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Vers une rupture profonde du modèle énergétique mondial

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Submitted on 3 Sep 2009

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Vers une rupture profonde du modèle énergétique

mondial

Patrick Criqui

To cite this version:

Patrick Criqui. Vers une rupture profonde du modèle énergétique mondial. Questions internationales, La Documentation française, 2009, pp. 67-78. �halshs-00413021�

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LABORATOIRE D’ECONOMIE DE LA PRODUCTION

ET DE L’INTEGRATION INTERNATIONALE

UMR 5252 CNRS - UPMF

LEPII

BP 47 - 38040 Grenoble CEDEX 9 - France 1221 rue des Résidences - 38400 Saint Martin d'Hères Tél.: + 33 (0)4 76 82 56 92 - Télécopie : + 33 (0)4 56 52 85 71

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_____________________

NOTE DE TRAVAIL

N° 2/2009

Les enjeux énergétiques du

changement climatique

Patrick Criqui

Avril 2009

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Les enjeux énergétiques du changement climatique

Patrick Criqui LEPII, CNRS-Université de Grenoble

Depuis le début de la révolution industrielle, le développement énergétique mondial s’est appuyé sur la mobilisation, en quantités toujours croissantes, de ressources énergétiques fossiles. Le XIXe siècle aura ainsi été celui du charbon, et le XXe celui des hydrocarbures, gaz naturel et surtout évidemment pétrole. Avec pour résultat que 80% de l’approvisionnement énergétique mondial est aujourd’hui constitué de ces trois énergies carbonées. Le XXIe siècle marquera à coup sûr une rupture. En raison des risques impliqués par le changement climatique, il n’est plus possible aujourd’hui de continuer à charger au même rythme dans l’atmosphère le CO2, ce déchet de la combustion des énergies fossiles qui constitue le principal gaz à effet de serre d’origine anthropique.

Les sociétés modernes issues de la révolution industrielle sont donc confrontées à un défi majeur qui, de tous les problèmes environnementaux, va nécessiter pour sa solution les transformations les plus profondes des technologies, des systèmes de production et des modes de consommation. Le changement climatique, par la contrainte que sa gestion va faire peser sur les systèmes énergétiques ne va pas nécessiter moins que le déploiement au cours de ce siècle d’un nouveau modèle de croissance, pour une économie largement décarbonée. Pour prendre la mesure de ce défi, il faut d’abord retracer à grand traits l’histoire de l’énergie et de son rôle dans le développement économique au cours des deux derniers siècles. Puis il faut s’interroger sur le futur énergétique au cours de ce siècle en distinguant d’une part, les scénarios du laisser-faire, avec leurs conséquences potentiellement catastrophiques sur les équilibres écologiques, globaux et locaux et d’autre part, les scénarios de préservation des équilibres climatiques, avec ce qu’ils requièrent d’actions d’atténuation1 et d’adaptation. On pourra alors s’interroger sur les caractéristiques d’un nouveau modèle de croissance, dit « post-carbone », avec ces contraintes, mais aussi les nouvelles opportunités qu’il conduira à explorer.

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Ou de mitigation pour reprendre un terme utilisé en anglais, mais d’origine latine et utilisable aussi en français.

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Deux siècles de croissance fondée sur les énergies carbonées

Les sociétés préindustrielles consommaient très peu d’énergie, car, outre les énergies animées du travail animal et humain, l’offre était limitée à des énergies renouvelables, essentiellement du bois et un peu d’énergie éolienne (moulins à vent, bateaux à voile) ou hydraulique (moulins à eau). On estime ainsi à environ 200 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) l’énergie consommée dans le monde au XVIIIème siècle2. L’invention de la machine à vapeur dite « double effet », par James Watt en 1782 marque les débuts de la révolution industrielle. A partir de cette date, l’existence de machines d’une puissance inconnue auparavant mais nécessitant des quantités importantes d’énergie concentrée, déclenche le recours croissant au « charbon de terre ».

C’est l’ouverture d’une nouvelle ère, celle des esclaves mécaniques, alimentés par les énergies fossiles. Le charbon est d’abord exploité intensivement en Angleterre, qui connaissait alors une grave crise des approvisionnements en bois. Avec l’invention de la locomotive de Stephenson en 1814, le couple charbon-machine à vapeur permet l’essor des chemins de fer. Le développement économique s’accélère sous la domination incontestée de l’Angleterre et la première globalisation se déroule, rythmée aussi par des crises boursières, dont celle des chemins de fer en 1873. En un siècle la consommation mondiale d’énergie passe à environ 1 milliard de tep (ou Giga-tep, Gtep) en 1900, essentiellement sous forme de charbon. C’est un bouleversement profond qui déjà soulève les interrogations des observateurs de l’époque : dès 1865, l’économiste anglais Stanley Jevons s’inquiète d’une éventuelle supériorité relative des Etats-Unis du fait de leurs gisements charbonniers abondants et bon marché ; en 1896, le chimiste suédois Svante Arrhenius pose le premier la question de l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère et avance même des chiffres pour l’augmentation de température à attendre d’un doublement des concentrations3.

Le pétrole ne connaît lui son développement moderne qu’à partir de 1859, avec le premier forage du colonel Drake4, à Titusville. Ses premières applications viennent en remplacement de l’huile de baleine, pour les cosmétiques et l’éclairage. John Rockfeller fonde le trust Standard Oil en 18705, mais les quantités utilisées restent faibles jusqu’à

2

Contre 10 milliards de tep en 2000.

3

+2°C pour un doublement des concentrations de CO2, soit 550 parties par million en volume (ppmv), en dessous des estimations les plus récentes, mais néanmoins dans l’ordre de grandeur.

4

Bien connu des lecteurs de Lucky Luke, dans « A l’ombre des derricks ».

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A l’encontre de Microsoft à la fin du XXème siècle, la Standard Oil sera démantelée en 1911, en application du Sherman Act, pour donner naissance à cinq des compagnies futures membres du cartel pétrolier des « Sept sœurs » (avec Royal Dutch Shell et BP).

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l’invention du moteur à explosion. C’est en effet l’invention de l’automobile comme bien de consommation de masse avec le « Modèle T » d’Henri Ford, qui va marquer les débuts du pétrole comme énergie du XXème siècle et comme enjeu de la « quête épique pour le pétrole, l’argent et le pouvoir6 ». Les compagnies du cartel s’organisent dès 1928 pour figer leurs territoires d’influence et elles contrôlent largement le marché, en dépit des tentatives de certains producteurs comme le Mexique pour récupérer le contrôle de leurs gisements. Malgré la crise de 1929 et la seconde guerre mondiale, la consommation mondiale d’énergie aura doublée de 1900 à 1945, atteignant alors 2 Gtep.

S’ouvre alors la période des « trente glorieuses », celle de la croissance fordiste pour les économistes de la régulation, ou encore du « régime de croissance social-démocrate autocentré7 ». Elle se caractérise par la diffusion rapide aux Etats-Unis, puis en Europe et au Japon, d’un modèle de consommation fondé sur le confort domestique et les biens de consommation durables : automobile ou « électro-ménager blanc ». Tous biens fortement consommateurs d’énergie, en particulier de pétrole et d’électricité : la consommation mondiale d’énergie est multipliée par cinq sur la deuxième moitié du XXème siècle pour atteindre 10 Gtep en 2000, dont 80% d’énergies fossiles8. Cela malgré, une fois de plus, les crises et les interrogations : création de l’OPEP en 1960, chocs pétroliers de 1973-1974 et de 1979-1980 ; interrogations du MIT dans son rapport au Club de Rome sur Les limites à la

croissance, Conférences des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm en 1972, puis

vingt ans après en 1992 à Rio, lorsque sera signée la Convention Cadre des Nations-Unies sur le Changement Climatique, premier engagement international formel sur le climat.

Deux siècles de révolution industrielle auront donc conduit le monde à une dépendance massive aux énergies fossiles. Elle se traduit par l’injection de plus de 25 GtCO2 dans l’atmosphère chaque année du fait des activités énergétiques, alors même que les grands cycles géophysiques (terre-atmosphère, océan-atmosphère n’en absorbent dans les « puits de carbone » qu’environ 10 Gt/an). Le modèle actuel d’utilisation des énergies fossiles ne peut donc être durable, à moins que l’on n’accepte des risques d’évolutions incontrôlées du climat global, aux conséquences encore imprévisibles pour les écosystèmes locaux. Cette dépendance est d’autant plus grave qu’elle concerne absolument toutes les activités économiques, du confort thermique dans le bâtiment aux transports, en passant par la production industrielle ou agricole.

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Pour reprendre le titre de l’ouvrage de l’un des meilleurs spécialiste de l’histoire du pétrole, Daniel Yergin : « The Prize : the Epic Quest for Oil, Money and Power »

7

Selon le terme de Pierre-Noel Giraud dans « L’inégalité du monde »

8

Soit 35% de pétrole, 23% de charbon et 22% de gaz naturel. Parmi les énergies non carbonées, hydraulique et nucléaire ne représentent chacune que 6% du total, la biomasse environ 8%.

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Un modèle énergétique non soutenable au XXIème siècle

Lorsque l’on projette les évolutions du système énergétique mondial dans le XXIème siècle, il apparaît clairement que les tendances en cours ne peuvent être soutenues durablement. Des ruptures devront se produire, mais elles seront tout à fait différentes selon les politiques mises en œuvre au plan international, en particulier évidemment dans le domaine des politiques de lutte contre le changement climatique. Paradoxalement, le futur énergétique est à la fois marqué d’incertitudes majeures mais il est aussi dans le même temps relativement prévisible. Compte-tenu à la fois du nombre limité des grandes options pour les sources d’énergie primaire et de l’existence de fortes contraintes naturelles, sur les ressources fossiles – notamment pétrole et gaz – comme sur la capacité de stockage de l’atmosphère en CO2, le nombre de scénarios structurels possibles est relativement limité. Nous nous attacherons dans ce qui suit à décrire deux de ces scénarios, celui sans politique climatique affirmée, « au fil de l’eau », et un scénario de mobilisation mondiale dans la lutte contre le changement climatique ou de contrainte carbone. Il ne s’agit pas à ce stade de juger de leurs probabilités d’occurrence respectives mais plutôt de les utiliser de manière heuristique, afin de mieux cerner leurs implications pour le système énergétique.

Quelques ordres de grandeur d’abord sur les forces motrices9 du développement énergétique au XXIème siècle. Et d’abord la population, élément essentiel de l’essor des systèmes économiques et énergétiques. Depuis maintenant plus de vingt ans les démographes s’accordent pour indiquer que dans l’hypothèse la plus probable10 la population mondiale devrait voir sa croissance d’abord continuer à se ralentir pour atteindre un niveau de 9 milliards d’habitant en 2050, puis progressivement se stabiliser sous les 10 milliards avant la fin du siècle. Les seuls scénarios alternatifs évoqués sont ceux d’un ralentissement encore plus rapide, avec une stabilisation à 8 milliards et un vieillissement rapide de l’ensemble de la population mondiale. Dans tous les cas, nous ne sommes déjà plus dans l’explosion démographique des années soixante, et l’on peut retenir comme repère la multiplication de la population mondiale par un facteur un et demi sur la première moitié du siècle.

Il est aujourd’hui plus que jamais difficile de prédire la croissance économique mondiale. Indépendamment même de la crise actuelle, dont nul ne peut prédire encore la profondeur temporelle, la plupart des projections économiques utilisées pour projeter le futur

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Les « drivers » en anglais

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énergétique supposaient déjà un ralentissement marqué de la croissance par rapport au niveau exceptionnel de 5%/an dans les premières années du siècle, vers un niveau de moins de 3%/an vers 2050. Le résultat global est un PIB mondial qui serait multiplié par quatre entre le début et le milieu du siècle.

Dans les scénarios « au fil de l’eau », c'est-à-dire reposant sur le modèle énergétique actuel sans politique climatique vigoureuse, les projections énergétiques associées à ces hypothèses de population et de croissance11 conduisent à une multiplication par un peu plus de deux de la consommation mondiale d’énergie primaire en 205012 ; soit une consommation mondiale de 20 à 25 Gtep, contre 10 en 2000. C’est d’un certain point de vue assez peu, puisqu’avec un PIB multiplié par quatre cela suppose une efficacité énergétique globale deux fois plus importante. Mais c’est déjà beaucoup, compte-tenu des contraintes qui pèsent sur le développement des énergies primaires. Le pétrole en particulier ne pourra pas voir sa production dépasser 100 Mbj (5 Gtep) pour les hydrocarbures conventionnels (contre 85 Mbj aujourd’hui), auxquels pourraient s’ajouter, dans un scénario sans contrainte carbone 20 à 25 Mbj de pétrole extra-lourds du Venezuela ou de sables asphaltiques du Canada. Le gaz ne pourra pas non plus suivre la progression de la consommation mondiale car sa production devrait également plafonner, un peu après celle de pétrole13. Malgré une progression attendue des énergies renouvelables et la relance de l’énergie nucléaire qui pourraient représenter conjointement entre 25 et 30% du bilan énergétique mondial en 2050, il faudrait faire appel à des quantités massives de charbon. Celui-ci serait alors en effet l’énergie de bouclage du système énergétique mondial, avec plus de 6 Gtep, contre seulement un peu plus de 2 aujourd’hui (voir Figure ci-dessous).

Avec le plafonnement attendu de la production mondiale de pétrole vers 2020 et de gaz naturel vers 2030, le scénario au fil de l’eau est donc porteur de fortes tensions sur les approvisionnements en hydrocarbures. Et l’on sait l’intensité des crises que l’on peut alors anticiper. Elles vont des augmentations brutales des prix bouleversant les données du commerce international aux conflits ouverts pour le contrôle de ressources qui seront devenues rares.

Mais au-delà du fait qu’il conduit à exploiter à leurs limites chaque source primaire, en particulier les hydrocarbures, le problème majeur de ce scénario est bien qu’il semble non soutenable, en raison de sa traduction en termes d’émissions de CO2 énergétique et donc de changement climatique. Le doublement de la consommation et des émissions en 2050

11

On exclut ici l’hypothèse d’une nouvelle « grande dépression »

12

Voir par exemple l’étude WETO-H2 produite par ENERDATA, le LEPII et l’IPTS

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conduit le monde sur une trajectoire de concentration du CO2 de 900 à 1000 ppmv. D’après les évaluations du quatrième rapport du GIEC14, il y aurait alors plus de 50% de chances pour que l’augmentation de température à très long terme soit de plus de 5°C, et encore près de 30% de chances pour qu’elle soit de plus de 7°C. On sort ici des scénarios d’évolution progressive du climat car des discontinuités globales deviennent très probables : on sort aussi de la gestion d’un risque calculé à une situation d’incertitude radicale. Tout porte donc à penser que ce scénario devra laisser la place à un autre, dans lequel le devenir énergétique sera contraint par les limites d’émission.

La contrainte carbone et les scénarios très basses émissions

Au cours des dernières années, un consensus s’est progressivement formé, au sein de la « communauté épistémique » des climatologues, mais aussi pour certains décideurs politiques au moins en Europe : la maîtrise du changement climatique devrait conduire à limiter à 2°C l’augmentation moyenne de température par rapport à la situation préindustrielle. Ce chiffre de 2°C découle en particulier de l’examen des conclusions des différents rapports du GIEC. Elles font apparaître une montée des risques associés au changement climatique au-delà d’un certain seuil, et même si la fixation de celui-ci reste arbitraire, de plus en plus d’acteurs de la négociation semblent convaincus qu’au-delà de 2°C, les « interférences anthropiques » commenceraient à devenir dangereuses pour le système climatique15. En termes de niveau de concentration acceptable il faudrait alors ne pas dépasser 450 ppmv pour tous les gaz à effet de serre pris en compte dans le Protocole de Kyoto.

Le respect de cette contrainte supposerait un plafonnement des émissions mondiales avant 2020 puis leur décroissance, avec en 2050 un retour à un niveau d’émission égal à environ 50% de celui de l’an 2000. A la place du doublement des émissions dans le scénario au fil de l’eau, il faudrait donc une division d’un facteur deux dans le scénario de contrainte carbone. Cette valeur constitue de fait un objectif global reconnu par un nombre croissant d’acteurs, un véritable point focal pour la négociation climat.

Certes, cette vision ne fait pas l’unanimité. Elle est contestée en particulier par ceux des économistes qui abordent la question à partir d’une analyse coût-avantage du problème, en introduisant dans des modèles synthétiques, des évaluations des dommages monétaires

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Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Evolution du Climat, IPCC en anglais

15

Pour reprendre les termes de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique signée à Rio en 1992

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associés au changement climatique16. Ces économistes soulignent l’importance des coûts associés aux politiques de mitigation qui devraient être mises en œuvre dans un scénario 2°C. Ils indiquent que selon leurs estimations l’« optimum économique » devrait conduite à accepter une hausse des températures plus importante, de 3 à 4°C. De fait, il est très clair que les scénarios de forte contrainte carbone constituent un véritable défi pour des sociétés des pays industrialisées qui pendant deux siècles ont construit leur développement sur les énergies fossiles abondantes et bon marché. Mais cela est vrai aussi pour les sociétés des pays émergents, qui entendent bien rattraper dans les prochaines décennies réduire une « pauvreté énergétique » frappant aujourd’hui plus d’un milliard d’habitants, voire rattraper le niveau de confort matériel des pays du Nord. Les ajustements seront donc coûteux, au moins dans un premier temps, et l’on peut même s’interroger sur la faisabilité tant technique que sociale des scénarios de forte contrainte d’émission.

Mais l’alternative est aujourd’hui entre des scénarios de forte réduction, peut-être inatteignables, et des scénarios de fort changement climatique, sans doute inacceptables. Si la politique est l’ « art de rendre possible ce qui est désirable », alors les politiques climatiques doivent conduire à examiner et à construire les voies des scénarios à faibles niveaux d’émission. Il faut explorer un futur énergétique radicalement différent de celui auquel aboutirait le scénario du laisser-faire ou du fil de l’eau, dominé on l’a vu par la raréfaction des hydrocarbures et le retour massif du charbon. Les options qui permettraient de conduire à un futur compatible avec la maîtrise du changement climatique ne sont pas légion. On en dénombre quatre : la sobriété énergétique et les technologies de l’efficacité énergétique, le développement de toute la gamme des énergies renouvelables, celui de l’énergie nucléaire, enfin celui des technologies de capture et de stockage du CO2 dans les installations énergétiques de puissance. Les différents scénarios disponibles diffèrent dans leur appréciation de la contribution relative de chacune de ces grandes options à la solution du problème. L’avenir dans ce domaine n’est pas écrit, d’autant que chaque société pourra en partie choisir de recourir à un « policy-mix » spécifique.

Cependant l’examen des scénarios mondiaux à basses émissions de CO2 conduit à souligner deux éléments structurants : premièrement, l’option prioritaire à mettre en œuvre est bien la maîtrise de la demande d’énergie au plan mondial, voire sa réduction dans les régions les plus avancées ; deuxièmement, compte-tenu de la demande qui restera à satisfaire et de la faiblesse du budget d’émissions acceptable en 2050 – on l’a vu, la moitié des émissions actuelles – il est peu probable qu’il soit possible de se passer complètement de l’une, et a fortiori de deux, des trois options d’offre identifiées : renouvelables, nucléaire et

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capture et stockage du CO2. Un exercice mené à l’aide du modèle de prospective énergétique POLES pour l’étude sur la Valeur Tutélaire du Carbone du Centre d’Analyse stratégique permet de faire ressortir les transformations imposées à l’évolution du bilan énergétique mondial par une forte contrainte climatique, correspondant à la division par deux des émissions mondiales (voir Figure).

Figure : Consommation mondiale d’énergie, scénario au fil de l’eau (gauche) et scénario de division par deux des émissions mondiales (droite)

0 5 10 15 20 25 2000 2010 2020 2030 2040 2050 Gt o e 0 5 10 15 20 25 2000 2010 2020 2030 2040 2050 Gt o e Renouvelables Nucleaire Charbon Lignite Gaz Naturel Pétrole

Source : modèle POLES du LEPII, pour le Conseil d’Analyse Stratégique, 2008

La première différence réside sans doute dans le niveau de la consommation globale d’énergie : celle-ci est réduite de plus de 40% dans le scénario de contrainte carbone, passant de 23 à 13 Gtep. Mais il faut satisfaire une demande mondiale qui demeure supérieure à celle d’aujourd’hui, tout en réduisant par deux les émissions. La consommation d’énergies fossiles est donc réduite plus fortement encore et ne s’élève plus en 2050 qu’à environ 6 Gtep, réparties de manière assez équilibrée entre le charbon, qui connaît la plus forte réduction relative, le pétrole et le gaz naturel ; de plus sur les 16 GtCO2 correspondant à cette consommation, environ un tiers doit être capturé dans les centrales électriques et stocké. En niveau, la contribution des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire n’augmente que faiblement puisqu’elle représente dans les deux cas environ 7 Gtep. Cependant leur part dans l’approvisionnement mondial est beaucoup plus élevée dans le scénario de forte contrainte d’émission puisque la demande y est significativement réduite : en 2050, les énergies non carbonées représentent 55% de l’approvisionnement total.

Le scénario présenté fait certes partie des cas extrêmes, mais il permet d’explorer la voie d’une décarbonisation poussée de l’économie énergétique, en rupture complète avec la

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trajectoire engagée au moment de la révolution industrielle. Reste à apprécier l’ensemble des changements nécessaires à la mise en œuvre de ce que l’on peut bien qualifier de nouveau paradigme énergétique.

Les voies d’un paradigme énergétique décarboné

La prise en compte des risques du changement climatique impose une rupture profonde et rapide dans l’évolution du système énergétique mondial. Elle constitue un défi d’autant plus difficile à relever qu’il n’y a pas de solution miracle susceptible de résoudre le problème à elle toute seule. Supposons même que la fusion thermo-nucléaire s’avère à terme une option viable pour la production massive d’énergie : compte-tenu des échéanciers de développement des projets de type ITER, cette solution ne sera disponible au plus tôt qu’au début de la deuxième moitié du siècle. Cela sera trop tard pour la décarbonisation du système énergétique, qui doit impérativement intervenir dans la première moitié du siècle ; car sinon trop de carbone aura été envoyé dans l’atmosphère pour qu’il soit possible de revenir en arrière.

Pour les pays industrialisés, compte-tenu de leur niveau actuel d’émission et du retard des pays en développement, le scénario de la division des émissions globales par deux se traduit par un objectif encore plus sévère, celui de la division par quatre en 2050, ou la politique Facteur 417. Cet objectif doit conduire à mettre en œuvre toutes les ressources de changement possibles : changement technique évidemment car si les technologies de l’ancien paradigme énergétique sont largement la cause du problème, l’innovation et la mise en œuvre de nouvelles technologies sera certainement une partie de la solution ; mais cela ne sera pas suffisant, car en particulier la mise en œuvre de la sobriété ou de l’hyper-efficacité énergétique, selon les lieux et les secteurs, requerra aussi des changements en profondeur dans les comportements. Un dernier niveau doit aussi être pris en compte : celui des infrastructures et de l’aménagement des territoires, en particulier pour les zones urbaines qui concentrent la plus grande partie des activités génératrices de consommation d’énergie hors industrie, dans le bâtiment et les transports. Enfin il apparaît que si la mise en œuvre du paradigme énergétique décarboné suppose de nouvelles régulations mondiales pour le régime climatique, elle imposera aussi de nouvelles relations internationales, dans le domaine des relations producteurs-consommateurs pour les énergies fossiles.

17

Le Facteur 4 dans la réduction des émissions constitue l’objectif officiel de la politique climatique française depuis 2003.

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Le défi du climat et de la décarbonisation de l’énergie constitue à l’évidence une nouvelle frontière de l’innovation. C’est particulièrement évident pour les énergies renouvelables qui, après de premiers efforts entrepris après les chocs pétroliers, ont connu une traversée du désert dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, puis une relance stimulée par des politiques publiques d’incitation, en particulier en Europe. Aujourd’hui les énergies renouvelables sont à nouveau un secteur majeur d’innovation qui attire les investissements des grandes compagnies industrielles, et aussi, aux Etats-Unis, le capital-risque. A tel point que certains redoutent déjà la création d’une bulle spéculative des énergies vertes … Mais le secteur des renouvelables n’est pas le seul concerné. Les industries traditionnelles comme l’automobile ou la sidérurgie doivent aussi faire face aux défis du nouveau paradigme, alors même qu’elles sont mises dans une situation d’extrême fragilité par la crise en cours. Dans l’automobile, il s’agit de développer les petits véhicules urbains et les véhicules « zéro émission », électriques aujourd’hui18 peut-être à l’hydrogène demain. Pour la sidérurgie les programmes de recherche technologiques explorent les possibilités de produire un acier à très faible contenu en CO219. Dans la plupart des cas, le respect des nouveaux standards environnementaux supposera la mise en œuvre d’innovations radicales plutôt qu’incrémentales.

Pour autant l’innovation technologique ne suffira pas. On sait que la structure des villes, la nature du bâti et l’organisation des systèmes de transport sont décisifs pour l’évolution des besoins en énergie pour le confort thermique et la mobilité. Dans ces domaines, une part importante des réductions d’émission découlera de la synergie entre changements dans les infrastructures et changements dans les comportements. C’est pourquoi il est tant question aujourd’hui du rôle des collectivités territoriales – villes, communautés d’agglomérations ou régions – dans la mise en œuvre des politiques climatiques. De nombreuses initiatives voient le jour autour de l’organisation de Plans climat locaux. Elles conduisent à explorer et à mettre en œuvre les voies d’un urbanisme permettant de répondre aux contraintes d’émission. Cet urbanisme sera-t-il systématiquement plus dense pour réduire les besoins de transport, ou le modèle urbain étalé pourra-t-il être sauvé par les possibilités qu’il offre d’une meilleure captation des énergies renouvelables, en particulier énergie solaire ? Des modèles intermédiaires sont-ils concevables ? Ces questions restent aujourd’hui ouvertes, mais il est certain que la capacité

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A souligner que les véhicules électriques ne sont aussi propres que les centrales qui permettent de produire l’électricité qu’ils consomment. Il en va de même pour les véhicules à hydrogène, puisque l’hydrogène n’est pas une source primaire d’énergie, mais un vecteur, au même titre que l’électricité.

19

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collective à réduire drastiquement les émissions dans les villes sera l’un des éléments-clés de la réussite des politiques Facteur 4.

*

Une ère se clôt donc au début du XXIème siècle, celle ouverte par la révolution industrielle et fondée sur la disponibilité d’énergies fossiles carbonées abondantes et bon marché. Les incertitudes pesant sur le devenir du système énergétique sont, à ce stade de bifurcation, profondes. Cependant la nature des contraintes physiques qui pèsent sur ce devenir permet de formuler un constat permettant de poser le problème en termes simples. Aujourd’hui l’alternative à laquelle nos sociétés sont confrontées est celle d’un choix entre :

- des scénarios à faibles contraintes d’émission dans lesquels le changement climatique sera rapide et où l’adaptation sera le maître mot des politiques ; mais ces scénarios seront aussi ceux dans lesquels se développera une compétition féroce pour l’accès à des ressources d’hydrocarbures d’autant plus rares que l’effort pour maîtriser la demande d’énergie et développer les nouvelles technologies et solutions efficaces aura été limité ;

- des scénarios à forte contrainte, s’appuyant sur un effort massif de réduction des émissions ; ces scénarios de mitigation imposeront certes des coûts significatifs, mais les dividendes en seront doubles ; d’abord par la maîtrise du changement climatique car ces scénarios devraient permettre de réduire fortement la probabilité d’évolutions incontrôlées et de discontinuités majeures dans le climat de la planète ; le deuxième dividende résultera du fait que l’autolimitation dans le profil d’exploitation des ressources d’hydrocarbures devrait permettre de le rendre plus durable et de limiter les crises d’accès aux ressources, qui sont sinon inévitables.

Les différences entres ces deux familles de scénario sont profondes, non seulement quant à la nature des systèmes techniques qui les sous-tendent, mais aussi quant à la configuration des relations internationales qu’elles supposent. Les premiers sont des scénarios de fortes tensions internationales tant du fait des crises climatiques attendues que de la compétition pour l’accès aux ressources. Les seconds des scénarios où la gouvernance et le dialogue international jouent un rôle clé : dans la mise en œuvre des régimes de régulation pour le climat d’abord, mais aussi peut-être pour un développement contrôlé de l’énergie nucléaire et pour une mise en production concertée des ressources énergétiques rares entre producteurs et consommateurs. Ces scénarios ne sont peut-être pas encore les plus probables aujourd’hui, mais ce sont certainement les plus souhaitables.

Figure

Figure : Consommation mondiale d’énergie, scénario au fil de l’eau (gauche) et  scénario de division par deux des émissions mondiales (droite)

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