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Routes et voies dans l’œuvre de Johan Barthold Jongkind : le paysage en marche

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Routes et voies dans l’œuvre de Johan Barthold

Jongkind : le paysage en marche

Alma Politi

To cite this version:

Alma Politi. Routes et voies dans l’œuvre de Johan Barthold Jongkind : le paysage en marche. Art et histoire de l’art. 2019. �dumas-03105857�

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Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne

UFR 03 – Histoire de l’art

ROUTES ET VOIES DANS L’ŒUVRE

DE JOHAN BARTHOLD JONGKIND :

LE PAYSAGE EN MARCHE

Volume 1 – Texte

Alma Politi

Mémoire de Master 1 recherche

Sous la direction de M. Emmanuel Pernoud,

professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Paris 1

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Reproduction figurant sur la page de titre : Johan Barthold Jongkind

La Côte-Saint-André par temps couvert, 1878

Huile sur toile, 43,5 x 57,3 cm Collection particulière

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Remerciements

Cette étude a été le fr uit d’une heur euse r encontr e, que je dois à M. Per noud, mon dir ecteur de r echer ches, ver s qui mes r emer ciements vont en pr emier lieu pour sa disponibilité, ses r ecommandations et ses encour agements.

J e tiens à r emer cier chaleur eusement M. Louis Four nier et Mme Dominique Fabr e, qui m’ont si aimablement accueillie en leur r égion où ils ont œuvr é à diffuser le souvenir et l’œuvr e du peintr e. La génér osité avec laquelle ils m’ont par tagé leur tr avail, leur s connaissances et l’efficacité avec laquelle ils ont r épondu à mes sollicitations m’ont été d’une aide déter minante. J e témoigne également ma r econnaissance la plus pr ofonde à Dominique pour me per mettr e de par ticiper à une inter vention or ganisée à l’occasion du bicentenair e de la naissance de J ongkind, à La Côte-Saint-Andr é.

J e r emer cie tous mes pr oches pour leur confiance, leur soutien et leur s encour agements. J e r emer cie en par ticulier mes par ents pour leur s r electur es attentives, et mes amis, Louis Kr hajac pour sa clair voyance, ses appor ts et sa compr éhension, César Bir schner , pour l’optimisme qu’il a su me tr ansmettr e, Chloé Fouger ouse pour sa r electur e et ses cor r ections. J ’ai également une pensée par ticulièr e pour Isabel, Pauline, Lou, Léa, Ar mande et Baptiste dont l’écoute et la pr ésence m’ont été d’un pr écieux soutien.

J e r emer cie M. J oseph Guétaz, pr ésident de l’association « Dans les pas de J ongkind en Dauphiné » pour l’intér êt qu’il a manifesté à l’égar d de ce tr avail, au nom de toute l’association.

J e r emer cie enfin M. Fr ançois Auffr et, membr e du « Comité J ongkind Par is-La Haye », pr ésident de la « Société des Amis de J ongkind », et auteur d’une biogr aphie illustr ée de J ongkind, pour m’avoir pr oposé de r elir e mon tr avail auquel il a pu appor ter pr écisions et suggestions.

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SOMMAIRE

Remerciements ... 2

Introduction ... 4

I. Un peintre intinérant à la jonction de plusieurs écoles : entre tradition et modernité, France et Hollande ... 11

1. Une peinture intimement liée à ses voyages et à sa vie ... 11

a. Des Pays-Bas à Par is (1819-1854) ... 11

b. La fuite au pays natal et son r etour à Par is (nov. 1855- avr il 1860) ... 16

c. Le calme r etr ouvé : J oséphine, la Nor mandie et le Niver nais (1860-1874) ... 18

d. Les années de r etr aite en Dauphiné (1875-1891) ... 22

2. Un paysagiste inscrit dans la tradition ... 24

a. Les aquar ellistes anglais et l’esquisse ... 24

b. L’hér itage hollandais ... 26

c. La séduction pour la lumièr e à Par is ... 27

3. Jongkind, indépendant et novateur ... 35

a. Réception cr itique à son époque ... 35

b. Un peintr e mar ginal et solitair e ? ... 45

c. Peindr e le quotidien ... 49

II. Le paysage depuis la voie ... 51

1. Une moisson fructueuse aux détours des chemins ... 51

a. Peindr e en plein air ... 51

b. Thème et var iations, la substance du souvenir ... 55

c. Des « car nets de r oute » ... 60

2. La route, objet d’expérimentations picturales : une esthétique de la fluidité ... 66

a. L’attention aux météor es et les jeux de la « peintur e pur e » ... 66

b. Un dispositif de mise en scène : le peintr e paysagiste ... 70

c. Dynamisme et impr ession d’ensemble ... 77

III. De voyage en pèlerinage, l’allée du temps ... 82

1. Les modalités du voyage : une appréhension nouvelle de l’environnement ... 82

a. Le modèle fer r oviair e ... 82

b. Une sensibilité r omantique : le plaisir de la pr omenade, entr e ville et campagne .. 87

c. Des voies de cir culation ... 90

2. Le chemin d’une vie : poétique de la marche ... 94

a. La quête ar tistique et intér ieur e ... 94

b. Une fin inévitable : la sér énité face à la mor t ... 97

Conclusion ... 102

BIBLIOGRAPHIE ... 106

SOURCES PRIMAIRES ... 106

Cor r espondance ... 106

Sour ces contempor aines de J ongkind ... 106

Ouvr ages et ar ticles ... 108

SOURCES SECONDAIRES ... 110

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Introduction

« J ’ai l’habitude d’aller par les chemins, jetant les yeux de dr oite et de gauche, mais en ar r ièr e aussi de temps en temps… Et ce que je vois à chaque instant est ce que jamais aupar avant je n’avais vu, de quoi j’ai conscience par faitement. »1 Le chemin, por te ouver te sur la natur e, occupe une place fondamentale dans l’œuvr e de J ongkind, peintr e itinér ant : « Combien de fois il avait er r é sans but autour des villages, cheminé en r êvant le long de la digue légendair e, l’œil per du dans le r ayonnement du jour et dans le mystèr e de la nuit ! »2

La r econnaissance de J ongkind aujour d’hui à titr e de pr écur seur de l’impr essionnisme lui vaut d’êtr e r epr ésenté lor s des innombr ables expositions consacr ées à ce cour ant par l’une ou l’autr e mar ine, paysage hollandais ou clair de lune. Ces scènes ne constituent qu’un pan d’une pr oduction en r éalité bien plus vaste. J ongkind est un paysagiste complet, un voyageur qui aime à se tr ouver sur les r outes, et un gr and mar cheur qui n’hésite pas à par cour ir des dizaines de kilomètr es. Ainsi les r outes, les r ues, les chemins et les canaux jalonnent tout son œuvr e. La constance du motif de la voie dans ses cr éations fait l’objet de cette pr ésente étude.

De nombr eux ouvr ages monogr aphiques ont été consacr és à J ongkind. Dans ceux-ci, la vie de l’ar tiste y est r ichement documentée, notamment gr âce à la mise au jour d’une abondante cor r espondance, mais son tr avail n’y est abor dé que d’une façon contextuelle, pr is comme un tout. De gr andes biogr aphies font r éfér ence. Étienne Mor eau-Nélaton, histor ien d’ar t, peintr e lui-même et collectionneur , est à l’or igine, en 1918, de la pr emièr e d’entr e elles3. Ce tr avail est pour suivi en 1968 par Victor ine Hefting, directrice du Gemeentemuseum de La Haye, qui publie une thèse de doctorat sur la correspondance de Jongkind4 et qui organise ensuite, en 1971, une exposition des aquarelles de Jongkind à l’Institut Néerlandais de Paris5. Cet événement donne lieu, quelques années plus tard, au premier rassemblement d’un choix significatif d’œuvres de l’artiste,

1 F. Pessoa, « II » dans Le Gardeur de troupeaux, et les autres poèmes d'Alberto Caeiro, avec Poésies d'Alvaro de

Campos, tr ad. Ar mand Guiber t, Par is, Gallimar d, 1987, p. 40.

2 L. de Four caud, Pr éface au Catalogue de tableaux, esquisses, études et aquarelles par feu J.-B. Jongkind, Par is,

Hôtel Dr ouot, 1891, p. 67.

3 É. Mor eau-Nélaton, Jongkind raconté par lui-même, Par is, H. Laur ens, 1918.

4 V. Hefting, Jongkind d’après sa correspondance, Utr echt, Haentjens Dekker & Gumbert, 1968.

5 Aquarelles de Jongkind, éd. Victor ine Hefting, (cat. exp., Par is, Institut Néer landais, 30 janvier -14 mar s 1971),

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dans un catalogue raisonné réunissant 820 reproductions6. À la suite d’Étienne Moreau Nélaton, en 1927, c’est à Paul Signac, et à la finesse de son regard de peintre, que l’on doit un texte d’une remarquable justesse dans sa compréhension de l’artiste et de sa vision, portant une attention particulière aux qualités proprement picturales, esthétiques et stylistiques de son travail, en en mettant au jour les différents aspects7.

Au tournant du XXIe siècle, des expositions ont, par ailleurs, enrichi et renouvelé la connaissance de la production de Jongkind. Elles sont également précieuses en ce qu’elles permettent de diffuser des œuvres de collections particulières. Une exposition eut lieu en 1991 à La Côte-Saint-André à l’occasion du centenaire de la mort de Jongkind. En 1996, une rétrospective fut organisée à la galerie Brame & Lorenceau avec la collaboration d’Adolphe Stein, qui entreprit d’enrichir et de compléter les recherches menées par Victorine Hefting, travail qui aboutit à la publication du catalogue raisonné de l’Œuvre peint de Jongkind en 2003, avec le concours de Sylvie Brame, François Lorenceau et Janine Sinizergues. L’avant-propos est écrit par John Sillevis et Sylvie Patin8. Une exposition internationale s’est tenue à la suite de ces travaux, à partir d’octobre 2003, à La Haye, Cologne et Paris, événement majeur puisqu’il fut l’occasion de nombreuses publications et rééditions d’ouvrages. Aux éditions Rumeurs des Âges ont été regroupées les préfaces rédigées par Louis de Fourcaud pour les catalogues des ventes des œuvres de Jongkind, des 7 et 8 décembre 1891 et du 17 décembre 19029. Le texte d’Étienne Moreau-Nélaton a également été réédité, aux mêmes éditions, sans les figures10. En 2009, une exposition notable au Musée Hector-Berlioz à La Côte-Saint-André fit une grande place à la production dauphinoise de l’artiste, présentant de nombreuses aquarelles et dessins jamais exposés jusqu’alors, exemplaires pour beaucoup de notre propos. Le catalogue de cette exposition pu constituer un outil de travail grâce aux reproductions de qualité, correctement référencées11. Les panoramas de Grenoble, les aquarelles réalisées dans la Vallée de la Bourbre puis les tableaux et dessins à La Côte-Saint-André ont notamment nourri et servi d’appui à la réflexion. La dernière exposition monographique notoire en France est celle du Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô, où fut présentée une aquarelle inédite de Jongkind réalisée à

6 V. Hefting, Jongkind, sa vie, son œuvre, son époque, Ar ts et Métier s Gr aphiques, Par is, 1975. 7 P. Signac, Jongkind, Par is, G. Cr ès et Cie, 1927.

8 A. Stein, et al., Jongkind, Catalogue critique de l’œuvre. Peintures I., Par is, Br ame & Lor enceau Éditions, 2003. 9 L. de Four caud, Johan-Barthold Jongkind, aquarelliste, La Rochelle, Rumeur des Ages, 2004.

10 É. Mor eau-Nélaton, Johan-Barthold Jongkind raconté par lui-même, [Par is, Libr air ie Renouar d, Henr i Laur ens

éditeur , 1918], La Rochelle, Rumeur des Ages, 2004.

11 Jongkind, Des Pays-Bas au Dauphiné, éd. Chantal Spillemaecker , (cat. exp., La Côte-Saint-Andr é, Musée

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Londres, attestant son voyage, parmi 90 tableaux. Le catalogue de cette exposition fut cependant introuvable. L’ouverture de la prochaine exposition est imminente. Elle aura lieu du 15 juin au 23 septembre 2019 au Musée Hébert de La Tronche, commune limitrophe de Grenoble, accompagnée d’autres événements en commémoration du bicentenaire de la naissance de Jongkind.

Malgré le nombre de publications, l’approche de l’œuvre de Jongkind demeure largement documentaire et illustrative, attachée aux différents moments de sa vie. La division typologique entre les différentes techniques utilisées par le peintre, huile, aquarelle, et eau-forte, reste également très prégnante. Ainsi les travaux consacrés à Jongkind procèdent systématiquement par découpage chronologique et/ou technique. Par ailleurs, si les œuvres sont citées à titre d’exemple, aucune ne fait jamais l’objet d’une attention spécifique. Les qualités et les caractéristiques de l’art de Jongkind sont évoquées de manière générale. C’est seulement dans les revues spécialisées, le Bulletin de la Société des amis de Jongkind et les revues publiées à l’occasion de l’exposition internationale de 2004 que certaines œuvres font l’objet d’études de cas (Dossier de l’art, n°10812 et Connaissance des

arts, n°22113) mais l’aspect documentaire et la mise en contexte dominent encore largement le propos.

Outre les ouvrages portant sur la production d’aquarelles de Jongkind – par Victorine Hefting en 197114 puis J ohn Sillevis en 200215 – et sur sa pr oduction de marines – notamment dus à Anne-Marie Ber ger et-Gour bin en 199416 et Sylvie Patin en 201417 –, aucune étude thématique expr essément consacr ée à l’œuvr e de J ongkind n’a vu le jour . Dans ce contexte, la par ution d’un ar ticle en 2015, pr ésentant les r ésultats d’une exper tise menée par deux conser vateur s du Metr opolitan Museum of Ar t à l’occasion de la r estaur ation du tableau Le Pont-Neuf (1849-50), mér ite d’êtr e r elevée18. L’analyse a mis au jour des changements de composition notables dans les vues peintes par J ongkind depuis les quais de Seine, qui en font des vues hybr ides, conçues sur la base

12 J . Faton-Boyancé (dir .), Jongkind, l'ami des impressionnistes. Expositions au musée d'Orsay et à l'Institut

néerlandais, Dossier de l’ar t, n°108, Dijon, éd. Faton, 2004.

13 C. Castandet et J .-L. Lar r ibau, Johan Barthold Jongkind 1819-1891, Connaissance des ar ts, hor s-sér ie n°221,

Par is, Société fr ançaise de pr omotion ar tistique, 2004.

14 Aquarelles de Jongkind, op. cit., 1971.

15 J . Sillevis, Jongkind, aquarelles, Par is, Br ame & Lor enceau Éditions, 2002.

16 A.-M. Ber ger et-Gour bin, Jongkind au fil de l’eau, Par is, Her scher , 1994. Ouvr age r éédité en 2004.

17 S. Patin, Jongkind. Une fascination pour la lumière, fantasmagories de ciel et d’eau, Rouen, Éditions des Falaises,

2014.

18 A. E. Miller et S. Scully, « The Pont Neuf, A Par is View by J ohan Bar thold J ongkind Reconsider ed »,

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de différ ents cr oquis, et qui attestent que J ongkind n’a pas une technique pr éétablie mais opèr e des r évisions et des expér imentations au cour s même de l’élabor ation de ses tableaux.

Les r outes et les voies mar itimes chez J ongkind ont été évoquées du fait qu’elles constituent le sujet et le titr e de quantité d’œuvr es, mais n’ont jamais fait l’objet d’une attention par ticulièr e. Le catalogue de l’exposition de 1996 à la galerie Brame & Lorenceau19, qui présenta des aquarelles du Dauphiné dans lesquelles le motif des routes est omniprésent, évoque les nombreuses excursions que Jongkind fit dans la campagne environnante à cette époque et identifie certaines routes représentées. Cela a le mérite de prendre en considération ce motif, mais sans en relever l’importance ni en proposer d’interprétation. L’exposition au Musée Hector-Berlioz en 2009 mettait également en lumière de nombreuses œuvres dauphinoises ainsi que des croquis, attirant l’attention sur la place de l’impression première dans la démarche de Jongkind, la rapidité du dessin d’observation, et la présence caractéristique d’annotations manuscrites dans ceux-ci. Les voyages et promenades régulières de Jongkind y sont de nouveau abordés mais nullement approfondis.

En ce qui concerne le motif de la voie en lui-même, le conséquent ouvrage d’Éric Alonzo, paru récemment, consacré à son histoire, L’Architecture de la voie, histoire et

théories, est d’une grande ressource20. Abordant à la fois les voies du point de vue architectural et conceptuel, et mettant l’accent sur le rapport qu’elles entretiennent au paysage, il propose des concepts et angles d’approche originaux afin de réfléchir à l’enjeu de leur représentation en peinture. L’ouvrage de Marc Desportes, Paysages en mouvement, est également riche d’informations au sujet de l’implication des techniques et moyens de transport sur la perception et l’appréhension du paysage21. Ces deux ouvrages offrent matière à la réflexion afin d’envisager le traitement des routes dans l’œuvre de Jongkind, au regard des avancées industrielles, en particulier de l’avènement du chemin de fer et des modalités du voyage qui s’en trouvent bouleversées. L’ouvrage de Rebecca Solnit au sujet de la marche est essentiel, en parallèle, pour considérer ce qui constitue l’essentiel du rapport à la nature chez Jongkind et donc au paysage. À propos de la relation que l’homme entretient à la nature,

19 Jongkind, 1819-1891, (cat. exp., Par is, Galer ie Br ame & Lor enceau, 1er juin-5 juillet 1996 ; Le Vieux Por t

Laval, Centr e Inter national d’Ar t et d’Animation Raymond Du Puy, 12 juillet-15 septembr e 1996), Par is, Br ame & Lor enceau Éditions, 1996.

20 É. Alonzo, L’Architecture de la voie. Histoire et théories, Mar seille/Champs-sur -Mar ne, Par enthèses/École

d'ar chitectur e de la ville & des ter r itoir es, 2018.

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de la place de l’homme dans le paysage, et du peintre envisagé comme voyageur, les ouvrages de Pierre Wat, Pérégrinations. Paysages entre nature et histoire22, et d’Emmanuel Pernoud, Corot, peindre comme un ogre23, ont également nourri la réflexion. Ces derniers ouvrages permettent, par ailleurs, de considérer la démarche du peintre paysagiste de plein air. Sur cette question plus précisément, le catalogue L’école de Barbizon, Peindre en plein

air avant l’impressionnisme, sous la direction de Vincent Pomarède24 est indispensable et a permis de situer Jongkind par rapport aux peintres de l’école de Barbizon. Les écrits d’Emmanuel Pernoud offrent enfin de remarquables sources d’analyse et d’interprétation au sujet de la voie en peinture. L’auteur s’est particulièrement penché sur la question des routes et des chemins dans l’œuvre de Corot, mais aussi des voies chez Edward Hopper, et met ces deux peintres en parallèle dans le chapitre « Des rails sans trains » de son ouvrage consacré à Hopper25.

L’une des difficultés r encontr ées lor s de ces r echer ches a été, pour commencer , de r éunir le plus lar ge cor pus possible d’œuvr es mettant en scène le motif de la r oute, r echer che étendue au motif des voies en génér al. Les deux catalogues r aisonnés existants étant loin d’êtr es complets, il a fallu entr ecr oiser les différ entes sour ces r éper tor iant les œuvr es de J ongkind, monogr aphies et catalogues, dans lesquels, pour les plus anciens, celles-ci ne sont pas r epr oduites. Dans cette démar che, le pr oblème de l’unifor misation des titr es s’est posé : souvent, un même tableau ou un même dessin est r éfér encé sous plusieur s intitulés, ce qui laisse cr oir e dans un pr emier temps qu’il s’agit de pièces différ entes. Les nombr euses ver sions r éalisées par J ongkind d’une même scène ou d’un même lieu ajoutent à cette confusion. Le r éfér encement tr ès lacunair e des œuvr es dans les catalogues ou publications anciennes, se r éduisant à un titr e génér ique et une date, sans indication ni des dimensions ni du lieu de conser vation, n’a pas aidé à l’identification des œuvr es mentionnées. Les œuvr es de J ongkind pr ésentent également la difficulté d’êtr e par ticulièr ement disper sées, tant par mi les musées que par mi des collections pr ivées, lesquelles en conser vent une gr ande par t. De ce fait, on peut estimer qu’une quantité impor tante de ses tr avaux demeur e inconnue à ce jour . Nous avons également pu constater la cir culation de faux sur le mar ché de l’ar t. Dans

22 P. Wat, Pérégrinations. Paysages entre nature et histoire, Par is, Hazan, 2017. 23 E. Per noud, Corot, peindre comme un ogre, Par is, Her mann, 2008.

24 L’École de Barbizon, Peindre en plein air avant l’impressionnisme, éd. Vincent Pomar ède, (cat. exp., Lyon, Musée

des Beaux-Ar ts, 22 juin-9 septembr e 2002), Par is, RMN, 2002.

25 E. Per noud, « Des r ails sans tr ain », dans E. Per noud, Hopper. Peindre l’attente, Par is, Citadelles & Mazenod,

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l’impossibilité d’établir un r ecensement des différ entes occur r ences du motif de la voie chez J ongkind, pour les r aisons évoquées mais aussi devant la somme monumentale d’œuvr es concer nées par ce sujet, une pr emièr e sélection a dû êtr e opér ée, basée sur la lisibilité des r epr oductions disponibles. À des fins de clar ification et de discer nement, un classement d’or dr e chr onologique, géogr aphique et typologique a été nécessair e. Cela a per mis de r appr ocher cer tains cr oquis de tableaux ou aquar elles, et de distinguer la r epr ise d’un même sujet sous différ entes ver sions, par fois à des années d’inter valle. Ce r ecoupement, mis en par allèle avec le r elevé des déplacements successifs de J ongkind, nous a per mis de nous pr émunir contr e la tendance à l’assimilation du lieu peint, r epr ésenté, avec le lieu où l’œuvr e a été r éalisée, mais aussi, en r etour , de confir mer la datation de ses voyages. Une ultime difficulté s’est posée concer nant le r etour aux sour ces pr imair es, dont les r éfér ences sont le plus souvent er r onées ou incomplètes, et les pr opos cités inexacts, encor e dans les ouvr ages les plus r écents.

Afin d’enr ichir les aspects biogr aphiques mais aussi afin d’appuyer cer taines affir mations, une lar ge place ser a accor dée aux sour ces pr imair es, tant à la cor r espondance – entr e J ongkind, ses amis, et la famille Fesser – qu’aux cr itiques de l’époque. Une par tie ser a consacr ée à ces ar ticles : bien que non exhaustif, leur r ecensement n’a jamais été opér é et ser a, pour quelques citations r epr oduites dans d’autr es ouvr ages, l’occasion d’en indiquer la sour ce or iginale. Dans notr e cor pus étudié, les œuvr es qui ont pu êtr e accessibles ont été pr ivilégiées, notamment celles conser vées au musée du Louvr e, au musée d’Or say, à la fondation Custodia et au musée Faur e d’Aix-les-Bains. Les car nets de cr oquis conser vés au Cabinet des dessins du Louvr e r etiendr ont singulièr ement notr e attention et constituer ont une sour ce majeur e dans la compr éhension de la démar che de l’ar tiste, thématique placée au cœur de notr e sujet. Les contextes ar tistiques, sociaux et technologiques per mettr ont également de mieux en saisir la teneur . Les inscr iptions de J ongkind lui-même dans ses car nets – mais aussi sur ses dessins et aquar elles – et les éléments pr opr ement for mels de ses œuvr es, tels que la composition, les couleur s et le tr aitement de la lumièr e, guider ont enfin nos analyses. Les œuvr es r etenues sont également les plus r epr ésentatives de notr e pr opos. Les ar guments développés ont été nour r is par le motif des r outes et s’appuient sur leur s r epr ésentations. Les chemins de ter r e ser ont de ce fait favor isés pr opor tionnellement aux voies aquatiques, quand bien même évoquées à titr e

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compar atif. Aussi, les œuvr es niver naises et dauphinoises de la pér iode tar dive dominer ont le cor pus ; aquar elles r éalisées au cour s de pr omenades, le motif de la r oute y pr end une place sans par eille.

L’enjeu de ce tr avail est de mettr e au jour la place essentielle et significative que tient la r oute, et ses cor ollair es, à savoir le voyage, le déplacement et la mar che, dans l’œuvr e et le pr ocessus cr éatif de J ongkind. L’ar ticulation de ces différ entes thématiques devr ait per mettr e d’abor der son tr avail sous un angle or iginal, qui pour r ait par ticiper à en affir mer la r ichesse et la por tée. Cette étude s’inter r oger a plus par ticulièr ement sur le r ôle du motif de la r oute et des voies dans la mise en place d’une esthétique pictur ale singulièr e tour née ver s la fluidité.

La pr emièr e par tie fer a une gr ande place aux éléments biogr aphiques et ser a plus spécifiquement consacr ée à r etr acer les différ ents lieux de vie du peintr e, ses r encontr es et voyages effectués. L’objectif est d’opér er une synthèse des différ ents tr avaux menés à ce sujet, suffisamment complète pour en per mettr e l’appr opr iation et mieux abor der le contexte ar tistique dans lequel son tr avail s’inscr it d’une par t, et d’autr e par t, son indépendance vis-à-vis de toute école. La r econnaissance du peintr e par ses contempor ains r etiendr a par ailleur s notr e attention, afin de mesur er la considér ation de J ongkind en son temps, mais aussi pour la substance des pr opos tenus à l’égar d de ses tableaux. Cela per mettr a de questionner enfin le car actèr e solitair e d’or dinair e attr ibué à J ongkind et d’appr ocher la singular ité de dessins ancr és dans la vie quotidienne.

La seconde par tie ser a consacr ée aux aspects ar tistiques. La démar che du peintr e ser a tr aitée au r egar d de l’itinér ance en s’attachant à l’étude de cas pr écis. Puis, l’étude des r epr ésentations des voies chez J ongkind et de leur tr aitement pictur al fer a place aux questions d’or dr e esthétique. Leur singular ité sera soulignée à tr aver s leur compar aison à des œuvr es d’autr es ar tistes de son époque mettant en scène la r oute.

La tr oisième par tie tr aiter a plus spécifiquement du voyage. La tr aduction, dans le tr avail de J ongkind, de l’évolution des moyens de tr anspor t dans le contexte de la r évolution industr ielle ser a mise en lumièr e. Il conviendr a d’insister sur la qualité de mar cheur du peintr e comme contr epoint à l’influence du chemin de fer dans ses œuvr es. Le der nier point, davantage spéculatif, ser a l’occasion d’envisager , à par tir d’œuvr es et de la démar che du peintr e, la dimension tempor elle, voir e existentielle, que r ecèle la thématique du chemin.

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I.

Un peintre intinérant

à la jonction de plusieurs écoles : entre

tradition et modernité, France et Hollande

1. Une peinture intimement liée àses voyages et à sa vie

L’œuvr e de J ongkind est pr ofondément mar quée par ses différ ents lieux de vie, de r ésidence et par ses multiples séjour s qui sont pour lui l’occasion de découvr ir de nouvelles atmosphèr es qu'il pr end soin d’enr egistr er à tr aver s de nombr eux cr oquis pr éalables à ses tableaux, au cr ayon gr aphite au dépar t, puis le plus souvent à la pier r e noir e et à l’aquar elle. Une r encontr e est également décisive pour la suite de son existence, celle de J oséphine Fesser en 1860, année d’un vér itable nouveau dépar t. Son existence se par tage ainsi entr e les Pays-Bas, Par is, une sér ie de séjour s en Nor mandie et en Br etagne, puis dans le Niver nais. Il s’installe à Never s quelques temps, attendant la fin des hostilités par isiennes lor s de la guer r e fr anco-pr ussienne. Il finit ses jour s dans le Dauphiné, aux côtés de la famille Fesser .

a. Des Pays-Bas àParis (1819-1854)

J ongkind est né le 3 juin 1819 à Lattr op, hameau de la commune de Dinkelland, dans la pr ovince d’Over ijssel aujour d’hui. Huitième enfant d’une fr atr ie de dix, il passe son enfance à Vlaar dingen, ville por tuair e située sur les bor ds de la Meuse entr e Rotter dam et la mer du Nor d. C’est là, au cœur de la Hollande, que pr end naissance son amour pour les bateaux, les por ts, les quais, les gr ands hor izons et les vastes ciels. Cet univer s, qui l’a mar qué et enthousiasmé au point qu’il songe à devenir mar in, va toute sa vie nour r ir son imagination.

Il est tr ès tôt confr onté au dr ame de la per te des siens. Avant sa naissance, la famille a per du deux enfants. Le 23 décembre 1826, alor s qu'il est âgé de seulement 7 ans, il per d sa jeune sœur d'à peine 4 mois J ohanna-Elisabeth, cadette de la fr atr ie. Tr ois ans plus tar d, le 1er juillet 1829, un de ses fr èr es aînés, Laur ens-Chr istiaan, âgé de 17 ans, décède également. Enfin, en juillet 1836, c’est son pèr e, inspecteur de l’Enr egistr ement et des Domaines nommé ensuite per cepteur des impôts à Vlaar dingen, puis à Gouda, qui est empor té br utalement26. Au dépar t voué à devenir cler c de notair e dans la lignée pater nelle, cet événement r econfigur e soudainement les

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pr édestinations. Un an seulement apr ès le décès de son pèr e, J ongkind s’adonne à son aspir ation pour la peintur e. Sa mèr e, devenue veuve, par t habiter à Vlaar dingen puis à Maasluis et consent en 1837 à laisser par tir son fils pour La Haye, étudier à la Tekken Académie (Académie de dessin). C’est pour elle un déchir ement, qui s’expr ime à tr aver s les nombr eux échanges de lettr es27, mais c’est toujour s avec bienveillance et compr éhension – au contr air e de l’affir mation de Paul Colin, selon lequel « sa mèr e le maudit »28 – qu’elle accepte la voie dans laquelle son fils s’est engagé. Resté par ailleur s tr ès pr oche de sa sœur Magdalena Geer tr uy, mar iée à un dénommé Smeltzer , pasteur du village de Klaaswaal dans le canton de Dor dr echt, J ongkind est amené à séjour ner à plusieur s r epr ises chez eux dans les années 185029. Une huile de 1861 r epr ésente pr obablement une r oute en hiver pr ès de ce village (ill. 1).

C’est aupr ès d’Andr eas Schelfhout (1787-1870), dont il fr équente l’atelier en par allèle de ses cour s à l’Académie, que J ongkind entame sa for mation ar tistique. Maîtr e de la peintur e hiver nale dont l’ar t est ancr é dans la tr adition des paysagistes hollandais du XVIIe siècle, Schelfhout fait figur e de r énovateur aupr ès des siens par son opposition aux for mules établies, son appel à l’indépendance et son souci de vér ité. Alor s que la plupar t de ses confr èr es s’inspir ent exclusivement des anciens maîtr es, Schelfhout est déjà un peintr e de plein air, avance Victor ine Hefting 30. Pr êchant le r espect de la natur e, il engage ses élèves à fixer , devant elle, en quelques tr aits, leur s impr essions justes. J ongkind devient l’un de ses pr incipaux disciples, sa vision fr anche et clair e de la natur e entr ant en connivence intime avec les pr éoccupations de son maîtr e. C’est Schelfhout qui l’initie à la notation dir ecte d’apr ès natur e et en par ticulier à l’usage de l’aquar elle sur le motif. La pr emièr e aquar elle datée de J ongkind qui nous soit par venue mentionne l’année 1839.

J ongkind se lie d’amitié avec le peintr e Rochussen (1814-1894). Ils habitent tr ois ans ensemble, et « bien que tr ès différ ents d’or igine et de car actèr e, déclar e Victor ine Hefting, ils s’entendaient par faitement, l’un ayant le r espect de l’autr e et tous deux aimant la natur e et les longues pr omenades. »31

27 Repr oduit dans V. Hefting, Ibid. : « […] je suis contente que M. Schelfhout soit content de votr e tr avail et que

votr e tableau ait plu. » / « Comme je r egr ette de ne pas avoir loué une chambr e à La Haye ; […] il m’est bien pénible d’êtr e sépar ée de tous mes enfants. »

28 P. Colin, J.-B. Jongkind, Par is, éd. Rieder , 1931, p.17. 29 V. Hefting, op. cit., p. 316.

30 V. Hefting, op. cit., p. 317. 31 V. Hefting, Id., p. 319.

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En 1843, J ongkind obtient, gr âce à sa r ecommandation de la par t de Schelfhout aupr ès de Sa Majesté32, une allocation r oyale de « deux cents flor ins, afin qu’il puisse pour suivr e ses cour s de peintur e »33, le mettant à l’abr i du besoin pendant quelques années.

En 1845, lor s de l’inaugur ation de la statue de Guillaume le Tacitur ne, J ongkind r encontr e le peintr e fr ançais Eugène Isabey (1803-1886), venu en tant que compagnon du fonctionnair e délégué par la Fr ance pour cet événement. Sur l’invitation d’Isabey, J ongkind le r ejoint à Par is en mar s 1846 et entr e dans son atelier à Montmar tr e, avenue Fr ochot. Eugène Isabey, chef de file de l’école r omantique fr ançaise, devient son nouveau guide. Il est sans doute séduit par ses peintur es de mar ines et de batailles navales, thème que J ongkind affectionne tant. Implanté alor s au cœur de Montmar tr e, il r encontr e Théodor e Rousseau (1812-1867), Théodor e Chassér iau (1819-1856), Eugène Cicér i (1813-1890)34. Il pr end également des leçons à l’atelier Picot, r ue Duper r é, maîtr e attaché aux enseignements théor iques de la per spective et du modelé. Il y fait la r encontr e de J ozef Isr aëls (1824-1911) et de Kuytenbr ouwer (1821-1897), avec qui il se lie d’amitié. Cer tains élèves de Picot se r etr ouvent également à l’école de dessin d’un cer tain Alexandr e Dupuis, sur nommé familièr ement le « pèr e Dupuis »35. On connaît peu de tableaux de J ongkind datant de cette année-là. Il est néanmoins fasciné par la ville et son ar chitectur e, inspir é par la Seine avec ses ponts, ses quais, ses péniches. Dur ant son séjour par isien, J ongkind devient un vér itable peintr e de la ville, à la suite de Cor ot qui a peint des vues de Par is entr e 1820 et 183036. Bien qu’il ait « cer tainement consacr é plus de temps à explor er son quar tier » qu’à développer une nouvelle vision de la natur e37, écr it Victor ine Hefting, il appr ofondit sa technique au contact de ses camar ades par isiens au jugement impar tial qu’il estime pr ofondément et r egr ette, une fois r etour né en Hollande, comme il le fait alor s r emar quer dans une lettr e : « il n’y a que Par is où on tr ouve les juges les plus ter minés pour encour ager et pour dir e ce qu’il faut et ce qu’il manque. »38. Il tr availle beaucoup pour r épondr e à

32 Il s’agit de « Willem-Fr eder ik qui n’est pas le r oi Guillaume II (Willem II), comme il est fr équemment dit dans

les écr its consacr és à J ongkind, mais le r oi Willem Ier , qui, bien qu’ayant abdiqué en faveur de son fils, a néanmoins gar dé le titr e de Majesté. », note Victor ine Hefting, Id., p. 318.

33 Lettr e du r oi à L’intendant de « Notr e Maison », r epr oduit dans V. Hefting, Id., p. 319. 34 V. Hefting, Id., p. 321.

35 É. Mor eau-Nélaton, op. cit., p. 14.

36 A. Fayol, « Une œuvr e commentée. Notr e-Dame vue du quai de la Tour nelle » dans Jongkind l’ami des

impressionnistes. Exposition au musée d’Orsay et à l’institut néerlandais, op. cit., p. 16.

37 V. Hefting, op. cit., p. 321.

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une for te demande, celle de paysages hollandais, genr e alor s tr ès en vogue. En 1847, il par t pour Le Havr e, effectuant son pr emier voyage en Nor mandie puis en Br etagne. Au mois de mar s 1848, il expose pour la pr emièr e fois à Par is, au Salon. À cette occasion, il a dû découvr ir les œuvr es des peintr es anglais J ohn Constable (1776-1837) et Richar d Par kes Bonington (1802-1828) lequel a vivement mar qué son maîtr e par isien Eugène Isabey qui l’a accompagné dans un voyage à Londr es. Puis, en juin, il r ejoint Schelfhout en Hollande à la suite de leur invitation par le Pr ince d’Or ange, futur Guillaume III, dans son palais de Het Loo, dans la Veluwe, lor s des Royal Hawkins Races. J ongkind r éalise une quinzaine d’aquarelles du parc, aujour d'hui conser vées dans les Ar chives r oyales à La Haye. Un détail, livr é par une lettr e de Matthijs Mar is, indique que, cette année-là, J ongkind suivait les cour s de peintur e de Louis Meyez, peintr e de mar ines39. Cela témoigne de sa volonté constante d’appr endr e. À Par is, les pr emier s temps, Isabey est son pr otecteur . Il le soustr ait à plusieur s r epr ises aux affr es de la vie par isienne dans lesquelles J ongkind a tendance à s’engouffr er . Il l’emmène pr endr e l’air sur la côte nor mande en juin 1850, où il découvr e Honfleur , Fécamp, Ypor t, Saint-Valér y-en-Caux, puis Br est. C’est en août de la même année que J ongkind se r epr ésente, en r oute sous la lumièr e du soleil à Montmar tr e, « allant au motif » selon les mots de Paul Signac40, avec son chapeau et ses car tons à dessins sous le br as (ill. 2). Il est à noter que cette aquar elle por te deux dates, celle du mois d’« août 1850 » et du « 2 septembr e 1860 » : à cette date, J ongkind connaissait J oséphine Fesser depuis quelques mois.

Au Salon de 1850-1851, il est r epr ésenté par une Vue du port de Harfleur. C’est aussi l’année du scandale pr ovoqué par l’exposition d’Un enterrement à Ornans de Cour bet. Avec ses camar ades par isiens, Nar cisse Diaz, Constant Tr oyon, Théodor e Rousseau, J ongkind a l’occasion de par tager ses souvenir s de Nor mandie. Ils ont également fr équenté la fer me Saint-Siméon à Honfleur . Pour cer tains, c’est chez son mar chand Pier r e-Fir min Mar tin, « le pèr e Mar tin » qu'il a fait leur r encontr e. Il tr ouve en Mar tin un ami et un pr otecteur . J ongkind l’appelle « mon bon Mar tin ». Le mar chand de tableaux Adolphe Beugniet commence lui aussi à s’intér esser à sa peintur e. Dur ant l’été 1851, J ongkind visite Le Havr e accompagné d’Isabey et d’autr es

39 Lettr e de Matthijs Mar is à P. F. Thomson, 18 Westbor ne Squar e, Londr es, 29 novembr e 1911, r epr oduit dans

V. Hefting, op. cit., p. 324.

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de ses élèves. Ils se r endent à Mor laix « en vapeur », puis à Br est. Victor ine Hefting r aconte que J ongkind fut mar qué par la joie d’êtr e monté à bor d d’une galiote hollandaise et même invité par le commandant à par tager sa table41. Quant à sa manièr e de peindr e, elle est en évolution. Victor ine Hefting la décr it ainsi : « L’idée, voir e l'impr ession du sujet est plutôt suggér ée ; le tout avec des effets sur pr enants de lumièr e. »42

Au Salon d’avr il 1852, le jur y lui décer ne une médaille de tr oisième classe. La pr oduction de J ongkind tour ne à cette époque autour des « clair s de lune »43, sur les r ecommandations d’Isabey qui l’engage dans cette voie, par un oppor tunisme cer tain. Il en fait par t dans une lettr e du 14 décembr e 185244 :

« […] Il n’y a pas dans ce moment-ci un peintre des clairs de lune à Paris. […] Monsr Isabey est supérieurement bon pour moi et me donne de ses conseilles, surtout pour que je fasse des claire de lune. Je ne crois pas qu’il faut faire seulement des clair de lune ; enfin, c’est orriginalité pour moi, mais je n’oublierai pas le soleil. […] »45

Dans la même lettr e, il r appor te sa r encontr e avec le peintr e Constant Tr oyon (1810-1865). Son r éalisme per sonnel lui fait for te impr ession :

« […] Ce matin, je suis allé voir Troyon. Il fait des beaux tableaux. Je suis allé pour lui rendre une visite. Il fait des tableaux dans lesquelle je voye une inspiration de la nature supérrieure, qu’il veut reproduire fidèle. Vous savez, ses tableaux sont toujours des torraux et des vache dans les prairies o[ù] on aspire la bonne air. […] »46

Victor ine Hefting et Étienne Mor eau-Nélaton, pr incipaux biogr aphes du peintr e, r appor taient l’évocation par J ongkind d’un potentiel voyage à Londr es en l’année 1853, qu’ils estimaient ne pas avoir eu lieu, faute de document attestant sa r éalisation47. Ce voyage a cependant été confir mé par une pr écieuse étude r éalisée par Fr ançois Auffr et, à par tir d’une aquar elle inédite découver te chez un galer iste48. Celle-ci est signée, datée et située « London 9-10 septembr e 53 », dédicacée « à son ami

41 V. Hefting, Id., p. 329. 42 V. Hefting, Ibid. 43 P. Colin, op. cit., p. 23.

44 Nous r espectons systématiquement l’or thogr aphe or iginal des lettr es de J ongkind. 45 Lettr e à Eugène Smits datée du lundi 14 décembr e 1852, r ue Pigalle 60.

46 Ibid.

47 J ongkind annonce en effet une invitation à Londr es : « je suis invité d aller voir Londr e, cette ville géant par un

anglais qui m’a pr omis de me monter tous ce qu’il y a de cur ieuse et en même temps tous ce qu il y de amusant » (Lettr e à Smits du 7 février 1853, Paris, rue Pigalle 60). Cependant, quelques temps après, il craint de ne pouvoir r éaliser ce voyage : « j’ai r eçu une invitation tr ès intime d’un ami d aller à Londre […] je ne crois pas de pouvoir aller . » (Lettre à Smits du 29 juillet 1853, Paris, rue Bréda 21).

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War ing » et légendée « Pont suspendu »49. C'est la seule aquar elle située à Londr es dont nous avons connaissance, et la seule datée de ce millésime, indique Fr ançois Auffr et50.

Ne per cevant plus sa pension r oyale depuis janvier 1853, J ongkind tr aver se une pr emièr e gr ande cr ise. Il est atteint par la dépr ession et la misèr e et per d son fr èr e J acobus. Il r eçoit l’aide dévouée d’amis et de peintr es qui cr oient en lui. Le r éconfor t mor al du peintr e belge Eugène Smits (1826-1912) avec qui il entr etient une for te cor r espondance est déter minant, ainsi que le soutien d’Alfr ed Stevens, d’Eugène Isabey, et sur tout de Sano, considér é par J ongkind lui-même comme son sauveur . En homme besogneux, malgr é les conjonctur es de la vie qui ne jouent pas en sa faveur , il écr it à Smits, le 20 juin : « apr ès mon idée, il faut se mettr e coûte que coûte toujour s à l’ouvr age »51.

b. La fuite au pays natal et son retour à Paris (nov. 1855- avril 1860)

À l’automne 1855, J ongkind envoie tr ois tableaux pour le Salon du mois de mai, deux vues de Par is et un clair de lune. La même année, Cour bet, dont plusieur s tableaux ont été r efusés, or ganise son exposition per sonnelle. J ongkind est exposé dans la section fr ançaise, mais n’obtient aucune distinction, ni médaille ni mention de la par t du jur y. Tr ès affecté, alor s qu’il aur ait pu tr ouver bien des éloges et des encour agements à son égar d dans la pr esse, il quitte Par is, cr iblé de dettes et les cr éancier s à ses tr ousses, abandonnant der r ièr e lui son atelier et ses tr avaux. Il r ejoint Rotter dam au mois de novembr e 1855 apr ès êtr e passé par Br uxelles et avoir séjour né quelques jour s à Amster dam puis à Utr echt. À Rotter dam, il déchante. Il se r etr ouve seul et se sent abandonné. Sa mèr e est décédée peu de temps avant son r etour , le 23 août, et les Hollandais ont mal pr is le fait qu’il ait exposé aux côtés de ses confr èr es fr ançais, allant jusqu’à ne plus le considér er comme l’un des leur s. Cela éveille un tr ouble en lui, les pr émices d’un délir e de per sécution, dont il souffr e ponctuellement jusqu’à la fin de sa vie.

49 Voir l’étude à partir de cette aquarelle dans F. Auffret (dir.), Johan Barthold Jongkind à Londres – Septembre

1853. Étude autour de l’aquarelle signée et datée « London 9-10 septembre 1853 », Par is, Bulletin de la Société des

amis de J ongkind, hor s-sér ie n°2, 2012.

50 Id, p. 25.

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En mar s 1856, Sano et Mar tin mettent tout en œuvr e pour r égler les pr oblèmes financier s de J ongkind. Ils or ganisent notamment la vente des œuvr es qu’il a abandonnées dans son atelier , soit 117 pièces compr enant tableaux, études, aquar elles et dessins52. À Smits il écr it de Rotter dam : « Sano, mon bon Sano m’a sauvé. Depuis mon dépar t, il m’a soutenu avec des conseils et de l’ar gent. »53. Malgr é les difficultés, il tr availle d’ar r ache-pied à Rotter dam d’où il envoie des mar ines pour Par is, inspir ées par les pr omenades r égulièr es qu’il aime effectuer au bor d de l’eau, le long des quais et des canaux. En mai, il séjour ne chez sa sœur et son beau-fr èr e Smeltzer à Klaaswaal. Nostalgique de Par is, il y r etour ne de manièr e inopinée en juillet 1857. À l’occasion d’un dîner chez Eugène Picar d, collectionneur et ami des peintr es, il r encontr e Cour bet et Cor ot pour qui il eut une pr ofonde admir ation, à l’inver se du pr emier dont le combat lui était étr anger mais dont la r encontr e l’a mar qué54.

Suite à une supposée alter cation publique55, il fuit de nouveau Par is pour Rotter dam, où il entame la plus sombr e pér iode de sa vie. Mar qué par la maladie et la misèr e, il ne cesse pour tant jamais de peindr e. Selon Colin, « il a r enoncé à ses notations r apides qui lui per mettaient de gar der la liaison avec la vie, le r enfor çaient chaque jour dans son culte de la lumièr e et de l’atmosphèr e »56, et qui ser ont si impor tantes par la suite. Mar tin devient son inter médiair e et le confident de sa détr esse. Son absence se fait sentir à Par is. J ean Rousseau la déplor e dans un émouvant ar ticle : « J ongkind. – L’une des absences qui laissaient le plus un vide ; car la qualité de M. J ongkind est une des plus r ar es […] ». 57 Achille J ubinal écr it quant à lui : « Nous r egr ettons de ne pas pouvoir suivr e les pr ogr ès si r emar quables de M. J ongkind »58. En 1858, il obtient gr âce à Mar tin une médaille d’ar gent au salon de Dijon, mais la nouvelle n’est publiée dans aucun jour nal. En pr oie à l’alcoolisme, à la folie, à la misèr e et au désespoir , on le pense per du. C’est ce dont témoigne une lettr e saisissante de Monet à Eugène Boudin, datée du 20 févr ier 1860 :

52 V. Hefting, op. cit., p. 336.

53 Lettr e à Smits, datée du 27 avril 1856, de Rotterdam, reproduit dans É. Moreau-Nélaton, op. cit., p. 34. 54 V. Hefting, op. cit., p. 340.

55 Paul Colin évoque une « r ixe en pleine r ue », P. Colin, op. cit., p. 33. 56 P. Colin, Id., p. 35.

57 J ean Rousseau, « Salon de 1857. Les absents » Figaro, 13 septembre 1857. Cet article est reproduit entièrement

ci-dessous, dans la par tie consacr ée à la réception critique de Jongkind par ses contemporains, aux pages 29 et 30.

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« […] Vous savez que le seul bon peintre de marines que nous ayons, Jongkind, est mort pour l’art. Il est complètement fou. Les artistes font une souscription pour pourvoir à ses besoins. Vous avez là une belle place à prendre. »59.

Cette « souscr iption » dont il est question dans la lettr e de Monet cor r espond à une vente aux enchèr es or ganisée par ses confr èr es à son pr ofit, le 7 avr il 1860. Pas moins de 93 ar tistes r épondent à l’appel, dont Isabey, Daubigny, Cor ot, Diaz, Rousseau, Tr oyon60. Le bénéfice étant d’un peu moins de 6 000 fr ancs, Mar tin compense le solde de la dette. Cals est finalement envoyé à Rotter dam pour r amener J ongkind à Par is.

c. Le calme retrouvé: Joséphine, la Normandie et le Nivernais (1860-1874)

Monet avait condamné tr op tôt un peintr e qui allait encor e avoir de longues années devant lui. C’est à une heur euse r encontr e que J ongkind le doit, et il en a conscience. Il écr ir a à Smits en 1879 :

« […] Je vous dirai depuis 19 ans, je demeure en paix rue de Chevreuse 5 par le secours et l’aide de ma parente, et que je suis tenue comme un enfant ; que je [lui] dois la reconnaissance pas seulement [de] m’avoir sauver la vie, mais ensuite de la plus horrible de misère […] »61

En 1860, J oséphine Fesser , peintr e d’or igine néer landaise elle aussi, change en effet le cour s de son existence. Il la r encontr e chez son bon Mar tin62. Elle a un enfant de 10 ans, J ules. Son mar i, Alexandr e Fesser , tr availle à Never s comme cuisinier du bar on Human. À par tir de là, au contact de la famille Fesser , J ongkind jouit d’une sécur ité mor ale et matér ielle qui le met à l’abr i du besoin.

En 1861, gr âce au développement du chemin de fer , il multiplie les escapades aux alentour s de Par is et visite la banlieue. Un tr ain pr is à l’embar cadèr e du Mont-Par nasse l’amène notamment à Vanves (ill. 3), Clamar t (ill. 4 et ill. 5) et Issy (ill. 6)63. Il se r end également du côté de Pantin, où il fait la connaissance du fr èr e d’Alexandr e Fesser . Le 15 juin, il s’installe au 9 r ue de Chevr euse, au coin du boulevar d du Montpar nasse, non loin des quar tier s populair es du faubour g Saint-J acques, où il r éaliser a de nombr eux dessins. Il gar der a toute sa vie un appar tement dans cet immeuble, sur lequel est aujour d’hui apposée une plaque à sa mémoir e. L’année 1861

59 Lettr e datée du 20 févr ier 1860, r epr oduite dans Gustave Cahen, Eugène Boudin, Sa vie et son œuvre, Par is, H.

Flour y, p. 17.

60 Catalogue de la vente r etr anscr it dans É. Mor eau-Nélaton, op. cit., pp. 47-49. 61 Lettr e à Smits, datée du 28 juin 1879, Paris, 5 rue de Chevreuse.

62 Elle était amie avec la sœur de sa femme, r encontr ée à Nevers. 63 V. Hefting, op. cit., p. 346.

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est aussi la date de son pr emier voyage à Never s avec J oséphine : le 10 octobr e, il y enr egistr e un « souvenir » sous for me de dessin aquar ellé (ill. 9)64. Avide de découver tes, il visite le Niver nais, r appor tant de nombr eux cr oquis, notamment de Saint-Par ize-le-Châtel (ill. 7 et 8). À cette époque s’engage une impor tante pr oduction d’aquar elles, qui ser ont dor énavant plus nombr euses que ses tableaux.

En 1862, il adhèr e à la Société des Aquafor tistes, aux côtés de peintr es comme Cor ot, Daubigny, Millet, Whistler , Manet, et fait tir er par Auguste Delâtr e les épr euves de sa sér ie des « Vues de Hollande », album de six eaux-for tes, qui lui valent d’élogieux commentair es de la par t de Baudelair e, dans un ar ticle par u dans Le Boulevard65. Cette même année, lor s d’un voyage en Nor mandie, il fait la r encontr e de Boudin et de Monet alor s âgé de seulement 22 ans. Ils deviennent amis, tr availlent ensemble et par tagent leur s soir ées. Il r appor te dans un de ses car nets une « par tie de dominos » per due contr e Monet chez la mèr e Toutain, à l’auber ge Saint-Siméon, datée du 2 octobr e 1864 (ill. 10). Entr e 1862 et 1865 J ongkind et J oséphine séjour nent r égulièr ement à Honfleur et s’installent au Havr e quelques temps.

Lor s de ses voyages, J ongkind consigne dans ses car nets les dates et heur es de ses dépar ts et ar r ivées, et note les hor air es de chemin de fer pour les villes alentour :

« Arrivé à Honfleur, mardi le 16 août 1864

De Honfleur pour Pont l’Evêque d’Honfleur départ à 11 heures Et de Pont l’Evêque pour Honfleur 4 heures 55 minutes » 66.

Il y r etr ouve notamment le jeune Monet qui l’accompagne dans ses pér égr inations. Ensemble, ils peignent les mêmes vues. À Tr ouville, il r end visite à Boudin. Il note en effet son adr esse dans un album acheté à Honfleur le 28 août 186567. En ce qui concer ne sa manièr e de tr availler , plusieur s lettr es témoignent de l’impor tance qu’il accor de aux études faites sur le vif, qu’il exploite dans un deuxième temps dans le calme de l’atelier , guidé par son extr aor dinair e mémoir e visuelle et par le souvenir qu’elles suscitent alor s en lui :

64 Le titr e sous lequel l’œuvr e est r éfér encée dans la base de données des Ar ts gr aphiques du Musée du Louvr e, à

savoir Vaste paysage avec une ville dans le lointain, en bord de mer, à marée basse, est er r oné : il s’agit de la Loir e avec la ville de Never s au loin, ce que l’on r econnaît à la cathédr ale et au pont, et ce que confir me l’inscr iption « Never s » au bas du dessin.

65 C. Baudelair e, « Peintr es et aquafor tistes », Le Boulevard, 14 septembr e 1862. 66 Musée du Louvr e, inv. RF 10870.

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« Vous comprenez bien qu’il faut aimer la nature pour la regarder toujours avec plaisir, curieuse et intéressante, pour la rendre, même faible, en tableaux. »68

« […] je vous dirai que les pluies et les vents m’ont beaucoup déranger de pouvoir peindre et travailler apres nature. [pour] ensuite profiter avec succès, de mes études apres nature il fallait au mois 2 mois de plus […] »69.

J ongkind par ticipe au Salon des Refusés qui se tient le 1er mai 1863, avec tr ois tableaux, dont Ruines du château de Rosemont (ill. 11), d'un espr it tr ès pr oche de cer tains Cor ot. À cette occasion, le cr itique Ar thur Stevens écr it dans son Salon de

1863 : « […] Les tableaux de M. J ongkind br illent par une allur e de maîtr e et un accent

qui r appellent la façon des eaux-for tes. Il y a une natur e dans cet ar tiste […] ».70 Dur ant la belle saison de l’année 1864, il r éalise de nombr euses pr omenades jusqu’à Pantin, sur les bor ds du canal de l’Our cq, dont il r appor te une sér ie d’aquar elles ayant donné lieu à différ entes huiles (ill. 12). Les années suivantes sont r iches en voyages. En octobr e 1866 par exemple, il se r end successivement à Br uxelles, Anver s, La Haye, Rotter dam et Over schie. Ses notes et cr oquis nous per mettent de suivr e ses destinations et de voir qu’il y r etour ne ponctuellement par la suite. À Br uxelles, ainsi qu’il le note sur un dessin, il visite le musée ducal et la Galer ie r oyale où il a pu admir er Claude Lor r ain71.

En 1868, J ongkind est impr essionné par les tr ansfor mations du vieux Par is. Il s’empr esse de r éaliser des cr oquis aquar ellés des démolitions qui ont lieu, notamment celle de la r ue des Fr ancs-Bour geois (ill. 13), dans un dessin qu’il développer a plus tar d à l’huile. Au Salon, il expose deux tableaux. Un mot de Castagnar y accompagne cet événement. Le cr itique défend le natur alisme qui y a cour s, considér é comme un vecteur de moder nité en tant qu’il est libér ateur :

« Le Salon de 1868 : Le naturalisme (avant 1863) qui accepte toutes les réalités du monde visible et en même temps toutes les manières de comprendre ces réalités est […] le contraire d’une école. Loin de tracer une limite, il supprime les barrières. Il ne violente pas le tempérament des peintres, il l’affranchit. Il n’enchaîne pas la personnalité du peintre, il lui donne des ailes. Il dit à l’artiste : sois libre ! »72

68 G. Cahen, op. cit., p. 44, r epr oduit dans É. Mor eau-Nélaton, op. cit., p. 57.

69 Lettr e à Boudin, 1er octobre 1863, reproduit dans Jongkind, Des Pays-Bas au Dauphiné, éd. Chantal

Spillemaecker (cat. exp., La Côte-Saint-Andr é, Musée Hector -Ber lioz, 21 juin-31 décembr e 2009), Lyon, Libel, 2009, p. 12.

70 A. Stevens, Salon de 1863, suivi d'une étude sur Eugène Delacroix et d'une notice biographique sur Le Prince

Gortschakow, Par is, Libr air ie centr ale, 1866, p. 200.

71 V. Hefting, op. cit., p. 359.

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Son der nier séjour aux Pays-Bas date de 1869. Dans son car net, il consigne son ar r ivée à Rotter dam, le « 7 septembr e à midi »73. En 1870, il r epr end ses visites dans le Niver nais, aux côtés des Fesser . J oséphine, qui est peintr e elle aussi, tr availle avec lui et par ticipe aux Salons74. En 1871, ils fuient Par is assiégé par les tr oupes pr ussiennes. Ils s’installent à Never s, apr ès avoir dû, à peine ar r ivés, quitter Nantes pr écipitamment, J ongkind y étant soupçonné d’espionnage à cause de son allur e physique et de son for t accent hollandais. De peur d’éveiller la méfiance, il ne sor t que tr ès peu et tente de s’occuper . Dans une lettr e, il fait par t de sa situation :

« Je sors très rarement ; je m’occupe à faire quelques souvenirs de dessin à l’aquarelle, mais je me porte pas bien et, n’ayant pas mes amis de Paris, j’ai beaucoup d’ennuye. »75 Pour combattr e cet ennui il r epr oduit dans ses car nets les couver tur es d’ouvr ages qu’il a sous la main, comme le fr ontispice d’un livr e illustr é de 1815, intitulé

La géographie en estampes ou Moeurs et costumes des différents peuples de la terre, qu’il

date du 27 décembr e 1870 (ill. 14), puis d’une image allégor ique, toujour s tir ée du même r ecueil, sous laquelle il est écr it « l’homme par son génie est maîtr e de la ter r e » et où sont mentionnés les noms des explor ateur s Cook et Lapér ouse (ill. 15). À par tir d’un atlas, il r éalise des car tes de Fr ance et de Par is (ill. 16 et 17), se r emémor ant ainsi ses pr omenades et les lieux qu’il a connus, « soit pour les avoir habités ou tr aver sés, soit à cause de la r ésidence d’une connaissance », pr écise Étienne Mor eau-Nélaton76. À cette époque, sa pr oduction se compose essentiellement d’aquar elles et de dessins qu’il r éalise de mémoir e, à par tir de gr avur es, ou depuis sa fenêtr e. Étienne Mor eau-Nélaton note à ce pr opos :

« Parfois il reproduisait la vue qu’on découvrait de chez lui, s’attachant aux moindres détails de la façade et de la toiture des maisons, recommandant deux fois le croquis d’une rue pour l’animer, quand l’occasion s’en présentait, d’un chariot traîné par des bœufs et de la blouse bleue de son conducteur. De ses rares « sorties », il rapportait plusieurs panoramas de la ville dominée par les tours de sa cathédrale »77

Bien qu’il n’ait pas été un gr and lecteur , J ongkind tr ouvait matièr e à nour r ir son imagination dans les r écits de voyage. Selon Étienne Mor eau-Nélaton, il lisait ceux du peintr e de mar ine Gar ner ay, l’Histoire de la marine française d’Eugène Sue, le

73 Musée du Louvr e, inv. RF 10878, 4.

74 Castagnar y écr it à son propos : « elle imite Jongkind à vous méprendre, Jongkind est un véritable artiste, mais

un mauvais exemple à suivr e. » J .-A. Castagnar y, « Salon des Refusés », L’Artiste, journal de la littérature et des

beaux-arts, Par is, 1er août 1863, p. 74.

75 É. Mor eau-Nélaton, op. cit., p. 81. 76 Id., p. 82.

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Robinson Crusoé de Daniel Defoe et Le Robinson suisse de J ohann David Wyss.

Adolphe Poitout mentionne par ailleur s sa lectur e des Voyages du capitaine Cook, r epr is par J ules Ver ne78.

De r etour à Par is le jeudi 4 mai 1871, J ongkind r eçoit la visite d'Edmond de Goncour t (1822-1896) accompagné de Philippe Bur ty. En 1872, Émile Zola (1840-1902) le visite également et écr it un élogieux ar ticle à son pr opos dans La Cloche, publié le 24 janvier. En 1873, il se voit r efusé au Salon et décide de ne plus y exposer . Il se détache de tout besoin de r econnaissance officielle. Dur ant cette pér iode il r éalise quelques excur sions dans le Niver nais. C’est pour lui l’occasion de saisir cette r égion à tr aver s une sér ie d’aquar elles, de nouveau à SaintPar izeleChâtel (ill. 18), et à SaintÉloisur -Loir e (ill. 19).

L’année 1874 mar que un tour nant pour l’histoir e de l’impr essionnisme : du 15 avr il au 15 mai a lieu la pr emièr e exposition du « Gr oupe impr essionniste », à laquelle il ne par ticipe pas, à l’inver se de Boudin et de Monet. J ongkind suit sa voie per sonnelle, et, alor s qu’il s’éloigne des cer cles par isiens, il se r end en 1875, pr ofondément affecté, aux funér ailles de Cor ot. Louis de Four caud et Alber t Wolff se r emémor ent, à sa mor t seize ans plus tar d, la for te impr ession que fit son appar ition lor s de l’événement :

« Je me rappelle la sensation qu’il fit, en 1873 [sic] aux funérailles de Corot, qu’il admirait passionnément. Parmi l’assemblée correcte et digne, il parut quasi hagard, grand, long, habillé comme à l’aventure, coiffé d’un large feutre déformé d’un coup de point, les traits tirés, la barbe d’un blanc où des reflets blonds s’attardaient encore, tout en désordre, nerveux, gesticulant, se parlant à soi-même, à haute voix, l’accent fortement étranger. « Quel est ce fantôme ? », demandaient les jeunes aux vieux. Ce fantôme était un maître. »79

« […] on se le montrait comme une curiosité. Comment ! ce grand homme qui maintenant ressemblait à un Don Quichotte vieilli, c’était le peintre original et puissant, dont la renommée, établie depuis des années parmi les connaisseurs, forçait à présent les collections et s’imposait aux plus rebelles ? »80

d. Les années de retraite en Dauphiné(1875-1891)

L’été 1873 est la date du pr emier séjour de J ongkind dans le Dauphiné. Il ar r ive par la gar e de Châbons, dans la vallée de la Bour br e, où il est attendu pour r ejoindr e le Château de Pupetièr es où Alexandr e et J ules Fesser tr availlent désor mais pour le comte de Vir ieu. À par tir de 1873, jusqu’en 1878, J ongkind passe tous les étés en

78 A. Poitout, Johan Barthold Jongkind vu par un ami de la famille Fesser, Par is, Société des Amis de Jongkind,

1999, p. 85.

79 L. de Four caud, Catalogue de tableaux, esquisses, études et aquarelles par feu J.-B. Jongkind, Par is, Hôtel

Dr ouot, 1891, pp. 5-6.

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compagnie des Fesser . Ils r ésident dans une maison qui fait face au château de Pupetièr es, au hameau de Mallein (ill. 20 et 21). Dans la r égion entour ant la commune de Châbons, J ongkind est connu des paysans81. Il passe ses jour nées à par cour ir les envir ons, muni de son matér iel à dessin, séduit par ce ter r itoir e vallonné.

L’été 1875, la famille affr onte de doulour eux événements. À la mor t d’Alexandr e Fesser en mar s succèdent, quelques jour s plus tar d seulement, les 6 et 10 avr il, les décès des tr ès jeunes enfants de J ules Fesser et Pauline Walestains, son épouse. J ongkind et J oséphine viennent se r ecueillir sur leur tombe au cimetièr e de Blandin dès leur ar r ivée en Isèr e. Peu de temps apr ès, J ongkind per d son der nier fr èr e sur vivant, Willem J acobus Mar inus. De cette tr iste pér iode date pour tant une lar ge pr oduction d’aquar elles, toujour s davantage lumineuses et color ées, qu’il lave sur le vif, au gr é de ses longues et nombr euses pér égr inations dans la vallée de la Bour br e. Les tons chantent, il r éalise sa pr omesse d’autr efois : « J e n’oublier ai pas le soleil »82. À cette époque, depuis Mallein, J ongkind et J oséphine par tent r égulièr ement en excur sions : dans la r égion, à Gr enoble, et en Savoie, à Chambér y et Nyon. Ils se r endent également une fois en Suisse en 1875, à Genève et à Lausanne.

En 1878, J ules Fesser achète une vaste maison à la Côte-Saint-Andr é, la villa Beau-séjour , pour per mettr e à J ongkind de r ester au calme, loin des mondanités et de la ville qui ne sont pas pr ofitables à sa santé. Dans cette maison J ongkind et J oséphine disposent d’un atelier . Les dix der nièr es années de la vie de J ongkind sont pour lui une pér iode r iche d’inspir ation, où il atteint une liber té inégalée. Sa pr oduction se par tage toujour s entr e des commandes de tableaux à l’huile et des aquar elles per sonnelles r éalisées sur le motif, qu’il r etr availle dans son atelier . L’hiver 1880, il est ébloui par la neige sous laquelle les lieux qui lui sont familier s pr ennent un tout nouvel aspect. Il les r edécouvr e et saisit ces atmosphèr es hiver nales à tr aver s une sér ie de cr oquis et d’aquar elles (ill. 22, 23 et 24).

Comme l’évoque Dominique Fabr e, à La Côte-Saint-Andr é, J ongkind et J oséphine aiment à cheminer à tr aver s la plaine de la Bièvr e, par cour ant de nombr eux kilomètr es à pied. Dur ant l’été, ils ont l’habitude d’effectuer de plus longs voyages, pr ofitant de la situation de la maison à pr oximité des facilités de tr anspor t. Ils

81 Selon l’hommage posthume dû à J ean Celle, publiée dans le n°52 daté des mois de juillet-août 1891 de la Petite

gazette dauphinoise intitulée Le Gratin, (n. p.) dans lequel le mot paysan se r etr ouve à tr ois r epr ises.

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empr untent la diligence qui passe au centr e du bour g, que J ongkind r epr ésente par ailleur s plusieur s fois, ou le tr ain, qui s’ar r ête à quelques kilomètr es au lieu-dit le Rival83. La ligne r elie Lyon, Gr enoble à la Méditer r anée. Ils r éalisent ainsi de multiples excur sions dans le Midi, à Mar seille, Avignon, Sor gues, Nîmes, Nar bonne, Bézier s, Sète, La Ciotat, Por t-Vendr es, Toulon. Entr e 1882 et 1888, J ongkind et J oséphine séjour nent r égulièr ement à Gr enoble, d’où J ongkind r appor te de gr andes aquar elles, par mi les plus tr availlées. Leur niveau de finition assur e qu’à ce moment le peintr e les conçoit vér itablement comme des œuvr es à par t entièr e. Toute sa vie, J ongkind a séjour né à la campagne, hor s de Par is, en Nor mandie, en Niver nais et en Dauphiné, mais jamais J ongkind et Madame Fesser n’abandonnèr ent leur adr esse par isienne. Les nombr eux voyages qui ponctuent la vie de J ongkind, en par ticulier en Fr ance, a fait dir e à Signac que ce pays « lui appar tient par dr oit de conquête. »84

En 1882, une r étr ospective consacr ée à J ongkind se tient à la galer ie Détr imont à Par is et r empor te un fr anc succès. Edmond de Goncour t écr it à cette occasion dans son jour nal. J ongkind est désor mais r econnu et appr écié du public : lor s d’une vente en 1883, une de ses toiles atteint 9 000 fr ancs.

Il meur t le 9 févr ier 1891 à l’asile Saint-Rober t suite à de violentes cr ises de par anoïa. Il est enter r é au cimetièr e de La Côte-Saint-Andr é, à cinquante mètr es de la villa Beau-séjour , à côté de J oséphine, qui décède quelques mois plus tar d, le 23 novembr e, et à qui il avait tout légué. J ules devient de fait le seul hér itier de son œuvr e.

2. Un paysagiste inscrit dans la tradition

a. Les aquarellistes anglais et l’esquisse

La technique de l’aquar elle, abondamment employée par J ongkind pour ses paysages, tr ouve sa sour ce dans la tr adition anglaise de l’esthétique du pittor esque et du goût pour le paysage esquissé à l’aquar elle. Le théor icien William Gilpin énonce en 1790 :

« L’art de faire des esquisses est pour le voyageur pittoresque, ce que l’art d’écrire est pour l’homme de lettres. L’un et l’autre leur sont également nécessaires, pour fixer et communiquer leurs idées respectives. […] Une esquisse peut être faite d’après nature ou être le fruit de l’imagination. Ces dernières, lorsqu’elles sont de la main d’un habile

83 D. Fabr e, Jules Fesser photographe, compagnon de route de Johan Barthold Jongkind, La Côte-Saint-Andr é,

Dominique Fabr e, 2019, p. 74.

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