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Maroc : l'espace centré et le passage de la maison médinale à l'immeuble urbain

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Academic year: 2021

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Maroc : l’espace centré et le passage de la maison

médinale à l’immeuble urbain

Daniel Pinson, Mohamed Zakrani

To cite this version:

Daniel Pinson, Mohamed Zakrani. Maroc : l’espace centré et le passage de la maison médinale à l’immeuble urbain. Les Cahiers de la recherche architecturale / Les Cahiers de la recherche architec-turale et urbaine, Paris : Ed. du patrimoine, 1987, Espace centré, Figures de l’architecture domestique dans l’Orient méditerranéen, p.104-111. �hal-01532291�

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Daniel Pinson, Mohammed Zakrani

Maroc : l'espace centré et le passage de la maison médinale à l'immeuble urbain

(version auteur – diminuée d’un certain nombre de figures - de l’article publié dans les nos 20-21 des Cahiers de la recherche architecturale, 3e et 4e trimestres 1987, Marseille : Ed. Parenthèses, p. 104-111)

Les lotissements d'habitat économique au Maroc constituent un intéressant terrain d'observation pour apprécier les évolutions de l'habitat contemporain. Situés entre la production populaire d'habitat (bidonvilles et lotissements clandestins) et la production étatique ou de standing, ils connaissent un intense développement dans le Maroc d'aujourd'hui (1). Ils constituent, d'une certaine manière, une évolution de la trame sanitaire et une tentative d'encadrement légal du développement des nouvelles médinas. Un décret datant de 1964 donne avec précision les modalités d'implantation et d'édification des immeubles à réaliser. Ce dispositif autorise un habitat dense (mitoyenneté possible sur 3 limites de parcelle), sur des lots relativement exigus (allant de 8x8 m à 10x 10 m). Pour résoudre l'éclairement des pièces en bordure de mitoyenneté, le décret impose une servitude de patio dont la superficie minimale est fixée à 16 m2. La viabilisation, la répartition en parcelles ainsi que la création d'équipements relèvent du lotisseur (public ou privé), et la construction est laissée à l'initiative de son acquéreur. Mais souvent, l'administration impose un plan type, et depuis 1983, elle préconise des modèles régionaux. Ces derniers prévoient en fait, sans le dire explicitement, une répartition verticale de l'immeuble conçue pour un habitat plurifamilial : chaque niveau d'étage est destiné à une famille nucléaire distincte.

Pratiques résidentielles et reformulation du modèle architectural étatique

Les pratiques habitantes montrent comment les familles interprètent le type étatique en effectuant des transformations internes (et externes) permettant l'expression de leurs modèles culturels. La question de l'espace central y occupe une place non négligeable. Ces transformations constituent les traces de la gestion des rapports sociaux en évolution, des permanences et des transformations dans les pratiques de la vie urbaine et familiale. Elles s'effectuent principalement par le déplacement des cloisons intérieures, l'addition de pièces en terrasse, voire la création d'un niveau supplémentaire, et satisfont spatialement les situations suivantes :

- la cohabitation dans ses différentes formes et degrés de proximité (locataires et propriétaires, familles élargies) ;

- la spécialisation des espaces de la maison marocaine dans son émergence différentielle (apparition de la chambre à coucher conjugale...) ;

- la reconstitution d'un espace central présentant des correspondances (non sans ambiguïté) avec le patio de l'ancienne maison médinale, espace appelé m’rah (pièce où l'on se tient, pièce de vie). Dans cet article, nous insisterons plus précisément sur ce dernier point, tout en montrant en quoi il est conditionné par les autres aspects. Pour cela, nous nous proposons de lire et d'analyser deux exemples particulièrement révélateurs de ces pratiques transformatrices, pris dans un lotissement d'habitat économique de la ville de Khouribga. Ces deux

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exemples ont été choisis pour la mise en évidence claire qu'ils donnent de ces modifications et pour les situations différentes tant au point de vue de la configuration architecturale que familiale (critères de choix qui ne contredisent pas leur représentativité).

Si l'on résume, ces deux exemples présentent les caractéristiques suivantes : 1er exemple [Dar A...) :

- Configuration architecturale : modèle avec « patio » en angle et 3 façades mitoyennes (R + 2)

- Configuration familiale : une famille locataire et une famille élargie propriétaire. 2e exemple [Dar N...) :

- Configuration architecturale : modèle d'angle sans « patio » avec 2 façades mitoyennes (R + 2)

- Configuration familiale : une famille locataire et une famille res-treinte propriétaire.

Le paradoxe cour-patio/espacé centré-m’rah.

Le premier exemple est particulièrement intéressant dans la mesure où il montre que la cour (désignée dans le décret de 1964 comme patio) ne fonctionne absolument pas comme l'oust

ed dar de la maison médinale. Elle constitue un espace de renvoi pour le locataire du

rez-de-chaussée et il est impossible aux occupants d'y déployer la polyvalence d'activités pratiquées dans la maison médinale, les vues plongeantes qu'y donnent les pièces occupées plus haut par l'autre famille en violent l'intimité. La cour-patio sert donc essentiellement de source d'éclairement (puits de lumière) et d'espace de rejet pour des objets devenus inutiles ou encombrants à l'intérieur du logement. Paradoxalement, c’est à l'intérieur même de la partie construite que va se reconstituer un espace central, le m’rah, même lorsque l'absence d'une cour-"patio" latérale empêche son éclairement direct, comme dans le second exemple. Le

m’rah résulte de la dilatation du « hall » prévu sur le plan-type de l'administration. Il

constitue l'espace distributeur des pièces familiales, en même temps que l'espace de vie quotidien, là où est placée la télévision-magnétoscope, l'endroit où la famille « se tient ». Nous nous proposons de vérifier cette reformulation du plan-type grâce à l'examen détaillé de nos deux exemples. Pour éviter de donner à la description trop d'importance, nous présentons hors texte des tableaux résumant les transformations effectuées et la composition des familles concernées.

Examen du premier exemple : Dar A... (Fig. 2 à 4)

Les transformations effectuées sur cette habitation correspondent à la fois à l'évolution de la famille (mariage du fils aîné) et à une meilleure adaptation à sa manière de vivre. «J'ai une grande famille, dit le maître de maison, avec mon fils R., on est deux familles. Avant, cela n'allait pas, nous étions tous ensemble, les invités et les gens de la maison... » « Toutes les pièces donnaient sur le couloir, précise la mère, la porte de la pièce des invités était en face de celle de la cuisine, il fallait fermer telle ou telle (porte) chaque fois, quand il y avait quelqu'un dans le salon des invités. » Elle ajoute aussi : « Je voulais que mon fils aîné soit seul avec sa femme et sa petite, et qu'il ne soit plus dérangé par ses frères. »

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3 COMPOSITION DE LA FAMILLE PROPRIÉTAIRE

La famille comprend 12 personnes

M. A., le père, 57 ans, agent de l'OCP (Office chérifien des phosphates),ouvrier qualifié Mme A., la mère, 45 ans, femme au foyer, illettrée, pratique le tissage.

R., le fils aîné, 26 ans, professeur de collège, marié à une femme de 21 ans sans profession. Il possède - l'auto de la famille ». Il a une petite fille.

J., le fils cadet, 20 ans, sans emploi.

H., la fille aînée, 23 ans, infirmière, célibataire.

3 autres filles (18, 11, 6 ans}. 2 autres garçons (16, 13 ans). TRANSFORMATIONS EFFECTUÉES

Deux ans après son édification cette habitation a été l'objet des transformations suivantes :

• Le rez-de-chaussée essentiellement affecté à la location en logement au départ, a été restructuré pour permettre la création d'une entrée indépendante pour le locataire et l'ouverture d'un garage pour la famille propriétaire.

• L'unique étage initialement occupé par l'acquéreur du lot et sa famille a été doublé d'un autre niveau d'habitation. L'organisation interne en a été totalement remaniée.

Dar Diaf/Dar Harem.

La solution adoptée satisfait ces exigences et facilite désormais la gestion spatiale des oppositions vu, ne pas être vu (2), être ensemble et séparés, qui fondent d'une part les relations avec les étrangers et d'autre part les relations dans le groupe familial élargi entre les différentes unités restreintes. La structuration spatiale de la partie destinée à la famille propriétaire s'organise donc de la manière suivante :

- le 1er étage contient à la fois bit ed diaf et bit ouldi (le salon des invités et la pièce du fils aîné) ; de ce fait, il est appelé indifféremment dar diaf ou dar ouldi (la maison des invités ou la maison du fils aîné]. Ces deux parties ont une relative indépendance. Celle des invités est composée de 3 pièces en succession, n'bah (hall), un salon européen, et bit ed diaf (le salon marocain des invités). Pour sa part, la partie destinée au fils marié comprend en plus de la chambre un m’rah (pièce de séjour), une cuisinette et une salle de bains. En réalité, cette unité n'est véritablement occupée par le jeune couple que pour y dormir ; la belle-fille vit habituellement à l'étage supérieur, partie intime de l'habitation.

- le second étage est précisément appelé dar harem. Cette appellation doit bien sûr être entendue dans l'acceptation large du terme, en rapport avec la horma évoquant l'inviolabilité sacrée de la femme (3). C'est l'espace de la vie familiale, protecteur et protégé, prolongé au niveau supérieur par la terrasse (stah), domaine privilégié de la femme, « Le

stah, pour moi. dit la maîtresse des lieux, c'est la moitié de la maison ». Par leur position sur

l'axe de pénétration dans la maison, le second étage et la terrasse constituent les espaces ultimes de l'habitation, et dans ce cas, l'étanchéité est aisément réalisée grâce à la structuration par niveaux distincts : dar diaf-dar ouldi/dar harem-stah.

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4 Le m’rah : espace centré

Mais l'organisation elle-même du nouvel étage créé mérite une attention particulière. La disposition la plus originale, celle qui distingue fondamentalement ce plan nouveau de celui que prescrit l'administration concerne l'espace appelé m’rah. Cette dénomination, très courante au Maroc, désigne, si l'on se rapporte à son origine étymologique, l'endroit où « l'on se tient ». Les Marocains le traduisent souvent par saloun, salon et ce mot concerne aussi bien des habitations urbaines que périphériques. Dans le milieu urbain, on emploie aussi le mot « hall » pour désigner cet espace et cette assimilation paraît essentiellement résulter du fait que beaucoup de familles marocaines tendent (et tentent) à transformer l'espace de distribution de leurs appartements « modernes » en pièce de vie ; si ces observations pouvaient être confirmées à une assez large échelle, elles constitueraient un argument supplémentaire en faveur de l'espace centré (démontrant qu'il existe dans la structure mentale et le comportement spatial des familles marocaines une attraction vers un lieu qui est à la fois foyer de rassemblement familial et foyer géométrique du plan de l'habitation).

La centralité et la géométrie du m’rah.

La remarque précédente s'applique fort bien à l'exemple d'habitation que nous analysons. Les figures 138 et 139 montrent la position centrale presque parfaite du m’rah au second niveau d'habitation. Cette position est également accompagnée d'une importance en surface qui fait désormais de cette pièce la plus grande de cet étage (presque 15 m2). Par rapport à la configuration initiale, il y a donc substitution, du point de vue géométrique d'un espace important et presque carré, le m’rah (3.70 mx4.10 m), à un espace mineur et rectangulaire, le hall (5.20 m x 1.60 m).

Les fonctions du m’rah.

Le m’rah du point de vue de l'usage est à la fois un espace de distribution des pièces et de réunion familiale (la télévision et le magnétoscope y occupent une place privilégiée, en face des banquettes disposées en angle autour d'une table basse (meïda). Mais il s'y manifeste aussi une polyvalence d'activités qui n'est pas sans rappeler l’oust ed dar de la maison des médinas anciennes (4). La maîtresse des lieux dit ainsi qu'« elle travaille dans la cuisine, mais aussi dans le m’rah, tandis qu'elle fait les travaux sales au stah (sur la terrasse) ».

Le paradoxe patio-m’rah.

Dans ce premier exemple, le m’rah reçoit un jour naturel direct (médiocre, il est vrai) grâce à l'ouverture pratiquée sur le patio. En première lecture, ce patio de 16 m2, imposé par la réglementation des lotissements d'habitat économique sur certaines parcelles pourrait être assimilé à la cour centrale de la maison de médina ancienne. La pratique habitante infirme cette interprétation, et la reconstitution d'un espace central, mais intérieur, le m’rah, en fournit la preuve a contrario. Cette inefficience de la cour-patio s'explique autant par l'occupation plurifamiliale de l'immeuble (avec possibilité de vues plongeantes et de vis-à-vis) que par la position en coin de ce « patio », donc excentrée, hors du système de

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distribution des pièces. Nos observations attestent qu'il est en fait essentiellement utilisé en espace de renvoi pour l'habitant locataire du rez-de-chaussée et qu'il constitue quelquefois pour lui un substitut à la terrasse (5).

Le rapport m’rah-oust ed dar.

S'il fallait établir un rapprochement, voire une filiation, sans doute serait-il plus pertinent de comparer le m’rah (et non cette cour latérale) et le patio de la maison des médinas. Toutefois, la couverture du m’rah, en même temps qu'elle permet la cohabitation de familles distinctes par niveaux superposés (ou des familles affiliées recherchant des formes de décohabitation progressive, comme dans notre exemple) occasionne des bouleversements assez considérables dans les qualités de cet espace centré. Essayons de cerner les dispositifs similaires et distincts. Au titre de ce qui est conservé, on peut mentionner la fonction distributrice du m’rah, assez comparable à celle de l’oust ed dar. Mais il est à remarquer que les pièces de réception sont exclues de ce dispositif (6).

Au titre de ce qui est également conservé, voire renforcé, on peut noter l'importance des activités domestiques et familiales (repas, préparation et consommation, spectacle télévisuel). Leur déroulement devient plus permanent dans l'espace centré dans la mesure où la couverture du m’rah conduit aussi à une intégration plus complète de ce centre à l'intérieur de l'habitation (même si le patio de la maison de médina doit être considéré comme un « extérieur/intérieur »). Ce dépassement des contingences climatiques par la couverture du m’rah nous conduit au chapitre de ce que cette clôture totale lui fait perdre des qualités de l'oust ed dar. Cette couverture intégration du m’rah est en effet assortie de conséquences inverses pour les autres pièces. Elles ne peuvent plus trouver leur source d'éclairement dans le patio ouvert à la lumière du ciel ; ainsi, l'introversion antérieure de la maison marocaine évolue vers l'extraversion. On voit s'exprimer ici difficilement dans la configuration spatiale du m’rah, les dialectiques fondamentales de l’intérieur/extérieur, centralité/ouverture. D'autant qu'elles doivent par ailleurs se combiner avec cette autre contradiction dans l'usage du m’rah que constituent les logiques fonctionnelles opposées de la distribution (passer) et de la station (rester, se tenir).

Dans l'exemple étudié, le premier couple contradictoire (intérieur/extérieur, centralité/ouverture) trouve sa solution d'éclairement grâce à l'existence d'une fenêtre donnant sur la cour latérale. Nous verrons dans l'autre exemple, comment, faute de pouvoir prendre jour sur une cour latérale, le m’rah maintient malgré tout sa centralité et puise la lumière dans les pièces périphériques grâce à des impostes vitrées. La seconde contradiction (passer/rester) est satisfaite quant à elle par le développement maximal des parois sans ouverture pour mettre banquettes et télévision, et concilier ainsi les « coins » où l'on peut se tenir et les espaces nécessaires au passage.

La séparation du pratique et du plastique.

Toutes ces exigences difficiles compromettent ainsi notablement ce qui définissait autrefois (même dans les milieux modestes) le patio sur le plan de la plastique architecturale : constituer à l'intérieur la « façade » de l'habitation (7), le spectacle des formes et des modénatures sur lesquelles s'accroche la lumière, de haut en bas — allant des plus chaudes

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6 COMPOSITION DE LA FAMILLE PROPRIÉTAIRE

La famille comprend 9 personnes M. N., le père, 50 ans,

agent de l'OCP (Office Chérifien des Phosphates), mécanicien, il possède une voiture. Mme N., la mère, 44 ans, sans profession, illettrée, pratique le tissage.

Le fils aîné, 21 ans, étudiant à Marrakech. Le fils cadet, 18 ans, lycéen.

3 filles entre 16 et 9 ans. 2 fils, 12 et 5 ans.

TRANSFORMATIONS EFFECTUÉES

Quatre ans après l'achèvement, les transformations suivantes ont été réalisées:

- Le rez-de-chaussée, initialement destiné au logement a été transformé er local commercial (le rapport en est plus important].

- Le premier étage, occupé par une famille locataire ne subit pas de modification. - Le 2e étage, où vit la famille propriétaire a fait l'objet d'une importante restructuration.

et tourmentées, aux plus froides et lisses (corniches de bois — plâtre sculpté - zelliges) — et la mise en scène de la symétrie — absente à l'extérieur. Spectacle et mise en scène précédant pour l'invité l'entrée dans la pièce de réception. Désormais, dans l'habitat du lotissement économique, si le m’rah est conçu comme espace central, il l'est essentiellement pour la vie familiale. Il s'organise donc selon des logiques fonctionnelles (des logiques de contenu, dirait P. Bourdieu) plutôt que pour des effets de représentation. Ceux-ci sont réservés à la pièce de réception (bit ed diaf) que l'on cherche à extraire de la partie familiale.

Examen du second exemple : Dar N...

Dans cet exemple, les modifications sont essentiellement motivées par le changement des systèmes d'accès aux pièces. Le dédoublement du hall, en particulier, permet la création de deux grandes parties distinctes : une partie réception et une partie familiale suffisamment étanches l'une par rapport à l'autre. L'habitation est en effet pensée par le maître de maison comme un « lieu pour recevoir la famille et les amis », les recevoir « avec fierté et à l'aise ». Cette exigence appelle la référence à la maison traditionnelle « qui était en deux parties » :

douiria et dar laâyalat (une maisonnette pour les hommes et une maison pour les femmes).

« C'était une bonne chose, tout le monde était libre de sa partie ; le respect (ehtiram) de la famille était assuré. » Dans les villas européennes, ce respect est impossible car la cuisine est « dans » la pièce des invités. Pour être bien chez soi, on a fait un grand m’rah pour nous, comme« salon(e) » et un bit ed diaf (une pièce des invités) séparée du reste du dar.

La séparation bit diaf/biout harem.

Le plan montre bien comment cette « aisance » (la préservation des intimités respectées et respectives) a été assurée. L'arrivée des invités, malgré l'absence de porte entre l'entrée [n'bah] et le m’rah, _ ne perturbe pas la vie familiale qui peut se retrancher dans la partie en alcôve du m’rah et se soustraire aux regards de l'étranger. « Je peux continuer à travailler, même quand les hommes sont dans bit ed diaf, dit la mère,... nous, on vit et on regarde la télé dans le m’rah. » Cette redistribution met en premier plan le découpage très intentionnel

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entre la partie publique et la partie privée de l'habitation et l'étanchéité très forte entre les deux groupes d'espace : bit diaf/biout harem. Cette répartition trouve son origine dans le dédoublement du hall du plan type. Ce dernier a été décomposé par l'habitant en n'bah (entrée d'apparat, si l'on veut), et m’rah. Le n'bah, bien que surtout associé à bit ed diaf, dont il prépare l'accès, commande également la pénétration dans la partie familiale par le

m’rah.

Le m’rah : espace familial centré.

Comme dans le premier exemple, le m’rah est essentiellement pensé par l'habitant comme pièce familiale à vivre. Ceci explique sa dilatation (avec 17 m2, il remplace un hall-couloir de 11 m2) et la diminution des portes donnant sur ces espaces respectifs (3 accès dans le m’rah contre 7 dans le hall). Là encore, cette réduction du nombre d'ouverture augmente le linéaire de paroi et facilite un aménagement mobilier approprié à la vie familiale. L'alcôve latérale reconstitue d'une certaine manière le behou de la maison de médina, avec des dimensions soigneusement ajustées. Elles permettent à la banquette marocaine (sedari) de tourner autour de la table basse (meïda). En même temps, cette alcôve est axée sur la niche contenant de la vaisselle argentée et sur le poste de télévision.

A la différence du premier exemple, il y a ici recherche d'une symétrie et d'un effet de représentation. Malgré la réduction du nombre de portes, le m’rah conserve un rôle distributeur. Ainsi, le sas desservant la cuisine, la chambre des filles et celle des parents montre une transformation qui vise à la fois une distribution associée et contrôlée de ces pièces, en même temps qu'une économie de percements dans le m’rah. Une lecture attentive du positionnement de la cloison située derrière la télévision montre qu'elle constitue en effet un écran, obstacle à la pénétration du regard dans la cuisine et dans la chambre des filles, depuis l'entrée. Le m’rah a également une position relativement centrale, mais l'absence de cour latérale dans cette parcelle d'angle nécessite, nous l'avons dit, qu'il soit éclairé en second jour, par les chambres des parents et des garçons interposées. Cette centralité n'est par ailleurs aucunement traduite en intention dans le propos de l'habitant sur son réaménagement. Elle semble s'affirmer dans l'acte lui-même de la transformation, comme structure intériorisée, « corporéisée » de la conception du dar (en rapport avec sa racine, le verbe dara : tourner autour), comme s'il allait de soi que le centre de la maison soit occupé par l'espace distributeur des autres pièces, renforcé dans le cas du m’rah dans son rôle de convivialité familiale.

Intérieur/Extérieur : inversions ?

D'une certaine manière, cet usage familial renforcé du m’rah tendrait à confirmer l'introversion connue de la maison marocaine des médinas. Le seul extérieur qui y pénétrait avait le visage sacré de la lumière du cosmos (8). Dans le m’rah, cet extérieur a désormais la figure profane de l'écran télévisuel et dans ce second exemple, la lumière naturelle qui y pénètre ne constitue que le résidu de l'éclairement des pièces ouvrant sur le domaine public. Contradictoirement donc, l'extraversion de ces pièces s'est développée, par nécessité en quelque sorte, mais aussi avec mesure, comme l’indique l'addition des claustra et grilles de fer forgé sur les balcons et fenêtres. On voit ici dans cette dialectique incertaine de

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l'intérieur et de l'extérieur, les ambiguïtés de la nouvelle spatialité qui émerge de la maison de lotissement.

En conclusion, on pourrait dire que le m’rah se définit comme un espace recentré (à la différence du patio-cour de la réglementation de l'habitat économique, décentré). Il est distributeur des pièces de la partie familiale de l'habitation et exclusivement familiale. Cette double qualité (distribution, pôle familial) renforce sa fonctionnalité et rend secondaire l'effet d'apparat, rejeté vers l'entrée de bit ed diaf (n'bah). Enfin, il est couvert, ce qui agit positivement comme dispositif séparatif et protecteur des intimités familiales, condition indispensable à la cohabitation, inscrite inéluctablement en milieu urbain et exprimée par le passage de la maison médinale unifamiliale à l'immeuble urbain. De plus, cette couverture du m’rah agit également comme dispositif intégrateur de l'espace centré aux autres espaces de l'habitation. Cette intégration, comme réponse aux contingences climatiques9 n'est pas sans effet sur l'usage en séjour familial, et plus intense du m’rah.

Telles nous paraissent être les caractéristiques essentielles de l'espace central dans l'habitat dit économique au Maroc, espace reconstitué par les habitants. Il en résulte en quelque sorte le maintien de la centralité, conservée en position, voire dimension, modifiée en expression, passant du patio à ciel ouvert à la pièce de vie couverte.

NOTES

1. D. Pinson, « Urbanisations périphériques récentes à Casablanca ». in Espaces et

Sociétés ; Paris, éd. Anthropos. janv.juin 1985, n* 46.

2. Cf. J.-Ch. Dcpaule. A travers le mur ; Paris, éd. CCI (Centre Pompidou), coll. - Alors 1985 ; chap. 2.

3. Cf. P. Bourdieu, « La Maison ou le monde renversé », annexe à Le Sens pratique ; Paris, éd. Minuit, 1980; p. 441 et sq. (plus particulièrement pp. 447-448), et M. Boughali. La

Représentation de l'espace chez le Marocain illettré : Paris, éd. Anthropos, 1974 ; p. 45 et sq.

4. Cf. J.-Ch. Depaule. op. cit. ; p. 68.

5. Dans ce type d'immeuble, il existe nécessairement une forte discrimination, du point de vue des qualités d'usage entre les parties occupées par les locataires et les propriétaires. En générai, ceux-ci se réservent d'ailleurs toujours les derniers niveaux : ils donnent accès à la terrasse.

6. Cette mise à l'écart n'existait à ma connaissance que dans les grandes habitations, le patio principal commandant le patio du harem.

7. Cf. J.-Ch. Depaule. op. cit. ; p. 69.

8. Cf. H. Fathy, Construire avec le peuple : Paris, éd. Sindbad. 1970 ; p. 105 : « L'Arabe... ne trouve aucun réconfort à ouvrir sa maison au niveau du sol. L'aspect clément de la nature pour l'Arabe, c'est le ciel, pur, dégagé, promettant la fraîcheur et l'eau vivifiante de ses nuages, s'opposant à l'étendue de sable désertique. Il n'est pas étonnant que pour l'habitant du désert, le ciel soit devenu la demeure de Dieu. »

9. Elle n'est pas étrangère à l'apparition d'appareils de chauffage mobiles, alimentés en gaz butane qui rendent moins évident le système de protection par double porte des patios et la pratique du port de vêtements plus chauds en hiver à l'intérieur de l'habitation, traditionnellement utilisé dans les maisons médinales.

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LISTE DES FIGURES (réduite en comparaison de la version éditée) :

Fig. 1

Plan type d'habitat économique en lotissement pour la région centre et pour des parcelles 10 m x 10 m élaboré par le M.H.A.T. et diffusé par la Banque populaire du Maroc, 1953

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Fig. 2

Transformations de l’habitation A (dessins de Mohamed Zakrani)

Fig. 3

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Fig. 4

Plan de la terrasse de l’habitation A et aspects extérieurs successifs (avant/après transformations)

Références

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