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De l'étude des maisons de l'âge du Fer à des considérations sur les structures familiales des sociétés protohistoriques du sud-est de la France

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Academic year: 2021

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De l’étude des maisons de l’âge du Fer à des considérations sur les structures

familiales des sociétés protohistoriques du sud-est de la France

Delphine Isoardi

Aix Marseille Univ, CNRS, CCJ, Aix-en-Provence, France

Ce travail, non publié, reprend la communication présentée lors de la table-ronde « Genre et parentés à Marseille et en Gaule préromaine », à la MMSH d'Aix-en-Provence, organisée par Dominique Garcia et Sophie Bouffier.

Cette communication était intitulée : « La maison, l’habitat groupé, l’archéo-démographie : Quelles pistes pour une approche de la structure familiale des celtes du Sud-Est de la France, de la fin du VII e s. au II e s. av. J.-C. ? ».

Il présente le point de vue de l’archéologue, spécialiste de société sans archives écrites et antérieures à l’arrivée des Romains en Gaule, sur des questions démographiques : ici les systèmes familiaux.

Résumé

À l’occasion d’une table-ronde autour de l’ouvrage d’E Todd « L’origine des systèmes familiaux - 2011 » (anthropologue et démographe de l’INED), l’opportunité m’a été donnée d’analyse et de tenter de retrouver, grâce aux données « archéo »-démographiques, un éclairage sur la densité des groupes familiaux : famille nucléaire, famille souche, ou famille communautaire (pour les types principaux, sachant en outre qu’ils s’accompagnent des notions de autoritarisme ou libéralisme, inégalitaire ou égalitaire, patrilinéarité ou matrilinéarité). Le support d’étude a été la maison, sans les hommes. Et qui dit maison, dit noyau domestique. Bien sûr, préalable indispensable : il y a évidemment derrière cette approche le postulat que les personnes qui vivent dans une maison aient des liens familiaux. Et l’idée que l’on imprime dans le sol, la structure et la taille de la famille. C’est au travers de l’analyse de différentes valeurs métriques (surface moyenne maisons, nombre cellules par maison, surface moyenne de ces cellules composant la maison, rythmes des changements architecturaux et durée de vie pour maisons permettant d’approcher notion de génération) que nous avons pu approcher ces typologies bâties sur l’étude des population vivantes, et voir apparaitre une évolution sur les six siècles étudiés – à ce jour difficilement lisible dans la documentation archéologique.

Dans un deuxième temps, nous nous sommes tournés vers les évènements extérieurs (économiques, historiques) et les données sur l’évolution des masses des populations (archéodémographie) pour y chercher des indices supplémentaires. En effet, pour E. Todd, la structure familiale est l’un des facteurs explicatifs (tantôt cause, tantôt conséquence) des destinées des sociétés (révolution française, communisme, régime plus libéral, apparition de l’État…). Pour nous qui ne travaillons pas sur les populations vivantes ou historiques, notre attitude est inverse : nous partons des trajectoires des sociétés pour remonter aux structures familiales possibles, en accord avec de telles évolutions.

Ainsi, les indices rassemblés nous ont conduit à envisager une évolution de la famille nucléaire : de nucléaire à corésidence temporaire à nucléaire intégré au sortir du VII e s. av. J.-C. et durant le VI e s. av. J.-C. (la forme la meilleure forme pour accueillir les innovations quelles qu’elles soient et générer des changements « idéologiques » tel que l’impact de l’emporia méditerranéenne a dû en provoqué) … A une famille nucléaire réduite pour les V-IV e s. av. J.-C., mais dont le niveau d’intégration semble changer : l’ « enclos » pourrait être le village en lui-même. Loin d’aller vers une famille élargie (les données matérielles de la maison le contredisent), c’est le niveau d’intégration qui pourrait évoluer : de la famille au village. Il semblerait qu’il faille souligner les solidarités villageoises d’une grande communauté agro-pastorales face aux exigences, au moins économiques, de Marseille. D’où hypothèse d’une évolution de la famille nucléaire vers quelque chose de communautaire.

Enfin, à partir du milieu du III e s av. J.-C., deux voies semblent se dégager : d’un côté la famille nucléaire qui perdure, et pour les maisons complexes, un intérêt peut-être « patrimonial » au bâti en raison d’une durée de vie qui s’allonge. Cette évolution ouvre la voie à ce moment-là à la famille élargie : au minimum la famille nucléaire intégrée à un enclos, qui pourrait se réduire aux grandes maisons, voire l’apparition de la famille souche ? Un peu comme si la famille nucléaire intégrée à un enclos se réduisait aux limites de la maison complexe, enclos se resserrant sur un lot de familles seulement, sans doute en lien avec une différenciation sociale.

Voir les choses dans la longue durée a été très instructif : peut-être faut-il voir une évolution de masse dès 600 av. J.-C., menant de la famille vers plus de cohésion du groupe, plus d’agrégation, tout en conservant une indépendance (plus ou moins relative) des cellules familiales nucléaires. Et ensuite, courant IIIe s. av. J.-C., une divergence dans ces populations, dont une voie conduirait une certaine catégorie sociale vers une distinction et complexification du groupe familial.

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1. Comment aborder les systèmes familiaux de l’âge du Fer ?

C’est là un exercice très difficile. Pas de texte, pas de statistique sur les individus. Aucun registre de naissance et de mort, encore moins fiscal. Comment, avec nos données archéologiques, atteindre ces concepts de démographe ? L’occasion de réfléchir à la question, a priori inabordable en raison cette « matière première », nous a été donnée en juin 2013 lors de la venue d’Emmanuel Todd, démographe et anthropologue, à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, invité par D. Garcia et S. Bouffier à une table ronde intitulée « Genre et parentés à Marseille et en Gaule préromaine ».

Dès lors, après lecture de son ouvrage de référence (en 2011 E. Todd avait publié le premier tome de « L’origine des systèmes familiaux », chez Gallimard), l’approche est devenue intellectuellement très stimulante : parmi les types de document que l’on commence à bien cerner pour les sociétés protohistoriques du sud de la France, il y a les maisons. Et qui dit maison, dit noyau domestique. Bien sûr, préalable indispensable : il y a évidemment derrière cette approche le postulat que les personnes qui vivent dans une maison aient des liens familiaux. Et l’idée que l’on imprime dans le sol, la structure et la taille de la famille.

La réflexion a donc été tentée à partir des maisons, des caractéristiques habitats groupés, et des modes de peuplement, dont la documentation a été reprise et même décortiquée sur l’ensemble des sites les mieux connus. Une documentation matérielle et métrique envisagée d’un point de vue temporel et remise dans le contexte général de la dynamique du peuplement (ou archéodémographie, cf. Isoardi 2010). Nous allons donc tenter de nous rapprocher des notions de densité des groupes familiaux (famille nucléaire, famille souche, famille communautaire), voire même d’orientation (patrilinéarité, matrilinéarité ou indifférenciation). Ce pourrait-il par ailleurs qu’il existe une évolution du groupe domestique au fil des six siècles protohistoriques considérés ici ? Un exercice de flexibilité pour l’archéologue, qui s’attèle à des concepts de démographie qualitative à partir de sa documentation spécifique.

1.1. La typologie proposée par E. Todd

Pour commencer, voici une synthèse de la typologie proposée par E. Todd dans son ouvrage « L’origine

des systèmes familiaux » (2011, 46-83). L’auteur a synthétisé les observations de nombre de sociétés historiques

et actuelles de par le monde, afin d’obtenir une typologie révisée et exhaustive, et de pouvoir réfléchir à l’évolution et la diffusion des types de familles.

La notion d’orientation de la famille, en premier lieu. On parle d’un système matrilocal lorsque le couple s’installe dans la famille de la femme ; d’un système patrilocal quand la femme vient s’installer dans la famille de l’homme. Sans choix préférentiel et avec détachement de la famille d’origine, ce sera un système bilocal (appelé aussi indifférencié). Ces trois distinctions précèdent les notions de patrilinéarité, matrilinéarité et bilatéralité (ou indifférenciation). La patrilinéarité relève d’une idéologie globale et forte s’incarnant dans une vision de l’importance idéologique du père. Les règles d’héritage privilégient la transmission par les mâles, et donnent des clans masculins. La matrilinéarité correspond à l’inverse. La bilatéralité ou indifférenciation suppose, pour sa part, une conception équilibrée des rôles paternels et maternels. Elle interdit qu’aucun des deux sexes soit complètement exclu de l’héritage.

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Viennent ensuite les aspects relatifs à la densité et complexité croissante du groupe familial : famille nucléaire, famille souche et famille communautaire. En combinant les trois orientations possibles ci-dessus, et quelques types supplémentaires, cela donne au total quinze situations (Fig.1). On ne développera que les trois types principaux de densités familiales, et surtout, les idéologies qui fonctionnent avec ces modes de famille (Todd 2011, 50-55).

Commençons par la famille communautaire (aussi appelée, de manière réductrice, la famille patriarcale,

jointe, ou encore indivise). Un couple a des enfants. Quand ils sont en âge de se mettre en ménage, ils restent au

foyer avec leur conjoint (soit les garçons restent et font venir leur femme, soit les filles partent s’installer dans la maison de l’homme), puis naissent ensuite leurs enfants. A la mort du chef de famille, ses enfants se séparent et quittent le foyer pour fonder le leur. Concrètement, la maison abritera au minimum deux couples, et trois générations. C’est un système autoritaire (autorité du chef de famille) mais égalitaire. Lorsque le père décède on assiste à un partage égalitaire des biens entre les enfants. Et le foyer d’origine n’existe matériellement plus.

En termes de densité décroissante, vient ensuite la famille souche. Un couple a des enfants. A l’âge adulte, il est choisi un successeur unique (homme ou femme, le plus jeune ou le plus vieux) et cet héritier unique coréside avec ses parents jusqu’à leur mort. Sous le même toit se trouve ainsi au moins deux générations (trois si le jeune couple a des enfants) et deux couples maximum (tant que les parents sont en vie). C’est un système autoritaire et très inégalitaire (inégalité entre les enfants) qui implique le maintien de l’autorité d’un chef de famille. Ce système va souvent de pair avec le droit d’ainesse (règle de primogéniture), et avec un système patrilinéaire. Sur le terrain, le même foyer perdure de nombreuses générations, car la raison même de la cellule souche est la transmission d’un patrimoine, qui peut être mobilier (maisons, terres) ou immobilier (titre ou fonction, droit d’usage, entreprise, …).

On termine avec la famille nucléaire (dénommée anciennement famille instable) : un couple avec un ou des enfants. Quand à l’âge adulte, ces derniers partent fonder un ménage indépendant. Dans l’espace domestique se trouvera donc un seul couple, et au maximum, deux générations, avant que les enfants ne quittent le foyer. D’un fonctionnement égalitaire et libéral, l’héritage est divisé entre les enfants (égalité des frères et sœurs, premiers et derniers). Les enfants sont libres : pour leur nouveau foyer on parle de néolocalité (l’établissement tout à fait autonome du jeune couple marié).

On peut toutefois avoir, au moins, deux principales nuances concernant la famille nucléaire. D’abord la famille nucléaire à corésidence temporaire (avec toujours les options patrilinéaire, matrilinéaire, indifférenciée – Todd 2011, 60-67). Dans cette situation, le jeune couple passe les premières années avec les parents puis part fonder son ménage nucléaire (par exemple à la naissance du premier enfant, mais pas obligatoirement non plus). Durant cette courte durée, il réside soit chez les parents de l’homme, soit dans famille de la femme. D’où une cohabitation possible avec les parents, voire les frères et sœurs restants (célibataires). Le même schéma est possible avec les autres enfants du couple qui se mettent en ménage. C’est le cycle alpha, qui veut que les frères et sœurs successifs juste mariés fassent venir leur conjoint dans le foyer des parents, et partent à leur tour un peu plus tard. Ce n’est pas une question d’autorité du père, mais de sécurité pour les parents, ou pour les enfants tout juste en couple. C’est un état intermédiaire dans lequel la dépendance mutuelle des

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générations est admise, sans qu’elle empêche une acquisition ultime de l’indépendance par le jeune couple. À la naissance du premier enfant, cette situation peut être suivie d’un établissement définitif à proximité des parents. Dans le cycle alpha, parfois, le plus jeune enfant peut rester au foyer, et peut donc garder la maison après la mort des parents. Évidemment, il y a dans la réalité des nuances (de temps, de modalités) entre la séparation immédiate et la co-résidence (Todd 2011, 60-64).

Deuxième option, la famille nucléaire intégrée à un enclos (qui peut être elle aussi patrilinéaire, matrilinéaire, indifférenciée, Todd 2011, 68-71). Dans ce cas, le nouveau ménage va s’installer à côté de la famille des parents. Il reste proche, mais distinct et autonome. Concrètement, avec le temps cela peut former un petit groupe de maisons, tentes, huttes, dans un habitat, et ces petit groupes sont parfois physiquement délimité par un enclos, formant une unité d’ordre supérieure englobant les familles nucléaires autonomes (mais un enclos physique n’est pas toujours indispensable). C’est un état intermédiaire entre dépendance et interdépendance, qui implique en outre des tâches collectives, comme la cuisine (partie des foyers en communs, en plus du foyer du ménage), ou la surveillance des enfants. Il y a donc deux niveaux de structuration (et d’intégration) de la famille : la famille nucléaire, puis le groupement de familles.

Cette typologie est évidement ici une schématisation, la réalité est plus variée. On outre, E. Todd a de nouveau démontré qu’il faut se détacher du vieux modèle évolutionniste menant de la complexité vers la simplicité familiale. L’inverse existe aussi, le modèle nucléaire pouvant par exemple « céder du terrain aux autres formes familiales (communautaire et souche) dans une conjoncture de tension démographique (…) » (selon A. Burgière en 1986, repris dans Todd 2001, 49-50). Le poids de l’Histoire, de la conjoncture sociale, économique, environnementale ou autre, est primordial dans l’évolution de la structure familiale, loin de toute vision linéaire d’une évolution, qu’elle soit de densité et complexité croissante ou décroissante.

1.2. Les oppida et la maison celto-ligure, vestiges emblématiques des sociétés protohistoriques méridionales

Face à cette typologie précise et qui se veut universelle, retour sur la matière brute et emblématique du protohistorien : l’oppida celto-ligure. Et surtout, sur les caractéristiques que nous retiendrons pour tenter d’atteindre ces concepts.

Pour les sociétés étudiées ici, l’habitat groupé type possède une trame en îlots simples ou doubles. Les maisons sont de plan rectangulaire, parfaitement adaptées au nouveau principe qui consiste à remplir au maximum un espace définitivement fixe et clos par un rempart. Se dégage d’ailleurs le plus souvent la sensation que toutes les cellules ont été construites d’une seule vague. Tout l’espace intramuros est bâti, avec cette juxtaposition de modules quasi identiques, qui donne une image d’uniformisation et de standardisation. Il n’y a pas réellement de quartier spécialisé, dédié par exemple à une activité spécifique, et les espaces vides sont très rares (pas vraiment de place, mais des carrefours de rues et ruelles). Quant aux voies de communication, elles sont plutôt périphériques et servent surtout à desservir les maisons, rarement à conduire à un bâtiment spécifique. En somme, pas de hiérarchisation dans le plan d’urbanisme, la sensation de quelque chose d’égalitaire via l’étude de la trame urbaine.

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La caractérisation de la maison-type de l’âge du Fer méridional repose sur la récurrence des observations archéologiques. Nous la définissons comme une unité architecturale ou non (une pièce distincte ou plusieurs associées, qui ne sont pas obligatoirement contiguës et communicantes), qui réunit toutes les activités quotidiennes et journalières pratiquées par la cellule domestique de base. À savoir : la préparation et la consommation des repas, le stockage (à petite échelle), une notion de protection (des biens personnels comme les outils de travail). Parfois s’y ajoutent des activités spécialisées à petite échelle, comme le petit artisanat domestique, pour la réparation des outils…). Cette liste correspond à un ensemble de vestiges matériels, établie en particulier sur les sites les mieux conservées et bien fouillés que sont les sites martégaux (Saint-Pierre, et surtout l’Ile, voir Nin 1999 et 2000 et en dernier lieu Chausserie-Laprée 2005) : un ou plusieurs foyers, de la vaisselle céramique de cuisine et de service, des ustensiles domestiques (meules et molettes, fusaïoles et pesons, aiguilles, plans de travail, ...), des déchets culinaires, du stockage alimentaire, des éléments de parure, des instruments de toilette, des outils de travail (agricole ou autre). Parfois sont attestées quelques formes de thésaurisation et de pratiques cultuelles (rites domestiques, de fondation). Ces activités peuvent être séparées, voire cloisonnées par des murs de refend ou des demi-plans, et très souvent accompagnées de banquettes le long des murs. Il n’y a pas de critère exclusif d’identification d’un espace domestique, il faut un faisceau d'éléments. Mais tous les espaces ne possèdent pas toujours suffisamment d'indices pour interpréter leur usage (en raison notamment des conditions taphonomiques).

Évidemment, ce tableau est idéal, car il existe une évolution et des nuances entre les unités domestiques de la fin du VIIe s. av. J.-C., du début du VIe s. av. J.-C., du plein âge du Fer (les V et IVe s., début du IIIe s. av. C.) et de sa phase finale (à partir de la fin du IIIe s av. C.). Par exemple, pour la fin du VIIe s. av. J.-C., la maison laisse peu de traces car elle est construite en matériaux périssables : poteaux en bois, cloisons en torchis, sol parfois excavé. Les plans sont divers (rectangulaires, ovalaire, semi ovalaire…) car l’habitat n’est pas encore aggloméré, il n’y a pas nécessité de gérer un espace clos et fini. L’habitat est lâche. En fait les plans sont peu évidents à définir, à partir d’un ensemble de trous de poteaux au mieux, sinon des effets de parois. Au début du VIe s. av. J.-C., les hommes se regroupent et bâtissent désormais en dur. De fait, se généralise le plan quadrangulaire, plus adapté pour rentabiliser l’espace. Mais au départ les maisons ne sont pas encore unicellulaires et bien normées : en témoignent une variété de plans et modes de construction, dont les formes sub-rectangulaire ou à abside1. Sont même attestées quelques maisons à trois pièces sur les tout premiers habitats groupés (comme Tamaris, site sur lequel on peut imaginer un passage progressif de la construction en matériaux périssables à celle en dur ; et/ou un processus de lotissement progressif durant lequel apparait l’idée de mur mitoyen, cf. Garcia 2004, 61). C’est une période charnière d’innovation et d’expérimentation architecturale. Pour le plein âge du Fer (Ve-IVe s. av. J.-C.), désormais les maisons sont unicellulaires, toutes rectangulaires, et avec murs mitoyens, donnant l’impression de quelque chose d’uniforme (trame dense et répétitive) ; et l’hypothèse, avec ces plans parfaitement laniérés, de sites lotis d’un seul coup. Notamment avec

La Cloche (Chabot 2004, 25, fig.6), Teste-Nègre (Gantès 1990, 78), L’Ile, l’Arquet, et Saint-Pierre

(Chausserie-Laprée 2005)… Enfin, courant IIIe s. et surtout durant le IIe s. av. J.-C., parallèlement à des habitats sur

1 A Marseilleveyre - Bernard, Isoardi 2015 ; la Liquière - Py 1984 ; Le Baou Roux - Boissinot 1993 ; Saint-Blaise - Rolland 1956, pl. IV ; Bouloumié 1985 et 1992, Arcelin et al. 1983, 140 fig.2 ; le Traversant – Gailledrat et al. 2006-2007, 25 fig10 etc.).

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lesquels ses critères perdurent, apparait la catégorie des maisons complexes (dites encore à cour ou à plan méditerranéen ou encore à pastas … cf. Belarte 2009). Une évolution sur laquelle il va falloir s’attarder2.

2. Planimétrie et données métriques des maisons

Nos principaux indicateurs ont été obtenus sur un échantillon de dix-sept habitats groupés (fig.2). Nous avons utilisé toute information possible issue des maisons :

- La surface moyenne de la maison. Évolue-t-elle sur les six siècles considérés? Quels liens possibles avec le nombre de personnes dans la maison ?

- Le nombre moyen de cellules par maison. Quelle est son évolution ? Est-il lié à une adjonction ou réduction d’effectif dans la famille, ou une séparation plus nette des activités domestiques ?

- La surface moyenne de la cellule composant les maisons. Quel que soit le nombre de cellules de la maison, y-a-t-il un changement fondamental sur les dimensions des pièces domestiques elles-mêmes ?

- Le rythme des changements architecturaux et la durée des espaces en tant que maison : une réflexion sur la pérennité des unités domestiques. Combien de générations dure une maison ? Quelles hypothèses sur la structure familiale à partir de cette indication ?

Dans un premier temps, nous avons étudié ces paramètres d’un point de vue chronologique, de la fin du VIIe s. au IIe s av. J.-C., pour présenter les premières hypothèses sur la structure familiale. Dans un deuxième temps, nous nous sommes tournés vers les évènements extérieurs (économiques, historiques) et les données sur l’évolution des masses des populations (archéodémographie) pour y chercher des indices supplémentaires. En effet, pour E. Todd, la structure familiale est l’un des facteurs explicatifs (tantôt cause, tantôt conséquence) des destinées des sociétés (révolution française, communisme, régime plus libéral, apparition de l’État…). Pour nous qui ne travaillons pas sur les populations vivantes ou historiques3, notre attitude est inverse : nous partons des trajectoires des sociétés pour remonter aux structures familiales possibles, en accord avec de telles évolutions (et bien sûr, comme il s’agit d’archéologie, cette trajectoire est nettement moins bien connue que celle des sociétés historiques).

Cet article se revendique comme un exercice de souplesse, pour raccrocher des concepts nouveaux pour l’archéologue. Une sorte de jeu qui fournit cependant un état des connaissances métriques et planimétrique sur la maison de l’âge du Fer (état bien entendu susceptibles d’être modifié en fonction des connaissances futures).

2.1. La surface moyenne de la maison

Même si nous ne disposons que de peu d’exemples pour la fin du VIIe s. av. J.-C., la surface moyenne au VIe s. av. J.-C. ne semble guère évoluer (de 20-40 m² à 30-40 m² en moyenne – Fig.3)4. Puis dès le début du

2 cf. l’ilot X de l’habitat 2 d’Entremont – Arcelin 1993, 63, fig.31 ; l’insula X d’Ensérune – Gallet de Santerre 1968 ; la maison du Fondeur, les ensembles 2 et 3 sur Saint-Blaise – Rigoir 1981, 181, fig.1, Rolland 1956, pl.IV ; la maison des antes de Glanum - Bouiron 1996 ; ou encore sur le Baou-Roux - Boissinot 1993, 262, fig.5.6 ; et bien sûr à Lattara – Py 2009 et 2008, Dietler et al 2008 3 Populations historiques au sens « possédant des archives démographiques écrites ».

4 Pour l‘âge du Bronze, étant donnée la rareté des maisons fournissant des données métriques fiables sur la maison, les valeurs proposées dans les figures 3, 4, 5 … proviennent de deux sites du sud-est de la France (le Baou Roux et Marseilleveyre), mais aussi d’établissements hors fenêtre d’étude : le Traversant et La Liquière. Les valeurs sont mesurées à partir des plans, sous Autocad®.

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Ve s. av. J.-C., une tendance à la réduction de la surface de la maison s’observe, sur un siècle et demi (de 30 à 20 m² globalement). Ensuite, la surface remonte assez rapidement, en deux paliers : on passe à des maisons d’une surface de 35-45 m² au IIIe s. av. J.-C., puis à des espaces de 45-55m² en moyenne sur la première moitié du IIe s. av. J.-C. En effet, au cours du IIIe s. av. J.-C., apparait le type nouveau des maisons complexes. D’entrée de jeu, une telle dimension renvoie plutôt à la famille nucléaire ou la famille souche. La famille communautaire est difficile à envisager, sauf peut-être en fin de période ? Mais nous n’avons pas encore abordé tous les indices…

2.2. Nombre de cellules par maisons

Avant 600 av. J.-C., les maisons sont plutôt à une pièce, subrectangulaires, mais avec nombreuses activités se déroulant à l’extérieur (Fig.4). Dès le début du VIe s. av. J.-C., le changement n’est pas négligeable : les premières maisons en dur n’ont pas seulement une seule pièce mais peuvent en avoir assez souvent deux voire trois. Une diversité au moment où apparait une nouvelle manière de vivre « groupé » et de nouvelles techniques de construction. Ensuite, pendant deux siècles et demi, la norme sera la maison unicellulaire. Ici se manifeste quelque chose de plus normé. Puis nouvelle rupture au IIe s. av. J.-C., avec l’apparition des maisons complexes (jusqu’à six pièces). Cela semble conforter l’idée générale de la famille nucléaire, voire une famille nucléaire peu plus large en début de période, et plus probablement après la fin du IIIe s. av. J.-C.

2.3. Surface moyenne des cellules composant les maisons

Toujours aussi peu d’exemple pour l’âge du Bronze, donnant des valeurs variées entre 20 et 40 m² (Fig.5). Au début du VIe s. av. J.-C., on tourne plutôt autour de 24 m². On relève une hausse de la taille moyenne de la cellule composant la maison après le milieu du VIe s. av. J.-C. et jusque vers le début du IVe s. av. J.-C. Ensuite, tandis que se généralise la maison unicellulaire, celle-ci est curieusement plus petite. Par contre, au IIe s. av. J.-C., les pièces des maisons sont un peu plus grande, tandis qu’apparaissent les maisons complexes (il est vrai aussi que dans ces espaces domestiques, d’autres activités peuvent avoir été accueillies, comme la conception du « confort » associée à la vie domestique a pu, elle aussi, évoluer).

2.4. Hypothèses anciennes sur l’effectif de la maisonnée

Évidemment, depuis longtemps s’est posée cette question du nombre de personnes qu’il est possible d’abriter dans ces maisons. Dans les études archéologiques protohistoriques, du sud-est de la France jusqu’en Espagne, les chiffres de quatre à six personnes par unité domestique reviennent assez fréquemment (sous-entendu deux adultes avec deux à quatre enfants). Sur quelles bases reposent-ils ?

C’est d’abord la valeur qui est déduite de considérations en anthropologie biologique, dans l’hypothèse d’une situation démographique stable (celle qui assure simplement le renouvellement des générations), et en tenant compte de la mortalité infantile (Dedet, Duday, Tillier 1991, 95-97). En sachant qu’avant l’invention de la vaccination, 50% des enfants mouraient avant l’âge de 12 ans, il faut compter quatre personnes de plus de 12 ans par famille pour que la population puisse se renouveler à l’identique, soit à l’origine six personnes avec les jeunes enfants.

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Concrètement, rares sont les indices archéologiques pouvant le démontrer. Néanmoins, sur le site protohistorique de La Cloche, dans une même cellule domestique, ont été retrouvés quatre graffites de propriété différents sur quatre vases campaniens (Chabot 2004, 45) : doit-on y voir les membres d'une même famille ? Sur le même site, via l’étude des seules céramiques de table, Fr. Marty avait mis en évidence un vaisselier-type (1999, 176-177, tabl.IX), avec notamment deux coupes Lamb 27B et deux assiettes Lamb 5/7 pour la vaisselle de table (voire le complément d’une coupe Lamb 27bc et d’une assiette Lamb 6 ou 36). Nous pourrions en déduire la présence moyenne de quatre à six personnes par unité domestique (précisons que Fr. Marty lui-même ne se lance pas dans ces conjectures démographiques). Évidemment, on ne peut tenir compte d’une potentielle vaisselle en matériaux périssables.

Enfin, c’est le plus souvent cet effectif qui est mis en relation avec les dimensions de la maison, suggérée précisément à partir de la superficie disponible autour du foyer, là où les individus se réunissent pour manger et dormir. Nous avons fournit ci-dessus un dernier état de cette surface (Fig.3 et 5). Pour nombre d’auteurs, seule une structure nucléaire estimée entre quatre et six personnes paraît, plus ou moins subjectivement, pouvoir fonctionner avec de telles structures (cf. Py 1990, 40-41, 258 ; 1993, 70 ; 1996, 251 ; Dedet 1987, 172, 205-206 ; 1999, 313-314 pour le Plan de la Tour à Gailhan et L'Ile de Martigues ; Nin 2000, 45 ; Álavrez-Sanchís, Ruiz Zapatero 2001, 64-65…). À titre de complément, voici les principales valeurs glanées en bibliographie, concernant une large variété de civilisations de part le monde (Fig.6) : elles sont très variables, entre moins de 2m² à 60 m². Pour les sociétés protohistoriques méridionales, avec une surface de cellule domestique entre 18,8 et 31,3 m² (et des maisons entre 21 et 55 m²), et suivant l’indice de R. Naroll (le plus souvent repris car il se veut universel, 10m²), on aurait entre deux et trois individus par cellule, ou deux et six par maisons5. La fourchette reste large, mais dans tous les cas, on se situe entre la famille nucléaire et la famille souche (la famille communautaire est exclue). Et on retombe sur les valeurs obtenues via l’anthropologie ou les restes céramiques.

2.5. Le plan de la maison et son évolution

Revenons au plan des maisons. Ou plutôt, aux aménagements internes. Nous avons souligné plus haut l’aspect modulaire de la maison. Mais en y regardant de plus près, si les murs périmétraux sont assez fixes tout au long de la vie du site, les murs de refend, eux, bougent beaucoup plus. Notamment car le plus souvent, les murs de refend sont en terre (terre massive ou briques crues), tandis que les murs périmétraux sont de pierres et/ou de briques. Ils sont donc plus faciles à monter pour subdiviser l’espaces (et à démonter pour le rouvrir). Et effectivement, cette apparente régularité s’accommode en fait de variations dans les plans internes, voire de légers décalages dans les alignements des façades.

Les plans de l’Ile de Martigues nous livrent d’instructives évolutions (Fig.7). Ces observations sont basées sur nos propres analyses du contenu des cellules au fil du temps, et surtout des complémentarités entre pièces pouvant définir des unités domestiques (dont des cellules ne sont pas toujours contigües et communicante).

5 On remarquera que cette même valeur de 10m² avait été retenu en 1907 par H. de Gérin-Ricard et A. Arnaud-D'Agnel, pour l’estimation démographique des oppida du sud de la France. Cette valeur ne venait pas de R. Naroll, mais d’observations sur les sociétés nomades plus récentes ou actuelles : les gourbis arabes, les camps de bohémiens et autres nomades (1907, 35-36). C’est une des rares comparaisons ethnographiques utilisées pour la Protohistoire de France méridionale.

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Sur deux zones (a) et b)), quatre possibilités apparaissent ainsi : un espace peut changer de nature, une maison peut devenir non domestique (type grenier collectif), ou un espace non domestique évoluer une maison. Une maison peut être scindée en deux unités domestiques autonomes et plus petites, tandis que le regroupement de plusieurs cellules, issues de maisons différentes, peut former un espace domestique autonome plus grand.

Cette notion d’évolution des plans des maisons, de changement de destination, apparait essentielle, quand on réalise qu’il n’y a pas d’espace non bâti autour des maisons prévu à l’avance pour un éventuel agrandissement (ou autre modification) du noyau domestique. Mais bien entendu, on ne pourra jamais savoir si c’est une même lignée qui se développe dans un même espace au fil du temps, et si à un moment donné, les enfants ont besoin de s’installer à côté.

2.6. Le rythme de vie des maisons

Les données métriques rassemblées dans cet article nous autorisent aussi à fournir un paramètre inédit : la durée des espaces comme maison. Se dégagent un groupe de données entre 10 et 60 ans, et la valeur moyenne de 58 ans, soit env. trois générations pour la durée de vie d’une maison (Fig.9 a)6. Cela peut correspondre à la famille communautaire, mais nous avons vu que nous devons l’exclure à cause de la superficie. Cette valeur moyenne cadre également avec la famille nucléaire à corésidence temporaire.

Cependant, dans le détail apparaissent des différences sensibles : à la fois sur la durée et selon le type de maison (unicellulaire, à deux pièces, trois pièces et avec les maisons complexes). Les maisons unicellulaires sont celles dont la durée de vie est la plus longue (plus de 56 ans, fig.9c)). Et c’est surtout pour le plein âge du Fer que leur longévité est surprenante : 76 ans, et 82 ans en prenant en compte les maisons à deux cellules (fig.9d). Correspondant approximativement à quatre générations, ce n’est pas négligeable, et pourrait être significatif de la valeur prise par le lieu domestique.

On doit également mettre en avant deux tendances contraires, entre la phase archaïque et la fin de l’âge du Fer (fig.9d) : pour la première période, la durée de vie des petites maisons est longue (50 ans pour les maisons unicellulaires), et les quelques maisons à trois pièces durent environ seulement une génération (certes, l’échantillon est faible, avec seulement Tamaris). Par contre, en fin de période, si la durée des maisons unicellulaire ou à deux pièces se raccourcit (41-45 ans), désormais les maisons à trois pièces ou plus durent plus longtemps (41-49 ans). La maison en tant que bien matériel et familial n’est donc pas considérée de la même manière.

De fait, toujours sous le postulat que la maison symbolise la famille (l’idée qu’on imprime dans le sol, la structure et la taille de la famille), on pourrait dégager trois hypothèses :

- Pour la phase ancienne, la possibilité de familles nucléaires à corésidence temporaire irait bien avec des maisons à deux et trois pièces. Le dernier enfant reste avec les parents (en étant en couple), et donc récupère la maison. La corésidence temporaire expliquerait le maintient possible de la maison entre les mains de plusieurs générations. À coté, il y a peut-être réaffectation des espaces bâtis non domestique, à de nouveaux jeunes foyers ?

6 Précisons cependant qu’il est difficile de suivre l’évolution entière d’un même espace sur le même site, en raison de la qualité variable de conservation de ces espaces

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- Pour le plein âge du Fer : le plein développement de la famille nucléaire, voire même assez réduite, car les maisons semblent interdire d’accueillir plus que le couple et sa descendance (majoritairement une pièce, et des cellules plus petites qu’auparavant). Exit donc la famille souche en raison du plan unicellulaire et de dimensions plus petites, même si la durée de vie de ces maisons pouvait correspondre. La notion de famille nucléaire intégrée est intéressante ici, suivante cette idée : la pérennité de l’espace domestique en tant que maison ne se conçoit peut-être pas à l’échelle de la famille, mais à l’échelle du regroupement de familles, de la communauté. Nous proposons l’idée d’une gestion plus communautaire des espaces composant l’habitat groupé, en lien avec un niveau d’intégration plus forte que celui de la famille : le village en lui-même. Loin d’aller vers une famille élargie (les données matérielles de la maison le contredisent), c’est le niveau d’intégration qui pourrait évoluer : de la famille au village. En outre, le fait que le plan d’urbanisme semble établi dès la fondation du site irait en effet avec ce concept.

Comme le rappelle E. Todd (2011, 73), il existe simultanément deux niveaux d’analyse de la réalité familiale : la famille nucléaire et un niveau supérieur auquel peuvent s’agglomérer et coopérer des familles nucléaires. C’est l’unité supérieure, qui va de la bande à l’État, passant par toutes formes et tailles de clans et aussi de communautés. C’est le principe de dualité, l’existence simultanée de deux niveaux d’analyse de la réalité familiale, l’un pouvant prendre le pas sur l’autre selon les circonstances.

Étayant cette hypothèse, on remarquera que se développe à cette époque les structures de stockage (en nette hausse) et les fours complexes. Sur nombre de sites, ces fours sont implantés dans les rues, au niveau de croisements, ce qui suggère un usage collectif, une mutualisation pour un ensemble de maisons (voir Fig.10), pour la préparation des repas ou la cuisson de pains par exemple (les sites de Saint-pierre et de l’Ile de Martigues sont de bons exemples, puis un peu plus tard ceux du Baou-Roux, du Castellas, et de la Cloche, cf. Chabot 1979). Il peut en aller de même avec les espaces de stockage collectifs. Nous pourrions y voir de possibles indices de partage des tâches et de solidarités entre familles, et c’est là une caractéristique, justement, des familles nucléaires intégrées à un enclos. Cela irait dans le sens du renforcement de l’unité à l’échelle du village. On pourrait aller plus loin en suggérant que l’enclos lui-même s’étend aux limites du village, vu que justement les agglomérations se réduisent en taille. Comme si le niveau d’intégration à l’échelle de la communauté prenait le pas sur celui de la famille.

- En fin de période, deux voies semblent se dégager : d’un côté la famille nucléaire qui perdure (dans des maisons à la durée de vie par ailleurs plus courte). Et pour les maisons complexes, un intérêt peut-être « patrimonial » au bâti en raison d’une durée de vie qui s’allonge. Cette évolution ouvre la voie à ce moment-là à la famille élargie : au minimum la famille nucléaire intégrée à un enclos, qui pourrait se réduire aux grandes maisons, voire l’apparition de la famille souche ? Concernant ces maisons complexes, on notera encore que par rapport aux maisons des autres habitats contemporains, sans maisons complexes, la surface moyenne des pièces est très similaire : s’il y a plusieurs pièces, elles ne sont pas plus grandes (Fig.11 c)). Est-ce là l’indice de la stabilité du noyau familial ? On a donc deux possibilités : soit une maison avec une seule famille, nucléaire, mais des cellules en plus pour accueillir pour nouvelles activités (archéologiquement, cela peut correspondre à la maison X d’Entremont, qui possède une huilerie, cf. Arcelin 1993, 63, fig. 31). Soit plusieurs familles simples qui vivent ensemble dans le même périmètre. On aurait-là le modèle de la famille nucléaire intégrée à un

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enclos, les murs périmétraux de ces maisons complexes pouvant faire office de séparation physique du reste de la communauté. Malheureusement, pour ces phases récentes, dont les strates archéologiques sont de fait les plus exposées à la dégradation, les indices des usages sont trop rarement conservés sur la plupart des sites (le cas notamment pour Saint-Blaise et Constantine).

On ne donc peut ici faire l’économie d’un regard sur les maisons complexes de Lattara (Lattes, 34). Certes avec cette agglomération nous sortons de la zone d’analyse, mais ce site, en raison de sa conservation et de la qualité des fouilles, possède les meilleures données pour alimenter cette question (Py 2008, Dietler et al. 2008, Belarte 2009). Ces maisons se développent un peu plus tôt, dès le IIIe s. av. J.-C. (et la maison de base, traditionnelle, est déjà plus souvent à deux-trois pièces). Les cellules sont organisées autour d’une cour centrale, ce sont clairement des maisons à cour intérieure. On peut retracer leur genèse à partir du regroupement de plusieurs maisons antérieures plus petites, et parfois même la privatisation d’espaces collectifs (les rues, ce qui n’est pas anodin). Les plus anciennes semblent résulter de ce processus de « bricolage », tandis qu’au IIe s. av. J.-C. ce plan est construit d’emblée tel quel. Elles ont une durée de vie assez longue, sur plusieurs générations. Les techniques de constructions sont parfois peu usitées sur les autres maisons (comme un pavage de la cour). Parfois certaines cellules peuvent avoir une fonction spécifique (cuisine, stockage) mais le plus souvent ce sont des pièces à usage multifonctionnel (activités culinaires et autres aspects de la vie quotidienne) : l’hypothèse d’une multiplication de cellules domestiques similaires n’est donc pas exclue (bien qu’en réalité la plupart du temps, on manque de données sur toutes les pièces d’une même maison). Au final, la spécialisation des espaces est plutôt assez rare (à part le stockage), et M. Dietler, notamment, penche plutôt pour la répétition d’un même espace domestique centré sur le foyer (2008, 122). Les interprétations vont d’une famille étendue composée de familles nucléaires monogames, ou un groupe de familles nucléaires sans lien de parenté (l’idée de « clan » pour ces deux hypothèses) ; ou encore une famille élargie polygame (pour M. Dietler). Et enfin, une famille étendue de taille réduite mais aisée, plutôt pour les maisons plus récentes du site, plus petites que celles-ci et aux pièces d’usages clairement différenciés. Aussi l’hypothèse de plusieurs familles nucléaires réunies semble plus crédible, ou au minimum un début d’élargissement de la famille nucléaire. Il semblerait en outre que le choix de ces maisons relève d’un désir de différenciation sociale (avec les notions de familles plus fortunés et de clans ou lignages rivaux chez M. Dietler, 2008, 121-122, ou Py 2008).

Changeons maintenant d’échelle d’observation.

3. Le contexte général et son éclairage sur les systèmes familiaux 3.1. Les mutations de l’habitat groupé

Sur les six siècles, les sites d’habitat eux-mêmes connaissent des évolutions (Fig.12). D’abord sur la superficie (Fig.12 a)) : on distingue pour la phase 600-490 av. J.-C., des habitats groupés de grande superficie, puis une réduction de taille jusque vers 300 av. J.-C. Ensuite leur surface augmente pour atteindre les plus grandes superficies au IIe s. av. J.-C. Mais la fonction de logement de ces sites est encore plus évidente à saisir par l’emprise par habitation, qui mesure la densité de maisons (plus elle est petite, plus la densité en maisons

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est forte, donc le site à davantage une fonction de logement des individus – Fig. 12b)). Il en ressort trois temps :

- Dès 600 av. J.-C., la mise en place d’une « nouvelle manière d’habiter ».

- Jusqu’à la fin du IVe s. av. J.-C., la tendance générale est à la normalisation et à la densification. Ces deux siècles pourraient se définir comme une longue période d’accentuation des principes du VIe s. av. J.-C.: des maisons plus petites, plus souvent à une pièce, plus standardisées (normalisation), et plus nombreuses sur les habitats (densification). Avec cet aspect très concentré, la fonction des sites semblent être principalement (uniquement ?) de loger le maximum de population malgré une superficie qui se réduit.

- Puis dès le IIIe s. av. J.-C. la tendance s’inverse (en deux paliers) : de grands habitats sont fondés sur lesquels la population est de moins en moins concentrée (Fig.13). Sur ces sites se développent en effet de nouvelles structures collectives ou publiques : des structures de transformations de produits agricoles (huilerie par exemple, sur Entremont 2), mais aussi des espaces collectifs à fonction cultuelle et/ou politique (les fameux portiques ou salles hypostyles, cf. DAM 1992, 11-242). Dans le courant du IIIe s. av. J.-C., sur certains sites on s’oriente vers une fonction autre que le simple logement des individus, qui va de part avec l’apparition du nouveau type de maisons complexes, et tranche vraiment par rapport à ce que l’on observe depuis 600 av. J.-C.

Pour terminer, agrémentons cette analyse des éclairages apportés par les événements extérieurs (économiques sociaux, événementiels) et leurs effets sur les populations.

3.2. Événements socio-économiques et archéodémographie

Les derniers indices sur le type de structure familiale sont en effet à chercher hors du site d’habitat. L’idée est de partir de la connaissance de l’évolution des sociétés face aux évènements rencontrés, pour inférer vers la structure de la famille la plus plausible. Voici donc un tableau des phénomènes principaux traversés par ces sociétés (et connus !), ainsi que de leur réaction, que nous lisons dans leur état archéodémographique.

Pour la fin du VIIe s. av. J.-C., avant 600 av. J.-C., les populations ne sont pas encore pleinement sédentarisées. Les familles se déplacent, les maisons ne durent pas… Le fonctionnement est autarcique, l’économie est tournée vers l’autoconsommation. A été émise l’hypothèse d’une agriculture itinérante et d’un fonctionnement sur abattis-brulis (Garcia 2004, 36-39). Les habitats se déplacent en fonction de l’épuisement des sols. C’est un système socioéconomique qui n’implique pas une pérennisation des terroirs et des territoires. On suppose également que les populations se regroupaient occasionnellement autour de sanctuaires communautaires en pleine nature (les stèles), sur des lieux clés dans la perception de leur environnement. Quel type de famille peut cadrer avec une telle situation ? La mobilité ne fonctionne pas avec la famille souche (on est mobile donc on ne transmet ni la maison, ni la terre). La famille communautaire pourrait convenir (besoin de se scinder, donc de se déplacer), mais l’absence de grand gisement pose problème (jusqu’à preuve du contraire). Le système familial a priori le plus plausible pourrait donc être la famille nucléaire à corésidence temporaire: la famille nucléaire fonctionne bien avec le mécanisme d’expansion de ce type d’agriculture, des hommes libres de partir coloniser de nouvelles terres (l’agriculture

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en expansion, itinérante nécessite de fonder un foyer indépendant de celui des parents, Todd 2011, 137-138, 336).

Principal changement dès le début du VIe s. av. J.-C. : les communautés indigènes entrent dans un processus de rencontres puis d’échanges avec de nouvelles communautés. Face à elles, des marchands de Méditerranée : Phéniciens, Étrusques, Grecs. Et l’installation d’une communauté phocéenne sur le littoral du sud-est de la France, Massalia (en 600 av. J.-C.). Se met en place le système de l’emporia dans le sud de la France, via Marseille qui redistribue des produits méditerranéens, et repart avec contreparties indigènes (produits agricoles, viandes, autres matières premières… ?). Le paysage économique et social s’en trouve totalement modifié : sur des populations en autarcie font irruption des commerçants méditerranéens, avec un volume de transactions plus ou moins important. L’intense activité des négociants a pu représenter une incitation à la consommation d’un plus grand nombre de produits commercialisés, et qui donc réclamaient le dégagement de surplus pour y répondre : les sociétés indigènes entrent dans une économie d’échange. Elles sont donc contraintes, pour pouvoir dégager des surplus nécessaires, à gérer autrement leur terroir (développer une économie de production parallèlement à l’économie vivrière, et certainement abandonner certaines pratiques antérieures). La fixation de l’habitat répond vraisemblablement à l’obligation de contrôler un territoire plus défini, garantir des investissements à long terme, organiser aussi plus rationnellement les cultures, l’élevage, l’exploitation des ressources cynégétiques. Parallèlement, la construction des fortifications est certainement une nécessité pour protéger récoltes accumulées et/ou biens amassés destinés à l’échange, et pour assurer au groupe pérennité de son installation tout en symbolisant sa cohésion et ses prétentions territoriales.

Voyons maintenant les choses d’un point de vue démographique. Ou plutôt archéodémographique (Fig.14). L’archéodémographie consiste en fait tout simplement à estimer le nombre total de maisons sur chaque site, au fil du temps (l’étude a été conduite sur les dix-sept habitats groupés traités ici pour l’étude de structures familiales – Isoardi 2010). Le postulat de départ stipule que les variations démographiques, spatiales et temporelles, sont l’empreinte de phénomènes historiques, économiques, et sociaux, facteurs événementiels ou de plus long développement, que ces populations ont traversés, les renvoyant avec davantage d’objectivité et d’exhaustivité. L’intérêt n'est pas de connaître le nombre exact d'habitants au cours du temps, mais de pouvoir réfléchir avec un élément nouveau, sur les problématiques culturelles, sociales et économiques. Et dans le cas présent, de renvoyer le ressenti des populations face aux événements extérieurs : positif si la population croit, négatif si elle décroit. Les tendances archéodémographiques au cours du temps donnent ainsi une épaisseur plus humaine pour comprendre les impacts des phénomènes socio-économiques et historiques que ces sociétés ont connus. Autant de situations à mettre en rapport avec les systèmes familiaux possibles…

La courbe met en évidence une phase de forte attirance et de fort développement des populations au VIe s. av. J.-C. Or, une telle réaction positive est le signe de la réussite de l’adaptation des populations à ces grands changements. Partant de là, nous pouvons envisager d’exclure les formes familiales paralysantes pour le développement technique, économique, social. Pour E. Todd, la famille nucléaire (égalitaire ou absolue) serait la meilleure forme pour accueillir les innovations quelles qu’elles soient et générer des changements

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« idéologiques ». La famille nucléaire autorise la flexibilité sociale, la mobilité individuelle, facilite de fait l’expérimentation technologique. Techniquement, ce système donne la liberté dans le choix de résidence, facilite la création de nouveaux habitats mieux adaptés à la conjoncture économique. La conjoncture positive donne ainsi un argument de plus pour la famille nucléaire dès la fin du VIIe s. av. J.-C. Cependant, quel peut-être le poids de la sédentarisation sur l’évolution des structures familiales ? Travailler les mêmes terres n’entrainerait-il pas une forme de patrimoine à transmettre ? Pas systématiquement en réalité, le passage de l’agriculture itinérante à l’agriculture sédentarisée n’oblige pas à passer à la famille souche s’il y a beaucoup de terres libres. Cela dépend aussi du statut de la terre (collectif ou privé, Todd 2011, 75, 137-138). On peut supposer qu’en début de processus, cette préoccupation ne s’impose pas encore.

Du milieu du Ve s. au milieu du IIIe s. av. J.-C., la conjoncture évolue : fin du système emporique précédente. Mais Marseille conserve une place importante : elle se trouve à la tête d’une nouvelle sphère économique qu’elle dirige (elle établit son propre réseau de distribution pour sa propre production de vin en France et Europe occidentale). Évolution qui correspond à un nouveau rapport avec les Indigènes, Marseille devenant l’unique partenaire économique des sociétés celto-ligures (une mainmise de Marseille).

Dans l’habitat indigène, la tendance précédente se radicalise (forte densité de maisons avec pour vocation principale de loger les individus et stocker la production céréalière : c’est le plein développement des greniers collectifs (cf. Garcia, Isoardi 2010). Mais ces habitats groupés sont de plus petite superficie, et possèdent tous les même activités : d’où l’idée de villages plus autonomes, plus indépendants (Fig. 15 et Isoardi 2013). On a vu que les critères de la maison nous orientaient vers le plein développement de la famille nucléaire, avec cependant une pérennité de l’espace domestique en tant que maison (des maisons qui durent plus longtemps) qui ne se conçoit peut-être pas à l’échelle de la famille, mais à l’échelle du regroupement de famille. Se ferait sentir un niveau d’intégration plus fort que celui de la famille : le village en lui-même7. Sur le plan archéodémographique (Fig.14), on observe une baisse conséquente et brutale, puis une faible croissance, et pas d’apport non plus de population extérieure. La conjoncture est donc moins stimulante pour les populations locales (une situation qui n’incite pas les populations plus lointaines à venir s’installer). On a évoqué l’idée d’une évolution en « vase clos » car durant plus de deux siècles, les choses changent très lentement dans le monde indigène (Isoardi 2010, 274). De fait, cette hypothèse d’une évolution de la famille nucléaire vers quelque chose de communautaire n’est pas improbable car justement, la structure communautaire est plutôt un frein à toutes innovations et changements (Todd 2001, 146 et s.).

Dernier temps, le grand changement dès la fin du IIIe s. et au IIe s. av. J.-C. Cette phase se caractérise par un renouveau du peuplement dès la fin du IIIe s. et surtout le maximum de peuplement au IIe s. av. J.-C. (fig.14 et 15 3)). Coté commerce, fin de l’hégémonie massaliète, les apports viennent principalement d’Italie, nouveau partenaire économique : donc de nouvelles opportunités pour les Indigènes. En parallèle, s’amorce le soulèvement des populations locales après des années de subordination à Marseille. La tension monte avec

7 D’ailleurs, E Todd fait remarquer que lors de l’existence d’un niveau de regroupement supérieur aussi fort, l’anthropologue de terrain peut privilégier le niveau supérieur d’agrégation et opter pour une famille communautaire plutôt que plusieurs familles nucléaires (tandis qu’un autre soulignerait le premier niveau d’agrégation). Ce sont les limites propres à l’anthropologue (Todd 2011, 68-69). Cela se produit quand l’agglomération de familles nucléaires intégrées à un enclos est proche d’un fonctionnement communautaire

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la ville grecque qui fait appel à plusieurs reprises aux armées romaines : s’en suit une succession de confrontations guerrières virulentes contre la confédération indigène salyenne. Comme nous l’avons vu, deux éléments sont à retenir : l’apparition, à côté de maisons traditionnelles, de maisons plus grandes (le plus grand changement dans la maison protohistorique méridionale). Et la diversification des habitats groupés, en fonction de la densité de maisons et des activités intra-muros. C’est là que c’est posée la question de la famille élargie (cf. supra), par analogie avec les civilisations grecques et romaines, mais aussi en fonction des rares textes : le passage de Diodore de Sicile sur Craton, sympathisant romain, lors du siège de la ville des Gaulois, dont il fut délivré « avec sa parenté » (Bibliothèque Historique, XXXIV, 23, - traduction de D. Pralon, 1998).

Entremont, où ce type de maison complexe apparait, serait justement un candidat plausible pour la « ville des

Gaulois ». Le terme de « parenté » se réfère-t-il à une famille élargie ? Et élargie d’un point de vue génétique ou par le biais du clientélisme ? Et toute cette parenté, quelle qu’elle soit, loge-t-elle dans la même maison ?

Quel type de densification de la famille est envisageable ici en fonction de la conjoncture ? Rappelons que le but de la famille souche est l’indivision tout comme la transmission d’un patrimoine quel qu’il soit (terre, bâti, titre, droit d’usage…). Deux cas sont fréquents pour sa mise en place : elle peut apparaitre avec l’intensification agricole face la pression démographique (« le monde plein » - Todd 2011, 137-139). On sent que la terre pas extensible : il faut protéger intégrité de sa terre dans la transmission. La quantité de biens disponibles est perçue comme finie (bien sûr cela est fonction de la connaissance des sols et des techniques de cultures) : on passe à des règles d’indivisibilité. Or justement, contrairement au VIe s. av. J.-C., cette fois si la pression humaine est plus forte (en partie redevable à une arrivée de population, au vue de la rapidité de la croissance) : la limite agricole se fait peut-être sentir. L’autre terreau d’apparition de la famille souche est la perspective de défense ou conquête territoriale, quand il faut stabiliser des territoires et des titres, droits, et l’autorité qui va avec. La famille souche apparait alors dans les plus hautes classes sociales. Or c’est le cas aussi durant cette période avec les tensions croissance avec Marseille, le besoin de créer une fédération de peuples pour se défendre (par les textes, on sait que les élites, désignées dynastai, ont une fonction guerrière, cf. Appien, Histoire romaine, IV, 12 - traduction dans Verdin 1995, 23 et Strabon, Géographie, IV, 6, 3, traduction de D. Pralon, 1998). En fin de période on a donc deux éléments (forte démographie et climat de tension guerrière) qui pourraient faciliter le passage à la famille souche. Est-ce que l’on peut également envisager un passage vers la patrilinéarité ? E. Todd note un fort lien entre patrilinéarité et ambition guerrière et expansive (2011, 130 et s.). Le principe patrilinéaire est facteur d’organisation militaire et étatique. Si place de l’homme doit se dégager à un moment, peut-être est-ce là, dans ce contexte plus guerrier, dans la strate dirigeante. 4. En conclusion

Définitivement, sous une apparente uniformité, la maison des sociétés protohistorique connait, sur au moins six siècles, des changements non négligeables que nous nous sommes autorisé ici, dans le cadre de cet exercice à relier aux différents types des systèmes familiaux (Fig.16).

Pour résumer, et surtout afin de poser des bases de réflexion pour des études futures, on pourrait voir, quatre niveaux d’évolution de la famille nucléaire :

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Durant la période de mobilité au sortir du Bronze final, on peut envisager la famille communautaire ou nucléaire. La famille nucléaire parait toutefois plus probable juste avant le début du VIe s. av. J.c., car c’est la structure permettant d’assimiler rapidement les changements que ces communautés vont traverser dès 600 av. J.-C.

Dès 600 av. J.-C., la famille nucléaire à corésidence temporaire est envisageable, mais surtout la famille nucléaire intégrée.

Pour les V et IVe s. av. J.-C., on peut songer à la famille nucléaire intégrée à un enclos, savait que l’ « enclos » pourrait être le village en lui-même. Durant cette période il semblerait qu’il faille souligner les solidarités villageoises d’une grande communauté agro-pastorales face aux exigences, au moins économiques, de Marseille.

Et durant la deuxième moitié du IIIe s. av. J.-C., on observe un élargissement de la famille pour certains groupes sociaux : un peu comme si la famille nucléaire intégrée à un enclos se réduisait aux limites de la maison complexe, enclos se resserrant sur un lot de familles seulement, sans doute en lien avec une différenciation sociale. Et peut-être même envisager un début de famille souche pour ces mêmes classes ? En tous cas, un élargissement de la famille est plausible. Sauf si le lien du sang n’est pas la seule raison de cet élargissement du noyau familial, avec l’hypothèse de l’introduction de dépendants ou clients à la maisonnée (un peu sur le modèle romain républicain).

Peut-être faut-il voir une évolution de masse dès 600 av. J.-C., menant de la famille vers plus de cohésion du groupe, plus d’agrégation, tout en conservant une indépendance (plus ou moins relative) des cellules familiales nucléaires. Et ensuite, courant IIIe s. av. J.-C., une divergence dans ces populations, dont une voie conduirait une certaine catégorie sociale vers une distinction et complexification du groupe familial (Fig.17) ?

Si l’exercice semblait improbable au départ, et si les hypothèses restent ouvertes en fin d’analyse, voir les choses dans la longue durée, dans une perspective large et sous un éclairage démographique, s’est avéré finalement très instructif et intellectuellement très stimulant.

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1 A Marseilleveyre - Bernard, Isoardi 2015 ; la Liquière - Py 1984 ; Le Baou Roux - Boissinot 1993 ; Saint-Blaise - Rolland 1956, pl. IV ; Bouloumié 1985 et 1992, Arcelin et al. 1983, 140 fig.2 ; le Traversant – Gailledrat et al. 2006-2007, 25 fig10 etc.).

2 cf. l’ilot X de l’habitat 2 d’Entremont – Arcelin 1993, 63, fig.31 ; l’insula X d’Ensérune – Gallet de Santerre 1968 ; la maison du Fondeur, les ensembles 2 et 3 sur Saint-Blaise – Rigoir 1981, 181, fig.1, Rolland 1956, pl.IV ; la maison des antes de Glanum - Bouiron 1996 ; ou encore sur le Baou-Roux - Boissinot 1993, 262, fig.5.6 ; et bien sûr à Lattara – Py 2009 et 2008, Dietler et al 2008.

3 Populations historiques au sens « possédant des archives démographiques écrites ».

4 Pour l‘âge du Bronze, étant donnée la rareté des maisons fournissant des données métriques fiables sur la maison, les valeurs proposées dans les figures 3, 4, 5 … proviennent de deux sites du sud-est de la France (le

Baou Roux et Marseilleveyre), mais aussi d’établissements hors fenêtre d’étude : le Traversant et La Liquière. Les

valeurs sont mesurées à partir des plans, sous Autocad®.

5 On remarquera que cette même valeur de 10m² avait été retenu en 1907 par H. de Gérin-Ricard et A. Arnaud-D'Agnel, pour l’estimation démographique des oppida du sud de la France. Cette valeur ne venait pas de R. Naroll, mais d’observations sur les sociétés nomades plus récentes ou actuelles : les gourbis arabes, les camps de bohémiens et autres nomades (1907, 35-36). C’est une des rares comparaisons ethnographiques utilisées pour la Protohistoire de France méridionale.

6 Précisons cependant qu’il est difficile de suivre l’évolution entière d’un même espace sur le même site, en raison de la qualité variable de conservation de ces espaces.

7 D’ailleurs, E Todd fait remarquer que lors de l’existence d’un niveau de regroupement supérieur aussi fort, l’anthropologue de terrain peut privilégier le niveau supérieur d’agrégation et opter pour une famille communautaire plutôt que plusieurs familles nucléaires (tandis qu’un autre soulignerait le premier niveau d’agrégation). Ce sont les limites propres à l’anthropologue (Todd 2011, 68-69). Cela se produit quand l’agglomération de familles nucléaires intégrées à un enclos est proche d’un fonctionnement communautaire.

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Figure

Fig. 17 – Synthèse sur les systèmes familiaux en lien avec le contexte général

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