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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les mots du ressenti corporel

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Academic year: 2021

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LES MOTS DU RESSENTI CORPOREL

Jean-Paul PES

UMR ADEF, Département des Sciences de l’Éducation, Aix-Marseille 1, France

MOTS-CLÉS : MOTS – CONSCIENCE – CORPS – RESSENTI CORPOREL

RÉSUMÉ : À partir d’une étude dans des centres d’initiation sportive, auprès d’enfants de 7 à 10 ans, nous montrerons que les éducateurs sportifs n’exploitent pas les possibilités offertes par le développement de l’enfant. À cette période, l’enfant prend conscience de ses possibilités par le passage à une image du corps opératoire. Cette étape développementale sera pleinement exploitée si les éducateurs échangent verbalement avec l’enfant sur ses productions motrices. Or nous constatons que les échanges sont essentiellement techniques (consignes des exercices), et non sur le ressenti de l’enfant lors de cette exécution.

ABSTRACT : Based on a study carried out in centers of sports initiation, among children from 7 to 10 years old, we will present that sports’educators don’t exploit all the possibilities, children’s development may offer. During this period, children take conscience of their possibilities through their transition to an operative corporal image. This developmental step will be fully exploited if the educators proceed to verbal exchanges with children on their motor productions. However, we see that these exchanges are essentially technical (instructions of the activities) and don’t concern the children’s conscious feeling of their body during this execution.

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1. INTRODUCTION

Dans les activités motrices chez l’enfant, des études précédentes ont montré la reconnaissance selon les éducateurs de la conscience corporelle comme facteur essentiel à développer. Notre étude auprès d'enfants de 7 à 10 ans dans le cadre des activités motrices nous permet de poser l’hypothèse suivante : la conscience corporelle chez l’enfant peut être développée par la communication sur sa production motrice ; les enfants ne sont pas assez invités à parler de leur ressenti corporel.

La problématique est la suivante : la conscience corporelle se développe lorsque l’enfant est aidé dans la verbalisation de ses sensations corporelles, or on observe peu d’échanges entre l’éducateur et l’enfant sur le ressenti corporel après une action motrice.

Chez Piaget J., la prise de conscience est une reconstruction de l’action sur le plan conceptuel. Hebb D. O. (1958) défini, vers 8-9 ans, le passage d’un apprentissage dit primitif où seul le but à atteindre est conscient à l’apprentissage cognitif, dit secondaire. L’enfant possède une « image du corps opératoire » (« stade du corps perçu » de Ajuriaguerra J. (1977)) conquise par la mise en œuvre de la fonction d’intériorisation. Une attention particulière se développe, l’attention intériorisée qui est centrée sur les sensations proprioceptives. Cette fonction d’intériorisation est la condition du passage à l’apprentissage secondaire dit « l’apprentissage avec représentation mentale » (Le boulch J. 1995). Mais le passage à ce stade de conscience corporelle n’a, dans notre perspective, une valeur significative que si l’adulte joue le rôle de médiateur (Vermersch P., 2003). Certains facteurs semblent significatifs pour expliquer l’amélioration du niveau de performance lorsque l’enfant verbalise ouvertement sa pensée lors de la résolution de tâches complexes (Carlson J.S. & Wiedl K.H., 1995).

La place de l’éducateur est précisée dans les travaux de Vygotski (1998) : prendre conscience d’une opération, c’est la faire passer du plan de l’action à celui du langage, et la réinventer en imagination pour pouvoir l’imprimer en mots. Le travail sur la conscience corporelle permet de faire référence à ce que Damasio A. (1995) nomme les marqueurs somatiques, c’est-à-dire la faculté de réactiver une réponse émotionnelle corporelle en relation avec la mémoire d’événements passés permettant de motiver leurs décisions. L’émotion est un moment d’apprentissage qui renforce ou amende l’interprétation donnée à une chose (Wallon H. 1984).

Il semble difficile de dire avec des mots son ressenti corporel, il paraît tout aussi difficile de provoquer des situations éducatives pour y parvenir ; C’est pourtant ce que nous tentons de promouvoir.

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2. CONDITIONS DE L’ÉTUDE

2.1. Enquête préliminaire

Dans une enquête préliminaire, nous avons recueilli un ensemble de données sur les éducateurs sportifs, sur les responsables de ces centres et à partir des textes, qu’ils soient internes aux structures où directement émanent des textes de l’éducation nationale.

Les éducateurs semblent reconnaître le développement de la conscience corporelle comme un facteur essentiel à développer à cette période. Selon la formule des responsables des centres sportifs : dans toutes les activités « même si elles ont lieu en groupe, on respecte le rythme de chacun ». Ils semblent prôner une connaissance du développement de l’enfant afin d’adapter le travail au rythme de chaque enfant. Pour les textes, il s’agit de respecter les rythmes de l’enfant, l’enseignant doit laisser l’enfant libre dans le ressenti des sentiments dans l’action, qui développe ensuite une intention puis une construction de l’action. Il doit juste guider l’élève (par le verbe et non par le geste) sans rien imposer.

Lors d’une étude par questionnaires et observations sur le terrain (Pes J-P. 2003), nous avons constaté le décalage entre le développement de la conscience corporelle semblerait être reconnu par les éducateurs comme le facteur principal d’amélioration durable du potentiel physique, or, ils ne le privilégient pas dans le travail.

2.2. Champ théorique

Vers 7-8 ans avec la période dite des opérations concrètes, les intériorisations, coordinations et décentrations étant croissantes (par exemple, l’image mentale devient à la fois anticipatrice et plus mobile), on aboutit à une forme générale d’équilibre qui est la réversibilité opératoire. Le mouvement joue un rôle fondamental dans la découverte du monde, de soi et de l’autre.

Au stade catégoriel (6 à 11 ans) de Wallon, l’enfant passe d’une intelligence pratique à des activités conceptuelles.

De Ajuriaguerra J. distingue trois stades dans l’évolution du schéma corporel : • stade du corps vécu jusqu’à 3 ans,

• stade du corps perçu jusqu’à 6-7ans,

• stade du corps représenté jusqu’à 11-12 ans.

Ainsi l’image du corps opératoire, support de la représentation mentale d’un programme moteur, peut devenir le support de l’apprentissage dès 7-8 ans.

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proprioceptifs sans lesquels toute appropriation de l’organisme, d’un objet extérieur ou d’un espace, est impossible (Bullinger A. 1990).

Hebb D. O. (1958) définit deux niveaux dans l’apprentissage :

• Avant 8-9 ans, le niveau global, apprentissage dit primitif où seul le but à atteindre est conscient. Les modalités pour y parvenir restent infra-conscientes. La structure de l’automatisme, c’est-à-dire le programme moteur, est connue lorsque l’apprentissage est terminé.

• Après 8-9 ans, l’apprentissage cognitif, apprentissage dit secondaire. L’enfant possède une « image du corps opératoire » conquise par le jeu de la fonction d’intériorisation. Le programme moteur est défini initialement et sert de support à l’acquisition de l’automatisme correspondant. Aider l’enfant à passer d’un schéma corporel inconscient à un schéma corporel conscient par le jeu de sa fonction d’intériorisation, véritable fonction perceptive concernant le champ des informations proprioceptives (Le Boulch J. 1995).

2.3. La prise de conscience

La prise de conscience (Piaget J. 1974) désigne le travail cognitif que le sujet doit fournir pour opérer le passage d’un plan de l’activité mentale à une autre : par exemple, du plan des connaissances en acte (niveau sensori-moteur) au plan de la représentation, ou encore du plan des connaissances représentées au plan des connaissances formelles. Il ne s’agit pas d’un simple mécanisme qui éclairerait une zone jusque-là dans l’obscurité, mais bien de la reconstruction sur un nouveau plan de connaissances déjà existantes.

Piaget a énoncé une loi caractérisant la progression de la prise de conscience comme allant de la périphérie (de ce qui est immédiatement visible) vers le centre (vers ce qui justifie les résultats de l’action), puis les différents mécanismes d’intériorisation (les différents types d’abstraction), le primat des informations positives, visibles, manifestées, sur les informations négatives (celles complémentaires qui doivent être déduites par différence).

Nous ferons la distinction entre abstraction empirique et abstraction réfléchissante (Piaget, 1992). L’acte réfléchissant est un acte mental qui permet de faire le passage d’un vécu en acte à un vécu représenté. Il est basé sur un retour réflexif, sur un vécu, passé de manière à en opérer le réfléchissement. Vygotski envisage un lien fort entre développement et apprentissage ; l’apprentissage étant comme premier rapport au développement. Le processus de développement s’alimente par confrontation à l’adulte et aux pairs et par la médiation du langage. « Avec le langage, la représentation n’a plus besoin d’une perception concomitante ou évoquée, mais seulement de ses propres moyens d’expression. Pour commencer, elle fait corps avec eux. Ne peut être pensé que ce qui peut être décrit ou raconté » (Wallon, 1984).

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Prendre conscience d’une opération, c’est la faire passer du plan de l’action à celui du langage, et la réinventer en imagination pour pouvoir l’imprimer en mots (Vygotski, 1997).

2.4. Étude

Notre étude porte sur 300 enfants de 7 à 10 ans dans le cadre des activités motrices et sur 77 éducateurs sportifs. Les enfants pratiquent une fois par semaine. Les activités sont collectives ou individuelles et se pratiquent en groupe : athlétisme, football, karaté, escrime, tennis, rugby, sports de raquettes, cirque, VTT. Nous avons pratiqué une étude longitudinale (4 ans) sous forme d’observation incognito. Si nous résumons les interventions des éducateurs lors de la situation d’apprentissage sous le mode de Présence (Prés.) ou Absence (Abs.), nous obtenons :

1. Explique le but de la situation : 100 % (Prés.) ; 0,0 % (Abs.) ;

2. Démontre la réponse motrice à la situation : 53,8 % (Prés.) ; 46,2 % (Abs.) ; 3. Encourage et anime pendant la situation : 65,4 % (Prés.) ; 34,6 % (Abs.) ; 4. Corrige la réponse motrice de l’enfant : 30,8 % (Prés.) ; 69,2 % (Abs.) ;

5. Laisse l’enfant faire puis modifie la situation en fonction de la réponse motrice de l’enfant : 7,7 % (Prés.) ; 92,3 % (Abs.) ;

6. Laisse l’enfant faire puis discute avec lui de sa réponse motrice : 11,6 % (Prés.) ; 88,4 % (Abs.). Les observations montrent une approche de l’apprentissage restant dans l’ensemble techniciste et directive. Il y a peu de propositions de verbalisation. Il y a peu d’échanges avec l’enfant sur sa production motrice. Il n’y a pas d’échanges collectifs sur le ressenti du corps en mouvement.

3. CONCLUSIONS

L’implication de l’enseignant dans la relation et l’observation de la réalisation de l’enfant est capitale. Elle nécessite une attention qui ne se limite pas à la réalisation de l’activité proposée mais aussi à un échange sur ce qu’en dit l’enfant et les différentes manifestations, gestuelles, émotionnelles, verbales qui accompagnent ou suivent le geste. Même quand Piaget (1992) souligne le progrès considérable que représente le développement de la pensée réfléchie qui prend pour objet de pensée des réflexions (penser sur la pensée), il oublie de souligner l’intérêt du développement de la capacité à continuer à abstraire à partir du vécu, à partir du concret. Et, une fois les capacités formelles développées, continuer à n’en valoriser que les aspects formels est une erreur adaptative

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apports de l’explicitation. Le concept de la prise de conscience est essentiel pour comprendre le principe de la démarche de l’explicitation, puisque l’entretien est basé sur une aide à la prise de conscience pour permettre le réfléchissement de ce qui a été vécu et qui est encore pré réfléchi et ne peut donc pas être mis en mots directement (Vermersch P. 2003). L’explicitation cherche, de matière privilégiée, à questionner à partir du réfléchissement d’un vécu particulier et non pas de sa carte déjà élaborée. En ce sens, cette approche est en permanence en train de faire jouer les mécanismes de base de l’abstraction des propriétés du réel qui sont au fondement de la prise de conscience (Vermersch 2003). Le travail sur la conscience corporelle chez l’enfant, par son action sur le corps et le cerveau, par l’action des émotions, aura le rôle d’inscrire dans les mémoires un sentiment de soi (Damasio 1999). Proposons enfin l’hypothèse du développement de la conscience corporelle grâce à la mise mots comme une étape importante de la conscientisation dont on recherche tant à faire appel dans des âges plus élevés…

BIBLIOGRAPHIE

ABERNOT Y. (1996). Les méthodes d’évaluation scolaire. Paris : Dunod, 120 p.

AJURIAGUERRA DE J. (1970). Traité de psychiatrie de l’enfant. Paris : Masson, 700 p. BÜCHEL F.-P. (1995). L’éducation cognitive. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 348 p.

BULLINGER A. (1990). Les fonctionnements sensori-moteurs, matériaux pour la « croissance cérébrale » In Seron X. Psychologie et cerveau, Paris : Presses Universitaires de France, pp.77-91. BULLINGER A. (2004). Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars. Ramonville Saint-Agne : Erès, 271 p.

DAMASIO A. (1995). L’erreur de Descartes. Paris : O. Jacob, 365 p.

HEBB D. O. (1958). Psycho-physiologie du comportement. Paris : Presses Universitaires de France. LE BOULCH J. (1995). Mouvement et développement de la personne. Paris : Vigot, 309 p.

PES J.-P. (2004). La conscience corporelle chez l’enfant de 3 à 8 ans, pour une éducation à la santé,

Évolutions Psychomotrices, 16 (66), 213-222.

PIAGET J. (1974). La prise de conscience. Paris : Presses Universitaires de France, 283 p. PIAGET J. (1992). Biologie et connaissance. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 346 p. VERMERSCH P. (2003). L’entretien d’explicitation. Paris : ESF, 221 p.

VYGOTSKI L-S. (1997). Pensée et langage. Paris : Messidor, 540 p.

Références

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