• Aucun résultat trouvé

Actualités du concept de jalousie morbide

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Actualités du concept de jalousie morbide"

Copied!
89
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: dumas-00744478

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00744478

Submitted on 23 Oct 2012

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Actualités du concept de jalousie morbide

Benjamin Ronin

To cite this version:

Benjamin Ronin. Actualités du concept de jalousie morbide. Médecine humaine et pathologie. 2012. �dumas-00744478�

(2)

AVERTISSEMENT

Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le

jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la

communauté universitaire élargie.

Il n’a pas été réévalué depuis la date de soutenance.

Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci

implique une obligation de citation et de référencement

lors de l’utilisation de ce document.

D’autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite

encourt une poursuite pénale.

Contact au SICD1 de Grenoble :

thesebum@ujf-grenoble.fr

LIENS

LIENS

Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4

Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10

http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php

(3)

UNIVERSITE JOSEPH FOURIER FACULTE DE MEDECINE DE GRENOBLE

ANNEE : 2012 N°

ACTUALITES DU CONCEPT DE JALOUSIE MORBIDE

THESE PRESENTEE POUR L’OBTENTION DU DOCTORAT EN MEDECINE DIPLOME D’ETAT

Monsieur Benjamin RONIN

Né le 21 mars 1979 à Angers

Thèse soutenue publiquement à la Faculté de Médecine de Grenoble* Le 18 octobre 2012

Devant le jury composé de :

Président du jury :

Monsieur le Professeur Thierry BOUGEROL

Membres :

Monsieur le Professeur Gaëtan GAVAZZI Monsieur le Docteur François PAYSANT

Monsieur le Docteur Jérôme LEBAUD (directeur de thèse)

*La Faculté de Médecine de Grenoble n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions sont considérées comme propres à leurs auteurs.

(4)
(5)

Nom Prénom Intitulé de la discipline universitaire

ALBALADEJO Pierre Anesthésiologie-réanimation

ARVIEUX-BARTHELEMY Catherine Chirurgie générale

BACONNIER Pierre Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

BAGUET Jean-Philippe Cardiologie

BALOSSO Jacques Radiothérapie

BARRET Luc Médecine légale et droit de la santé

BAUDAIN Philippe Radiologie et imagerie médicale

BEANI Jean-Claude Dermato-vénéréologie

BENHAMOU Pierre Yves Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques

BERGER François Biologie cellulaire

BLIN Dominique Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire

BOLLA Michel Cancérologie; radiothérapie

BONAZ Bruno Gastroentérologie; hépatologie; addictologie

BOSSON Jean-Luc Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

BOUGEROL Thierry Psychiatrie d'adultes

BRAMBILLA Elisabeth Anatomie et cytologie pathologiques

BRAMBILLA Christian Pneumologie

BRICAULT Ivan Radiologie et imagerie médicale

BRICHON Pierre-Yves Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire

BRIX Muriel Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie

CAHN Jean-Yves Hématologie

CARPENTIER Françoise Thérapeutique; médecine d'urgence

CARPENTIER Patrick Chirurgie vasculaire; médecine vasculaire

CESBRON Jean-Yves Immunologie

CHABARDES Stephan Neurochirurgie

CHABRE Olivier Endocrinologie, diabète et maladies métaboliques

CHAFFANJON Philippe Anatomie

CHAVANON Olivier Chirurgie thoracique et cardio-vasculaire

CHIQUET Christophe Ophtalmologie

CHIROSSEL Jean-Paul Anatomie

CINQUIN Philippe Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

COHEN Olivier Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

COUTURIER Pascal Gériatrie et biologie du vieillissement

CRACOWSKI Jean-Luc Pharmacologie fondamentale; pharmacologie clinique Professeur des Universités - Praticien Hospitalier

2011-2012

(6)

DE GAUDEMARIS Régis Médecine et santé au travail

DEBILLON Thierry Pédiatrie

DEMATTEIS Maurice Addictologie

DEMONGEOT Jacques Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

DESCOTES Jean-Luc Urologie

ESTEVE François Biophysique et médecine nucléaire

FAGRET Daniel Biophysique et médecine nucléaire

FAUCHERON Jean-Luc Chirurgie générale

FERRETTI Gilbert Radiologie et imagerie médicale

FEUERSTEIN Claude Physiologie

FONTAINE Eric Nutrition

FRANCOIS Patrice Epidémiologie, économie de la santé et prévention

GARBAN Frédéric Hématologie; transfusion

GAUDIN Philippe Rhumatologie

GAVAZZI Gaetan Gériatrie et biologie du vieillissement

GAY Emmanuel Neurochirurgie

GRIFFET Jacques Chirurgie infantile

HALIMI Serge Nutrition

HOMMEL Marc Neurologie

JOUK Pierre-Simon Génétique

JUVIN Robert Rhumatologie

KAHANE Philippe Physiologie

KRACK Paul Neurologie

KRAINIK Alexandre Radiologie et imagerie médicale

LANTUEJOUL Sylvie Anatomie et cytologie pathologiques

LEBAS Jean-François Biophysique et médecine nucléaire

LEBEAU Jacques Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie

LECCIA Marie-Thérèse Dermato-vénéréologie

LEROUX Dominique Génétique

LEROY Vincent Gastroentérologie; hépatologie; addictologie

LETOUBLON Christian Chirurgie générale

LEVY Patrick Physiologie

LUNARDI Joël Biochimie et biologie moléculaire

MACHECOURT Jacques Cardiologie

MAGNE Jean-Luc Chirurgie vasculaire

MAITRE Anne Médecine et santé au travail

MAURIN Max Bactériologie-virologie

MERLOZ Philippe Chirurgie orthopédique et traumatologique

(7)

MORAND Patrice Bactériologie-virologie

MORO-SIBILOT Denis Pneumologie

MOUSSEAU Mireille Cancérologie

MOUTET François Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique; brûlogie

PALOMBI Olivier Anatomie

PASSAGIA Jean-Guy Anatomie

PAYEN DE LA GARANDERIE Jean-François Anesthésiologie-réanimation

PELLOUX Hervé Parasitologie et mycologie

PEPIN Jean-Louis Physiologie

PERENNOU Dominique Médecine physique et de réadaptation

PERNOD Gilles Médecine vasculaire

PIOLAT Christian Chirurgie infantile

PISON Christophe Pneumologie

PLANTAZ Dominique Pédiatrie

POLACK Benoît Hématologie

PONS Jean-Claude Gynécologie-obstétrique

RAMBEAUD Jean-Jacques Urologie

REYT Emile Oto-rhino-laryngologie

RIGHINI Christian Oto-rhino-laryngologie

ROMANET Jean-Paul Ophtalmologie

SARAGAGLIA Dominique Chirurgie orthopédique et traumatologique

SCHMERBER Sébastien Oto-rhino-laryngologie

SELE Bernard Biologie et médecine du développement et de la reproduction

SERGENT Fabrice Gynécologie-obstétrique

SESSA Carmine Chirurgie vasculaire

STAHL Jean-Paul Maladies infectueuses; maladies tropicales

STANKE Françoise Pharmacologie fondamentale

TIMSIT Jean-François Réanimation

TONETTI Jérôme Chirurgie orthopédique et traumatologique

TOUSSAINT Bertrand Biochimie et biologie moléculaire

VANZETTO Gérald Cardiologie

VUILLEZ Jean-Philippe Biophysique et médecine nucléaire

WEIL Georges Epidémiologie, économie de la santé et prévention

ZAOUI Philippe Néphrologie

ZARSKI Jean-Pierre Gastroentérologie; hépatologie; addictologie

(8)

Nom Prénom Intitulé de la discipline universitaire BONNETERRE Vincent Médecine et santé au travail

BOTTARI Serge Biologie cellulaire

BOUTONNAT Jean Cytologie et histologie

BRENIER-PINCHART Marie-Pierre Parasitologie et mycologie

BRIOT Raphaël Thérapeutique; médecine d'urgence

CALLANAN-WILSON Mary Hématologie; transfusion

CROIZE Jacques Bactériologie-virologie

DERANSART Colin Physiologie

DETANTE Olivier Neurologie

DUMESTRE-PERARD Chantal Immunologie

EYSSERIC Hélène Médecine légale et droit de la santé

FAURE Julien Biochimie et biologie moléculaire

GILLOIS Pierre Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

GRAND Sylvie Radiologie et imagerie médicale

HENNEBICQ Sylviane Biologie et médecine du développement et de la reproduction

HOFFMANN Pascale Gynécologie-obstétrique

LABARERE José Epidémiologie, économie de la santé et prévention

LAPORTE François Biochimie et biologie moléculaire

LARDY Bernard Biochimie et biologie moléculaire

LARRAT Sylvie Bactériologie-virologie

LAUNOIS-ROLLINAT Sandrine Physiologie

MALLARET Marie-Reine Epidémiologie, économie de la santé et prévention

MAUBON Danièle Parasitologie et mycologie

MC LEER (FLORIN) Anne Cytologie et histologie

MOREAU-GAUDRY Alexandre Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

MOUCHET Patrick Physiologie

Maître de Conférence des Universités - Praticien Hospitalier 2011-2012

(9)

PACLET Marie-Hélène Biochimie et biologie moléculaire

PASQUIER Dominique Anatomie et cytologie pathologiques

PAYSANT François Médecine légale et droit de la santé

PELLETIER Laurent Biologie cellulaire

RAY Pierre Génétique

RIALLE Vincent Biostatiques, informatique médicale et technologies de communication

SATRE Véronique Génétique

STASIA Marie-Josée Biochimie et biologie moléculaire

TAMISIER Renaud Physiologie

(10)

A toi Sandrine

A mon père

A ma mère

(11)

Remerciements

A Monsieur le Professeur Thierry Bougerol

Vous me faites l’honneur de présider mon jury de thèse et je tiens tout particulièrement à vous témoigner ma grande reconnaissance pour vos remarques constructives personnelles et cliniques concernant mes différents travaux dans votre service. Je tiens également à vous remercier vivement pour votre disponibilité et vos conseils rassurants concernant mon engagement dans les moments importants de mon internat de psychiatrie.

A Monsieur le Professeur Gaëtan Gavazzi

Je suis très honoré que vous ayez accepté de faire partie de mon jury de thèse. Je vous suis très reconnaissant d’avoir pris le temps de me rencontrer et d’avoir témoigné de l’intérêt à mon travail lors de nos entretiens. J’ai beaucoup apprécié votre vision de la médecine et votre sens clinique.

A Monsieur le Docteur François Paysant

Je suis très honoré de votre présence au sein de mon jury de thèse et suis particulièrement touché de l’intérêt que vous avez porté à mon travail et par vos encouragements.

A Monsieur le Docteur Jérôme Lebaud

Je vous suis très reconnaissant de m’avoir accompagné tout au long de ce travail de thèse. Je vous remercie chaleureusement pour vos conseils avisés, votre sens clinique et votre patience sans bornes.

(12)

A monsieur le Docteur David Szekely que je tiens à remercier pour ses précieux conseils et nos échanges cliniques enrichissants.

(13)

“O, beware jealousy!

It is the green-ey’d monster, which doth mock

The meats it feeds on.”

(14)

1

Table des matières

RESUME

p.4

INTRODUCTION

p.5

PREMIERE PARTIE : LA JALOUSIE NORMALE

p.6

I-Eléments de définition

p.6

1-Définition et étymologie p.6

2-Jalousie et envie p.7

3-Amour oblatif et captatif p.8

II-Caractéristiques de la jalousie amoureuse

p.8

III-Jalousie amoureuse et construction sociale

p.9

1-Jalousie, passion et émotions p.9

2-Jalousie amoureuse et fidélité p.9

IV-Jalousie et théorie socio-biologique

p.12

1-Jalousie sexuelle et émotionnelle p.12

2-Corrélation neuroanatomique p.12

DEUXIEME PARTIE :

JALOUSIE MORBIDE, PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE

DANS LA PREMIERE MOITIE DU 20

e

SIECLE

p.15

I-Aspects nosographiques et cliniques classiques du concept de jalousie morbide

p.15

1-A. Mairet-« La Jalousie : Etude Psychophysiologique.1908 » p.16

1-1 Le délire systématisé de jalousie p.16

1-2 L’hyperesthésie jalouse de Mairet p.18

2-K. Jaspers-« Le Délire de Jalousie : Développement de la Personnalité

ou Processus.1910 » p.19

2-1 Délire de jalousie processuel p.20

2-2 Délire de jalousie et développement de la personnalité p.21 3-De Clérambault -« Le Délire Passionnel de Jalousie.1921 » p.22

(15)

2

4-D. Lagache-« La Jalousie Amoureuse.1947 » p.23

4-1 Jalousie réactionnelle p.23

4-2 Jalousie par développement de la personnalité p.24

4-3 Jalousie et altération processuelle p.24

4-4 Classification nosographique et résumé p.26

5-H. Ey-« Etude n°18 : Jalousie Morbide.1950 » p.27

5-1 Conception dichotomique de la jalousie morbide p.27 5-2 Reprise de la classification de Jaspers et apport théorique p.28

6-Résumé des conceptions psychiatriques de la jalousie morbide de la

première moitié du 20e siècle p.31

II-Apport théorique des conceptions psychanalytiques sur la jalousie

et le délire de jalousie

p.32

1-Sigmund Freud p.32

2-Mélanie Klein p.34

3-Jacques Lacan p.36

3-1 La dimension imaginaire de la jalousie p.36

3-2 La dimension symbolique de la jalousie p.37

TROISIEME PARTIE :

REVUE DE LA LITTERATURE PSYCHIATRIQUE

CONTEMPORAINE SUR LA JALOUSIE MORBIDE

p.38

I-Données épidémiologiques et prévalence de la jalousie morbide

p.39

1-Données épidémiologiques et prévalence dans la population générale p.39

2-Prévalence dans la population psychiatrique p.40

3-Données épidémiologiques dans la population psychiatrique p.41

II-Facteurs prédisposant à la jalousie morbide

p.42

1-Troubles sexuels p.42

2-Facteurs conjugaux et sociaux p.42

(16)

3

1-Troubles neurologiques p.43

2-Troubles neurodégénératifs p.46

IV-Jalousie morbide et toxiques

p.47

V-Jalousie morbide et alcoolisme

p.48

VI-Jalousie morbide obsessionnelle

p.50

VII-Jalousie morbide, troubles de la personnalité et théorie de l’attachement

p.54

VIII-Aspects médico-légaux

p.55

1-Evaluation du risque de violence p.56

2-Risques associés à la jalousie morbide p.56

2-1 Actions de confirmation, harcèlement p.56

2-2 Suicide p.57

2-3 Homicide et victimes p.57

3-Crime passionnel p.58

4-Evaluation clinique de la jalousie morbide p.59

IX-Traitement et prise en charge de la jalousie morbide

p.60

1-Hospitalisation p.60 2-Traitement p.60 3-Interventions psychosociales p.61 4-Pronostic p.61

DISCUSSION

p.62

CONCLUSION

p.65

BIBLIOGRAPHIE

p.67

(17)

4

Résumé

Nous avons souhaité montrer au cours de ce travail le fait que la jalousie morbide était et reste encore de nos jours un concept qui interroge la psychiatrie moderne par ses aspects cliniques et nosographiques, par les risques de passage à l’acte médicolégaux qu’elle fait peser sur le partenaire et par sa difficulté de prise en charge. Sa prévalence sous la forme d’un délire paranoïaque de jalousie décrit par le DSM 4 reste inconnue bien qu’évaluée à moins de 1% de la population. Dans le cadre de psychoses fonctionnelles, elle reste accessible à une prise en charge systématique mais soulève des difficultés diagnostiques considérables lorsqu’elle ne prend pas la forme d’idées délirantes d’infidélité. Ces autres formes cliniques de jalousie morbide ne sont pas complètement décrites renvoyant les psychiatres et les cliniciens contemporains aux difficultés rencontrées par les auteurs classiques du début du 20e siècle pour les définir. La jalousie excessive et irrationnelle, qui ne semble se différencier de la jalousie normale que par une simple différence de degrés, n’est représentée par aucune classification psychiatrique internationale et apparait néanmoins représenter une proportion non négligeable de patients souffrant de jalousie morbide. C’est cette forme de jalousie morbide qui reste l’enjeu principal de la psychiatrie moderne d’un point de vue nosographique et thérapeutique. Et l’enjeu est de taille car la passion amoureuse est l’apanage de l’homme.

(18)

5

Introduction

Qu’est ce que la jalousie morbide ? Nous serions tentés de considérer qu’elle représente une forme extrême, une forme pathologique de la jalousie normale. Mais à partir de quel degré de jalousie pourrait-on avancer que la jalousie devient morbide ? Ces questions en appelle une autre : qu’est ce que la jalousie normale ?

La jalousie est une passion que chaque être humain a déjà au moins une fois dans sa vie rencontrée, vécue ou subie. Partant de cette constatation, nous nous sommes intéressés au concept de jalousie morbide afin de savoir quelles différences cliniques pouvaient exister entre le normal et le pathologique. A partir de quand la jalousie cesse d’être normale pour basculer dans la pathologie psychiatrique ? Existe-t-il des formes cliniques de jalousie morbide ? Existe-t-il des pathologies psychiatriques qui sont plus à même de témoigner d’une jalousie morbide ?

Toutes ces questions nous ont amené à percevoir que le concept de la jalousie morbide est éparpillé dans toute l’évolution des idées psychiatriques et particulièrement lié à quelques questions générales que sont les états passionnels, les délires chroniques et le crime passionnel. De nos jours, la psychiatrie se penche toujours sur le sujet et il semble que de nombreuses questions concernant la jalousie et la jalousie morbide restent ouvertes. Cette thèse a donc pour objet de mettre en lumière l’approche actuelle de la psychiatrie contemporaine face à ce concept de jalousie morbide et de faire le lien avec la conception qu’en avaient les classiques.

Nous décrirons tout d’abord les caractéristiques de la jalousie normale afin de mettre en relief la suite de l’exposé de notre travail sur la jalousie morbide. Ensuite, nous nous attarderons sur les travaux cliniques et nosographiques psychiatriques des auteurs classiques et sur les théories psychanalytiques portant sur la jalousie morbide. De cette base clinique, nous entreprendrons une revue de la littérature contemporaine sur la question de la jalousie morbide et les différentes approches psychiatriques, neurologiques, psychothérapiques et médico-légales qui en émanent. Enfin, nous discuterons à la lumière de ces nouvelles données la place de la jalousie morbide dans les classifications psychiatriques actuelles et les questions auxquelles elles renvoient.

(19)

6

PREMIERE PARTIE : LA JALOUSIE NORMALE

Avant de développer le concept de la jalousie morbide, il nous semble opportun de mettre en lumière ce qu’on entend par « jalousie normale ». C’est ce que nous allons voir dans cette première partie, étape nécessaire à la compréhension de notre travail.

Pour Sigmund Freud la jalousie « appartient à ces états affectifs que l’on peut qualifier de

normaux au même titre que le deuil » [22 p.271]. Elle se compose « essentiellement du deuil, de la douleur causée par l’objet d’amour que l’on croit avoir perdu, et de l’humiliation narcissique, pour autant que ce dernier élément se laisse séparer des autres ; elle comprend encore des sentiments hostiles dirigés contre le rival qui a été préféré, et un apport plus ou moins grand d’autocritique qui veut rendre responsable le moi propre de la perte d’amour » [22 p.271]. Même si elle qualifiée de

normale, la jalousie n’est pas, selon lui, pour autant rationnelle. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce caractère irrationnel de la jalousie, par son lien avec la passion amoureuse et par son aspect imaginaire développé dans les théories psychanalytiques.

I-ELEMENTS DE DEFINITION

1-Définition et étymologie

La définition moderne de la jalousie donnée par le Petit Robert est la suivante :

1. Sentiment mauvais qu’on éprouve en voyant un autre jouir d’un avantage

qu’on ne possède pas ou qu’on désirerait posséder exclusivement ; c’est l’inquiétude qu’inspire la crainte de partager cet avantage ou de le perdre au profit d’autrui.

La deuxième définition se rapporte à la situation amoureuse :

2. C’est un sentiment douloureux que font naitre, chez celui qui l’éprouve, les

exigences d’un amour inquiet, le désir de possession exclusive de la personne aimée, la crainte, le soupçon ou la certitude de son infidélité.

La jalousie peut se rencontrer dans de nombreux domaines (jalousie de fortune, d’honneur) mais c’est dans l’amour qu’elle est la plus intense, en raison du caractère constamment conjectural de la possession et du don. On voit à travers ces définitions que la jalousie est une crainte liée à la

(20)

7 possession de l’autre, à son exigence d’exclusivité et à l’existence d’une rivalité sous jacente. C’est un mauvais sentiment.

La jalousie n’a pas toujours eu cette signification négative et s’appliquait, en dehors de toute situation de compétition ou de rivalité dans le sens de « zèle pour, d’attachement pour, d’attachement passionné à ». Le terme « jaloux » apparait au 12e siècle, dans la poésie des troubadours et dérive de

gelos ou gilos provenant de l’ancien provençal et dérivant lui-même du terme latin zelosus et du grec zêlos. Le mot gelos passe ensuite en français dans les textes non populaires. Le « a » de jaloux serait

dû à l’influence de « jal », « coq » en ancien français ; le coq pouvant servir d’emblème de la jalousie. Du français, le mot passe dans toutes les langues d’Europe et lors de sa transmission, la jalousie perd sa connotation initiale et positive de zèle, d’ardeur, de noble passion, pour prendre un sens plus péjoratif. En Italien, gelosia, apparait au 16e siècle et désigne la persienne d’une fenêtre qui permet au mari soupçonneux ou à l’amant de voir sa maitresse sans être vu ce qui passera dans le langage courant en France au 17e siècle. En suédois, « svartsjuk », qui signifie littéralement « chaussettes noires » fait référence à une ancienne expression populaire liant la jalousie avec le fait de porter des chaussettes noires. En allemand moderne, le mot jalousie, Eifersucht, garde malgré tout sa signification originelle de passion, d’ardeur, de zèle [40,62].

Il est intéressant de noter que dans la jalousie-zèle, la situation ne met en jeu que le jaloux avec l’objet de la jalousie, c’est une relation duelle mettant en avant l’amour du sujet pour l’objet. Dans le sens moderne, la jalousie-rivalité, la situation devient triangulaire, plus complexe, et le désir d’évincer, de détruire le rival s’intrique à l’attitude positive visant l’être aimé.

2-Jalousie et envie

Il convient à ce niveau de distinguer envie et jalousie qui s’emploient dans le langage courant avec un sens voisin. Sans rentrer dans les distinctions sémantiques et grammaticales, nous pouvons pour illustrer notre propos citer une des maximes de La Rochefoucauld : « la jalousie est en quelque

manière juste et raisonnable, puisqu’elle ne tend qu’à conserver un bien qui nous appartient ; au lieu que l’envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres » [39 p.22]. Pour d’Alembert « on est jaloux de ce qu’on possède et envieux de ce que possèdent les autres » [17 p.483]. Ainsi, la vraie

jalousie est-elle celle rencontrée dans la relation amoureuse où c’est une personne, en tant qu’objet le plus fort et le plus authentique qui devient l’enjeu de notre possession. Comme le fait remarquer Lagache, la jalousie n’exclut pas l’envie, dans le sens où l’amoureux jaloux, par la crainte de perdre l’objet de sa possession, se met fictivement dans la situation de l’envieux et envie les succès réels ou fictifs de son rival.

(21)

8

3-Amour oblatif et captatif

Une autre distinction est importante à faire et concerne la relation amoureuse et le type d’amour entre les deux partenaires. L’amour est dit oblatif quand il se donne et est vécu comme un don désintéressé, quand il se satisfait dans le sentiment d’appartenir à l’autre dans un acte d’offrande ; dans ce cas, il n’y a pas de jalousie possible. Il en est bien différemment dans le cas de l’amour captatif où l’amour est vécu comme un droit de propriété. Ce dernier laisse ouvert la possibilité infinie d’une frustration, d’une atteinte à ce droit de possession. Dans ce cas, l’amour captatif n’est pas vécu comme une relation entre deux êtres mais comme une relation entre soi et un partenaire qui peut échapper. Dans ces deux cas, le sujet et l’objet font un tout, le couple tend à perdre sa constitution duelle. Ces types idéaux d’amour ne sont pas des réalités concrètes et représentent des formes limites à l’intérieur desquelles se trouvent des situations où coexistent ces deux formes en proportion variable. Mais c’est bien l’aspect captatif de l’amour qui favorise et entraine la jalousie.

II-CARACTERISTIQUES DE LA JALOUSIE AMOUREUSE

La jalousie amoureuse contient la souffrance liée à la privation, à la perte de l’objet d’amour mais aussi la colère de l’amour-propre blessé, liée à l’irritation que lui cause la joie du rival. Nous pouvons pour illustrer ces propos citer La Rochefoucauld : « il y a dans la jalousie plus d’amour

propre que d’amour » [17 p.484] et Nietzche : « celui qui aime veut posséder à lui tout seul la personne qu’il désire, il veut avoir un pouvoir absolu tant sur son âme que sur son corps, il veut être aimé uniquement et habiter l’autre, y dominer comme ce qu’il y a au monde de plus élevé et de plus admirable » [17 p.484]. La jalousie amoureuse est une frustration d’amour et un dépit profond.

Pour Spinoza, « celui qui s’imagine que la femme qu’il aime se prostitue à un autre ne s’attriste pas

de l’obstacle que cette infidélité peut dresser entre sa passion et lui, mais il est forcé d’unir à l’image de ce qu’il aime, l’image du sexe et des excrétions de cet autre. A cette vue, il prend cette femme en haine, et c’est la jalousie qui consiste en un trouble de l’âme obligée d’aimer et de haïr à la fois le même objet » [17 p.484]. La jalousie est de plus un mélange d’amour et de haine où la proportion de

haine peut être plus grande que la composante amoureuse. Selon Ey, la jalousie dissimule la répartition exacte des sentiments d’amour et de haine entre le sujet, l’objet et le rival dans la figure triangulaire de la situation fondamentale.

Enfin, la jalousie amoureuse est un mélange de conviction et de doute. Selon Ey, il est de l’essence de ce sentiment d’être une adhésion profonde, obsédante à la croyance qu’il existe un motif de jalousie et d’autre part de ne constituer qu’une série d’approximations hypothétiques, de suppositions sans fin. Le jaloux est avide de certitudes. Il poursuit la preuve sans l’atteindre, sans

(22)

9 jamais pouvoir l’atteindre. La jalousie a un caractère angoissant et vertigineux que La Rochefoucauld a bien noté : « la jalousie se nourrit dans les doutes: c’est une passion qui cherche toujours de

nouveaux objets d’inquiétudes et de nouveaux tourments » [17 p.485].

III-JALOUSIE AMOUREUSE ET CONSTRUCTION SOCIALE

Après avoir décrit la jalousie amoureuse, penchons nous sur le fait que la jalousie amoureuse puisse être décrite comme une construction sociale. Elle est dépendante des modifications conceptuelles des passions et des émotions ainsi que des changements culturels de nos sociétés occidentales [52].

1-Jalousie, passion et émotions

Au 17e siècle, la jalousie était considérée comme une passion qui avait un rôle dans l’expression et le maintien de valeurs individuelles et sociales bien qu’étant rejetée en société et pouvant conduire à la folie. Pour P. Mullen, la jalousie amoureuse, loin du zèle de la Renaissance ou d’une noble passion, s’apparente de nos jours à une pathologie véhiculant ses émotions destructrices. Elle s’oppose vivement à la conception du libéralisme individuel et de son libre marché des biens, des idées et des individus par sa tentative d’imposer les exigences d’un individu sur un autre et par sa demande d’exclusivité affective et de fidélité. La jalousie est perçue de nos jours comme la marque d’une immaturité, d’un sentiment d’insécurité, d’une instabilité psychoaffective.

Au cours de la Renaissance, la jalousie amoureuse est, nous l’avons vu, associée au zèle, l’ardeur et la dévotion. La citation de St Augustin, « qui non zealat non amat » (qui n’est pas jaloux n’aime pas) exprime bien plus l’enthousiasme de l’amour, sa dévotion, que la possession de l’autre et la suspicion [52]. Le côté sombre de la jalousie était bien connu comme le montre Shakespeare dans Othello en 1694 : « ils ne sont pas jaloux pour une raison mais parce qu’ils sont jaloux. La jalousie ?

Un monstre qui s’engendre lui-même et se nourrit de soi » [52]. A l’époque où les sociétés étaient

fondées sur un code d’honneur, la jalousie avait un rôle dans la préservation de l’estime sociale. Là où la fidélité est un impératif social et moral, la jalousie est perçue dès lors comme protectrice de l’intégrité familiale.

La perception sociale de la jalousie amoureuse dépend aussi de l’évolution de la conceptualisation des émotions en général. D’un côté les émotions sont perçues comme des réactions conditionnées ou non par des stimuli où la raison, les jugements, la conscience n’ont aucune place. De l’autre, les émotions sont structurées et ne se distinguent que par la conscience que l’individu a de celles-ci. Dans ce cas, l’aspect cognitif prime sur la biologie, l’instinct, les réponses automatiques.

(23)

10 Dans l’antiquité, la passion infecte l’individu, elle est externe à l’individu mais la raison lui permet de la maintenir dans une dimension sociale et morale. L’image de Cupidon qui tire sa flèche dans le cœur de l’amoureux passionné en est un exemple. Au 16e

siècle, la passion et les émotions comme nous les connaissons ont pratiquement disparu : la raison, l’esprit rationnel peuvent dominer les émotions. Au 17e siècle, des conceptions diverses se développent. Pour Hume, par exemple, la passion se base sur la théorie des humeurs mais la raison a un rôle à jouer. Shakespeare considère la jalousie comme une passion qui consume l’individu, qui est entretenue par un sens de l’honneur mais qui est basée sur l’erreur. En cela il devient subversif vis-à-vis des impératifs sociaux et éthiques associés à la jalousie. Il transpose le rôle social de la passion dans le développement, sur la base d’une vulnérabilité, d’une erreur individuelle. Une fois en route, la jalousie amoureuse décrite par Shakespeare est indépendante de la raison jusqu’à sa fatale conclusion. Pour Calderon, un contemporain espagnol de Shakespeare, la jalousie en tant que passion est justifiée et rationnelle, à la fois moralement admirable et dangereuse. La passion est perçue comme brutale, s’exprimant par des accès violents incontrôlables, déclenchée par un événement au contact de l’objet et projetant l’individu dans l’action. La raison pouvait néanmoins gouverner la réponse et dans ce cas, celle-ci pouvait être mesurée et efficace. Pour les chrétiens, la raison prenait sa source dans le divin et avait l’avantage sur la passion d’être modifiable par l’expérience. La jalousie, en tant que passion était à éviter et la raison se devait d’être cultivée.

L’approche de la passion se modifie au cours du 18e

siècle par l’influence des philosophes européens. Les passions ne sont désormais plus des réactions, elles prennent leur source dans des dispositions préexistantes et surviennent dans le cadre d’une relation à l’objet. La raison se met au service de la passion en influençant le choix d’objet et en permettant de faciliter son expression.

Au 19e siècle les émotions acquièrent leur caractère transitoire et organique. Elles cessent d’être constituées de sentiments et de désirs durables pour prendre la forme de réactions involontaires, indépendantes de la morale et des valeurs personnelles. La raison, dans son rôle restreint, permet à l’individu d’éviter les situations ou les comportements qui pourraient déclencher ces émotions désagréables et de minimiser leurs conséquences tragiques. En parallèle, et de façon indépendante à la pensée scientifique de l’époque, les écrivains du 19e

siècle redessinent la carte des passions comme en témoignent les écrits sur la jalousie amoureuse de Proust (« A la recherche du temps perdu ») ou de Tolstoï (« La sonate à Kreutzer ») où la jalousie prend la forme d’une intention raisonnée où les jugements et l’imagination occupent une place centrale.

2-Jalousie amoureuse et fidélité

La jalousie amoureuse dépend des pratiques sexuelles d’une société, de la conception de la fidélité et de la culture[52].

(24)

11 La jalousie amoureuse a longtemps été une prérogative masculine. Dans les sociétés où le code d’honneur régnait, l‘infidélité y était sanctionnée socialement et moralement et la jalousie était liée à l’atteinte d’un prestige social. La notion de propriété est importante dans la jalousie amoureuse comme en témoigne les obligations pour la femme adultère de verser des compensations financières au mari trompé (au 18e siècle en Angleterre). Le mariage permettait d’asseoir cette propriété. A la fin du 18e siècle, surtout parmi les couches sociales aisées, l’amour devient une condition importante pour courtiser et se marier. L’idéal de fidélité prôné (de fidélité féminine tout particulièrement), tend à augmenter les angoisses jalouses et à rejeter la jalousie en tant que susceptible de détruire la relation amoureuse et de menacer la stabilité familiale. Au 19e siècle, la jalousie amoureuse cesse d’être une prérogative masculine et devient le problème de la femme. Le mythe du « grand amour » apparu au 19e siècle était en pratique spécifique au sexe. Les femmes se devaient d’être fidèles. Pour les hommes, les transgressions de cet idéal de monogamie étaient considérées comme triviales et ne méritaient pas qu’on y prête plus d’attention que cela et méritaient encore moins de jalousie. Les femmes sont de ce fait encouragées (car perçues comme émotionnelles, impulsives et moins raisonnables que l’homme) à dépasser leur faiblesse au nom de la préservation de la famille. La jalousie amoureuse n’est dès lors plus l’expression d’un honneur bafoué mais la faiblesse, le manque de caractère de la femme : la jalousie est à éviter et à garder pour soi afin de préserver la famille. C’est dans ce contexte de famille, de mariage, où il s’agit d’élever des enfants, que progressivement, la jalousie va refaire son apparition au cours du 20e siècle, car l’infidélité sexuelle représente une menace pour la stabilité de la famille.

Dans cette évolution, il est à noter que la libération sexuelle de 1968 a été une période unique dans la conception de la fidélité prônant un amour passionné et enthousiaste aveugle aux contraintes sociales mondaines.

A côté de ce rapide survol de la jalousie amoureuse dans nos sociétés occidentales, penchons nous sur quelques cultures où la jalousie n’existe pas. Parmi les Todas, par exemple, une tribu d’Inde du sud qui est à la fois polygame et polyandre, les couples sont sujets à l’union libre. L’adultère n’est pas censuré et il n’existe d’ailleurs aucun mot dans leur langue pour la définir. Dans cette culture, c’est la jalousie qui doit être éradiquée (à la différence de l’infidélité dans nos sociétés) et un membre de la tribu se sent offensé quand on préfère à son épouse une autre femme. Les Todas ne connaissent pas la jalousie dans le sens occidental du terme. Chez les Dobu, peuple mélanésien habitant au large de la Nouvelle-Guinée, la fidélité n’est pas exigée entre mari et femme mais aucun Dobu n’admet, en dehors d’une relation sexuelle, qu’un homme et une femme passent du temps ensemble. Chez les indiens Zuni résidant dans une réserve au Nouveau Mexique, l’infidélité est uniquement perçue comme le désir de changer de mari [2].

(25)

12

IV-JALOUSIE ET THEORIE SOCIO-BIOLOGIQUE

1- Jalousie sexuelle et émotionnelle

Selon les psychiatres darwinistes et les psychologues évolutionnistes, la jalousie amoureuse a un rôle primordial pour la survie génétique. Elle permet, pour l’homme, d’empêcher l’infidélité de la partenaire afin d’être sûr que les enfants soient bien les siens et permet donc à celui-ci de transmettre son patrimoine génétique. Les hommes jaloux, comme les mâles de l’espèce animale empêchent l’intrusion d’un rival et sont ainsi plus susceptibles d’élever leur propre descendance. L’ensemble des réactions inhérentes à la jalousie amoureuse seraient déterminées génétiquement, afin donc de prévenir l’infidélité du partenaire. Pour les femmes, la jalousie est en lien, non pas avec la transmission de ses gènes mais avec sa survie. La fonction de la jalousie serait pour la femme de maintenir son « pourvoyeur » à ses côtés afin de ne pas assumer seule le fardeau de la procréation.

Les femmes susciteraient intentionnellement la jalousie afin d’intensifier l’engagement de leur partenaire, pour renforcer leur confiance en elles ou pour tester la solidité de leur union. Quant aux hommes, ils ont recours à d’autres tactiques pour conserver leur partenaire : vigilance et attention accrues au partenaire et recours à la violence.

Il existerait de plus des différences dans le type de jalousie exprimé par un homme ou par une femme, ce que de nombreuses recherches ont mis en évidence. La jalousie amoureuse peut être divisée en deux types : la jalousie sexuelle et la jalousie émotionnelle. Quand on demande à des hommes et à des femmes d’imaginer leur partenaire impliqué dans une relation sexuelle avec un autre (infidélité sexuelle) ou tombant amoureux de quelqu’un d’autre (infidélité émotionnelle), les résultats mettent en évidence une détresse plus importante chez les hommes en cas d’infidélité sexuelle et plus importante chez les femmes en cas d’infidélité émotionnelle [16].

2- Corrélation neuroanatomique

La jalousie sexuelle de l’homme est connue pour être une cause de violence envers la partenaire et ceci devant la menace de la perte d’exclusivité affective du partenaire. Des chercheurs ont étudié dès lors chez le macaque quels pouvaient être les réseaux neurologiques impliqués dans cette violence. En condition de challenge, le singe, témoin d’une possible union de sa femelle avec un rival, montrait une activation importante du cerveau moyen et notamment au niveau du sillon temporal supérieur et de l’amygdale droite, pouvant être reliée à une vigilance sociale plus importante et à l’anxiété[61].

Par la suite, chez l’homme, des différences entre les sexes concernant une infidélité sexuelle ou émotionnelle ont été mises en évidence au niveau neuroanatomique par l’imagerie à résonnance

(26)

13 magnétique fonctionnelle. Il existe une activation de régions cérébrales distinctes chez les hommes et les femmes selon le type d’infidélité. Les hommes présentent plus d’activation que les femmes des régions impliquant les comportements sexuels et l’agressivité comme l’amygdale et l’hypothalamus. Les femmes, quant à elles, montrent plus d’activation au niveau du sillon temporal postérieur et supérieur. Ces résultats suggéreraient que les hommes et les femmes, dans le cadre d’une jalousie amoureuse, utilisent des modules neuropsychologiques différents [68].

A partir de ce que nous venons de voir, la jalousie amoureuse est une émotion complexe, une passion survenant par paroxysmes, par crises, et survenant dans le cadre d’un amour captatif qui ne peut pas être considéré comme pathologique du seul fait de sa violence. En quoi donc la jalousie, la passion jalouse est-elle normale ?

La jalousie est normale quand elle nait d’une réaction à une situation d’infidélité certaine ou plausible et quand elle est contenue par la situation elle-même qui l’a engendrée. Quand l’anxiété, les réactions d’échec, le découragement et le désir de vengeance se présentent comme un ensemble de réactions compréhensibles et proportionnelles aux dimensions même de la situation vitale catastrophique. Même quand le partenaire est trompé et qu’il se trouve au comble de l’émotion, la jalousie garde dans son expression, ses nuances et même ses excès une forme de souffrance qui se déroule entièrement sur le plan de la conscience et emprunte à son organisation passionnelle les lois de ses déterminations. C’est là que se situe la frontière de la jalousie normale. En effet nous savons que la passion amoureuse, la passion jalouse peuvent entrainer des comportements violents allant jusqu’au crime mais la passion étant l’apanage de l’homme, il convient de la considérer comme normale bien qu’excessive car elle est compréhensible. Elle n’est pas anormale en tant qu’elle constitue une constante psychologique dans un groupe social donné et en particulier dans le notre car elle s’intègre dans un ensemble de valeurs et de normes et qu’elle est solidaire des conventions et des engagements explicites ou implicites des époux et des amants. Le fait que la jalousie passionnelle, excessive, soit considérée comme normale dépend du fait que notre société condamne l’infidélité. Elle n’est pas non plus anormale du fait qu’elle soit un conflit, même avec la réalité, le conflit étant un attribut essentiel de l’existence biologique et humaine et qu’il n’est pas anormal que les désirs de la personne se heurtent au refus de la réalité. Mais définir la jalousie normale par la négation de l’anormalité n’apporte pas les réponses attendues et nécessaires à la définition de la jalousie normale, passionnelle ou non. Du fait de l’existence d’un conflit avec la réalité, la jalousie peut basculer dans le normal et le pathologique. Ce qui importe avant tout, c’est la direction que prend la jalousie amoureuse ainsi que son devenir. C’est la possibilité que la jalousie devienne normative, c'est-à-dire constitutive de nouvelles normes, d’un équilibre nouveau. La passion amoureuse, même dans ses excès implique chez

(27)

14 le passionné une forte capacité d’investissement et quelques aptitudes à prendre des risques. Comment refuser une valeur fonctionnelle aux conduites jalouses si elles sont assez puissantes et habiles pour sauver ce qui paraissait perdu ? Même si l’issue de la jalousie n’est pas aussi heureuse, elle est encore normative lorsqu’elle aboutit à l’acceptation oblative de l’indépendance du partenaire ou à la reprise de la sienne propre. Une nouvelle norme peut faire sortir de l’expérience vécue : assez d’élan pour s’engager, assez d’élan pour se dégager. Nous verrons qu’il en est tout autrement en ce qui concerne la jalousie morbide.

La santé psychique n’exclut ni l’émotion, ni la passion. Etre sain n’est pas être par nature ou par expérience immunisé contre la jalousie. C’est au contraire être capable d’en courir les risques, à condition d’être en mesure d’en guérir par une évolution personnelle. La jalousie amoureuse semble malgré tout échapper à une définition ainsi qu’à des limites précises et c’est l’émergence de la psychologie et de la psychiatrie du 19e siècle qui a permis d’étudier systématiquement et de classer comme phénomènes morbides les comportements et les états mentaux associés à la jalousie. C’est ce que nous allons voir.

(28)

15

DEUXIEME PARTIE : JALOUSIE MORBIDE,

PSYCHIATRIE ET PSYCHANALYSE DANS LA

PREMIERE MOITIE DU 20

e

SIECLE

I- ASPECTS NOSOGRAPHIQUES ET CLINIQUES CLASSIQUES DU

CONCEPT DE JALOUSIE MORBIDE

Le concept de jalousie morbide est éparpillé dans l’évolution des idées psychiatriques classiques et lié en particulier à la question des états passionnels et des délires chroniques.

Au 19e siècle, les psychiatres décrivent les types cliniques d’états de jalousie et les rattachent à des entités nosographiques. La jalousie morbide est longtemps assimilée, par les auteurs classiques, à la monomanie affective d’Esquirol qui en donne la description suivante: « Affection dans laquelle le

délire est borné à un seul objet ou à petits nombres d’objets, avec exaltation et prédominance d’une passion gaie ou triste ; le plus souvent les monomaniaques ne déraisonnent pas, mais leurs affections, leur caractère sont pervertis ; par des motifs plausibles, par des explications très bien raisonnées, ils justifient de l’état actuel de leurs sentiments et excusent la bizarrerie, l’inconvenance de leur conduite. C’est ce que les auteurs ont appelé monomanie raisonnante, mais que je voudrais nommer monomanie affective » [17 p.490]. Pour Moreau de Tours, « un monomaniaque est fou parce qu’il est sous l’emprise d’une croyance erronée et parce qu’il hait son ennemi ou celui qu’il regarde comme tel. Sa haine, sa jalousie sont la conséquence naturelle de son erreur. Que si l’on objecte que, son erreur détruite, ses sentiments haineux, jaloux, peuvent subsister encore, nous répondrons sans contester qu’il n’y a point de haine véritable, mais plutôt une sorte de réminiscence des impressions produites par les sentiments dont l’individu est affecté. Entre cette réminiscence et la haine véritable, la même différence existe entre la sensation d’un son que l’on entend et le souvenir, la réminiscence de cette sensation » [17 p.490].

Pour les psychiatres de cette époque, il existe une simple différence d’intensité entre passion normale et pathologique. La jalousie morbide est assimilée à la forme extrême de la passion, c’est une « folie partielle », une monomanie, un délire pouvant passer par toutes les phases cliniques de la passion: d’une simple méfiance à l’exaltation la plus violente pouvant conduire à l’homicide.

C’est à la fin du 19e

siècle que la jalousie morbide tend à s’isoler en tant qu’entité clinique avec la description du délire systématisé de jalousie par Bombarda qui y voyait le terrain de la

(29)

16 paranoïa : « sont des paranoïaques, certains jaloux, méfiants, faisant sans raison à leur femme une vie

de martyre de la foi conjugale » [17 p.494].

En 1908, le délire de jalousie est décrit précisément par Mairet qui en dégage les différentes phases et les caractères. La jalousie morbide s’isole de la passion pathologique pour intégrer la paranoïa. C’est ce que nous allons voir en reprenant le fil de l’étude de Mairet sur la jalousie.

1- A. MAIRET- « La Jalousie, Etude Psychophysiologique. 1908 »

Pour Mairet, la jalousie amoureuse relevait d’abord de la peur de perdre un bien, l’idée de possession est sous jacente et renvoie à la notion de l’amour captatif que nous avons évoqué précédemment. A la différence de la passion jalouse, la jalousie morbide n’a pas selon Mairet comme point de départ, la brutale réalité, mais le doute. C’est sur ce doute fondamental qu’il s’appuie pour décrire le délire systématisé de jalousie qu’il considère, comme Bombarda dix ans avant lui, exiger le terrain de la paranoïa.

1-1 Le délire systématisé de jalousie

Pour reprendre la conception de Mairet : « Le délire systématisé de jalousie est caractérisé par

l’idée fixe de jalousie, née d’un doute, poursuivie dans le doute avec pour point de départ un motif futile. A ce doute inaugural succède la recherche d’une confirmation par la quête d’une preuve patente » [17 p.494].

Le début du délire de jalousie est donc marqué par l’apparition de l’idée fixe de jalousie qui nait d’un doute ayant un point de départ futile. Ce doute suppose et créer une perplexité fondamentale en même temps qu’une certitude approximative selon une ambivalence maximale dans cette forme pathologique.

Par exemple, le doute qui s’installe dans la pensée du patient peut être la conséquence d’une remarque anodine faite par une voisine sur l’amabilité d’un tiers envers sa femme, remarque à laquelle il ne prête pas initialement attention et qui lui reviendra plus tard à l’esprit comme ayant une signification désobligeante. Un autre exemple peut être celui du retour à domicile à l’improviste d’un patient qui, ne trouvant pas sa femme à la maison et voyant le lit non défait, s’imagine qu’elle n’a pu

(30)

17 coucher que dans le lit du propriétaire. Ou, enfin, celui d’une femme mariée depuis plus de vingt ans se demandant un jour si se sont bien les affaires de son mari qui l’empêche de rentrer déjeuner à midi à leur domicile.

Une fois ce doute installé et après avoir éprouvé passagèrement de la honte, le patient en proie à ce doute cherche à le confirmer. Il s’adresse dès lors aux détails et faits les plus futiles et les moins démonstratifs pour obtenir l’impossible confirmation de son doute. Par exemple, un patient chez qui le doute était né de la découverte d’une tâche suspecte sur le lit conjugal, confirme ses craintes de l’infidélité de sa femme en entendant un voisin demander à celle-ci de lui ramener des légumes du marché.

Il existe à l’occasion de ce délire de jalousie, un malaise envahissant et indéfiniment progressif qui s’amplifie, qui s’étend. Le thème délirant s’enrichit progressivement au travers des expériences de la vie quotidienne.

Le délire de jalousie est un véritable délire d’interprétation où le doute et l’idée de jalousie devenus fixes, tout est mis en œuvre pour arriver à prouver l’infidélité. Le patient se livre dès lors à une série d’investigations. Pour citer Mairet : « il semblerait, qu’un homme qui comme le monomane,

a acquis la conviction de son infortune conjugale, conviction telle que les raisons les plus péremptoires qu’on peut lui donner de l’inanité de son idée ne saurait ébranler celle-ci, il semblerait, dis-je, qu’un pareil homme n’ait pas besoin de preuves plus patentes de son malheur que celles sur lesquelles il fait reposer cette idée. Il n’en est rien cependant ; ne possédant pas de preuves palpables de l’infidélité de son conjoint, ces preuves il voudrait les avoir et met tout en œuvre pour les obtenir »

[17 p.494].

Les investigations, les conduites de vérifications auxquelles se prête le délirant jaloux pour confirmer ses certitudes sont variées : il surveille son partenaire dans les moindres faits et gestes, flaire ses vêtements, examine son linge à la recherche de tâches suspectes, les fait analyser, ouvre le courrier et va jusqu’à y supposer une cryptographie cachée qui démontrerait l’infidélité du partenaire.

Aux côtés de ces investigations et conduites de vérifications multiples, il se livre à des mesures de contrôle diverses et extrêmes pour mettre fin à sa perplexité et à son sentiment d’infortune. Le délirant jaloux suit sa femme dans tous ses mouvements, lui défend de parler à quiconque, l’oblige à le suivre dans ses déplacements et va même jusqu’à l’enfermer ou à l’attacher. Mairet cite le cas d’un homme présentant un délire de jalousie qui, couché auprès de sa femme, craignant qu’elle ne l’endorme avec un narcotique pour aller rejoindre son amant, mettait derrière la porte une table chargée de vaisselle afin qu’à la moindre tentative il soit réveillé. Un autre jetait de la cendre devant la porte de sa chambre pour s’assurer que personne n’était entré pendant la nuit. Enfin, il donne l’exemple d’un homme qui, ayant attaché sa femme au lit avec une courroie, se réveillait la nuit et

(31)

18 palpait les cuisses de celle-ci et « s’il les trouvait fraiches, pensait immédiatement qu’elle avait profité

de son sommeil pour courir à la débauche » [17 p.495].

Selon Mairet, l’évolution de ce délire se fait selon deux modes. Soit avec la persistance unique de l’idée délirante de jalousie : c’est le cas de la monomanie de jalousie pure qui correspond au délire systématisé progressif de Bombarda. Dans ce cas, l’idée fixe de jalousie persiste avec une intensité croissante. Le délire est permanent, reste indéfiniment ce qu’il est et l’éloignement du conjoint ne fait pas disparaitre le délire mais atténue seulement son activité. Soit, au délire de jalousie, s’ajoute des idées de persécution : c’est le cas de la monomanie de jalousie avec délire de persécution où le délirant jaloux se comporte comme un persécuté-persécuteur. L’évolution est dans ce cas moins bonne que le type précédent, entrainant plus souvent une démence. Les idées de persécution sont de toutes sortes avec recours aux autorités fréquentes mais, selon Mairet, à la différence du persécuté ordinaire, les idées de persécutions s’agencent, se cristallisent autour de l’idée fixe de jalousie qui est le pivot du délire. Le délirant jaloux dans ce cas, accuse l’épouse de l’empoisonner et le complice de se moquer ouvertement de lui.

Le délire de jalousie devient donc par l’apport des descriptions cliniques de Bombarda et de Mairet un délire qui se différencie d’une passion pathologique. C’est un délire qui est systématisé, relativement cohérent, progressif et qui se développe en secteur sur un terrain de personnalité paranoïaque. Dans le cas du délire de jalousie, ce délire d’interprétation nait d’un doute, d’une idée fixe de jalousie. Il est intéressant de noter que l’évolution est globalement stable avec maintient du délire de jalousie tel quel, sous la forme d’un délire de jalousie pur, ou s’associant à des idées de persécution se développant malgré tout en secteur et dont l’évolution est plus péjorative. Il est intéressant de noter que ce délire décrit au début du 19e siècle est le type même du délire paranoïaque que nous connaissons.

Après avoir décrit et isolé le délire de jalousie sous sa forme systématisée, Mairet résume les acquisitions de la période clinique psychiatrique de son temps et ajoute le type clinique de l’hyperesthésie jalouse.

1-2 L’hyperesthésie jalouse de Mairet

Pour Mairet, l’hyperesthésie jalouse est une autre forme de jalousie morbide, distincte du délire systématisé de jalousie, qui, n’ « atteignant pas le degré de la monomanie », se place entre celle-ci et « la jalousie physiologique dont elle ne se distingue que par une réactivité sentante plus

(32)

19 Ces patients, arborant une jalousie morbide du type de l’hyperesthésie jalouse seraient des sujets avec une personnalité psychopathique, des sujets hyperémotifs ou anxieux qui réaliseraient ce que Mairet appelle le type du « jaloux constitutionnel ». C’est la « mise en activité facile et l’intensité

des vibrations » [17 p.492] qui sont pour lui les caractères constants de cette forme de jalousie

morbide.

L’évolution de l’hyperesthésie jalouse est rémittente avec des exacerbations, des paroxysmes de causes diverses. Dans ce cas, l’idée prévalente de jalousie se développe en secteur mais ne prend pas la forme d’un délire systématisé de jalousie bien qu’un délire puisse survenir brusquement et disparaitre de même. Mairet donne l’exemple d’une de ses patientes qui, couchée à côté de son mari, et ayant rêvé qu’il la trompait, se réveillait angoissée et lui faisait une scène comme si son rêve avait été l’expression de la réalité.

Cette nouvelle forme de jalousie morbide décrite et instaurée par Mairet dans la nosographie psychiatrique semble donc être une réaction jalouse intense, mise en jeu facilement, et survenant chez des personnes porteuses d’un véritable complexe d’infériorité et d’un sentiment de frustration. L’hyperesthésie jalouse, dont les pathogénies sont diverses, lui permet de couvrir aux côtés du délire systématisé de jalousie pur et de celui associé à des idées de persécution le vaste champ de la jalousie morbide et de remplacer ainsi l’ancienne notion de passion pathologique.

La synthèse de Mairet sur la jalousie morbide couronne la période clinique en ce début de 20e siècle. En 1910, deux ans plus tard, l’étude de Jaspers « Le délire de jalousie : développement de la

personnalité ou processus » inaugure la période psychopathologique à suivre.

2- K. JASPERS - « Le Délire de Jalousie : Développement de la

personnalité ou Processus. 1910 »

Son étude repose sur quatre observations exemplaires: deux de ces cas sont pour lui des jalousies délirantes par développement de la personnalité, les deux autres sont des jalousies délirantes secondaires à l’altération processuelle de la personnalité.

Cette distinction est à l’origine de toute la théorie psychopathologique de Jaspers où la notion de processus s’oppose radicalement au développement de la personnalité.

Pour lui, le processus est une altération nouvelle du psychisme, qui survient au cours de la vie d’une manière non compréhensible. Il oppose ainsi les délires compréhensibles, par développement de

(33)

20 la personnalité, et les délires non compréhensibles, par altération processuelle de la personnalité. Dans cette théorie des processus, il distingue les processus physico-psychotiques et le processus psychique.

Les processus physico-psychotiques sont dus à des maladies cérébrales organiques ou correspondent au groupe des démences précoces. Leur contenu psychique correspond à une vie mentale désagrégée.

Le processus psychique, quant à lui, représente une rupture dans le développement de la personnalité, mais cette rupture est de durée assez courte et n’empêche pas une évolution ultérieure compréhensible de la personnalité.

Voyons dès à présent quelles sont les caractéristiques cliniques que Jaspers attribue au délire de jalousie quand il est conditionné par un processus.

2-1 Délire de jalousie processuel

Dans ce cas, pour Jaspers :

1. « Il s’agit de personnes un peu particulières qui montrent un certain entêtement et sont assez excitables sans d’ailleurs que l’on puisse les distinguer des milliers de personnes présentant les mêmes traits ;

2. Le délire de jalousie, bientôt suivi d’idées de persécution, se déclare dans un laps de temps relativement court ne dépassant pas un an environ ;

3. Cette formation délirante est accompagnée de symptômes divers : inquiétudes (« n’as-tu rien entendu? »), idées délirantes d’être observé, illusion de la mémoire, symptômes somatiques interprétés ;

4. Ces malades s’entendent à relater d’une manière très expressive le fait de leur empoisonnement et les états effrayants qui ont suivi. On n’a aucun point d’appui pour affirmer les hallucinations ;

5. On ne trouve aucune cause extérieure au déclenchement de tout le processus (à savoir ni modification quelconque des circonstances de la vie, ni le plus mince accident) ; 6. Dans le cours ultérieur de la vie (observé à 7 et 18 ans dans ces cas), il n’y a aucune

adjonction de nouvelles idées délirantes, mais le sujet garde son délire ancien, ne l’oublie pas. Il considère son contenu comme la clef de sa destinée et traduit sa conviction par des actes. Il est possible et vraisemblable que se parachèvent les idées délirantes, mais cela se limite à antidater certaines données de l’époque fatale relativement courte et du temps qui l’a précédée. Le sujet n’est pas réticent ;

7. La personnalité demeure, autant qu’on puisse en juger, non perturbée et il n’est pas question d’un affaiblissement démentiel quelconque. Il y a eu un dérangement délirant

(34)

21 qu’on peut concevoir comme localisé en un point et la personnalité ancienne l’élabore rationnellement avec ses sentiments et ses instincts anciens ;

8. Ces personnalités présentent un complexe de symptôme que l’on peut rapprocher de l’hypomanie : conscience de soi jamais défaillante, irritabilité, tendance à la colère et à l’optimisme, dispositions qui à la moindre occasion se renversent en leur contraire, activité incessante, joie d’entreprendre » [40 p.108].

Pour Lagache, dans ces observations de Jaspers, il s’agit non pas de schizophrénie mais de paraphrénie. Les deux autres cas de jalousie délirante décrits par Jaspers lui paraissent ressortir du développement de la personnalité.

2-2 Délire de jalousie et développement de la personnalité

Dans le cas du développement de la personnalité, les caractéristiques du délire de jalousie s’opposent presque point par point aux caractéristiques processuelles :

1. Il s’agit d’individus jaloux dont les tendances remontent à la jeunesse. Il y a fréquemment des anomalies instinctives sexuelles ;

2. Il y a eu un développement lent des symptômes, selon un mode analogue au progrès normal de la vie, tel qu’il est manifesté depuis l’enfance ;

3. Le tableau délirant apparait de façon compréhensible à l’occasion d’événements susceptibles en effet d’irriter la passion du sujet ;

4. Les idées délirantes apparues sont ranimées lors de nouvelles occasions et, avec le temps, s’oublient en partie, en partie se transforment. Seule la tendance persiste à des explosions nouvelles lors d’occasion appropriées ;

5. Les épisodes aigus n’entrainent aucun bouleversement durable ;

6. On peut déduire la vie entière d’une prédisposition personnelle univoque. [40 p.38]

Il faut noter que ces descriptions cliniques du délire de jalousie par Mairet et Jaspers sont de véritables progrès et sont indissociables d’un point de vue historique de la maturation du concept de paranoïa qu’on retrouve à la même époque en France avec Sérieux et Capgras ainsi qu’en Allemagne. La finesse sémiologique de l’école française complète les progrès de la nosographie accomplis par l’école allemande. C’est précisément dans l’ouvrage de Lagache « La Jalousie Amoureuse » de 1947 que se repère l’aboutissement de ces deux écoles. Nous y viendrons, après avoir passé en revue l’apport de De Clérambault, dont Lagache a particulièrement étudié les thèses, dans le délire de jalousie.

(35)

22

3- DE CLERAMBAULT - « le Délire Passionnel de Jalousie. 1921 » [25]

Clérambault instaure dans la nosographie française de l’époque le groupe des délires passionnels, qu’il divise en trois figures (le délire de revendication, le délire de jalousie et l’érotomanie). L’isolement de ce groupe vient distinguer au sein du champ de la paranoïa les formes dites passionnelles des formes dites interprétatives. Clérambault fournit peu d’indications concernant le délire passionnel de jalousie, développant son travail majoritairement sur l’érotomanie, mais voyons initialement ses considérations fondamentales sur les délires passionnels communes au délire passionnel de jalousie :

« Le passionnel soit érotomane, soit revendicateur soit même jaloux, a dès le début de son délire un but précis, son délire met en jeu d’emblée sa volonté, et c’est là justement un trait différentiel : le délirant interprétatif vit dans un état d’expectation, le délirant passionnel vit dans un état d’effort. Le délirant interprétatif erre dans le mystère, inquiet, étonné et passif, raisonnant sur tout ce qu’il observe et cherchant des explications qu’il ne découvre que graduellement ; le délirant passionnel avance vers un but, avec une exigence consciente, complète d’emblée, il ne délire que dans le domaine de son désir : ses cogitations sont polarisées, de même que l’est sa volonté, et en raison de sa volonté » [25 p.342]. Il poursuit en soulignant que « le mode d’extension du délire sera donc spécial. Tout travail imaginatif ou interprétatif étant restreint, pour ainsi dire, à l’espace qui s’étend entre l’objet et le sujet, le développement des conceptions se fera non pas circulairement, mais en secteur ; si les vues vont s’élargissant avec le temps, c’est en restant dans ce même secteur dont l’angle d’ouverture ne change pas » [25 p.342]. Enfin, Clérambault ajoute qu’ « un trait fondamental des délires passionnels, c’est l’Effort : la volonté entre en jeu dès le premier moment, et tous les caractères ultérieurs du délire (précision du début, extension polarisée, graphorrhée, initiatives, etc.) sont en relation avec ce trait initial et constant, l’Effort » [25 p.424].

Ces délires passionnels comportent tous le même noyau affectif à savoir la constitution paranoïaque (orgueil, méfiance, psychorigidité et fausseté du jugement), le complexe d’avidité et de frustration. Ce qui de plus, les caractérise, c’est l’exaltation, l’hyperesthésie pouvant aller jusqu’à l’hypomanie, la véhémence, l’allure revendicatrice commune.

Clérambault faisant reposer les délires passionnels sur un postulat générateur, et tout particulièrement sur celui de l’orgueil sexuel dans l’érotomanie (l’objet a commencé et aime le plus), il laisse quelques remarques sur le délire de jalousie : l’idée prévalente de jalousie subordonne tous les

Références

Documents relatifs

Défense encore plus forte du côté du parent, qui magnifie (idéalise) sa relation factice avec son enfant dans le but de nier ses affects destructeurs et son mépris envers lui?.

Car il ne faut pas s’y méprendre, être jaloux fait souffrir l’autre mais surtout celui a besoin de cette projection vers l’être qui lui est le plus cher, l’être aimé, sa raison

Lorsqu’elle devient de plus en plus intense, la jalousie manifeste un manque accru de confiance en soi mais aussi en l’autre.. Elle est souvent la marque d’un fort

 La  jalousie  concerne  . principalement

Selon Violaine-Patricia Galbert, « la jalousie tient d’abord au désir de posséder l’autre ; le jaloux ne veut pas qu’il lui échappe ».. Derrière cette volonté d’emprise

A chaque fois que vous sentez la jalousie monter, relisez cette liste, histoire de vous rappeler qu’il vous aime et que vous n’avez rien à envier à cette blonde aux

Si vous choisissez de regarder en face le problème avec tout l'amour qu'il vous reste et de vous faire aider s'il le faut, la jalousie peut alors redynamiser et

Dans certains cas, cette jalousie peut emmener à faire des choses inadmissible pour votre partenaire qui entraine parfois au divorce ou déception amoureuse pour