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Le regard des personnages féminins dans l'oeuvre de Colette /

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(3)

Le rei:ard des personnai:es féminins daus l'oeuvre de Colette

par

Jodi Rebecca Carman

Mémoire de maîtrise soumisà la

FacuIté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal~ Québec Novembre 1997

(4)

1+1

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Résumé

Ce mémoire veut explorer le regard des personnages fémjninsdansquelques oeuvres de Colette. Nous démontrons comment elle aide à libérer les femmes d'une conception opprimante de la féminité, but ultime des féministes postmodemes (Hélène Cixous et Luce lrigaray). Dans l'oeuvre colettienne plusieurs caractéristiques indiquent sa résistanceàl'idéologie dominante, la plus importante étant l'accent mis ailleurs que sur ce qui est considéré comme important dans la culture patriarcale.

Renée Néré, romancière et mime au music-hall dans La Va&abonde, est étudiée au deuxième chapitre. Pour Renée, la liberté est plus importante que la sécurité de l'identité établie qu'0ffre le mariage. La douleur associée avec son choix du célibat souligne l'oppression qu'elle doit subir.

"Colette» dans La NaiSSance du jourest le sujet du troisième chapitre. Nousy abordons l'importance de «Sido- dans la construction d'un modèle de vie, construction qui ne fmitjamais. Les différences entre mère (poète) et fille (romancière) sont étudiées, ainsi que leurs

(6)

Abstract

The subject ofthis thesis is the female characters' way ofseeing in the works of Colette. Colette helps liberate women from an oppressive concept offemininity, this being the ultimate goal of the postmodem feminists (Hélène Cixous and Luce lrigaray). In Colette's works we find several characteristics that show her resistence to the dominant ideology, the most important being an emphasis placed elsewhere than upon things considered importantinpatriarchal culture.

Renée Néré of La Vaaabonde. novelist and music-hall mime, is examined in the second chapter. For Renée, liberty is more important than the security of the established identity which marriage offers. The painassociated with her choice to remain a10ne underscores the oppression that she must bear.

«Colette» in La Naissance du jour is studiedinChapter Three. There we discuss the importance of «Sido» inthe construction of -Colette's-Iife model, a construction that never ends. The differences between mother (poet) and daughter (novelist) are studied a10ng with their similarities. Again, reflection and writing are found to he more noble than love.

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Remerciements

Je voudrais remercier mon directeur, Jean-Pierre Duquette, qui m'a dirigée avec soin et vigilance. Sa connaissance de Colette et de son oeuvre était indispensable. Je serai toujours reconnaissante pour son aide.

Je voudrais exprimer ma gratitude au personnel du département de langue et littérature françaises de i'Université McGilL Les professeurs et l'équipe administrative font preuve d'un professionnalisme sans égal, dévoués à la recherche et à la formation de l'étudiant(e).

Un gros merci à SiobhanMcC~Sharon Taylor, Wim Daenens, Nancy Andors, ma mère, mon père et Martin. Sans mes amis et ma famille je n'aurais jamais pu réaliser ce rêve.

(8)

Table des matières

1. Introduction 1

II. Chapitre premier: La féminité, le féminisme et Colette. 6

a) Théories d'Hélène Cixous et Luce Irigaray. 7

b) La féminité et Colette. 15

c) Le féminisme et Colette. 18

d) Le regard féminin: 1~accent mis ailleurs. 23

III. Chapitre deux: La Vaiabonde: le regard de Renée ou l'identité d~uneécrivaine. 30

a) Une voix féminine, un regard féminin. 35

b) La résistance linguistique: terminologie et réalité. 38 c) L~identité d~uneécrivaine: le rejet du mariage, le choix de la solitude. 41

IV. Chapitre trois: La Naissance du joUT. 52

a) Le cactus rose. 53

b) «Sido»: importance de la mère dans la construction d'un modèle de vie. 56 c) L~identité de "Colette-: un processus sans fin. 58

d) Reculer, revenir, repousser. 62

e) Mère/poète et fille/romancière. 63 f) Les vampires. 66 g) L'oasis de la poésie. 67 V. Conclusion. 73 VI. Bibliographie 80 v

(9)

Introduction

Les personnages féminins de Colette nous offrent des regards qui sont inattendus. Nous allons là-dessus examiner Renée Néré dans La Vaaabonde et -Colette- dans La Naissance du jour. Nous voyons que ces deux personnages sevoien~se comportent et regardent le monde et les êtres non pas selon les règles du comportement féminin reçu de l'époque~mais en tant qu~individus qui sontà la fois femmes et artistes.

Nous nous sommes demandé si Colette, en créant ces personnages, était féministe. Le féminisme est un concept qui n'a pas encore de défInition nette. Ceux et celles qui se considèrent féministes ne font pas partie d'une école de pensée unique. Leurs théories sont non seulementdiverses~mais nous y retrouvons souvent des contradictions. En même temps qu'il faut se méfier de l'application d'une grille qui s'imposerait de l'extérieur et qui serait aussi restrictive que le système dominant, il faut constater que les femmes du début du siècle vivent en marge de la société. En tant que groupe marginalisé, elles partagent une certaine position vis-à-vis de la culture; et comme nous allons le voir, les féministes dites postmodemes voient cette position d'une manière positive. La création des personnages féminins illustre les écarts entre leur propre conception de soi et de la réalité, et ce qui était attendu d'elles, Colette nous montre la possibilitéd~unediversité de pensée chez les femmes. Cette étude ne vise pas à une nouvelle définition du féminisme, ce terme est encore entraind'évoluer.

N'oublions pas que ce sont des personnages de fiction. Il est vrai que Colette a écrit dans La Naissance du jour, à propos de sa carrièred~écrivain:-Je m'y nommais Renée Néré, ou bien, prémonitoire, j'agençais une Léa. Voilà que, légalement, littérairement etfamiIièremen~je n'ai plus qu'un nom~qui est le mien- (Naissance, p. 286). Mais plus loin, elle nous rappelle qu'il faut

(10)

2 nous méfier de l'identifier avec ses personnages: «Je ne pus dissimuler le découragement jaloux,

rinjuste hostilité qui s'emparent de moi quand je comprends qu'on me cherche toute vive entre

les pages de mes romans- (Naissance. p. 341). Alors, nous nous demandons si nous pouvons

même prendre cette assertion comme venant de Colette elle-même, parce qu'il s'agit ici d'un

personnage qui, tout en partageant le même nom que l'auteur, -vit- une situation fictionneUe au

moment où elle «écrit- ces mots.

Dans Another Colette, L. Huffer signale le danger d'une lecture simpliste qui

interpréterait les romans de Colette d'une manière autobiographique. Elle illustre ce danger

lorsqu'elle parle des critiques qui prennent -Sido- soit pour la vraie mère de Colette, soit comme

évidence d'un amour obsédant chez Colette pour sa mère (Huffer, p. 15). Elle continue en disant:

This familiar critical gesture of privileging an apparently transparent referentiality as characteristically female bas resultedinthe blurring of the line separating Sido as "personnage- from Sido as person [...

l.

In this familiar method ofreading -woman- as (Cexperience,- as immutable, irrefutable fact, the history of a writer' s search for origÏns - a search that is not just biologial but artistic and theoretical as weIl - remains, by and large, a story that is denied women writersl

.

Et un peu plus loin elle rappelle: «Despite the temptation to rearl Sido as biological and

biographical mother, Colette warns us [...] that Sido can ooly be grasped within the pages of the

text as constructed, coded, and artistically shaped- (Huffer, p. 17).

Dans le premier chapitre, nous étudierons les théories de deux des féministes

postmodemes (Hélène Cixous et Luce lrigaray) qui servent d'approche critique dans l'étude des

deux romans traités ici. Nous espérons en arriver à une explication du regard des Personnages

féminins chez Colette. Les théories de H. Cixous et L. lrigaray mettent en lumière la nature

(11)

3

Nous tentons de parler du regard des personnages en tant que regard proprementfé~

mais nous nous méfionsd~attribuerà Colette un style «féminin. dans le butd~éviter

['essentielismede notre étude; c~est-à-direque nous n'acceptons pas ridée que les femmes aient une «essence» innée et inchangeable. Nous examinons le tenne «féminin.lorsqu~ilest appliqué à Colette, mais nous n'entrons pas dansle débat de l'existence des caractéristiques «naturellement.

féminines dans l'écriture des femmes (i.e. l'-écriture féminine-).

Nous voulons souligner le fait que L'accent est mis ailleurs que sur ce qui est considéré

comme important dans la culture partriarcal dans l~écriturede Colette. Nous croyons que cela est L'acte féministe: il s'agit de mettre en question la «vérité- que le discours philosophique essaie

d'établir: «C'est bien le discours philosophique qu'il fautquestionner~et déranger, entantqu'il fait la loi à tout autre, qu'il constitue le discours des discours- (lrigaray, p. 72). Les valeurs

traditionnelles de la culture occidentale sont mises en question par le fait que les personnages

mettent l'accent sur autre chose.

Dans le chapitre premier nous regardons des personnages féminins dansd~autrestextes colettiens pour illustrer que mettre l'accent «ailleurs- n'est pas propre à Renée et à -Colette-. Le

regard de ces deuxpersonnages~tout enétantfictionnel, illustre que le sexe n'impose pas

l'identité: ils ne sont pas obligés de jouer les rôles associés à l'étatd~être-homme- ou «femme-. La question du féminisme chez Colette est centrale pour notre étude. Nous ne postulons

pas que Colette est féministe, mais il existe un certain nombre de critiques de son oeuvre qui sont

écritescl'un point de vue féministe. Panni ces critiquesil y en a qui attribuent une sorte de féminisme à Colette malgré le fait qu'elle n'était pas féministe. D'autres, comme nous, préfèrent

(12)

4

aujourd'hui lorsque nous essayons de reconnaître l'oppression dans nos propres vies et de nous

en libérer. La libération, comme nous le lisons chez H. Cixous et L. Irigaray, est une libération de

la pensée2

•Ce que nous offre Colette, c'est une écriture où les personnages féminins se rendent

compte de la nature mouvante de leur identité. La possibilité de choisir une vie qui ne serait pas

conformeà ce que la société de l'époque impose aux femmes est donc réelle. Colette ne nous présente pas l'essence de la Femme.. mais des personnages qui,à partir de leur position en marge de leur culture, contribuentàétablir la conception d'une féminité multiple, qui résiste à toute codification rigide.

Dans le deuxième chapitre nous examinons un personnage colettien qui illustre très bien

l'oppresion des femmesàson époque, ainsi que le processus (douloureux) pour s'arracher aux pièges qui se présentent partout. La liberté est la chose la plus importante pour Renée; ici

l'accent est mis sur cette quête et non sur le mariage et l'acquisition d'un «titre- valorisé par la

culture patriarcale. L'enjeu est ici linguistique: l'amour que lui est offert n'est pas l'amour entre

deux personnes égales, maisils'agit plutôt de la possession de l'une par l'autre. Renée remet en

cause la terminologie courante. Max se présente peuàpeuàelle comme représentant la culture patriarcale etildésire (plus ou moins consciemment) posséder Renée, la nommer «Madame ma

femme» et, ce faisant.. de nier la personne qu'elle est, qu'elle a été et qu'elle peut devenir. Surtout

son langage le trahit et permetà Renée de voir ce qui ilest vraiment.

Alors nous voyons que Renée doit demeurer célibataire pour développer sonart. Elle ne

peut pas se conformerà une identité préfabriquée sans perdre sa liberté. Pour chercher les mots qui décrivent le monde de son point de vue, elle doit être libre. La liberté est importante pour elle

(13)

5

pu devenir sera morte dans un certain sens.

Dans le troisième chapitre nous nous tournons vers .Colette- dans La Naissance du jour.

Il s'agira ici de mieux comprendre l'importance de la mère dans la construction de l'identité de

cette écrivaine mûre. Nous trouvons que .Colette- essaie de comprendre et de suivre l'exemple

de «Sido» qui ne cessait jamais de changer, mêmeàun âge où ron est supposé se conformer plus

que jamaisà une identité (la «vieille fille-, par exemple). Au contraire, nous avons une

valorisation du vieillissement comme une époque où l'on peut regarder autre chose que l'homme

et l'amour: la nature, l'aube, le passé et l'identité de soi. Nous examinons de plus près ce genre

de réflexion sur soi. Nous trouvons qu'il s'agit de repenser le passé, de protéger le présent et de

ne jamais cesser de songerà l'avenir. Tout cela, en n'oubliant jamais la poésie de la vie qui ne vient pas par la réflexion, mais par la juxtaposition des images. Ce «modèle- se présente après

que la fille (<<Colette-) soit comparéeà sa mère (.Sido-) et que la narratrice trouve des

ressemblances et des différences. Mais ce qui semble les séparer les relie, parce qu'il ne s'agit

pas de faire deux portraits et, ensuite, de les comparer. Il est plutôt question d'un processus qui

ne finitjamais, et qui, pour la fille, continue même après la mort de la mère.

1. L.Huffer, Another Colette, p. 15. 2. R. Tong, Feminist Thouiht.. p. 223.

(14)

·'

Chapitre premier

La féminité. le féminisme et Colette

(15)

7

Dans ce chapitre nous examinons d'abord les théories d'Hélène Cïxous et de Luce

lrigaray. Ensuite, nous considérons la féminité en relation avec Colette. Puis, nous abordons le

féminisme et son traitement dans des critiques de Colette. En dernier lieu, nous regardons des

textes colettiens où se trouvent des exemples des valeurs qui sont en opposition avec ce qui était

considéré important à l'époque.

Nous voudrions présenter ici notre prise de position vis·â-vis notre sujet. Il faut dire qu'il

existe des prémisses que nous acceptons et avec lesquelles on peut ne pas être d'accord: d'abord

les femmes étaient marginalisées à l'époque où Colette écrivait et elles sont marginalisées dans la

culture occidentale d'aujourd'hui. Nous sommes consciente que, malgré le fait qu'il y a toujours

des problèmes concrets, les femmes d'aujourd'hui vivent dans des conditions qui se sont

beaucoup améliorées depuis la première moitié du XXe siècle, à l'époque où Colette écrivait et

créait des personnages comme Renée Néré. Aujourd'hui les femmes ne sont pas confrontées aux

mêmes problèmes que Renée Néré dans la société fictionnelle de La Vaaabonde (société très

semblableàcelle de l'époque). Les possibilités pour la femme divorcée sont plus nombreux et le

mariage n'est pas nécessairementà l'image de celui que propose Maximedansce roman. Mais lorsque nous entreprenons l'examen de LaVaaabonde et de La Naissance du jour. nous pouvons

trouver des exemples où l'oppression est semblableàla situation des femmes aujourd'hui. Nous

savons qu'une telle réflexion risque de réduire le texte àune sorte de reflet du monde réel et nous

n'oublions jamais que Renée et .Colette- sont des êtres de fiction. Mais nier que les situations

oppressives sont semblablesàcelles des femmes réelles est pire que prendre ce risque: nous voyons des liens entre fiction et réalité, entre les femmes de la Belle Epoque et les personnages

(16)

8

créés pendant cette période. De plus, nous nous tromperions en pensant que les femmes

d'aujourd'hui sont tellement différentes des femmes de laBelle Époque; les ressemblances sont

là parmi nos différences collectives et individuelles.

Renée Néré et ccColette- sont confrontées à des problèmes liésàleur position en marge de

leur société (imaginée). Nous croyons que les femmes sont marginalisées dans la culture actuelle.

Nous sommes d'accord avec Mari McCarty lorsqu'elle dit: «WOMEN ARE OTHER in a world

in which the structures of society, meaning and language are controlled by men-[. Les femmes

ont alors des problèmes socio-économiques communs et, plus important pour notre étude, elles

ont été exclues de l'acquisition de l'Ordre Symbolique. Elles partagent alors certains points de

vue et certains obstacles. Mais le «féminin- est aussi large que le nombre de femmes qui existent

ou ont existé. Lorsque nous employons le terme ccféminité-, nous sommes obligée de mettre en

cause ce que cela implique: «Ce qu'elles ont en commun, je le dirai. Mais ce qui me frappe c'est

l'infinie richesse de leurs constitutions singulières [...]~.

Nous n'allons pas essayer de produire une définition du féminin. Nous ne croyons pas à

l'existence d'une nature féminine et nous constatons que la fausseté des caractéristiques

attribuéesà une telle nature peut être démontrée. De même, les façons de regarder le monde typiquement féminines (àcause de leur fréquence chez les femmes) méritent une valorisation.

Nous allons voir un peu plus loin que ce qui est associé au féminin porte une connotation

négative dans la pensée binaire.

Ce qui est «féminin- est aussi ce que les femmes peuvent imaginer comme possibilités

existentielles, ce qu'elles peuvent créerparleur fiction, ce qu'elles peuvent écrire. Il existe dans l'esprit des femmes d'innombrables possibilités, et une écrivaine comme Colette, en nous

(17)

9 montrant des personnages féminins qui regardent autrement, nous libère des rôles imposés par la

société. Cela n~est pas à

r

extérieur du langage: nous allons voir que Colette crée des images et des situations qui remettent en question cequ~oncroyait être lavérité~et la remplace non pas par une nouvellevérité~mais par des possibilités. Nicole Jouve signale un certain style chez Colette, qui relie les mots d~unenouvelle manière:

[...] a word only becomes new thanks to its neamess to another word that renews it. [...] The search for identity and specificity is through relationships. The mystery of meaning, offeeling~of self, is pursued actively through the use of SYDtax, word groupings, images, in which the word is a1ways unique but also involved in changing operationswithothers3

Michel Mercier a noté ce genre de juxtaposition des mots chez Colette pour créer une

image spécifique ou uneatmosphère~ lorsqu~il affirme: ceCe qui [...] subsiste et revit dans la mémoire du lecteur, c'est précisement quelque chose d~incomparable:geste~objet, scènes

uniques~où se cristallise une atmosphère»4.

Nous ne disons pas que Colette étaitféministe~mais nous avons choisi une approche féministe de ses romans. Nous tentons de montrer comment ses personnages féminins (en

particulier dans LaVa~abondeet dans La Naissance du jour) présentent de nouvelles façons de regarder. Les théoriciennes auxquelles nous nous référons sont: Hélène Cixous et Luce lrigaray.

Nous avons aussi considéré brièvement les idées de Julia K.risteva vers la fm de notre étude.

Notons d~abordque ces théoriciennes ne nous offrent pas la même théorie. Cependant, elles considèrent la position marginale des femmes comme point de vue privilégié pour envisager

et critiquer la cultureS. H. Cixous a beaucoup écrit sur la notion de position marginale des

femmes et elle la voit de façon positive: ceLes enfermés connaissent mieux que leurs enfermeurs

(18)

10 les hommes ne sauront penser que beaucoup plus tard [...]. (<<Le Rire., p. 50).

La position marginale de la femme vis-à-vis de sa culture est valorisée par ces féministes,

mais le concept de l'état de «seconde. ou d'«autre., de la femme, a été étudié à l'origine par

Simone de Beauvoir dans Le Deuxième sexe. et c'est à eUe que nous devons reconnaître d'avoir

élaboré cette idée centrale chez les féministes postmodemes. Mais la différence est que Beauvoir

trouvait que cette position marginale constituait un état négatif: Dans son mémoire de maîtrise,

Anne-Marie Vézina a noté que, selon Beauvoir, 1'«[...] -héritage' féminin est une source

d'aliénation en ce que le corps est la -prison' dans laquelle la femme est aux prises avec des

phénomènes qui échappent à son contrôle et dont, impuissante, elle doit supporter et assumer

l'existence»6. Ce n'est pas le cas pour les féministes postmodemes. R. Tong nous dit «[...]

Otherness, for ail of its associations with oppression and inferiority, is much more than an

oppressed, inferior condition. Rather, it is a way ofbeing, thinking, and speaking that allows for

openness, plurality, muitiplicity and différence. (Tong, p. 219). De plus, nous postulons que

Colette a partagé cette opinion, même si elle l'exprime autrement. Plusieurs critiques notent

qu'elle a toujours montré qu'il est possible non seulement de survivre dans des situations

difficiles, mais qu'on peut même y trouver de la joie de vivre: «Colette has rightly been called a

survivor by critics who understandably find this an appealing quality inthe history ofwomen's

writings that too often includes endings of premature death, madness, suicide, and domestic

anonymity»7.

Confrontés avec des événements les plus difficiles, comme la mort d'un mari ou la

décision de renoncerà l'amour et de vivre seuls, les personnages féminins de Colette trouvent

(19)

Il

regarder ailleurs que vers leur tristesse. En dirigeant leur regard vers la nature ou leur entourage

ou leur proprepassé~les femmes découvrent des détails qui échappentà l'oeil de qui fi~est pas en

train de vivre une expérience liéeà une position marginale:

[...] woman can ooly overcome their othemess by becoming consciously marginal, by reveling in marginality. Mere «equality- with menwithinthe phallic constructs would mean acceptance of patriarchal space; but by entering into the boundary zone voluntarily, women can cast off Othemess. Indoing so, women become aware that this .boundary- is

infact an infinitely expanding space (McCarty, p. 367).

H. Cixous et L. Irigaray pratiquent la déconstruction. Ce qu'elles retiennent c'est l'idée

déjà mentionnée dans nos prémisses: l'antiessentialisme. Elles ne croient pas aux vérités

universelles:«[...] il n'y a pas une femme générale, une femme type- (ceLe Rire-, p. 39). Les féministes postmodemes doivent beacoupà Lacan et à Derrida. Ce qu'elles mettent en question et ce qu~ellesrepensent est une interprétation de Freud par Lacan, qui reprend l'idée de l'Ordre Symbolique de Claude Lévy-Strauss; il a bien montré comment les femmes sont exclues de

l'appropriation de cet Ordre. Mais les féministes postmodemes, à la différence de Lacan, disent

que 1~exclusion des femmes n~est pas permanente, car elles voient la possibilité de briser cet Ordre, en exprimant ce qui ne peut pas être exprimé dans le langage masculin: les expériences

fémininesjusqu~iciréduites au silence. Nous constatons que Colette a commencé ce travail dans sa fiction.

Comme R. Tong nous l'a signalé lorsqu'elle explique l'histoire de l'évolution de la pensée

féministe et postmoderne, les féministes inCOrPOrent la critique de l'Ordre Symbolique d'abord

développée par Derrida. En particulier, elles lui empruntent trois aspects: le logocentrisme, le

phallocratisme et le dualisme (Tong, p. 222-23). Ce qui est très important pour notre étude, c'est

(20)

12

serait extérieur, mais qu'il crée la réalité et ne peut se référer qu'à cette réalité. «Because there is

no being (presence) ta be graspe~ there is [...] no nothingness (absencewithwhich to contrast it. (Tong, p. 222). Dans La Jeune née. H. Cixous offre une critique de la pensée binaire, de la

pensée dominante qui fonctionne en termes d'absence et de présence. La femme a toujours été

considérée comme l'inverse (ou encore le complément) de l'homme.

Oùest-elle? Activité/passivité, Soleil/Lune, CulturelNature, JourlNuit, PèrelMère, Tête/sentiment, Intelligible/sensible, Logos/Pathos.

Forme, convexe, marche, avance, semence, progrès.

Matière, concave, sol - sur lequel s'appuie la marche, réceptacle Homme

FemmeS.

Selon H. Cixous, il n'est pas nécessaire que la femme soit considérée comme un homme

castré. Derrida dit qu'il ne faut pas penser en termes de «présence. et d'«absence., ou d'.activité.

et de "passivité», selon la terminologie de H. Cixous (Jeune. p. 117). La femme, selon

l'opposition classique, est associée à l'inconnaissable, au noir, là oùilne faut pas aller: «Dans le

noir tu ne vois rien. Tu as peur. Ne bouge pas car tu risques de tomber- (Jeune, p. 124). Mais la

femme n'est pas, comme nous l'avons vu., un «manque.; il n'est pas nécessaire d'avoir peur de se

découvrir en tant que femme, en tant que personne, parce qu'on ne va pas dans le noir: là où eUe

va n'est pas le vide, mais elle va découvrirquelque chose. H. Cixous affirme:

Le .Continent noi,.. n'est ni noir ni inexplorable: Il n'est encore inexploré que parce qu'on nous a fait croire qu'il était trop noir pour être explorable. Et parce qu'on veut nous faire

(21)

13

croire que ce qui nous intéresse c'est le continent blanc, avec ses monuments au Manque. Et nous avons cru. On nous a figées entre deux mythes horrifiants: entre la Méduse et l'abîme. Il y aurait de quoi faire éclater de rire la moitié du monde, si ça ne continuait pas. Car la relève phallo-logocentrique est là, et militante, reproductrice des vieux schémas, ancrée dans le dogme de la castration (Jeune. p. 125).

Il est intéressant de noter ce queH.Cixous écrit du -regard- lorsqu'elle entre dans -La

venue d'une Femmeà l'écriture- (Jeune. p. 127). Pour notre étude de La VaKabonde et de

1&

Naissance du jour.où les personnages féminjns sont des écrivaines, cela est doublement

important. Elles choisissent l'écriture et en tant que personnages (êtres de papier, de fiction) elles

sont des créations de la plume d'une femme qui, elle aussi, a choisi d'écrire. Colette et ses

personnages explorentl'inconn~le -Continent noÏI'». Ce que Colette trouve et nous donne dans ces deux romans, entre autres, c'est un éventail de possibilités inattendues.

Est-ce que c'est moi, poupée fantôme, cause de douleurs, de guerres, prétexte, .pour les beaux yeux» de qui les hommes font, dit Freud, leurs rêveries divines, leurs conquêtes, leurs ravages? Pas pour -moi», bien sûr. Mais pour mes -yeux-, pour que je te regarde, pour qu'il soit regardé, pour qu'il se voit vu commeilveut l'être. Ou comme il craint de ne pas l'être. Moi, donc, personne ou la mèreàlaquelle l'Éternel Masculin revient toujours pour se faire admirer (Jeune. p. 127).

Nous allons voir dans le troisième chapitre que la différence sexuelle du «regard. a un

effet puissant sur l'écriture. Selon les féministes postmodernes, le regard qui est dirigé vers la

mère a pour l'homme et pour la femme des motivations différentes: regarder la mère sera pour

l'homme «se faire admirer» comme le ditH. Cixous, ou bien pour y trouver ce qu'iln'est pas.

Mais pour la femme, ce n'est pas la même chose. Dans Another Colette, L. Huffer a employé les

théories de L. Irigaray pour illustrer la difficulté du projet colettien dans La Naissance du jouroù

la mère (<<Sida-) semble être au centre de la réflexion chez la nanatrice:

[...]Through the process ofwriting as a repetative return to the mother, the son must ultimately reject her as bis unreppresentable other, as the pole of (sexual) difference tbat

(22)

14

founds his existence. So, whereas the writer-as-son validates, through writing, an autonomous self that rejects the mother [...] the writer-as-daughter is caughtwith the mother in a circular structure where self and other, creator and created, lack the well-defined contours of the masculine authorial project. [...] The daughter thus becomes doubly aIienated from an inscription of self: not only does she fail to create her own portrait (one degree removed - self becomesart), but even the alleged portrait is only her model.

The epigraph that opens Break of Day [...] exposes the ambiguity ofthis

relationship between the writing daughter and her maternai model. For model (modèle) means both that which is imitated and that which imitates: it is both archetype and copy, étalon and maquette. [...] The maternal figure,the~constitutes a metaphor for creativity and, as part of a signifying syste~serves as a representation ofthe genesis and limits of

~Titingher (Huffer, p. 16-17).

Nous avons déjà mentionné la critique de Freud par Lacan comme jouant un rôle

important dans la pensée des féministes postmodemes. L. Irigaray examine la pensée de Freud en

partie pour les raisons suivantes:

Freud donneàvoir ce qui jusqu'alors pouvait fonctionner tout en restant implicite, occulté, méconnu: l'indifférence sexuelle dont se soutient la vérité de toute science, la logique de tout discours. Ce qui se donne clairementàlire dans la façon dont Freud détermine la sexualité de la femme. [...] Le «féminin- est toujours décrit comme défaut, atrophie, revers du seul sexe qui monopolise la valeur: le sexe masculin. (...] Tous les énoncés décrivant la sexualité féminine négligent le fait que le sexe féminin pourrait bien avoir aussi une «spécificité- (Ce sexe, p. 67-68).

Nous savons que les études sur Colette sont très nombreuses et nous ne pouvons pas

présenter ici un état présent detoute la recherche sur son oeuvre. Mais ce que nous espérons

faire, c'est de tracer un état présent des études oùilest question de son rôle dans l'évolution du

féminisme, et aussi des études oùilest question de son écriture «féminine-; cela renvoieà

«l'écriture féminine» définie par H. Cixous; mais il est aussi important de considérer les critiques

qui l'associent auxtraits attribués aux femmes (par exemple l'idée que les femmes sont plus proches de la nature, et que Colette illustre cette vérité dansson oeuvre).

(23)

15

La féminité de Colette

Nous pensons que le concept de .féminité- est dangereux. Peut·être qu'il existe quelque

chose de naturellement féminin. mais ce n'est sûrement pas ce que désigne .la féminité- dans la

culture occidentale (d'aujourd'hui et de la Belle Époque). L. lrigaray ra bien dit lorsqu'elle

affirme: «Cette «féminité. est un rôle, une image, une valeur, imposés aux femmes par les

systèmes de représentation des hommes. Dans cette mascarade de la féminité, la femme se perd,

et s'y perd à force d'enjouer- (Ce sexe, p.80). Nous pensons que Colette a aidé la cause du

féminisme sans avoir recours aux théories complexes: en montrant ce que les personnages

féminins peuvent être, elle a changé le concept de -féminité. qui jusque là a déterminé les

personnages. (cIl faut tuer la fausse femme qui empêche la vivante de respirer. Inscrire le souffle

de la femme entière [...] Il est temps que la femme marque ses coups dans la langue écrite et

orale)) (<<Le Rire)), p. 43). Sans même le dire autrement que par la fiction, Colette a aidé à tuer

cette «fausse femme., cette idée préconçue de ce qu'une femme doit être (en vie et en littérature).

Au sujet du regard des personnages de Colette, il se trouve des critiques qui s'y

intéressent dès le début de la carrière de la romancière. On a souvent dit que son écriture possède

un caractère féminin. Quels critères jouent pour détenniner si elle est un .exemple- de la

féminité? Nous remarquons l'écart entre les critiques qui proclament la féminité de Colette en

tant que manifestation de la nature féminine (définie traditionnellement), et ceux qui disent

qu'elle pratique une écriture nouvelle grâce aux personnages qui regardent de leur position en

marge, d'un point de vue -autre-. Le piège est ici de tenter d'établir où les critiques se sont

fourvoyés dans leur conception de ce qui est -féminin-. Une femme peut posséder un nombre

(24)

16

S~il s~agit bien de mettre en cause la «féminité», il ne s'agit pas pour autantd~élaborerun autre «concept. - à moins pour une femme de renoncer à son sexe et de vouloir parler comme les hommes. Pour élaborer une théorie de la femme, les hommes, je crois,

suffisent. Dans un langage de femme(s), le concept comme teln~auraitpas lieu (Ce sexe, p.122).

En mettant en scène des personnages différents et qui sont capables de profiter des

avantages de leur position dans la marge, Colette aideà démolir le mystère qui peut être une force d'oppression. Même si le mystère féminin est présenté comme attirant, il est une force qui

met la féminité dans une catégorie de «noir» ou d'«incompréhensible•. Nicole Jouve crée l'image

d'un autre phénomène pour montrer ce que symbolise cet acte d'écrire:

Perhaps the women in that period had to cut (theirhair]~as they did (...] because the weight of men's images had become too heavey to carry? 'Vou tell me it is like a fleece, a forest, the ocean, the sky, a rope: That l am ananimal, nature itself: Look, l've eut il, it's short like yours: l am a human being (Jouve, p. 95).

Dans son ou\tTage Le Roman féminin, M. Mercier affirme:

Colette n'a pas une vision du monde toute faite. Elle n'appartient pasà un courant littéraire ou philosophique bien déterminé. Elle évite la généralité; ses personnages sont décrits d'un point de vue subjectif (Roman, p.12).

Cela est capital pour notre étude. Nous ne sommes pasàla recherche de règles, de lois universelles, mais nous cherchonsàétablir la possibilité d'une réalité multiple que Colette a

montrée dans la spécificité des points de vue de ses personnages. Nous avons dit que nous

n'acceptons pas qu'il existe des qualités naturellement féminines ou masculines. Nous ne

pouvons pas affirmer que Colette pensait la même chose. M. Breejaart et M. van Buuren ont

même signalé: «Au fond Colette, si 'féministe' qu'eUe soit par certains côtés, ne réussit pasà se dépêtrer totalement des conventions traditionnelles de féminité et de masculinité, tout en

• admettant qu'une femme puisse bien a-loir des traits masculins et inversement.9 •

(25)

17

Tout en croyant qu'il n'existe pas une «essence. féminine, nous ne sommes pas en

désaccord avec des critiques qui retrouvaient chez Colette une tendanceà décrire une nature

féminine. Il faut souligner que nous n'essayons pas d'imposer nos croyances àtravers Colette. Comme M. Mercier dit dans son article «Colette: Marginalité et reconnaissance sociale.: «[...] Ce

motif [sociologique] n'est en fait qu'un fond de tableau sur lequel s'enlève, sur lequel la

romancière fait s'enlever l'essentiel, qui relève moins d'une culture que d'une nature

[...]-(<<Marginalité», p. 109-10).

Toutefois, si elle croyait dans l'existence d'une nature humaine/féminine, celle-ci o'est

pas conformeàce que la culture désignerait. L'important pour nous est que Colette détruit la fausse définition du féminin. Dans son étude Colette: A studyof the short fiction, Dana Strand reconnait une différence d'opinion chez les critiques sur la défmition de «l'identité•. Mais, l'idée

principale se trouve dans le fait que «[...] her writing systematically dismantles oppositional

'truths,' commonly expressed in the 'clichés' of gender and sexuality"lo.

Même si elle ne le faisait pas avec la même idée de laquelle nous partons pour cette

étude, Colette a montré la possibilité que lestraitsqu'on désigne par «masculins. ou «féminins.

se trouvent chez les deux sexes. Une tactique qu'elle a employée et qui nous montre que certains

traits ne sont pas «masculins. est de les intégrerà la personnalité d'une figure féminine. Cela montre qu'il n'est pas contradictoire pour une femme d'être «agressive., par exemple:

Outre la sensualité, l'agressivité est un aspect important du regard chez Colette. Regarder l'objet de son désir est chez la femme une activité qui peut devenir agressive, s'il s'agit de s'emparer de cet objet. La femme n'est plus un ange, elle va droit au plaisir (...] (Brejaart et van Suuren, p. 91).

(26)

18

Ce n'est pas à nous de déterminer si Colette croyait en une féminité essentielle/naturelle. Mais ilest possible de postuler que certains de ses personnages féminins aidentà détruire les fausses conceptions du féminin. En créant des personnages qui brisent les frontières imposées

auxfernmes~Colette ouvre la porte sur la diversité. En explorant le -Continent Noir- sans même se soucier des théories selon lesquelles sa réalité n'existe pas, elle l'inscrit dans L'existence. C'est

un acte libérateur, mais nous ne pouvons pas dire que cela implique du féminisme chez elle.

Voyons maintenant pourquoi.

Colette féministe?

Colette féministe? tout le monde s'indigne. Et de répéter qu'elle même avait cLairement proclamé qu'elle ne l'était pas. C'est qu'on joue sur les mots. Si être féministe consisteà s'inscrire au M.L.F. ouàdevenir lesbienne militante ouà participer activementà la lutte de la suffragette et de ses descendantes, incendiaires de soutien-gorge et agitatrices de ciseaux castrateurs, non, Colette n'était pas et n'aurait pas été féministe. Mais, s'il s'agit d'attaquer le Pouvoir masculin dans un combat individuel pour sa propreautonomie~alors Colette était féministe11

La fiction deColette~ parce que ses personnages cregardent- comme elles lefon~est libératrice. Dans cette citation, M. Sarde pointe le problème du terme -féministe-12

• Et L. Stîvale

a bien cerné ce problème dans sa thèse: .While (...] critics bave disagreed about ber feminist

(cstatus», my own reconsideration of ber novels bas revealed modes of resistance to various

systems ofpower~modes that destabilize the grounding notions of patriarchy, modes that l ultimately identify as feminist for their emphasis on the epistemological interrogation and

challenge [...]"13. La question n'est pas nouvelle: est-ce que Colette était féministe? Nous n'allons pas y revenir, cela serait une perte de temps. Nous ne pouvons pas tirer Coletteà L'époque actuelle et lui demander si eUe serait féministe en 1997. Nous ne pouvons pas dire si elle était

(27)

19

consciemment ou non féministe. La notion du féminisme n'est plus ce qu'elle pouvait être à

l'époque. Nous ne pouvons pas non plus imaginer qu'elle ne voyait pas que les femmes vivaient

dans certaines conditions injustes~mais cela ne veut pas dire qu'elle a essayé de donner des solutions par la fiction:

Colette, de sa part, touche bien aux problèmes essentiels: les rôles fixes, la domination, le corps supprimé, l'inacceptation des autres formes de concubinage etc. Mais elle n'est pas guerrière, une féministe. Elle ne vise pas à un bouleversement cultureL À son époque cela était impensable. C'estpourtantgrâce à Colette qu'une discussion a pu être entamée

(Breejart et van Buuren, p. 102).

De plus, nous savons que même aujourd'hui il estdifficile~voire impossible de définir le terme ccféminisme» sans tomber dans des généralisations et des préjugés. L. Irigaray explique

bien une préférence que nous partageons avec elle: crIe préfère parler au pluriel, des mouvements

de libération des femmes. En effet, les groupes et les tendances dans les luttes des femmes sont

aujourd'hui multiples, et les ramener à un mouvement risque d'entraîner des phénomènes de

hiérarchisation, des revendications d'orthodoxie [...]» (Ce sexe, p.159). Nous n'avons que les

oeuvres qui viennent directement de la plume de Colette, et pour notre étude ils'agit de textes de

fiction. Il ne faut pas prendre la fiction pour des écrits théoriques. Si la fiction de Colette nous

amène à mettre en question les fondements de la société que nous voyons comme patriarcale,

nous pouvons peut-être parler de ces écrits en termes de textes féministes.

Le féminisme de l'époque de Colettes~occupaitau droit de vote et de l'enseignement parmi d'autres droits d'ordre économique et politique. Rappelons que nous parlons aujourd'hui

d'un féminisme qui se présente après Freud, après des critiques de Freud, après une révolution

sexuelle. Comme nous venons de le signaler, iln'existe pas un mouvement féministe. Pour notre

(28)

20

libérer les pensées des préjugés~des façons depenser~et des catégories rigides quel~onemploie pour décrire des êtres humains divers. On ne cherche pas chez Colette des réponses universelles

aux grandes questions théoriquesl4 •

Certains voient cela comme un manque de profondeur chez elle. L. Stivale~tout comme M. Sarde, a résumé les critiques qui voyaient chez Colette le manque degénéralisation~et sa proximitéàla nature dans sa fiction, en tennes de faiblesse. Dans sa thèse, elle rappelle que Jean

Larnac~Paul Reboux et Robert Sigl soulignent son style naturel comme lié au faitqu~elleest une femme. M. Sarde signale aussi que ce genre d'assimilationà la nature (qui implique unmanque~

en quelque sorte) continue de nos jours dans des histoires littéraires comme celle de Pierre

BruneI (Stivale, p.6). Lorsqu'il est question de nature contre culture, Stivale nous avertit que cela

est «[...] a dichotomy that readily conflates women into the less valued 'natwal' component of the

dyad'») (Stivale, p.7).

L. Huffer a signalé que, parce que Colette a écrit sur des événements de son époque d·un

point de vue «féminin-, les critiques l'ont trouvée trop distanciée des questions importantesàses

contemporains (Huffer, p. 7):

[...] Critics who attempt to read Colette historically use -historical. criteria to devalorize and even dismiss her work as trivial or outside the literary mainstream. [...] Colette superficially appears untouched by [...] social,cultural~and political events. [...] These evaluations are based on narrow definitions of what constitutes the «political. or the «social,» definitions that necessarily ignore and exclude the constructedness of gendered experience. Colette~swritings about World War 1 [...] and World War II [...] forexample~

inscribe those global events through the perspective of a female subject who suffers away from the front. [...)In view ofthis particular construction ofhistorical events, it is not surprising that Colette has been especially popularwithwomen readers and that [...] ber reputation has suffered accordingly (Huffer, p. 7).

(29)

21 Sa façon de s'adresseràl'homme et de regarder l'homme a été étudiée par M.

Biolley-Godino qui conçoit ce processus comme un renversement des rôles masculin et féminin. Cela

implique une démythification de l'homme, en le regardant comme l'objet de l'amour féminin:

Elle s'insurge contre les préjugés, elle rétablit sa propre vérité, elle relève la différence qui existe entre la façon dont les hommes voient les femmes et la façon dont les femmes se voient. (...] Nous présentant ses héroïnes sous un jour nouveau, Colette nous impose du même coup une vision neuve de leurs rapports avec les hommes [...] en installant [...

l

avec des yeux pour voir et un esprit pocr juger, une femme consistante que font rire les préjugés masculins ou les vieilles conventions littéraires, elle nous entraine de l'autre côté de la barrière et renverse les rôles. C'est le poi,nt de vue féminin qui nous est offert: l'Autre [...

l

c'est l'homme. Vu et jugé par sa partenaire,ilperd ses prérogatives de sujet

[...l

C'est en fait d'une véritable révolution du regard qu'il s'agit. Colette est le premier écrivain à se poser en sujet en face d'un homme devenu objetls

Nous savons que le renversement du regard n'est pas aussi simple que l'appropriation,

chez la femme, d'un comportement masculin: ils'agit plutôt de regarder en tant que sujet, en tant

que femme:

[...] Ce modèle nouveau qui n'est plus celui proposé par l'homme depuis l'invention du roman, Colette l'inaugure à partir du regard que son expérience de femme lui fait jeter sur l'Autre: sur l'homme. Elle n'emprunte jamais une vision masculine, un point de vue qui irait de soi; elle porte sur les choses et sur les êtres, sur l'amour, un regard qui est

absolument le sien, comme si une sorte d'immense accomplissement s'opérait enfin dans une conscience féminine - et dans une écriture totalement accordée. Pour la première fois dans le roman français, une femme parle en tant que telle, crée des personnages féminins alimentés de l'intérieur, de même qu'elle invente des personnages d'hommes vus par une créatrice16.

Nous avons les oeuvres de Colette, et c'est là où nous allons chercher les traces d'une

libération de sa pensée. Sans leur donner une étiquette, nous allons envisager les principaux

personnages dans La Vaiabonde (Renée Néré) et La NaiSSance du jour (.Colette»). Nous nous

demandons si ces oeuvres offrent une alternative aux destins féminins de son époque, et ce que

(30)

22

Notons comment une critique a expliqué la façon qu'a Colette de donner une connotation

positiveà la réalité féminine. C'est l'inverse de l'enfant perpétuelle; ilest beau d'être une femme qui connaît des choses et une femme qui, en perdant son innocence7 acquiert la beauté d'une

femme mûre. Le «Manque» est tout simplement inexistant:àsa place on trouve des personnages

qui possèdent quelque chose. C'est une connaissance féminine, une connaissance qui rend le

personnage plus beau: «Colette draws a composite portrait of the coming of maturity to women

[...] [and she is] [...] one of the first demystifiers offemale adolescence (...] Colette's young

women have that special kind of innocence which grows, not withers, withthe gradualloss of

ignorance» (Stockinger, p. 19). Rappelons-nous ce que dit H. Cîxous lorsqu'il est question de se

connaître: les femmes ont appris qu'il ne faut pas explorer le -Continent Noir»; mais Colette nous

montre des personnages qui font justement cela. Lorsqu'il n'y a pas un mystère, nous ne devons

pas avoir peur. Si se connaître n'est pas un risque, nous trouvons qu'il n'y a plus besoin de

craindre ce qui n'est pas donné aux femmes par la culture et le langage masculin. «Regarder.

Nous regardons à travers les yeux des Personnages qui découvrent leur monde, leur réalité et leur sexualité. Ils ne trouvent pas ce qui est supposé être là, mais ces personnages féminins sont

capables de survivre et de trouver du plaisir dans la vie. Il n'est pas nécessaire de désigner

quelque chose comme «féministe»àcause de sa nature libératrice. Les histoires des femmes sont les nôtres dans les romans de Colette. Regardons avec elles leur monde et leurs drames d'amour,

(31)

23

Le regard: l'accent mis ailleurs

(...) There is no metaphysical anguishinColette'sworld~as there is no deep concemwith

the violent political upheavals and catastrophes of this century. There is always, however, an implicit moral imperative, applicable, not to groups of men or to their salvation, but to the individual in his everyday existence. This moral imperative is containedinthe word 'Regarde' which meant to Colette, loo~feel, wonder, accept, live. It was the word most often used by her mother, Sido, and it was the last word which Colette uttered before her deathl7

Nous étudions iciLaVa~abondeet La Naissance du jour. mais nous pouvons trouver des exemples dans d'autres textes de fiction de Colette qui nous guideront. Nous tentons de discerner

le regard et ses implications dans les chapitres qui suivent. Un bon exemple d'une nouvelle qui a

été étudiée d'une façon semblable à ce que nous proposons pour notre recherche est .Le

Tendron». C'est l'histoire d'un homme d'environ cinquante ans qui élit pour maîtresses des jeunes

femmes. En vacances à la campagne, il trouve une jeune fille de quinze ans qui change pour

toujours sa préférence. Voyons deux critiques qui montrent comment Colette décrit la

personnalité d'Albin Chaveriat d'abord (ce qui relève d'un chauvinisme et d'un sexisme qui

n'étaient pas rares à l'époqueI8),et puis comment une fille et sa mère réagissent d'une manière

inattendue Lorsqu'elles sont confrontées à la haine des femmes. Dans «Defining An Ethics From a

Later Short Story by Colette-, ADnDuhamel Ketchum a bien situé l'histoire et Les personnages. Selon Ketchum, Louisette n'est pas une victime de Chaveriat. Elle l'utilise pour son

propre plaisir. Chaveriat a une préférence pour les tendrons parce qu'il aime les dominer. Mais

chez Louisette, il ne trouve pas ce qu'il attendait: il trouve en eUe un .maître-.

Louisette is a child ofNature. Earlyaware of the needs ofher senses, she sets about, with

simplicity to gratify them. When her choice falls on Chaveriat, it expresses itself with passion and with a directness of purpose which startleshinta bit when she unhesitantly surrenders her body. But nothing else. Her ownlife~her person remain totally private and entirely inher control. The only opinion she clearly cares for is [...] her mother's (...].

(32)

24 (...] She easily relinquishes her virginity, simply because it is not the important thing to preserve. Butinail circumstances she retains her dignity [...jl9 .

IeLA. Ketchum. a signalé un thème que nous retrouvons dans d'autres oeuvres de Colette: l'importance de la mère. Dans ce mémoire cela va être évident lorsque nous examinons La

Naissance du jour. C'est un élément clef de reconnaître pourquoi la mère et son opinion sont tellement importantes. A. Ketchum a déjà parlé de l'importance de la dignité; la dignité se préserve chez les filles (etdonc chez les femmes) grâce à la place qu'elles occupent sous le regard de leur mère: «[...]For Colette, [the greatest need ofwomen] remains the awareness of their priceless value in a world which uses them, abuses them as another priced commodity, the better to deny them equality- (Ketchum, p. 76).

Ketchum n'est pas la seule qui trouve dans sa lecture des renversements de rôles et une description de l'espace féminin dans cette histoire. M. McCarty a écrit dans «Possessing female space: 'The Tender Shoot'- que des personnages comme Louisetteu[...]are of course physically present in the same old world, yet are emotionally, psychologically, and linguistically unfettered by patriarchal convention- (McCarty, p 367). Elle partage plusieurs vues avec A. Ketchum, mais notons deux idées importantes qui vont se retrouver dans notre étude des deux romans retenus: le rôle de la mère et la voix féminine narrative de Colette qui orientent ce qui est «regardé- (ou bien, mis en question). M. McCarty affinne: «Ali ofColette's work cao be seen asanexodus from patriarchal space [et] 'Le Tendron' is revelatory ofColette's view offemale space- (McCarty, p. 369). Lorsque la mère de Louisette les découvre tous deux à l'intérieur de la maison, voici le commentaire de la critique:

Louisette's flirtation with a manfrom outside the walls ofher female domain is

(33)

25

ridicules Albin.

(...] Louisette's mother bas actively prevented berdaughter from being abducted by themaIe~ an~ indeed~has sent the male away forever.

(...] The mission of [...] mothers is not the repressive condemnation of desire in young girls. [...] Motherslmentors are intervening not to keep their daughters forever

virgin~but to prevent them from becoming the victim in a sexual power relationship. [...] The 'tender shoot' must he nurtured and cared forinthegarden~an allegorical

embodiement of female space in which diffused and abundant sexuality is a positive force. If Albin bad been an appropriate (equal) partner for Louisette, the couple would have made love inthe garden, ina natura! setting, [...] with the mother's blessing [...]. But Albin is an aging roué without reallove for Louisette, a patriarchal power figure who will do nothing but corrupt her native sensuality; this makeshima demon who must he

exorcised (McCarty, p. 372-73).

Alors nous voyons que les pulsions sexuelles ne sont pas, pour Louisette, des causes de

honte. Cela est lié au vrai rôle de la mère. Il vaut la peine d'examiner encore comment les

pulsions et la proximité avec la mère, selon H. Cixous et L. Irigaray, sont liées dans resprit

féminin:

Aucune femme n'empile autant de défenses anti-pulsionnelles qu'un homme. [...] Même si la mystification phallique a contaminé généralement les bons rapports, la femme n'est jamais loin de la «mère- (que j'entends hors-rôle, la «mère- comme non-nom~et comme source des biens). Toujours en elle subsiste au moins un peu du bon lait-de-mère. Elle écrit en encre blanche (<<Le Rire-, p. 44).

Essentialisme? Est-ce que H. Cixous dit bien que les femmes n'ont naturellement pas les

mêmes défenses contre leurs pulsions? Ou bien est-ce que cela implique que les femmes, à cause de (grâce à) leur exclusion de l'ordre établi, ont un autre système de valeurs?Sûrement~elle ne peut pas être en train de dire que les femmes possèdent une essence propre à leur sexe?

Dans sa thèse dedoctora~L. Stivaie se réfère aux mêmes théoriciennes que nous(H. Cixous. L. lrigaray et, d'une manière plus élaborée que nous, J. Kristeva). À un moment donné

(34)

26 théoriciennes. Cette difficulté se présente lorsqu'il est question de l'importance de la mère et de

l'association, dans La Naissancedujour, entre mère et mer:

In an intertextual echo, .Colette-'s1Jl'[!~metaphor, which plays on the creative power of the female body and the sea, resounds in Irigaray's theorizing of fluidity. Irigaray associates the sea both with pregnancy and femalejouissance [...J.Yet such metaphors, in their incorporation of the female body, inevitably raise questions conceming essentialism and the ways inwhich physiologically based feminist arguments May play into the

traditionally restrictive and prescribed notions of "womanhood" that they are attempting to rewrite. [...] Diana Fuss argues that the move toward essentialism in Irigaray's female body metaphors is a deliberate one. [...} Far from undennining Irigarays theoretical positions, this essentialism succeeds instead in disrupting the patriarchal concept of female «essence- eStivale, p.136-37Yo.

Le sujet principal de notre étude est le regard des personnages féminins dans La Vaaaboode et

dans La Naissance du jour. Comment ces personnages «regardent-ils- d'une façon nouvelle (ou

bien de plusieurs façons Douvelles), et comment ce regard est-il l'inscription dans l'écriture d'un

espace féminin qui était jusqu'ici muet?

Dans l'oeuvre colettienne se trouvent plusieurs personnages féminins qui ne se

conforment pas aux normes établies. Voyons par exemple un article intitulé -La Retraite

sentimentale ou la représentation romanesque de la libération», par Béatrice Didier. Nous

pouvons voir que l'ensemble de l'oeuvre de Colette, et non seulement les deux romans choisis,

peut être étudié en tant qu'écriture libératrice. Signalons quatre aspects de cet article que nous

allons retrouver dans notre étude. L'absence (presque totale) de l'homme dans la vie de l'héroïne

colettienne contribueàson aptitude à se découvrir, et ce faisant, à trouver sa liberté. Dans son article sur La Retraite sentimentale.. B. Didier affirme: -[La] découverte de l'indépendance se fait

parallèlement à l'expérience de 17absence de l'homme: absence qui, curieusement, donne au texte • sa structure»21. B. Didier a souligné l'importance des lettres. La lettre est une forme de discours

(35)

27 typiquement associée aux femmes. Dans La Rettaite sentimentale ainsi que dans La Vaaabonde

et dans La Naissance du jour, les lettres jouent un rôle-clef dans le déroulement du récit et de

l'auto-découverte de l'héroïne: «Dans cette trame romanesque dont l'événement a été en quelque

sorte évacué, deux éléments vont en tenir lieu, avec une fréquence assez remarquable: les lettres

et les récits (Didier, p.215)>>. De plus, la voix narratrice appartient à la femme, et 11tistoire est

racontée à travers son regard: «La parole est à la femme. L'homme est presque réduit au silence,

et s'il parle, sa parole est retransmise par la voix unique de la femme (Didier, p. 216-17)>>.

Finalement, nous trouvons là des points de résistance contre l'idéologie dominante:

La Retraite sentimentale repose tout entière sur une contradiction extrêmement révélatrice de la situation de la femme au XXe siècle et en particulier en ces toutes premières années du siècle. Le pouvoir appartient théoriquement à l'homme qui triomphe dans la société bourgeoise et phallocratique. [...]àCasamène, quelque chose est en train de changer, sans révolution apparente. (...] Parce que la santé appartient aux femmes, l'équilibre, une sorte de stabilité à toute épreuve, c'est elles qui deviennent, dans leur solitude, maîtresses d'elles-mêmes. Et du même coup, l'opposition masculin/féminin traditionnelle se trouve mise en cause (Didier, p. 218).

Les personnages féminins de Colette nous offrent des regards inattendus. Nous verrons

que les deux personnages étudiés dans les prochains chapitres se voient eux-mêmes et regardent

le monde et les êtres non pas selon les règles du comportement féminin reçu de l'époque, mais en

tant qu'individus, à la fois femmes et artistes. Les valeurs traditionnelles de la culture

occidentale sont mises en question par le fait que ces personnages mettent l'accent sur autre

chose: l'institution du mariage n'est pas plus importante que la quête d'identité et son expression,

dans La Vaiabonde; l'importance de la mère et la valorisation du vieillissement montrent que

peuvent exister non seulement le pouvoir mais aussi le désir de choisir autre chose que l'amour

(36)

28

1. M.McCarty~ «Possessing the Female Space: 'The Tender Shoot'., p. 367. 2. H. Cixous, «Le Rire de la Méduse., p. 39.

3. N. Jouve, Colette, p. 167.

4. M. Mercier~ Le Roman féminin, p. 12.

5. Losqu'il s'agit d'une idée ou d'une théorie commune aux trois, nous allons nous référer à elles comme aux «féministes postmodemes-, mais le plus souvent nous allons préciser leur identité.

6. A. Vézina, La Femme dans l'oeuvre de Colette et deVin~iniaWoolf: p. 24. 7. J. Stockinger, «Colette Today., p. 20.

8. H. Cixous, La Jeune Née, p. 115-16.

9. M. Brejaart et M. van Buuren, «Amour et lesbianisme chez Colette-, p. 96.

10. D. Strand, Colette: A study of the short fiction, p. xiv.

Il. M. Sarde, Colette. libre et entravée, p. 37.

12. À la différence de M. Sarde, nous ne pensons pas qu'il soit question d'adopter les qualités masculines (comme l'autonomie) pour se libérer. De plus, nous n'allons pas rEpondreàla question «Est-ce que Colette est féministe?-.

13. L. Stivale. Writin~and Modemity: Colette's Feminist Fiction, p.177.

14. Dans «Colette ou l'univers féminin- J. Cressanges affirme: «Il ne faut pas chercher, en lisant ('oeuvre de Colette, une réponse à ce qu'il est convenu d'appeler 'les grands problèmes'. Dans ses livres elle n'a engagé qu'elle-même [...]. (Cressanges, p. 82).

15. M. Biolley-Godino, L'homme-objet chez Colette, p.10.

16. J.-P. Duquette, Colette: L'amour de l'amour, p. 6.

17. E. Marks, Colette, p. 8-9.

18. «While 'tendron' can refer to a tender shoot ofa plant, it also means a very young nubile girl who is often the object of desire by an older man. The Petit Robert dictionary provides an old aphorism to illustrate its common usage: 'Il lui faut des tendrons'. This story will trace the fascination of the aging Lothario Albin for young Louisette, an attraction which the aphorism seems to codify as once having heen fairly accepted, ifnot wide-spread. (McCarty, p. 370).

(37)

29

20. «The dominant line of patriarchal thought since Aristotle is built on this central contradiction; woman has an essence and it is matter; or put slightly ditTerently~ it is the essence of woman to have no essence. To the extent that Irigaray reopens the question to essence andwoman~saccess to it~ essentialism represents not a trap she falls into but rather a key strategy she puts into play~

not a dangerous oversight but rather a lever of displacemenbt (dans Stivale~p. 138).

(38)

30

Chapitre deux

Le regard de Renée ou ridentité d'une écrivaine Il ne rit pas, parce qu'il me désire.

Il ne me veut aucun bien, cethomme-I~il me veut (Ya&abQnde, p. 1079).

Que vas-tu faire dans cette galère... pas même! dans ce bateau-lavoir, solidement amarré, oùl'on blanchit une lessive patriarcale? (Ya&abonde, p. (223).

A cette douleur près, ne suis-je redevenue ce que j'étais, c'est-à-d.ïre libre, affreusement seule et libre? [...) Au lieu de lui dire: ccPrends-moi!- Je lui demande: ccQue me donnes-tu? Un autre moi-même? Il n'y a pas d'autre moi-même. Tu me donnes un ami jeune, ardent, jaloux, sincèrement épris? Je sais: cela s'appelle un maître, etfen veux plus... Il est bon, il est simple, il m'admire, ilest sans détour? Mais alors, c'est mon inférieur, et je me mésallie... Il m'éveille d'un regard, et je cesse de m'appartenir s'il pose sa bouche sur la mienne? Alors, c'est mon ennemi, c'est le pillard qui me vole de moï-même!... J'aurai

tout~tout ce qui s'achète, et je me pencherai au bord d'une terrasse blanche, oùtuvis, reviens parmi tes égaux... Je n'ai pas d'égaux, je n'ai que des compagnons de route...• (Yaiabonde, p. 1126).

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Dans ce deuxième chapitre nous entreprenons une étude de La Vaaabonde. Nous avons

dit dans le premier chapitre qu'il existe quatre choses qui signalent un regard féminin chez les

héroïnes colettiennes: l'absence de l'homme (ou bien une présence qui n'est pas la plus

importante dans l'histoire); l'importance des lettres (forme d'écriture typiquement féminine); la

voix féminine; et des points de résistance contre l'idéologie dominante.

Les femmes qui écrivaient autrefois, comme celles qui écrivent aujourd'hui, expriment nécessairement une part de leur réel. Le texte d'une femme est toujours une transcription, une modélisation d'une réalité vécue différemment et qui s'oppose donc nécessairement au discours dominant que tiennent les hommesà l'intérieur de la culture littéraire. [...] Les valeurs masculines étant le point de référence essentiel d'une société patriarcale, une vision autre se situera obligatoirement en opposition1

Renée Néré est donc le personnage principal dans LaVa~abQnde.Elle est divorcée et alors qu'elle publie plusieurs romans, elle abondonne son métier d'écrivaine pour gagner sa vie

comme actrice et danseuse au music-hall. Dans ce roman nous trouvons une femme qui danse

devant les gens de la classeàlaquelle elle appartenait avant son divorce. Elle préfère cette humiliation au mariage opprimant, et elle se trouve capable de surmonter l'humiliation en

charmant l'auditoire au «cachet en ville- par sa danse CYa~abonde,p. 1099). Elle est consciente des dangers de la vie d'une femme seule parce qu'elle est entourée de gens qui vivent dans la

misère ou qui craignent pour leur avenir, confrontésà la maladie ou au chômage. Renée connaît le danger de croire qu'un homme Peut tirer une femme de sa vie difficile, car elle a vécu une

existence douleureuse avec son ancien mari. Avec Taillandy, en effet, l'amour est le nom donné

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gagne sa propre vie. Elle se méfie des hommes et elle chérit ses rares amis (Hamond et Margot),

son travail, et ses camarades (comme Brague) au music-hall.

En décrivant son existence, Renée proclame que la capacité de survivreà un amour raté est une qualité proprement féminine:

«Elle meurt de chagrin... Elle est morte de chagrin...• Hochez, en entendant ces clichés une tête sceptique plus qu'apitoyée; une femme ne peut guère mourir de chagrin. C'est une bête si solide, si dureà tuer!

(...] Soyersûrsqu'une longue patience, que des chagrins jalousement cachés ont fonné, affiné, durci cette femme dont on s'écrie:

-Elle est en acier!

Elle est «en femme., simplement, et cela suffit.

La solitude... la liberté, mon travail plaisant et pénible de mime et de danseuse... les muscles heureux et las, le souci nouveau, et qui délasse de l'autre, de gagner moi-même mon repas, ma robe, mon loyer... voilà quel fut, tout de suite, mon lot, mais aussi la défiance sauvage, le dégoût du milieu où j'avais vécu et souffert, une stupide peur de l'homme, des hommes et des femmes aussi... (Ya&abonde, p. 1087-88).

Nancy K. Miller a reconnu l'importance de ce passage dans une critique féministe, parce

qu'ici nous pouvons soupçonner que Colette est entraind'élaborer l'esquisse d'une -essence. féminine2

• Il nous semble, tout commeàN. Miller, que cela n'implique pas un essentialisme chez

Colette. Mais, comme nous

r

avons vu au premier chapitre, Colette crée des personnages

féminins qui montrent une capacité de survivre, de trouver de quoi continuer à aimer la vie après

un échec amoureux ou, comme pour Renée, dans une solitude et une liberté fragiles. Il n'est pas

explicitement dit par Colette que la femme est née avec ces qualités; il est possible que les

femmes les aient dévéloppées par nécessité plus que les hommes.

Lorsque Maxime Dufferein-Chautel entredansla vie de Renée, et après une période

initiale de résistance, elle semble accepter une vie de soumissionà cet homme qui lui offie de

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