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Camus devant la critique française.

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Academic year: 2021

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Department of French Language and Literature M.A. Thesis Abstract

La gloire rapide que connut Albert Camus et le choc que provoqua sa fin tragique ont suscité autour de son oeu-vre une profusion d'opinions contradictoires truffées d'ima-ges tendancieuses, d'interprétations fallacieuses et de cli-chés mythiques.

Dans cette thèse nous avons voulu tenter une première approche du "mythe de Camus" en prenant pour modèle méthodo-logique Le I1ythe de Rimbaud du Professeur Etiemble. La ma-tière de notre recherche se limite à l'opinion française ex-primée dans les articles de revues et les compte-rendus de journaux. Le travail a pour objet d'indiquer les grandes li-gnes doxologiques qui se dégagent de la critique journalisti-que. Dans cette thèse, il ne s'agit pas de donner en contre-partie un Camus "véridique", mais de comparer les opinions pour faire jaillir les contradictions et aussi pour tenter de fixer, là où c'est pOSSible, les points de rencontre de l'o-pinion critique. Ainsi nous apparaissent des aspects de Ca-mus qui ont semblé rallier une pluralité de voix critiques: le philosophe de l'absurde et de la révolte, le moraliste-humaniste du centre-gauche, l'moraliste-humaniste athée, et le ma1tre à penser.

(2)
(3)

CAMUS DEVANT LA CRITIQUE FRANCAISE

by

Hél~e Benbaruk

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts.

Department of French Language and Li terature.

McGill University. Hontreal.

(4)

INTRODUCTION CHAPITRE l CHAPITRE II CHAPITRE III CHAPITRE IV CONCLUSION

TABLES DES MATIERES

• • • • • • • • • • • • • •

Les mythes philosophiques Les mythes humanistes Les mythes chrétiens et

anti-chrétiens

Les mythes politiques Les mythes littéraires

Les mythes typologiques et biographiques • • • • • • • • • • 1 • • • 10 • • • 46 • • •

75

• • • 107 • • • • • • • • • • • • • • • • • 132 BIBLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • • • • • • • • 138

(5)

INTRODUCTION

A la mort d'Albert C(~Us, Et1emble écr1t dans la Nouvelle Revue França1se:

"Cher Camus, comptez sur moi pour vous défendre de mon m1eux contre ce qui déjA vous trah1t: votre mythe." 1

Et1emble est orf~vre en la mat1~re: Le Mythe de Rimbaud en est la plus br11lante preuve. Cet ém1nent crit1que" a d1sséqué le mythe rimbald1en avec la préci-sion 1ncisive d'un chirurgien. Pour notre essa1, nous nous permettons, en toute hum111té, d'emprunter sa dé-f1n1t1on du "mythe". Apr~s avo1r consulté les déf1n1-tions aCadémiques, Et1emble estime que le mythe est une not1on tr~s vague:

"Il me sera1t donc 1mposs1b1e, en str1c-te méthode, de savo1r de quo1 j'écr1s si je me référa1s

A

ces diverses gloses." 2 La seconde défin1tion de Littré correspond A peu

1. René Etiemble, "D'une amit1é," La Nouvelle Bevue Française, (Mars

1960), 462.

2. René Etiemble, Le Mythe de Rimbaud: structure du Mythe, tome II, Par1s,

1961,

Ga111mard,

42 •

(6)

pr~s à ce qu'Et1emb1e entend par la not1on de mythe:

H • • • 1nvent1on d'un fa1t à l'a1de d'

une 1dée."

Et1emb1e nous exp11que donc que le mythe d'un écr1va1n se tradu1t par des "111us1ons, des erreurs d'1nterprétat1on, des erreurs co11ect1ves, des contre-sens, des 1nvent1ons ••• " Le mythe, ajoute-t-11, est formé de "fables, d'1mages, d'adject1fs, d'ép1th~tes,

de slogans, de c11chés ••• " Le danger des mythes c'est qu'11s se recoupent, et "se chevauchent, et par sur-croit, sont à la mode". Les mythes font "des ravages effrayants", constate Et1emb1e, et 11 faut les étud1er. Il aff1rme que:

"Les écr1va1ns sont toujours myth1f1és: Platon, Vo1ta1re, Lamart1ne ••• Vo11à un s1~c1e et plus que nous v1vons en p1e1n mythe. Nous nous croyons au temps de l'h1sto1re au carré, de l'h1sto1re de l'h1sto1re. Comme nos lo1nta1ns a!eux, nous v1vons en p1e1ne fable."

J

F1nalement, Et1emb1e déplore que l'h1sto1re de la pensée et celle de la littérature ense1gnent "des contre-sens fabuleux'; sur les lettres et sur la pensée", et c'est ce qui, entre autres ra1sons, donne un sens aux

J.

René Et1emble, op. c1t., Le Mythe de Rimbaud,

51.

(7)

-•

. ~.'..

"

."

vingt ans de recherches de ce brillant critique:

MEn étudiant le mythe de Rimbaud, je me propose donc de décrire une affection de l'imaginaire collectif ••• "

4

Nous nous proposons de tenter

"l

chaud", (puisque notre enqu'te ira des premiers échos critiques en France vers

1945,

jusqu'au début de

1970),

une premi~re appro--che du "Mythe de Camus".

Il va de soi que les travaux d'Etiemble nous ont servi de mod~le méthodologique, quoique les analyses qU'il a faites portent sur un écrivain dont la fortune mythique est passablement différente, et que d'autre part, on ne peut comparer une recherche qui est le fruit de

vingt ans de patients travaux et les hypoth~ses que nous essaierons d'exposer dans les limites d'une th~se de ma1trise.

Nous avons cru pouvoir, l ce niveau, limiter notre sondage l l'opinion française exprimée dans les articles de revues et comptes-rendus journalistiques, sans nous attaquer aux essais et monographies sur l'auteur. Cha-cun de ceux-ci exigerait une analyse critique approfon-die. Nous pensons que, du point de vue qui nous occupe, il s'agit plut~t d'1ndiquer les grandes lignes

(8)

g1ques qu1 se dégagent dans l'op1n1on de la cr1t1que journal1st1que frança1se et non dans les recherches

A

caract~re sc1ent1f1que.

Les proport1ons d'une th~se de ma1tr1se nous ob11-gent A l1m1 ter le nombre des revues et journaux frança1s A dépou1ller. La l1ste des revues et des journaux fran-ça1s dépou1llés se trouve dans la B1b11ograph1e.

Albert Camus a été le bénéf1c1a1re et la v1ct1me de sa glo1re rap1de. Autour de oe que Robert Kanters a appelé "cet étrange météore", appara1ssent des "1mages·, m'me des "mythes· contrad1cto1res qu1 sont largement nourr1s par les op1n1ons, parfo1s hAt1ves, de la cr1t1-que des journaux et des revues l1ttéra1res. Ma1s ajoutons que son Pr1x Nobel, prématuré selon certa1ns, et que sa mort acc1dentelle, ont auss1 contribué

A

l'élaboration de ces "1mages" disparates qui s'1nterposent entre Camus et ses lecteurs. Roger Gren1er est conva1ncu qu'

A

force de:

" ••• répéter les h1stoires et les év~­

nements vécus sous la forme pétrifiée d'anecdotes, on f1nit par fabriquer une légende qui est le contra1re de la v1e.·

5

Les clichés camusiens ex1stent: il suffit pour

5.

Roger Gren1er, "A Combat,· La Nouvelle Revue Fran-ça1se, (Mars 1960),

474.

(9)

1)

E\

~

s'en convaincre de prendre note des "épith~tes" dont la critique journalistique française a bien voulu orner "le personnage" et l'oeuvre de Camus.

On l'a catalogué "philosophe de l'Absurde", puis "philosophe de la Révolte". On a voulu faire de lui le "ma1tre

A

penser" de sa génération, et par dérision, certains l'appel~rent "ma1tre l sentir".

"Idole de la jeunesse", s'écrient ceux qui consul-tent les statistiques prouvant la popularité des livres de Camus aupr~s de la jeunesse estudiantine.

On l'étiquette "Saint-Camus le Juste", parce que, para1t-il, c'est un "saint-la!c" l la mode de Saint-Exupéry. Ensui te, on blAme le jeune homme de l'absurde et de la révolte de devenir un "bonhomme des pompes

officielles" lorsqu'il reçoit le Prix Nobel. C'est alors qu'on s'exclame: "Mais non, Camus n'est pas le prince de la Révolte, mais p1ut~t le prince des Bien-Pensants".

Une étiquette, dont les critiques sont tr~s friands, est celle de "l'humaniste-athée". En effet, dira-t-on, Camus inCarTle "l'amour des hommes, et le respect de la vie".

La critique a beaucoup spéculé sur le couple Camus-Sartre. Ce couple, a-t-il vraiment existé? On a aussi comparé Camus l Nietzsche, et l Saint-Exupéry. On a m'me voulu voir en lui le "remplaçant de Gide".

(10)

. .,.. ~

e

...

..

On le dira pa!èn, athée, agnostique, catholique, chrétien en général •••

En ce qui a trait A l'engagement politique, on a voulu d'abord le mettre A gauche, A cause de sa préten-due "amitié" avec Sartre et les existentialistes; puis, lui reprôchant "son silence" sur la guerre d'Algérie, on l'a repoussé vers la droite. Finalement, on estime qu'il est la Mderni~re grande ~igure du centre-gauche".

Les "slogans" continuent de pleuvoir: Camus la "conscience", la "lucidité", la "justice", la "mo~ale

publique et privée". On rép~te que Camus est "généreux,

sinc~re".

Beaucoup de critiques reviennent

A

la charge

maintes ~ois avec le cliché de Camus "grand moralist~.

Par contre, on l'a aussi traité de "boy-scout", "d'im-posteur", de "grotesque" ••• On aime ou on lui reproche "son air de hauteur", "son allure d' homme des nuées, --. lourd de secrets"t

Quant au Prix Nobel, Camus le reçoit

A

quarante-trois ans, alors que Sartre n'avait pas encore eu le

privil~ge de le re~user. Certains cr1tiques se ~rot­

tent les mains et ricanent que "l'Acàdémie SlIiédo1'se a couronné une oeuvre achevée", alors que le jeune lau-réat ré1t~re que son oeuvre ne ~ait que commencer, et, tels sont ses mots: "c'est une oeuvre en chantier".

(11)

Dans le répertoire des clichés littéraires, on note que le style de Camus est "dépouillé, limpide, noble ••• " Mais, ce m~me style est aussi, dira-t-on, "maladroit, sec, morne, congelé ...

La critique journalistique va aussi exploiter quelques aspects biographiques de l'écrivain. Né en

Algérie, il devient "pied-noir, africain, ~éditerranéen",

et par sa m~re, il aurait "des tendances espagnolistes". On le décrit comme "un grand malade", souffrant en

silence, rappelant ainsi ses premi~res atteintes de tuberculose. camus, c'est aussi "le grand ami", celui qui est fid~le et qui comprend tout.

La mort elle-m~e va servir cette surench~re d' images camusiennes: "mort absurde ••• qui illustre sa vie", dira-t-on.

Dans tout ce fatras" d'images et d'épith~tes, o~

est le "vrai visage" d'Albert Camus? Roland Barthes pense qu'on l'a perdu parce que:

"Maintenant, Camus c'est un mythe."

6

De cette glOire académique et pédagogique, quel visage se dégagera? Pour l'instant, de récents critiques le perçoivent comme:

6.

Roland Barthes, cité par Christian Dédet, "Pourquoi Camus pla1t-il toujours?" Arts,

(6

Janvier 196~,5.

(12)

"Le dernier grand paladin de l'huma-nisme la1c traditionnel; le dernier grand représentant du centre-gauche." 7

On ajoute que si l'oeuvre de Camus a moins bien résisté Hl la réoupération bourgeoise" que celle de Sartre, par exemple, c'est peut-~tre parce que "ses fondements philosophiques n'étaient pas assez solides". MaiS, quelques oritiques se rattachent encore l une des

images favorites: "l'humaniste-moralisted , et par con-séquent, insistent sur le fait que "l'inspiration de Camus reste assez forte et généreuse pour garantir sa bonne foi et son espéranoe".

Il Y a enfin une démesure évidente, estiment d' autres critiques, l vouloir faire de Camus, par réfrac-tion de la gloire, "un grand penseur or1ginal, ou un

proph~te, ou un meneur d'hommes". Camus, lui-m~e,

avait souvent expr1mé une forte appréhension devant tout oe "brouhaha" autour de lui et 11 faisait preuve d'une ironie mordante quand on lui parlait de ce

dpiédestal" sur lequel on l'ava1t placé.

Un effet désastreux de la gloire rapide a été d' ensevelir cette oeuvre sous les gloses, les notes, les commentaires, les opin1ons hatives, les jugements

7.

Robert Kanters, "Les accélérations de la gloire," Le Figaro L1ttéraire,

(5

Janvier 1970), 11.

(13)

expéditifs, les publications de brouillons: de lettres, de documents intimes. Tout ceci déforme et transforme, créant ainsi un catalogue de clichés parmi lesquels chacun fait son choix et met en 1umi~re ce qui l'attire ou lui pla1t le plus.

Il ne peut résulter de tout cela qu'une H1égendeQ~

ou un répertoire de mythes tels que les décrit Etiemble. Dans cet essai, il ne s'agit pas de donner en

contrepartie un Camus "véridique", mais de comparer les opinions et de faire jaillir les contradictions.

La seule façon pour le lecteur, de se dégager de tout cet amoncellement d'images, bref, "de se guérir du mythe", comme le dit si bien Etiemb1e, c'est tout simplement la lecture et relecture de l'oeuvre de Camus: auteur dramatique, romancier et essayiste. Nous nous permettons, une fois de plus, de rendre hommage h

Etiemble qui nous a suggéré ce retour aux sources: "Le seul moyen de faire la part du vrai, et celle de la fable, c'est de lire les textes, en essayant de les comprendre pour en jouir~ 8

(14)

Dès la publication de ses premières oeuvres, Camus est catalogué: "grand penseur et philosophe". L'appellation de "philosophe" est équivoque, car la critique s'en sert de manière indéterminée et vague. Camus ne nous présente pas un système philosophique qui lui est particulier. Cependant, on l'appelle "philoso-phe" dans l'acception très banale du terme, c'est

A

dire un écrivain, qui, muni d'une certaine sagesse,

cherche un sens

A

la vie. Le mythe de Camus "philosophe" a été

A

la fois encouragé et attaqué par la critique.

M. Beigbeder, par exemple, estime que Camus est "philosophe"., parce que l'auteur de l'Etranger

entrevoit la possibilité d'un "monde meilleur":

"Je me trouve devant un philosophe et, qui plus est, devant un honn~te homme." 1 C'est avec enthousiasme qu'il croit fermement que Camus est un ~grand penseur", que Cf est le partisan

1. Marc Beigbeder, "Le monde n'est pas absurde," Esprit, (Février

1945), 415.

(15)

d'une révolution, c'est

A

dire d'une transformation profonde de la société et de l'instauration d'un monde au "visage nouveau" o~ il devrait ~tre permis d'espérer, et "o~ il fera enfin bon vivre".

Par contre, lorsque M. Troyat écrit que:

"Albert Camus est un philosophe", il veut dire que l' auteur de Caligula est hanté par "un certain syst~e

philosophique" et ne conçoit ses pi~ces et ses livres que comme des démonstrations nécessaires de ce syst~me

2

d'apr~s lequel "la vie est absurde". M. Troyat

explique ceci en faisant valoir que Camus, "ap~tre de l'illogisme", est un "logicien forcené" lorsqu'il nous présente son Caligula. L'auteur ne laisse jamais A ses créatures, par exemple Caligula, l'occasion de le con-tredire dans sa démonstration de l'absurde.

Quant A Camus, il n'aimait pas 3tre traité de "philosophe", estimant qu'il était avant tout "un ar-tiste". Il avait dit

A

son ami, le critique J.-C. Bris-ville: "Je ne suis pas philosophe et je n'ai jamais prétendu l'~tre". M. Brisville croit que les essais de Camus peuvent 'tre considérés comme la confidence "d'un esprit qui monologue librement avec lui-m~me

2. Henri Troyat, "Albert Camus - Caligula," La Nef, (Novembre

1945), 151.

(16)

et sur

lui-m~e".3

Cependant, on ne peut pas encore parler d'un

mythe de Camus philosophe; on peut seulement constater que l'opinion de la critique journalistique semble dominée par la répétition et la persistance de l' étiquette de Camus "penseur et philosophe".

Il faut se rappeler que "philosophe", dans une idéologie antérieure

A

Camus, s'oppose

A

"artiste" ou "romancier", pour url esprit français. En effet, les philosophes, tradi tionnell'ement, étaient sensés écrire des traités de phlla~Ph1e,dénués de tout "ornement" littéraire et artistique. La Philosophie était une discipline bien indépendante de la Littérature.

Néanmoins, A Camus "penseur et philosophe", vien-dra s'ajouter l'épith~te de "po~te". Il semble A M. Hellens que l'oeuvre de Camus doit 'tre considérée sous le signe de la pensée et du style:

"Les essais sont autant d'un po~te que d'un penseur." 4

Or, nous avons maintenant l'image d'un Camus qui

3. Jean-Claude Brisville, "Le sourire et la voix;" La Nouvelle Revue Française, (Mars 1960), 423. 4. F. Hellens, "Le mythe chez Camus," La Nouvelle Revue Française, (Mars 1960), 481.

(17)

~

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est simul tanément "po~te et penseur", donc un homme qui a du talent pour écrire et qui utilise son art pour exposer des vérités d'un sens commun et d'un mora-1isme de bon aloi.

C'est dans cette perspective que R. Kemp qualifie Camus de "grand penseur" doublé "d'un pur écrivain" dont la pensée est "loyale" et "limpide". Camus,

explique ce critique, poss~e un fond "d'universalisme et d'humanitarisme", et c'est ce qui le rend "sage" et "modéré", bienqu'i1 soit venu pour agiter les esprits et leur apporter "la gJ.!erre spirituelle, la vraie guerre et la bonne". 5

De ces diverses opinions, il ressort que la critique nous fabrique une image quelque peu disparate de Camus:

"phi1osophe-po~te". Les critiques, en général, ne sem-blent pas se soucier du sens et de la portée des mots qu'ils alignent. En effet, il y a d'abord le mythe confusionnel entre le "philosophe" qui, s'appuyant sur la sagesse du bon sens commun, se pose des questions sur la vie et en arrive l un moralisme traditionnel, et le "philosophe" qui présente son propre système philosophique.

5.

B. Kemp, "Discours de stockholm," Les Nouvelles Littéraires, (20 Mars

1958),

2.

(18)

Il Y a ensuite une contradiction qui existe dans le couple: "penseur-po'te". Suivant les oonnotations idéologiques de chacun, ces deux mots alignés, présen-tent une image incongrue de Camus: le "penseur" qui réfléchit et qui médite profondément, et le "po'te" qui charme et qui touche le lecteur par son art.

Si certains critiques peuvent voir en Camus "un grand penseur", "un philosophe" et "un logicien", d' autres par contre, s'opposent

A

cette image en consta-tant l'étonnante faiblesse des raisonnements camusiens.

D'apr~s J. Rinieri, La Peste est un récit "dur et dense" quand il se borne

A

n'~tre qu'une chronique "dépouillée", mais il se relAche dès que l'auteur pré-tend offrir "une éthique". Il regrette de voir Camus se mettre A penser "mou", A raisonner comme "une belle

A_ " 6

wae •

L'opinion de M. Albérès se cantonne dans les limi-tes de la prudence. Pour lui, Camus est un penseur "ambigu" parce qu'on ne sait pas très bien si Camus se plaint "que l'Univers soit mal fait ou que les hommes soient compliqués, malfaisants et responsables du mal". C'est ce que M. Albér~s appelle la "fatalité

6.

J. Rinieri, "La Peste de Camus," La Nef, (Aoftt

1947),

142-143.

(19)

ambigu'è" dans la pensée camus i enne. 7

Parmi les critiques qui s'opposent à l'image de Camus "grand penseur", il faut distinguer ceux qui estiment que cet auteur, tout de m~me, avait trouvé le moyen de parler à ses contemporains et de les émouvoir.

A. Fontan, par exemple, est d'avis que Camus ne fut ni "un grand créateur de romans, ni un penseur original", et que ses meilleures oeuvres ont été des commentaires fascinants de "la réalité présente". Elles s'adressaient tr~s expressément aux hommes et aux

femmes qui vécurent les années de l'apr~s-guerre, et non pas à l' "humanité en général". Ses idées, qu'il avait d'ailleurs héritées, ont été présentées avec "une couleur, une éloquence et une passion qui étaient

siennes~. Il se peut, conclut A. Fontanj "que Camus

soit un de ces penseurs qui n'existent que pour leur propre époque. Mais ce sont ceux-là qui exercent l' influence immédiate la plus considérable".8

M. Joski s'allie l. cette image de Camus "penseur

7. R.-M. Albér~s, "Ambiguités de la Révolte," La Revue de Paris, (Juin

1953), 57.

8. A. Fontan, "Camus entre le Paganisme et le Chris-tianisme," La Table Ronde, (Février

1960), 119.

(20)

engagé", m'lé l son époque:

"Passio:imément engagé dans tous les

probl~mes essentiels qui se posaient aux hommes de son temps, Camus ava1t, contrairement l tant d'autres, cho1si de vivre au coeur m~e de la m'lée."

9

Dans son ardeur l démontrer que Camus n'est pas un .. penseur engagé", Robert Kanters, dans un article de L'Expre!§, semble vouloir créer "une contre-1mage", mais

cette fois-ci, d'un Camus "véridique". En effet, ce critique trouve la pensée camusienne "faible, trop peu engagée et manquant de rigueur":

"Et comme si elle gardait un secret remords de sa faiblesse originelle, la pensée de Camus devient alors prodigue de bénédictions." 10

En effet, insiste R. Kanters, sur l'amour de la vie, sur l'honneur, sur l'art, sur la beauté du monde, sur la grandeur de l'homme, il n'y a pas un grand. thhe sur lequel Camus n'ait écrit des choses "justes et

faibles" :

"Sa faiblesse, c'est qu'on peut trouver de belles phrases de lui en faveur de

toutes les bonnes causes. C'est l'ami du genre humain ••• Sa bonté envers l'avenir l'emp'chait de trop s'engager dans le présent et il cédait parfois l la

9. D. Joski, "Camus, six ans apr~s •• ," Le Monde,

(5

Janvier

1966),

8.

10. R. Kanters, "Camus, prince de la révolte ou des bien-pensants?" L'Express,

(3

Mai

1962),

33.

(21)

tentation confortable de ne s'engager que dans l'éternité." 11

R. Kanters ne met en doute ici ni la sincér1té, n1 le courage de Camus: "L'homme a su s'engager, dit-il, il a su lutter dans de bons combats et jamais dans de mauvais". Sa pensée, cependant, éta1t tellement "bien-veillante", croit-il, qu'elle en arr1vait l ne plus vouloir que par "des volontés générales"; c'est ains1 que R. Kanters conclut:

"Il manqua1t l ce critique de Descartes un peu plus de r1gueur dans sa morale provisoire." 12

En Janv1er 1970, l l'occasion du dix1~e ann1ver-sa1re de la mort de Camus, Les Nouvelles Littéra1res avaient cherché l présenter le jugement de jeunes écriva1ns sur Camus: dans l'ensemble, ce jugement est très dur. Notons celu1 d'un jeune romanc1er de vingt-sept ans, Alexandre Kalda qu1, l l'exemple de R. Kanters, s'attaque violemment l la pensée camus1enne. Il

re-proche l Camus d'~tre "un homme ph11osophiquement impu1ssant" , c'est l dire:

11. ibid. 12. ibid.

"Un homme qui ne connait pas la v1e, et qu1 se forge une existence dont 11 rejette la faute sur une société l son

(22)

image A laquelle il demande de le broyer." 13

Contre ce jugement, vient s'ln~cr~ celui de

M. Dumur qui, dans Le Nouvel Observateur de Janvier 1970, estime que la pensée de Camus est d'une grande valeur tant par son message que par son engagement:

"Camus s'est senti totalement engagé par les idées qu'il avait trouvées ••• Il ex-prime des sentiments vécus ••• Il a posé de mani~re implacable les quelques ques-tions essentielles à l'homme et

A

l' homme du vlngti~me si~cle." 14

Finalement, l'image de Camus "grand penseur" re-pose sur les contradictions des opinions, souvent hA-tives, de la critique journallst1que. D'une part, on soutient fermement que Camus est un "penseur", ï..l.!l

"philosophe" m'me, d'autre part on s'évertue

A

démon-trer que sa pensée, trop peu engagée, manque de rigueur.

Cependant, le cliché de Camus philosophe perSiste. En effet, apr~s avoir répété que Camus est philosophe, certains critiques ressentent alors le besoin de dé-terminer la nature de sa philosophie, et par conséquent, s'attachent immédiatement à ce qU'ilS croient 'tre

13. A. Kalda, cité par P. Kyria, "Le jugement des écri-vains: une enqu~te," Les Nouvelles Littéraires, (1er Janvier 1970), 7.

14. G. Dumur, "Camus, l'autodidacte," Le Nouvel Observateur, (5 Janvier 1970), 28.

(23)

"vision camusienne du monde": un monde absurde.

L'étiquette de Camus "grand penseur" se précise

donc par la désignation de Camus "philosophe de l'absurde".,

CAMUS PHILOSOPHE DE L'ABSURDE:

Le mot "absurde" sera selon les critiques, presti-gieux ou intolérable.

Certains critiques pensent que par l'absurde, Camus réussit A x'etrouver la signification de la vie; c'est le philosophe qui analyse clairement et sans com-plaisance les év~nements de son époque, et parvient ainsi A "conquérir sa morale".

D'autres critiques par contre, ne peuvent tolérer "l'absurdité du monde" parce qu'ils jugent qu'elle dé-truit tout leur système de morale fondé sur la foi chrétienne et qu'elle pouss~ l'homme sur la voie d'un pessimisme désespéré et bien inutile.

L'Etranger et Le Mythe de Sisyphe sont publiés en

1942,

La Peste en

1947.

D~s

1947,

la critique S'insurge contre ce qu'elle appelle "cette vision d'un monde

absurde". Faisant allusion

A

l'Etranger et

A

La Peste, M. Thiébaut, dans la Revue de Psris, reproche

A

Camus de croire que ses impressions personnelles ont valeur

(24)

de "vérité universelle". Camus, semble-t-il, réussit

A

réinventer au sein de "son monde absurde", les lois morales qui régissent "l'univers non-absurde" des

15 autres hommes.

Jean Duché est beaucoup plus véhément lorsqu'il écrit dans La Table Ronde, que la philosophie de l' absurde porte "malheur" A l'intérieur de nous-m&me. Il ne voit aucune raison de l'y tolérer. "Et, suggère-t-i1, si Sisyphe laissait son rocher et se mettait

A

danser? Les romans seraient plus difficiles

A écrirel"

16

R. Bespa1off, par contre, estime qU'il n'est pas indispensable de s'arr~ter A la notion de l'absurde qui n'est ni "une conception philosophique féconde, ni

une catégorie philosophique utile". Elle interprète la lutte de Camus contre l'absurde comme "une lutte pour la foi", pour la signification, pour la possibilité de

res-"

.. ..

" 17

pirer dans l'enfer des repetltions inutiles. La critique, ayant au premier abord rejeté le monde absurde de Camus, prend alors le chemin de

l'in-15. M. Thiébaut, "La Peste de Camus," La Revue de Parls, (Ao~t

1947), 161.

16.

Jean Duché, "Du rocher de Sisyphe au rocher de Brighton," La Table Ronde, (Février

1948), 309.

17.

R. Bespaloff, "Le monde du condamné

A mort,"

Esprit, (Janvier 1950), 25.

(25)

terprétation, en essayant de disséquer l'image de Camus, uphilosophe de l'absurde".

R. Bespaloff a cru y voir une "lutte pour la foi". D'autres appuieront cette idée en expliquant que Camus

expose et analyse en profondeur "l'errance de l"tre humain entre l'exil et le royaume". Si Albert Camus n' a cessé de nous ouvrir les yeux sur "les tén~bres de notre exil", ce n'est que pour mieux nous faire souve-nir de "la lumi~re latente" qui s .. ·.y cache.

"Il est un lieu précaire de l'esprit dans lequel nous retrouvons aujourd'hui

A

sa suite:

A

la fois privés d"tre et confiants d'exister dans l'élan qui porte irrésistiblement vers l'actuel.

P~lerins de la joie, avançant au cûeur de la menace, nous vivons comme lui, A

jamais suspendus entre l'exil et le royaume." 18

Jean Conilb interpr~te l'absurde camusien en ces termes: le "cartésien" Camus a perdu la foi dans l' idée claire et distincte, mais il sait qU'il n'en est point d'autre. Sa certitude de l'absurde n'est que l' affirmation de "la raisoll humiliée", qui s'isole super-bement dans son humiliation. Ainsi, l'homme s'isole à

cause de son impuissance et à cause de la défaite de

18. C. Vigée, "Albert Camus: l'errance entre l'exil et le royaume," La Table Ronde, (Février 1960), 126.

(26)

la raison devant l'absurde.

-On rép'te fréquemment que Camus est le philosophe de l'absurde et cette image s'attache de plus en plus au personnage de 1 ' écrivain. A. Robbe-Grillet tente de définir ce que Camus a nommé absurdl té: c'est "l' abt1Ile infranchissable" qui existe entre l'homme et le monde, entre les aspirations de l'esprit humain et l'incapa-cité du monde à les satisfaire. -L'absurde, explique Robbe-Grillet, ne serait ni dans l'homme ni dans les choses, mais dans l'impossibilité d'établir entre eux

t t d , ' t té .20 un au re rappor que e range •

Il reproche à Camus de présenter l'absurde comme une forme "d'humanisme tragiquell: ce n'est pas un cons-tat de séparation entre l'homme et les choses, c'est une "connivence" entre l'homme et la Nature ainsi qu' avec les choses. C'est une querelle d'amour qui m~ne

au crime passionnel. Et Robbe-Grillet conclut:

"Le monde est accusé de compliCité d' assassinat; Meursault, humanisant le monde, réagit tragiquement à la mer, au soleil et par conséquent commet un meurtre. " 21

19.

Jean Conilh, "L'exil sans royaume," Esprit, (Avril

1958), 533.

20. Alain Robbe-Grillet, "nature, Humanisme, Tragédie," La Nouvelle Revue Française, (Octobre

1958), 592.

(27)

Mais l'image du philosophe de l'absurde n'est pas très convaincante: lors de la réédition de L'Envers et L'Endroit, M. Thiébaut réitère sa première opinion de

1947, à savoir que Camus présente sa philosophie de l'

absurde avec des arguments très faibles. 22 Peut-être ce critique refuse-t-il de se laisser convaincre?

A la publication posthume des Carnets, Pierre de Boisdeffre estime qu'ils ne nous apprennent rien que nous ne connaissions déjà:

"On assiste aux efforts d'un jeune homme pour conquérir sa morale à la mesure de l'absurde, qu'il s'agit ni d'oublier ni de prolonger, mais de dépasser." 23 Continuant dans cette m~me ligne sur l'absurde, C. Dédet pense que parce qu'il n'avait pas choisi son époque, Albert Camus a décidé de "l'assumer complète-ment":

"Sur l'absurde, il avait tout exprimé abondamment." 24

L'essentiel de l'oeuvre de Camus ne peut être réduit à une philosophie de comme l'ont trop vite et trop souvent répété la critique et les livres

22. 11. Thiébaut, "L'Envers et L'Endroit de Camus," La Revue de Paris, (Juin

1958), 141.

23. Pierre de BOisdeffre, "Les Carnets de Camus", Les Nouvelles Littéraires, (10 Ha1 1962), 7.

(28)

de vulgarisation qui ont circulé un peu dans tous les pays. En 1951, Camus déclarait dans une entrevue que le mot "absurde" lui avait joué un mauvais tour, et qU'il finissait

m~e

par l'irriter. 25

Plusieurs critiques s'accordent pour déclarer que Camus n'a jamais voulu ~tre "un proph~te de l'absurde", mais l'absurde a tout de m~me joué un grand r~le dans ses premiers livres. Plus tard, l'idée de l8absurde a faussé son oeuvre et l'a quelque temps jetée dans une philosophie de contrastes, d'antith~ses et d'extr~mes

o~ l'on risque cette "démesure" qu'il devait en fin de compte si vivement condamner.

Mais une légende tenace agite toujours devant les lecteurs de Camus, l'image du philosophe de l'absurde,

A la vie dure et avec "une prétendue complaisance A

un désespoir inévitable. M. Brisville qui le connaissait, s'indigne contre cette image bien sombre de Camus:

"Que le philosophe de l'absurde r~t cet homme charmant et drt>le, aimant si ja-lousement le plaisir et jouissant d'un tel accord avec le monde, il y avait dans cette contradiction apparente quelque chose qui rassurait et dont on lui était reconnaissant." 26

25. V. Marrero, "La seconde patrie de Camus," La Table Ronde, (Février 1960), 144.

(29)

Le constat de l'absurde n'est pas une réponse en soi. Il faut trouver une solution: ainsi avec Camus, "philosophe de l'absurde", se dessine Camus, "philo-sophe de la révolte". Laissant derri~re lui le suicide et le l'espoir, Camus, croit-on, épouse la révolte par-ce qu'elle seule "respecte et fait vivre le moment de conscience"; elle est en effet le refus conscient par lequel

A

la fois on consid~re l'obstacle et on le

rejette. D~s novembre

1945,

Et1emble €crivait au sujet de liEtranger:

"C'est par la révolte qu'Albert Camus sauve l'homme." 27

CAMUS PHILOSOPHE DE LA REVOLTE:

La critique croit voir en l'Homme Révolté

(1951),

l'expression totale de la révolte camusienne. Certains pensent que c'est "un maitre-livre qui fait le point sur bien des choses". André Rousseaux, dans un article tr~s

élogieux du Figaro Littéraire, s'extasie sur cet essai de grande classe: "C'est un bilan de l'histoire de l' humanité"t D'après Rousseaux, Camus pose le prOblème

27. René Etiemble, "L'Etran~er par A. Camus," France-Libre, (Novembre

194

J,

79.

(30)

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du salut et y répond en opposant "la révolte qui fait

~ 28

vivre et la revolution qui tue". C'est précisément à part1r de cette opposition que na1tra le litige en ce qui concerne le mythe de Camus philosophe de la révolte.

Il faut souligner ici l'équivoque de révolte et révolution. Ces deux termes ont des connotations bien différentes. Les valeurs individualistes de la révolte

sont récupérées par la critique traditionnellement, car dans la révolte il y a une "noblesse" plus élevée que dans la révolution politique. La révolte d'un in-dividu se cantonne en général sur le plan de la pensée et de la parole, tandis que la révolution entraine la collectivité à commettre des actes nécessaires au pro-gramme révolutionnaire, et qui peuvent aller à l' encontre des intér~ts particuliers de l'individu.

Certains inststent fortement sur l'image de Camus la révolte parce qu'ils y croient voir les dimensions d'une protestation métaphysique: "Je me révolte donc nous sommes", écrit-il dans l'Homme Révolt~. D'autres par contre condamnent Camus parce qu'il ne va pas assez loin, et que sa révolte ne se concrétise pas en actes révolutionnaires.

28. A. Rousseaux, "L'Homme Révolté de Camus," Le Figaro Littéraire, (17 Novembre 1951), 2.

(31)

Si Camus réprouve l'assassinat politique, ce n' est pas sans une certaine admiration pour ceux qui le commettent, en allant lucidement

A

leur propre mort par le snr moyen de la mort d'autrui. Ce n'est pas la

première fois que "le sang aura été pardonné au nom des bonnes intentions de celui qui le versait". Claude Mauriac estime que L'Homme Révolté, philosophiquement,

est "un assez vain discours" parce que l'essai tendait

A

la condamnation de cette équivoque entre révolte et révolution, où "11 finit

lui-m~IDc

par tomber".29

R.-M. ,Albérès, toujours prudent, suggère que Camus, dans l'Homme Révolté, soumet la révolte

A

un "examen critique du point de vue historique".30

Simone Fraisse, avec plus d'emphase, écrit que chez Camus, le mouvement de révolte est "la source de l'

oeuvre entière". C'est par ce mouvement qu'un homme se dresse contre la condition qui lui est faite dans la création. Après lEI. révolte, il faut édifier une nou-velle éthique:

"Camus propose un humanisme de solida-rité, une vie morale d'après laquelle on fait la découverte d'autrui et on

29. Claude Mauriac, "L'Homme Révolté de Camus," La Table Ronde, (Décembre 1951), 109.

(32)

acquiert le goüt d'une fraternité agissante".

31

L'image de Camus "philosophe de la révolte" se porte bien d'autant plus qU'elle est nourrie par ses admirateurs et ses détracteurs. On salue en Camus le philosophe qui n'hésita pas A bousculer "les données d'une métaphysique traditionnelle qU'il fallait seu-lement se donner la peine de conserver comme un bien

acquis~. DéjA perçait, explique Pierre Descaves, au lendemain de la publication de l'Etranger, "cet esprit de révolte contre l'ordre des désordres établis, pour simuler précisément un ordre"t Ce qui comptait, c'était la révolte "d'un adolescent du si~cle", la première grande voix qu1 se faisait entendre dans "la semi-libérat1on" de la France:

"Ayant, sans ambage, adopté le part1 de l'homme, flamme au po1ng, 11 resta1t au penseur l'opportunité de préCiser le droit de l'1nd1vidu A se révolter contre la révolut1on elle-mbe." 32 Mais plus1eurs critiques remettent en quest10n la valeur de cette révolte camusienne qU'ilS consid~rent

comme tr~s fa1ble, frisant "la l!cheté et l'hypocrisie",

31.

Simone Fraisse, "De Lucrèce A Camus ou les contra-dictions de la révolte," Esprit, (Mars

1959), 437.

32. Pierre Descaves, "Albert Camus et le roman," ~

(33)

parce qu'elle ne préconise aucune action. L'élan de révolte qui ne se traduit pas en actes n'est qu'une attitude sans Ruite:

"C'est une pensée fugace qu'on peut caressar comme un r~ve. Elle invite en effet,

A

chercher un alibi intellec-tuel devant les désastres qui.

ris-quent de se déchainer."

33

Dans un tel cas, Camus voudrait faire preuve de "mesure", s'indigne G. Maire qui essaie, dans son ar-ticle, d'atteindre dans son fondement le prestige qu' exerça sur Camus l'idée révolutionnaire. Il en trouve la cause dans "une IAcheté intellectuelle", courante

A

notre époque, parait-il, qui consiste

A

ne pas vouloir que l'idée aille jusqu'à ses conséquences pratiques. C'est pour ce critique, "le péChé contre l'Esprit", c'est

A

dire bAtir des théories abstraites pour se mettre à l'abri intellectuellement, et parfois aussi physiquement. (G. Maire pensait-il peut-~tre au fait que Camus, préconisant la révolte, résidait en France lors de la guerre d'Algérie?) Cette lAcheté d'esprit contredit la révolte légitime et m~me les révolutions, car les révolutionnaires actifs sont courageux, ils ne s'abritent derri~re aucun alibi •. G. Maire nous

33.

G. Maire, "Camus et l'idée de révolte," La Table Ronde, (Février 1960),

77-78.

(34)

avertit enfin que l'idée abstraite de révolte telle que la présente Camus, peut nous livrer, désarmés, "à une révolution, qui, elle ne désarme pas".34

On croit donc que la révolte camusienne ne nous prépare pas à la révolution, mais à l'inaction qui pourrait nous ~tre fatale durant les év~nements

révolutionnaires.

Nous voyons ici la condamnation irrémédiable de Camus "philosophe de la révolte"; plusieurs critiques rejettent ce qu'ils appellent les deux termes camusiens: "la révolution qui est le Mal et la révolte qui est le Bien". Camus, disent-ils, jouel'a sur le mot révolte et la louera jusqu'au bout:

"Et voilà comment, cédant au prestige général des idées révolutionnaires, Camus, qui, malgré tout, est le plus respectable des écrivains d'apr~s­

guerre, se réduit parfois à un simple littérateur qui incite au renoncement, à l'abstention, à la lAcheté." 35

Dans cette m~me ligne de pensée, mais sur un ton plus léger et un peu moqueur, on dira que Camus est un révolté du genre "boy-scout", qu'on ne peut le prendre

, 36

au serieux.

34. ibid.

35. ibid., 79.

(35)

R. Kanters se rallie A ces opinions et ne voit pas en Camus "l'apt>tre de la révolte" mais au contraire "le prince des bien-pensants". La dialectique de la ré-volte par laquelle Camus essaie d'échapper

A

la contra-diction entre le désespoir absolu et l'amour désespéré de la vie, ne peut satis~aire "ni l'exigence de la rai-son, ni l'exigence d'un coeur épris de révolte absolue".37

Ainsi, Camus philosophe de la révolte,d'une part soulève l'admiration et l'approbation de certains cri-tiques, et d'autre part, ne satisfait pas les critiques qui s'élèvent contre cette révolte b!clée et inconséquente.

Toujours dans le domaine philosophique, les opi-nions diverses continuent d'attribuer

A

Camus toutes sortes d'appellations souvent "non-contr~lées". On a également spéculé sur les ressemblances qui pouvaient l'apparenter

A

certains écrivains et sur les diver-gences qui l'opposaient à d'autres. Ainsi, Camus s'est vu associé à Sartre,

A

Nietzsche, à Gide, et à Saint-Exupéry, pour ne nommer que les principaux.

(36)

CAMUS -SARTRE:

Après avoir vu Caligula, où Gérard Philippe jouait le r~le principal, M. Troyat écrit dans la chronique

thé~trale de la

li!!,

que toute la pièce n'est qu'une illustration des principes existentialistes de Sartre: c'est ce qui explique l la fois "la valeur intellec-tuelle et la faiblesse dramatique de l'ouvrage". L' absurdité reconnue autorise une liberté nouvelle et enivrante; Caligula, révolté par la mort de Drusi11a,

pr~ne le désordre:

"Au personnage de Suétone, Albert Camus n'a pas hésité

A

infuser le noir poison de l'existentialisme moderne."

38

Camus proteste dans une lettre qU'il envoie

A

cette m~me revue:

"Je commence l 'tre légèrement, très légèrement impatienté par la confusion qUi me m~le

A

l'ex1stent1alisme ••• Caligula, écr1t en

1938,

est antérieur

1

L'Etre et le Néant."

39

Dans sa réponse, Ivi. Troyat persiste: Camus et

Sartre sont semblables, et il cite à l'apPUi des oeuvres de chacun pour démontrer que pour Sartre comme pour

38.

Henri Troyat, op. cit.,

151.

39.

Albert Camus, "Lettre

l

M. H. Troyat," La Nef, (Janvier

1946), 144.

(37)

Camus, "l'homme est placé au centre d'une création ab-surde et tire son indépendance de la conscience m~me de cette absurdité". Sans doute, il existe aussi des diffé-rences entre les positions de Sartre et de Camus, mais, conclut H. Troyat, elles semblaient, jusqu'à ce jour, très subtiles et "mieux faites pour figurer dans une chronique philosophique que dans une chronique

thé-~ tral e" • 40

Toujours associant Sartre et Camus, certains cri-tiques pensent que l'une des façons d'approcher le théâtre de Camus est de comparer Caligula à Huis-clos et d'y distinguer "le rôle des miroirs".41

Le couple Sartre-Camus conna1tra une très grande notoriété lors de la fameuse polémique qui opposa les deux hommes. La critique, toujours aussi rapace, va se régaler lors de cette querelle. Le motif, ou le prétexte, en est la publicatior.. par Les Temps Nodernes, en mai 1952, d'un article de Francis Jeanson, collabo-rateur de Sartre, article consacré au livre de Camus, L'Homme Révolté.

40. Henri Troyat, "Réponse à I1.Camus", La Nef, (Janvier 1946), 147.

J.}l. F. Jotterant, "Sur le thé~tre de Camus", La Nou-velle Revue Française, (Mars 1960), 509.

(38)

Le ton de la critique est cinglant et on y peut lire que Camus propose "un humanisme vague, juste relevé de ce qU'il faut d'anarchisme pour exprimer une protestation générale contre tout ce qui se fait":

"L'Homme Révolté, c'est d'abord un grand livre manqué: de là précisément le mythe auquel il a bient~t donné lieu." 42

Blessé par le ton de cette étude critique dans laquelle il était en quelque sorte, soumis à un pro-cès d'épuration, Camus, accusé de "formalisme", et se voyant dénier toute authenticité révolutionnaire, se défend, et attaque dans une longue lettre adressée, non pas ~ Jeanson, mais ~ "Monsieur le Directeur des Temps Modernes" •••

Après avoir condamné les méthodes critiques em-ployées par Jeanson, Camus met en cause la position politique et l'honn~teté intellectuelle de Sartre

lui-m~me. Mais, laissons parler Camus:

"Mon premier effort sera de montrer quelle peut ~tre l'intention réelle de votre col-laborateur, lorsqu'il pratique l'omission, travestit la thèse du livre qu'il se pro-pose de critiquer et fabrique à son au-teur une imaginaire biographie •••• Quant au bon accueil qui aurait été fait à mon livre par la presse de droite ••• On ne

42. Francis Jeanson, "Albert Camus ou l'âme révoltée," Les Temps Modernes, (Mai 1952), 2071-2090.

(39)

décide pas de la vérité d'une pensée selon qu'elle est

A

droite ou

l

gauche et moins encore selon ce que la droite et la gauche décident d'en faire ••• J'ai entrepris avec l'Homme Révolté, une étu-de étu-de l'aspect idéOlogique étu-des révolutions. J'y étais autorisé

A

la seule condition d' annoncer c1airement mon propos, ce que j' ai fait ••• Pourquoi donc cr1t1què~ un li-vre, si on est déc1dé A ne pas tenir compte de ce qu'on y peut lir~ ••• Votre art1cle aura ment1 aux lecteurs ••• "

43

Dans sa réponse, Sartre avert1t Camus qU'1l ne va pas le ménager:

"Notre am1tié n'éta1t pas fac1le, ma1s je la regrettera1 ••• Un mélange de suff1sance sombre et de vu1nérab1l1té a toujours décou-ragé de vous d1re des vér1tés ent1~res. Le résultat, c'est que vous ~tes devenu la pro1e d'une morne démesure qu1 masque vos d1ff1cultés 1ntér1eures et que vous nommez,

je cro1s, mesure méd1terranéenne. T~t ou tard, quelqu'un vous l'e~t d1t: autant que ce so1t mo1 ••• En nous fa1sant l'honneur d' entrer dans ce numéro des ~em~s Modernes, vous y amenez avec vous un piedestal

porta-t1f ••• "

44

De m~e que Camus l'ava1t fait pour Sartre,

Sartre met en doute l'authent1cité de la révolte de son 1nterlocuteur en faveur du prolétar1at:

"Vous t!tes bourgeois, comme Jeanson et comme mo1.

"4.5

43.

Albert Camus, "Lettre au D1recteur des Temps Modernes," Les Temps MOderns, (Aont

19.52), 317-323.

44.

Jean-Paul Sartre, "Réponse à Albert Camus, Il Les Temps

MOdernes, (Aont

19.52), 334-33.5.

4.5.

ibid.

(40)

C'est au style m~me de la lettre de Camus que Sartre s'en prend ensuite:

"Ce qui déconcerte dans votre lettre, c' est qu'elle est trop écrite. Je ne vous reproche pas sa pompe, qui vous est natu-relle, mais l'aisance avec laquelle vous maniez votre indignation ••• Avec quelle rouerie vous jouez le calme ••• Avec quel art vous laissez para1tre votre col~re ••• "46 Quant

A

la compétence philosophique de Camus, voici ce qu'en pense Sartre:

"J'aurais du moins ceci de commun avec Hegel que vous ne nous aurez lu ni l'un ni l'autre. Mais quelle manie vous avez de n'aller pas aux sources ••• Je n'ose vous conseiller de vous reporter

A

l'Etre et le Néant, la lecture vous en para1trait inut1-lement ardue: vous détestez les difficultés de pensée ••• Et si votre livre témoignait simplement de votre incompétence philoso-phique?"47

Ensuite Sartre fait le bilan de ce que Camus a été et est pour lui:

46. ibid., 337. 47. ibid., 344.

"Vous avez été pour nous, demain vous pou-vez l'~tre encore, l'admirable conjonction

d'une personne, d'une act10n et d'une oeuvre ••• Vous résumiez en vous les conflits de l'épo-que, et vous les dépassiez par votre ardeur

~ les vivre ••• Vous ~tes devenu terroriste et violent, quand l'histoire, que vous reje-t1ez, vous a rejeté

A

son tour: c'est que vous n'étiez plus au'une abstraction de ré-volté. Votre méfiance des hommes vous fait présumer que tout accusé était coupable: de lA vos méthodes polici~res avec Jeanson •••

(41)

Votre morale s'est d'abord changé en mo-ralisme, aUjourd'hui elle n'est plus que littérature, demain, elle sera peut-~tre

immoralité ••• "

48

A la fin de sa réponse, Sartre exprime sa satis-faction d'avoir dit ce qu'il pensait, il laisse la revue ouverte ~ Camus, mais refuse de poursuivre le combat: ttJ'esp~re que notre silence fera oublier cette pOlémique" •

Francis Jeanson, également visé dans la lettre de Camus, lui répond aussi et al~rs c'est tout. un défilé:

col~re, cynisme, ironie, moquerie, doute, défense et attaque.

"Quittez votre grandiose solitude •••

Le Juste, le Pur, le Solitaire ••• Prisonn~er de votre personnage ••• Vous n'~tes pas

A

droite, Camus, vous ~tes en l'air ••• Vous étiez certes un homme tr~s public, mais avec vous les privil~ges du sacré: Albert Camus, par essence, le grand pr&tre de la Morale Absolue ••• "

49

Il est évident que la critique ne laissera pas s' échapper une si belle occasion de disséquer cette

polémique:

"Querelle de vieilles filles agrégées •••

o~ Camus fut battu aux points sur la

48.

ibid.,

345-353.

49.

Francis Jeanson, "Pour tDut vous dire ••• ," Les Temps Modernes, (Ao~t

1952), 359-383.

(42)

"dialectique, mais où Sartre, bien que vainqueur ••• fut l'agrégé et la vieille fille." 50

André Blanchet profite de cette querelle pour con-damner les idéologies nouvelles, les déclarant dans l'

impasse et non-viables. Il se serait passé, s'écrie-t-il, de cette exhibition "peu ragontante" où deux amis d' hier se sont défigurés. l>';ais à quelque chose malheur

est bon, écrit-il 1 En effet, ce qui oppose ces deux hommes, ce sont deux conceptions de l'existence qui ont exercé sur la jeunesse, depuis la libération, un vif attrai t:

"Nous les devinions l'une et l'autre quoique inégalement, erronées." 51

Tout cela n'était pas clair, pourtant. Ces penseurs "profonds" qui ouvrent une ~re nouvelle ont bien droit à "quelques nuages". 11ais voici que, renonçant aux formu-les recherchées et érudites, ils s'expliquent" en voca-bles ronds, drus, bien français". Cette fois, A. Blan-chet semble avoir compris: subissant l'épreuve du temps, les idéologies nouvelles sont dans l'impasse:

"Pour prouver qu'une vie vraiment humaine est possible sans Dieu, il ent fallu unir la pureté, hélas inefficace, de Camus, à l'efficacité, malheureusement immorale, du marxisme." 52

50. R.-H. A.lbérès, "Albert Camus dans son siècle: témoin et étranger," La Table Ronde, (Février 1960),14.

51. André Blanchet, "La querelle Sartre-Camus", Etudes (Novembre 1952), 72.

52. ibid •

(43)

Situé entre les deux, Sartre allait, d'apr~s

Blanchet, inventer la solution et concilier l'incon-ciliable. Mais sa trouvaille est plut~t inattendue: c' est "l'immoralisme inefficace". Certes, admet Blanchet, l'exigence morale de camus, la liberté sartrienne et l'action communiste composaient ensemble un puissant

syst~e •••• "si elles étaient compatibles". Mais séparées, elles sont incomplètes, et rapprochées, antinomiques,

"Aux feux d'artifice de la Libération, on avait cru voir appere!tre une nouvelle doctrine: ce n'était qu'un monstre, la

Chim~re de la fable, la pauvre b~te n'

était pas viable; elle vient de crever sous nos yeux."

53

VoilA, c'est tr~s facile: la querelle

Sartre-Camus est la meilleure preuve que la pensée moderne et athée n'a aucune valeur, aucune solidité. Et, se de-mande-t-on, s'il n'y avait pas eu d'échanges entre

Sartre et camus, o~ Blanchet aurait-il trouvé la preuve que les idéologies nouvelles ne sont que des bateaux qui prennent l'eau A la premi~re occasion?

Dans cette histoire, on prend parti, bien s~r, et Camus semble toujours émerger comme celui qui a subi une attaque injuste. Roger Quilliot écrit avec véhémence

(44)

que tous ceux qu1 reprochent l Camus de jouer les juges, qu'éta1ent-11s eux-m~mes, s1non nd'autres

Fouqu1er-T1nv111e". OU1, Camus nous présente un monde "amb1gu", et 11 reste "douteux", ma1s "pour cesser d'

~tre

douteux, 11 faut cesser

d'~tre,

tout bellementll

•54

B1en que Sartre a1t été le nom le plus souvent accouplé à celu1 de Camus, 11 faut noter auss1 que

certains cr1t1ques ont cru pouvo1r étab11r une f11iation de Nietzsche à Camus.

CAMUS-NIETZSCHE:

Il Y a chez Camus, parait-11, une sens1b11ité

lyr1que et "n1etzschéenne": celle de l'homme voluptueux et luc1de, mora11ste et esprit 11bre. N1etzsche est pour Camus "la méd1tat1on de la v1e".55

Ma1s, remarque C. Moeller, Camus va se détacher de Nietzsche. Il semble que ce soit l'év~nemant hitlér1en "qu1 ait achevé cette désentrave". Camus, certes, n'a pas

54. Roger Q,uill1ot, "Un monde amb1gu," Preuves, (Avr11 1960),

32-38.

(45)

identifié la pensée de Nietzsche avec la caricature

abominablé qu'en firent les sectaires de Rosenberg,mRis il fut inquiet devant ce que, en fait, on prétendait justifier au nom de l'auteur de Zarathoustra.

56

·Vingt-cinq ans après la Deuxième Guerre Mondiale, Roger Grenier relance l'image de Camus le nietzschéen. Dans la lumière d'aujourd'hui, croit-il, ce qui appa-rait clairement chez Camus, c'est un amour "un peu

sauvage, nietzschéen, de la vie, cette volonté de vivre sans rien refuser de la vie, dont il proclame dans L'Eté qu'elle est la vertu qU'il honore le plus en ce monde".

57

CAMUS-GIDE:

Certains critiques, par contre, estiment qu'on a pas assez dit que Camus était le seul, dans la littéra-ture d'aujourd'hui, à assumer "l'héritage d'André Gide". En effet, si un écrivain français parmi ceux de ce temps avait pris "la relève" de Gide, c'était bien Camus et lui

56.

C. Moeller, "Une oeuvre qui exalte la pauvreté et la lumière," La Table Ronde, (Février 1960), 107.

57.

Roger Grenier, "Camus le nietzschéen," Le lwlonde, (10 Janvier 1970), 2.

(46)

seul, éci'1 t .. Ii.Hell dans un art1cle consacré à G1de et camus. 58

Ce cr1tique est convaincu que "la vérité de l' homme" fut la qu~te constante de Gide, et que c'est aussi "le feu central" qui illumine l'oeuvre "inachevée" de Camus. ToUs deux ont tenté cette approche si difficile, essentiellement "en moralistes", quelque soit la forme qu'elle a prise dans leur oeuvre: essai, théltre, récit. Naturellement, il y a des différences notables, qui ne viennent pas de la seule différence de génération, mais du tempérament et de la formation:

"L'investigation de Gide est surtout d' ordre psychologique et moral: elle con-cerne principalement l'individu en tant qu'individu. Le propos de Camus déborde de ces limites étroites: il s'agit avant tout de la condition m~me de l'homme."59 Suivant l'opinion de M. Hell, la solitude et la solidarité, le retrait et la fraternité, voilà

peut-~tre les deux If pt>les" entre lesquels oscille toute l'

oeuvre de camus. D'oh aussi les malentendus qu'elle n' a pas manqué de susciter, tout comme l'oeuvre de Gide. Comme on enferma longtemps ce dernier dans Les

Neurri-58. H. Hell, "Gide et Cam.us," La Table Ronde, (Février 1960), 22.

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tures Terrestres, on ne voulut voir en Camus que l' auteur de l'Etranger et le philosophe de l'absurde. A des années de distance, ces livres servirent de bréviaires à plusieurs générations de jeunes gens:

"C'est le destin des livres qui viennent à leur heure, ceux en lesquels les jeunes se reconnaissent et croient trouver, sinon une réponse à leurs aspirations, à leur inquiétude, du moins un miroir qui leur renvoie leur image." 60

Pour Camus, comme pour Gide, conclut M. Hell, l' acte d'écrire ne signifie pas seulement communiquer à autrui sa vérité, mais aussi et surtout donner à

"cette vér1té" la forme la plus satiafaisante, la plus

exacte, en bref, "faire avec des mots l'oeuvre d'artiste".61 Pierre de Bo1sdeffre estime aussi qu'on peut

rapprocher les deux écrivains puisque Camus allait

bien-t~t prendre la place tenue trente ans plus t~t par Gide, "celle d'un éveilleur de conscience".62

CAMUS-SAINT-EXUPERY:

60. ibid., 24. 61. ibid., 25.

62. Pierre de Boisdeffre, "Les paysages de Camus," La Revue des Deux Mondes, (Septembre 1963), 89.

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Finalement, parmi les écrivains auxquels on a voulu apparenter Camus, il faut mentionner le nom de Saint-Exupéry. Ils ont tous deux été mis Svu$ la m~me

étiquette "moraliste et humaniste". Saint-Exupéry et Camus, surtout dans les derni~res phases de leur pen-sée, n'ont pas toujours évité "l'écueil d'un idéalisme sentimental". Des grands écrivains de ces trente

der-ni~res années, P.H. Simon pense que tous deux émergent par "leur ampleur et la permanence de leur succ~sn,

et par leur prise sur un large secteur de la jeunesse intellectuelle:

"Saint-Exupéry et Camus ont donné à leurs oeuvres un caract~re positif,

retrouvant dans le contexte de ce si~cle

tragique, les dimensions d'un huma-nisme fondamental."

63

La critique reprochera au couple Camus-Saint-Exupéry, qu'elle avait elle-m~me créé, sa médiocrité intellectuelle. En effet, dira-t-on, l'humanisme de ces deux auteurs est teinté d'irréalisme parce qu'ils rai-sonnent sur l'Homme abstrait et universel en ignorant la diversité et la singularité des situations humaines.

Robert Kanters attaque durement la valeur de cet

63.

P.H. Simon, "Saint-Exupéry et Camus poussées en Enfer," Le Monde, (11 Juillet 1962), 8-9.

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humanisme:

"Saint-Camus, Saint-Exupéry, notre jeunesse n'a-t-elle d'autres Saints que ces penseurs à la vérité un peu molle?"

64

En conclusion, que faut-il penser? Camus est-il oui ou non un "grand penseur"? Est-il le "philosophe de l'absurde ou de la révolte"? Est-il le disciple de Sartre, l'héritier de Nietzsche, le remplaçant de Gide, ou le compagnon de Saint-Exupéry?

Néanmoins, il faut noter ce besoin des critiques de se créer un catalogue de références pour pouvoir

fid~lement y caser, de gré ou de force, un écrivain. Ceci entra1ne une incapacité de replacer clairement dans son contexte un homme qui écrit à un moment précis de l'histoire.

De plus, ces clichés contradictoires ne font qu' obscurcir pour le lecteur l'oeuvre de Camus.

Il est évident que la variété des mythes de Camus ne se cantonne pas au domaine de la pensée philosophique. Nous allons voir dans le chapitre suivant comment cette variété va encore trouver sa place dans le mythe de Camus "humaniste".

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Après avoir essayé de cataloguer Camus dans le domaine de la philosophie, la critique journalistique le pousse ensuite dans le domaine de la morale; ainsi l'image de Camus, . écrivain "moraliste", se dégage peu à peu des opinions générales présentées au public par plusieurs revues françaises.

Camus est "moraliste" parce qu'il reproche au

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régime déchu "de s'~tre assis" sur des mensonges. La Peste avait reçu le Prix des critiques en

1947,

et à cette occasion, M. D'Astorg écrit dans la revue Esprit que Camus a des "préoccupations" de moraliste qui s'expriment par son refus systématique du héros et du saint, dans une époque o~ "l'héroisme civique et militaire a multiplié ses fastes~:

"N'est-ce-pas la remise en question de toute la morale traditionnelle, et la recherche angoissée qu'opèrent des

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Apr~s avoir essayé de cataloguer Camus dans le domaine de la philosophie, la critique journalistique le pousse ensuite dans le domaine de la morale; ainsi l'image de Camus, . écrivain "moraliste", se dégage peu à peu des opinions générales présentées au public par plusieurs revues françaises.

Camus est "moraliste" parce qU'il reproche au 1 régime déchu "de s'être assis" sur des mensonges. La Peste avait reçu le Prix des critiques en 1947,

et à cette occasion, M. D'Astorg écrit dans la revue Esprit que Camus a des "préocoupations" de moraliste qui s'expriment par son refus systématique du héros et du saint, dans une époque o~ "l'héroisme civique et militaire a multiplié ses fastes~:

"N'est-ce-pas la remise en question de toute la morale traditionnelle, et la recherohe angoissée qu'op~rent des

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milliers d'3tres désemparés, dans un monde soumis A la peste permanente du mensonge, de la violence et du meurtre." 2

"Artiste et moraliste", ajoute E. Mounier, car, dans sa rigueur de "moraliste", Camus conçoit, semb1e-t-i1, une vie "humble et magnifique avec une compréhen-sion pascompréhen-sionnée". 3 Toujours sur le plan de la morale, et au sujet de La Chute, G. Picon croit que Camus pour-suit la rigoureuse méditation morale qui est "l'origine et la fin de son oeuvre", méditation qui prend la forme du "doute hyperbolique". L'auteur de La Chute ne nous tend pas l'image de l'expérience morale, il nous en

,

4

donne le negatif.

L'image de Camus "moraliste" se précise grâce aux nombreuses interprétations qui rivalisent dans leur diversité. Camus "moraliste" soulève la profonde admi-ration de certains critiques qui affirment que ce jeune au teur inj ec te "nouveau té et olarté" dans la moral e traditionnelle et usée.

Par exemple, Roger Ikor "se sent en oommunion"

2. B. D'Astorg, "De La Peste," Esprit, (Octobre

1947), 615.

3.

E. Mounierl "Camus et l'appel des humiliés," Esprit,

(Janvier

1950), 41-43.

4. G. Pioon, "La Chute de Camus," Le Meroure de Franoe,

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