• Aucun résultat trouvé

L'accompagnement parents-enfant en psychomotricité dans un service de maternité : aider à faire co-naissance

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'accompagnement parents-enfant en psychomotricité dans un service de maternité : aider à faire co-naissance"

Copied!
88
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: dumas-01838782

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01838782

Submitted on 13 Jul 2018

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

L’accompagnement parents-enfant en psychomotricité

dans un service de maternité : aider à faire co-naissance

Agnès Riom

To cite this version:

Agnès Riom. L’accompagnement parents-enfant en psychomotricité dans un service de maternité : aider à faire co-naissance. Psychologie. 2018. �dumas-01838782�

(2)

Université de Bordeaux

Collège Sciences de la Santé

Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme d’Etat de Psychomotricien.

L’accompagnement parents-enfant en psychomotricité

dans un service de maternité :

aider à faire co-naissance.

Agnès RIOM

Née le 10 février 1977, à Maisons - Alfort.

Session juin 2018. Sous la direction de : Laurence RENAUD.

(3)

« L’enfant naît de la naissance qu’il provoque en nous. »

Jean-Marie Delassus [34].

A Félix, qui ouvre la voie.

(4)

| 1

Remerciements

Je souhaite exprimer ici toute ma gratitude envers tous ceux qui ont rendu possible ce mémoire, conclusion d’une aventure de quatre années, perspective de nouveaux horizons.

 Brigitte P. et toute l’équipe de la maternité pour m’avoir accueillie chaleureusement et avec bienveillance en m’offrant toute leur confiance ;

 Les familles de la maternité qui ont partagé avec moi ce temps précieux et suspendu qui entoure une naissance ;

 Laurence R. pour sa réactivité, son soutien, ses conseils avisés ;  Hélène R. pour la richesse de son regard clinique ;

 Olivier R. pour m’avoir donné l’opportunité de mettre le doigt dans l’engrenage de la psychomotricité et pour la transmission qu’il m’offre ;

 L’équipe de l’IFP, tant administrative que pédagogique, pour leur accompagnement indéfectible, et surtout dans les moments tumultueux ;

 Ma famille pour l’appui et l’ancrage qu’elle me procure ;

 Mes proches, Fanny, Aline, Dominique, Béatrice, fidèles compagnons de chaque instant, supporters inconditionnels ;

 Les étudiants de ma promotion, et tout particulièrement Valentine et Maxime, pour les échanges riches, stimulants et rafraîchissants.

(5)

Avant-Propos

Gaspard est rencontré par un médecin ostéopathe qui constate un retard de langage : à 3 ans, il ne s’exprime que par des productions sonores nasalisées, en l’absence de vocalisation ou de prosodie. Ce médecin invite les parents de Gaspard à réaliser un bilan psychomoteur car il souhaite avoir un regard plus global sur la situation.

Gaspard est le premier enfant du couple. Des antécédents génétiques du côté maternel nécessitent une amniocentèse1 qui a lieu au 4ème mois de grossesse et dont les résultats s’avèrent de bon pronostic. A 6 mois de grossesse, la devenant-mère a un suivi médical très resserré pour pré-éclampsie2. Gaspard naît au terme de 35 semaines et 3 jours d’aménorrhée après un accouchement déclenché qui est décrit par la mère comme particulièrement long : il a duré 3 jours. Son score d’Apgar3 est de 7 à 1 minute, puis de 9 à 5 minutes. Il pèse 2kg 470g, ce qui le place au 25ème percentile. Son périmètre crânien est de 32,5 cm, ce qui correspond au 50ème percentile. Il présente un ictère4 qui nécessite une journée de photothérapie. Les parents ne signalent pas de séparation avec Gaspard à sa naissance, ni n’évoquent la situation de prématurité5. Les oto-émissions acoustiques, pratiquées pour détecter les troubles de l’audition à la naissance, sont normales.

1

L'amniocentèse est un examen largement employé en obstétrique consistant à prélever du liquide amniotique, afin de procéder à l'analyse des cellules du fœtus. Il permet de repérer et de diagnostiquer des anomalies génétiques et chromosomiques, comme la trisomie 21, en établissant son caryotype, c'est-à-dire la carte des chromosomes contenus dans les cellules. [www.vulgaris-medical.com]

2 La pré-éclampsie est une maladie fréquente de la grossesse, associée à une hypertension artérielle et à

l’apparition de protéines dans les urines. La plupart des patientes accoucheront d'un bébé en bonne santé et se rétabliront rapidement. Toutefois, non traité, ce syndrome entraîne de nombreuses complications qui peuvent conduire, dans 10% des cas, au décès de la mère et/ou de l’enfant. [www.inserm.fr]

3 Le score d’Apgar est une évaluation de la vitalité d’un nouveau-né. Il se base sur l’observation de 5

éléments spécifiques, notés entre 0 et 2 points (Apparence, Pouls, Grimace, Activité, Respiration). Un score en-dessous de 7 réfère à une détresse néonatale.

4 L'ictère du nouveau-né est la coloration jaune de la peau et des muqueuses. L'ictère simple du

nouveau-né, appelé également ictère physiologique, est particulièrement fréquent et survient essentiellement chez les prématurés. Ce type d'ictère est le résultat de deux processus : une immaturité des cellules du foie et un taux bas d'albumine dans le sang des prématurés. Ce type d'ictère apparaît au 2ème jour après la naissance, et disparaît avant le 10ème jour. Le traitement de l'ictère du nouveau-né fait appel à la photothérapie (exposition de l'enfant à la lumière bleue ou blanche, en couveuse). [www.vulgaris-medical.com]

(6)

Vers 2 mois, des gazouillis sont observés sur de courtes périodes. Gaspard produit quelques vocalises vers 4-5 mois qui disparaissent par la suite. Il en est de même pour des syllabes redoublées vers 7-8 mois. Depuis lors, les seules productions sonores sont des sons nasalisés et, de façon rare, les voyelles [a] et [e]. Gaspard n’a que peu porté les objets à sa bouche et commence à le faire actuellement par imitation de son petit frère. Aucun trouble de l’alimentation n’a été observé. Les morceaux ont néanmoins été introduits vers 18 mois, car sa mère craignait le risque d’étouffement. La tenue assise a été acquise à 7 mois ½. Debout à 9 mois, Gaspard acquiert la marche autonome à 13 mois, puis monte et descend les escaliers sans déplacement intermédiaire non érigé (pas de 4 pattes, ni de ramper).

Au 6ème mois de grossesse de son petit frère, une cardiopathie est diagnostiquée à ce dernier. Gaspard a 30 mois au moment de la naissance de son petit frère. La situation médicale du nouveau-né nécessite son hospitalisation et des interventions chirurgicales lourdes. Sa mère reste auprès du nourrisson et évite toute rencontre avec son aîné pendant 3 semaines dans le but de limiter le risque infectieux. De retour à la maison, un suivi en hospitalisation à domicile est mis en place.

Le bilan psychomoteur confirme le retard de langage, qui focalise l’inquiétude des parents à l’approche de l’entrée en maternelle, dans un contexte de développement dysharmonique associé à des difficultés dans le traitement des informations sensorielles tactiles et vestibulaires. Les coordinations globales sont freinées par un manque de représentation de la gravité et des appuis et une construction fragile de l’axe corporel (équilibration avant/arrière du buste, torsion, coordinations haut/bas du corps) et s’organisent sur un mode hypertonique. Les coordinations oculo-manuelles sont préservées. Les qualités relationnelles sont présentes mais fluctuantes. Il ne recherche pas, sur un mode actif, la proximité de sa mère, présente dans la salle, ou de la psychomotricienne, proche de lui, en situation de stress lors d’une chute. Il reste figé. C’est sa mère qui se précipite vers lui, dans un registre d’affolement.

(7)

La vie de Gaspard se colore d’incertitude ou d’inquiétude dès les périodes prénatale (antécédents génétiques, pré-éclampsie) et périnatale (accouchement long, prématurité). La réserve de sa mère face à l’introduction des morceaux dans l’alimentation et son comportement surprotecteur lors des expérimentations motrices de son fils, laissent à penser un état de préoccupation constant vis-à-vis des risques encourus par Gaspard. Puis l’histoire de Gaspard est marquée par une rupture relationnelle avec sa mère à la naissance de son petit frère. Sa naissance et celle de son frère sont deux moments de grande fragilité dans l’histoire de vie de Gaspard. De quelle façon ces éléments, liés à d’autres facteurs - biologiques, sociaux, environnementaux, affectifs - ont-ils influencé son développement psychomoteur ?

Cette situation questionne le lien possible entre la nature du système d’attachement développé par Gaspard et certains troubles observés dans son développement psychomoteur. Effectivement, N. Guédeney [49] insiste sur le fait que le système de l’attachement apporte, par la proximité et la disponibilité de la figure d’attachement, une protection par l’adulte nécessaire à la survie de l’enfant. Mais aussi qu’il joue un rôle majeur dans sa régulation psychophysiologique, notamment lors des situations de stress. Ceci contribue en outre au développement de la mentalisation sur laquelle repose la capacité à identifier son état psychique et émotionnel tout en prenant conscience de celui de l’autre, différent du sien, base des relations sociales. Enfin, en assurant une base de sécurité solide, le système de l’attachement autorise l’enfant à développer ses compétences exploratrices, sans crainte des dangers éventuels, et ainsi à révéler et à affirmer ses ressources propres.

Ce lien entre la perturbation du développement psychomoteur de l’enfant en fonction de la qualité de son attachement a été recherché dans plusieurs études [60, 97, 78, 48]. M.

Speltz [89] montre que les conduites d’attachement insécure observables chez des garçons

de moins de 3 ans sont en lien avec la détection de troubles comportementaux d’installation précoce, sans pour autant être prédictifs du devenir de ces troubles. De même, la méta-analyse de R. Fearon [40] indique qu’il existe un lien entre l’insécurité de l’attachement et la présence de troubles externalisés, tels que l’hyperactivité ou les troubles des conduites. De plus, la nature de l’attachement semble aussi impliquée dans l’évolution des problèmes de comportement des enfants. Toutefois, ces résultats ne sont que des liens de corrélation et non de causalité, ce qui ne permet pas de déterminer les mécanismes en jeu [39].

(8)

Ainsi, on considère actuellement l’attachement comme un système biologique dynamique qui s’enracine dans les relations précoces mais qui peut aussi être remodelé en fonction des contextes et des expériences rencontrés [29]. De la même façon, le caregiving (fonction de prendre soin), qui organise les soins parentaux en réponse aux besoins d’attachement de l’enfant, se construit au cours de l’histoire de l’individu [10]. Il se manifeste dès la petite enfance (s’occuper de petits animaux, de poupées…) et il se développe surtout durant les périodes de transition autour de la parentalité (grossesse, naissance, post-partum), sous l’influence croisée de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux.

Lors de mon expérience en tant que professeur des écoles ou sur mes lieux de stage comme étudiante en psychomotricité, j’ai constaté l’impact majeur de la qualité de relation entre un enfant et ses parents sur la dynamique de son évolution. Au cours de nos entretiens, certains parents ont pu évoquer des difficultés d’ajustement qui remontent à la toute petite enfance. J’ai donc souhaité assister à la façon dont cette relation se tisse au tout début de la rencontre entre un enfant et ses parents, chacun confirmant l’autre dans son statut familial. C’est la raison pour laquelle je me suis intéressée aux modalités possibles d’un accompagnement en psychomotricité pour soutenir l’établissement des liens précoces entre les parents et leur enfant au sein d’une maternité.

(9)

Sommaire

Remerciements ...1

Avant-Propos ...2

Sommaire ...6

Introduction ...7

Chapitre 1 : Les liens précoces parents-enfant : l’histoire d’une rencontre. ...8

I. La rencontre de deux inconnus qui cohabitent depuis 9 mois. ...9

II. Des freins à la rencontre parent-enfant. ...15

III.Créer un environnement propice à la rencontre. ...23

Chapitre 2 : Un accompagnement en psychomotricité dans une maternité. ...27

I. Le séjour en maternité comme une expérience suspendue. ...28

II. Présentation du contexte de mon intervention. ...35

III.Une rencontre fondatrice : Mme P., « la césarienne, ce n’est pas accoucher ! » ...38

IV.Une psychomotricienne dans un service de suites de couches. ...55

Conclusion ...61

Table des matières ...63

Bibliographie ...66

(10)

Introduction

De la rencontre entre une cadre sage-femme et une psychomotricienne, naît l’envie d’introduire la psychomotricité dans un service de maternité. Je suis retenue pour donner une forme à ce projet, co-inventer et mettre en place un dispositif adapté aux pratiques et aux besoins de ce service lors d’un stage expérimental. Il se déroule de septembre 2017 à avril 2018, à raison d’une journée par semaine, sous la supervision d’une psychomotricienne extérieure à l’établissement et sous la responsabilité de la cadre sage-femme du service. Il s’agit d’explorer les modalités possibles d’intervention en psychomotricité au sein d’une maternité et d’envisager la façon dont cet accompagnement peut s’articuler avec celui des autres professionnels.

Cet établissement est engagé dans la démarche « Initiative Hôpital Ami des Bébés » (IHAB) du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Portée par l’ensemble de l’équipe, elle a pour objet de mettre la famille en devenir au centre des préoccupations. Dans le respect des attentes, des choix, des rythmes et des besoins des parents et du nouveau-né, en s’appuyant sur les avancées médicales, il s’agit de soutenir et de renforcer les relations précoces parents-enfant.

Après une période d’observation des pratiques des différents professionnels de santé (sages-femmes, auxiliaires de puériculture, pédiatres et obstétriciens) et de recueil des besoins, il est convenu que mon intervention sera axée sur le soutien à la relation précoce entre les parents et leur enfant [Annexe 1]. Ce mémoire se donne pour objectif de présenter et d’analyser cette expérience.

Après avoir décrit dans une première partie les processus à l’œuvre lors du tissage des liens précoces parents-enfant ainsi que les éléments perturbateurs et facilitateurs de cette élaboration, j’évoquerai la façon dont le séjour en service de maternité peut être, dans ce moment de bascule, un espace de suspension, une parenthèse propice ou pas, à l’établissement des liens précoces parents-enfant. Enfin, je présenterai et j’analyserai la façon dont s’est déroulé un accompagnement en psychomotricité dans ce contexte.

(11)

Chapitre 1 :

(12)

I.

La rencontre de deux inconnus qui cohabitent depuis 9 mois.

I.1. Les liens d’attachement foeto-maternels : l’enfant du dedans.

Avant même sa conception, l’enfant existe déjà de façon virtuelle pour ses parents, au sens étymologique où il n’est encore qu’en état de simple possibilité : il n’est qu’en puissance et pas encore en acte. Il s’oppose en cela non pas au réel mais à l’actuel. Et c’est bien la mise en acte de cette virtualité qui est au cœur du devenir parent [66, 68].

Comme le souligne N. Wiernsberger [99 p175], « toute naissance dans le réel est précédée d’une naissance ‘’dans la tête’’. L’enfant, bien avant de naître, porte déjà la trace du désir de ses parents qui se le représentent tel qu’ils aimeraient qu’il soit. Il est d’abord ‘’l’enfant imaginaire’’, né à la fois des fantasmes les plus anciens d’une femme et d’un homme particuliers et des attentes actuelles de ceux-ci ».

Cet enfant rêvé, qui sous-tend la représentation d’un enfant idéal, a notamment pour mission d’accomplir ce que les parents n’ont pas pu réaliser. Il est ce que S. Freud [43, p234] désigne sous le terme de « His majesty the baby » : les parents « imaginent pour lui les plus belles carrières, les plus beaux exploits. Il accomplira tous les rêves, tous les désirs de ses parents, tout ce qu’ils n’ont pu réaliser sera fait. Rien ne lui résistera. Toutes les difficultés, tous les renoncements, tous les deuils rencontrés par ses parents, l’enfant ne les connaîtra pas : sa vie sera meilleure ».

M. Soulé [88] parle pour la première fois de l’enfant imaginaire pour désigner les

représentations conscientes que la mère a de son enfant. S. Lebovici [58] complète cette notion par celle de l’enfant fantasmatique qui désigne les représentations inconscientes que la mère a de son enfant. C’est le bébé des désirs, des rêves, des fantasmes inconscients. D.

Cupa-Bérard [28] ajoute à cela la notion de bébé mythique. Porteur des aléas biographiques

de ses ascendants immédiats, du roman familial, il véhicule le concept d’intergénérationnel, l’histoire des parents se projetant sur l’enfant à naître. Toutes ces représentations sont nourries par les représentations sociétales, culturelles, collectives qui fondent, entre autres choses, l’accompagnement en périnatalité [59].

(13)

Par les modifications corporelles et physiologiques liées à la grossesse, par les mouvements perceptibles du fœtus, par ses interactions avec son environnement, le bébé est convoqué dans sa réalité au sein des représentations parentales, qui intègrent alors le fruit de l’interprétation de ces signes perçus. G. Bruwier [19] précise que lors de la gestation, le corps sensible de la femme est présent en tant que « corps-réalité ». Celui-ci est double, englobant le corps de la devenant-mère et celui du fœtus. Ils sont tous deux largement investigués par les professionnels, ce qui les amène dans le champ du réel. Mais il y a aussi le « corps vécu », invisible, ressenti, perçu, traversé d’émotions, nourri des représentations de la féminité et s’étayant sur l’image inconsciente du corps. C’est avec ce dernier qu’une femme vit sa grossesse [84]. Ainsi, plus la femme enceinte sent et ressent l’enfant qu’elle porte, plus son récit le concernant est riche.

Ce que S. Missonnier nomme l’enfant du dedans [66] se situe alors au carrefour entre le bébé virtuel prénatal et le bébé actualisé postnatal. Dans cette rencontre tant sensorielle, relationnelle que représentationnelle, les parents prennent le risque de pré-investir l’enfant à naître, en adoptant psychiquement ce bébé imaginé. C’est ce qui constitue la

représentation anticipatrice, qui a un rôle protecteur fort au regard des incertitudes

inhérentes à la grossesse et dont l’histoire, le dynamisme, la maturité adaptative de l’anticipation seront mis à l’épreuve lors de la confrontation avec le bébé actuel au moment de la naissance [92].

S. Missonnier considère la période périnatale « comme une double métamorphose

progressive et interactive : celle du devenir parent et du devenir humain. On ne naît pas parent à la naissance du bébé, on le devient (processus de parentalité anténatal). Le fœtus ne naît pas humain, il le devient durant la grossesse (premières étapes de l’ontogenèse). » [67, p 61]. C’est dans cette perspective qu’il présente la relation d’objet virtuel comme « la constitution du lien réciproque biopsychique qui s’établit en prénatal entre les (re)devenants parents opérant une ‘’nidification1’’ biopsychique et le fœtus qui s’inscrit dans un processus de ‘’nidation2’’ biopsychique » [67, p73].

1 Du latin nidificare « construire son nid », « nicher ». 2

(14)

L’acte de conception, dans ce double mouvement, biologique et psychique, installe donc l’enfant virtuel dans le giron d’une femme [23]. Le giron est défini comme une localisation corporelle en tant que « partie du corps qui s'étend de la ceinture au genou, quand on est assis » (Larousse) mais aussi comme un « milieu où l’on se sent en sécurité » (Larousse). La nidification parentale et la nidation fœtale, phénomènes tant physiologiques que psychiques, sont à l’œuvre : l’élaboration psychique d’une part et le vécu corporel de la grossesse et des mouvements fœtaux d’autre part se font écho, s’étayent l’un sur l’autre, se nourrissent mutuellement. A titre d’illustration, les réactions comportementales fœtales diffèrent d’un enfant à l’autre dès la 26ème semaine d’aménorrhée [17]. La singularité du style moteur fœtal alimente ainsi les interprétations parentales. De plus, le style tonico-émotionnel de la mère a une influence directe sur le fœtus et son comportement [61], ce qui permet d’envisager une adaptation materno-fœtale réciproque [9].

Le travail pendant la grossesse consiste donc à reconnaître cet étranger à demeure [14], à lui faire une place et à l’adopter, pour le porter dans son corps et dans sa tête. Des liens se tissent sur un mode interactif. Cet enfant à naître est attendu et déjà investi. « L’état de grossesse oblige à effectuer un travail psychique complexe afin de reconnaître psychiquement cet inconnu qui vient habiter l’intériorité corporelle et psychique de la mère, à la fois objet du dehors et du dedans entraînant un bouleversement pulsionnel et identificatoire » [76, p55].

I.2. De l’enfant imaginé à l’enfant réel : le deuil de l’enfant rêvé.

L’acte de mise au monde provoque une rupture physique entre deux états pour le bébé et pour la mère. Pour le bébé d’abord qui se trouve extrait d’un monde stable, continu, feutré et englobant pour être projeté dans un flot de sensations internes et externes inconnues, fluctuantes, discontinues. Pour la mère ensuite, qui après avoir bousculé ses limites corporelles afin d’y loger deux habitants lors de la grossesse, doit se déposséder de façon active d’une partie d’elle-même et rencontrer dans la réalité ce qui était alors invisible et ressenti. Au corps plein d’un enfant, succède un creux maintenant vide, comme le décrit

A. Bouchart-Godard [13, p241] : « Il y a en elle, cependant, un creux d’enfant qui ne saurait

être exactement comblé par l’enfant qu’elle va désormais investir activement de son corps externe. (…) Le creux d’ ‘’être enceinte’’ subsiste dans la femme devenue mère. » Ainsi selon

(15)

S. Freud [43], en parlant des mères, « dans l’enfant qu’elles mettent au monde, c’est une

partie de leur propre corps qui se présente à elles comme un objet étranger, auquel elles peuvent maintenant, en partant du narcissisme, vouer le plein amour d’objet ».

A la discontinuité physique s’oppose la continuité psychique des représentations parentales. Pour H. Riazuelo [86], le rêve constitue presque toujours la première représentation de l’enfant imaginaire. C’est aussi par la capacité de rêverie décrite par W.

Bion [12] que s’amorce, dès la grossesse, la limite entre soi et l’enfant à naître dans les

psychés parentales. Elle se poursuit après la naissance et permet la mise en place des fonctions psychisantes pour l’enfant. S. Stoleru [92] montre comment les scénarios

maternels développés pendant la grossesse viennent ainsi influencer voire organiser les

interactions précoces entre la mère et son nourrisson. De plus, l’anticipation évoquée précédemment par S. Missonnier se poursuit après la naissance et se confronte à l’enfant réel. Elle devient alors une illusion anticipatrice qui naît de l’écart entre les fantasmes initiaux et ce qui est perçu du bébé. Elle doit pouvoir se réaménager ainsi que le précise

R. Diatkine [36, p41] : « l’illusion anticipatrice est autant une connaissance qu’une

méconnaissance. Elle est soumise à de nombreuses fluctuations et si elle ne se transforme pas en fonction des expériences successives, elle peut perdre toute valeur organisatrice et devenir mutilante ».

Cette mise au monde est reliée à une expérience corporelle extrême pour la mère. Elle est une actualisation de l’enfant imaginé qui s’incarne brusquement dans un enfant réel à la fois familier et étranger. Pour rencontrer cet enfant réel, les parents vont devoir renoncer à l’enfant rêvé.

I.3. La parentalité : une construction.

La conception, la grossesse et la mise au monde d’un enfant sont le moment d’intenses remaniements psychiques et notamment identitaires.

P.-C. Racamier étudie les psychoses puerpérales et s’intéresse à l’économie psychique

de la femme enceinte qui présente des troubles psychiques mais aussi en dehors de toute pathologie. En 1961, il définit la maternalité [80] comme l’ensemble des processus psychoaffectifs qui se développent et s’intègrent chez la femme lors de sa maternité et qu’il

(16)

qualifie de phénomène normal. Il s’agit d’une crise qui commence avec le désir d’enfant, se poursuit le long de la grossesse puis à la naissance jusqu’à la séparation psychique entre la mère et son enfant. Elle naît de l’obligation d’intégrer la représentation qu’elle se fait du fœtus au sein de sa propre image corporelle. Un état d’anxiété majeur, paraissant d’intensité presque pathologique, et décrit par T. Brazelton [16] pendant la grossesse, semblerait déclencher un signal d’alarme permettant d’activer le réaménagement psychique nécessaire pour accéder à l’état de mère.

Cette notion a ensuite été étendue aux deux parents sous le terme de parentalité. Il s’agit d’un double mouvement de reconnaissance : celui de l’enfant par le parent (être parent de) mais aussi celui du parent par l’enfant (être l’enfant de). S. Stoleru [93] définit la

parentalité comme « l’ensemble des représentations, des affects et des comportements du

sujet en relation avec son ou ses enfants, que ceux-ci soient nés, en cours de gestation ou non encore conçus ». D. Houzel [52, 53] présente la parentalité selon 3 axes : l’exercice (qui est la reconnaissance d’une filiation fondée sur le droit), l’expérience (« l’expérience subjective consciente et inconsciente du fait de devenir parent et de remplir des rôles parentaux ») et la pratique (qui relève des soins parentaux tant physiques que psychiques). Cette parentalité se construirait selon l’auteur en suivant un processus de parentalisation qui concerne la relation à l’enfant et les nouvelles places de père et de mère. Il s’inscrit dans l’histoire du sujet, dans un mandat transgénérationnel qui relie filiation et parentalité.

S. Lebovici [59] propose la métaphore de l’arbre de vie : « Avoir un enfant ne signifie

pas qu’on en est le parent : le chemin qui mène à la parentalité suppose qu’on ait ‘’co-construit’’ avec son enfant et les grands-parents de ce dernier un ‘’arbre de vie’’ qui témoigne de la transmission intergénérationnelle et de l’existence d’un double processus de parentalisation-filiation grâce auquel les parents peuvent devenir père et mère ».

Ainsi, en portant et donnant vie à son enfant, une devenant-mère se projette dans son enfant, en tant que petite fille recevant les soins de sa mère et convoque la trace qu’elle a de son attachement à sa propre mère, reconnaissant ainsi sa propre mère en elle. « En enfantant, une femme rencontre et touche sa propre mère, elle la devient et la prolonge en se différenciant d’elle ». Selon M. Bydlowski, par l’enfantement, elle règle, à l’égard de sa propre mère idéalisée, la dette de vie qui lui incombait [20].

(17)

Cette crise maturative implique une fragilité accrue de la femme enceinte qui a alors besoin, selon D. Winnicott, d’une « couverture protectrice » [101], assurée par son entourage, pour s’autoriser à rêver son enfant à naître.

Du côté du devenant-père, la paternité convoque aussi la filiation. Ne ressentant pas directement dans son corps la présence de l’enfant à naître, un travail d’appropriation se met en place en développant des interactions par les contacts à travers le ventre maternel ou par la voix. L’échographie offre aussi une fenêtre sur l’enfant à naître. Dans ce travail d’adoption, il s’agit pour le devenant-père de changer de génération de façon flagrante et définitive et de propulser son père vers le statut de grand-père, le rendant ainsi mortel, ce qui peut réactiver des conflits antérieurs selon G. Delaisi de Parseval [33]. On peut évoquer à ce sujet la notion de préoccupation paternelle primaire [15] qui lui permet, grâce à une souplesse psychique qui intervient dès la période anténatale, de s’adapter aux besoins de son enfant.

Tous ces processus sont à l’œuvre dès la conception et se trouvent brusquement reconvoqués en présence non plus de l’enfant rêvé mais de l’enfant réel tel qu’il se présente dans sa complexité et sa singularité. Ainsi, le devenir-parent est une co-construction. Elle implique de profonds remaniements qui sont source de vulnérabilité pour les devenant-parents. Elle se fait sur la base de l’histoire de vie du sujet, dans la rencontre avec son enfant imaginé puis réel, avec le concours de l’entourage, selon le mandat intergénérationnel transmis.

(18)

II. Des freins à la rencontre parent-enfant.

II.1. Une maternité psychique ignorée par la société.

J.-M. Delassus [35, p387] dénonce le fait, à partir du récit de situations rencontrées,

que la maternité (psychique) n’a pas d’identité reconnue. Si dans le monde médical « on n‘a cessé de se soucier de la grossesse, de l’accouchement, de l’accouchée, du bébé, il semble que jamais on n’imagine que la maternité puisse - en même temps qu’elle est physique - être aussi d’une autre nature. On ne pense pas une seconde que tout ce qui se passe concrètement, les événements ou les maladies, modifie, touche, altère, menace, étrangle une maternité qui se situe dans l’esprit et dans le cœur. En un mot, on ne se soucie pas de la maternité au sens psychique du terme. Celle-ci n’a aucune identité reconnue. Plus exactement, la maternité psychique, c’est-à-dire la maternité humaine, n’existe que sous une fausse identité, celle de la maternité biologique, à quoi on a ajouté ici une contre-identité, celle de la folie ». En effet, il rapporte que la maternité se résume à une part somatique, troublée par des comportements naturels d’ordre affectif et moral. Toutefois, la part de processus psychique dynamique n’est pas prise en compte. Si des difficultés d’ordre psychique interviennent, elles sont alors mises au ban des anomalies mentales, prises en charge comme des troubles psychiatriques.

La construction d’une maternité singulière, atypique, non conventionnelle peut aussi être interprétée comme un « délit maternel » [35, p388]. Je prends ainsi l’exemple d’une situation rapportée par une auxiliaire de puériculture. Au matin, une professionnelle trouve une mère endormie dans son lit et le bébé enfermé dans la salle de bain, couché dans son berceau. L’équipe est immédiatement alertée. L’auxiliaire de puériculture va à la rencontre de la mère et apprend que les bruits de l’enfant empêchent la mère de dormir. Elle se dit extrêmement fatiguée et avoir besoin de repos pour retrouver sa disponibilité. Avant la préoccupation de la professionnelle de mettre du sens sur cet acte, la mise à distance de son enfant par la mère a immédiatement été jugée comme contrevenant aux représentations coutumières de la maternité. Pourtant, dans cette situation précise, il s’agissait d’un acte ajusté, puisque l’enfant était suffisamment proche pour être entendu si besoin et que la priorité était que la mère reconstitue ses ressources. Dans cette perspective, que peut-il en être de la compréhension de pratiques culturelles extraites de leur contexte d’origine et différentes des pratiques occidentales ?

(19)

L’auteur insiste sur le fait que les services sociaux peuvent alors contribuer à une mise en accusation des mères et les mettre en péril. Dans ces circonstances, la psychiatrie serait parfois l’auxiliaire de l’éviction sociale. Pour J.-M. Delassus, les solutions souvent mises en œuvre ne permettent pas de soutenir et d’étayer une maternité fragile et fragilisée, bien au contraire :

 elles ne repèrent que les causes et les incidences socio-économiques ;

 elles se centrent sur le seul enfant et notamment sa santé, alors « qu’une mère présentant une difficulté maternelle met son enfant dans une situation de souffrance plus ou moins importante. (…) Le bébé devient alors le symptôme des problèmes maternels » [35, p396] ;

 elles reposent sur l’implicite de l’infection possible de l’enfant par sa mère ‘’contaminée’’ ce qui a pour effet la séparation de la mère et de l’enfant. Or ce raisonnement et cette mise en quarantaine ne sont valables que si la mère n’est pas susceptible d’être sujet de soins, ce qui n’est pas le cas ;

 elles ont pour conséquence la banalisation des difficultés maternelles qui dissimule la complexité de la maternité psychique ;

 elles imposent un impératif moral maternel qui relève d’une maternité ‘’parfaite’’ bien plus exigeante que ce que ne préconisait D. Winnicott [101] qui souhaitait seulement une mère suffisamment bonne. « En tout cas, cette maternité parfaite requise est non seulement un devoir d’état, mais elle passe pour un effet normal, automatique, de dispositions qui doivent se trouver dans la mère et qu’elle doit démontrer sous peine de paraître ‘’dénaturée’’. (…) Là où on devrait observer une grande variété clinique, on réclame une uniformité légale » [35, p401]. Pire, exprimer leurs difficultés serait, pour les mères, manquer à cet impératif moral, risquer le jugement social. Cela engendrerait chez les devenant-mères une honte, une crainte pour son identité et cela les enfermerait dans le silence.

(20)

II.2. Un sentiment de discontinuité.

Il existe une discontinuité « écologique » intrinsèque à l’accouchement de la devenant-mère et à la naissance de l’enfant qui amène pour chacun d’eux une rupture entre deux états, marque d’un avant et un après. M. Gauberti [46, p5] précise que « la naissance impose la rupture d’un espace de vie unique, le corps maternel, en deux espaces définitivement disjoints, tant physiquement que symboliquement, puisque séparés par la coupure du cordon ombilical, elle-même ponctuée par le don du prénom et l’inscription dans la différence des sexes ».

Tout au long de la grossesse, la devenant-mère a intégré et incorporé son enfant dans son image corporelle. Elle l’a rencontré dans son intériorité par l’intéroception, et notamment par le tact, sens réciproque permettant aux deux protagonistes à la fois de toucher et d’être touché, d’être simultanément objet et sujet de la rencontre. Pour le devenant-père, la femme constitue pendant la grossesse le relais nécessaire qui autorise une rencontre médiatisée, donc indirecte avec l’enfant à naître.

La désintrication de l’entité fœto-maternelle implique pour la devenant-mère une nouvelle rencontre selon des modalités cette fois extéroceptives. Cette confrontation corporelle avec son enfant est donc nouvelle avec une sensorialité toute différente, une perception et une représentation toute différentes. Cela peut amener à un sentiment d’étrange familiarité, en référence à l’ ’’Unheimlich’’ de S. Freud [45]. Le devenant-père, qui rencontre l’enfant de façon maintenant directe et non médiatisée, peut aussi faire face à ce sentiment. Se confronter et dépasser ce sentiment demande des capacités d’adaptation et d’acceptation de cet enfant réel, différent et séparé de la devenant-mère.

A cela s’ajoute pour la devenant-mère, outre la fatigue liée à l’épreuve de l’accouchement et au bouleversement physiologique qui s’en suit, une sensation corporelle

de vide. M. Canon-Yannotti [24, p62] explique que « si le passage du corps féminin au corps

maternel a été progressif pendant la gestation, l‘accouchement a réalisé brutalement un vide dans le corps qui reste encore maternel. En effet, dans la pensée de la jeune mère, l’idée du corps féminin n’est pas encore reconstituée. Le vide du corps maternel ainsi perçu peut mobiliser de l’angoisse ».

(21)

Le nourrisson quant à lui, est plongé dans un monde sensoriel et perceptif complètement nouveau. Le corps maternel, si familier de l’intérieur, se présente différemment à l’extérieur. La contenance, la chaleur de la paroi utérine, l’enveloppe sonore continue produite par les organes internes maternels se transforment pour lui en des stimulations sensorielles vives, discontinues, chaotiques et imprévisibles. La présence maternelle se manifeste alors par un visage, des bras, des mains, des seins qui ne ressemblent pas au corps-mère vécu de l’intérieur. L’odeur (les glandes péri-aréolaires produisent la même odeur que le liquide amniotique), le goût (le lait, comme le liquide amniotique, ont des saveurs qui varient en fonction de l’alimentation maternelle) restent des éléments favorisant une re-connaissance du corps-mère.

M. Gauberti [46, p6] insiste sur le fait que « le nouveau-né est d’emblée dans ce

besoin vital d’être enveloppé, contenu, maintenu, pour que soit supportable cette angoissante perte de limite, de résistance aux mouvements, de pression contre la peau. (…) Cette relation de corps à corps, sans médiation autre que la sensorialité, la tonicité, est autant indispensable au nourrisson pour qu’il vive qu’à la mère pour qu’elle investisse sa fonction maternelle ». C’est ainsi la possibilité pour la devenant-mère d’assimiler le vide du corps maternel par le biais de l’investissement de la fonction maternelle grâce au rapprochement corporel avec son enfant.

II.3. Le changement de statut de la femme devenant mère.

L’enfantement acte un changement radical de l’identité de la femme qui le vit. Cela peut être décrit notamment au travers de son changement de statut.

II.3.1. Le statut social.

Tout au long de sa grossesse, la devenant-mère a acquis un statut de personne vulnérable à protéger, qui est visible dans notre société : places assises réservées dans les transports en commun, files d’attente prioritaires, parcours médical de surveillance et d’accompagnement de la grossesse. Puis la présence de son enfant néotène, dépendant, dont la survie semble reposer exclusivement sur elle, est une injonction à le protéger. De cette vulnérabilité induite lors de la grossesse, la devenant-mère doit trouver la force et les ressources nécessaires pour être responsable de la vie de son enfant. Des sentiments

(22)

d’incompétence peuvent alors faire surface, dans un contexte où l’attention médicale et sociétale est désormais dirigée non plus sur elle, mais sur le nouveau-né.

II.3.2. Le statut familial.

La naissance d’un enfant est le moment pour la femme d’un changement générationnel. Elle passe du statut de fille de sa mère à celui de mère de son enfant. Elle propulse ainsi dans le même mouvement sa propre mère vers le statut de grand-mère, la rapprochant, et se rapprochant elle-même, d’une certaine mortalité.

II.3.3. Le statut individuel.

Les bouleversements physiologiques et corporels de la grossesse ont amené la femme à découvrir et apprivoiser un corps maternel enceint. Cette appropriation d’une image corporelle modifiée et les remaniements psychiques liés à la maternité se sont déroulés pour une femme dans le cadre d’une relation de couple. La naissance de l’enfant confère au couple, de façon immédiate, arbitraire et inconditionnelle, son statut de parent qui est formalisé et mis en acte par les formalités administratives liées à l’état civil. Cela méconnaît le processus psychique dynamique en cours d’élaboration pour les devenant-parents. De plus, chacun découvre l’autre sous un jour nouveau à l’aune du parent idéal qu’il a intériorisé. Il y a donc un double changement de statut qui entre en résonnance : sa propre élaboration en tant que parent et le dévoilement de l’autre dans son nouveau statut en lien avec ses attentes et ses représentations idéalisées. Le couple amoureux devient un couple parental.

II.4. Le deuil d’un accouchement idéalisé.

Lors des préparations prénatales, les devenant-parents sont invités à formuler un projet de naissance. Cela consiste à essayer d’imaginer quelles seraient les conditions optimales de la naissance. Cela a pour fonction de favoriser l’anticipation pour les devenant-parents et, en leur conférant une position d’acteurs et de décisionnaires tant que les conditions d’un accouchement physiologique sont réunies, d’aider le personnel médical à respecter les préférences parentales. Toutefois, la réalité ne correspond pas toujours aux souhaits initiaux. En effet, elle trouve sur son chemin « différents personnages mis en scène

(23)

La mère idéale accompagne la femme qui accouche. C’est elle qui maîtrise, qui sait, elle est parfaite et idéale. Mais c’est sans compter un contexte d’accouchement difficile, un déroulement différent de ce qui était prévu et qui menace de faire écrouler cette image intériorisée qui laisse la devenant-mère face à une réalité vécue généralement douloureusement car non acceptée.

L’homme a soutenu et rassuré sa conjointe pendant la grossesse. Au moment de l’accouchement, il se doit donc de poursuivre cet accompagnement, mais il se double aussi de la figure du père idéal. Ce dernier doit non seulement être présent pour sa compagne mais aussi « ouvrir son enfant à la Vie, vers le monde des Hommes » [94, p90]. On peut se poser la question, et d’autant plus dans les situations d’urgence, de la place faite au père idéal.

Enfin, on ne peut oublier de la scène de l’accouchement, le bébé à naître qui a la forme du bébé idéal dans les représentations parentales. Nous l’avons déjà évoqué, il est sensé tout réparer et tout combler. C’est lui qui va rendre parfaits ses parents. Pourtant c’est bien le bébé réel qui va être présenté au monde des humains. Et si l’on peut évoquer l’accouchement de la femme, il est bien nécessaire d’évoquer la naissance de l’enfant ! « La naissance de cet enfant peut, dans la réalité, ne pas être tout à fait en rapport avec nos désirs de femmes ou de pères. En effet, il est important de réaliser qu’un enfant n’a souvent qu’une seule possibilité pour venir au monde, celle qui est en lien avec Sa réalité à lui. Une réalité qui prend en compte certains impondérables, comme le poids, la présentation et le rythme cardiaque en lien avec une dynamique de contractions utérines » [94, p90].

Pour ces auteurs, il est nécessaire de distinguer accouchement et naissance. Il est légitime de reconnaître que l’accouchement n’a peut-être pas été conforme aux attentes, ni aux représentations idéalisées. Par contre, il est important d’accepter la naissance de son enfant telle qu’elle a eu lieu dans la réalité et ainsi de reconnaître son vécu comme cela a été possible pour lui sans que cela ne discrédite, ni ne disqualifie aucun des participants.

(24)

II.5. Le traumatisme psychique de la mise au monde.

Les psychanalystes éludent majoritairement la question du traumatisme psychique de la naissance pour le fœtus, ce que S. Missonnier [69] qualifie de scotome1. Pour ceux qui s’y intéressent, cela est sujet à polémique : O. Rank [82] défend l’idée d’une naissance systématiquement traumatique tandis que S. Freud [44] conçoit la naissance « comme prototype seulement physiologique de l’angoisse sans aucune traduction psychique ultérieure, le fœtus au moment de la naissance étant purement narcissique, et la mère, pas encore un objet » [69, p53]. S. Missonnier propose une lecture de D. Winnicott qui suggère un continuum entre les deux polarités traumatiques et non traumatiques dont la variable distinctive se fait selon la continuité d’existence du soi.

Malgré les avancées médicales et en termes de prise en charge de la douleur, l’accouchement reste une expérience douloureuse et parfois traumatisante avec un risque vital engagé ou perçu pour la mère et/ou pour l’enfant à naître.

Depuis les années 1990, de nombreuses études [6, 30, 47, 56, 75, 79] décrivent et analysent une forme de stress post-traumatique chez des femmes ayant accouché. Cette affection psychiatrique est initialement observée chez des personnes ayant été exposées à un événement traumatisant (mort, menace de mort, délit sexuel ou menace de délit sexuel) en étant victime, témoin, proche d’une victime ou soumis à une exposition répétée aux détails aversifs. Cela se manifeste, dans un contexte de détresse, par des symptômes envahissants (ex : rêves ou souvenirs répétitifs), des comportements d’évitement, une altération négative des cognitions et de l’humeur, une altération persistante d’activation neurovégétative (hypervigilance, perturbation du sommeil,…) [3, pp350-352].

Les facteurs de risque identifiés dans le cas d’un accouchement de développer une forme de stress post-traumatique sont les suivants [94] :

 antécédents d’anxiété et de dépression,

 manœuvre obstétricale lors de l’accouchement (forceps, césarienne, interruption médicale de grossesse),

 mauvais contact entre la femme et l’équipe de salle de naissance,

1

(25)

 sensation de perte de contrôle pendant l’accouchement,  absence de soutien par un proche.

De plus, B. Pierrehumbert [77, p141] a aussi montré dans une étude comportant une centaine de familles que « si la prématurité sévère peut avoir des conséquences sur la qualité de la relation ainsi que sur l’adéquation de l’enfant aux rythmes biosociaux (problèmes de sommeil, problèmes alimentaires), ces conséquences ne se concrétiseraient pratiquement que dans le cas où le parent montre une forte répercussion psychologique de l’événement constitué par la naissance à risque (symptômes de stress post-traumatique menant à un désengagement émotionnel ou à une sur-implication préoccupée dans les soins à l’enfant) ».

Il semble donc que les symptômes du syndrome de stress post-traumatique peuvent entraver les remaniements psychiques nécessaires au processus de maternité et à la rencontre avec l’enfant réel.

II.6. La nature du système d’attachement des parents.

S. Tereno et N. Gédeney [95] rapportent qu’au sein d’une population, la transmission

du système d’attachement de la personne donnant les soins vers l’enfant permet dans plus de 60% des cas d’assurer la sécurité de l’attachement de celui-ci. La transmission intergénérationnelle du système d’attachement repose notamment sur la sensibilité maternelle telle que définie par M. Ainsworth [1, 2], les capacités de mentalisation parentale (et notamment la capacité du parent à prendre le point de vue de l’enfant et à le considérer en tant que personne différente de lui-même) et la qualité de la relation conjugale. Des facteurs parentaux (état psychologique maternel, événements de vie négatifs,..) ou liés au bébé (consolabilité, ajustement postural, comportement de regard,…) peuvent entraver la qualité des soins donnés et amener une discontinuité de transmission. A l’inverse, la transmission intergénérationnelle de l’insécurité peut être bloquée, et ce d’autant plus si la mère peut entrer dans une relation de couple stable.

« On peut ainsi garder le message important pour les thérapeutes et psychiatres d’enfants selon lequel s’adresser aux questions et aux pertes non résolues entre les parents peut accroître la force de nos interventions » [95, p68].

(26)

III. Créer un environnement propice à la rencontre.

III.1. Au moment de la naissance.

M. Odent [74] s’appuie sur des expériences scientifiques sur les mammifères pendant

la phase de travail [70], sur son observation personnelle à la maternité de Pithiviers en tant que chirurgien et obstétricien, notamment avec l’introduction du monitoring fœtal1, et sur l’analyse de pratiques dans différentes sociétés humaines. Il rapporte que l’acte d’accoucher relève d’un fonctionnement cérébral primitif qui repose sur des structures profondes et non corticales et qui est à l’origine de la sécrétion hormonale nécessaire au déroulement de l’accouchement. Il rapproche cet acte de l’acte sexuel et il défend l’idée d’un besoin d’intimité pour ne pas perturber les processus physiologiques : pénombre, absence d’observateurs, lieu exigu et familier. Il précise que « le besoin d’intimité ne s’arrête pas avec la naissance. L’environnement qui ne perturbe pas l’accouchement est aussi celui qui ne perturbe pas le premier contact entre mère et bébé. (…). C’est l’instant du premier peau à peau et aussi du premier croisement des regards. (…). La rencontre des regards semble être un moment privilégié de la relation mère-bébé. Mais il y a toujours quelqu’un pour la perturber, tantôt de façon grossière, tantôt de façon subtile. C’est la phase de l’accouchement où il est le plus difficile de protéger l’atmosphère de l’accouchement » [74, p53].

M. Odent défend l’idée [72] qu’il faut « mammalieniser » la naissance, au sens où il

faudrait retrouver l’origine mammifère de son processus physiologique. L’ « humanisation » de la naissance, en lien avec l’activation corticale, engendre selon lui une recrudescence d’accouchements par césarienne, acte obstétrical très défavorable à l’activation de la cascade hormonale. Il insiste sur les rôles inhibiteurs du néocortex et du conditionnement culturel sur ces processus hormonaux sous-corticaux [73]. Il met notamment l’accent sur l’importance de l’ocytocine, hormone libérée en grande quantité lors du réflexe d’éjection du fœtus, qui favorise le réflexe d’éjection du placenta et l’excrétion du lait et qui est impliquée dans les comportements d’attachement maternel.

1

Le monitoring fœtal est un examen consistant à enregistrer l'activité électrique du cœur du fœtus, afin d'obtenir des renseignements sur son fonctionnement. Durant la grossesse, il a pour but de dépister une éventuelle souffrance fœtale qui se traduit par des altérations du tracé électrocardiographique (un ralentissement, une accélération, des troubles du rythme etc..). [www.vulgaris-medical.com]

(27)

III.2. En suites de couches.

III.2.1. Respecter l’intimité et la proximité entre les parents et leur enfant.

M. Odent [74] insiste sur le fait que le besoin d’intimité ne s’arrête pas à

l’accouchement mais se poursuit après la naissance.

A ce titre, la Haute Autorité de Santé (HAS) préconise [51] « de différer au moins après la première heure suivant la naissance, les soins postnataux de routine tels que la pesée, les mesures, la prise de température du nourrisson. Si les paramètres observés sont satisfaisants (respiration présente, cri franc et tonicité normale), il est recommandé de proposer à la mère de placer aussitôt le nouveau-né en peau à peau avec sa mère si elle souhaite, avec un protocole de surveillance, de le sécher de lui mettre un bonnet et de le couvrir avec un lange sec et chaud et d’évaluer le score d’Apgar à une et à cinq minutes. Il est recommandé d’éviter la séparation de la femme et de son bébé car cette proximité physique est l’un des éléments essentiels permettant un attachement de bonne qualité entre la mère et son enfant. Tout nouveau-né doit bénéficier après la naissance d’un premier examen réalisé par la sage-femme ayant pour but la vérification de sa bonne adaptation, le dépistage d’anomalies latentes (malformations, infections, troubles métaboliques, etc.) avec une traçabilité écrite avant de quitter la salle de naissance ou la maison de naissance. Les mesures et soins de routine ne seront réalisés qu’à la fin des deux heures de peau à peau, avant de transférer la mère et l’enfant en suites de naissance. Ce premier examen global du nouveau-né se fait sur un plan dur, et dans de bonnes conditions thermiques et d’éclairage, devant la mère si possible ou en présence de l’accompagnant ».

Installer le nouveau-né en peau à peau sur l’un de ses parents permet une expérience sensorielle riche qui s’appuie sur la rencontre de deux corps individualisés. Selon la fiche technique de la maternité concernant l’installation en peau à peau, il s’agit d’un soin relationnel qui nécessite un positionnement spécifique et une surveillance régulière. Il permet d’optimiser les liens d’attachement entre le nouveau-né et ses parents en le replaçant dans sa niche écologique : le corps de ses parents. Outre les effets bénéfiques sur la régulation de la température corporelle et des pertes hydriques, sur les rythmes cardiaque et respiratoire, sur la glycémie, sur la colonisation par la flore bactérienne familiale, il permet au nouveau-né de trouver un apaisement et de favoriser l’expression de ses

(28)

comportements réflexes (fouissement, balancement et redressement, mouvements mains-bouche, succion…). Enfin, bien positionné, ce soin relationnel facilite le contact visuel, à la base de la relation d’attachement lors de cette rencontre inaugurale. En effet, selon M.

Couvert [26], cette captation du regard par le bébé a un double effet. « D’une part, cela

vient confirmer le bébé dans son sentiment d’existence, mais réciproquement aussi, la mère va se sentir exister comme mère dans le regard du bébé. (…) C’est là que le bébé agit comme révélateur de son parent ».

III.2.2. Offrir une matrice de soutien.

Au croisement entre la psychologie du développement et la psychanalyse, D. Stern décrit la constellation maternelle [90] comme un organisateur psychique, au même titre que le conflit œdipien, qui intervient au moment de la mise au monde d’un enfant de façon temporaire (entre plusieurs mois et plusieurs années).

La constellation maternelle n’est pas universelle : elle varie selon l’époque et la culture. Elle est à comprendre « comme une construction unique, indépendante, existant en tant que telle, d’une importance primordiale dans la vie des mères, et absolument normale ». A ce titre, elle doit être présente à l’esprit du thérapeute. Elle s’organise autour de trois types de préoccupation, et donc de discours qui en découlent :

 le discours de la jeune mère sur sa propre mère, en se considérant comme enfant de cette mère aussi bien avant qu’actuellement ;

 le discours de la jeune mère sur elle-même en tant que mère du bébé ;  le discours de la jeune mère sur elle-même avec son bébé.

Ces différents discours peuvent ne pas se juxtaposer strictement et cela peut générer des conflits. D. Stern décrit quatre grands thèmes relatifs à ces discours :

 la croissance de la vie : il s’agit des inquiétudes de la mère sur ses capacités à faire vivre son bébé, notamment en terme de nourrissage et de soins ;

 la relation primaire : cela questionne la capacité pour la mère à s’engager psychiquement et de manière satisfaisante pour le développement de son bébé ;  la matrice de soutien : il s’agit d’un système féminin et maternel qui va étayer la mère

(29)

protéger une mère physiquement et de pourvoir à ses besoins vitaux dans le but de la laisser disponible pour son enfant en la soulageant des préoccupations quotidiennes et d’offrir un accompagnement dans les premières activités de soin ;

 la réorganisation identitaire : c’est-à-dire, les remaniements nécessaires pour mettre en place et développer ses fonctions maternelles, en passant de l’état de fille de sa mère à celui de mère de son enfant, de l’état de femme à celui de parent.

D. Stern précise dans un échange avec S. Lebovici, F. Jacquemain, A. Guédeney et B.

Golse [91], qu’il s’agit plus d’un modèle servant d’outil au thérapeute pour penser la situation spécifique de la maternité que d’une nouvelle théorie qui entrerait en compétition avec le conflit œdipien comme organisateur de la vie psychique. Il insiste sur le fait que, pour soutenir une mère en difficulté avec son enfant, la constellation maternelle, en tant que cadre thérapeutique, « exige du thérapeute qu’il établisse une alliance thérapeutique différente de celle qu’il recherche d’habitude », s’écartant ainsi du modèle analytique neutre et bienveillant.

D. Cupa et H. Riazuelo [27] montrent aussi l’existence d’une constellation paternelle.

Même si certains thèmes de leur discours peuvent différer, les devenant-pères sont aussi en recherche d’un soutien au moment de la grossesse et de la naissance, face aux tâches qu’ils imaginent leur incomber (protection de la mère ou de l’enfant) ou dont ils s’estiment incompétents (maintien en vie du nourrisson).

Au regard de ces apports, il semble essentiel, dans notre société où le cercle familial s’est resserré et où les rites de passage se sont éteints, d’apporter une matrice de soutien, enveloppe suffisamment stable et contenante pour que les bouleversements physiques, émotionnels, psychiques et affectifs puissent être élaborés, pour conforter les parents dans leur nouveau statut et les rassurer dans leur compétence.

(30)

Chapitre 2 :

(31)

I. Le séjour en maternité comme une expérience suspendue.

I.1. La situation psycho(patho)logique des patientes.

I.1.1. De la transparence psychique de la femme enceinte vers la préoccupation maternelle primaire.

M. Bydlowski et B. Golse [22] mettent en perspective la notion de transparence

psychique de la femme enceinte développée par M. Bydlowski [21] et celle de la préoccupation maternelle primaire décrite par D. Winnicott [100] afin de « proposer

l’hypothèse du passage de l’une à l’autre, autour du pivot de la naissance de l’enfant. Ce passage se fonde sur une bascule de l’attention psychique de la mère du dedans vers le dehors, et cette bascule vient témoigner d’un véritable chassé-croisé entre l’objet-enfant et les représentations maternelles suscitées par sa présence ».

Ainsi, M. Bydlowski [21] décrit la transformation sensible du fonctionnement psychique maternel durant le deuxième trimestre de la grossesse : plus perméable au refoulé inconscient, dans un mouvement d’auto-centration, il revisite l’histoire personnelle et les conflits infantiles, ce qui permet « une rencontre intime avec soi-même ». L’auteure considère que l’enfant porté représente la métaphore de l’objet interne maternel et réactive le petit enfant que la mère se figure avoir été. Cette période est présentée comme celle de la

transparence psychique maternelle.

D. Winnicott [100] s’intéresse, quant à lui, à la période qui commence quelques

semaines avant l’accouchement puis se poursuit tout au long de la période de dépendance absolue de l’enfant. C’est un moment de grande sensibilité et de grande délicatesse qui permet un ajustement fin aux besoins de l’enfant. Il nécessite de la devenant-mère un oubli de soi, une mise à disposition de son corps et de sa tête que l’auteur compare à un repli, voire à une dissociation. Cette disponibilité, qu’il nomme la préoccupation maternelle

primaire, est variable : « Certaines femmes y parviennent avec un enfant et échouent avec

(32)

M. Bydlowski et B. Golse, en rapprochant ces deux notions, observent « une bascule

des processus d’attention maternelle du dedans vers le dehors. (…) Ce mouvement, qui est de l’ordre d‘un gradient continu, est jalonné par quatre étapes correspondant à des statuts différents de l’objet : objet purement interne, objet interne physique mais déjà psychiquement externalisé, objet externe physique mais psychiquement encore internalisé, objet véritablement externe enfin » [22, p32].

Ce qui me semble particulièrement intéressant dans cette hypothèse, c’est cette notion de bascule qui intervient autour de la mise au monde de l’enfant et qui implique de façon simultanée et conjointe, en situation non pathologique, les expériences de l’accouchement pour la mère et de la naissance pour l’enfant. La notion de gradient évoque un passage continu d’un état à l’autre sans forme de rupture. Il est ainsi très clair que le moment du séjour en maternité se situe à un point d’infléchissement dans la structuration psychique maternelle. Il constitue ainsi un espace-temps de suspension, pendant lequel un remodelage est possible, où rien n’est déterminé. Les facteurs environnementaux, émotionnels, affectifs prennent alors toute leur place dans la trajectoire qui va être prise.

Néanmoins, les auteurs précisent que « dans la clinique, cette bascule ne se fait pas toujours de façon graduelle et ne coïncide pas toujours au passage anatomique de la naissance. Ainsi beaucoup de femmes restent encore quelques semaines dans leur rêve de grossesse rêvant de l’objet interne perdu – alors que, mû par la force de son besoin de conservation, le bébé externe la stimule au dialogue ». On peut alors réfléchir à la façon dont ces situations peuvent être soutenues afin d’amener le plus de continuité possible dans un vécu de rupture ou de désorganisation, une synchronie entre les besoins de l’enfant et les remaniements psychiques de la mère.

I.1.2. Un moment de grande vulnérabilité psychique.

R. Kaës [55] décrit la période périnatale comme « une phase de crise

somatopsychique. Elle correspond à la séparation des corps entre la mère et celui du bébé et à la séparation entre la psyché parentale et celle du bébé. Mais elle est aussi simultanément une réactivation de tous les conflits de séparation qui ont émaillé les grandes étapes développementales parentales ».

(33)

Cette crise liée à la grossesse, à l’accouchement et au post-partum constitue un moment de grande vulnérabilité psychique. Il en découle des troubles soit spécifiques de cette période, soit dont l’occurrence est plus fréquente. J. Dayan, G. Andro et M. Dugnat [32] décrivent les troubles suivants :

 déni de grossesse  dépression anténatale

 troubles du comportement alimentaire  dépression du post-partum

 troubles anxieux caractérisés

 état de stress aigu et de stress post-traumatique  psychose puerpérale

 rupture de la filiation : abandon et infanticide.

Comme le précise J. Dayan [32, p23], « l’accès à la maternité est souvent essentiel dans la survenue des troubles et joue encore un rôle, comme cela a été montré, dans leur dynamique évolutive. Lorsqu’il existe, le sentiment d’avoir été incomprise ou ignorée en tant que mère, voire maltraitée par l’institution, la honte ou la colère qui peut en résulter, accroit le risque du développement de relations inadéquates avec le bébé ou au sein du couple ».

Il semble donc essentiel que l’institution garde en tête le rôle décisif, comme facteur soutenant ou précipitant, qu’elle peut avoir pendant l’accompagnement de cette crise maturationnelle et principalement au moment de la naissance.

I.2. Une délicate question d’équilibre …

I.2.1. … entre compétence technique et déroulement physiologique.

M. Odent [74] affirme reconnaître une sage-femme expérimentée lors des

accouchements à domicile quand elle est dans un coin, à l’écart de la devenant-mère, en train de tricoter. A distance de toute intrusion scopique, ce sont les signaux sonores qui la renseignent sur l’avancée et le caractère normal ou pathologique du travail. Cette attitude préserve la devenant-mère de toute effraction dans son intimité. L’expertise de la sage-femme ne se situe alors pas d’abord dans la technicité de l’accompagnement, mais dans sa disponibilité et dans la justesse de son intervention au moment opportun. Elle laisse se

(34)

dérouler ce moment précieux, unique, singulier pour les devenant-parents en étant capable d’amener son expertise technique à l’instant où elle est nécessaire.

En service de maternité, se pose aussi cette question de la juste présence : être là sans être intrusif. Contrôler, surveiller, tout en laissant les choses se dérouler selon leur propre rythme. L’appareillage qui sous-tend l’accompagnement médicalisé, notamment avec la surveillance du rythme cardiaque fœtal par monitoring, tend à rendre sensible la présence qui devrait se faire discrète. De plus, on peut s’interroger sur la façon, pour les professionnels, d’accompagner chaque situation vécue par les devenant-parents comme l’expérience inaugurale et extraordinaire d’une rencontre unique et singulière, tout en appliquant des protocoles de surveillance, tout en exerçant une expertise et une technicité médicales fruits d’une expérience répétée : le juste dosage entre l’apport technique, technologique, le savoir-faire, le savoir-être des professionnels et le déroulement singulier d’un processus physiologique qui renforce les parents dans leur sentiment de compétence.

Cette même question de l’équilibre entre la pratique professionnelle experte, avec un investissement technique majeur, et un vécu subjectif et singulier de la mise au monde d’un enfant se pose de façon aigüe lors des situations qui relèvent de l’urgence. Comment faire en sorte que la décision médicale et les actes qui en découlent ne dépossèdent pas les devenant-parents de ce moment précieux en l’accaparant d’un point de vue technique ?

I.2.2. … entre stabilité et ajustement dynamique.

La mise au monde d’un enfant est un point de bascule qui marque un avant et un après. Chaque instant vécu colore, nourrit, structure, oriente le suivant d’une façon intense ainsi qu’il alimente les mouvements psychiques et affectifs à l’œuvre. Cela demande au corps soignant de s’ajuster de façon constante à l’état présent tout en ayant présent à l’esprit l’évolution dynamique de la situation et en s’inscrivant dans des pratiques communes à chacun des professionnels.

L’accompagnement dans un service de maternité doit, tout en tenant compte des contingences d’organisation et du roulement des équipes, amener la stabilité, la cohérence et la continuité d’un discours tout en s’adaptant de façon dynamique à la situation actuelle

Références

Documents relatifs

Nous savons tous, par expérience, que c’est la même chose pour la réussite d’un examen, d’un concours, ou dans quelque domaine que ce soit.. Pensons aux exigences d’une

Comme cela a été dit pour le jour de Pâques, nous ferons vivre sous les yeux des enfants, par les récits appropriés, Jésus dans sa gloire de Ressuscité, dans sa montée triomphale

Ce livre propose une réflexion sur la forme que pourrait prendre ce soutien pour favoriser l'adaptation des parents issus de l'immigration de jeunes enfants ayant un TSA en

A la deuxième crainte, plus philosophique, je répondrais que, pour terrible qu’elle soit, l'épreuve que nous traversons se terminera et que notre pays, nos entreprises,

qu’antérieurement, les parents ont rarement été invités à répondre à des questions au sujet des interactions famille-professionnels et ce par rapport à leurs sentiments

Parfois, j’ai juste envie de rester sur le canapé à regarder la télé, mais je pense à mes parents qui sont au travail et je me dis qu’ils vont être fatigués quand ils

Ils devront alors mettre en place des stratégies, que l’on nomme aussi coping, pour faire face à cette nouvelle réalité et retrouver un certain équilibre et bien-être,

Il faut trouver un juste équilibre entre laisser un espace privé et personnel à son enfant et s’informer de ce qu’il fait avec les