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"Après-demain" ou avant-hier? Les projets de transformation de la gare centrale de Milan: un révélateur de la ville.

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-00848686

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00848686

Preprint submitted on 29 Jul 2013

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”Après-demain” ou avant-hier? Les projets de

transformation de la gare centrale de Milan: un

révélateur de la ville.

Etienne Riot

To cite this version:

Etienne Riot. ”Après-demain” ou avant-hier? Les projets de transformation de la gare centrale de Milan: un révélateur de la ville.. 2012. �halshs-00848686�

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Etienne Riot

Ecole des Ponts ParisTech - Laboratoire ville mobilité transport.

etienne.riot@enpc.fr

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Version originale avant traduction.

Pour citer cet article:

Riot, E., « ‘Dopodomani o l’atro ieri?’ I progetti di trasformazione della Stazione Centrale di Milano raccontano la città», traduction de Pasquale Alferj, Dialoghi internazionali - città nel mondo, n°18, novembre-décembre 2012, Ed. Bruno Mondadori, Milano, pp. 50-57.

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Après-demain ou avant-hier?

Les projets de transformation de la gare centrale de Milan:!

un révélateur de la ville.

A deux époques différentes, durant les années 1950 et au début des années 2000, la gare centrale de Milan a été au coeur de projets qui visaient à la transformer.

Il fut décidé de construire Milano Centrale après que les organisateurs de l’exposition universelle de 1906 avaient noté la nécessité de doter la ville d’une nouvelle gare, plus grande, capable d’absorber les flux de marchandises et de passagers en forte croissance ainsi que d’utiliser efficacement le récent raccordement de la ville au réseau ferroviaire européen. La réalisation effective de la gare fut laborieuse et s’étala sur plus de vingt ans.

Les projets de transformation des années 1950 et des années 2000 s’inscrivent en perspective avec le bâtiment existant et ont envisagé sa destruction ou sa préservation. C’est l’antagonisme de ces deux projets, leurs conséquences pour la gare et la réflexion qu’ils ont amorcé autour de la place de la gare dans la ville qui nous intéressent: comment ces projets sur la gare donnent à lire la conception de la ville qui s’y reflète?

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1/ Aux origines de la gare: l’émergence d’un «brontosaure grotesque» dans la ville.!

Il n’est pas nécessaire de revenir dans le détail sur les origines de la gare de Milan, des historiens y ont déjà consacré des travaux1. Cependant, un bref rappel de la chronologie

de la gare donne à lire un premier indice de son inscription laborieuse dans le tissu urbain milanais.

L’édification de la gare centrale de Milan - initialement qualifiée de gare du trotter - s’est déroulée de 1906 à 1931. Le premier concours d’architecture organisé en 1906 ne donna pas satisfaction, les impératifs dictés par les organisateurs étant trop restrictifs pour garantir une expression originale des architectes. Un second concours est organisé en 1911 où le projet de l’architecte Ulisse Stacchini est choisi parmi d’autres propositions dont celle d’Antonio Sant’Elia qui témoignera par ses esquisses d’une première approche futuriste de la ville.!

Le choix de Stacchini s’inspire de la gare de l’Union à Washington, à peine achevée quand il rend son projet. C’est un projet démesuré: une gare surplombant la ville, pour ne pas la ceinturer, où les quais arrivent dans la cité sur d’immenses viaducs, laissant la possibilité de circuler sous les voies et d’y aménager des commerces et des ateliers, une façade monumentale, conçue comme un panthéon ferroviaire aux confins de la ville d’alors, dont l’ambition est de rayonner sur les alentours et configurer la trame architecturale qui devra s’y développer.

La première guerre mondiale interrompt les travaux et l’ancienne gare centrale, celle qui devait être détruite, est maintenue en état de fonctionnement pour garantir le transport des troupes et leur approvisionnement. Au sortir de la guerre, l’Italie exsangue et

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insurrectionnelle ne présente pas un contexte favorable à l’achèvement des projets de Stacchini.

Finalement, c’est le nouveau régime fasciste qui reprend les travaux et les conduit à leur terme. La récupération du projet est la démonstration de l’attitude ambiguë de l’administration fasciste ferroviaire face aux gares. Le projet Stacchini est l’incarnation de l’ancienne époque, de la monarchie parlementaire contre laquelle le régime mussolinien s’est érigé. La récupération du projet se traduit par une modification de certains blocs de la façade de la gare et surtout, par une transformation de ses ornements intérieurs. La gare, lieu d’incarnation de la technique industrielle en ville, devient aussi un objet de propagande politique. Son parachèvement doit symboliser la capacité du régime fasciste à concrétiser «le bon fonctionnement» du pays2.

Par rapport aux projets originaux, la gare centrale de Milan telle qu’elle est inaugurée en 1931 est devenue un objet hybride où cohabitent les formes esthétiques les plus diverses sinon les plus antithétiques: émergence de l’art-déco et persistance d’un style Beaux-Arts typique du XIXème siècle, enveloppe éclectique et tendance fantasmagorique assyro-babylonnienne. A l’intérieur de la gare, le rappel des symboles fascistes à travers les représentations de la romanité (aigles impériaux, inscriptions romaines, références antiques) la culture scientiste (représentation des modes de transport modernes, allégorie de la science et du progrès technique, bas-reliefs représentant la cartographie des grandes villes italiennes) y cohabitent avec des représentations fantaisistes et ésotériques (signes du zodiaque par exemple). !

La gare de Milan telle qu’elle est inaugurée en 1931 apparaît donc dans toute l’ambiguité qui a conduit à sa réalisation: support d’expressions baroques et éclectiques autant qu’affirmation évidente du nouveau régime.!

A la suite de son inauguration, Milano Centrale fait figure de contre-exemple dans le paysage ferroviaire italien. Le régime cherche une voie fasciste pour l’édification des gares. L’administration ferroviaire passée sous la coupe du ministère des communications depuis 1925 développe un ambitieux programme de renouvellement et de constructions de gares, sous l’égide de l’architecte Angiolo Mazzoni. Quelques mois à peine après la 2VoirD’Angelo, Anna, “La stazione: 150 anni di cultura e progetto”, in Angiolo Mazzoni (1894-1979). Architetto nell'Italia fra le due guerre, Bologne, Grafis Edizioni, 1984, p.69.

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mise en service de la gare centrale de Milan, l’officialisation du projet de la nouvelle gare de Florence Santa Maria Novella puis les projets de construction de la gare de Rome Termini marquent le dépassement des codes traditionnels en matière de construction et d’aménagement ferroviaires. Milano Centrale vieillit avant même d’avoir vécu.

Carol L. Meeks publie en 1956 un livre qui continue de faire référence sur l’histoire architecturale des gares. 3 Elle traite de la gare de Milan dans le cadre de la période

qualifiée de mégalomanie, courant de 1890 à 1914 qui a vu l’édification de gares monumentales et d’architectures gigantesques de New York Grand Central à Leipzig jusqu’à Milano Centrale, qui en incarnerait le dernier exemple4.

Sa qualification de l’architecture de la gare et son jugement esthétique sur ses espaces sont sans appel5: Milano Centrale est un «brontosaure grotesque» d’une «monumentalité

rétrograde» qui a permis au projet d’être sélectionné pour son absence d’audace à l’époque. Si la gare s’inscrit bien dans la lignée des gares américaines du début du XXème siècle, elle en éclipse à la fois «la grandeur et la laideur» par ses dimensions hors-norme. Sa gigantesque porte cochère de façade (galerie des taxis), notamment, est considérée par Meeks comme «la plus prétentieuse au monde». Alors que les halles couvrant les quais sont «parmi les plus belles jamais construites» grâce aux ingénieurs qui les ont réalisées malgré les «traditions obsolètes», leur «remarquable» structure est cachée par la débauche d’espaces et d’ornements «inutiles» qui rendent l’orientation en gare «illisible». Meeks en retire une interprétation: la gare centrale de Milan incarnerait «l’amour du gigantisme» qui serait «typique du caractère milanais» dans la lignée de la cathédrale et de la gallerie Vittorio Emmanuele II.

Meeks écrit son histoire architecturale des gares au milieu des années 1950. C’est l’époque d’une profonde transformation des pratiques et des discours d’aménagement et d’architecture. A Milan, cette gare insupportable pour les architectes modernistes et rationalistes devient un objet de débat et un point de départ pour une réflexion sur l’avenir de la ville, alors en pleine reconstruction et en pleine expansion.

3Meeks, Carol L. V. The Railroad Station: An Architectural History. New Haven, Yale UP, 1956.

4Meeks, Carol L. V., op.cit., pp. 109-142

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2/ «Après-Demain» et «Milan Air Terminal»: transformer la gare pour transformer la ville.

Alors que Carol L. Meeks semble définitive dans son jugement de la gare de Milan, la période des années 1950 représente pour la ville un changement intense qui va configurer une partie du tissu urbain tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les projets des tours Velasca puis Pirelli marqueront le dynamisme architectural de l’époque dans le paysage. C’est l’affirmation d’une nouvelle modernité de la ville qui s’est construite lentement depuis les années 19306 où les architectes qui oeuvrent après-guerre avaient commencé à

projeter sur les espaces leurs théories rationalistes et leurs interprétations néo-classiques.

La gare centrale de Milan revient au centre des débats lorsque l’administration nationale des chemins de fer et la ville décident d’organiser en 1953 un concours national pour adapter la gare à l’évolution de la ville. L’explosion démographique et économique de Milan à l’époque appelle une meilleure organisation des flux et le développement du métro souterrain, dont il est envisagé un raccordement à la gare centrale. C’est l’équipe de l’architecte Giulio Minoletti (avec Eugenio Gentili Tedeschi) qui remporte le concours et propose une vision radicale, moderniste, et avant-gardiste pour la gare, appelé «Milan Après-Demain»7.

L’innovation consiste à raser la moitié du bâtiment de façade, composé des salles d’attente, de restauration et de bagage et d’y construire à la place un très grand building de plus d’une vingtaine d’étages courant sur la largeur de la gare. La volonté est que la gare fasse corps avec la place Duca d’Aosta qu’elle surplombe, qu’elle s’imbrique avec le réseau de transports métropolitains par l’intermédiaire d’une dalle et d’un accès réservé aux voitures et qu’elle dessine avec le gratte-ciel Pirelli en cours d’achèvement, une continuité massive et logique dans le tissu urbain.

C’est à un grand renversement que Minoletti convie les milanais. A l’ambition démesurée de Stacchini de faire de la gare un panthéon ferroviaire, comme un modèle pour l’aménagement du nord de la ville, Minoletti propose une vision plus rationnelle et plus moderne, pariant sur l’accessibilité des voitures, sur des flux massifs de passagers, ancrant la gare dans la nouvelle modernité de la ville. Il suggère l’accélération du 6Borsi, Franco, L’ordre monumental, 1929-1939, Paris, Hazan, 1986. p.115.

7Concorso per il più agevole afflusso del pubblico alla stazione centrale di Milano : progetto Dopodomani / architetti G. Minoletti ed E. Gentili. - Non édité.

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mouvement urbain, la nécessité d’arracher la gare à la logique ferroviaire du XIXème siècle et de la connecter aux fondements d’une nouvelle civilisation urbaine émergente: celle de la vitesse, de l’automobile et de la massification des transports.

Deux éléments de rupture sont proposés: le building de façade qui annihile toute aspérité ornementale participant à la grandiloquence du bâtiment historique, et l’utilisation des ailes de la gare par le réaménagement des places latérales pour fluidifier les accès aux quais et permettre une meilleure insertion de l’infrastructure dans la ville.

Même si le projet est vainqueur du concours, il n’est pas conduit à son terme du fait de l’importance des travaux qu’il appelle. Pourtant, la mécanisation intérieure de la gare est retenue parmi les propositions de l’architecte: l’installation des escaliers mécaniques rompt la difficulté et le caractère particulièrement inadapté du dénivelé entre les quais et la rue.!

Alors que le projet «Après-Demain» est resté lettre morte et que seuls les aspects liés à la mécanisation des accès sont retenus - ce qui était l’objet initial de l’organisation du concours architectural, l’administration ferroviaire rappelle Minoletti et Gentili en 1958 afin qu’ils reprennent leur projet et qu’ils le déploient de nouveau, en intégrant cette fois-ci une composante supplémentaire: le transport aérien. Le projet «Milan Après-Demain» revient sous une nouvelle forme, Milan Air Terminal8.

Il est intéressant de noter que les architectes se voient demander de retravailler leur projet initial sans en remettre en cause les principes fondamentaux: la possibilité d’un immense building à la place des bâtiments historiques de la gare est toujours évoquée, avec moins d’étages certes, mais la logique reste la même. De plus, l’achèvement en cours de la tour Pirelli jusqu’en 1961 renforce l’argument d’une meilleure cohérence entre les édifices de la place Duca D’Aosta. Le contraste est de plus en plus saisissant entre la gare historique de Stacchini et l’évolution du quartier environnant, marqué par le rationalisme lombard dont la tour Pirelli est l’étendard. Surtout, l’affirmation du projet de nouveau centre directionnel entre la gare centrale et la nouvelle gare de la porte Garibaldi inaugurée en 1956 et située à 1100 mètres de là, représente un levier d’imagination et de projection urbaine pour la

8 “Progetto di sistemazione del nodo centrale dei trasporti di Milano”, architetti G. Minoletti ed E. Gentili. février mars

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transformation de Milano Centrale. Minoletti suggère ainsi le raccordement de la gare centrale à la gare de Porta Garibadli par un vaste souterrain.

Le projet «Milan Air Terminal» s’inscrit dans les canons de la pensée urbaine de l’époque9

autour des villes aéroportuaires. Le développement de l’aviation civile commerciale amène des projets de raccordement des aéroports aux centres-villes. Les grands buildings sur les gares sont envisagés comme des plateformes d’héliportage, la gare ferroviaire devient un élément secondaire, un complément du système de transports extra-urbains.

Le projet «Milan Air Terminal» de 1960 ne verra pas le jour, comme «Après-Demain» en 1953. Cependant, ces deux projets de Minoletti nous semblent incarner des traces historiques de la conception de la ville qui se préparait durant la décennie 1950. La reprise en main radicale de la gare centrale de Milan apparaissait alors comme un levier de la modernisation des quartiers du nord de Milan et comme une pièce maîtresse du nouveau centre directionnel de la capitale lombarde. Surtout, la destruction envisagée des édifices historiques de Stacchini semblait marquer l’affirmation de la modernité sur l’infrastructure, la priorité donnée à la praticabilité de l’espace plutôt qu’à la symbolique de la gare. Ces projets marquaient l’ambition de la ville face à ses héritages architecturaux.

3/ Avant-hier: la transformation de la gare de Milan dans les années 2000 et l’émergence d’une nostalgie ambiguë.!

Au début des années 2000, la requalification des grandes gares italiennes est à l’oeuvre. La transformation de l’administration ferroviaire en entreprise publique à partir des années 1980 jusqu’à son nouveau statut de holding au début des années 2000 conduit à une filialisation de ses activités. La gestion des gares et leur développement commercial devient l’objet de plusieurs filiales des Ferrovie dello Stato: Sistemi Urbani, Cento Stazioni et Grandi Stazioni10.

Le projet de Grandi Stazioni est de développer l’espace commercial en gare tout en réhabilitant les espaces, afin de rendre les grandes gares plus attractives, comme une destination en soi et non plus un simple lieu de passage à finalité de transport. Le 9Roseau, Nathalie, L’imaginaire de la ville aéroportuaire, Thèse de doctorat, Université Paris Est, 2008.

10Natalicchio, Savino, Tamini, Luca, Grandi aree e stazioni ferroviarie, attori, strategie, pratiche di trasformazione urbana, Milan, Egea, 2003.

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développement de l’urbanisme commercial en gare est expérimenté avec succès à Rome Termini à partir de 1998. Par la suite, les choix effectués à Rome sont répliqués dans les douze autres gares gérées par Grandi Stazioni.

A Milan, la requalification de la gare va soulever des polémiques importantes ainsi que des recours juridiques. Le projet initial de l’architecte Marco Tamino, non sans rappeler les idées développées par Minoletti cinquante ans auparavant, consiste à déployer des entrées et des connexions avec les taxis et les bus sur les places latérales de la gare. La grande galerie transversale qui sépare la halle des quais des anciennes salles de restauration, d’attente et de billetterie, devient le coeur de la gare dans laquelle sont creusées des rampes d’accès automatiques, et sous laquelle on installe un centre commercial. Les volumes très importants que propose le bâtiment historique sont envisagés pour installer des mezzanines et des étages supplémentaires qui permettent d’accueillir encore plus de commerces, ainsi que pour organiser des showrooms et privatiser temporairement certaines salles.

L’affrontement juridique va mettre en scène d’une part les équipes de Grandi Stazioni et l’architecte Tamino, d’autre part un regroupement d’élus, d’universitaires et d’habitants essentiellement attachés au caractère patrimonial de la gare et à la préservation de certains de ses détails, de son mobilier, de ses ornements. L’intensification des discussions et les recours auprès de la surintendance à la protection des bien culturels et architecturaux vont peu à peu modifier la physionomie générale du projet à partir de 2005 jusqu’à son inauguration en 2008. L’intervention de la puissance publique contraindra notamment les initiateurs du projet à revoir les plans de circulation en gare, à réduire une partie des nouveaux espaces - les étages et les mezzanines - qui étaient projetés et à garantir la pérennité de certains ornements de la gare.

De cette négociation laborieuse autour de la réhabilitation de la gare et de la commercialisation de ses espaces, on retiendra le caractère profondément vif du débat qui s’y est illustré. Le projet de réhabilitation de 2005 ouvre une controverse, certes réduite aux différents acteurs qui se disputent la légitimité d’intervenir sur l’espace de la gare mais ce débat permet d’interroger le sens de la gare dans la ville, l’importance de ses symboles et la valeur de son patrimoine.

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Les différents points d’achoppement entre les tenants de la conservation de la gare et les responsables de Grandi Stazioni concernent ainsi des détails symboliques: la sauvegarde des mosaïques du sol de la grande galerie, où les ailes des aigles impériaux sont désormais collés sur les rambardes attenantes aux tapis roulant; la protection des peintures représentant les cartes des grandes villes italiennes du peintre futuriste Marcello Nizzoli contre les infrastructures déployées pour développer les surfaces de vente.

Les travaux engagés, au-delà de l’implantation des surfaces commerciales, concernent aussi la réhabilitation d’espaces jusque là décatis, comme le pavillon royal11. Sous le

contrôle de la surintendance à la protection des biens culturels et patrimoniaux, Grandi Stazioni engage des travaux coûteux pour redonner son lustre au pavillon royal. Lorsqu’il s’agit de restaurer la mosaïque qui décore l’entrée du pavillon, il est demandé expressément de maintenir en l’état la dégradation du visage de Mussolini dont on a arraché les pièces qui constituaient son regard au sortir de la guerre civile italienne, à l’avènement de la République en 1947.

La dimension mémorielle de la gare émerge ainsi durant cette période de restauration. Cas unique en Europe, une fondation privée propose de créer, quelques mètres en amont des quais, au sortir de la gare, un mémorial aux victimes des lois antisémites italiennes qui partirent par convoi jusqu’à Auschwitz, du quai n°21 de la gare centrale de Milan. Même si le projet est en proie à des difficultés de financement, il donne lieu à l’intervention de la ville de Milan qui y apporte un soutien moral et économique. Il s’inscrit aussi, au début des années 2000, parmi les trois projets (musée de Rome et de Ferrara) envisagés pour pérenniser la mémoire de la Shoah en Italie. Ce projet de la fondation du quai 21 regroupe à la fois un musée et un centre historique de documentation ainsi qu’un espace de congrès.

Finalement, la gare restaurée est inaugurée après 120 millions d’euros de travaux à la fin du mois de décembre 2008. Entre les plans initiaux de Marco Tamino et la réalisation effective des travaux, certains éléments fondamentaux ont été modifiés comme les accès latéraux, rendant la réalisation finale plus illogique et moins rationnelle qu’attendue. Le débat sur la transformation de la gare centrale reprend, avec un écho plus important que celui qui portait sur la négociation du projet. La gare devient l’objet de commentaires,

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d’articles et d’éditoriaux dans la presse milanaise. Les premiers mois voient s’abattre une pluie de critiques contre la nouvelle organisation de la gare. «Labyrinthe»12,

«gare-babel»13 où les voyageurs se perdent, «un beau centre commercial où on a l’option de

prendre le train»14, projet contesté par son architecte même qui se désolidarise de la

gestion du chantier qu’en a fait Grandi Stazioni15, des ajustements de confort sont

nécessaires pour que les usagers s’adaptent à la nouvelle configuration de la gare.

Cependant, on note parmi toutes les critiques des réflexions qui vont au-delà des aspects formels de l’usage de la gare. Plusieurs éditoriaux et chroniques s’interrogent de ce que dit cette nouvelle formule de la gare sur l’époque dans laquelle nous vivons. «Les gares changent, pas l’Italie»16, où le journaliste se désole des décalages entre les ambitions

techniques de la modernité de la gare et la réalité des retards des trains et des espaces inadaptés, cette nouvelle gare si peu commode qui rajoute à ses défauts originels des parcours de moins en moins compréhensibles au risque d’être l’icône de «la négation de l’hospitalité»17.La fermeture de certaines salles et la reconfiguration d’autres espaces

soulève des élans de nostalgie face à une gare devenue trop marchande et dont la poésie semble avoir disparu18.

La transformation de la gare de Milan durant la première décennie 2000 se place dans des perspectives mémorielles: histoire, patrimoine, souvenir, nostalgie. La reconfiguration des espaces soulève des controverses, appelle à trancher ce qui doit être préservé de ce qui peut être marchandé. Les articles critiques lors de l’inauguration de la gare réhabilitée traduisent le doute et la colère face à l’altération de ce qui était devenu une veille gare à laquelle les milanais se seraient habitués.

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12Beltrami Gadola, Luca, «Quei milioni spreciati per la gimkana della Centrale»», La Repubblica, 21 avril 2009.

13 Galli, Andrea, «Nella babele della Stazione Centrale tra disagi e viaggiatori smarriti», La Repubblica, 13 janvier 2010

14Stefanato, Paolo, «Milano Centrale, un bel centro commerciale con l’optional dei treni», il Giornale, 9 mai 2010.

15 Galli, Andrea, «Tamino: snaturato il mio progetto. Non hanno fatto i lavori previsti», la Repubblica, 16 janvier 2010. 16Mattioli Alberto, «Nuova Centrale ma è sempre la solita Italia», la Stampa, 30 décembre 2008.

17Beltrami Gadola, Luca, «L’icona dell’ospitalità negata»», La Repubblica, 30 septembre 2008.

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C’est une grande gare, majestueuse et maladroite dans deux époques bien singulières où ont été élaborés des projets pour la transformer. Milano Centrale pouvait devenir un étendard de la modernité pour Minoletti quand il fallait faire table rase des fioritures et de la grandiloquence pour ancrer la ville dans son futur. La gare est devenue un écrin patrimonial depuis sa réhabilitation en 2008, où les débats qui ont surgi lors des travaux ont contribué à sanctuariser son espace et à interroger sa fonction. Creuset de symboles et de souvenirs, la gare serait désormais à la fois une machine commerciale pour les entreprises ferroviaires et une machine à nostalgie pour les habitants de la ville.

Issue des ambitions de l’exposition universelle de 1906, la gare centrale de Milan sera finalement bien en place dans le dispositif d’accueil de l’exposition universelle de 2015. Cette grande gare, dont l’intégration progressive dans l’imaginaire de la ville continuera sans doute de donner à lire les ambiguïtés et les singularités de l’urbanisme milanais.

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