Pour une pratique théorique prise dans la vie : Note de lecture : Bruce Bégout : la découverte du quotidien, Allia, Paris, 2006

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Pour une pratique théorique prise dans la vie : Note de

lecture : Bruce Bégout : la découverte du quotidien,

Allia, Paris, 2006

Elisabeth Pasquier-Merlet

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Elisabeth Pasquier-Merlet. Pour une pratique théorique prise dans la vie : Note de lecture : Bruce Bégout : la découverte du quotidien, Allia, Paris, 2006. 2006, pp.213-214. �halshs-03138999�

Rubrique : Notes de lecture Auteur : Elisabeth Pasquier

Lieux Communs n°9, dossier « Art et anthropologie », décembre 2006 p. 213-214

ISSN 1779-5885

________________________________________________________________ Pour une pratique théorique prise dans la vie

Elisabeth Pasquier

Note de lecture : Bruce Bégout : la découverte du quotidien, Allia, Paris, 2006 Michel de Certeau nous invitait à inventer le quotidien, grâce aux arts de faire, ruses subtiles, tactiques de résistance afin de détourner les codes, les objets, se réapproprier l’espace et inventer un art de vivre avec ou malgré la société de consommation. Bruce Begout, dans la ligne de la philosophie critique, nous propose quant à lui, de nous engager dans une nouvelle manière de penser, en nous

coltinant le réel, en nous engageant en faveur du monde concret, afin de dégager

de nouveaux fondements à la fois à la théorie et à la pratique de la vie humaine. Les conditions de possibilité d’une telle philosophie ne vont pas de soi et

Bégout analyse en premier les problèmes méthodologiques specifiques que posent un tel objet, véritable angle mort de la philosophie. Eviter les pièges de la fusion compréhensive et du détachement explicatif - les deux dangers symétriques de l’identification totale et de la distance formelle -, nécessite de trouver la bonne distance, dans une dialectique du familier et de l’étranger, dans une pensée du contraste, qui suppose de prendre des chemins de traverses, d’opter pour un style familier de pensée. Faire que la philosophie devienne quelque chose de quotidien donc et tenir le pari d’une philosophie du quotidien qui soit une philosophie du décalage entre la philosophie et le quotidien !

Bégout nous propose une génèse conceptuelle du concept de monde de la vie en reprenant la pensée phénoménologique d’Husserl et de ses disciples : Heidegger, Patocka et Schütz. Le monde quotidien n’est ni scientifique, ni politique, ni esthétique, ni religieux et malgré les intrusions de ces sphéres sociales spécialisées, il demeure égal à lui-même. Lefebvre ajoute que ces mondes

spécialisés trouvent dans le quotidien leur « sol nourricier » où ils finissent par se quotidianiser. Le monde quotidien est bien à la fois pré-historique et

post-historique ; il imprègne tout et est imprégné par tout. En dépit de l’hyper spécialisation croissante des mondes spécifiques et de leur atomisation, le

quotidien maintient donc un sens de la totalité, il offre une puissance unificatrice pouvant même recevoir une valeur mythique, et pour re-découvrir cette vigueur syncrétique Bégout nous renvoie pour notre plus grand bonheur du côté de Leiris, Joyce, Musil, Beckett, Perec…

L’examen critique des théories phénoménologiques conduit Bégout à mettre en doute le caractère absolu de la croyance au monde, l’objectif central devient celui de comprendre comment la quotidienneté escamote l’essence véritable du monde en le transfigurant en un monde de la vie évident et familier, faisant diparaître du même coup son travail quotidien de transformation du doute en assurance. L’enjeu central de cet ouvrage est de nous proposer l’analyse du processus de

le sens se fait commun. La quotidianisation crée un territoire familier qui se démarque du monde étranger, elle conditionne également la forme temporelle de toute expérience nous rappelant que l’histoire est dialectique, qu’elle est

l’infradialectique quotidienne du familier et de l’étranger qui gouverne notre devenir.

Tout comme le dernier ouvrage de Bruno Latour : Changer la société, refaire de la

sociologie, Bégout nous met sur la voie de nouvelles méthodes d’enquête, de

nouveaux terrains et de nouvelles exigences, au-delà il ouvre des pistes de portée politique, car la vie quotidienne a la faculté de ne pas aller jusqu’au bout de sa mission, elle est toujours plus vivante que les formes sociales de normalisation externes à la vie et qui s’inscrivent dans les stratégies inégalitaires et répressives du pouvoir. On se remet à croire en l’homme ordinaire, capable d’échapper à une identité close et fixe.