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Promenade

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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© Charles-Étienne Brochu, 2019

Promenade

Mémoire

Charles-Étienne Brochu

Maîtrise en arts visuels - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Résumé

Ce texte porte sur ma pratique en arts visuels et encore plus spécifiquement sur l’évolution de cette dernière au cours des quatre dernières années. Une part importante de ce texte est dédiée au projet intitulé Promenade que j’ai réalisé en 2018, ainsi qu’aux enjeux suscités par ce dernier. Il s’agit d’un projet numérique et interactif basé sur un moteur de génération procédurale, dont les thèmes s’articulent autour de la répétition et du travail. Ce projet s’inscrit en différence avec ma pratique habituelle du dessin numérique et c’est entre autre cette différence qui m’a semblé ouvrir une opportunité d’analyse. Cela dit, bien que ce projet soit le point d’ancrage de ce texte, j’adopte souvent un point de vue plus général étant donné que ma pratique artistique est en constante évolution et que je ne souhaitais pas me contraindre à trop de spécificité. Ce texte correspond à l’avancée de ma réflexion à un moment précis et je n’ai aucun doute que cette réflexion continuera à évoluer. Ce texte répond essentiellement à trois questions qui décrivent ma relation à l’art : 1) quel est mon intérêt face à l’art? 2) comment s’exprime cet intérêt? 3) quelle est ma posture face à cet intérêt? Ces questions s’inscrivent dans une réflexion personnelle qui guide mes expérimentations artistiques.

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Table des matières

Résumé ... ii

Table des matières ... iii

Liste des figures, tableaux, illustration ... iv

Introduction ... 1

1. Quel est mon intérêt face à l’art? ... 3

1.1 Le dessin ... 3

2. Comment s’exprime cet intérêt ? ... 6

3. Quelle est ma posture face à cet intérêt ? ... 13

3.1 Ma vie quotidienne ... 17 3.2 L’infini ... 19 3.3 L’accumulation ... 22 3.4 L’organisation ... 24 3.5 Les relations ... 29 4. En guise de conclusion ... 32 Bibliographie ... 33

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Liste des figures

Figure 1. Le barbecue, dessin numérique, 24x36 pouces, 2014. Figure 2. La fabrique de hamburger, GIF animé, 2015.

Figure 3. Le gym, GIF animé, 2016.

Figure 4. Météores, dessin numérique, 42x60 pouces, 2016.

Figure 5. Promenade, œuvre numérique, taille écran, 2018 (version de travail). Figure 6. Promenade, œuvre numérique, taille écran, 2018 (version de travail). Figure 7. Routine et sous-routine.

Figure 8. Marathon, dessin numérique, 42x76 pouces, 2016. Figure 9. Relations d’héritage.

Figure 10. Génération d’un bureau. Figure 11. Système d’arborescence.

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Introduction

Lorsque j'ai commencé ma maîtrise, j’expérimentais déjà avec un confort relatif dans ma pratique artistique. En effet, durant mon baccalauréat j'avais résolu plusieurs problèmes majeurs pour cimenter ma démarche dans une pratique en dessin numérique. J'avais en-suite pris une année de recul pour me permettre de mener plusieurs projets à bien. Durant cette année, ce que j'ai remarqué rapidement, c'est que je conçois l'art comme un endroit où je dois aller de l'avant. Ce qui me pousse à continuer à créer, c'est le renouvellement d'un sentiment de découverte. Je remarque d'ailleurs que ma stratégie pour réactiver ce sentiment est celle de continuellement m'engager dans des projets qui me poussent dans mes retranchements de connaissance. Lorsque je sens que j'arrive au bout d'une piste, je m'oblige à changer quelque chose ou à me placer dans une zone d'inconfort. Je n'ai ainsi pas le choix de trouver des solutions nouvelles et créatives.

C'est pour cela que je me suis inscrit à la maîtrise et c'est aussi pour cela que j'ai décidé de voir cette étape comme une manière de remettre en question ce que je considérais jusque-là comme la balise principale de ma pratique, soit le dessin. J'ai donc pris un peu de temps pour terminer mon parcours scolaire, attendant de concevoir un projet qui serait significatif, c’est-à-dire qui apporterait réellement une nouvelle vision sur ma pratique. Étrangement, le projet sur lequel ce texte est principalement basé ne comporte aucun dessin, même si les liens avec ma manière habituelle de créer sont évidents. L’intérêt de ce texte accompagnant mon projet final de maîtrise repose ainsi sur des qualités et questionnements inhérents à mon travail qui sont mis en valeur par changement de médium. Mon projet de maîtrise con-siste ainsi plutôt en une œuvre interactive modélisée et programmée sur un moteur de jeu vidéo. Ce médium m'a tout de même permis d'explorer mes questionnements habituels et probablement de les comprendre davantage. Je souligne cet aspect étant donné que toute ma relation à l'art a gravité autour du dessin, depuis toujours. Il me semble même que ce médium est la raison pour laquelle je suis un artiste.

Ces gribouillis que je faisais étant jeune sur mon bureau en classe et sur mes feuilles lignées m’ont toujours attiré. Dessiner a toujours été pour moi une façon d’exprimer et de partager quelque chose que j’aurais de la difficulté à verbaliser. J’avais à l’époque une façon de faire assez simple : je commençais à dessiner quelque chose puis, de fil en aiguille, le dessin se complexifiait jusqu’à ce que j’aie rempli ma feuille. Bien que, de toute évidence, la vision qu'on a de l'art et de la vie évolue au fil des années, des influences, des enseignements, il

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m’apparaît que le sens de ma pratique en art a pris racine très tôt dans ma vie. Dans ce texte, je décrirai ma vision de l’art sur une période assez étendue : il me semble important de placer ma pratique actuelle au cœur d'un cheminement qui combine passé, présent et futur. Tout au long de ce texte, j'essayerai d’établir certaines grandes lignes qui constituent les caractéristiques fondamentales de ma vision de l’art, tout en soulignant progressivement les caractéristiques marquantes qui continuent de structurer ma démarche jusqu'à présent. Ce texte d’accompagnement cherchera à répondre à trois questions principales qui, elles, se subdivisent en sous-sections qui seront mentionnées en temps et lieu. Ces trois questions sont les suivantes :

1. Quel est mon intérêt face à l’art? 2. Comment s’exprime cet intérêt ?

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1. Quel est mon intérêt face à l’art?

Je pose cette question en premier parce qu’elle me semble logique d’un point de vue chronologique. Cette question me permet de définir quelques balises autour des raisons pour lesquelles j’écris ce texte et autour de celles qui me poussent à poursuivre une démarche artistique. Je note par ailleurs que je pose une question qui est directement issue de ma subjectivité, plutôt que d’essayer de répondre à une question plus générale ou plus conceptuelle. Ma relation avec l’art a pris forme et se développe à partir de quelque chose de très intuitif. Je n’ai pas particulièrement réfléchi ou fait un choix conscient quant à cet intérêt pour l’art. Il me semble que la manière la plus directe pour atteindre une réflexion sincère sur ma démarche est de passer par cette question subjective. Plus spécifiquement encore, cette question est mon point de départ, parce que, du plus loin que je me rappelle, j’ai toujours eu un intérêt pour les arts visuels et plus particulièrement pour le dessin, un peu comme une condition préexistante à une réflexion critique. Dès que j’ai commencé à dessiner, une partie de moi a eu besoin de continuer à le faire. Il me semble donc indispensable que je tente d’analyser, de définir et de circonscrire cet intérêt ou ce besoin qui m’habite intuitivement afin de le mettre en relation avec les problématiques que mon travail soulève d’une manière plus consciente. Pour éviter de m’égarer, je commence chronologiquement et spécifiquement par ce qui constitue la pierre angulaire de ma relation à l’art : le dessin.

1.1 Le dessin

Quand je réfléchis à ce qui m’a amené à faire du dessin, j’en viens à la conclusion que ce n'est pas une seule chose, mais une accumulation de choses plus ou moins significatives.

Je pense que premièrement, une bonne part de mon attachement à ce médium spécifique provient du fait qu'il s'agit du premier mode d’expression visuelle auquel j’ai eu accès. Il est facile de trouver le matériel pour dessiner et je pense que j’ai spontanément aimé le côté immédiat de l’expression de mon imagination sur un papier. Ensuite, je me souviens avoir été rapidement fasciné par le potentiel de schématisation offert par le dessin. J’ai un souve-nir du moment où je me suis rendu compte que je pouvais simplement tracer une forme de « b » pour faire un nez au milieu du visage que je dessinais. J’associe ce raccourci gra-phique à une espèce de syntaxe, un peu comme si j’avais appris un nouveau mot. Cette

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schématisation a été pour moi la manière de m’améliorer en dessin. Je pense aussi main-tenant aux dessins réalisés par des illustrateurs de jeux vidéo qui m'impressionnaient quand j’avais 15 ans. Avec le recul, je pense que quelque chose de significatif se situait dans ma manière d’analyser ces dessins : plutôt que de remarquer les schémas de couleur, la com-position ou les autres qualités inhérentes au dessin en général, je m’attardais à certains détails ; je me demandais comment l’illustrateur/trice avait réfléchi pour dessiner tel ou tel autre détail. Le plus souvent, je ne comprenais réellement que lorsque je copiais mon dessin préféré du moment. Je me rappelle avoir compris en dessinant un bras que, par exemple, si je désirais faire croire à une impression de peau plutôt que de tissu, il fallait que j’apporte un soin particulier aux quelques touches plus claires provenant de la lumière ambiante ré-fléchie, plutôt que de simplement prendre en considération la source de lumière principale. Ces découvertes me stimulaient et me permettaient d’apprécier des détails que je n’avais pas remarqués dans la réalité.

Je pense qu’en ce qui me concerne, il y a dans l’action de dessiner une façon de com-prendre le monde. C’est un processus qui prend du temps et, pour arriver à créer une image intéressante, il me faut réfléchir à tous les traits, toutes les sections pour arriver à bien rendre l’effet recherché. Je prends en exemple un exercice classique : dessiner un verre d’eau. Il est évident qu’une concentration et du temps sont requis pour bien traduire les reflets, les ombres, la distorsion du reflet selon la courbe cylindrique du verre, l’indice de réfraction de l’eau, etc. L’analyse mentale de telle ou telle autre section ombragée du verre d’eau est relativement rapide, mais l’action mécanique de hachurer ces sections prend du temps. D’une certaine manière, le dessin rythme le flot des idées. Je pense que cette déconnexion entre l’observation rapide et la nécessité de continuer à analyser tout au long du processus mécanique et chronophage du dessin amène une compréhension plus profonde de l’objet dessiné. L’attention est contrainte tant que je n’aurai pas fini le dessin. Dans ce type d’exer-cice et en ce qui me concerne, plus que le sentiment positif lié à avoir accompli un dessin fidèle à la réalité, c’est l’analyse rationnelle que j’en retire qui m’intéresse. En addition à une intuition des phénomènes physiques qui sous-tendent les effets de réfraction, distorsion des formes, j’ai maintenant une compréhension intuitive de ce verre d’eau. Un peu à la manière de la définition d’un mot, je pense que je me sers du dessin comme d’une manière de définir quelque chose et pouvoir le manipuler intellectuellement. Comme si l’acte d’avoir pris le temps de décrire visuellement le plus fidèlement possible ce verre m’en offrait une version plus intuitive à comprendre.

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Je souligne cependant que si cet exemple est plutôt facile à décrire, la compréhension ma-térielle des choses n’est pas un aspect si crucial dans ma pratique artistique. Je pense que d’une certaine manière, ces exercices m’ont simplement permis de cerner ce qui m’intéres-sait du dessin. Quand j’observe mon processus de création à travers les années, je me rends compte que ce que j’essaye de comprendre, c’est ce qui m’entoure et ce qui m’affecte. Les phénomènes physiques en font parfois partie, mais davantage comme une trame de fond. Le cœur de mes dessins et ses thématiques récurrentes résident dans les relations personnelles et sociales. Naturellement, ces questions sont plus complexes à analyser : il ne s’agit pas de jeter un coup d’œil sur un objet concret et de le traduire en dessin. Il s’agit plutôt de suivre un fil d’intérêt intérieur qui me guide progressivement, de coup de crayon en coup de crayon, à un questionnement sincère qui m’habite.

D’une certaine manière, je pense qu’une part de mon intérêt viscéral et – il me semble – indomptable pour l’art se trouve dans cette quête de compréhension du monde. Cette re-cherche me semble alignée avec ma personnalité et il me semble qu’il s’agit d’un point fondateur. C’est autour de cette notion que pivotera l’analyse de la démarche que je pré-senterai dans ces pages.

Naturellement, je suis bien conscient que de nombreux appendices se greffent à cette re-cherche de compréhension : rere-cherche stylistique, formelle, volonté de partage, besoin d’ex-primer quelque chose, besoin d'activer mon imagination et ma créativité, pour n’en nommer que quelques-uns. Je considère néanmoins plus significatif dans ce texte de me concentrer plus spécifiquement sur cette question de la compréhension du monde dans ma pratique.

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2. Comment s’exprime cet intérêt ?

Il me semble que de décrire mon processus de création habituel sera une manière de faire apparaître quelques caractéristiques de ma démarche et de saisir comment cette quête de compréhension s’articule. Je développerai ensuite plus en détail certaines des caractéris-tiques qui apparaîtront en cours d'écriture. Premièrement, il convient de souligner que ma pratique entière depuis environ une quinzaine d’années est basée sur des médiums numé-riques. Dessins, animations, œuvres interactives, tous sont réalisés numériquement grâce à des logiciels de dessin comme Photoshop ou de modélisation comme Blender. La pre-mière chose à noter, c’est que ma manière de créer est incrémentielle : en général, lorsque je commence un dessin par exemple, je n’ai pas vraiment d’idée claire quant à la direction dans laquelle il s’engagera. J’ai simplement un espace de travail numérique complètement vide. Puis, je m’interroge quelques secondes sur un objet, un élément que j’ai vu, une situa-tion qui m’a interpellé et je commence à dessiner ce qui a capté mon intérêt. En général, j’ai l’impression de laisser la première impulsion à un hasard relatif. La première chose que je dessine est souvent banale : un ordinateur, une tasse de café, un personnage, un arbre, etc. Je pense que cette indécision volontaire provient de la nature du dessin : comme il s’agit d’un médium qui prend du temps, la réflexion peut s’effectuer en parallèle à l’élaboration des éléments du dessin. Chaque partie du dessin peut en générer une nouvelle; bien que j’aie une image mentale qui se forme quand je commence à dessiner un élément (person-nages, bâtiments, plantes, etc.), il se dégagera toujours quelque chose que je n’avais pas imaginé et qui guidera un peu le prochain élément. Le plus souvent, je vais ainsi produire une banque de ressources dessinées ou modélisées autour d’un thème que je peux ensuite réorganiser à ma guise dans une plus grande composition. D’ailleurs, une fois que j’ai une banque d’objets, de personnages, de bâtiments, de rues ou autres éléments qui pourront composer mon dessin, je commence à les placer dans un espace de travail numérique, séparés et organisés en différents calques. À cette étape, je travaille en parallèle sur deux fronts : d’une part, je place mes éléments de façon à créer une scène qui serait porteuse de sens pour moi et d’autre part, je crée un dessin qui me sera intéressant formellement. Ainsi, je m’attarde à travailler la composition, la narration, la couleur et les relations entre les ob-jets. La dernière étape d’un dessin habituel consistera à dessiner de nouveaux éléments qui agiront comme liant narratif ou comme ponctuation visuelle, de façon à structurer un peu plus le dessin conceptuellement et formellement. De façon très générale, je pourrais dire que cette manière de faire s’applique à mes dessins comme elle s’applique à l’ensemble de ma création.

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Évidemment, cette façon de fonctionner me semble provenir des possibilités inhérentes au médium numérique que j’utilise. Il serait particulièrement difficile de pouvoir organiser des banques d’objets disparates autour d’un thème puis de les réorganiser en les agrandissant, rapetissant, multipliant, bougeant et juxtaposant avec un médium qui ne serait pas numé-rique. Cette possibilité d’abstraire les éléments de leur contexte narratif me semble une qualité importante de mon travail, qualité qui structure souvent mes œuvres.

Ce dialogue entre l’œuvre et son médium est crucial tout au long de la réalisation du dessin. J’indiquais plus haut que le dessin était un exercice qui prend du temps : une partie de ce temps est consacré à réfléchir constamment aux qualités, aux possibilités inhérentes au médium que j’utilise et qui pourraient servir le dessin que je suis en train de faire. Je note que dans mon travail la possibilité d'effacer, recommencer et sentir un certain manque de contexte entre les éléments d’une même œuvre est une qualité qui m’intéresse beaucoup. Afin d’obtenir une sensation d'ambiguïté quant aux liens que les différents éléments peuvent entretenir entre eux, j’applique le plus souvent un fond uni sur lequel je place pratiquement au hasard des personnages, des objets, des maisons et des événements sans trop réfléchir aux relations qui s'établissent entre eux. Tout ceci étant à l’intérieur d’une même composition, cela force, d'une certaine façon, un dialogue. Étant donné la nature figurative des éléments que je dessine, il se produit rapidement une accumulation absurde d’interprétation narrative. Cette accumulation est souvent sous-tendue par la thématique plus large qui guide la composition. Par exemple, dans l’œuvre intitulée Le barbecue (figure 1)., j'ai commencé avec un fond vert, sur lequel j'ai progressivement ajouté plusieurs personnages et objets. Étant donné la texture un peu différente du fond et des différents éléments dessinés, il y a comme une sensation de flottement : tous les objets semblent simplement déposés sur une surface générique. Cette sensation est exacerbée par les échelles plus ou moins concordantes des personnages, par leurs activités respectives qui ne suivent pas un fil narratif clair ou linéaire et par les objets qui sont dessinés en suivant des perspectives contradictoires.

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Figure 1.1Le barbecue, dessin numérique, 24x36 pouces, 2014.

Sous-jacente à cela est la stylistique simple et colorée que j’utilise, empruntant fortement à la stylistique illustrative et éditoriale. Cette complexité formelle mélangée à une réflexion sur le médium en soi, puis traduite dans un style simple et coloré, vient créer une contradiction. Concrètement, je pense que mon dessin se présente comme très attirant à première vue, lorsqu'abordé de plus loin, étant donné l’apparente maîtrise technique et les qualités esthé-tiques évidentes. En s’approchant, le spectateur se rend compte que stylistiquement, les éléments sont parfois trop simples, parfois mal dessinés, dissonants ou schématisés d’une façon arbitraire. Aussi, au contraire de ce à quoi l’on peut s’attendre d’une palette de couleur acidulée, mes dessins portent une très grande variété de sujets sérieux - voire même graves - et moins sérieux. Cette lecture en deux temps me semble servir mon intention initiale : ma volonté de comprendre le monde, les relations, la société et le reste.

À ce sujet, bien que l’origine de mon intérêt pour les arts semble être un sentiment général de réflexion et de compréhension qui transite par l’action de dessiner, il n’en est pas moins que cette soif de compréhension cible des thématiques souvent précises et récurrentes.

1Les illustrations qui accompagnent ce texte sont évidemment beaucoup plus petites que les œuvres originales ce qui rend

très difficile, pour le lecteur, de percevoir la complexité des liens qui se tissent entre les détails du dessin. Ce jeu d’échelle est un élément important de l’expérience du spectateur.

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Comme mentionné précédemment, j’observe que mes sujets de prédilection sont sociaux. Que ce soit les relations personnelles, la politique, l’environnement, la culture ou autre, ces questions sociales sont pour moi fascinantes. Je pense que d’une certaine manière, ce qui est particulièrement fécond, c’est que mes choix de vie les plus importants découlent de la compréhension évidemment incomplète et imparfaite que je me construis de ces diverses thématiques.

Il y a quelque chose comme un fantasme d'une compréhension objective des choses quand j'essaye d'analyser ma volonté de comprendre ces diverses thématiques sociales. Il est évident qu'une telle objectivité est impossible : mes biais internes, les biais des sources d'informations et la simple quantité de données nécessaires rendent cette possibilité inat-teignable. Cela étant, et c'est ce qui m'étonne, l'idée de l'objectivité existe et me fascine. J'ai dans mon esprit un concept très clair qui décrit l'objectivité, sans pour autant que je n’en aie jamais vu la moindre ombre concrète. Je compare cette connaissance au concept de l'infini en mathématiques. Il est extrêmement facile de décrire en trois mots ce qu'est l'infini ma-thématique : c'est un ensemble sans fin. Par exemple, il y a une infinité de nombres réels : on peut toujours ajouter des nombres à la suite. La problématique de ce concept apparaît lorsqu'on essaye de s'y rendre. L'infini n'apparaît pas à force d'ajouter des nombres, c'est plutôt un concept englobant ou parallèle. Il me semble que la même chose apparaît quand j'essaye de comprendre le monde : j'ai un amalgame de réflexions, d'observations, de res-sentis qui forment ma compréhension intuitive des choses, mais plutôt que de me rappro-cher d'une compréhension plus globale, j'ai davantage l'impression que ce catalogue d'anecdotes est si vaste, contradictoire et complexe qu'il ne met en valeur que son incom-plétude.

Ce sentiment de ne pas comprendre le monde qui m'entoure et particulièrement toutes les sphères qui me touchent personnellement me mystifie. Comment cela se fait-il qu'il y ait une telle variété d’opinions, d'options, qui changent, deviennent caduques ou deviennent de nouvelles normes. Prenons un exemple concret : l’égalité des hommes et des femmes en société semble pour moi une vérité béante, autoévidente et pourtant, il semble très probable que si je vais cogner parmi les 80 autres locataires de mon immeuble, je rencontrerai quel-qu'un qui soutiendra le contraire avec une certitude aussi solide que la mienne.

Cette pluralité d'opinions paradoxales me fascine particulièrement lorsqu'elles gravitent autour de thématiques sociales ; j'imagine que c’est parce que ce sont précisément ces thématiques qui me touchent le plus émotionnellement. Depuis quelques années, il est

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d'ailleurs devenu extrêmement facile d'observer ces divers îlots de pensées contradictoires avec l'omniprésence des réseaux sociaux et des algorithmes de regroupement proposés par toutes les nouvelles technologies. Bien qu’une certaine forme de pluralité de pensée ait vraisemblablement toujours existé, elle semble mise en exergue et analysée comme jamais. Même les médias traditionnels qui représentent en théorie notre meilleure source d'information objective présentent de plus en plus des points de vue diamétralement opposés en fonction de leurs idéologies politiques.

Figure 2. La fabrique de hamburger, GIF animé, 2015

Pour arriver à cerner ces questions vagues et sans réelle réponse, j’ai l’impression que j’adopte une posture descriptive avant tout. C’est la raison pour laquelle je commence par dessiner un petit personnage qui, individuellement, fait une action anodine comme tourner une boulette de hamburger (figure 2). Puis j’en dessine un autre qui s’occupera de faire griller le pain, pendant qu’une troisième s’occupe à entrer des données comptables sur un ordinateur. Une série d’actions, de problèmes et de solutions regroupés comme un amal-game de moments, côte à côte dans un même dessin. Je reconnais dans cette accumulation

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arbitraire les vies séparées de mes 80 autres locataires, de l’américain qui écoute Fox News et du québécois qui écoute Radio-Canada. Tous ont des manières certainement très diffé-rentes de vivre leur vie, engageant la société dans des avenues contradictoires et portant des valeurs différentes. Et pourtant, nous vivons littéralement à quelques mètres de distance sans jamais réellement s’influencer directement. C’est pourquoi la comédie côtoie constam-ment la mélancolie dans mes dessins : bien que contrastés, ces deux pôles d’émotions semblent se côtoyer d’une manière improbable et constante.

Pour boucler la boucle de cette description, je décortique un exemple concret (figure 3). qui met en relief ma relation aux thématiques qui surgissent de mon travail. En 2016, je suis allé m’inscrire au gym, avec la volonté d’entretenir ma forme physique et ma santé. Au comptoir, la personne qui m’accueillait m’a indiqué qu’à titre de nouveau client, j’aurais droit à un cadeau : un choix entre dix boissons protéinées ou deux séances de bronzage. Évidemment, la proposition de bronzage m’a fait sourire étant donné que mon intention derrière ma présence au gym était axée sur une amélioration de ma santé, et non une détérioration. Quelques semaines plus tard, au moment de devoir concevoir un nouveau dessin, j’ai repensé à cette anecdote et j’ai eu envie de dessiner une machine d’exercice. Puis, il fallait un personnage l’utilisant, puis une autre machine pour avoir un contexte, puis un autre personnage utilisant cette deuxième machine, etc. Au fur et à mesure de l’élaboration de cette banque d’objets gravitant autour du sport, je me disais que la thématique sportive semblait porter les qualités que je recherche dans mes dessins : elle me permet de réfléchir sur une question complexe et ambiguë. D’un côté, il est évident que l’activité physique est bénéfique à titre personnel et semble être une source d’inspiration, de dépassement de soi ; mais de l’autre, plusieurs problèmes découlent de cette activité : la pression sur l’apparence, le phénomène de consommation et d’identification sociale superficielle, notamment. C’est cette réflexion forcée par le temps que requiert un dessin qui semble être au cœur de ma motivation à continuer à dessiner.

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3. Quelle est ma posture face à cet intérêt ?

Étant donné ma manière intuitive et ancrée dans un cheminement pratique plutôt qu’intel-lectuel, il me semble important de prendre un pas en arrière et de tenter de guider cette intuition de manière à mettre en valeur son potentiel. D’une certaine façon, on pourrait dire que c’est la raison qui m’amène à faire une maîtrise en art. Simplement pour tenter de nourrir l’exercice de compréhension du monde que représente pour moi le dessin, par une com-préhension plus grande de cet exercice. Je remarque qu’il est fondamental pour moi d’an-crer ma pratique artistique dans un médium plutôt que de partir d’une idée et tenter de réa-liser cette idée. J’ai besoin de quelque chose qui me permettra de travailler de façon mé-thodique sur une période de temps tout en ajoutant progressivement à cette accumulation de petites idées. Cette nécessité d’être en phase avec un médium se traduit dans ma ma-nière de réfléchir au moment de dessiner : j’essaye généralement d’être le plus direct pos-sible. Au moment de dessiner, je ne me pose pas vraiment la question de savoir si l’élément que je viens de faire apparaître est utile, intéressant, pertinent. J’ai tendance à travailler sur un même projet en sachant que ce n’est qu’à un certain moment, après avoir accumulé suffisamment de temps que j’aurai réussi ou échoué à mettre en valeur l’idée qui a été appelée par les différentes étapes de création.

Je souligne par ailleurs que cette manière d’aborder un projet n’est pas particulièrement incline à changer. Je mentionnais plus tôt que je n’avais pas l’impression d’avoir choisi mon intérêt pour l’art. De la même manière, je n’ai pas l’impression de choisir la manière que j’ai de dessiner, m’ai j’ai plutôt l’impression de la découvrir. À chaque fois que j’essaye d’infléchir ce mode de création incrémentiel, afin de tester de nouvelles manières, peut-être meilleures, de comprendre le monde, je ressens un sentiment d’insatisfaction. C’est pourquoi je tente plutôt de changer de médium, élément plus flexible dans ma relation à l’art. Ce médium changeant orientera de beaucoup le résultat de la création, même si le processus intellectuel reste à peu près inchangé. C’est pourquoi durant les dernières années, j’ai commencé à travailler encore plus spécifiquement avec l’espace numérique via la modélisation 3D. Ce type de travail a ouvert toutes sortes de possibilités quant à ma relation à mon travail. En effet, les possibilités offertes par le dessin numérique sont liées au dessin classique, par opposition à la modélisation qui se sert d’algorithmes mathématiques pour générer des formes tridimensionnelles. Dans beaucoup de cas, ces algorithmes sont liés à une description de phénomènes physiques. Pour l’anecdote, la première chose que j’ai modélisée fut un verre d’eau et j’étais littéralement émerveillé de voir que les qualités que

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j’avais intégrées à force de faire des exercices de dessin d’observation étaient si bien schématisées par des formules et des algorithmes. Non seulement je pouvais m’approprier une compréhension intuitive des phénomènes de réfraction, distorsion, etc., mais en plus je pouvais facilement changer quelques paramètres pour que la réfraction soit intensifiée ou diminuée et voir l’effet en temps réel. Plutôt que de m’attarder à une compréhension des phénomènes physiques, je peux simplement m’amuser à jouer avec les relations narratives et les qualités formelles d’un dessin, qui m’intéressent davantage. Fidèle à ma manière de travailler par gradation, j’ai travaillé avec la modélisation 3D pendant quelques années en restant attaché à l’idée que le produit final serait une œuvre relativement fixe et en deux dimensions d’une manière ou d’une autre. Soit imprimée, soit hébergée sur le web, mais que le résultat s’apparenterait à une œuvre bidimensionnelle traditionnelle.

Figure 4. Météores, dessin numérique, 42x60 pouces, 2016.

Il y a quelque chose comme des histoires virtuelles dans mes dessins. Je n'essaye pas vraiment de guider le spectateur vers une lecture linéaire de mon œuvre afin qu’il com-prenne quelque chose de précis. Je mets plutôt en place diverses pistes, diverses sections qui peuvent s'activer si le spectateur le décide et qui, oui, vont peut-être dans un certain sens, mais sans nécessairement mener vers une réponse unique. Il faut plutôt que le spec-tateur s'implique lui-même et se commette à décider ce qu'il pense que le dessin tente de raconter (figure 4).

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C'est ainsi que j'ai décidé de remettre en question les rôles que je m'attribuais, que j'attri-buais au spectateur et que j'attrij'attri-buais à l’œuvre. J’ai commencé à travailler sur un projet en ajoutant une composante réellement « interactive ». Au lieu de placer le spectateur dans un rôle qui me semble clair et fixe, je lui donne un certain contrôle de l’œuvre pour que ses décisions aient un impact visible sur l’œuvre. J'utilise la terminologie « interactive » à défaut d'un un vocabulaire plus précis. Il est évident qu'un spectateur est toujours en interaction jusqu'à un certain point, peu importe le type d’œuvre. Il faut comprendre le mot interactivité tel qu'utilisé dans un contexte de jeu vidéo par exemple, où l'action du spectateur est né-cessaire pour activer ou dévoiler certaines parties de l’œuvre. Je prends le temps de mon-trer cette différence parce que c'est ce qui m'a marqué lors de la conceptualisation de l’œuvre. J'ai réalisé que ma compréhension de la réception d'une œuvre repose sur une convention partagée par les diverses institutions artistiques : la bonne manière de profiter d'un dessin sera de le regarder en entièreté et de le prendre comme un tout. Il y a bien sûr des possibilités ou des histoires virtuelles qui nécessitent l'activité du spectateur pour exister et mes dessins sont extrêmement dépendants de cette collaboration. Cela étant, comme le dessin est un médium très commun, je ne questionne pas réellement la relation du specta-teur à mes œuvres. Ce qui est intéressant avec une œuvre interactive, c’est que la relation que le spectateur doit avoir avec l’œuvre n’est pas clairement préétablie. Si j’offre la possi-bilité au spectateur de bouger à l’intérieur d’un environnement numérique et que ma ré-flexion autour de mon projet est basée sur le mouvement du spectateur, mais que ce dernier décide plutôt de simplement rester sur place sans bouger, parce que c’est ce qui l’intéressait sur le moment, est-ce que mon projet fonctionne toujours? Que se passe-t-il quand les in-teractions que j’ai imaginées ne sont pas activées? Je ne me pose jamais la question quand je fais un dessin, parce qu’il est accepté que le rôle du spectateur soit de le regarder. Mais à l’instant où le rôle du spectateur n’est pas prédéfini, ma façon de réfléchir à une œuvre change. Cette facette de la relation à la création est intéressante dans la mesure où le con-trôle que j’ai sur la lecture de mon œuvre diffère et m’amène à réfléchir autrement à mon travail.

Le projet sur lequel je travaille présentement en est un basé sur la génération procédurale. C’est un type de création de contenu numérique automatisé et basé sur des algorithmes paramétrables. L'idée est de créer une banque de ressources modulaires qui peuvent être assemblées de diverses manières et qui seront ensuite soumises à diverses conditions. Un cas classique est la création d'une forêt dans un jeu vidéo. Typiquement, quelques dizaines de modèles d'arbres, plantes, roches sont créés par une équipe de modélisation. Une fois ces éléments créés, diverses règles sont écrites pour générer une forêt crédible. Par

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exemple, à chaque instanciation2 d'un modèle d'arbre, sa taille sera soumise à une

multipli-cation par un facteur aléatoire entre 0.5 à 2. Cela permettra d'avoir des arbres ayant une taille variable : lorsque la taille est multipliée par 0.5, l'instance de l'arbre sera deux fois plus petite que le gabarit et lorsque multipliée par 2, elle sera deux fois plus grande. Ce mode de création est particulièrement utilisé dans les jeux vidéo pour créer des environnements im-menses sans avoir à placer individuellement chacun des éléments. Minecraft est probable-ment l’exemple le plus connu et simplifié de cette génération : à partir de quelques con-traintes, il est possible de générer un monde immense relativement logique avec des envi-ronnements et des particularités uniques. L’idée étant de créer de multiples paramètres suf-fisamment contraignants pour garder un contrôle sur la génération de contenu, mais aussi suffisamment ouverts pour donner une impression de différence entre les éléments générés. Dans mon cas, mon projet est basé sur un générateur de bureaux. Exactement à la manière de mes dessins, je commence en produisant une série de modèles 3D pouvant être utilisés et réutilisés par la suite. Toute la panoplie d’objets typiquement présents dans un bureau y passe : écran d’ordinateur, chaise, tasse de café, cloison, dossier, toilettes, etc. Étant donné que ma pratique en général fonctionne grâce à l’accumulation d’objets, il est important que j’aie une grande diversité d’objets pour donner une impression d’encombrement. Puis, je prépare tous ces modèles afin qu’ils puissent être facilement paramétrables aléatoirement. Les paramètres en question seront la couleur de l’élément, sa position dans l’espace, sa rotation dans l’espace, le nombre d’éléments du même type qui sera instancié et le modèle utilisé pour visualiser l’élément (figure 5).

Figure 5. Trois exemples de cubicules générés procéduralement. Les mêmes éléments sont présents dans les trois instances, mais certaines propriétés sont différentes.

2 « En programmation orientée objet, une instance d’une classe est un objet avec un comportement correspondant à cette

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Le but ultime de ce projet est de générer un espace de travail contenant une dizaine de cubicules, un espace de cuisine, une petite cafétéria, des toilettes et un espace de range-ment. Ce qui est intéressant, c’est que, une fois que j’ai réglé tous les paramètres à partir desquels le bureau peut apparaître, à chaque fois que je commande au moteur numérique de générer un bureau, il est différent du précédent et tous ses paramètres sont choisis aléa-toirement. Le cœur du projet découle de là : il y a bel et bien une nouvelle génération de contenu, mais en même temps, étant donné que les paramètres de génération sont relati-vement restreints, il reste que les bureaux sont tous composés des quelques cent mêmes éléments, avec simplement des valeurs de variables différentes pour les différents para-mètres.

C’est ainsi que j’ouvre mon œuvre à l’interaction. L’œuvre propose au visiteur un premier espace de travail. Situé au milieu de nulle part, ce bureau est habité par des travailleurs et des objets typiques du travail de bureau. Le visiteur est libre d’errer à sa guise à l’intérieur de cette salle. Il est possible d’interagir avec les objets et de marcher à l’intérieur de la salle. L’important étant qu’éventuellement, si le spectateur décide de poursuivre sa route vers la sortie du bureau, cela déclenche un événement qui génère une prolongation de la salle. Un tout nouveau bureau, différent du premier de par la position des éléments, leurs couleurs, leurs rotations, habité lui aussi par des travailleurs. Le spectateur peut ainsi poursuivre son chemin dans cette seconde zone et peut-être réexplorer certaines zones avec des particu-larités plus marquées que d'autres. À l’instar d’un tapis roulant, à chaque fois que le spec-tateur se rapproche du bord de la salle, un nouveau bureau est instancié, à répétition, sans arrêt ; l’idée étant bien sûr de montrer au visiteur que son exploration pourra se prolonger autant qu’il le souhaite. La question que je trouve intéressante et qui m’apparaît à ce mo-ment est alors : quel est l’intérêt de poursuivre cette exploration? Il n’y a pas d’intention derrière le nouveau bureau créé, il s’agit simplement d’une suite de décisions arbitraires basées sur des valeurs maximales et minimales et qui se produiront constamment, sans interruption. Le sentiment d’absurdité qui naît de cette répétition me semble intéressant parce qu'il est inconfortable. J'ai l'impression que c'est de cet inconfort que naissent mes questionnements les plus pertinents sur le sens de la vie. Je place volontairement des ca-ractéristiques contradictoires ensemble parce que ces caca-ractéristiques me questionnent ré-ellement. D’autant plus que l’œuvre est ancrée dans le domaine du travail, qui est réellement répétitif.

Pour ce projet, je réactive le mode de fonctionnement de mes dessins. Le monde créé est soigné esthétiquement et je me soucie de créer un environnement volontairement fondé sur

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les codes rassurants du jeu vidéo. Pour ce faire, j’utilise des types d’ombrages doux, des effets de lumière et des effets de post-traitement, de même qu’un cycle jour/nuit mettant en valeur les reliefs et une palette de couleur riche et acidulée. C’est à l’intérieur de cet envi-ronnement attirant que je place un mécanisme reposant sur l’absurdité. Ce dialogue entre deux idées éloignées me semble porter le propos de l’œuvre dans une voie plus subtile qu’un simple commentaire cynique sur l’absurdité ou au contraire une œuvre purement ba-sée sur une volonté esthétique. D’une certaine manière, le cynisme du mécanisme de ré-pétition du bureau est contrebalancé par l’environnement charmant dans lequel il est placé (figure 6).

À ce stade-ci, il me semble intéressant de creuser un peu plus les diverses thématiques récurrentes qui apparaissent en filigrane dans mes descriptions de projet. Je me référerai régulièrement à cette dernière œuvre pour faire ressortir des caractéristiques significatives de mon travail.

Figure 6. À chaque fois que le spectateur approche du bord de la pièce, une nouvelle pièce est générée automatiquement.

3.1 Ma vie quotidienne

La première thématique que j’aborde est l’impact qu’a ma vie réelle, normale, quotidienne sur mon travail. C’est certainement l’influence la plus importante pour mon travail parmi les thématiques que j’aborderai. Le projet Promenade, notamment, tire son origine de ma rela-tion à mon travail. La plus grande part de mon travail artistique repose sur ma présence sur une chaise à roulettes devant mon ordinateur. Je trouve parfois déroutant que je sois si

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continuellement intéressé par cette pratique de création répétitive, solitaire et lente. J’aime réellement dessiner, coder, analyser et tenter de trouver des idées à mettre en valeur via des projets artistiques. Je ne peux même pas théoriser sur l’origine de cet intérêt qui re-monte à mes plus vieux souvenirs, simplement remarquer que jour après jour, année après année, je suis toujours attiré par ce bureau de travail qui me permet d’exprimer ma créativité. J’écrivais au début de ce texte que je n’avais pas l’impression d’avoir particulièrement fait un choix dans ma carrière artistique. Je trouve en réalité illogique et contre-intuitif que mal-gré le libre arbitre qui me permettrait de faire des choix différents chaque jour, je trouve plus satisfaisant de constamment décider de m’asseoir devant un ordinateur pour travailler. Dans cette œuvre, j’ai volontairement choisi de représenter le travail par une représentation plus générique, probablement clichée et habituelle, dans une intention d’élargir un peu mon pro-pos qui met en doute le sens du travail. Cela dit, l’anecdote sous-jacente à ce projet est que j’ai réalisé ce projet en résidence, loin de toute autre influence que celle de mon propre travail. Je me réveillais le matin pour travailler sur mon projet, sans réelle interruption jusqu’au soir. Pendant les premières semaines, je n’avais pas vraiment d’idée de ce sur quoi mon projet allait porter. J’ai simplement commencé mon projet comme je commence tous mes projets : en créant les premiers éléments qui me venaient en tête. Dans ce cas-ci, ce fut un bureau d’ordinateur. J’ai donc passé plusieurs jours à faire un inventaire d’objets présents sur un bureau d’ordinateur. Très logiquement, à la suite de ce bureau, je me suis dit qu’une petite cafétéria serait de mise, puis une salle de bain, puis un espace de range-ment. Ce n’est que dans les dernières semaines de résidence que l’idée s’est cristallisée autour d’une manière d’articuler cet inventaire et que cette articulation s’est transformée en une œuvre basée sur la génération procédurale.

Ce qui me semble significatif dans cette anecdote est que ma pratique artistique et mon travail gravitent autour d’un bureau : un bureau pour organiser des codes, modéliser des objets ou pour dessiner. La plupart de mes journées de travail se passent devant un écran, assis les doigts tapant frénétiquement sur un clavier ou gribouillant sur un écran numérique. Le projet fonctionne parce que le spectateur, lorsqu’il expérimente l’œuvre, est prisonnier de ce monde perpétuel, s’enfonçant toujours vers plus de travail.

Je pars de ce projet pour évoquer l’importance de cette relation au quotidien, fondamentale dans ma pratique, mais j’aurais pu partir de n’importe quelle de mes œuvres : il y a souvent une traduction déformée, médiatisée, de quelque chose de ma vie réelle qui devient la pierre angulaire d’une œuvre spécifique.

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D’une certaine manière, je pense que ce projet a pour origine mon principal moteur de création : la compréhension du monde, du monde du travail plus spécifiquement. Je pense que ce projet présente mes propres questionnements sur le sens du travail. Comme je l’écrivais plus haut, il est invraisemblable que malgré le libre arbitre dont je dispose et l’immensité des choix qui découlent de ce libre arbitre, je m'astreigne à suivre un choix spécifique, soit celui de cheminer en tant qu’artiste. D’une part, il me semble incroyable que malgré l’éventail immense de possibilités offertes par la vie, je n’en choisisse qu’une, que je répète inlassablement, jusqu’à ce que ça ne fasse plus de sens. D’autre part, il est d’autant plus incroyable que je m’en satisfasse.

3.2 L’infini

Cette idée de répétition ad nauseam, de cycle perpétuel, me fait glisser vers une seconde notion particulièrement féconde pour moi et importante dans mon travail : l’infini. Simple-ment pour mettre en contexte, je base une partie non négligeable de ma compréhension du monde sur le fait que tout ce que nous connaissons et partageons - les mathématique, l'art, la physique, la Terre, les humains, les concepts et les idées - est suspendu à l'existence d'une boule de magma à peine refroidie lancée dans un vide intersidéral qui s’étend peut-être à l’infini. Il s’agit pour moi d’une notion fondamentale pour aborder la vie. Le fait que notre planète n’en soit qu’une parmi des milliards est un fait essentiel pour mettre en pers-pective le sens que l’on peut donner à sa propre vie et par corollaire, à l’art qui peut s’y produire. Ma vision du monde est ainsi partagée par deux savoirs apparemment irréconci-liables. D’une part, le simple fait de mettre la Terre en comparaison avec son environnement diminue, voire annule son importance relative. Non seulement cela, mais de plus, cet envi-ronnement, l’univers, semble programmé à s’écrouler dans quelques milliards d’années sous le poids de sa propre expansion, en ne laissant aucune trace de ce qui aura pu exister durant son existence. Cette idée d’oblitération totale, même incroyablement lointaine, est particulière pour moi. Je trouve curieux de croire qu’ultimement il semble très probable que tout l’impact que j’aurai eu sera annulé, tout simplement parce que l’énergie contenue dans l’univers sera trop diluée. Ce constat me porte à croire que la compréhension de ma place dans le monde ne sera jamais à ma portée. Les paramètres sont simplement trop nombreux et irréconciliables avec mes préconceptions sur le sens pour qu’une synthèse soit envisa-geable. D’une certaine manière, cette constatation semble un échec. Après tout, à quoi bon essayer quoi que ce soit si ultimement et en comparaison à l’infini, l’existence de la Terre n’est pas signifiante et que tout sera réduit à néant de toute façon ?

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Cela dit, c’est à ce moment que le second savoir entre en jeu. À mon avis, cette impossibilité de compréhension du monde est le début d’une réalisation presque magique : malgré cette inéluctable absence de réponse, je n’en ressens pas moins un émerveillement profond et sincère devant les possibilités offertes par cette ouverture, une fantastique question sans réponse lancée dans l’immensité de l’univers. Le fait de ne pas atteindre une fin, une con-clusion, n’érode en rien ma volonté de comprendre. Au contraire, j’en tire une grande source de réconfort : la cohabitation de la multiplicité des sens valide l’unicité du sens que je donne à ma vie et à mon travail. À ce titre, je pense qu’il est clair que mon intérêt pour les scènes absurdes portées par un environnement coloré et joyeux est directement influencé par cette relation au monde : malgré l’apparente absurdité du monde, il est magnifique.

Pour recadrer plus spécifiquement sur la thématique de l’infini dans mon travail, il faut com-prendre que cette notion surgit de plusieurs manières, entre autres parce que cette théma-tique met en relief mon désir de sens.

Dans sa Bibliothèque de Babel, Borges (1944) décrit une bibliothèque contenant l’intégralité des écrits du monde. En décrivant méthodiquement les configurations nécessaires à l’ob-tention d’une telle bibliothèque, Borges explique qu’il faudrait un nombre immense de livres pour arriver à cette totalité des écrits, mais qu’en paramétrant certaines variables clés cor-rectement, notamment en fixant chacun des livres à un nombre de pages fixe – 410 pages par livres – , en fixant le nombre de lignes par page – 40 lignes par page – , en fixant le nombre de symboles alphabétiques par ligne – 80 symboles par ligne – et en fixant le nombre de symboles alphabétiques utilisables – 25 symboles –, il est toutefois possible d’épuiser la totalité des possibilités différentes de combinaisons de lettres, lignes et pages en 291 312 000livres. Naturellement, la plupart de ces livres ne font aucun sens et ne sont

qu’une succession de lettres et d’espaces sans queue ni tête. Le personnage de cette courte nouvelle explique ensuite que rarement, très rarement, les bibliothécaires tombent sur un livre contenant des particularités exceptionnelles : quelques mots complets, un livre ne con-tenant qu’une seule lettre répétée ou un livre qui semble être écrit dans une langue réelle, mais inconnue. Borges souligne que ces livres spéciaux ont une aura particulière : à travers le magma d’incohérence, voici quelques bribes de sens, comme si un message était placé à l’intention du lecteur. Cette nouvelle est pour moi une belle métaphore de plusieurs choses, mais je peux entre autre y trouver une corrélation avec notre planète Terre suspen-due au milieu d’un univers aléatoire.

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Il est intéressant pour moi de constater que l’exercice de pensée soumis par Borges est facilement réalisable sur un médium numérique. Il suffit de coder un générateur de contenu aléatoire et nous pouvons faire une recherche à l’intérieur de cette bibliothèque totale : tous les écrits y sont, y compris l’intégralité de ce paragraphe 3. Cette bibliothèque numérique

révèle entre autre deux qualités du médium numérique : la possibilité de générer des es-paces de création pratiquement illimités et la difficulté d’accéder à ces eses-paces. En effet, bien qu’il soit relativement facile de générer des contenus à très grande échelle, cet exercice semble vide de sens étant donné le temps requis pour archiver, classer et organiser les contenus de façon à pouvoir accéder à l’information utile rapidement. La génération procé-durale laissée au hasard a le mérite d’être incroyablement performante, mais l’importance du contenu est liée au sens qu’on peut en tirer. Mon projet Promenade est basé sur cette contradiction. Bien qu’il soit possible de déambuler à travers une série infinie de bureaux toujours différents, cet exercice n’est pas particulièrement motivant étant donné que les va-riations n’ont généralement pas suffisamment de différence organisée pour générer un sens qui dépasserait la simple illustration d’une génération aléatoire.

À ce titre, cette notion de création générative est ainsi intéressante d’un point de vue narratif. Dans mon travail en général et particulièrement dans mon travail de dessin, mon style étant illustratif et représentatif, je pense qu’il se dégage nécessairement une certaine narration. Il ne s’agit jamais d’une narration linéaire, plutôt des îlots narratifs interreliés. Dans le cas de

Promenade, d’une certaine manière, ce sont les limites imposées par le médium numérique

à cette infinité qui m’apparaissent comme étant les plus intéressantes à mettre en valeur via cette narration. En effet, je ne cherche pas à tromper le spectateur en lui faisant croire à un parcours changeant, porté par une vision narrative. Je souligne au contraire que le parcours proposé qui se poursuit ad vitam æternam est le fruit d’une série de décisions prises arbitrairement. Ce faisant, le parcours narratif linéaire qui semble initialement proposé est rapidement court-circuité : ce qui est en jeu n’est pas un sentiment d’évolution ou de gradation, mais plutôt une réflexion sur la répétition et le sens des choses.

3.3 L’accumulation

Beaucoup de mes œuvres reposent sur une accumulation importante d’objets. Comme je le mentionnais plus tôt, ce que j’apprécie du dessin, c’est le fait qu’il s’agit d’un processus

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qui prend nécessairement du temps. Il oblige un moment de réflexion étalé sur une période donnée. Pour moi, cette notion de temps est très importante. Je remarque que mon appré-ciation du médium n’est pas particulièrement basée sur mon intérêt à appliquer et maîtriser diverses techniques de dessin. Cette appréciation tire plutôt son origine des possibilités de schématisation du dessin. J’éprouve énormément de satisfaction à décortiquer un objet et le traduire en deux dimensions à travers un schéma de couleurs, de lignes, de surfaces. C’est cet événement qui me stimule plus spécifiquement. Je ne suis pas particulièrement attiré par le fait de prendre le temps de détailler très longtemps un même objet. Générale-ment, j’apprécie simplement le fait de le schématiser sommaireGénérale-ment, puis mon intérêt com-mence à s’amenuiser. C’est cette réflexion sur mon appréciation du dessin qui m’a progres-sivement fait constater qu’une façon de mettre à profit ma manière de dessiner serait d’étirer le moment du dessin non pas en tentant d’être techniquement meilleur, en détaillant ombre et lumière, en affinant ma dextérité fine ou mon sens de l’observation, mais plutôt en ajou-tant constamment de nouveaux éléments au dessin, toujours en les dessinant de manière relativement simple. Il en résulte ainsi une plus grande quantité d’objets dessinés, au détri-ment d’une éventuelle qualité technique des objets. Ce qui me semble intéressant dans cette manière de faire, c’est qu’elle est issue d’une réflexion personnelle et intérieure sur ma manière de voir le dessin. Cela se traduit étrangement par un type de dessin qui corres-pond à ma manière de comprendre le monde : une multitude de bribes d’histoires qui sont toutes partielles, parfois superficielles, toujours schématisées, mais qui, étant donné leur nombre procurent toute de même un sentiment de complexité difficile à déchiffrer.

Ensuite et de façon plus générale, la thématique de l’accumulation me semble cohérente avec ma relation au monde. Comme mentionné un peu plus haut, j’ai l’habitude d’ancrer mes dessins dans une relation à ma vie quotidienne. Une part de mon intention en produisant des inventaires d’objets est finalement de proposer une traduction littérale de ce que je veux représenter : un bureau, une pièce de maison, une rue sont des objets contenants eux-mêmes énormément d’objets. Une chose à noter, c’est que cette idée d’accumulation reste relative : malgré mon intention de remplir mon dessin d’objets divers et l’amoncellement qui s’y trouve réellement au final, je ne touche jamais qu’à un très petit pourcentage du véritable encombrement d'objets présent dans un bureau, une pièce ou une ville. Je choisis donc de schématiser les objets qui me semblent personnellement les plus représentatifs de l’idée d’une pièce, de l’idée d’une ville, etc., en laissant de côté une énorme part de l’encombrement réel de ces environnements. Cette manière de classifier les ordres

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d’objets repose sur la définition de la granularité4 d’un système. Lors de la construction de

mes œuvres, j’évolue constamment entre différents niveaux de granularité et c’est particulièrement apparent dans le projet Promenade.

La génération procédurale est en effet basée sur la superposition de sous-routines. Concrètement, je commence par créer tous les éléments d’un bureau d’ordinateur : sur le bureau se trouvent un écran, un tapis de souris, un clavier, un classeur à dossier, des dossiers, un téléphone et des papiers. Afin de contextualiser ce bureau, j’ajoute quelques éléments clés autour comme une corbeille, un bac de recyclage et des cloisons. Une fois regroupés et organisés, ces objets, qui sont la granularité du système au premier niveau hiérarchique, formeront un cubicule. Des variables sont ensuite appliquées à chacun de ces éléments de façon à ce que différents paramètres soient appliqués en temps réel pour donner une personnalité unique à chaque instanciation de cubicule. Je fais de même pour les différents éléments de base qui agiront comme plus petits éléments au sein de la plus basse sous-routine - boîte de céréales, boîte de conserve, assiette, chaise, papier de toilette, savon, etc. Une fois ces éléments instanciés, je les place en relation avec une plus grande sous-routine : la section bureau, la section de rangement, la section de toilettes, la section de réunion et la section de cafétéria. À ces diverses sections, j’applique aussi des variables de façon à ce que chaque section soit différente de la précédente. La granularité de ce système reposera maintenant sur des objets comme les tables remplies d’objets, les bureaux d’ordinateur pleins d’écrans, etc. Une fois les différentes sections délimitées, je continue à remonter la hiérarchie de génération avec le gestionnaire de pièces : toutes les sections doivent s’agencer selon différents paramètres de façon à avoir un niveau de fonctionnement relatif. Finalement, au dernier niveau, se trouve le gestionnaire de pièces qui devra contrôler l’apparition des différentes pièces de façon à créer de nouvelles pièces au bon moment (figure 7).

4 « La notion de granularité définit la taille du plus petit élément, de la plus grande finesse d'un système. Quand on arrive au

niveau de granularité d'un système, on ne peut plus découper l'information. Par exemple dans une population, la granularité est l'individu. » (« Granularity », 2018)

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Figure 7. Chaque encadré représente une sous-routine qui prend la sous-routine précédente comme granularité. Pour réduire la confusion, je n'ai pas représenté toutes les sous-routines du projet.

J’ai montré l’exemple en partant spécifiquement du projet Promenade, mais en réalité la grande majorité de mes œuvres fonctionnent grâce à une accumulation progressive de petits objets, qui sont par la suite classifiés et organisés.

3.4 L’organisation

Cela m'amène plutôt naturellement à la thématique de l’organisation. Comme je l’indique plus haut, la plupart de mes œuvres sont soumises à une organisation des éléments plutôt rigoureuse. Plus précisément, étant donné ma manière très incrémentielle de créer mes objets et au vu du grand nombre d’éléments présents dans mes dessins, il m’est presque essentiel de créer un système d’organisation quelconque, soit par arborescence ou par hyperlien. Ce système m’est dicté par le fait que je travaille numériquement. À la base, la

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plupart des logiciels que j’utilise imposent un classement par arborescence : un élément peut contenir un autre élément qui peut en contenir un autre, etc., à la manière de dossiers sur un ordinateur. Ces liens de classement et sous classement sont régulièrement compris et expliqués en tant que liens de parenté ou d'héritage5 : si un dossier contient une feuille,

nous pouvons dire que le dossier est le parent, la feuille est l’enfant. Si un porte-document contient le dossier, à ce moment, le dossier deviendra à la fois l’enfant du porte-document et le parent de la feuille. Cela implique que si je fais des changements d’organisation au document, ces modifications seront également appliquées à tous ses enfants – la feuille dans le cas qui nous intéresse –, mais pas à son parent – le porte-document. Les éléments contenus dans mes dessins sont ainsi organisés et classifiés par type.

Figure 8.Marathon, dessin numérique, 42x76 pouces, 2016.

5Le milieu de l'informatique étant majoritairement anglicisé, le terme parenté ou héritage est rarement utilisé. Il est plus

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Dans l’exemple de Marathon (figure 8), tous les coureurs sont regroupés à l’intérieur de la même catégorie, par contraste avec les bâtiments, qui eux font partie d’une autre catégorie. L’organisation par arborescence apparaît lorsque je dissèque ces diverses catégories. Par exemple, un personnage spécifique peut être le parent d’un vêtement. Ce même vêtement pourra être le parent d’un motif particulier. Ce mode de classification est, d’une part, utile du point de vue de la gestion d’une scène avec de nombreux objets, mais reflète également une schématisation des liens réels d’héritage au sein de mes objets représentés : il est vrai que le motif d’un vêtement hérite de certaines caractéristiques du vêtement (figure 9) et que ce vêtement hérite même de certaines caractéristiques du personnage, qui hérite lui-même d’une rue, d’un quartier, d’une ville, etc.

Figure 9. Dans ce cas-ci, le motif hérite de la limite donnée par les pixels utilisés par le vêtement.

D’un point de vue encore plus pragmatique, cette classification me permet de réutiliser di-vers objets en appliquant simplement une réorganisation de l’arborescence : cette texture de chandail s’appliquera plutôt à ce pantalon, ce personnage aura plutôt tel vêtement, dans telle rue, dans tel quartier.

Cette arborescence est l’un des deux types d’organisation que j’utilise. J’en utilise une autre, qui est basée sur la structure de l’hypertexte. Il s’agit d’un lien unidirectionnel d’un objet vers un autre. Dans le cas de Promenade par exemple, étant donné mon utilisation d’un moteur de jeu vidéo, j’avais besoin de pouvoir faire référence à des éléments externes aux objets tels que des scripts et des propriétés qui peuvent être partagés par plusieurs objets. Si nous prenons un exemple concret : le code que j’utilise pour générer l’écran est le même que celui dont je veux me servir pour générer le classeur à dossier. J’applique donc le même calcul deux fois en changeant tout simplement les variables. Ainsi, le classeur à dossier est à la fois l’enfant du bureau, le parent du dossier ; et est influencé par un code en hyperlien (figure 10). Ce type d’organisation mixte s’appelle un réseau multipolaire, qui s’apparente

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notamment à la structure utilisée par Internet.

Figure 10. Le classeur à dossier est à la fois l’enfant du bureau, le parent du dossier et tous sont influencés par le même code en hyperlien.

Évidemment, cette structure n’est pas montrée au spectateur de manière explicite. Les liens de parenté des objets entre eux ne sont pas le cœur de l’œuvre : en fin de compte, il s’agit davantage d’un processus intrinsèque à la création. Cependant, je pense qu’il est important pour moi de comprendre l’impact qu’une telle organisation peut avoir sur la création d’œuvres. Encore une fois, je souligne à quel point le médium a un impact fondamental sur la création. C’est parce qu’il m’est possible d’inventorier et classifier divers éléments que je crée d’une certaine manière.

Un fait encore plus fascinant pour moi, c’est que la théorie des graphes6 qui gouverne les

différents types d’organisations comme l'arborescence ou les systèmes multipôles tire ses

6La théorie des graphes est essentiellement la discipline qui étudie les graphes. Les graphes sont décrits comme étant des couples d’éléments vérifiant une relation donnée. (« Graphe », 2018.)

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racines de la même géométrie qui gouverne la modélisation 3D. En effet, les systèmes d’organisation sont synthétisés par des relations entre points, arêtes et surfaces. De la même manière que les objets numériques sont gouvernés par ces mêmes points, arêtes et surfaces. Autant dans le système d’organisation que dans la modélisation 3D, c’est le point qui contient l’information : si dans un système d’arborescence, le point est l’objet dans la hiérarchie, en géométrie, le point est le sommet d’une forme. Ceci implique que l’information stockée n’est pas dans la ligne entre les objets, mais dans l’objet lui-même qui porte les informations d’héritage et de liens. Un logiciel de modélisation retiendra simplement les coordonnées du sommet et lui attribuera les informations nécessaires à la bonne attribution des connexions entre tel ou tel sommet. À cause de cela, je vois le médium que j’utilise et mon travail en général comme gouvernés par un passage entre différents niveaux de lecture d’une même théorie : au premier niveau, les points qui stockent l’information sont les sommets d’un cube, les arêtes sont littéralement les arêtes et les surfaces, littéralement les surfaces. Puis, en changeant de perspective, les points deviennent plutôt les objets d’une arborescence et les arêtes deviennent les liens hiérarchiques entre ces objets (figure 11).

Figure 11. Dans les deux types de systèmes, le point est ce qui contient l'information. Les liens qui relient les points sont virtuels.

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C’est toutefois en changeant une fois de plus de perspective que je trouve cette observation plus significative : ma manière de raconter une histoire, ce qui est véhiculé par mes dessins ou dans mes œuvres fonctionne exactement de cette manière aussi. Les objets dessinés ou modélisés sont les porteurs visibles de mon travail, ce sont eux qui ont été travaillés et qui contiennent concrètement quelque chose et pourtant, ce qui tissera la trame de l’œuvre, ce sont les relations intangibles, les liens imaginaires et virtuels entre cette collection d’objets génériques (figure 12).

Figure 12. Mon style illustratif tend à diriger vers une lecture narrative de mes dessins et à connecter les différentes parties pour tenter d'en extraire un sens.

3.5 Les relations

Ceci m’amène à la dernière thématique que j’aborderai : les relations. Je pense qu’au-delà des couleurs, du style, des thématiques ponctuelles de mon travail, ce qui caractérise le plus mon travail, c’est la relation qu’ont les objets entre eux dans mes œuvres. Bien que

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toutes les organisations qui participent à la réalisation de mon travail ne soient pas explicites pour le regardeur, mon dessin repose tout de même sur une accumulation d’objets à l’inté-rieur d’une surface de travail. Étant donné que j’impose au regardeur cette accumulation d’objets concentrés à l’intérieur d’un même tout, j’impose aussi forcément le fait que ces éléments soient liés entre eux, d’une manière ou d’une autre. Ce qui m’intéresse particuliè-rement par ces liens, c’est justement que la manière dont ils existent ne soit pas toujours immédiatement explicite : tous les objets sont là, placés d’une manière à ce qu’il y ait visi-blement une volonté de reproduire quelque chose de réel. Cependant, quelque chose cloche : malgré cette volonté évidente de lier les objets, il n’en est pas moins évident que les éléments ont visiblement été créés indépendamment les uns des autres, sans réelle considération pour les relations subséquentes qu’ils auront entre eux. J’essaye en général de faire ressortir un sentiment d’ambivalence sur les relations que les objets pourraient avoir entre eux : il est difficile de cerner ce qui est aléatoire de ce qui a été réfléchi avec un désir de créer une relation. Je souligne par ailleurs à quel point ces liens entre les choses sont une donnée fondamentale de mes œuvres. Il y a un sentiment d’accumulation parce que les choses semblent toutes à peu près également liées entre elles. Il n’y a pas un sentiment de linéarité où un fil narratif guiderait le regard. Il s’agit plutôt d’îlots de liens, où chaque objet réagit en fonction de la proximité physique, stylistique ou thématique avec ses voisins.

Une très grande partie de mon temps, lorsque je travaille, est dirigée vers la réalisation concrète des objets. Ce n’est qu’un très petit pourcentage de mon temps qui est axé sur l’organisation finale des relations entre les objets. D’une certaine manière, c’est logique puisqu’il est beaucoup moins long de déplacer tel ou tel objet à travers la scène pour obser-ver quel impact est créé que de le dessiner. Cependant, d’un autre côté ceci est paradoxal, puisque c’est bien ce réseau de liens qui donne un sens à mon travail.

Il y a donc une part assez grande de hasard lorsque je place mes éléments en lien les uns avec les autres. Quand je dessine par exemple, les derniers dessins que j’aurai faits seront probablement les premiers que je placerai, simplement parce qu’ils se situent au sommet de la hiérarchie de mon logiciel. Dans l’œuvre Promenade par exemple, j’ai volontairement laissé le réseau de liens être choisi de façon semi-aléatoire. Ce qui est important pour moi, ce n’est pas tant quels sont les liens, mais qu’il y ait des liens. Je ne m’intéresse que superficiellement à l’interprétation de ces liens. Je pense que cette attitude provient de l’addition des différentes thématiques que j’ai abordées plus haut dans ce texte. Dans cette œuvre, je m’interroge sur la vacuité qui ressort du fait de circuler à travers une génération infinie d’espaces similaires sur lesquels le spectateur n’a aucun contrôle, outre son

Figure

Figure 1. 1 Le barbecue, dessin numérique, 24x36 pouces, 2014.
Figure 2.  La fabrique de hamburger, GIF animé, 2015
Figure 3. Le gym, GIF animé, 2016
Figure 4. Météores, dessin numérique, 42x60 pouces, 2016.
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