L’ACTUALITÉ DANS LA RECHERCHE EN DIDACTIQUE ET LES
FONCTIONNEMENTS DES DIDACTIQUES DISCIPLINAIRES :
Étude de l’appropriation de la notion de représentation par les
didactiques du français et des sciences.
Aurélie DUPRÉ
THEODILE (E.A. 1764), Université Lille3
MOTS CLÉS : DIDACTIQUE COMPARÉE - DIDACTIQUE DU FRANÇAIS – DIDACTIQUE DES SCIENCES – NOTION DE REPRÉSENTATION
RÉSUMÉ : Cet article vise à questionner ce qui fait « actualité » dans la recherche en didactique. Nous nous interrogeons ici sur le fonctionnement des didactiques disciplinaires et sur la manière dont ces dernières peuvent s’approprier spécifiquement une notion qui fait actualité dans le champ de la didactique. Notre propos se centrera sur une notion particulière de didactique : les représentations. Nous nous attacherons alors à étudier la manière dont les didactiques du français et des sciences ont abordé cette célèbre notion de didactique.
ABSTRACT : This article aims to examine what is in vogue nowadays concerning research in didactics. We will deliberate on the functioning of didactics in various disciplines and on the way in which the latter can specifically appropriate a notion which is in vogue in the field of didactics. Our remarks will concentrate on one particular notion of didactics, that is, representations. We will study closely the way in which didactics in French and Science has tackled this well-known notion of didactics.
1. INTRODUCTION
Cette contribution propose d’interroger ce qui fait « actualité » ou « événement » dans le champ de recherche de la didactique et même plus spécifiquement au sein des différentes didactiques disciplinaires qui la constituent. Nous travaillerons pour cela à partir d’une notion qui fait « actualité » dans le champ de la didactique depuis le début des années soixante-dix, les représentations. Après avoir précisé ses origines en sciences humaines, nous interrogerons les fonctionnements de la didactique et même des didactiques disciplinaires.
2. « LES REPRÉSENTATIONS », UNE NOTION DES SCIENCES HUMAINES
La didactique a introduit la notion dans ses questions de recherche au début des années soixante-dix, mais celle-ci existait déjà bien antérieurement en sciences humaines. Nous la remarquons notamment en psychanalyse (FREUD, 1900), en psychologie génétique (PIAGET, 1956) et sociale (MOSCOVICI, 1961), en épistémologie (BACHELARD, 1938) et en pédagogie (MIGNE, 1970). Pour cerner précisément le sens cette notion dans notre champ de recherche, nous nous sommes demandés comment la didactique s’était positionnée par rapport à ces perspectives (DUPRE 2005). Cette étude a d’abord révélé l’énorme succès connu par cette notion dans de nombreuses disciplines des Sciences Humaines, et ce bien avant son introduction en didactique. Mais elle nous a également permis de remarquer que chacun ces courants avait réalisé sa propre approche des représentations et ce par rapport au point de vue et aux questions de recherche de son champ. Il nous semble que cela a pu contribuer à développer une certaine polysémie régnant aujourd’hui autour de cette notion. Cela nous amène ici à nous demander comment la didactique, en tant que champ de recherche autonome, s’est positionnée par rapport à ces travaux.
3. LA NOTION EN DIDACTIQUE ET LE POINT DE VUE DES DIDACTIQUES
Par sa focalisation sur les contenus et leurs relations à l’enseignement et à l’apprentissage, la didactique spécifie un certain nombre de didactiques en lien à des disciplines scolaires (le français, les sciences, l’éducation physique et sportive…)1. Il nous semble que cette particularité peut être
interrogeante dans la manière dont sont travaillés les concepts qui font l’actualité de la didactique.
Reprenant la notion de représentation, nous nous intéresserons, dans les paragraphes suivants, à la manière dont elle a été travaillée au sein de deux didactiques disciplinaires distinctes, celles du français et des sciences.
3.1. Un concept en didactique des sciences
La notion de représentation a émergé dans un questionnement didactique du point de vue disciplinaire des sciences. C’est au cours des Journées Internationales sur l’éducation scientifique que les chercheurs sont sensibilisés pour la première fois à cette notion2, les représentations sont alors définies comme des « sortes de choses existant dans la tête des élèves, de nature stable quelles
que soient les circonstances et à connaître en préalable d’un cours » (GIORDAN et DE VECCHI,
1987, p. 74). Les travaux à ce sujet vont alors se multiplier3, notamment au sein de l’I.N.R.P. et du C.N.R.S. Nous distinguons deux grandes orientations. Dans un premier temps, ces travaux ont visé à établir des listes de représentations fréquentes en fonction des thématiques scientifiques et des publics considérés. Ils ont abouti à la constitution de « catalogues » destinés à aider l’enseignement des concepts scientifiques4. Cette approche des représentations comme produit a notamment contribué à mettre en évidence leur variété et leur résistance à l’enseignement. Dans un second temps, les représentations n’ont plus seulement été travaillées comme produits mais en tant que processus de construction de connaissances. Elles ont alors été considérées comme de véritables structures mentales mises en œuvre dans la résolution de situations problèmes5. De nouvelles caractéristiques ont été dégagées, notamment leur grande résistance, leur juxtaposition, leur transversalité, leur aspect inconscient, leur caractère évolutif et leur possible constitution d’obstacle. Cette approche se démarque des perspectives précédentes, les représentations sont ici des entités mentales définissables, délimitables et discutables. Pour A. Giordan et G. De Vecchi (1987), cette notion a pris en didactique des sciences le statut de concept. Ces auteurs adoptent d’ailleurs, pour rompre avec la polysémie accompagnant le mot représentation, le terme de conception qui, selon eux, met l’accent sur l’idée d’une structure mentale cohérente et fonctionnelle6. Cette distinction semble aujourd’hui être adoptée par de nombreux didacticiens des sciences.
2 Cf. A. GIORDAN et J.-L. MARTINAND (1983), Quel type de recherche pour rénover l’éducation en sciences expérimentales, Actes des Vème journées internationales sur l’éducation scientifique, UER de didactique Paris 7. 3 A. GIORDAN et J.-L. MARTINAND (1988) relèvent déjà, à la fin des années 80, plus de 300 études s’y intéressant. 4 M. THOUIN (1998) a dressé un inventaire systématique des représentations possibles des élèves en fonction du thème scientifique abordé et de leur niveau de scolarité.
5 Cette seconde orientation montre la possible existence d’obstacles aux apprentissages. 6 Cf. GIORDAN et DE VECCHI (1987), p. 79.
3.2. Une notion de la didactique du français
C’est dans le champ de l’étude des phénomènes d’enseignement apprentissage de la lecture et de l’écriture que nous y remarquons la plupart des travaux sur la notion de représentation7. Deux grandes hypothèses sont alors à sa source. D’abord, chacun d’entre nous aurait des ‘idées’ plus ou moins précises à propos de n’importe quel objet du monde. D’autre part, cet enseignement-apprentissage ne saurait ignorer ces représentations car sinon des résistances se manifesteraient et risqueraient de perdurer8. C’est d’abord en référence aux sciences sociales que la didactique du français introduit la notion9, les connotations qui lui sont alors associées renvoient à l’idéologie et aux préjugés. Ainsi, M. Dabène10 définit les représentations de l’écrit comme « l’ensemble des discours explicatifs et évaluatifs que l’usager peut produire à propos de l’écrit (en tant qu’ordre du scriptural) et des écrits (en tant qu’objets sociaux). Il s’agit donc d’une notion qui, pour nous, relève de l’analyse des discours à travers lesquels elle se manifeste. ».
De par notre ancrage en didactique des sciences, nous nous étonnons de l’importance de la notion qui semble moindre en didactique du français que dans notre champ disciplinaire11. Nous pensons
pouvoir, en partie, expliquer ce constat par le relevé, en didactique du français, de notions proches, peut-être même parfois concourantes à celle de représentation. Nous mentionnerons notamment celles de « rapport à » et de « clarté cognitive ». La première est issue, en didactique, des travaux de l’équipe ESCOL12 et vient s’inscrire en rupture avec l’idée que les causes de l’échec scolaire se situent dans les seules caractéristiques sociales des élèves. B. Charlot (1999) définit le rapport au savoir comme une forme de rapport au monde en lien avec des systèmes symboliques. C’est la perception que se fait l’individu du monde qui l’entoure et qu’il partage avec d’autres. S’intéressant aux phénomènes langagiers, E. Bautier (2002) montre comment les élèves construisent, parfois à leur insu, un rapport au langage qui est différent chez les uns et chez les autres. Le rapport au langage peut ainsi être de nature à favoriser, ou au contraire à freiner l’appropriation des savoirs. On peut envisager de la même manière un rapport à l’écriture désignant l’ensemble des significations construites par le scripteur à propos de l’écriture, de son apprentissage, de ses usages. La seconde est, quant à elle, née d’une réflexion sur le cheminement interne que suit l’enfant qui accède
7 Ainsi dans le domaine de l’écrit plusieurs didacticiens s’intéressent à l’image que l’élève a de lui-même en tant que lecteur ou scripteur, ou encore à son rapport à l’écrit. D’autres étudient les représentations que les usagers ont de l’orthographe (A. MILLET, V. LUCCI et J. BILLIEZ, 1990). Une grande partie de ces travaux, qui ont pour point commun le rapport à l’écrit, concernent sans doute d’avantage les « représentations sociales » que l’élaboration des connaissances proprement dites.
8 Cf. REUTER (1996) page 93.
9 Cf. GUEUNIER, 2000 in NONY J.-C., (1998), Effet des représentations et des modèles de réféence sur les capacités des élèves de l’école élémentaire à produire des textes écrits, ANRT.
10 DABENE M., DURANCEL G. (1994), Pratiques langagières et enseignement du français à l’école, Repères n°15. 11 Ainsi, Claudine Garcia-Debanc (2001), qui se propose justement d’identifier les concepts importants en didactique du français, ne retient pas celui de représentation/conception alors qu’elle retient par ailleurs celui d’objectif-obstacle. 12 Groupe de recherche de l’université Paris VIII.
progressivement à la compréhension des principes de la lecture et de l’écriture. Vernon13 montre que le principal symptôme des difficultés rencontrées (dans l’apprentissage de la lecture) réside dans la confusion cognitive. Certains enfants aborderaient de manière assez inadéquate l’apprentissage de l’écrit. J. Downing et J. Filjakow (1984) introduisent alors la théorie de la clarté cognitive. Cette théorie met l’accent sur l’importance d’une phase dite cognitive qui nécessite que l’apprenant cherche à comprendre ce qu’il doit faire pour savoir faire, il adopte en fait une position métalinguistique. S’ajoute à cela une dimension métacognitive, c'est-à-dire une prise de conscience, par l’apprenant, des opérations qu’il met en œuvre. E. Filjakow14 utilise par exemple ce concept dans les activités d’écriture, elle montre que pour aborder l’écrit, le futur scripteur doit se faire une idée de cette pratique (manière dont se comporte celui qui écrit, pensée claire du code linguistique…). Par cette présentation, sans doute trop superficielle, de ces deux notions de la didactique du français, nous voyons que les notions de clarté cognitive et de rapport à se sont construites en rapport avec le sujet apprenant et que leur étude va de paire avec celles de l’activité du sujet et du sens qu’il attribue aux savoirs. C’est dans ce sens que nous souhaitons les rapprocher de la notion de représentation et qu’elles nous paraissent pouvoir lui être concourante.
4. CONCLUSIONS
Par cette étude, nous voulons poser la question de la circulation des concepts d’une part entre la didactique et les disciplines qui lui sont dites « contributoires » et d’autre part au sein des différentes didactiques disciplinaires. À ce stade de notre travail, nous remarquons les appuis manifestes de la didactique sur d’autres courants des sciences humaines. La notion de représentation est clairement construite en référence à ces disciplines contributoires. Mais nous dégageons également une certaine autonomie de la didactique qui travaille la notion dans sa propre perspective et qui se l’approprie particulièrement. Dans notre champ de recherche, la notion de représentation est ainsi abordée avec un paradigme cognitif. La didactique postule que l’on peut connaître, ou du moins approcher ce qui se passe dans la tête d’un sujet et rendre manifeste certaines de ses représentations. Celles-ci sont alors des hypothèses de travail, des objets reconstruits par le chercheur pour étudier l’enseignement apprentissage des savoirs. En étudiant plus spécifiquement le champ de la didactique et en entrant dans la perspective des didactiques disciplinaires nous constatons que, s’il y a bien une tendance commune dans leurs perceptions de la notion, il est peu pertinent de chercher à globaliser leurs approches. Nous pensons en effet avoir mis en évidence les
13 Cf. VERNON (1957)
14 Cf. FIJALKOW E. (1993), « Clarté cognitive en grande section maternelle et lecture au cours préparatoire, in L’enfant apprenti lecteur, l’entrée dans le système écrit », INRP, CRESAS n°10, L’harmattan, pp. 83-104.
spécificités des points de vue des didactiques. La présentation en parallèle de la notion de représentation dans deux champs disciplinaires distincts – le français et les sciences – a révélé l’existence de nuances entre la perception qu’en ont ces deux courants disciplinaires. Ainsi, parler de représentation en didactique du français n’a manifestement pas les mêmes connotations qu’en didactique des sciences ou l’on préférera d’ailleurs le terme de conception.
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