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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les risques du « Mesnage »

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Academic year: 2021

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LES RISQUES DU "MESNAGE" :

l'exemple des entreprises de tourisme rural

Claude RAISKY

École Nationale d’Enseignement Supérieur Agronomique de Dijon

MOTS-CLÉS : CONTRAINTES - DÉCISION - GESTION DU RISQUE - RATIONALITÉ

RÉSUMÉ : Le pilotage d'une entreprise touristique en milieu rural ne peut se réduire à des processus décisionnels rationnels. Les éléments qui peuvent être pris en compte pour construire et piloter le système-entreprise ne recèlent pas en eux-mêmes de risques : ils sont atouts ou contraintes selon le processus décidé et mis en œuvre.

SUMMARY : Managing a tourist enterprise in a rural area cannot be reduced to rational decisional process. The elements which can be taken into account in constructing and managing an enterprise system do not, in themselves, involve risks : they become assets or drawbacks according to the process decided and implemented.

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1. PROLOGUE

"Pour faire un bon mesnage, est nécessaire de joindre ensemble, le SAVOIR, le VOULOIR, le POUVOIR", O. de Serres, Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs (1600).

1.1 Risques majeurs, risques mineurs ?

Point ici de grande catastrophe, point de gros titres, de paniques, de mobilisation massive de populations rongées d'inquiétude ou de douleur, point de secrets jalousement gardés par "ceux qui savent" (ou sont censés savoir), point de débats feutrés ou publics, point de mesures économiques, politiques ou éthiques majeures, non, le quotidien, le banal, le lot d'individus aux prises avec leur activité professionnelle dans une très petite entreprise (T.P.E.) : une entreprise touristique en milieu rural. Le risque y est en effet permanent, et s'il n'est pas en général létal, la vie de l'individu et celle de ses proches sont directement affectées par le fonctionnement même de l'entreprise. Cette situation est la conséquence des caractéristiques de toute T.P.E. : une ou deux personnes la composent, pas ou peu de division des tâches (celui ou celle qui décide est aussi celui ou celle qui met en œuvre), un lien personnel direct avec le "client" pour lequel le ou les produits vendus doivent être spécifiquement conformés.

Les risques ne sont donc pas seulement entrepreneuriaux, ils relèvent du "mesnage", cet équilibre à assurer entre activité professionnelle et vie domestique : c'est du bonheur des individus qu'il s'agit.

1.2 Le hasard ne fait pas bien les choses

Une entreprise touristique en milieu rural dépend en permanence de deux séries de facteurs aléatoires, les uns d'ordre naturel, les autres d'ordre humain, avec de nombreuses interactions entre les deux. Du côté du "naturel" : le climat qui constitue un ensemble d'éléments forts mais aussi la santé du responsable-acteur de l'entreprise. Du côté de l'humain : les éléments d'ordre économiques (la "reprise" voit le nombre de jours-vacances/personne/an augmenter ), politiques (l'élection de F. Mitterand en 1981 a fait fuir les touristes des U.S.A.), sociaux. Si, parfois, le cours des choses est favorable à l'entreprise, le plus souvent, sa bonne marche et l'équilibre de vie de ceux qu'elle implique dépendent, pour l'essentiel, de leur action.

2. APPRENDRE À PILOTER DANS L'INCERTITUDE

La formation de responsables d'entreprises touristiques rurales, si on décide de ne pas limiter la formation aux tâches techniques nécessaires (accueil, cuisine, activités de pleine nature, gestion,

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etc.), mais d'aborder les problèmes d'ordre stratégique, pose le problème du pilotage dans l'incertitude.

2.1 Une modélisation nécessaire

La construction de situations d'apprentissage de ce pilotage, destinées à des porteurs de projets ou des entrepreneurs en fonction, nécessite une modélisation du fonctionnement de l'entreprise, à partir de laquelle on pourra procéder à cette construction selon le principe d'isomorphisme (Raisky, 1999). Cette modélisation a été réalisée grâce à la mobilisation de deux références théoriques : l'approche système et l'approche cognitive de l'activité.

La démarche a procédé par des études de terrain. Dans chaque entreprise étudiée, de longs

entretiens ont été réalisés avec son responsable (plusieurs heures, en plusieurs fois). Ces entretiens ont été conduits selon une trame chronologique croisant l'histoire personnelle de l'acteur et l'histoire de son entreprise. À chaque phase du travail, les résultats des entretiens ont été confrontés avec l'analyse de la réalité de l'entreprise. Cette démarche permet d'établir un schéma de fonctionnement de l'entreprise dans le temps, rythmé par les décisions de l'acteur, de mettre à jour le système de règles et, in fine, les finalités de l'acteur qui déterminent ses choix stratégiques.

À partir des modélisations des différentes entreprises étudiées, a été établi un "modèle général" (Le Moigne, 1990), tant du système-entreprise que de l'action stratégique de l'acteur. Ce modèle a ensuite été validé par l'étude d'autres entreprises pour lesquelles il a servi de grille de lecture.

2.2 Le Système entreprise

Sans présenter ici de façon détaillée le "système-entreprise" (voir Raisky et al., 1997), notons quelques caractéristiques intéressantes pour notre présent propos. L'entreprise touristique en milieu rural peut être lue comme un système construit à partir de quatre ensembles de données :

- des facteurs humains (compétences, disponibilité etc. de l'acteur, et de son entourage),

- des données concernant les produits touristiques (règlements, aspects économiques, techniques ), - des données concernant la clientèle (fréquentant déjà la zone ou potentielle) ;

- des données liées au territoire (dimension qui définit le tourisme rural qui s'inscrit dans un territoire et ses entreprises qui en exploitent les ressources) : données naturelles (situation de l'entreprise, relief, climat, hydrographie, couvert forestier etc.) et données humaines (économiques, culturelles, sociales etc.).

Le système entreprise comporte plusieurs sous-systèmes : système décisionnel, système de relations sociales, système d'informations, système de production. Dans ce système, le rôle de l'acteur est vital : sans lui il n'existe pas. Les éléments, potentiellement en nombre infini et dont beaucoup évoluent, pour le sujet, de façon aléatoire, doivent être considérés comme la "matière première" à partir de laquelle est construite l'entreprise.

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2.3 Le modèle de l'action

C'est donc l'acteur qui, par ses décisions stratégiques et leur mise en œuvre, construit l'entreprise et la fait fonctionner. Le modèle de pilotage selon une "gestion rationnelle" qui, à partir d'une représentation fonctionnelle de l'entreprise, calcule des résultats possibles selon les solutions choisies et les moyens mis en œuvre en réponse à des problèmes posés ne parait pas pertinent. Plusieurs raisons plaident plutôt pour un modèle dit à "rationalité limitée". En effet, du côté des facteurs extrinsèques à l'acteur, on trouve :

- un nombre très élevé de facteurs ;

- nombreux parmi eux présentent un caractère aléatoire (climat, économie, politique etc.) ;

- les possibilités objectives de connaître les facteurs pouvant intéresser l'entreprise sont limitées (informations disponibles limitées ; degré de pertinence de ces informations pas exactement connu) ;

- le "calcul" des effets ne relève pas de la linéarité mais plutôt de la logique floue : les effets de seuil avec interactions y sont légion alors que les simples relations causales bien rares. Disons que l'horizon de prédictibilité est limité et probabiliste.

L'acteur est lui-même limité :

- par les moyens qu'il peut mettre en œuvre pour connaître les "données", pour prévoir, pour agir, pour tirer des bilans, sont en général assez limités : à la mesure d'un seul acteur, même s'il sait se doter d'outils (l'ordinateur) et de conseils. Une limite est toujours indépassable, celle du temps dont il peut disposer, les activités de tourisme rural étant particulièrement dévoreuses de temps.

- par ses capacités cognitives, elles-mêmes limitées par les compétences qu'il a développées.

Et surtout, ses décisions et ses actions sont sous la dépendance des finalités qu'il vise, même si, à chaque moment de son action, il n'a pas une conscience claire ni de ces finalités ni de leur hiérarchie.

C'est pourquoi les processus de formation de responsables d'entreprises touristiques en milieu rural construits sur des modèles de l'entreprise qui ne se référèrent qu'aux seuls résultats économiques ne sont que peu performants : on a mis en évidence, pour les entreprises étudiées, que ce ne sont pas les finalités économiques que l'acteur place au premier rang de ses préoccupations.

2.4 Et les risques?

Les indications qui précédent sur les conditions d'exercice de la décision et de la réalisation des actions amènent à envisager la question du risque de façon fort différente de celle, classique, qui l'assimile à un dysfonctionnement dans un processus prescrit. Dans ce cas, on s'efforce de "mesurer", "calculer" les risques pour en réduire la probabilité au minimum.

Dans le cas de nos entreprises, il n'y a pas de risque en soi : chaque élément (ceux répertoriés dans les quatre ensembles de facteurs) n'a pas, a priori, de valeur positive ou négative. C'est à travers la

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mobilisation que va ou non en faire l'acteur, selon le système de ses finalités, qu'il va acquérir une valeur positive ou négative. Prenons l'exemple du climat, facteur par essence non maîtrisable, imprévisible. Un printemps fort pluvieux, dans une région septentrionale, fait chuter considérablement les réservations pour l'été suivant : la négativité du facteur étant avérée, on peut considérer qu'il constitue un risque sérieux. Pourtant, les responsables d'entreprises de ces régions savent qu'il s'agit là d'un fait incontournable et que, s'ils veulent réussir (on reste là dans l'économique), ils doivent composer avec cette donnée, transformer ce qui apparaît à première vue comme contrainte en atout. S'ils ne peuvent "vendre" du soleil, ils vont choisir de vendre autre chose : exploiter un temps rugueux pour en faire un moment propice à un contact "authentique" avec la nature, contact tant recherché par les citadins. Sans vendre des "opérations survie", proposer des feux de cheminée, des rencontres avec des conteurs, la dégustation de produits "du terroir" pendant que la pluie et le vent rappellent la présence des éléments naturels s'avère un excellent argument commercial, et les clients repartent fort satisfaits de tels week-ends printaniers ou automnaux. Le responsable de l'entreprise, quant à lui, s'il a aussi comme finalité de rencontrer des gens pour partager avec eux le goût de la nature et les ressources de son terroir, y trouvera de grandes satisfactions. Un bon "ménager" - et l'usage du masculin peut paraître provocateur quand on sait que nombre de responsables d'entreprises de tourisme en milieu rural sont des femmes, mais le terme de "ménagère" ayant pris en français un sens trop restreint, le neutre qu'exprime le masculin nous paraît plus pertinent - sera celle ou celui qui saura "jouer" avec ce qui peut apparaître a priori comme risque.

Plus, en bon stratège, elle, il, saura exploiter l'aléatoire en sachant rompre avec la routine dans laquelle atouts et contraintes se figent en risques, au regard des finalités qu'il vise. Il sera ainsi conduit, à certains moments, à modifier profondément son projet ou son entreprise en en modifiant le système : des éléments seront changés, les rapports entre les éléments, mais aussi l'équilibre, la hiérarchie des finalités seront modifiés.

Un exemple : un jeune agriculteur travaillant en G.A.E.C. (association) avec son père et son frère, chacun ayant un domaine de production bien identifié, décide de se retirer du groupe et de s'engager dans la construction d'une entreprise de tourisme rural. Il veut satisfaire ainsi ses aspirations : entreprendre quelque chose de nouveau, avoir une activité dans laquelle les relations humaines sont importantes et enfin se cultiver à travers l'élaboration d'un projet original dans lequel une réflexion sur les rapports homme/nature serait présente. Dans une première phase, qui a duré une bonne année, ce jeune entrepreneur, profitant de mesures européennes, a gelé les terres qu'il exploitait et a, en association (S.A.R.L.) avec un ami d'enfance travaillant dans le secteur culturel, beaucoup réfléchi à ce qu'il était possible de faire, tout en réalisant une activité d'accueil (1 chambre d'hôtes). À l'issue de cette année, il s'est rendu compte que, même si le gel de ses terres lui procurait un revenu suffisant pour vivre et que les très longs entretiens qu'il avait avec son ami lui procurait de

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grandes satisfactions intellectuelles, ses deux autres finalités n'étaient pas satisfaites : l'atout économique dont il disposait l'entraînait de fait vers une situation d'effervescence qui lui interdisait la réalisation de ce à quoi il aspirait et le confinait dans un rapport singulier alors qu'il souhaitait, à travers son activité professionnelle, un enrichissement de ses rapports sociaux. Il décide alors de rompre l'association avec son ami et de s'engager, seul, dans la construction d'une entreprise touristique autour d'activités hippiques. Aujourd'hui cette entreprise qui accueille de très nombreux groupes d'enfants (certains handicapés), emploie en permanence 6 personnes et, l'été, jusqu'à 12 personnes. Mais notre entrepreneur s'interroge sur son avenir : la routine commence à s'installer et son désir d'entreprendre ne trouve plus trop à se satisfaire. De plus, pris par ses activités, il se plaint de ne pouvoir consacrer qu'un temps minime à son développement personnel.

On voit, dans cet exemple, combien la prise en compte des finalités de l'acteur peut être déterminante dans un processus de formation (ou d'audit de l'entreprise). C'est en fonction du

système qu'elles forment à un moment donné et des objectifs qui en découlent que tel ou tel élément devient risque : la bonne marche d'une entreprise peut être, pour un individu voulant sans

cesse entreprendre mais aussi se cultiver, un risque d'ennui perturbant profondément sa vie et celle des siens.

3. CONCLUSION : POUR UNE ÉTHIQUE DE LA RESPONSABILITÉ

Dans l'incertitude toujours recommencée, l'action, sous la dépendance de nos désirs les plus

profonds construit ses propres risques plus qu'elle ne les rencontre. Un entrepreneur doit en être

conscient pour faire ses choix et en assumer la pleine responsabilité.

"L'homme périrait de faim s'il ne voulait boire et manger qu'après être parvenu à démontrer parfaitement que la nourriture et la boisson lui sont profitables", Spinoza, Lettre LVI à Hugo Boxel.

BIBLIOGRAPHIE

RAISKY C., Complexité et didactique, Éducation Permanente, 1999, 139, 37- 64.

RAISKY C., CHEVIGNARD N., HUMBLOT J.-P., LESEIGNEUR A., New training courses for people involved in green tourism, in Wout Van den Bor, Rural diversification in Europe and its challenges for agricultural education and training, Wageningen (NL) : Agricultural University, 1997, pp 125-137.

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