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Ces parlementaires qui en disent trop? : la conciliation de la liberté de parole des parlementaires et du droit à la dignité des citoyens en droit comparé

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Ces parlementaires qui en disent trop?

La conciliation de la liberté de parole des parlementaires et du

droit à la dignité des citoyens en droit comparé

Mémoire

Andrée-Anne Bolduc

Maîtrise en droit

Maître en droit (LL.M.)

Québec, Canada

© Andrée-Anne Bolduc, 2015

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Résumé

Un conflit normatif caractérise aujourd’hui la relation entre le privilège parlementaire de la liberté de parole et le droit à la dignité et à la réputation des citoyens. Ce phénomène, qui a ressurgi récemment au Canada, n’est pas limité à notre espace géographique. En effet, certaines affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme ont démontré que ce conflit pouvait être constaté dans certains pays européens. Face à ce constat, comment en arriver à une meilleure conciliation des droits fondamentaux, tout en préservant les prérogatives des assemblées législatives? À partir d’une approche de droit comparé, cette étude dégage du droit parlementaire et constitutionnel étranger des modes de résolution qui interviennent sur les différentes dimensions du conflit normatif identifié.

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Abstract

A normative conflict today characterizes the relationship between the parliamentary privilege of freedom of speech and the citizens’ right to the safeguard of their dignity and reputation. This phenomenon, which recently resurfaced in Canada, is not limited to our juridical system. Indeed, some cases before the European Court of Human Rights have shown that this conflict can be observed in some European countries. Given this situation, how to achieve a better balance between fundamental rights and the legislatures' prerogatives ? From a comparative law approach, this study tries to identify foreign parliamentary, constitutional and jurisdictional conflict resolution mechanisms that can be used to solve different facets of the identified normative conflict.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Partie 1 – La liberté de parole du parlementaire : conflits pratiques et conceptions théoriques ... 11

Chapitre 1 – Du conflit entre la liberté de parole du député et le droit à la dignité et à la réputation ... 13

1.1 La protection de la liberté de parole des parlementaires ... 13

1.2 La reconnaissance des droits et libertés au Canada et à l’étranger ... 23

1.3 La liberté de parole confrontée aux droits des citoyens ... 34

Chapitre 2 – De la contingence historique et des modèles de la liberté de parole du parlementaire ... 47

2.1 La conception anglo-saxonne et la tradition des parlements de type britannique ... 48

2.2 Le système français et son influence... 63

Partie 2 – Les modes de résolution tirés du droit canadien et étranger : analyse et évaluation ... 79

Chapitre 1- L’acteur parlementaire ... 81

1.1 Le principe d’autonomie des assemblées législatives ... 82

1.2 Les modes de résolution parlementaires ... 86

Chapitre 2 – Les acteurs externes aux assemblées parlementaires ... 113

2.1 La légitimité démocratique et l’équilibre des pouvoirs ... 114

2.2. Les modes de résolution externes aux assemblées parlementaires ... 119

Conclusion ... 139

Bibliographie ... 145

Annexe 1- Droit de réplique des citoyens (Australie) ... 159

Annexe 2- L’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires (Allemagne) ... 163

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Remerciements

L’adage est bien connu, un travail de recherche ne s’accomplit jamais seul.

À cet égard, je souhaite souligner l’apport de nombreux de mes collègues et amis, et l’inestimable soutien de mes proches dans l’accomplissement de ce mémoire.

À Patrick Taillon, directeur de recherche, merci pour ton accompagnement, tes encouragements et ton appui continu.

Aux collègues de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, à François Gélineau et à Éric Montigny, merci de m’avoir accueillie, encouragée et de m’avoir offert le milieu idéal pour la recherche et la rédaction.

Aux collègues de l’Assemblée nationale, merci pour contribué à développer et alimenter cette passion pour le droit politique et parlementaire.

À mes parents, merci pour m’avoir toujours appuyée et entourée dans mes différents projets.

À Benjamin, cent fois merci pour les interminables discussions, ta confiance en moi et tout le soutien que tu auras pu m’apporter durant les hauts et les bas qu’amène la rédaction. Plusieurs nouvelles pages sont à écrire.

À tous ceux qui ont pu apporter une petite pierre à cet édifice, merci beaucoup.

Je souhaite également remercier tous ceux qui ont contribué au soutien financier dont j’ai pu bénéficier pour réaliser ce travail de recherche: le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), la Faculté de droit de l’Université Laval, la Promotion de 1963 de la Faculté de droit de l’Université Laval et la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires.

En terminant, je tiens à souligner le soutien du personnel administratif de la Faculté de droit, dont le travail exceptionnel doit être mis de l’avant. Je les remercie chaleureusement.

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Introduction

Lors de l’édification du système parlementaire de type britannique au Royaume-Uni, la mise en place d’une protection particulière de la liberté d’expression des parlementaires a été déterminante afin de permettre à ces derniers d’accomplir un contrôle sans entrave sur les activités du monarque. Graduellement, la protection de cette liberté de parole des parlementaires est devenue un enjeu d’une importance croissante au sein du Parlement britannique et a fait l’objet d’une lutte acharnée des parlementaires contre le pouvoir royal pour la reconnaissance officielle de cette immunité de poursuites1. En 1689, le privilège de la liberté de parole a été officiellement inscrit dans le Bill of

Rights britannique : « That the freedom of speech and debates or proceedings in Parliament ought

not to be impeached or questioned in any Court or place out of Parliament2. ». Au nom de la libre

délibération démocratique et de la séparation des pouvoirs, la légitimité de ce privilège parlementaire ne sera pas contestée à la suite de cette reconnaissance législative3. De surcroît, cette liberté de

parole conférée aux parlementaires a favorisé le renforcement de fonctions aujourd’hui reconnues comme essentielles aux assemblées législatives, soit l’adoption des projets législatifs et le contrôle de l’exécutif.

La fondation des États modernes sur le principe de la séparation des pouvoirs a également eu plusieurs influences au cœur du régime juridique de ceux-ci. Ce principe postule que chaque pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire) doit être distingué afin de maintenir l’équilibre entre ces pouvoirs4. Il a

ainsi justifié qu’une très large autonomie soit conférée aux assemblées parlementaires, qui est mise en oeuvre, entre autres, par le biais des privilèges parlementaires, dont le privilège de la liberté de parole.

Ce privilège de la liberté de parole5, soit la protection dont disposent les membres des assemblées

législatives à l’encontre de poursuites judiciaires qui résulteraient d’une opinion ou d’un vote

1Joseph MAINGOT, Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd., Ottawa/Montréal, Chambre des communes/McGill-Queen’s University Press, 1997, p. 27 et suiv.

2 ROYAUME-UNI, Bill of Rights 1688, 1 Will and Mar Sess. 2, c. 2, art. 9. 3J. MAINGOT, préc., note 1.

4 Koen MUYLLE, « L’autonomie parlementaire à l’abri des droits de l’homme ? », (2010) 83 Rev. trim. dr. h. 705, 706. 5 Pour éviter toute confusion, nous utiliserons dans cette étude les termes « liberté de parole » pour décrire le privilège parlementaire de la liberté de parole, ou l’irresponsabilité parlementaire, à certains égards, dans un objectif d’alléger le texte. Bien que ces mêmes termes puissent également être utilisés par la doctrine pour désigner la liberté d’expression, cette dernière sera ici strictement identifiée par les termes « liberté d’expression ».

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exprimé6, s’est graduellement répandu dans la majorité des systèmes parlementaires dans le monde,

sous diverses influences7. La liberté de parole du député français a par exemple été consacrée dans

la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen8 de 1789, sous l’impulsion de la Révolution

française. Elle s’est également transposée dans les systèmes parlementaires canadien, australien et néo-zélandais, par l’héritage colonial au sein de ces États d’un système parlementaire de type britannique. Selon les données dégagées dans les études de Robert Myttenaere et de Marc Van der Hulst, la très grande majorité des systèmes parlementaires dans le monde protège aujourd’hui la liberté de parole des membres de leur Parlement9.

Au Canada, les privilèges parlementaires (dont la liberté de parole) ont été intégrés au Canada par l’Acte de l’Amérique de Nord britannique, devenue la Loi constitutionnelle de 186710. Leur

incorporation en droit canadien est également prévue dans la Loi sur le Parlement du Canada11.

Diverses lois provinciales ou territoriales portant sur l’organisation des assemblées législatives les incorporent également en droit provincial12. Cependant, depuis l’arrêt-clé New Brunswick

Broadcasting c. Nouvelle-Écosse13, certains de ces privilèges, les privilèges parlementaires

inhérents, dont fait partie la liberté de parole14, se voient également conférer au niveau provincial un

statut constitutionnel en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.

Au Canada, les privilèges parlementaires, particulièrement celui de la liberté de parole, ont été peu confrontés à l’épreuve des tribunaux avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et

libertés (ci-après Charte canadienne)15. Avant 1982, les principales décisions relatives aux privilèges

6Robert MYTTENAERE, « The immunities of members of parliament », (1998) Constitutional and Parliamentary

Information 100, 102.

7Marc VAN DER HULST, Le mandat parlementaire. Étude comparative mondiale, Genève, Union interparlementaire, 2000, p.70.

8 FRANCE, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. 9 R. MYTTENAERE, préc., note 6 ; M. VAN DER HULST, préc., note 7. 10Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3, préambule et art. 18. 11Loi sur le Parlement du Canada, LRC 1985, c. P-1, art. 5.

12Loi sur l’Assemblée nationale, RLRQ, c. A-23.1, art. 42 et suiv. (Québec); Loi sur l’Assemblée législative, LRO 1990, c. L.10, art. 36 et suiv. (Ontario); Loi sur l’assemblée législative, LRN-B 1973, c. L 3, art. 1 (Nouveau-Brunswick); Loi sur

l’assemblée législative, c L110, art. 44 et suiv. (Manitoba); Loi de 2007 sur l’assemblée législative et le Conseil exécutif,

LS 2007, c. L-11.3, art. 28 et suiv. (Saskatchewan); Loi sur l’assemblée législative, LRY 2002, c. 136, art. 33 (Yukon); Loi

sur l’assemblée législative et le conseil exécutif, LTN-O 1999, c. 22, art. 12.1 et suiv. (Territoires du Nord-Ouest); Loi sur les assemblées législatives et le conseil exécutif, LNun 2002, c. 5, art. 19 et suiv. (Nunavut).

13 New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319 (ci-après « NB Broadcasting »).

14Id., 385.

15Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le

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ont généralement été prises au sein même des assemblées législatives16. Toutefois, avec l’arrivée de

nouveaux instruments de protection des droits et libertés individuels tant au Canada que dans les pays occidentaux à la suite de la Seconde Guerre mondiale, le statut et le rôle des privilèges parlementaires sont réévalués, et ce, en raison des importantes transformations au sein de ces ordres juridiques.

En effet, depuis une trentaine d’années pour le Canada, mais de façon bien antérieure dans de nombreux endroits à travers le monde, le privilège parlementaire se voit confronté aux droits et libertés fondamentaux. L’adoption de la Charte canadienne a eu pour effet en droit canadien de constitutionnaliser tous les droits et libertés qui s’y retrouvent inscrits. Cette nouvelle reconnaissance de droits a ainsi généré de nouveaux litiges judiciaires impliquant les privilèges parlementaires17.

Malgré la multiplication des tensions entre Charte canadienne et privilèges, peu de solutions semblent avoir été dégagées par les tribunaux aux problèmes opposant les droits et libertés de la personne, d’un côté, et les privilèges parlementaires, de l’autre. Fidèles à leur tradition de retenue judiciaire dans ce domaine18, les tribunaux canadiens ont donné aux privilèges parlementaires une

application et une interprétation prudente devant les droits protégés par les instruments de protection des droits fondamentaux des citoyens. Pour les tribunaux, les privilèges bénéficient dans les systèmes parlementaires issus de la tradition britannique d’un statut unique, incarnant la séparation des pouvoirs et le principe de l’indépendance législative. Ils constituent au Canada l’un des rares régimes d’exclusion de l’application du droit commun. Ils dérogent en ce sens au principe de la primauté du droit et à la suprématie des droits et libertés de la personne. Ces privilèges conférés aux assemblées et à leurs membres se justifient aujourd’hui par la nécessité de protéger les processus délibératif et législatif de toute ingérence extérieure.

16 Entre autres, voir CANADA, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 33e légis., 5 mai 1987, « Question de privilège » p. 5765‑5766 (M. le Président) ; CANADA, Débats de la Chambre des communes, 1ere sess., 35e légis., 30 septembre 1994, « Recours au Règlement», p. 6371 (Le Président) ; QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal

des débats, 2e sess., 35e légis.,13 novembre 1997, « Décision du président », p. 8433-8435 (Le Président) ; QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 2e sess., 35e légis.,10 juin 1998, « Décision du président », p. 11815-11817 (Le Président).

17 Depuis 1982, trois arrêts-clés ont été rendus en droit canadien concernant les privilèges parlementaires : l’arrêt NB

Broadcasting, préc., note 13, l’arrêt Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876 (ci-après

« Harvey »], et l’arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667 (ci-après « Vaid »). 18NB Broadcasting, préc., note 13, 372.

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Les parlementaires ne se trouvant plus dans une situation aussi vulnérable qu’en 1689, les risques d’abus de cette immunité absolue sont beaucoup plus importants aujourd’hui qu’au moment de la formation de ces privilèges. En effet, parmi d’autres phénomènes, les médias scrutent assidument leurs déclarations controversées alors que dans le même temps, la retranscription des débats parlementaires est désormais accessible à tous via Internet quelques minutes suivant leur tenue. Cette surmédiatisation et cette accessibilité accrue des débats parlementaires favorise l’atteinte à la réputation d’un citoyen, puisque la diffusion des propos des parlementaires est démultipliée. Dans ce contexte, sont survenus, tant au Canada qu’à l’étranger, des litiges opposant directement ces deux notions, et qui ont démontré les difficultés auxquelles étaient confrontés les tribunaux lorsqu’amenés à les concilier. Au Canada, ce conflit s’illustre concrètement avec l’affaire Michaud, survenue au début des années 2000. Dans cette affaire, un citoyen avait fait l’objet d’une motion à l’Assemblée nationale du Québec visant à blâmer certains propos qu’il avait tenus. Ce dernier a tenté de faire valoir son droit à la réputation devant les tribunaux québécois, mais ce, sans succès19. Le tribunal

avait alors statué que le privilège parlementaire de la liberté de parole, exprimé collectivement par la motion de l’Assemblée, devait recevoir préséance sur les droits invoqués de ce citoyen dans le traitement de la Cour supérieure et de la Cour d’appel.

Un second cas ayant permis de constater l’existence de ce conflit normatif est l’affaire A. c.

Royaume-Uni, portée devant la Cour européenne des droits de l’homme20. Dans cette affaire, un

député de la Chambre des communes britannique avait exprimé des propos fort péjoratifs à l’encontre d’une femme résidente de sa circonscription électorale. En raison des propos tenus par le député, celle-ci a été victime d’intimidation et a dû être relogée. La femme a tenté d’obtenir justice devant les tribunaux anglais, mais tous ont décliné l’affaire, en raison du privilège parlementaire de la liberté de parole. La Cour, finalement saisie du litige quelques années plus tard, a elle aussi exprimé la nécessité de préserver le privilège parlementaire de la liberté de parole, un principe essentiel au maintien de la séparation des pouvoirs et à la protection de la liberté d’expression au Parlement21.

Cependant, cette interprétation de la Cour européenne des droits de l’homme se fait aussi au détriment du droit à la réputation de la victime des propos du député.

19Michaud c. Assemblée nationale du Québec (Président), [2005] R.J.Q. 576 (C.S.) ; Michaud c. Bissonnette, [2006] R.J.Q. 1552 (C.A.).

20A. c. Royaume-Uni, no 35373/97, CEDH 2002-X. 21Id., § 77.

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Bien que ce phénomène se révèle relativement à l’ensemble des privilèges reconnus aux assemblées parlementaires et à leurs membres au Canada, le présent projet de recherche se concentre spécifiquement sur le conflit normatif dégagé entre le privilège de la liberté de parole du parlementaire et le droit à la dignité et à la réputation des citoyens. Il s’intéresse à la tension existante entre la protection de la liberté de parole des parlementaires et la protection des droits et libertés individuels, d’une part, et aux possibilités de faire évoluer le cadre institutionnel et juridique en matière de privilèges parlementaires afin d’atténuer ces tensions, d’autre part. Il vise entre autres à dégager des modes de résolution au conflit identifié, afin de rendre le fonctionnement interne des institutions démocratiques plus en phase avec cette protection consacrée des droits et libertés qui a largement évolué au cours du dernier siècle. L’institution parlementaire demeure le lieu de représentation des intérêts du peuple par excellence et cette représentation peut être compatible avec les droits et libertés des citoyens. La réalité institutionnelle n’est aujourd’hui peut-être plus exactement ajustée à l’état du droit commun actuellement en vigueur. Le privilège parlementaire crée deux catégories de citoyens, soit le parlementaire qui peut émettre ses opinions sans risque de poursuite, et le citoyen qui risque d’être affecté par le débat parlementaire, et qui ne dispose en cette matière d’aucun accès à la justice. Comment arriver à rétablir l’équilibre entre le privilège parlementaire de la liberté de parole et le droit au respect de la dignité et de la réputation des citoyens? Ce projet de recherche vise à résoudre cette question.

À ce jour, la littérature existante s’est peu intéressée à ce sujet. Au Québec et au Canada, de rares auteurs ont analysé la question de la conciliation de la liberté de parole des parlementaires et des droits des citoyens, mais en fixant leur analyse sur la perspective strictement canadienne22.

Quelques études comparatives portant sur les immunités parlementaires dans leur ensemble ont également été réalisées, mais celles-ci n’examinent pas précisément le conflit normatif identifié23.

22 Ariane BEAUREGARD, La protection des droits des non-parlementaires dans le cadre des délibérations des

assemblées législatives : la Charte canadienne des droits et libertés, le privilège parlementaire et le contrôle des tribunaux, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2011 ; Jean-Philippe

DALLAIRE et Simon LAROUCHE, Le privilège parlementaire de la liberté de parole à l’époque de la prédominance des

droits individuels : analyse et recommandations, mémoire de stage, Québec, Fondation Jean-Charles-Bonenfant, 2007 ;

Colette Mireille LANGLOIS, Parliamentary Privilege : A Relational Approach, mémoire de maîtrise, Toronto, Faculty of Law, University of Toronto, 2009 ; Marc-André ROY, « Le Parlement, les tribunaux et la Charte canadienne des droits et libertés : vers un modèle de privilège parlementaire adapté au XXIe siècle », (2014) 55 C de D. 489.

23 Cécile GUÉRIN-BARGUES, Immunités parlementaires et régime représentatif : l’apport du droit constitutionnel

comparé (France, Royaume-Uni, Etats-Unis), coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », Paris,

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Il nous semble nécessaire dans l’état actuel du droit de chercher des pistes de solutions à ces confrontations entre liberté de parole et droits et libertés, tant pour la revalorisation des assemblées parlementaires et de leurs membres que pour assurer la cohésion de l’ordre normatif et le respect de la primauté du droit. Ce projet de recherche cherche ainsi à aménager ces rapports d’une façon plus conforme à l’évolution juridique des sociétés.

En guise de considération préalable, il faut préciser que ce projet ne vise pas à remettre en question le privilège de la liberté de parole. Cette protection de la liberté de parole des députés est toujours nécessaire pour assurer la pérennité d’une société démocratique et la liberté du débat politique, bien qu’elle pose des risques pour les droits fondamentaux des tiers. La libre expression politique au sein des institutions parlementaires constitue toutefois l’un des fondements essentiels du fonctionnement de la démocratie actuelle sur lequel on ne peut reculer. De plus, la question de la séparation des pouvoirs est toujours aussi nécessaire pour valoriser les institutions parlementaires et pour éviter que les tribunaux ne s’ingèrent indûment dans les débats parlementaires et le travail législatif. Cependant, une meilleure conciliation paraît pouvoir être opérée entre cette liberté de parole absolue conférée aux parlementaires et les droits et libertés des citoyens protégés par un nombre croissant de textes juridiques depuis une cinquantaine d’années, et ce, afin d’éviter les potentiels abus pouvant découler de cette situation.

L’objectif général de ce projet de recherche cherche à déterminer par quels moyens il est possible de concilier les tensions entre liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation. Ces tensions émanent tant de l’état actuel du droit canadien relativement à ce conflit, qui semble immuable devant l’inaction des assemblées parlementaires et le refus des tribunaux canadiens de l’aborder directement, que de la diversité des applications du droit parlementaire au sein des États étrangers.

Pour entamer une réflexion plus poussée au sujet de ce conflit, la question spécifique de recherche vise à définir quels modes de résolution au conflit existant entre la liberté de parole et le droit à

la dignité et à la réputation peuvent être dégagés de l’étude de l’expérience canadienne et étrangère et comment ces modes encadrent-ils de façon singulière ce conflit normatif ? Cette

question suppose qu’il existe plusieurs voies de résolution afin de répondre à la problématique

Immunity of the United Kingdom, France, and the Netherlands in a European Context, Cambridge, Intersentia, 2013 ; R.

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identifiée. Cette pluralité des moyens provient entre autres du nombre d’acteurs qui détiennent la capacité d’intervenir sur cette question.

L’expérience étrangère fournit une diversité de modes de résolution au conflit entre privilèges parlementaires et droits et libertés individuels, entre autres en raison de la pluralité des acteurs institutionnels desquels une solution peut émaner.

Les modes de résolution aux conflits pouvant survenir entre les privilèges parlementaires et les droits et libertés individuels sont en effet développés par divers acteurs institutionnels, au niveau parlementaire, constitutionnel, législatif et judiciaire. Ces différents acteurs jouent un rôle plus ou moins important dans la hiérarchie des normes. Leurs solutions se trouvent de surcroît à être plus ou moins contraignantes dans l’ordre juridique selon la partie qui tente de la mettre en oeuvre.

Dans un premier temps, une réponse à la tension entre privilèges parlementaires et droits et libertés individuels provient des institutions parlementaires elles-mêmes. Ces dernières sont souveraines sur leur procédure et elles sont les premières à pouvoir mettre en place des mécanismes pour pallier aux abus que peuvent engendrer la liberté de parole des députés en raison de l’importante autonomie organisationnelle et institutionnelle dont elles disposent. Une seconde réponse provient des acteurs externes aux assemblées parlementaires. En effet, le pouvoir législatif, le pouvoir constituant et les tribunaux sont d’autres organes étatiques qui peuvent encadrer le privilège de la liberté de parole par des mesures précises adoptées à cet effet. Contrairement aux assemblées parlementaires, qui disposent d’une importante capacité d’auto-régulation en raison de l’autonomie qui leur est conférée, le pouvoir législatif et le pouvoir constituant agissent en fonction d’impératifs politiques. Cet encadrement politique est formalisé par une procédure rigide d’adoption des projets de loi ou d’amendement constitutitonnel, qui vise à y introduire un processus de discussion contradictoire afin de rendre les mesures législatives et les amendements constitutionnels conformes au principe démocratique et à l’État de droit. Même si ces pouvoirs agissent souvent matériellement au sein des assemblées législatives, ils sont dits « externes aux assemblées parlementaires » en raison de l’encadrement politique qui sous-tend ces mesures. Les tribunaux, qui doivent obéir aux principes de l’indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs, constituent, pour leur part, des lieux de décision qui se veulent substantiellement détachés des assemblées parlementaires. Il apparaît donc logique de les présenter comme un acteur externe aux assemblées.

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La stratégie de recherche préconisée vise à comparer des modes de résolution retenus par certains États au conflit entre les privilèges et immunités parlementaires et le droit à la dignité et à la réputation. En mobilisant une approche comparative du droit, ce projet utilise une grille d’analyse des modes de résolution des conflits qui oppose la demande croissante de protection des droits et libertés individuels par les citoyens et la vision historiciste des immunités parlementaires. Cette grille de lecture consiste en une évaluation des modes de résolution identifiés par une analyse en six étapes. Cette grille se trouve décrite plus en détail à la fin de la présente section introductive.

Après avoir observé la situation existant en droit constitutionnel canadien, les modes de résolution des conflits entre privilèges et droits et libertés fondamentaux seront dégagés dans diverses sources du droit parlementaire étranger. Les études de cas pourront être retrouvées tant dans le corpus de droit parlementaire produit par les institutions, que dans certains documents de nature législative ou constitutionnelle. Un dernier cas d’étude permet finalement de dégager des pistes de réflexion visant à renouveler le test jurisprudentiel utilisé majoritairement par les tribunaux canadiens.

Afin de répondre à la question de recherche, nous retiendrons plusieurs cas, des modes de résolution, qui émanent de différents États. La sélection des cas d’étude a été réalisée selon le principe du « most different cases »24. En effet, bien que tous les États retenus partagent une

conception très similaire du privilège de la liberté de parole, ils ont recours à des modes de résolution du conflit entre privilège et droits et libertés fondamentaux fort variés. Nous avons ainsi retenu les modes de résolution qui étaient les plus différents dans leur fonctionnement et qui pouvaient parfois être partagés par plusieurs États. Les modes retenus varient selon leurs auteurs et selon leur degré de résolution. Il s’agit du droit de réplique (Australie), du droit de pétitionner (Royaume-Uni), des règles disciplinaires (Royaume-Uni/France), de l’exclusion constitutionnelle des injures diffamatoires (Allemagne), de la levée du privilège parlementaire par voie législative (Royaume-Uni), et finalement, l’interprétation judiciaire contextuelle (Canada). Ce dernier mode de résolution n’est pas actuellement en vigueur, mais constitue plutôt une proposition d’adaptation du test de nécessité opéré par les tribunaux canadiens.

Puisque le conflit normatif ciblé en droit constitutionnel canadien est également partagé par d’autres systèmes parlementaires, à divers degrés, l’exploration des modes de résolution développés par les

24Ran HIRSCHL, « The Question of Case Selection in Comparative Constitutional Law », (2003) 55 Am. J. Comp. L. 125, 139.

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États étrangers permet de développer une analyse compréhensive du conflit normatif identifié et une approche plus critique face à la situation canadienne25. Cette approche permet de s’intéresser aux

divers instruments juridiques qui ont défini les immunités conférées aux institutions parlementaires dans certains États. Ces États relèvent de traditions juridiques différentes et n’ont pas connu la même évolution que le Canada. L’approche de droit comparé exige également de s’ouvrir à d’autres modèles que le modèle britannique du privilège parlementaire développé depuis la mise en place du parlementarisme au Canada et à poser un nouveau regard compréhensif sur les privilèges parlementaires. Ce projet de recherche vise ainsi à compléter et enrichir l’interprétation actuelle du privilège de la liberté de parole en droit canadien.

Afin de procéder à une analyse compréhensive des modes de résolution identifiés, ce projet de recherche s’articule autour de deux parties. Dans un premier temps, est exposé le conflit entre privilège de la liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation lui-même ainsi que les deux principales conceptions de la liberté de parole en droit parlementaire; dans la seconde partie, les modes de résolution retenus sont décrits et analysés en détail. La première partie de cette étude détaille le conflit normatif qui constitue le fondement de la présente étude. Il en précisera tout d’abord les composantes, soit le privilège de la liberté de parole et le droit à la dignité et à la réputation. Ces deux notions feront l’objet d’une analyse détaillée. La seconde partie présente les modes de résolution retenus dans le droit étranger et canadien, et examine ceux-ci en détail. Une grille d’analyse spécifique est appliquée à chacun des modes détaillés.

Le recours au droit comparé et à des cas d’études issus de divers systèmes juridiques n’implique pas de recourir uniquement à des solutions que l’on pourrait qualifier d’équivalentes. Afin de procéder à une étude comparative des modes de résolution portant sur des concepts similaires et afin de faciliter leur analyse, une grille de traitement composée de six étapes est appliquée à chacun d’entre eux. En premier lieu, une description fonctionnelle et procédurale du mécanisme identifié est effectuée. Deuxièmement, lorsque jugé pertinent, quelques notions historiques sont apportées, afin de mieux saisir la contingence de ce mode de résolution et son rôle dans l’évolution du droit parlementaire local. Dans un troisième temps, est examinée la question de savoir qui détient la possibilité de se saisir du mode de résolution. En d’autres mots, qui dispose de l’intérêt pour agir quant à ce

25 Michel ROSENFELD et Andras SAJO, « Introduction », dans Michel ROSENFELD et Andras SAJO (éd.), The Oxford

Handbook of Comparative Constitutional Law, Oxford, Oxford University Press, 2012, p.1 ; Horatia MUIR-WATT, « La

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mécanisme? Quatrièmement, le type de réparation pouvant être offert par le mode de résolution retenu est détaillé. Dans ce contexte, la réparation est définie comme un processus général d’indemnisation des victimes26. En guise de cinquième étape, la mise en oeuvre du mode de

résolution au sein du système juridique ou parlementaire et interne est considérée. Cette section vise précisément à comprendre juridiquement de quelle façon ce mode de résolution a pu être mis en place, d’un point de vue interne au système juridique ou parlementaire dont il émane. Cette analyse du mode de résolution se termine sur une discussion sur son influence extérieure et sur les principales critiques qu’il est possible de formuler à l’encontre de ce processus. Cette grille d’analyse descriptive est appliquée aux cinq modes de résolution tirés du droit parlementaire étranger. Le dernier mode de résolution, une proposition de réforme du critère de nécessité appliqué par les tribunaux canadiens, est présenté, quant à lui, selon un modèle d’analyse de nature prescriptive qui lui est propre. Tout d’abord, le fonctionnement du critère de nécessité est explicité. Ensuite, des pistes de réformes à ce schème interprétatif judiciaire sont proposées et finalement, les effets bénéfiques d’une telle réforme sont analysés.

26 Ce sens actuel de la réparation, qui ne semble pas avoir besoin d’identifier de responsable, est en opposition avec le sens classique de la réparation, indissociable de la notion de responsabilité. Voir en ce sens, Grégoire BIGOT, « Réparation » dans Denis ALLAND et Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Paris, 2003, p.1331 à 1335.

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Partie 1 – La liberté de parole du parlementaire :

conflits pratiques et conceptions théoriques

Le privilège parlementaire de la liberté de parole est amené à évoluer aujourd’hui dans un contexte particulier. En raison de la reconnaissance des droits fondamentaux, ses fondements juridiques sont remis en question. De plus, la réalité politique, sociale et médiatique actuelle au sein de laquelle il évolue est marquée par plusieurs transformations, dont une surmédiatisation des travaux parlementaires, l’imposition de nouveaux standards éthiques et déontologiques aux parlementaires et un appel à leur responsabilisation. La multiplication des instruments de protection des droits fondamentaux sous-tend également les problèmes dégagés par les tribunaux relativement à l’applicabilité des lois au Parlement. En effet, la promotion de nouveaux droits auxquels sont confrontés les privilèges renvoie à ces rapports déjà ambigüs entre droit commun et assemblées parlementaires.

Plus particulièrement, le droit à la dignité et à la réputation, inclus de façon directe ou implicite dans la majorité des textes protégeant les droits fondamentaux, est au centre du conflit normatif qui fait l’objet de cette étude. Ce droit individuel entretient des rapports spécifiques avec la liberté d’expression et cette dernière est essentielle au déroulement des travaux parlementaires. Toutefois, au carrefour où se heurtent le droit à la dignité et de la liberté d’expression se trouve la diffamation, un concept qui n’est pas étranger aux travaux parlementaires.

En effet, la confrontation entre le privilège de la liberté de parole, qui assure la liberté d’expression des parlementaires, et le droit à la dignité et à la réputation des citoyens est réelle et ce, tant en droit canadien qu’étranger. Dans sa version canadienne, ce conflit peut être identifié dans les affaires Michaud et Wong, qui ont défrayé la manchette au cours des dernières années. De surcroît, la Cour suprême canadienne semble entretenir un double discours lorsqu’elle a été amenée à pondérer les privilèges parlementaires et les droits et libertés fondamentaux. Ces situations mènent ainsi à un besoin de considérer des modes de résolution externes aux tribunaux afin solutionner l’impasse constitutionnelle et interprétative dégagée en droit canadien. Dans la version européenne, la Cour européenne des droits de l’homme, un tribunal spécialisé en matière de droits de la personne, a été amenée à analyser ce conflit entre la liberté de parole et le droit à la dignité dans les arrêts A. c.

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Royaume-Uni27 et Cordova c. Italie (No. 2)28. Cette Cour, ayant dégagé plusieurs enseignements en

matière de liberté d’expression politique, a posé un regard particulier sur les privilèges parlementaires en relation avec les droits de la personne.

Pour saisir les dimensions étrangères du conflit qui oppose la liberté de parole et le droit à la dignité et à la réputation, il faut s’attarder aux deux conceptions dominantes de la liberté de parole des parlementaires qui sont aujourd’hui intégrées dans les démocraties libérales et qui constituent des équivalences fonctionnelles. Il y a tout d’abord la conception britannique de la liberté de parole, héritée en partie du Bill of Rights de 1689. L’histoire de ce principe juridique est un enjeu central dans l’établissement de la démocratie parlementaire moderne. Plusieurs systèmes parlementaires sont aujourd’hui dotés de privilèges hérités du Royaume-Uni29. Il y a également la conception

française de la liberté de parole du parlementaire, appelée irresponsabilité parlementaire. Ses origines historiques, en lien avec la Révolution française de 1789, sont aussi essentielles à sa compréhension. La conception française de l’irresponsabilité a été reprise pour sa part dans une grande proportion d’États d’Europe continentale30.

27 A c. Royaume-Uni, préc., note 20.

28 Cordova c. Italie (No 2), no 45649/99, CEDH 2003-I.

29M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72. Il s’agit principalement du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, et de l’Inde.

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Chapitre 1 – Du conflit entre la liberté de parole du député

et le droit à la dignité et à la réputation

Avant d’analyser directement les modes de résolution aux conflits normatifs identifiés, il apparaît nécessaire de présenter les tenants et aboutissants de ce conflit. Il s’agit plus particulièrement de prendre acte de ses éléments constitutifs, afin de saisir ses origines et le contexte juridique, politique et social dans lequel il évolue. Pour ce faire, une analyse en deux temps permet d’opposer le privilège parlementaire de la liberté de parole, d’une part, et le droit à la dignité et à la réputation, d’autre part. Ce dernier est inclus directement ou implicitement dans le contenu de nombreux instruments de protection des droits fondamentaux. À cela s’ajoute des illustrations du conflit entre liberté de parole et droit à la dignité et à la réputation, et ce, afin de saisir ses résurgences tant canadiennes qu’étrangères.

1.1 La protection de la liberté de parole des parlementaires

Afin de procéder à une analyse compréhensive des modes de résolution au conflit existant entre privilèges parlementaires et droits et libertés fondamentaux, il appert essentiel d’examiner le paysage institutionnel dans lequel évolue la liberté de parole du parlementaire au Canada.

Dans un premier temps, le fonctionnement particulier des privilèges parlementaires dans le système constitutionnel canadien doit être détaillé afin de faciliter la compréhension de cette construction juridique. Cette étude visant particulièrement le privilège de la liberté de parole, ses fondements juridiques et les récents jugements rendus par les tribunaux canadiens en cette matière sont examinés ensuite présentés afin de compléter ce bref portrait des privilèges parlementaires au Canada.

Afin de fournir un portrait plus complet de la réalité contemporaine du privilège de la liberté de parole, le contexte parlementaire et politique contemporain dans lequel il évolue est présenté dans un deuxième temps. Les décisions parlementaires visant à responsabiliser les parlementaires, la pression médiatique croissante qui pèse sur les parlementaires ainsi que les appels répétés des spécialistes ou de la société civile pour une responsabilisation accrue des titulaires de charges publiques sont diverses influences qui permettent de conclure que depuis l’instauration de la liberté

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de parole en 1689 au Royaume-Uni, le contexte socio-politique et institutionnel dans lequel ce privilège doit être mis en oeuvre a fortement changé.

1.1.1 La liberté de parole des parlementaires : le contexte juridique

Les privilèges et immunités parlementaires qui sont partie du droit parlementaire et constitutionnel canadien permettent à une assemblée législative et à ses députés d’exercer les fonctions qui leur sont dévolues sans entraves31. La définition qu’en fait Erskine May fait autorité auprès des tribunaux

et des spécialistes32 :

« Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque chambre, collectivement, […] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers. On est donc fondé à affirmer que, bien qu’il s’insère dans l’ensemble des lois, le privilège n’en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun33. »

Sa compréhension est ainsi liée au fonctionnement de l’institution parlementaire, et à l’agencement des pouvoirs au sein du système constitutionnel canadien.

Les privilèges parlementaires au Canada

Bien que les membres des premières assemblées législatives coloniales canadiennes disposaient déjà de certaines immunités34 jugées nécessaires à l’exercice de leurs fonctions35, les parlementaires

canadiens bénéficient de la protection que leur offrent les privilèges parlementaires depuis l’instauration des institutions politiques modernes au Canada en 1867. En effet, le préambule de la

Loi constitutionnelle de 1867 stipule expressément que la Constitution canadienne repose « sur les

mêmes principes que celle du Royaume-Uni36 ». Cette référence aux principes du Royaume-Uni

implique que le fonctionnement du système parlementaire canadien soit calqué sur le système parlementaire en vigueur au Royaume-Uni. Ainsi, au moment de la création des institutions politiques modernes, les assemblées législatives canadiennes ont hérité des privilèges parlementaires dont

31 Audrey O’BRIEN et Marc BOSC, La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e éd., Ottawa/Montréal, Chambre des communes/Éditions Yvon Blais, 2009, p.59.

32Id., p. 60 ; J. MAINGOT, préc., note 1, p.12; NB Broadcasting, préc., note 13, p.379.

33William McKAY (dir.), Erskine May's treatise on the law, privileges, proceedings and usage of Parliament, 23e éd., London, LexisNexis, 2004, p. 75, traduction dans A. O’BRIEN et M. BOSC, préc., note 31, p.60.

34J. MAINGOT, préc., note 1, p.3.

35Kielley c. Carson, (1842) 4 Moo. P.C. 63, 13 E.R. 225. 36 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10, préambule.

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jouissent les chambres du Parlement du Royaume-Uni et leurs membres. De plus, l’article 18 de la

Loi constitutionnelle de 186737 stipule que le Parlement du Canada peut légiférer en matière de

privilèges, mais ne peut se donner aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs qui excèdent ceux possédés par la Chambre des communes du Royaume-Uni en 187538. Conformément à cette règle,

la Loi sur le Parlement du Canada39 énonce clairement à son article 4 que les privilèges et immunités

dont disposent le Sénat et la Chambre des communes sont ceux dont disposaient la Chambre des communes britannique en 1867.

Les principaux privilèges parlementaires reconnus aujourd’hui aux assemblées législatives canadiennes sont ainsi les mêmes qui étaient reconnus à l’époque à la Chambre des communes du Royaume-Uni. Il est possible de les diviser en deux principales catégories : les privilèges « individuels », rattachés à la personne du député, et les privilèges « collectifs », rattachés à la Chambre comme entité. Les privilèges individuels reconnus aux députés à la Chambre des communes et au Sénat canadiens sont les suivants : la liberté de parole; l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles; l’exemption de l’obligation de faire partie d’un jury et l’exemption de l’assignation à comparaître comme témoin40. Les privilèges collectifs reconnus aux Chambres, quant

à eux, sont : le droit de réprimer l’outrage fait au Parlement, le droit de prescrire leur propre constitution, et le droit de réglementer leurs affaires internes sans ingérence extérieure. Ce dernier privilège inclut le droit de prendre des mesures disciplinaires contre leurs membres, le droit de convoquer des témoins ou de requérir des documents et le droit d’établir leurs propres règles de procédure41.

37 Loi constitutionnelle de 1867, préc., note 10, art. 18 : « Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu’aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de l’adoption de l’acte en question, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et par les membres de cette Chambre. » Il est à noter que l’article 18 original de la

Loi constitutionnelle de 1867 a été modifié par la Loi de 1875 sur le Parlement du Canada, 38 & 39 Vict., R.-U., c. 38.

38 Bien que les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 ne font pas explicitement référence aux assemblées législatives des provinces, le Comité judiciaire du Conseil privé a confirmé en 1896 dans l’arrêt Fielding c. Thomas que cette situation prévalait également au sein des assemblées législatives provinciales ; Fielding c. Thomas, [1896] A.C. 600.

39Loi sur le Parlement du Canada, préc., note 11. 40J. MAINGOT, préc., note 1, p.15.

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Le traitement judiciaire des privilèges parlementaires

Les privilèges parlementaires font l’objet d’une jurisprudence plus que parcimonieuse de la part des tribunaux canadiens. Depuis l’adoption de la Charte canadienne, il y a un peu plus de 30 ans, la Cour suprême du Canada ne s’est prononcée qu’à trois reprises sur le sujet, dans des arrêts ainsi devenus incontournables en droit parlementaire canadien : New Brunswick Broadcasting Co. c.

Nouvelle-Écosse42, Harvey c. Nouveau-Brunswick (P.G.)43 et Canada (Chambre des communes) c.

Vaid44. Ces trois arrêts ont confronté l’économie des privilèges parlementaires au sein du nouvel

ordre constitutionnel canadien. Le premier de ces trois arrêts, rendu en 1993, a joué un grand rôle à cet effet, puisqu’il a confirmé le statut constitutionnel des privilèges, traditionnellement jugés nécessaires au bon fonctionnement des assemblées législatives45. Les deux arrêts suivants ont

renforcé l’idée qu’une fois que la Cour avait statué sur la « nécessité » du privilège réclamé aux fins d’assurer les fonctions constitutionnelles du Parlement, il est ensuite impossible pour les tribunaux d’en contrôler l’exercice46.

Ces arrêts ont également permis de déterminer qu’au Canada, les privilèges parlementaires et les droits et libertés fondamentaux inclus dans la Charte canadienne disposent tous deux d’un statut constitutionnel. Dès qu’un privilège est considéré comme « nécessaire » pour l’assemblée législative, l’assemblée législative agit dans le cadre de ses pouvoirs constitutionnels47. Ce privilège ne saurait

donc être limité par une autre section de la Constitution, en l’occurrence les droits et libertés de la

Charte canadienne. Ces arrêts constituent ainsi des manifestations explicites du conflit normatif

existant au Canada entre droits et libertés et privilèges parlementaires. L’analyse de la Cour relative à ce conflit est précisée dans une section ultérieure de ce chapitre48, et le test de nécessité

développé par la Cour suprême afin de le réguler est abordé plus longuement dans la seconde partie de cette étude49.

Les rares arrêts de la Cour suprême constituent également une manifestation de l’importance du droit parlementaire comparé pour les assemblées législatives et les tribunaux canadiens en matière 42NB Broadcasting, préc., note 13. 43Harvey, préc., note 17. 44Vaid, préc., note 17. 45NB Broadcasting, préc., note 13, 374 et 375. 46Vaid, préc., note 17, 697-700. 47NB Broadcasting, préc., note 13, 393. 48 Infra, p.34. 49 Infra, p.130.

(27)

de privièges parlementaires. La plus haute cour du pays a eu largement recours à la jurisprudence étrangère sur les privilèges pour étayer son argumentaire. En effet, au Royaume-Uni, le critère de la nécessité a été historiquement considéré comme déterminant50. En se justifiant sur le préambule de

la Loi constitutionnelle de 186751, la Cour suprême a recours à ce critère développé dans la

jurisprudence britannique pour l’appliquer à l’étendue des privilèges parlementaires au Canada. Une très grande similitude dans le fonctionnement des systèmes parlementaires d’héritage britannique explique l’importante perméabilité des solutions utilisées afin de répondre à un problème particulier en matière de procédure et de privilèges parlementaires. Il ressort de cette proximité institutionnelle une tendance naturelle à recourir au droit parlementaire comparé, tant pour les tribunaux que pour les assemblées parlementaires. Toutefois, au-delà de ces similitudes, un privilège particulier est conçu de façon quasi universelle à travers les systèmes parlementaires, soit le privilège parlementaire de la liberté de parole52. Avant d’insister sur sa dimension comparative, il s’agit

toutefois dans un premier temps d’en présenter l’usage dans le système constitutionnel canadien.

Le privilège parlementaire de la liberté de parole au Canada

Le privilège de la liberté de parole consiste en une immunité de poursuites pour les propos tenus lors des délibérations parlementaires. Au Canada, ce privilège est accordé aux membres du Parlement, ainsi qu’aux personnes invitées à témoigner devant la Chambre ou ses comités53.

Bien que la protection de certains privilèges parlementaires au Canada ait fait l’objet de débats, celle de la liberté de parole semble avoir été l’objet d’un nombre très restreint de litiges, du moins quant à son essence. Elle est considérée comme l’un des privilèges les plus importants pour le fonctionnement des institutions parlementaires. Elle est liée aux droits de la population dont les membres du Parlement sont les représentants54. Elle permet en effet aux élus de s’exprimer sans

restriction et leur accorde le droit de dévoiler et de dénoncer les abus, ce qui est l’assurance d’une vie démocratique saine55. Les propos des juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt New

Brunswick Broadcasting quant à l’importance de ce privilège sont sans équivoque : « La nécessité de

50Stockdale c. Hansard, [1839] 9 Ad. & E. 1, 112 E.R. 1112, 1169. 51NB Broadcasting, préc., note 13, 378.

52M. VAN DER HULST, préc., note 7, p.72. 53 J. MAINGOT, préc., note 1, p.37. 54Id., p.26.

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la liberté de parole est tellement évidente qu’elle se passe de commentaires56 ». En raison de ce

caractère essentiel, la liberté de parole se voit reconnaître peu d’exceptions57.

Le principal écueil de la liberté de parole dans les assemblées parlementaires de type britannique est qu’il existe un risque pour les membres du Parlement d’abuser de cette liberté, et ce, sans porter atteinte aux privilèges de la Chambre :

« Members are protected by Privilege, the House has always been jealous to see that that Privilege is not abused. But to abuse Privilege is not in itself to commit a breach of the Privilege of this House, and it has never been so regarded, although the House has, from time to time, punished Members for offensive words spoken before the House58. »

Bien que l’abus de sa liberté de parole ne constitue pas une atteinte à la Chambre ou un outrage au Parlement, il s’agit toutefois d’une situation qui impose considération59. En raison du contexte

politique qui entoure les débats parlementaires, et de l’importance qui est accordée aux propos que tiennent les membres du Parlement, les abus de parole ont possiblement plus d’effets néfastes au XXIe siècle qu’à l’époque de l’émergence de ce privilège.

1.1.2 La liberté de parole des parlementaires : le contexte médiatique,

social et politique

En raison des privilèges parlementaires, un contexte juridique singulier entoure le travail des assemblées législatives. Cette réalité déjà distincte du reste des institutions publiques se dédouble en raison d’une situation sociale et politique unique, le Parlement constituant l’incarnation du principe démocratique au sein de l’État. De ce fait, une attention majorée est portée sur les discussions qui s’y déroulent et, de façon corollaire, envers les agissements des membres qui composent cette institution législative. Les défis qui marquent l’usage contemporain de la liberté de parole des parlementaires ainsi sont ainsi démultipliés.

Les agissements des représentants de l’État font en effet aujourd’hui l’objet d’une surveillance médiatique sans précédent, qui s’est accentuée au cours des dernières années avec l’apparition des médias sociaux. En lien avec cette attention permanente qui leur est portée, des appels répétés à

56 NB Broadcasting, préc., note 13, 385.

57 La plupart des exceptions à la liberté de parole au Canada concernent des propos prononcés à l’extérieur de l’enceinte parlementaire ou les retranscriptions des débats parlementaires. Voir J. MAINGOT, préc., note 1, p. 25 et suiv.

58ROYAUME-UNI, House of Commons Parliamentary Debates (Hansard), 16 November 1960, « Complaint of privilege », p. 385 (Mr. Speaker).

(29)

une éthique irréprochable et une responsabilité accrue sont adressés aux titulaires de charges publiques au sein de l’État, y compris les membres du Parlement. Cette responsabilisation a en effet aujourd’hui gagné les assemblées législatives ainsi que leur procédures internes. Au XXIe siècle, la

liberté de parole du député ne s’exerce donc plus dans le même paysage médiatique, social et politique que celui dans lequel s’inscrivaient les délibérations des députés britanniques à l’époque du Bill of Rights.

Une pression médiatique sur les parlementaires

Au Royaume-Uni, jusqu’au XIXe siècle, répéter des propos tenus au Parlement constituait un

outrage60. Les débats parlementaires avaient en effet à l’époque une teneur confidentielle qui a

aujourd’hui largement disparu. Aujourd’hui, les débats sont publics et accessibles, et les citoyens sont même invités à y assister en personne dans les tribunes des assemblées parlementaires.

Non seulement le contenu des débats parlementaires n’est-il plus confidentiel, il est aujourd’hui surexposé61. Les médias de toutes sortes vont relayer en direct l’information qui émane de

l’assemblée parlementaire. En raison de la vocation démocratique et représentative de l’institution, les échanges des membres du Parlement vont recevoir une couverture continue, que ce soit par le biais des médias traditionnels, ou des médias de l’institution elle-même. La tendance générale encourage de surcroît à plus de transparence dans la gestion des affaires publiques, ainsi qu’à des gouvernements dits « ouverts »62. La très forte publicité accordée aux débats parlementaires par les

médias s’inscrit dans cette tendance.

Les médias, et particulièrement les médias sociaux, rendent donc aujourd’hui plus difficile la protection de l’image d’une personne ou d’une institution. Ceci peut être au détriment de celle du Parlement et de ses membres, mais également au détriment des tiers qui pourraient faire l’objet des débats parlementaires. Une attaque diffamatoire peut avoir aujourd’hui un effet « boule de neige » en raison de la multiplication des médias et de la facilité de diffusion de propos ou d’actes litigieux63.

60J. MAINGOT, préc., note 1, p. 25, note 4.

61 Beccy ALLEN, Joel BLACKWELL, Luke BOGA-MITCHELL et al., #futurenews. The Communication of Parliamentary

Democracy in a Digital World, London, Hansard Society, 2013, p.31 et suiv.

62 Archon FUNG et David WEIL, « Open Government and Open Society », dans Daniel LATHROP et Laurel RUMA (dir.),

Open Government, Collaboration, Transparency and Participation in Practice, Sebastopol, O’Reilly, 2010, p.105.

63Charles ROBERT et Vince MacNEIL, « Shield or Sword? Parliamentary Privilege, Charter Rights and the Rule of Law » (2007) 75 The Table 17, 28.

(30)

Dans les assemblées parlementaires de type britannique, une transcription intégrale des débats parlementaires dans les médias est par ailleurs protégée de façon absolue en raison du privilège de la liberté de parole64. Un compte rendu « juste et fidèle » des débats parlementaires est couvert par

un privilège limité, mais est toutefois à l’abri des accusations en diffamation, puisque l’intention délictuelle liée aux propos diffamatoires peut être réfutée65. Pour le député, la publication à plus large

échelle de ses propos tenus lors des débats parlementaires n’a donc aucune influence sur l’immunité dont il dispose, qui demeure entière66.

Des appels à une éthique irréprochable

Bien que l’intérêt public commande aujourd’hui selon certains les dérogations au droit commun qu’impliquent les immunités parlementaires67, d’autres standards extérieurs s’imposent également à

une assemblée législative. Une tendance récente vise à imposer aux membres des assemblées le respect de règles éthiques et déontologiques dans l’exécution de leurs fonctions parlementaires.

En 2004, des modifications apportées à la Loi sur le Parlement du Canada68 ont mis en place le

cadre légal permettant de fixer des balises à la conduite des membres des deux assemblées fédérales : mise en place d’un conseiller sénatorial en éthique et d’un commissaire à l’éthique à la Chambre des communes (aujourd’hui devenu le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique). Le

Code régissant les conflits d’intérêts des députés69 s’applique aujourd’hui aux 308 députés de la

Chambre des communes, tandis que le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des

sénateurs70 a été adopté par la Chambre haute canadienne. Le Québec s’est également doté, en

2010, d’un tel Code d’éthique et de déontologie pour ses parlementaires, cette fois par voie législative71.

64J. MAINGOT, préc., note 1, p.47.

65Wason v. Walter, [1868] L.R. 4 Q.B. 73; J. MAINGOT, préc., note 1, p.45 66J. MAINGOT, préc., note 1, p.51-52.

67David McGEE, Parliamentary practice in New Zealand, 3e éd., Wellington, Dunmore Publishing Limited, 2005, p. 605. 68Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l’éthique) et

certaines lois en conséquence, L.C. 2004, ch. 7.

69 CANADA, CHAMBRE DES COMMUNES, Code régissant les conflits d’intérêts des députés, annexe au Règlement de

la Chambre des communes du Canada.

70 CANADA, SÉNAT, Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, Sénat du Canada, 16 juin 2014. 71Le Québec a adopté un Code d’éthique et de déontologie applicable aux députés de l’Assemblée nationale du Québec par voie législative en 2010 (Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale du Québec, RLRQ, c. C-23.1).

(31)

Ces textes ne régissent pas directement les propos des parlementaires durant les débats en Chambre. Toutefois, ils imposent des valeurs que ces derniers doivent mettre en oeuvre dans le cadre de leurs fonctions. Le Code sénatorial prévoit à son article 7.2 que le sénateur exerce ses fonctions parlementaires avec dignité, honneur et intégrité72. Le Code d’éthique imposé aux députés

québécois définit le respect envers les citoyens comme une valeur de l’Assemblée73, et stipule que la

conduite du député doit être « empreinte de bienveillance, de droiture, de convenance, de sagesse, d’honnêteté, de sincérité et de justice74. ». Une surveillance accrue est donc portée envers les

comportements, et surtout, la morale dont fait preuve le parlementaire dans l’exécution de son rôle de député.

Par conséquent, la liberté de parole s’exerce aujourd’hui au Canada dans un contexte où les attentes du public sont beaucoup plus élevées de la part des parlementaires. En vertu des valeurs qui sont incluses dans les codes d’éthique qui leur sont imposés, il apparaît donc antinomique que leurs propos puissent violer les droits fondamentaux d’un tiers sans qu’aucun recours ne puisse être entrepris contre eux. Cette tendance à imposer des normes éthiques et déontologiques aux parlementaires est présente au Canada, mais elle constitue également une tendance de plus en plus répandue à l’étranger, dont en France75 et au Royaume-Uni76.

Une responsabilisation au sein des assemblées parlementaires

Dans ce contexte, les assemblées, qui disposent d’un important pouvoir disciplinaire sur leurs membres en raison du privilège de gestion de leurs affaires internes sans ingérence extérieure, sont largement conscientes des risques que posent un usage abusif de la liberté de parole. Elles ont en ce sens directement un rôle à jouer en la matière, particulièrement dans la responsabilisation des parlementaires. Il revient aux Chambres d’imposer les normes jugées nécessaires « en matière d’éthique parlementaire pour protéger la liberté de parole des députés77. » Le respect de ces normes

est d’une importance particulière pour la confiance que portent les citoyens envers l’institution législative.

72Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, préc., note 70, art. 7.2.

73Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale du Québec, préc., note 71, art. 6(1). 74Id., art. 6(2).

75 FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Code de déontologie ; FRANCE, ASSEMBLÉE NATIONALE, Décision du

Bureau du 6 avril 2011 relative au respect du Code de déontologie des députés.

76 ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, The Code of Conduct, 12 March 2012 ; ROYAUME-UNI, HOUSE OF COMMONS, The Guide to the Rules relating to the Conduct of Members, 9 February 2009.

(32)

À quelques reprises, le président de la Chambre des communes canadienne, qui dispose de l’autorité en matière disciplinaire, a rappelé l’importance que les parlementaires doivent accorder à leur liberté de parole, et veiller à ne pas en abuser sans considération :

« Un tel privilège donne de lourdes responsabilités à ceux qu’il protège. Je songe en particulier aux députés. Les conséquences d’un abus risquent d’être terribles. Des innocents risquent d’être victimes de diffamation sans avoir aucun recours. Des réputations risquent ainsi d’être ruinées par de fausses rumeurs. Tous les députés se rendent compte qu’ils doivent exercer avec prudence le privilège absolu qui leur confère une liberté de parole totale. C’est pourquoi de vieilles traditions visent à prévenir de tels abus à la Chambre.78. »

Le plus grand défi auquel est confronté l’usage de la liberté de parole des parlementaires est de veiller, dans ce contexte, à respecter les droits fondamentaux des tiers qui pourraient être affectés par la teneur des débats. En effet, la protection des droits fondamentaux, y compris le droit à la dignité et à la réputation a pris une place croissante dans le contexte juridique et social dans lequel évoluent les privilèges parlementaires aujourd’hui.

En 2003, le président de la Chambre des communes avait émis la suggestion suivante aux députés, dans le but de porter un souci particulier aux droits et libertés fondamentaux dont disposent les citoyens :

« La présidence décourage les députés de désigner les personnes par leur nom dans leurs discours s’ils disent du mal de ces dernières car, le privilège parlementaire s’appliquant à ce qu’ils disent, leurs propos portant atteinte à la réputation d’une personne ou à la personne elle-même pourraient être publiés et protégés par le privilège parlementaire, empêchant la personne visée d’intenter la moindre action à l’égard de ces déclarations.79 »

Par cette mise en garde, le président démontre qu’il est bien au fait que le droit à la dignité et à la réputation reçoit une protection aujourd’hui qui est souvent incompatible avec de tels abus de la liberté de parole des parlementaires.

Une résolution a également été adoptée au Sénat australien dans la foulée de l’adoption de la procédure du droit de réplique afin de conscientiser les parlementaires à l’impact que peut avoir leur droit de parole sur les tiers extérieurs à la Chambre80.

78 CANADA, Débats de la Chambre des communes, 5 mai 1987, préc., note 16, p.5765.

79 CANADA, Débats de la Chambre des communes, 2e sess., 37e légis., 2 avril 2003, « Recours au Règlement », p. 5040. 80 AUSTRALIE, SENATE, Parliamentary privilege resolutions agreed to by the Senate, 25 February 1988, Resolution 9, dans Harry EVANS et Rosemary LAING (dir.), Odgers’ Australian Senate Practice, 13e éd., Canberra, Department of the Senate, 2012, p.765.

Figure

Figure 2 –  Classification des modes de résolution retenus

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