LOGIQUES D'USAGE ET IMAGINAIRE: LE PUBLIC
ET LES NOUVELLES TECHNOLOGIES D'ACCES AU
CATALOGUE DE LA B.P.I. AU CENTRE POMPIDOU
Joëlle LE MAREe
Bibliothèque Publique d'Infonnation Centre Georges Pompidou, Paris
MOTS-CLES : INFORMATIQUE - BIBLIOTIIEQUE - LOGIQUES D'USAGE - NOUVELLES TECHNOLOGIES.
RESUME: Résultats d'une étude qualitative sur l'utilisation des catalogues infonnatisés à la Bibliothèque Publique d'Infonnation (B.I.P.) : les systèmes de consultation en ligne GEAC et le CDROM LISE. La conception de tels systèmes repose sur le pari de proposer des technologies ne nécessitant pas d'apprentissage préalable, quel que soit le niveau de familiarité de l'utilisateur avec la manipulation infonnatique d'une part, et avec la recherche documentaire d'autre part. L'erreur serait de croire que le problème des concepteurs est d'apprendre à qui ne sait pas; d'initierà partir d'une ignorance. L'usager, face au nouveau, mobilise des schémas mentaux préexistants, des modèles d'usage, qu'il faut tenter de mieux comprendre.
SUMMARY: Qualitative results of a survey held about the use of on line catalogues at the B.I.P. : the study applies to the GEAC catalogue and to the LISE CDROM holding the whole collection of the library. During the inquiry, the public tends to stand in a dialogue situation and expects to much from the machine: either the understanding of a complicated request, or the possibility of handling the situation with only a very general request. The inquiry is disjointed, screen by screen, with neither possible browsing nor scanning of several infonnation levels in one glance. Sorne are labyrinth.
378 1. HISTOIRE D'UNE RECHERCHE
Comment le public utilise-t-illes techniques misesàsa disposition? Comment apprend-il, comment crée t-ill'usage de ces techniques?
Le Service Etudes et Recherche de la B.P.!, dans le prolongement d'une réflexion générale menée sur le décalage entre les usages théoriques des nouvelles technologies d'accès à l'information, et les pratiques réelles observées chez les usagers, a entrepris une analyse des modes d'usage mis en oeuvre par le public en présence de deux systèmes informatisés mis en place pour la consultation du catalogue général: GEAC, un logiciel d'interrogation en ligne, et LISE, un CDROM (Compact Disc Read Only Memory).
Cette étude a permis de mesurer la puissance de modèles imaginaires dans la construction de la relationàl'outil technique. Cette relation est interprétée, dans bien des cas, soitàtravers l'élaboration d'un modèle temporel ; le dialogue, soit à travers la construction d'un modèle spatial de la consultation: le labyrinthe.
2. INNOVATION TECHNIQUE ET USAGES
Par ailleurs, l'analyse fine de tels modèles spontanés, envisagée par rapportà la pratique des "anciens" modes d'accèsàl'information (consultation du catalogue imprimé), révèle le caractère complexe et très ambigu de la vieille problématique ancien/nouveau.
En particulier, les démarches spontanées étudiées chez le public existent sans aucun doute dans la démarche du sociologue qui les observe. Ainsi, le caractère de nouveauté essentielle des technologies en jeu n'est pas discuté: la nouveauté vient des potentialités techniques prévues par les concepteurs et les promoteurs de l'outil, l'innovation est dans le projet, et le jeu consisteàétudier la réaction du publicàcette innovation.
Nous allons tenter de décrire un type de situation dans laquelle l'imaginaire mis en oeuvre par l'usager pour la maîtrise d'une technique anticipe véritablement, et parfois surestime la nouveauté supposée de l'outil technologique.
Le caractère aberrant des démarches spontanées par rapportàl'usage théorique attendu peut alors provenir, non pas de la difficulté de réagir au nouveau, de la résistance qu'on lui oppose, mais bien au contraire, d'une appréciation très personnelle de la nature de l'innovation.
Ainsi, les usages que le public mobilise pour aborder les nouvelles technologies d'accès au catalogue de la B.P.!. peuvent ne pas être ceux dontila acquis la maîtrise par la pratique technique familière du traditionnel catalogue imprimé ou fichier de bibliothèque ou index commercial, et qu'il lui serait facile de reproduire dans un contexte nouveau.
Ces usages puisent au contraire dans un imaginaire de l'outil informatique que le visiteur peut n'avoir jamais employé auparavant, bien plus que dans la pratique familière de l'outil imprimé.
379
3. L'INFORMATIQUE ET SA FORME
L'outil informatique est alors l'archétype de l'innovation technologique, qu'il faut chercher à maîtriser : il est un interlocuteur étranger face auquel il faut développer une attitude nouvelle, innovante.
Ces attitudes nouvelles, on les fabrique cependant avec du déjà connu, on s'inspire pour les mettre au point de compétences adaptées à des situations ressenties comme plutôt proches de celle à laquelle on est confronté. Ainsi bon nombre d'usagers mobilisent des techniques qu'ils savent adaptées à la maîtrise efficace du dialogue: la compétence technologique nouvelle leur apparaît être la maîtrise d'une relation personnalisée avec un outil intelligent, compréhensif.
Or, paradoxalement, l'objet GEAC ou LISE est en fait très proche du traditionnel catalogue imprimé dans son principe, beaucoup plus que ne laisserait supposer l'extrême différence morphologique entre un document imprimé et un écran-elavier.
Car l'usager utilise effectivement la morphologie de l'outil: il évalue l'ampleur de la différence d'usage (l'ampleur de l'innovation), d'après l'ampleur de la dissemblance formelle et il interprête la nouvelle situation en se servant d'indices fonnels : la confrontation physique directe avec dispositif vertical, l'échange "à toi-à moi-à toi", n'est pas sans conséquences pour l'élaboration du modèle dialogue.
De ce point de vue, la réelle nouveauté, par une inversion caractéristique dans la perspective d'analyse de l'innovation, réside dans le décrochement total qui est intervenu récemment entre la fonction de l'objet technique et sa forme, avec l'apparition des écrans-claviers.
La forme cesse d'être signifiante, et n'offre plus aucune prise pour l'interprêtation de l'objet "au repos".
Un téléphone, une machine à écrire, un catalogue de bibliothèque sont identiques. L'exposition de ces machines à communiquer devient perverse dès lors qu'elle entretient l'illusion que la forme a un sens visible. Or, le domaine de la publicité et de l'information promotionnelle, continuent la plupart du temps à proposer l'écran-clavier comme une entité fonctionnelle cohérente.
La fonction, insaisissable, est transférée dans le vocable homogène "informatique" : l'informatique se voit attribuer une fonction, par l'objet écran-clavier.
4. L'IMAGINAIRE DU DIALOGUE
GEAC et LISE permettent de consulter des listes alphabétiques de termes pour rechercher des documents par auteur, par titre, et par sujet.
Nous avons là un principe de recherche en bibliothèque fort traditionnel. Or, ce principe, qui est celui d'une offre pré-détertninée, fixe, à laquelle doit s'adapter la demande, ne va pas de soi lorsqu'on se trouve face à un écran-clavier.Le visiteur ne raisonne pas en terme d'offre préalable à laquelle il faut ajuster sa demande, mais en termes de question/réponse, et la compétence qu'il
380
mobilise pour formuler sa question relève de son expérience du dialogue. échange spécifique. en temps réel, et basé sur la compréhension mutuelle du sens de ce que formule chaque partenaire.
Le visiteur cherche ainsiàce que sa demande soit comprise par l'écran-clavier:ilne recherche pas la formulation du mot (outil) qui sera le plus adapté au contenude la liste de tetmes indexés, mais la précision du sens.
Ainsi, des visiteurs dont certains sont des étudiants familiers de la recherche documentaire en bibliothèque formulent des demandes en des termes qu'ils n'auraient pas utilisés pour une recherche dans un fichier imprimé: "déontologie de la presse entre les deux guerres" pour une recherche par sujet.
Plus significatif encore. lorsqu'une demande n'est pas satisfaite, la stratégie adoptée pour corriger letirest une stratégie utilisée couramment pour lever les ambiguités et malentendus au cours d'un dialogue: non pas modifier le terme demandé, mais préciser le sens de la demande. Ainsi. un visiteur n'ayant obtenu aucune référence au sujet "symbolisme du cube" reformule sa demande "symbolisme du cube religieux". La démarche est exactement à l'opposé de celle que nécessite la recherche dans une liste de termes indexés.
5. IMAGINAIRE D'USAGE
Nous ne développerons pas ici les autres modèles d'usage que nous avons repérés chez les usagers de GEAC et LISE : construction d'un modèle spatial pour maitriser le processus de consultation, et appréhension ludique de la manipulation technique et de l'utilisation des informations délivrées par le système.
Ces aspects sont largement développés dans les résultats publiés de l'étude.
Nous souhaiterions simplement insister sur la puissance de ces imaginaires spontanés dans l'usage des techniques nouvelles: le problème n'est pas que le public utilise mal ces techniques.il réside dans le malentendu qui existe entre les prévisions des promoteurs d'une technique. et son utilisation qui en fin de compte estcrééepar ses usagers.
6. BLIOGRAPHIE
LE MAREC (J.), 1989.- Dialogue ou labyrinthe. la consultation des acatalogues infonnatisés par les usagers. B.P.!, Ed. du Centre Georges Pompidou. Paris.
BARBIER-BOUVET (J.-F.) , Juin 1987.- Les nouvelles technologies au bout des doigts: sociologie des usages en espace public In
