayant eu des effets différents pour les femmes et les hommes autochtones (LaRocque, 1994; McEachern, Winkle, et Steiner, 1998), ce qui aurait produit des relations genrées qui n’existaient pas à l’époque pré-coloniale (Anderson, Innes et Swift, 2012).

Devant ces réflexions diversifiées entourant les masculinités autochtones, la violence conjugale et la colonisation, d’autres études se sont penchés sur l’expérience des hommes autochtones sous l’angle de la masculinité hégémonique (concept développé par Connell, 1995). Selon certains travaux associés à ce courant, la colonisation amènerait une masculinité autochtone difficile à actualiser : on ne peut vivre avec, car elle est destinée à être abattue complètement par le conquérant blanc (Alfred, 2011). Les masculinités autochtones seraient donc marginalisées et dénigrées par la société euro-canadienne, ce qui mènerait à

6 Nous avons intégré dans la recension ces études sur les masculinités allochtones afin de comprendre le

contexte entourant les « masculinités autochtones ». Toutefois, ces théories n’ont pas été retenues dans l’analyse du présent mémoire, car les propos relatés par les hommes révèlent qu’ils construisent leur expérience en faisant presque exclusivement référence à leur statut d’Autochtone et leur nation plutôt qu’en vertu de leur genre.

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15 certains comportements auto-destructeurs et dysfonctionnels chez les hommes autochtones (Hokowhitu, 2007; Konishi, 2011). La violence conjugale serait donc l’un des moyens utilisés par ces derniers pour confronter leur impuissance (Hokowhitu, 2007).

Bien qu’elles abordent le genre et la socialisation masculine sous différents angles, ces études suggèrent que « there may be unique explanations for Aboriginal men’s and women’s IPV victimisation » (Brownridge, 2010, p.235), puisque l’étude des masculinités autochtones requiert des précisions historiques et beaucoup de nuances; l’ethnicité, la culture et le genre étant imbriqués et indissociables (McKinley, 2014). Les études allochtones portant sur les masculinités comportent ainsi plusieurs limites dans un contexte autochtone, car « what comes to be considered masculine within a given context necessarily falls short of capturing the complex experiences of [aboriginal] men » (McKinley, 2014, p.8).

Malgré le manque de consensus au plan théorique, différentes initiatives visant à contrer la violence conjugale chez les populations des Premières Nations ont néanmoins été mises en place. Les quelques écrits existants sur ces programmes permettent de saisir de quelle manière les Autochtones perçoivent la thématique de la violence conjugale et le rôle occupé par les hommes. Tout d’abord, ces initiatives dénoncent l’inefficacité des programmes « blancs » basés sur la socialisation masculine, qui entrevoient les hommes comme violents, « mauvais » ou comme les uniques responsables de la violence (Hurst, 2002). Les programmes conçus pour les Autochtones prennent plutôt appui sur le fait que « men are part of a holistic system of families, community and society; men must be respected as human beings and must learn from past mistakes; men can be guided back to a non-violent way of living through traditional teachings and culture; and all human beings are inherently good » (Trevethan, Moore, et Allegri, 2005, p.14-15). Le statut individuel « d’homme » semble perdre de son sens au profit du collectif dans une approche globale qui tient compte de tous les acteurs : « family, kinship and community ties […] are paramount to Aboriginal people’s sense of self, and self in relation to others in the community » (Hurst, 2002, p.17).

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Somme toute, l’éclectisme et la complexité de toutes les théories explicatives exposées précédemment rendent leur classification assez laborieuse. Celles-ci tentent toutes d’expliquer le phénomène de la violence conjugale chez les Autochtones, mais négligent tout un univers qui mérite d’être approfondi : la compréhension du phénomène du point de vue des acteurs sociaux qui le vivent. Bien que ces études fournissent des repères pour tenter de comprendre la violence conjugale en milieu autochtone, il faut également prendre en considération l’expérience des hommes amérindiens ainsi que les logiques et les contextes qui sous-tendent leurs actions.

1.2.3 Études qualitatives sur l’expérience des hommes allochtones ayant vécu de la violence conjugale

La plupart des connaissances concernant les hommes ayant vécu des expériences de violence conjugale ont été issues de travaux portant sur la perception des femmes et la manière dont elles rapportent la violence perpétrée par leur conjoint (Cavanagh, Dobash, Dobash et Lewis, 2001). De ces études qualitatives pour la plupart féministes, il est établi que les hommes sont les instigateurs de la violence et auraient tendance à justifier ou nier leurs comportements agressifs (Dutton, 1996), ou même nier que la violence existe au sein de leurs communautés (Nilan, Demartoto, Broom et Germov, 2014). D’autres travaux féministes menés auprès d’hommes caucasiens américains en arrivent aux mêmes conclusions, soit que les hommes ayant des comportements violents envers leur conjointe tendent à excuser, minimiser leur comportement ou éprouvent des remords (Anderson et Umberson, 2001; Wood, 2004; Mullaney, 2007). De surcroît, une recherche comparative et longitudinale effectuée auprès de 95 couples allochtones américains ayant vécu de la violence conjugale révèle que plusieurs participants de sexe masculin ne se perçoivent pas comme violents ou agressifs, puisqu’ils n’utilisent pas la violence dans d’autres contextes que le couple. De plus, ils consentent avoir eu un comportement inapproprié sans le définir comme de la violence : ils distinguent la « vraie » violence (envers les autres hommes) et celle vécue dans leur couple, qui serait plutôt perçue comme provoquée, mutuelle ou partagée (Cavanagh et al., 2001). De plus, les hommes ayant des comportements violents se décriraient comme étant rationnels, compétents, forts et masculins, comparés à la vulnérabilité et l’irrationalité qu’ils attribuent à leurs conjointes (Anderson et Umberson,

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17 2001). Toutefois, il importe de souligner que toutes ces études ont été menées aux États-Unis, auprès d’une population caucasienne.

Par ailleurs, les théories féministes utilisées comme cadre conceptuel dans les recherches préalablement citées ont subi nombre de critiques, puisqu’elles minimisent la violence commise par les femmes, le caractère dynamique, relationnel et interactionnel de la violence et l’impact de celle-ci sur les hommes qui en sont victimes (Duffy, 2006). En fait, ces études prennent toujours en considération que l’homme tente de justifier son agressivité lorsqu’il se perçoit comme victime, alors que la femme utiliserait la violence seulement pour se défendre de celle qu’elle subit par son partenaire (Bograd, 1999; Duffy, 2006). Le discours des hommes, étant souvent éclipsé par la perception qu’ont les chercheurs de la violence conjugale, mène donc essentiellement a une compréhension féminine de la violence (Mullaney, 2007). Dans la majorité de ces recherches qualitatives auprès de populations non-autochtones, le rôle des hommes est souvent dépeint comme étant celui d’instigateur qui désire contrôler sa partenaire, alors que les statistiques montrent que la violence est majoritairement bilatérale, c’est-à-dire que la violence serait « assez rarement systématique et n’entraînant pas de terreur au quotidien de la part des victimes » (Deslauriers et Cusson, 2014, p. 142). De plus, ces théories ne peuvent s’appliquer lorsque l’on tente de comprendre, par exemple, les études auprès de femmes qui admettent être les instigatrices de la violence (Morse, 1995; Fiebert et Gonzalez, 1997) ou les études qualitatives menées auprès d’hommes qui affirment être victimes (Lehane, 2005; Hines, Brown et Dunning, 2007). Certaines recherches actuelles menées auprès de populations non-autochtones affirment également que « men’s roles in and experiences of violence in the family is also needed to understand and address the problem of domestic violence […] in its full complexity » (Nilan et al., 2014, p.872).

Dans la littérature concernant les hommes victimes de violence, ces derniers décrivent leur expérience comme embarrassante et honteuse, puisqu’ils ont l’impression d’être « émasculés » et marginalisés pour n’avoir réussi à correspondre à l’idéal masculin véhiculé par la société (Migliaccio, 2002; Duffy, 2006). De surcroît, les hommes qui tentent de chercher de l’aide suite aux incidents de violence se sentent doublement victimisés, car

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ils affirment être traités comme des agresseurs (Duffy, 2006; Comack, 2008). En effet, un homme qui se montre « faible » et violenté par sa conjointe est généralement stigmatisé (Torrent, 2001), car le système judiciaire ne reconnaît pas toujours que les hommes puissent être victimes. La honte ressentie par ces hommes résulte donc en une contradiction entre « ce qu’il faut être pour se faire reconnaître socialement, et l’identité » négative associée au fait de se montrer comme victime (Torrent, 2001, p.115). Conséquemment, ils craignent de faire appel aux formes d’aide formelles ou informelles puisqu’ils ont l’impression d’être constamment jugés (Migliaccio, 2002), ce qui risque de les maintenir dans une relation conjugale violente.

1.2.4 Études qualitatives sur l’expérience des hommes autochtones ayant vécu des incidents de violence conjugale

S’attarder aux multiples expériences et réalités des hommes autochtones est une caractéristique essentielle qui doit être prise en compte dans toute démarche qui vise à contrer la violence conjugale auprès de cette population (CRPA, 1996). Selon une recherche de Klein et Kwiatkowska (1999), l’expérience de la violence serait très différente selon le rôle occupé par l’acteur social, la définition donnée à la violence et selon la culture. Dans la littérature internationale et canadienne, quelques recherches ont donné la voix aux hommes autochtones et ont tenté de saisir le vécu et l’expérience de ces derniers, qu’ils soient témoins ou instigateurs de la violence conjugale. Les recherches qualitatives portant sur l’expérience des hommes autochtones victimes de violence conjugale sont actuellement inexistantes (Brownridge, 2010), ce qui justifie par ailleurs la nécessité de poursuivre les études en ce sens.

1.2.4.1 Les hommes autochtones en tant que témoins de la violence conjugale

Concernant spécifiquement l’expérience vécue par les hommes autochtones témoins de violence conjugale, une recherche effectuée par Sorensen (1998) au Groenland et dans l’Arctique porte sur la représentation de la violence au sein des couples autochtones, c’est-à-dire la manière dont ils parlent de cette violence, situent le phénomène dans son contexte et la façon dont ils se l’expliquent. Interrogés sur des cas réels de violence conjugale locale (qu’ils connaissent), les hommes autochtones ne situent jamais les faits dans une perspective théorique ou politique. Ils évoquent plutôt la personnalité et l’alcoolisme

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19 comme des facteurs qui influencent la violence. Même si les répondants de l’étude n’avaient jamais vécu de la violence au sein de leur couple, ils ont néanmoins indiqué qu’ils ne s’opposaient pas au recours à la force physique masculine dans les relations privées. Par ailleurs, lorsqu’ils tentent d’expliquer la violence commise à l’égard des femmes en général, les hommes autochtones évoquent les changements rapides dans la société, les déséquilibres et la perte de « l’âme groenlandaise » comme principaux facteurs explicatifs. Certains ajoutent que les femmes se seraient mieux adaptées à la modernisation, alors que les hommes auraient perdu, suivant la domination danoise sur le territoire, leur autorité traditionnelle, leur fierté, leur identité et leur statut (Sorensen, 1998).

Par ailleurs, une recherche a été effectuée au Nouveau-Brunswick (Cunningham, 2007), auprès de sept hommes autochtones qui se sentaient concernés par la violence conjugale sans nécessairement en avoir vécu. À l’intérieur de cercles de discussions, les participants sont appelés à identifier les causes de la violence conjugale, qu’ils attribuent à la colonisation et la perte identitaire : « [they] stated that Aboriginal people live in a culture of disrespect and racism and feel a loss of how to define themselves according to their cultural values» (Cunningham, 2007, p.4). Les participants de cette étude indiquent également qu’ils entrevoient les causes de la violence conjugale comme une question de différences dans la socialisation des hommes et des femmes. Cette socialisation de genre, liée à l’imposition de la culture eurocanadienne, aurait entraîné la perte de l’identité autochtone et une confusion non seulement dans les rôles et les attentes envers chaque sexe, mais également concernant le modèle social auquel il faut se conformer. La perpétuation de la violence serait aussi influencée par l’éducation, les pairs, le milieu familial, la consommation de substances et les médias. En ce qui concerne les politiques sociales, des lacunes sont perçues par les hommes dans le système judiciaire et dans l’idéologie voulant que les hommes et les femmes soient constamment en opposition (Cunningham, 2007).

1.2.4.2 Les hommes autochtones en tant qu’instigateurs

En ce qui concerne l’explication donnée par les hommes autochtones ayant vécu de la violence conjugale en tant qu’instigateurs, les résultats d’une recherche qualitative australienne faite par Cheers et ses collaborateurs (2006) auprès d’une quarantaine d’hommes

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et de femmes autochtones suggèrent que ces hommes définissent la violence par la dépossession culturelle et spirituelle vécue, occasionnant des sentiments de peine, d’abandon et de désespoir. Selon les hommes rencontrés, ce sont ces sentiments qui mènent à la perpétration de comportements violents (Cheers et al., 2006). De surcroît, la Victorian Indigenous Family Violence Task Force (2003), une étude exhaustive qualitative portant sur la violence familiale, a été effectuée dans une communauté autochtone en Australie. Cette recherche établit qu’en majorité, les hommes autochtones ont l’impression que la violence, notamment celle dirigée vers leur conjointe, fait partie de la « norme ». Certains participants attribuent également pour cause à leur violence la perte de leurs rôles sociaux comme leader et modèle. Néanmoins, d’autres hommes utilisent des stratégies telles que le déni et la déresponsabilisation pour expliquer leurs comportements violents. Plusieurs affirment également ne pas comprendre leur propre comportement lié à la violence, qui se trouve en opposition avec leurs valeurs fondamentales comme le respect et la famille (Task Force, 2003). Les conclusions de cette étude indiquent que le degré de normalisation de la violence familiale crée un espace sur le plan social et psychologique où la violence peut s’intensifier et se propager au sein des communautés autochtones (Task Force, 2003).

Par ailleurs, une récente étude qualitative canadienne a été effectuée au Manitoba (Comack, 2008) auprès de dix-neuf hommes, en majorité Autochtones, qui ont été incarcérés pour avoir commis un incident de violence (violence conjugale, vol à main armée, viol, etc.). Concernant spécifiquement l’expérience des répondants autochtones ayant été impliqués dans des incidents de violence conjugale, ceux-ci expliquent leur violence comme une tentative de reprendre le pouvoir et le contrôle dans leur relation conjugale (Comack, 2008). Certains perçoivent également la violence vécue dans leur couple comme une réaction à la violence psychologique et physique dont ils sont victimes par leur partenaire. Finalement, certains hommes déplorent le fonctionnement du système judiciaire actuel, car ils ont l’impression que celui-ci les catégorise toujours comme agresseurs et qu’il favorise le point de vue des femmes, toujours perçues comme victimes. Cette étude conclut d’ailleurs que les répondants se trouvent dans un état paradoxal, puisqu’ils s’efforcent de conserver leur identité en tant qu’acteurs masculins, tout en se plaignant de l’incapacité d’être également reconnu comme victimes (Comack, 2008).

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21 Somme toute, il est possible de confirmer la rareté des informations disponibles sur l’expérience des hommes autochtones qui ont vécu des situations de violence au sein de leur couple. En fait, sur les quatre études recensées, seulement l'une d’entre elles a été effectuée au Canada (Comack, 2008), dont aucune au Québec. Qui plus est, aucune étude qualitative ne porte sur l’expérience des hommes autochtones victimes de violence conjugale, ce qui mène à l’impossibilité de cerner la manière dont ils se perçoivent à travers les incidents de violence (Brownridge, 2010). Ainsi, l’absence de données et le peu de recherches qualitatives portant sur le vécu des hommes amérindiens ayant été impliqués dans des incidents de violence conjugale, qu’ils soient victimes et/ou instigateurs, témoignent de l’importance de « prendre de nouvelles mesures pour mieux comprendre (leur) expérience (…) et répondre à leurs besoins » (Newhouse et Peters, 2003, p.11).

1.3 Principales limites des études recensées

Il est important de souligner que les études préalablement recensées comportent certaines limites. D’abord, les données actuellement disponibles sur la violence au sein des couples autochtones reposent essentiellement sur quelques rapports cités à répétition. Or, les auteurs renvoient souvent aux mêmes sources et très peu de nouvelles recherches sont réalisées. Tel que le souligne Kiyoshk (2001) « […] il y a eu très peu de nouvelles études, mais beaucoup de nouveaux rapports reprenant les données de rapports existants » (p.33). De plus, la majorité des recherches sur la prévalence, les formes et manifestations de violence sont de type quantitatif (Cavanagh et al., 2001). Plusieurs présentent des taux et des pourcentages, mais peu offrent des précisions sur la signification que les divers acteurs donnent à leur expérience.

Une autre limite importante des études quantitatives concerne la forte variation des données statistiques relatives à la prévalence de la violence conjugale dans la population autochtone en général. Cette variation peut s’expliquer, en partie, par le choix des individus interrogés, par les types d’instruments de mesure utilisés dans les différentes recherches consultées ainsi que par les formes et manifestations de violence qui sont prises en considération. De plus, en tenant compte du fait que la définition de la violence conjugale

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varie selon les cultures, il serait possible de supposer que la prévalence soit sous-estimée ou que certaines formes de violence n’aient pas été mesurées (Sokoloff et Dupont, 2005). Par exemple, les intentions sous-jacentes à la violence, le contexte dans lequel se produisent les incidents et les conséquences vécues par tous les acteurs concernés ne font pas partie des données mesurées dans la majorité des études quantitatives (Damant et Guay, 2005; Ayotte, Brisson, Potvin, Prud’homme et Tremblay, 2007). Les différents outils de collecte des données utilisés « ne permettent donc pas de dresser un portrait juste de la prévalence de la violence au sein des couples autochtones et appellent donc à la prudence quant à l’interprétation des données statistiques » (Bergeron, 2012, p. 27).

Par ailleurs, les quelques études qualitatives menées auprès des Autochtones ont eu lieu, pour la majorité, auprès d’échantillons restreints composés de femmes autochtones victimes de violence, d’intervenants œuvrant au sein des communautés ou d’hommes autochtones ayant des comportements violents (Jones, 1993). Or, il existe très peu de recherches qualitatives qui ont donné la voix aux hommes autochtones afin qu’ils puissent s’exprimer sur la réalité qui entoure leur expérience de violence conjugale, qu’ils en soient les instigateurs et/ou les victimes (Longclaws, Rosebush, et Barkwell, 1993; Mullaney, 2007). La revue systématique de littérature menée par Longclaws et ses collaborateurs (1993) fait d’ailleurs état de la parcimonie d’informations disponibles sur les hommes autochtones. Près de 20 ans plus tard, ce constat est toujours valable. En fait, de toutes les études qualitatives recensées, seulement quatre d’entre elles traitent de l’expérience des hommes autochtones, en tant que témoins ou instigateurs de la violence conjugale. Parmi celles-ci, une seule a été effectuée au Canada, plus particulièrement au Manitoba (Comack, 2008). Cette dernière étude est également la seule qui n’a pas été menée à l’intérieur d’une communauté autochtone, mais les participants sont toutefois tous issus du milieu carcéral. Sommes toute, il n’existe actuellement aucune étude qualitative qui porte sur l’expérience et le point de vue des hommes amérindiens ayant vécu des incidents de violence conjugale, qui ait été menée au Québec. Il est donc possible de s’interroger quant à la transférabilité des résultats obtenus par les études menées ailleurs au Canada (Pharand et Rousseau, 2008).

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23

1.4 Problématique spécifique de recherche et objet d’étude

Les différentes données présentées dans cette section soutiennent l’idée que les hommes amérindiens, ayant vécu un ou plusieurs incidents de violence conjugale, puissent avoir une manière spécifique de construire leur expérience et qu’il importe de documenter celle-ci. En fait, la prise en compte du point de vue de tous les acteurs impliqués est essentielle pour une compréhension globale du phénomène, ce qui justifie de s’attarder spécifiquement à ce qui a été le moins documenté à ce jour : l’expérience des hommes amérindiens et leur point de vue quant aux incidents de violence vécus dans leur couple. Or, les objectifs visés par la présente recherche sont de :

1) Saisir la manière dont les hommes amérindiens conçoivent la violence conjugale; 2) Comprendre l’expérience de violence conjugale vécue par les hommes amérindiens.

Plus spécifiquement, il s’agit d’explorer leurs différentes logiques d’action liées à leur expérience de violence conjugale et les différents contextes sociaux qui façonnent leur compréhension des incidents, en plus d’analyser les formes de violence conjugale vécues ainsi que les éléments déclencheurs.

3) Appréhender la manière dont les hommes amérindiens perçoivent les rôles qu’ils occupent, en tant qu’acteurs impliqués, lors des incidents de violence au sein de leur couple. Il s’agit donc non seulement d’analyser s’ils se perçoivent comme instigateur, victime ou les deux, mais également le type de relations violentes dans lequel ces rôles s’inscrivent (violence situationnelle ou terrorisme conjugal) à l’aide de la typologie de violence conjugale de Johnson (2008).

1.5 Définition des concepts clés

Les termes au cœur de l’objet de la présente étude n’étant pas précisés d’emblée, la définition des principaux concepts s’avère essentielle. Il importe donc de préciser les notions suivantes : Violence conjugale, Homme amérindien, Expérience, Rôle.

La violence conjugale : les documents qui traitent de la violence au sein des couples autochtones ne définissent pas de manière précise la violence conjugale et sont plutôt axés sur la violence familiale, appuyant une approche plus holistique et globale de ce phénomène (FAQ, 2012). Puisque la présente étude réfère plus spécifiquement aux différentes formes d’abus présentes dans les relations de couple, les termes « violence conjugale » seront utilisés pour circonscrire l’objet et éviter toute confusion. Considérant

Figure

Tableau 2. Variables stratégiques des participants

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