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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Peut-on jeter un pont entre génie artistique et génie technique ? Génie et construction : approche philosophique

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Academic year: 2021

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PEUT-ON JETER UN PONT ENTRE

GÉNIE ARTISTIQUE

ET

GÉNIE TECHNIQUE ?

Génie et construction : approche philosophique.

Jean Attali

Les ambiguïtés de la rhétorique sont chargées parfois des plus belles promesses philosophiques. Le double sens du mot « génie », caractère exceptionnel de l'esprit d'invention et de création dans les disciplines artistiques, ou bien ingéniosité spécifique du technicien, - elle-même à égale distance de la conception pure et de la simple exécution -, ce double sens renvoie à la longue histoire des rapports entre l'art (au sens moderne du terme) et la technique (en sa puissance inventive). La distance qui sépare le sens du mot « génie » dans une phrase comme : « le génie de Michel-Ange éclate dans ses fresques de la chapelle

Sixtine », et dans une autre telle que : « les terrassements de l'autoroute sont un ouvrage de génie civil », peut paraître suffisamment évidente

pour que l'on renonce a priori à trouver entre les deux autre chose qu'une simple homonymie. On peut néanmoins tenter de découvrir une certaine communauté de sens, en cherchant à unir malgré tout ce que l'histoire (lexicographique et idéologique) a séparé. Cela revient à imaginer un dépassement de l'opposition de l'art et de la technique - et d'abord pour la raison qu'il se trouve manifestement du génie, au sens le plus élevé du terme, dans certains ouvrages de la technique. Que la rationalité scientifique y ait établi des calculs ou que la fonction y ait été adaptée à une demande économique ou sociale, cela ne change rien au fait que la « recette » du génie soit aussi « inexplicable » dans certaines réussites techniques qu'elle l'est dans les chefs d'œuvre de la peinture ou de la musique. Le point commun serait plutôt dans le caractère exemplaire qu'on reconnaît aux qualités de l'ouvrage - et au fait que la règle y est expliquée par l'exemple davantage qu'elle ne s'explique elle-même. Ce

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rapprochement repose sur une condition (ou une donnée), à savoir la description du projet comme domaine d'exercice du génie (au sens cette fois technique du terme). Elle implique d'autre part une modalité particulière des « règles de l'art » que je propose de définir comme la réduction de l'hétéronomie dans l'usage de la règle, caractéristique de l'invention.

Après un rappel du point de vue kantien, je développerai mes remarques selon une série de trois observations :

1) le projet décrit comme « réduction en art » fournit le principe d'un usage supérieur et autonome de la règle technique ;

2) la technologie offre des modèles exemplaires ; à partir d’eux, une rhétorique devient possible qui décrit l'exercice d'une véritable faculté du génie technique ;

3) le caractère inductif de la règle et la signification réfléchissante de la référence dans le jugement sur les ouvrages du « génie » suggère un rapprochement, voire une sorte de parenté dans le sublime, entre le génie poétique ou artistique et le génie industriel, entre les poètes et les ingénieurs, entre les artistes et les architectes.

DE L'ORIGINE DES « REGLES DE L'ART ».

Newton est-il un génie ? demande Kant. Plus encore que la question, la réponse du philosophe paraît surprenante : « Dans le domaine scientifique, le plus remarquable auteur de découvertes ne se distingue que par le degré de l'imitateur ou de l'écolier le plus laborieux »1. Si le

grand savant contribue, et de quelle manière, « à la perfection toujours croissante des connaissances et à l'utilité qui en dépend », il n'en reste pas moins que sa science est entièrement explicable et communicable, « depuis les premiers éléments de géométrie jusqu'à ses découvertes les plus importantes et les plus profondes ». En ce sens, le véritable génie ne se rencontrerait que dans les beaux-arts, c'est-à-dire en un domaine où le plus grand talent est celui qui outrepasse les limites mêmes de l'art. « Aucun Homère, souligne la Critique de la faculté de juger, ne peut montrer comment ses idées riches de poésie… surgissent et s'assemblent dans son cerveau, parce qu'il ne le sait pas lui-même et ne peut l'enseigner à personne ».

Plus radicale que l'ancienne distinction des arts libéraux et des arts mécaniques2, une nouvelle limite se serait donc établie entre l'ensemble des arts (mécaniques et libéraux) et les beaux-arts (véritablement, arts du

1 Critique de la faculté de juger, trad. franç. A. Philonenko, Vrin, 1968, § 47.

2 Arts libéraux du Quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique. Arts libéraux du

Trivium : grammaire, rhétorique, dialectique. Arts mécaniques : «qui exigent surtout un travail

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génie). L'opposition projetterait l'inspiration du génie poétique dans des

règles qui ne peuvent trouver leur source ni dans l'entendement ni dans la raison mais dans la nature elle-même : Kant, précurseur involontaire du romantisme ? En réalité, il n'existe aucun art (les beaux-arts eux-mêmes ne peuvent échapper à une telle contrainte), « en lequel il ne se trouve quelque chose de mécanique, qui peut être saisi ainsi qu'observé selon des règles, c'est-à-dire quelque chose de scolaire qui constitue la condition essentielle de l'art ». En revanche, ce qui justifie l'idée du génie en tout chef d'œuvre (quelle que soit la discipline parmi le système des beaux-arts), c'est l'existence de quelque chose en lui qui serait irréductiblement inexplicable, une règle encore mais en un sens supérieur, et telle que tout précepte de l'art se trouverait dès lors suspendu à son pouvoir d'exemplification. Kant, tout en approfondissant le thème du génie inspiré, en délimite en même temps la fonction : « Le génie ne peut donner qu'une riche matière aux produits des beaux-arts ; le travail de cette matière et la forme exigent un talent formé par l'école… ». On le voit, l'idée de « règle de l'art » est équivoque. Tantôt elle désigne le précepte tel qu'on l'apprend (il définit les conditions d'une habileté et implique du même coup un canon ou un contenu académique de l'art). Tantôt elle renvoie à un modèle exemplaire, c'est-à-dire à une perfection qui ne peut proprement être imitée mais sert « de mesure ou de règle au jugement ». De ce point de vue, on peut faire l'hypothèse qu'une réflexion sur les limites d'interprétation et d'application de la règle en tout art (y compris les arts techniques), fournit un indice assez sûr de la différence qui sépare un art qui serait « tout d'exécution » d'un autre fondé sur les ressources supérieures du « génie ».

L'AU-DELA DE LA REGLE.

Je voudrais montrer que l'idée de génie peut connaître une extension que Kant sans doute aurait exclue, mais qui s'appuie cependant sur la même raison qui lui faisait opposer à la plus haute science de son temps l'héritage exemplaire des modèles de l'art : il existe un au-delà de la règle, tel qu'un grand créateur ne pourra rendre intégralement raison de ses œuvres. Il est un mode de communication irréductible à la forme de la communication rationnelle, et reconnaissable en cela qu'on ne peut ni déterminer les concepts qui fourniraient les principes d'un jugement objectif ni apprendre lesdits principes selon des préceptes scolaires. Une telle situation ne définit pas seulement la subjectivité du jugement « réfléchissant » telle qu'elle se rencontre (sous sa forme la plus élevée) dans le jugement esthétique. Elle est applicable peut-être à des domaines comme les arts industriels, l'architecture, le génie civil, en un mot à des

techniques, dans la mesure où celles-ci ne peuvent être confondues ni

avec les connaissances scientifiques qui les conditionnent ni avec les procédés qui en formalisent l'activité productive ni même avec leur

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finalité fonctionnelle. Celle-ci, conçue de façon restrictive comme rapport des moyens à un but utilitaire, n'épuise pas le contenu ni la signification de la forme donnée au produit de l'art. Qu'il suffise ici de penser aux ouvrages les plus marquants parmi ceux que réalisent les différentes disciplines de la construction : ponts, grands « ouvrages d'art », monuments, etc.

L'essentiel de l'argument que je propose ici consiste à établir la signification de l'inexplicable et à la rapprocher de la manière dont s'effectue la référence en matière de jugement sur les ouvrages du génie (la modalité du jugement). Le risque d'une utilisation équivoque de l'idée de génie et de son vocable fournit en définitive la chance d'une variation de sens, dans la différence de l'art et de la technique. Les arts du beau, s'ils sont irréductibles aux arts de l'utile, n'en reçoivent pas moins d'eux la norme de tout travail et de toute production (c'est-à-dire l'obligation d'agir avec adresse, ou selon des règles suffisamment établies). Et les arts de l'utile (faut-il les appeler arts appliqués, industriels, techniques ?), en dépit de l'opposition qui subsiste entre la liberté de l'art et toute pratique astreinte à des normes, découvrent, dès lors qu'ils s'épanouissent en

projet, la possibilité d'une élévation de la règle constructive vers un

au-delà de la norme acceptée - mais sous l'impulsion de quelle audace ? au nom de quelle inspiration ?

« Le génie donne ses règles à l'art »

(Emmanuel Kant). La définition kantienne du génie est donnée par le § 46 de la Critique

de la faculté de juger : « le génie est la disposition innée de l'esprit

(ingenium) par laquelle la nature donne ses règles à l'art ». Elle se développe selon l'argument suivant : tout art suppose des règles, en ce sens que le produit de l'art doit d'abord être représenté comme possible selon un plan (l'œuvre n'est pas un produit du hasard). Or, le caractère « réfléchissant » du jugement esthétique signifie que celui-ci n'a jamais la valeur d'un jugement objectif fondé sur la détermination d'un concept : seul compte le rapport de la représentation aux facultés du sujet, tel qu'il se donne dans le sentiment du goût. Tout le problème de l'esthétique kantienne est de fonder, sur la base du caractère subjectif du plaisir esthétique, l'universalité du jugement de goût : la relation interne qui lie le plaisir esthétique à l'universalité d'une culture représente tout l'enjeu de la troisième Critique, en sa première partie. Ainsi Kant construit-il une véritable philosophie de la communication, en marge du domaine de la rationalité scientifique et hors le règne de la loi morale. Cette philosophie trouve son plein aboutissement dans la « critique de la faculté de juger téléologique » (Critique de la faculté de juger, 2e

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partie), laquelle peut aussi bien être comprise comme posant les prémisses d'une philosophie de la technique.

Si l'art suppose des règles mais que celles-ci ne peuvent être données à la manière d'un concept, il reste que les beaux-arts ne peuvent concevoir eux-mêmes ces règles mais seulement les recevoir de la nature elle-même, c'est-à-dire, selon Kant, de la concorde des facultés du sujet. Trois conséquences vont en résulter :

1) Le génie est un talent ; l'originalité doit être sa première propriété (aucune règle déterminée ne peut être apprise…).

2) Les produits du génie doivent en même temps être des modèles, c'est-à-dire être exemplaires (sans avoir été eux-mêmes engendrés par imitation, ils doivent toutefois servir aux autres de mesure ou de règle du jugement).

3) Le génie ne peut décrire lui-même comment il produit ; c'est en tant que nature qu'il donne la règle ; il ne sait pas comment se trouvent en lui les idées qui se rapportent à son art (c'est pourquoi aussi le mot génie est vraisemblablement dérivé de genius, l'esprit particulier donné à un homme à sa naissance pour le protéger et le diriger, et qui est la source de l'inspiration dont procèdent ses idées originales).

Kant débouche sur un élargissement extraordinairement fécond de la psychologie transcendantale des facultés : une Idée esthétique est « cette représentation de l'imagination, qui donne beaucoup à penser, sans qu'aucune pensée déterminée, c'est-à-dire de concept, puisse lui être adéquate ». De même qu'il existe des concepts auxquels nulle intuition ne peut correspondre (les Idées de la raison), il existe des intuitions qui donnent plus que ce que peut en exprimer la langue, plus que n'en peut expliquer le concept. Telle est la puissance motrice de l'imagination, capable de mettre en mouvement les facultés intellectuelles.

LE POUVOIR DE L'INATTENDU ET L'INGENIOSITE HUMAINE (Hélène VERIN)3.

La naissance du discours technologique et l'élaboration d'une logique propre à l'art de l'ingénieur définissent depuis les débuts de l'âge moderne les conditions historiques de la formation du « génie » au sens non plus artistique mais technique. Hélène Vérin a donné l'exemple des traités de fortification au XVIe siècle, à travers lesquels on voit émerger une conception nouvelle du projet et du génie comme art des ingénieurs. Plusieurs traits remarquables composent cette philosophie de l'ingénieur telle qu'elle apparaît à travers l'évolution du génie militaire ou la progressive rationalisation de la construction navale. L'enjeu est celui de

3 Vérin, H. (1993). La gloire des ingénieurs. L'intelligence technique du XVIe au XVIIIe siècle. Paris : Albin Michel.

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la formation d'une discipline technologique. Cette discipline doit se voir reconnaître à la fois une nécessité logique et un pouvoir heuristique : elle doit constituer sa propre norme interne (qui la qualifie à l'intérieur de l'encyclopédie des savoirs) ; et elle doit être efficace, c'est-à-dire faciliter l'invention technique. La difficulté est grande pour les arts

pluri-techniques : la fortification relève à la fois de l'architecture, de l'art de la

guerre et de la mécanique… Le discours technologique peut-il être spécifique ? Ajoute-t-il quoi que ce soit de nécessaire à chacune des sciences particulières avec lesquelles il compose ? La réponse est précisément dans sa fonction opérative : il doit être un guide pour l'action. En ce sens, son opération consiste dans la réduction de l'espace séparant théorie et pratique. Or, l'action est engagée dans des situations toujours changeantes. L'ingénieur travaille toujours sur des cas particuliers : le réel est fuyant, semblant mettre en échec les tentatives de modélisation. La raison technicienne doit se tenir au plus près de l'occurrence, du divers. Opportuniste, elle use de la science mathématique comme d'un moyen pour ruser avec la nature. Enfin, la technologie se subordonne à des fins stratégiques : la fortification n'est concevable que rapportée à une idée de la guerre et du combat. Ainsi le problème de la fortification changera-t-il de nature avec le développement de l'artillerie et de la guerre de mouvement. De même le problème de la construction navale à partir de Colbert sera de concilier l'art des maîtres charpentiers avec la science de la manœuvre des vaisseaux.

On pourrait parler, par anglicisme, des predicaments du discours technologiques à tout le moins. Un discours qui s'appliquerait à n'importe quel art n'apprendrait rien d'aucun, ou bien il ne consisterait à développer que des effets trompeurs. Mais en juger ainsi, c'est ne retenir pour critère que celui de la science, de la vérité. Ce critère est inadéquat pour comprendre ce qui se passe dans l'art de l'ingénieur (Jacques Guillerme4).

La rhétorique apparaît, en définitive, comme « le seul moyen de régler un discours qui a pour fin d'augmenter l'efficacité de l'art. Dans ce cas, l'élaboration d'une « technologie » consisterait bien pour l'essentiel à trouver les moyens d'articuler l'art étudié à l'étude de cet art »5. Complexité des techniques du discours technique… Comment faire entrer la conception technique dans l'ordre des disciplines enseignables ? L'activité de l'ingénieur doit être distinguée de celle du simple praticien : la fortification, comme la médecine, est à la fois une faculté, un art et une science. Science à cause du recours aux principes mathématiques

4 Jacques Guillerme, «Les liens du sens dans l'histoire de la technologie», Cahiers S. T. S., n° 2, De la technique à la technologie, Paris, 1984.

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dans la recherche des formes. Art par l'établissement des règles qui permettent de parvenir à une fin bien conçue et déterminée. Faculté dans la mesure où la pratique fait rencontrer les nombreuses difficultés dues à la matière avec laquelle on opère.

L'ASPECT INEXPLICABLE DE L'EFFICACITE (Jean-Pierre SERIS)6.

La même « chose » peut par principe être expliquée à différents niveaux : c'est le pluralisme des niveaux d'explication qui est la ressource même de tout art pédagogique et didactique. Ce pluralisme décrit l'action de l'enseignant comme l'art des alternatives. Il faut pratiquer ce pluralisme de l'explication, c'est-à-dire construire les médiations qui tracent des voies multiples pour faciliter l'intelligence d'un objet, et pour convertir cet objet en un projet de pensée ou d'action. A la rigueur d'un exposé scientifique, ordonné selon des raisons formellement rigoureuses, s'ajoute un faisceau de développements possibles qui sont véritablement pour l'enseignant la matière même de son art, c'est-à-dire de son habileté et de sa persuasion.

Or, ce principe pédagogique reçoit l'appui et comme l'encouragement d'une définition de la technologie elle-même. Jean-Pierre Séris écrit ceci, à propos des techniques (anciennes et empiriques, mais, faudrait-il le dire, actuelles aussi) dont l'efficacité est éprouvée bien qu'on n'en connaisse pas les raisons ou les fondements scientifiques. Dans une formule étonnante, il écrit qu'au cœur de la technologie, on trouve « l'inexplicable » : « L'inexplicable, c'est le domaine de l'explication multiple, de l'explication flottante, de l'explication à plusieurs niveaux. Comme une limite intrinsèque du maker's argument (selon lequel on ne comprend que ce que l'on fabrique) s'inscrit l'idée que l'on ne comprend pas tout ce que l'on fait ni pourquoi ce que l'on fait réussit ». On peut admettre que la définition de la technologie se trouve captive de ces déterminations apparemment contraires : elle s'appuie sur l'effort langagier pour nommer, classer, ordonner (le monde de la matière saisi à travers le monde des pratiques artisanales et industrieuses) ; mais, en même temps, elle oppose aux linéaments d'une raison indivisiblement rhétorique et savante les acquis silencieux de l'œil et de la main, l'inertie propre à une connaissance issue des « techniques du corps ». Par ailleurs elle contribue à l'essor de la science et reçoit d'elle une part non négligeable de son prestige, mais elle oppose au discours scientifique universel, la patience d'une raison opportuniste, sans cesse convoquée par les besoins sociaux et leur expression à travers les marchés. Si son prestige est consacré par la masse des biens dont elle a rendu l'industrie possible, et si le commerce relance sans fin ses capacités innovatrices,

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elle paye son immense succès public et idéologique d'un lourd tribut : celui de sa dévalorisation, voire de son rejet aux marges d'une culture entravée par ses préjugés élitistes : l'idée de génie, quand on l'étend du domaine des arts « nobles » aux pratiques de l'ingénieur, devient au mieux une affirmation du rationalisme technique, au pire un thème populiste. La technologie est triomphante et sous-estimée : au zénith de sa puissance économique et sociale mais reléguée dans la hiérarchie des valeurs symboliques. L'ambivalence des jugements sur le génie des ingénieurs est une des manières dont l'idéologie relève et exprime la signification technique de « l'inexplicable ».

LES OUVRAGES DU GENIE.

REFERENCE ET EXEMPLIFICATION

(Michael BAXANDALL)7.

L'effort pour comprendre les œuvres du génie inspire une réflexion sur la modalité de la référence : comment, à tout le moins, tente-t-on l'explication, et quelles limites rencontre-t-on ? Michael Baxandall, dans un livre qu'il consacre principalement à l'analyse de la peinture, commence par esquisser la description monographique d'un « ouvrage d'art » : le pont sur le Forth (Écosse), de Benjamin Baker. De quel problème, le pont construit, représente-t-il la solution ? Il serait impossible, explique l'auteur, d'appliquer la méthode qui consiste à aller du problème vers la solution, si l'on n'avait déjà la solution sous les yeux. Les « arts du génie » occupent précisément cet espace, à la fois technique, social, culturel, etc., qui sépare le problème de sa solution. L'auteur propose un schéma de description des données du problème, permettant d'approcher et de comprendre (sans pouvoir les prévoir ou les prescrire d'avance) les voies de l'invention. C'est précisément, la manière propre du « génie technique » dans sa plus haute expression.

LES TERMES (TECHNIQUES, ÉCONOMIQUES…) DU PROBLÈME LE PONT LA DESCRIPTION SUR LE FORTH LA CULTURE DU MAÎTRE D'ŒUVRE

7 Michael Baxandall, Formes de l'intention. Sur l'explication historique des tableaux, Ed. Jacqueline Chambon, Nîmes, 1991.

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Les ouvrages des ingénieurs sont l'occasion, chaque fois vérifiable, d'évoquer cette fonction du « génie » : la règle de l'action ne peut être exprimée directement dans une formule qui servirait ensuite de précepte. « La règle, écrivait déjà Kant, doit au contraire être abstraite de l'action, c'est-à-dire du produit, par rapport auquel les autres peuvent mesurer leur talent ». D'autre part, cette règle (ou plutôt, cet ensemble de règles) est élevée à un degré d'efficience supérieur, parce qu'elle cesse d'être conformité à une norme acquise (ou apprise) mais qu'elle est la projection sur une situation inédite du pouvoir technique de l'homme, enraciné en son expérience fondamentale de la nature (de ses matériaux et de ses forces).

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