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Stendhal et la question d'argent au cours de sa vie

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Academic year: 2021

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(1)

au cours de sa vie

Lily R. Felberg Département de fran~ais

M.A.

ABSTRACT

A lire le Journal et la Correspondance de Stendhal, on a l'im-pression qU'il est sans cesse

à

court d'argent. A-t-il été vraiment pauvre, ou, la vie qu'il aimait dépassait-elle ses moyens? A-t-il ap-précié l'argent pour lui-~me? En a-t-il gagné beaucoup? A-t-il atteint la sécurité matérielle

à

la fin de sa vie? Dans quelle mesure ses besoins d'argent lui ont-ils dicté les décisions importantes de sa vie et ont-ils affecté sa carrière d'écrivain? Telles sont les ques-tions principales auxquelles le présent mémoire s'e.l..l.urce d'a1?Porter réponse.

Il examine en

5

chapitres, les

5

étapes principales de la vie de Stendhal (étudiant

à

Paris -- fonctionnaire de Napoléon -- exilé vo-lontaire

à

Milan -- courriériste

à

Paris -- consul

à

Civita-Vecchia) et scrute les budgets successifs des années 1800-1842.

Il conclut que, comme l'exigeait son temps, Stendhal l déployé de grands efforts et consacré beaucoup d'énergie à la chasse

à

l'argent indispensable

à

un certain "bonheur". Mais il a méprisé l'or qU'il pour-chassait et son oeuvre romanesque, par la joie qU'il a éprouvée

à

l'é-crire, l'a compensé de ses avatars financiers et a transcendé la condition matérielle de son auteur.

(2)
(3)

.by

FELBERG, Lily R

. A thesis submi tted to

the Faculty of Graduate Studies and Research McGill University,

in partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts

.Department of French Language and Literature

@)

Lily R. Felberg 1970

(4)

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION .•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

CHAPITRE l - 1799 - 1806 ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

CHAPr.r.RE

I I -

1806 - 1814 •••••••••••••

~

••

c • • • • • • • • • ~ • • • • • • • • • •

CHAPr.r.RE III - 1814 - 1821 ••••••••••••••••••••••••••••••••••••

CHAPrTRE

ri -

1821 - 1830 •••••••.•••••••••••••••••••••••••••••

CHAPITRE

V -

1830 - 1842 ••••...•••.••••...••..•.••••.••..•

CONCLUS ION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• AN'NEXE! I ... . ~XE I I ... . BIBLIOGRAPHIE ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• Page 1

8

26

44

62

76

91

99

101

I I I

(5)

Stendhal est né Henri Beyle en

1783

à

Grenoble, bourgeois, fils de bourgeois. Sans la Révolution, il aurait pu y demeurer ois if, touchant ses fermages et ses loyers, sans avoir jamais

à

gagner son pain. C'est l'Histoire qui, en bouleversant la fin du siècle, a remis en cause les situations stables comme celle de sa famille.

La

Révolution française, en effet, a eu des conséquences éco-nomiques et sociales plus lourdes encore que ses conséquences politiques. L'émigration, la vente des "biens nationaux", la chute des assignats, une inflation démesurée et la rareté des vivres, ont produit, de

1789

à

1794,

une grave augmentation du co~t de la vie et un bouleversement des classes. Sile Directoire rétablit la paix publique, il déchatne parmi ceux qui viennent d'affronter cinq ans de tragédie et de terreur, un célèbre appétit de jouissances matérielles que seul peut satisfaire beau-coup d'or. A partir de

1795,

l'argent reprend ses droits; sans lui, rien n'est possible. La France a compris qU'il survit aux désastres na-tionaux, et que sa valeur s'accroit en période de crise. Désor.mais la politique va s'appuyer sur lui et la richesse deviendra,

à

travers les régimes précaires et successifs, la seule sauvegarde. L'Empire s'effor-cera de fonder un nouveau civisme de dévouement au régime et de créer une nouvelle ncblesse dirigeante. Mais Napoléon devra couvrir d'or ses

(6)

2

-maréchaux et ses administrateurs.

La

Restauration échouera dans sa

ten-tative de rétablir

la

noblesse authentique au pinnacle, parce que les

terres de l'Eglise et des émigrés sont solidement entre les mains d'une

nouvelle bourgeois ie. Elle devra s'appuyer sur cette classe multiforme

dont l'argent est le ma1tre. Après les Journées de Juillet, l'argent

règnera en ma1tre absolu: il montera sur le tr$ne en

1830

et sera le

" Cha " "E . h . " , d 10 .

nouveau monarque selon la

rte.

nrJ.c J.ssez -vous ,repon

UJ.S-Philippe aux protestataires contre le suf'frage censitaire qui fait

dépen-dre le pouvoir politique de l'argent. Ainsi Henri Beyle a vécu un

tour-nant de l'histoire où, dans l'échelle des valeurs humaines, l'argent a

remplacé la naissance et, surtout, les talents. Aussi n'est-il pas

sur-prenant que sa vie personnelle, comme celle de millions de Français, ait

été placée sous le signe de l'or.

~d

on lit la Correspondance

e~

le Journal d'H.B., on est

frappé du fait que la question d'argent y revient sans cesse. Frappé,

mais non surpris, vu que la chasse

à

la fortune fut l'activité favorite

de sa génération.

On

est naturellement amené

à

se demander si Stendhal

a pu,

dans

sa jeunesse, vivre de la pension qU'il recevait de son père,

et, plus tard, des revenus qu'il a touchés au cours de sa vie.

Les chiffres que nous allons citer ne prennent leur sens que

considérés en rapport avec le niveau de vie de la population française

de

1800

à

1840

et avec le pouvoir d'achat de la mcnnaie. Sans pouvoir

entrer dans le détail de l'histoire éconOmique qui n'est pas notre

domai-ne, nous avons constaté, au hasard de nos lectures, que les salaires et

traitements payés

à

l'époque étaient généralement bas. Pour les ouvriers:

(7)

en 1805, les essayeuses de Leroy, couturier de l'Impératrice, ne tou-chaient que 600-800 francs par an.l Vers 1820, un charpentier gagnait 3 francs 25 par jour;2 en 1834, un terrassier touchait un franc par jour.3 On calculait que le minimum vital pour faire vivre une famille de trois personnes sous la Restauration était de 860 francs par an.4 Quant aux fonctionnaires, nous savons que l'ami d'H.B., di Fiore, IIplu _ mitif dans les bureaux de 1 fIntérieurn, gagnait 2.000 francs 1 fan en 1815, 4.000 francs de 1819 à'183l, et 3.000 à dater de 1831. 5 Un autre ami, Poitevin, avait une place de 1.500 francs.6 Un juge de septième classe ne touchait que 1.250 francs en 1830.7 Ecoutons surtout R.B. qui nous dit en 1804: "On peut vÏ'lt'"I'e à Paris pour 1.200 francs [par an) Il ; mais il ajoute ces mots significatifs: lien allant une fois le mois au spectacle 0,,8

Etant donné le caractère de Stendhal, ses gonts, les milieux dans lesquels il se répand, a-t-il pu vivre, comme il l'aurait voulu, avec les revenus que nous lui connaissons ?

La

question devient beaucoup plus difficile - et beaucoup plus intéressante; elle touche au vif de 1 'hom-me autant qu'à la nature de l'écrivain.

1. Robiquet, J.,

La

vie quotidienne au temps de Napoléon, p. 157. 2. Bertier deSauvign~, G. de.,

La

Restauration, p. 250.

3. Valbrune, Dr. B., 'Honoraires des médecins", p. 278. 4. Berlier de Sauvigny-, G. de.,

La

Restauration, p. 250.

5. Mart ineau, H., Pet i t dict ionnaire stendhalien, p. 221. 6. Stendhal, Souvenirs d'Egotisme, p. 1402.

7. Donnard, J.H., Balzac et les réalités économiques et sociales, p. 403. 8. Stendhal, ,Journal, p. 454.

(8)

4

-En épicurien de tempérament, et en matérialiste de philosophie, il faut à Stendhal une vie que seule procurerait une fortune. Or, il n'a pas de fortune. L' oeuvre par laquelle il survit ne la lui a pas gagnée. Mais a-t-elle été favorisée, retardée, emp~chée par les efforts déployés par B.B. pour satisfaire l'autre moitié de lui-m~, celle avide des plaisirs qu'exige le cSté XVlllème siècle de sa personnalité? Telle est la question principale

à

laquelle le présent mémoire tente d'apporter une réponse. Par ailleurs, si Stendhal,

à

la fin de sa vie, aboutit

à

s'avouer que le vrai plaisir de l'animal est d'écrire un roman dans un grenizr,l - c'est-à-dire de s'évader par l'imagination du monde sordide qui l'entoure autant que des servitudes de la vieillesse - ne faut-il :pas retracer la voie qu'il a suivie pour arriver

à

ce détachement? Il faut suivre les étapes de sa course

à

l'argent pour comprendre comment il en a reconnu la vanité - sans toutefois, en vrai Dauphinois -

ja-"

mais en mépriser l'objet. De cette attitude assez ambigue nous espérons trouver la clef.

Nous nous proposons donc d'examiner en détail les budgets d'B.B. de 1799

à

1842. Nous noterons ses périodes d'affluence et de pénurie, ses espoirs et ses inquiétudes. Par cette étude nous espérons aboutir à une connaissance plus intime de l'homme en rapport avec son milieu et son temps. Notre mémoire se divise en cinq chapitres: la vie de Stendhal s'y pr~te facilement.

(9)

Notre chapitre l recouvre la période 1799 - 1806. A Grenoble H.B. a vécu chez son père, qui a veillé

à

ses besoins d'enfant et d'ado-lescent de province. C'est

à

son arrivée

à

Paris en 1799 que l'argent commence

à

jouer pour lui un r~le de plus en plus important. Nous l'ob-serverons sous-lieutenant de dragons dans l'armée de Bonaparte en 1800, étudiant très libre

à

Paris de 1802

à

1805 et, pC)"o.lr finir, épicier

à

Marsei1les.

En

1806

commence le deuxième chapitre de sa vie et de notre étude. C'est la période flimpériale" de service comme Commissaire des guerres, l'intendance de Brunswick, les voy~ges à travers une Europe soumise, et l'élévation au Conseil d'Etat qui lui permet "la grande viel!

à

Paris. Cette période brillante se termine brusquement en 1814 avec la perte de sa situation

à

la suite de l'abdication de Napoléon.

La

troisième étape est italienne. El1e débute quand H.B. s'expatrie à Milan. L'époque heure~se qui suit voit la parution de ses premières oeuvres, et dure jusqu'en 1821 quand il est forcé, le coeur brisé, de quitter Milan.

De retour à Paris, il devient courriériste, fréquente thé~tres, boulevards et salons. Il écrit beaucoup et publie la majeure partie de ses ouvrages. Ce quatrième chapitre de sa carrière prend fin en 1830 avec son départ pour un consulat en Italie.

Stendhal détient son poste de Civita-Vecchia pendant douze ans, jusqu'à sa mort en 1842. C'est la cinquième phase d'une vie mouve-mentée, aux périodes de stabilité et, pï.us souvent, d'instabilité de for-tune, dont nous allons maintenant commencer l'étude détaillée. C'est aux

(10)

6

-Oeuvres intimes et

à

la Correspondance d'H.B. que nous avons surtout em-prunté notre documentation. Nous avons suivi son exemple en notant quan-. tité de "petits faits vrais"quan-. Mais leur abondance excluait les longues

(11)
(12)

Henr~ Beyle a seize ans quand, le 10 novembre 1799, il met pied

à

Paris. Pour la première fois ce jeune orgueilleuxl se trouve libre de toute surveillance, et il en est enivré. Il avait été un élève

2

remarquable à l'Ecole centrale de Grenoble, et avait caressé des pro-jets éblouissants de gloire qu'il se promet de réaliser s?ns tarder.

Le Paris de cette époque pétille. La mode est reine, m~e

parmi le peuple; la chronique de 1802 rapporte la mort d'un enfant de 13 ans, apprenti orfèvre, qui se tue parce qu'il ne se trouve pas assez bien habillé.3 La ville, lasse des années de Terreur et de misère, ca-che toute laideur sous un luxe de mauvais gont,4 étalé surtout par les spéculateurs et les fournisseurs dtarmées et soutenu par la vieille et la nouvelle aristocraties. Il y a laideur: parmi les 800.000 habitants,5 un quart meurt de faim,6 les guerres menacent toujours, la conscription est un fardeau écrasant. Ce qui ntemp~che pas les élégants et élégantes du beau monde de se donner rendez-vous sous les galeries de bois du Palais-ROYal, 7 pour dtner à la Rotonde 8 ou se distraire au lino. 113",9 la maison

S ,II

1. tendhal, Corr., Tome l, Pleiade, 2. Stendhal,

HëDrY

Brulard, p. 346. 3. S imond, C., Paris de 1800

à

1900,

4.

Simond, C., Paris de 1800 ~ 1990,

~ Q~_~~~_, ~___ ~ ___ T n,Lg_~_

~. ~u~~~~, ~., uUWC ~, ~~~~~~~,

6. Simond, C., Paris de 1800

à

1990, 7. Stendhal, Corr., tome l, Pléîade,

8.

Ibid., p. 159.

9.

Stendhal, Journal, p. 1550. p. 1177. tome l, p. 54. tome l, p. III. ~. r'\n p. ~~. tome l, p. 2l. p. 176.

(13)

de jeu en vogue. On danse aux bals masqués de l'Opéra, 1 on va au

thé~tre,

on accueille ses amis chez soi dans un décor de faste et d'éclat. En été les feux d'artifice du jardin Frascati2 attirent une société

à

la-quelle H.B. se m~le bientSt.

Si le garçon fait

à

son arrivée

à

Paris l'apprentissage de la liberté, il fait aussi celui de la solitude et des déceptions. Il est t " "d ~~ e, e se rouve 3 t t v~ "t"" f ' " e ~n er~eur e gauc e t h ,,4., aans ou e t t soc~e " 'té • Le poli de la capitale lui fait défaut, son accent dauphinois est décou-rageant, sa tenue de province sans doute dépourvue d'élégance. Sa pré-tendue laideur

5

accable cette

~e

qui aspire à la beauté.

6

Il acquiert un complexe d'infériorité

7

qui aura besoin du baume de

~tements

élégants et d'un train de vie luxueux. L'argent est le moyen de se les procurer.

Chérubin Beyle s'estime généreux en assurant à son fils une

8

pension de 150 livres par mois, somme qui permet à Henri en fait de se dire alors riche.9

~me

en 1841, quand le cont de la vie aura augmenté

10

de vingt pour cent, bien peu d'étudiants toucheront plus de 200 francs

1. Simond, C., Paris de 1800

à

1990, tome l, p. 2. 2. Stendhal, Corr., tome l, Pléîade, p. 442.

3.

Blin, G., Stendhal et les problèmes de la personnalité, p. 124.

4. Stendhal, Henry Brulard, p. 335.

5.

Stendhal, Journal, p.

637.

6.

Stendhal, Les PriVilèges, p.

1526

et Blum, L., Stendhal et le beylisme, p.

9.

7.

Blin, G., Stendhal et les problèmes de la personnalité, p.

168.

8.

Stendhal, Journal, p.

434

et Henry Brulard, p. 320.

g. Stendhal. Hem'v Brula T'a _ n. 7_

(14)

10

-. 1

francs par mois, et beaucoup encore moJ.D.S. Il loue une chambre écono-mique non parce que les louis2 lui manquent,3 mais tout simplement parce que l'exige le niveau habituel de la vie d'un jeune étudiant. Le loyer d'une telle chambre garnie est modeste. Un contemporain d'H.B., le jeune Richerand (plus tard professeur de pathologie chirurgicale,

con-4

sultant de Louis XVIII et médecin de notre héros en 1808), s'établit en 1797

à

Paris comme étudiant et se loge pour 12 francs par mOis.5 Surtout parce qu'H.B. ne sait pas ménager son argent, il ne se dira plus riche avec sa pension après 1800.

Dès la fin de 1799 il fait son entrée dans la maison de grande aisance, et m~e de richesse, des Daru; Nogl Daru possède

4

ou 500.000

6

francs. Pierre Daru offre bient~t

à

son cousin Henri un poste de bureau-crate au ministère de la guerre. Pendant quelques mois celui-ci fait l'apprentissage d'une sorte de "grand monde" qui n'est pas le vrai, mais le monde des parvenus profiteurs des évènements. Il suffit toutefois

à

éblouir le petit provincial.

Suivent alors les r~ves de gloire militaire quand

H.B.

devient sous-lieutenant de dragons (en septembre 1800, encore par l'entremise de Pierre Daru) et trouve "la patrie de son coeur"

à

Milan. Mais la vie de

1. Simond, C., Paris de 1800 à 1900, tome l, p. 206. 2. Pour la valeur de l'argent de l'époque, voir Au~exe I. 3. Stendhal, Henry Brulard, p. 320.

4.

Stendhal, Mélanges Intimes, tome l, p. 132.

5. Denier, A., "Richerand, médecin consultant de Stendhal", p. 198. 6. Stendhal, Henry Brulard, p. 312.

(15)

garnison lui devient aussi ennuyeuse que le travail de bureau et, à la fin de 1801, il l'abandonne également.

Après quelques mois d'indécision à Grenoble, il part définiti-vement (en avril 1802) pour Paris et une carrière littéraire.

Le problème de l'argent se pose en fait pour R.B. à partir de cette seconde arrivée à Paris, quand il comprend véritablement le rSle capital de l'argent pour sa vie. En 1799 il était trop "petit" pour comprendre beaucoup; puis les Daru avaient veillé

à

ses besoins;

à

Gre-noble il vivait chez son père. Mais entre l'~ge de 19 et 23 ans (1802 -1806), il Y a une évolution assez rapide d'Il.B., la "prise de conscience" qui mène de l'adolescence

à

la jeunesse. Ses besoins grandissent pro-gressivement au fur et

à

mesure qu'il prend conscience de ce qu'il lui faut pour atteindre love and fame. On verra que ses revenus restent au contraire plus ou moins fixes.

Il a l ' intention ferme de devenir le successeu.r de Molière et 1

d'écrire des pièces pour l'an 2000. Il doit donc fréquenter souvent le

thé~tre pour étudier les pièces afin de trouver le secret de leur succès, car il espère tirer une fortune de la réussite de ses propres oeuvres. En 1804 il se fait le compte: une bonne représentation au Thé~tre Français a une recette de cent louis; l'auteur touche le douzième de

" , ,,2

cette somme, donc sa part pour la soirée peut aller a 200 francs. Il va encore vendre ses pièces imprimées fort cher: The Two Men, six francs

1. Stendhal, Journal, p. 540.

(16)

12

-l'exemplaire. Et i l aj oute avec fierté: " voila mes idées de , f~ces. . ,,1 Ce r~veur s'informe m~e du prix des copistes, et note qu'ils demandent " trois l~vres . par seance, , so~ ·t 21 l' ~vres par sema~ne. . ,,2 Il Y a aussi l'attrait des pensions alléchantes que Napoléon a l'habitude de décerner aux auteurs qui lui plaisent, par exemple celle de 6.000 francs par an attribuée

à

Luce de Lancival (qui se souvient encore de .lui ?) pour la tragédie La Mort d'Hector.3 Les "romans" le tentent moins; mfue ceux

"

,

'"

4

a suc ces ne rapportent que de 2.000 a 2.200 francs sous le Premier Empire. H.B. sera sa vie durant un fanatique du thé~tre. Talma, Mlle Duchesnois, Mlle Mars,

Mme

Crespi, Mme Catalani, sont des noms qui revien-nent sans cesse dans ses lettres et ses cahiers. Il va au spectacle

par-fo~s s~x · . " JOurs e d su~ "t e, et

5

débute par le parterre,

à

44 sous le billet.

6

Dès décembre 1804 on le trouve à l'orchestre,7 "puisqu'il faut l'avouer",

8

et

à

cSté de Mélanie,

à

6 francs le billet. A la sortie du thé~tre notre homme du monde va parfois souper avec des amis. Le 4 septembre 1804 il est l'un des convives

à

un repas pour 12 qui conte 175 francs.

9

1. Stendhal, Pensées, tome l, p. 313. 2. Stendhal, Journal, p. 461.

3. Simond, C., Paris de 1800

à

1990, tome l, p. 180.

4. Néret,

J.,

A.,

Histoire i:lustrée de la librairie et du livre français, p. ll6.

5. Stendhal, Journal, p. 512.

6. Stendhal, Journal, p. 678 et Robiquet,

J.,

La vie quotidienne au temps de Napoléon, p. 131.

7. Stendhal, Journal, p. 582.

8. Robiquet,

J.,

La vie quotidienne au temps de Napoléon, p. 131.

(17)

Il acquiert vite le besoin des ~tements élégants. Puis viennent les leçons dtanglais avec le père Iéki,l et celles de danse.2 Le 12 ao~t 1804 i l commence un cours de déclamation de douze leçons chez La Rive, pour six lOUis3 (" jamais six louis ne furent mieux em-ployés que ceux de La Rive,,)4 et les continue chez Dugazon à 6 francs de ltheure. 5 Serait-ce pour se débarraser eni'in complètement de son accent grenoblois ?

Ce garçon qui est parti à la guerre dtItalie avec 58 volumes

6

dans son portemanteau, est toujours et partout un lecteur vorace. Il trouve

à

Paris avec quoi assouvir sa faim d f imprimés. En 1802 les édi-teurs publient jusqu'à 4 livres par jour. 7 Les cabinets de lecture abondent; on s'y abonne au prix de 24 à 36 francs par mois, ou de 23 centimes par séance.8 En 1801 Nille Masson et son cabinet "Aux hommes illustres" est en vogue,9 ensuite c'est à l'ancien café Procope que M. Zaffi étale "tous les ouvrages périodiques, scientifiques et litté-raires qui paraissent à Paris, tous les journaux politiques de cette ville, et un bon nombre de ceux des départements. Enfin, pour ne laisser

1. Stendhal, Journal, pp. 433 et 448. 2. Ibid., p. 433.

3. Ibid., p. 498. 4. Ibid., p.

506.

5. Ibid., p. 572.

6. Arbelet, P., La jeunesse de Stendhal, p. 208. 7. Simond, C., Paris de 1800

à

1990, tome 1, p. 51.

8. Néret, J.A., Histoire illustrée de la librairie et du livre français,

_ ,7;),

l:'e ~.,.,-r.

(18)

14

-rien

à

désirer, on y lit aussi les journaux anglais, italiens et al-lemands."l Il y a de quoi attirer Henri Beyle. Aussi achète-t-il des livres dès qu'il a quelques francs dans sa poche,

à

des prix qui varient de

28

sous à six francs par volume. 2

S'il n'a pas d'argent, il en emprunte.

3

On le conna~t connne fils de famille riche, digne de confiance. D'ailleurs, c'est la façon de vivre de maints jeunes gens de l'époque. Ses amis François Bigillion 4 et Louis Crozet

5

font de pareils emprunts, au

m~e

chagrin de leurs pères.

6

Jusqu'au

20

juin

1804

R.B. ne se plaint pas désespérément de manquer d'argent. A cette date i l annonce

à

sa soeur Pauline que son père veut le prendre par la famine

7

,

et il a probablement raison. C'est

peut~tre alors que Chérubin Beyle s'avoue la présence d'une brebis ga-leuse parmi son troupeau.

Entre père et fils sévit depuis longtemps une "guerre" de tem-péraments. ~u'on dise encore que le manque de communication entre les générations est uniquement le fléau de l'an de gr~ce

1969!

Chérubin est un homme qui connatt la valeur de l'argent; sa fortune réside dans des innneubles et des terres, et il a encore deux filles à doter. En

1.

Néret, J .A., Histoire illustréee de la librairie et du livre français, p.

134.

2.

Stendhal, Journal, p.

461

et Corr., tome I, Plé~ade, p.

315.

3.

Stendhal, Journal, p.

596.

4.

Stendhal, Corr, tome I, Plé~ade, p.

1086.

5.

roide , p.

1224.

6.

Ibid. , p.

1224.

(19)

bourgeois de province, il a élevé son fils unique à la manière de son temps et de son niveau social; de son point de vue, il a sans doute été un bon père pour ce garçon récalcitrant. Il lui a fait donner une édu-cation de choix. L'abbé Raillane avait été précepteur dans l'une des maisons les plus riches de Grenoble. (Nous connaissons toutefois le régime draconien qui règnera dans le pensionnat Raillane jusqu'en 1840.1 Les psychologues sont d'accord pour penser qu'une telle éducation a des répercussions sérieuses la vie durant.)2 D'autre part, Séraphie était la tante d'Henri, la soeur de sa mère. D2 l'avis de Chérubin, qui de plus dignes et de plus capables de bien élever son fils unique ?

En bon père du Dauphiné, il l'envoie

à

Paris pour achever ses études. Or, son garçon se met

à

mener une vie de paresse, tandis que ses amis suivent la route normale qui les mène à des professions honora-bles. Crozet devient ingénieur des Ponts et Chaussées en 1804,3 Plana, professeur d'astronomie

à

l'université de

Tur~~

en 1805.4

,~and H.B. est nommé sous-lieutenant il touche l'indemnité de Il . , • Il

prem~ere m~se de 650 francs accordée à tout officier de cavalerie. 5

La solde est de 1.150 francs,6 mais l'officier est obligé de s'équiper

1. Litto, V. Del., Il Quelques nouveaux Documents sur l'abbé Raillane. Il pp. 161-185.

2. Adler, A., Understanding human nature, p. 282.

3. Martineau, H., Petit dictionnaire stendhalien, p. 145. 4. Stendhal, Corr., tome l, Pléiade, p. 1130.

5. Baldet,

M.,

La vie guotidienne dans les armées de Napoléon, p. 123.

6.

Ibid.

(20)

16

-et de s'entretenir à ses frais.l A eux seuls, la monture et le "grand uniformell

à broderies et passementeries représentent pour lui plusieurs mois de sOlde.2 D'habitude, les appointements sont payés avec

irrégula-rité et en fait, Henri Beyle ne touche que le 16 septembre 1802, et à Paris, la solde des 6 derniers mois (95 livres par mois).3 Le jeune hOlJlIl1e n f est pas au nombre des officiers qui peuvent se suffire avec c.·~s

subsides. La liste des effets qufil emporte en Italie est déjà démesu-rément longue ;4 pourtant en route il fait de nouveaux achats qui sfélè-vent à des sommes considérables (300 lires en un seul mOis).5 En

m~e

temps il multiplie les demandes à son père pour des chemises, des bas, et des mouchoirs qufil désire fins et petits.6 Il prend des mattres df italien,7 dfar.mes

12 francs par mois)8, de clarinette (à 14 lires par mOis)9 et se fait

m~e

peindre.10 A son retour à Paris, il dépense les arriérés de sa solde en acquittant ses dettes envers Dionne le tail-l eur e ses t ~s, . Il t e es td e nouveau sans e sou. l

On conna1t assez son gont, m~e sa manie, pour les beaux habits.

1. Baldet M.,

La

vie quotidienne dans les armées de Napoléon, p. 117. 2. Ibid., p. 123.

3. Stendhal, Journal, p. 433.

4. Arbelet, P.,

La

jeunesse de Stendhal, pp. 208-209.

5. Stendhal, Journal, p. 421. Pour quelques prix de Ifépoque, voir Annexe II.

6. Stendhal, Corr., tome l, Plé~ade, p. 28.

7.

Stendhal, JOurnal, p. 412.

8. Ibid., p. 403. 9. Ibid., p. 408.

10. Stendhal, Corr., tome l, Plé~ade, p. 10. 11. Stendhal, Journal, p. 433.

(21)

Il se met maintenant à acheter les redingotes et les gilets de "duvet de cygne, fond jaune, raies noires dans un seul sens"l qu'il aime tant.

, , " " , 2

Plus le pere le morigene, plus il lui envoie des factures a regler. Nous nous demandons si notre dandy naissant ne veut aussi punir le "Tartv;ffè" qu'il déteste, et par le moyen de l'argent, le plus capable

de le blesser.

Il est probable qu'à son retour d'Italie en décembre 1801, Chérubin lui a promis 250 francs par mois afin de l'éloigner de l'armée de Napoléon et des dangers de la guerre. Henri Beyle l'affirme,' et nous savons en outre que le père hait Bonaparte. Mais Chérubin n'a pas mis un terme à sa promesse, et il voit que son fils n'essaie m~e pas de se faire un état. Il r~ve de vivre de sa plume; le père doit en dé-sespérer.

A

la vérité, ce n'est qu'en 1815 qu'R.B. publie sa première oeuvre. En 1804, le père cesse subitement ses subventions et t~che ainsi de forcer ce jeune dépensier à prendre un parti. Dans Henry Brulard, Stendhal homme mnr se souvient de cette période: "L'argent ne m'a jamais fait la guerre que deux fois, à la fin de 1805, et en 1806 jusqu'en aont, que mon père ne m'envoyait plus d'argent, et sans me prévenir, là était le mal. Il fut une fois cinq mois sans payer ma pension de 150 francs. ,,4 Comme d'habitude, sa "détestable mémoire,,5 le trompe sur les dates et le montant de la pension, mais pas sur l'incident.

1- Stendhal, Corr., tome l, Plé~ade, p. 251-2. Ibid., p. 69.

,.

Stendhal, Journal, p. 569.

4.

Stendhal, Ren~ Brulard, p. 16.

5.

Stendhal, Journal, p. 438.

(22)

18

-Henri Beyle, de son cSté, se voit persécuté par un père qui fut la cause de son "lot exécrable de 7 ans à 17"1 à Grenoble. Ce père passe pour riche, ce qui le rend, lui, un jeune homme riche.2 Chérubin favorise cette croyance en parlant toujours de l'héritage qu'il lui laissera. En 1805, Fortuné Mante est présent quand on parle de 15.000 livres de rente;3 en 1814, quand "la gangrène était déjà dans sa fortune

4 11 4 , .. ,

depuis ou 5 ans, Cherubin fait encore aveu a Félix Faure qu Henri aura une rente de dix mille francs, ce que Faure grave sur la montre de son ami.5 De plus, le grand-père Gagnon lui promet une partie de sa succession.6 En octobre 1805, Chérubin traite de la vente de sa proprié-té de Cheylas pour la jolie somme de 110.000 livres. 7 Or, H.B. affirme qu'un père doit à ses enfants, "en justice rigoureuse", assez d'argent

1 " b ' 1 "

8

u "

.

..

pour eurs eso~ns nature s . n pere r~che, a son avis, leur doit une vie de luxe.

A ce sujet, écoutons encore le docteur Gagnon qui, pourtant, aime Henri et n'aime point Chérub in: "[Il s ' agit] d'un père qui donne 200 livres par mois à son fils. Pour quel objet ~ Est-ce pour prendre un état ~ Pour s'amuser à Paris ••• Quand je réfléchis à ce qu'il a fait

1. Stendhal, Henry Brulard, p. 384. 2. Stendhal, Journal, p. 700.

3. Stendhal, Corr., tome 1, Plé~ade, p. 1097. 4. Stendhal, ~es Intimes, tome 1, p. 113. 5. Ibid., p. 145.

6.

Stendhal, Corn, tome 1, Plé~ade, p. 1093. 7. Ibid., p. 1129.

(23)

pour toi sans aucun fruit, je trouve qu'il n'y a pas un père qui y prtt patience ••• Tu as tant de besoins, si peu d'économie, tu ne connais pas

, ,,1

le prix de 1 argent •••

Henri compte, et compte juste, sur "la crainte de bl~ de tous les gens d'esprit de Grenoble,,2 pour délier encore une fois la bour~e de son père. Chérubin respecte trop les convenances pour laisser son fils unique mourir de faim. Il recommence à lui envoyer des subsides.

H.E. affirmera que son père "fut une fois 5 mois sans payer (sal pension".3 La lecture de la Correspondance et du Journal nous ap-prend que le jeune homme n'est réellement dans la g~ne qu'entre le 20

4

juin 1804 et la fin de septembre de la m~e année,5 quand il avoue déjà que son père lui donne 200 francs par mois, mais qu'il est criblé de dettes parce que cette samme n'est pas suffisante pour ses habits.

Le montant de la pension est à débattre. Dans le Journal H.E. dit une fois que son father lui annonce 200 francs par mOis;6 6 semaines plus tard i l écrit à Pauline que Chérubin lui a promis 240 francs;7 le grand-père Gagnon parle de 2001ivres.8 Il faut donc supposer qu'Henri touche entre 170 et 240 francs tous les mois. Ce qui est certain, c'est

1. Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, pp. 1093 et 1200. 2. Ibid., p. 280.

3. Stendhal, Hen~ Erulard, p. 16.

4. Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, p. 108.

Ibid., p. 152.

6. Stendhal, Journal, p. 482.

Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, p. 152. 8. Ibid., p. 1093.

(24)

20

-l'irrégularité avec laquelle il reçoit l'argent.l Outre ces sommes, son grand-père lui fait des cadeaux à l'occasion de ~tes, et qui s'élèvent

2 de 100 jusqu'à 300 francs chacun.

Las de la lutte financière avec son père, las de son obscurité,3 notre héros veut s'enrichir, et vite. On se passionne alors pour la 10-terie, on approfondit m~ le sujet. Des opuscules paraissent, tel celui intitulé La vraie explication des-songes "avec l'explication des choses r~vées et leurs numéros correspondants pour les tirages de la loterie nationale" •4 En 1804, H.B. va tenter sa fortune: il mettra 30 francs tous les 10 jours sur le terne 1-2-3, et un franc chaque mois sur un quaterne. Il ne gagne pas,5 ce qui ne

l'emp~che

nullement de

b~tir

ses c~teaux en Espagne: il va en tirer 2.000

à

6.000 francs, et aura de 6 quoi acheter "une paire de pantoufles, une robe de chambre de basin, au.-tre de soie, une belle édition de Corneille, le beau Racine de Demonville, vélin, 45 francs, des meubles, une lampe

à

réverbère". 7 Q;uand la loi de 1836 prohibera les 10teries,8 il se souviendra encore de ce jeu de sa

jeunesse. Etre lu en 1935 -- voilà le gros lot qU'il espèrera après tout gagner.9

1. Stendhal, Corr., tome l, ~léïade, pp. 135,212. 2. Ibid., p. 1201, et Journal pp. 546 et 552. 3. Stendhal, Journal, p. 452.

4. Néret, J.A., Histoire illustrée de la librairie et du livre français, p. 139.

5. Litto, V. Del., "Stendhal, le jeu et la loterie", pp. 4-8. 6. Stendhal, Journal, p. 510.

7.

Litto, V. Del., !!Stendhal, le jeu et la loterielf

, pp. 4-8. 8. Simond, C., Paris de 1800

à

1~0, tome II, p. 127.

(25)

Un beau jour en 1805 ce r~veur à l'imagination trop ardente annonce son départ prochain pour les Indes (Pondichéry). Il va y arri-ver avec 24.000 livres (empruntées à son père), laquelle somme, par

com-o. o. l

merce avec les indigenes, augmentera assurément a 270.000 en sept ans. Une autre fois, il fait part à son grand-père de son projet de partir pour la Louisiane, en Amérique,2 ce qui épouvante le bon vieillard.

Les lettres pitoyables à Pauline sur ses souliers percés et ses dettes3 (dont d'ailleurs il outre parfois le montant)4 se succèdent, tandis qu'il joue au célèbre lino. 113" et perd jusqu'à 30 livres. 5 Cepen-dant il se console en notant que son ami Louis de Barral a perdu 700 francs qU'il doit encore emprunter.6 Il joue parfois au boston,7

par-8

fois à la bouillotte. Fidèle

à

son tempérament, il note dans le Journal comment il dépensera l'argent qU'il ne désespère jamais de gagner. 9

N'oublions pas que dans l'intervalle il lit, il étudie, il se prépare en-fin pour sa vraie vocation.

Pour les stendhaliens i l a été longtemps chose acquise que Henri Beyle est allé à Marseille en mai 1805 pour y gagner sa subsistance

1. Stendhal, Journal, p.

651-2. Stendhal, Corr., tome 1, Pléïade, p. 1169. 3. Ibid., p. 100. 4. Ibid., p. 71-5. Stendhal, Journal, p. 519. 6. Ibid. , p. 509· 7. Ibid. , p. 795. 8. Ibid. 9· Ibid. , p. 455.

(26)

22

-comme épicier. Paul Arbeletl et Léon Blum2 parlent de gagne-pain. c'est Henri Martineau qui éclaircit le détail: ce rejeton de famille riche n'a reçu aucune rétribution. 3 Il y fait l'apprentissage néces-saire pour devenir banqUier

4 --

et y devient l'amant de Mélanie.

S'il affirme ensuite qu'elle ne lui a jamais

co~té

un sou,5 ce n'est pas strictement la vérité. Il dépense, par exemple, 30 francs en bonbons,6 lui fait cadéau d'une robe de 5 loUis,7 l'invite

à

dtner,8 la comble enfin des attentions de jeune homme amoureux.

Il finit par s'attribuer la paternité de l'enfant de Mélanie. Pourquoi ce mensonge au grand-père et

à

Pauline? A notre avis c'est en premier lieu un expédient d'H.B. pour déterminer le bon docteur

Gagnon à envoyer des cadeaux supplémentaires, moyen qui lui réussit à

merveille. 9 Un tel aveu fait

à

Chérubin, l'aurait au contraire brouillé avec celui-ci, et le grand-père le lui déconseille expressément.10 Et ensuite, cette histoire n'est-elle pas un stratagème d'Henri pour se vanter, par une preuve incontestable, de sa virilité? Ne serait-ce pas une réaction contre son complexe d'infériorité auquel nous avons

1. Arbelet, P., Stendhal épicier, p. 139. 2. Blum, L., Stendhal et le beylisme, p. 73.

3. Martineau, H., Le Coeur de Stendhal, tome l, p. 194. 4. Stendhal, Corr., tome l, Plé~ade, p. 265.

5.

Stendhal,

HëDrY

Brulard, p. 11. 6. Stendhal, Journal,

p.

731.

7. Arbelet, P., Stendhal épicier, p. 104. 8. Stendhal, Journal, p. 693.

9. Ibid., p. 731.

(27)

déjà fait allusion ?l

Le projet de la maison de banque IIMante , Beyle et Cie. ,,2 lui

" " 3 4

semble superbe, et les 30.000 francs qu'il sollicite de son père, une somme raisonnable comme placement. Après 115 ou 6 ans d f ennui et d ' inutilité pour les études", 5 il compte sur un bénéfice annuel de 14.000 francs, qui ajouté aux 12.000 de rente de son futur héritage, aux 19.000 de son futur mariage et aux 15.000 de son futur état de tribun, lui don-nera un total de 60.000 francs de rente.6 Belles chimères de jeunesse!

Il engage m~e sa soeur Pauline à s'associer à "sa" banque où elle pourra gagner de 15 à 20.000 livres de rente, et encore "en cinq ou six heures d'un travail moins pénible qu f un bas". 7 Félix Faure, son

ami intime, lui écrit à cette période: "Tu veux donc devenir banquier? C e sont là des contes dont tu peux bercer ton pere. ' " ,,8 Chérubin ne se laisse pas bercer.

Mais la famille s'occupe déjà d'intervenir auprès de Pierre Daru pour procurer au jeune homme un poste dans l'administration napoléon-nienne. Le 3 aont 1806, pour se concilier les bonnes g~ces de ses cou-sins, il se fait recevoir

franc-ma~on

Cà raison de 123 livres)9 à la loge

1. Voir p. 9

2. Stendhal, Journal, p. 511.

3. Stendhal, Corr. , tome l, Pléïade, p. 244. 4. Ibid., p.

ï5b.

5. Ibid., p. 186.

6. Stendhal, Pensées, tome II, pp. 316-317. 7. Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, p. 189.

8.

Ibid., p. 1096.

Stendhal, Journal, p. 0 .. ,.,

(28)

24

-de Sainte-Caroline

à

laquelle est affilié Martial Daru, et dont la princesse de Vaudemont, "l'illustre héritière de tant de nobles aïeux", est grand ma1tresse.l C'est le point de départ de la nouvelle vie dans laquelle entre Henri Beyle. Il a alors 23 ans.

(29)
(30)

Le 13 novembre 1806, cinq mois après son départ de Marseille, notre héros se trouve

à

Brunswick en qualité d'adjoint aux Commissaires des guerres

à

la solde de 1.800 francs par an. l En janvier 1808 son traitement sera doublé;2 il sera chargé alors des fonctions d'Intendant des domaines du duc de Brunswick dans le département de l'Ocker, et de surveillant des biens du duc de Westphalie.

Les Commissaires des guerres avaient des attributions adminis-tratives. C'étaient des "militaires de l'arrière", chargés de l'ordon-nancement des dépenses et des questions du matériel et de l'équipement des armées, de leur nourriture, leur logement, et leurs h~pitaux. Ils avaient aussi

à

tenir la comptabilité de ces opérations.

3

Leurs uni-formes étaient resplendissants: babit bleu de ciel, parements et col-lets écarlates, veste, culotte et doublure blanches.

4

~ant aux Intendants, ces hauts fonctionnaires dirigeaient et surveillaient cette diversité de services. D'habitude, les Auditeurs . au Conseil d'Etat plut~t que les Commissaires des guerres occupaient de tels postes.5 Pierre Daru facilite a.insi une seconde fois la carrière

1. Michel, F., Fichier stendhalien~ tome I, p.

466.

2. Stendhal, Journal, pp.

864, 865, 866.

3.

François-Poncet, A., Stendhal en Allemagne, p. 28.

4.

Michel, F., Fichier stendhalien, tome I, p.

467.

5.

Fr~Lçois-Poncet, A., Stendhal en AlleIDaKûe, p.

30.

(31)

de son jeune cousin.

André François-Poncet conte d'une façon charmante l'existence qu'il y mène, celle de "jeune gentilhonnne fortuné, nanti d'une situation importante, recherché et répandu dans la meilleure société. ,,1 Son tra-vail n'est pas trop absorbant; il a le loisir de prendre des leçons d'allemand, d'anglais, enfin de chant d'un M. Denys (44 francs les 12 séances);2 le maréchal des logis Lefaivre lui enseigne lréquitation. 3 En compagnie de la douce et chaste Minette il fréquente le "Chasseur vert", charmant café champ~tre, où il connnence

à

prendre gont

à

la mu-sique de Mozart. Les jolies filles d'auberge et Charlotte Knabelhuber lui offrent des plaisirs moins innocents et plus conteux.4

Ce bon vivant est entouré de toute une coterie d'amis et

d'amies. On fait des voyages et des excursions (26 en 16 mois;5 un seul voyage,

à

Cassel, lui conte 120 francs);6 on va

à

la chasse ensemble.

7

Puisqu'il est souvent convié aux repas, il doit inviter à son tour; un

8

dtner pour sept personnes lui revient

à

92 francs. Ses domestiques Jean et Romain9 veillent sur sa résidence ordinaire ("une grande maison" )10

1. François-Poncet,

A.,

Stendhal en Allemagne, p. 51. 2. Ibid., p. 91.

3. Stendhal, Journal, p. 831. 4. Ibid., p. 841.

5. Ibid., p. 851.

6. Ibid., pp. 841 et 848.

7. Martineau, H., Le Calendrier de Stendhal, p. 95.

8. Stendhal, Journal, p. 848. 90 Ibid., p.

(32)

28

-et une autre d'été.l Il va sans dire qu'il est toujours

v~tu

avec

élé-" h h 1 "dll

2 t d"l t

gance, c ose importante pour un omme a~ , et surtou quan ~ me son habit officiel qu'il a fait broder dès son arrivée. 3

Il est évident que ses appointements ne peuvent pas suffire aux frais de cette vie de luxe. Pauline est son "ambassadeur"

à

Greno-4 ,~ , ,

ble, ambassadeur a la tache ingrate de persuader leur pere d envoyer des fonds

à

ce fils quémandeur d'argent.

Il était parti

à

Br~wick avec 3.000 livres;5 sept mois plus tard, il note que tout son bien consiste en seulement 71 francs et 50 loUis.6 Les lettres

à

Pauline se succèdent: IIparle tous les jours d'argent pour moi

à

mon père, j'en ai grand besoin; parles-en tous les jours. If 7 Le 5 mars 1808 il avoue qu'il a de son père 400 francs par mois;8 donc sa stratégie a réussi, ce qui lui permet de réaliser des

économies de 453 francs

à

la fin de l'année. 9

C'est alors qU'il reçoit l'ordre de se rendre à Paris, d'où il part bient~t en mission

à

Vienne et en Hongrie. Les horreurs de la

10

guerre J.. : accablent partout sur le chemin; mais les champs de bataille

1- Martineau, H., Le Coeur de Stendhal, p. 229. 2. Stendhal, Journal, p. 836.

3. Stendhal, Corr., tome l, Plé!iade, p. 333. 4. Ibid., p. 374.

5. Stendhal, Journal, p. 824. 6. Ibid., p. 830.

7. Stendhal, Corr., tome l, Plé!iade, p. 355. 8. Stendhal, Journal, p. 853.

9· Ibid., p. 866.

(33)

sont loin des vil1es qui poursuivent leur train habituel de vie, et à Vienne il peut t~cher d'oublier cette expérience. Son uniforme lui

don-" " 1

ne une allure superbe, et il se sent digne d'accompagner son élégante cousine Daru qui y est en visite. La viD~ l'enchante, les meilleurs salons lui ouvrent leurs portes, les sal1es de spectacle l'accueillent, Babet et Elisa ("24 livres" le rendez -vous)

2

remplacent Charlotte

-c'est la vie de Brunswick qui se renouvelle.

Au cours de l'an 1809 une aubaine lui tombe du ciel. Une cou-sine de la branche atnée de l'ex-capitaine Pierre Beyle meurt le 7 mai et laisse un héritage à sa famille grenobloise. H.B., qui apprend

cet~e

nouvelle par son grand-père,' écrit à son tour à Pauline que sa

" 6 ,

4

"

rente en sera augmentee a .5 0 livres. Mais ce n est evidemment pas une rente qu'il reçoit à la suite de ce legs. Ce n'est qu'une somme

d'environ ,.600 francs qU'il touche une seule fois, puisqu'il n'en parle jamais plus; c'est toujours un cadeau qU'il reçoit sans doute avec plaisir.

Quand il revient de Vienne à Paris (le 20 janvier 1810), il est déjà amoureux d'Alexandrine Daru et décidé à prendre sa place parmi les auditeurs du Conseil d'Etat, nomination qui ne devait ~tre que le premier pas vers une préfecture et 20.000 francs d'apPointements. 5

1. Stendhal, Corr. , tome I, Pléïade, p. 624. 2. Stendhal, Journal, p.

868.

,.

Stendhal, Corr., tome I, PléIade, p. 537. 4. Ibid., p. 54l.

(34)

30

-Stendhal dira plus tard que Pierre Daru dépensait 80.000 francs par an.l C'est exactement la somme qu'il gagne officiellement en dotations de rentes annuelles dès l8l2; en l8l0 il reçoit déjà

2

60.000 francs. Avec son épouse, il mène une vie digne de ses fonctions multiples d'intendant général de la Grande Ar.mée et de la maison de l'Empereur, et de ministre secrétaire d'état. Alexandrine a une nom-breuse domesticité, ses bals sont renommés; elle doit payer de l.200 à l.500 francs, et jusqu'à cent cinquante louis, pour une robe de cour. 3

Henri Beyle, qui fréquente assidument ses cousins et qui a ses entrées dans d'autres salons riches de la ville, est ébloui par tant de splendeur. En l804 i l avait aspiré à 6.000 francs par an de revenu,4 en l806 la somme s'était accrue à 8.000 livres.5 En l8l0

me~e

ce chiffre ne lui suffit plus.

Ses besoins augmentent sans cesse. Sa garde-robe contient

. 6

42 chemises et l8 glletsj s'il conseille à son beau-frère François Périer-Lagrange de commander un v~tement complet chez le meilleur tail-leur de Paris pour cinq ou six cents francs,7 c'est parce que c'est à ce prix qu'il fait confectionner ses propres habits. Le ler mai l8l0 i l achète "un cabriolet très à la mode, 2.l00 francs, et des cachets pour

l. Stendhal, Henry Brulard, p. l6.

2. Michel, F., Fichier stendhalien, tome l, p. 569.

3. Robiquet, J., La vie quotidienne au temps de Napoléon, p. l57. 4. Stendhal, Journal, p. 539.

5.

Ibid., p. 777. 6 . . . ~ 1J ....

u..,

-~. /~';l. ch'"'

(35)

83 ,,1 ' i l °rt l ' h 2 A ° t d t l 1 francs; peu apres acqu~e une ca ec e. U sUJe e e s achats, le journaliste Pierre Jouhaud écrit en 1809: "Une voiture annonce au moins 30.000 francs de rente, et encore faut-il avec une pareille fortune user d'une grande économie pour n'avoir pas de dettes avant la fin de l'année".3 Remarquons qu'H.B. ne sera nommé auditeur que le 1er aorit de la m~e année. Il dira par la suite: "Je me suis aperçu que quand on n'arrive pas en cabriolet l'on n'est pas reçu dans les salons sur le pied de l'égalité; or, sans égalité il n'est pas

à

mes yeux de société agréablell •4 Henri Beyle a trop d'orgueil et de vanité pour occuper un rang subalterne dans le monde.

Sous le Consulat et l'Empire, le Conseil d'Etat était chargé de rédiger les projets de loi et les règlements d'administration. Il se divisait en

5

sections: législation, finances, intérieur, marine, et guerre (à laquelle appartiendra H.B.). Par un décret du 26 décembre, le corps des Auditeurs au Conseil fut organisé. Ces hauts fonctionnaires devaient ~tre ~gés de 20 ans au moins et avoir satisfait

à

l'exigence de la conscription. Ils étaient aussi obligés de passer un examen de-vant trois conseillers (Henri Beyle le subira "avec beaucoup d'ade-vantagell

)5 et de jouir d'une pension assurée par leurs parents ou d'un revenu per-sonnel de 6.000 francs au moins. Ils assistaient aux séances et prenaient

1. Stendhal, Journal, p. 923. 2. Ibid., p. 951.

3. Simond, C., Paris de 1800

à

1~0, tome l, p. 186.

4.

Stendhal, Corr., tome II, Plé~ade, p. 78.

(36)

32

-part aux travaux des comités, mais nravaient ni voix consultative ni voix délibérative. Napoléon choisissait toujours, comme Auditeurs, des jeunes hommes riches de la meilleure société. Ils étaient fiers de leur "grand costume": "habit bleu bordé dr"Wle baguette drargent avec broderie de soie bleue au collet, aux poches et aux parements,

r ' la h f . ' l . 1 l" , " 1

1 echarpe bleu c ir, le c apeau rança~s a p umet 0 anc et epee.

R.B.

fait confectionner son uniforme dès sa nomination et s'en dit sa-tisfait: "Je trouve cet habit fort bien, et précisément aussi chargé qu'il convient à un jeune homme".2

Les appointements annuels des Auditeurs n'étaient que de 2.000 francs,3 mais cette place menait drhabitude

à

des fonctions plus lucratives, comme celle d'intendant d'une grande ville

à

20.000 francs par an,4 ou de préfet

à

20.000 ou 26.000 francs. 5 Notre héros ambitieux brOle drappartenir

à

ce corps d'élite. Il doit d'abord fournir la preu-ve d'"Wle rente de 7.556 fraacs.6

Nous venons de voir que le Conseil d'Etat exigeait des candi-dats une pension 2.ssurée par leurs parents OU"Wl revenu personnel,de 6.000 francs au mOins;7 nous nous sommes demandés pourquoi

R.B.'

devait posséder préCisément 7.556 francs de pension. Or, une lettre de cette

1. Dollot, R., Autour de Stendhal, p. 269. 2. Stendhal, Journal, p. 965.

3. Michel, F., Fichier stendhalien, p. 110.

4. Sage, R., The private diaries of Stendhal, p. 491. 5. Ibid., p. 309.

6. Stendha15 Corr., tome l, Plé~ade, p.

543.

7. Voir p.

(37)

31-.-période, signée par six dignitaires grenoblois et rédigée afin de sou-tenir cette candidature, nous apprend que Chérubin "est imposé dans les r$les de contribution foncière de sept communes de l'arrondissement

"1

de Grenoble, de 1810, à la somme de 1.552 fr. 21 c. Ce montant de 1.552 francs ajouté au minimum exigé de 6.000, donne à 4 francs près la somme de 7.556 francs qu'Henri Beyle doit montrer comme rente. Un pa-rent doit-il donc se porter garant pour son fils d'une pension de base de 6.000 francs plus le montant des imp$ts qU'il paie? Ou est-ce une coïncidence? Nous n'avons rien trouvé pour nous renseigner sur ce

détail que nous ne mentionnons qu'à titre de curiosité.

Il Y a déjà un an qu'H.B. avait engagé avec son père des pourparlers au sujet de cette pension. Vu la répugnance de Chérubin, il offre de déclarer par écrit qU'il ne demande en fait rien, la

décla-2

ration sera de complaisance, rien de plus. Le père répond qu'il serait heureux de voir échouer la nomination.

3

Le pauvre homme connatt le ni-veau de vie élevé des Auditeurs et il connatt son fils, par conséquent

il craint que ce soit encore lui qui doive envoyer les fonds qui man-queront à son rejeton. Dans ses lettres à Pauline, Henri est plus sin-cère. Le 6 avril 1810 il lui écrit: "Il faudra si je suis Auditeur que notre père me donne ou me

pr~te

six mille livres par an". 4 Finale-ment Chérubin ne peut pas résister aux insistances continuelles de ce

1. Dollot, R., A;..;.u;;,;.t;;.;:o:..:;u.;:::r--=d:;;..e -:S::.;t:..:;e;.::n===à::;:ba;:r:l~, p.

249.

2. Stendhal .. , Co~ __

.c

",'~ t~rn~ T - , - - - -Pl~~anQ ~ ~4~ - - , 1::'- .;1 . , / .

3.

Ibid., p. 556.

4.

Ibid., p. 562.

(38)

34

-jeune homme qui se voit en trois ou quatre ans au seuil d'une préfectu-re.l Pierre Daru, qui fait souvent l'éloge de ses capacités,2 ne conti-nuera-t-il pas

à

le protéger? Enfin R.B. peut soumettre au Duc de Massa la copie de l'arrangement conclu entre son père et lui par lequel Chéru-bin s'engage

à

lui faire compter annuellement la somme de 7.556 francs.3 Il ajoute dans sa lettre: "Y.leS revenus se sont augmentés par l f effet de deux successions."

4

En fait, après l'héritage de sa cousine Beyle, une seconde succession surgit, malheureusement encore plus maigre. En 1804, (il avait alors 21 ans), Henri avait prié son ami Louis Crozet de négocier pour lui un emprunt: "L'emprunt doit ~tre aisé. J'aurai au moins 1.200 francs sur le bien de ma mère qui ira

peut~tre

à 100.000 francs".5 Ce chiffre est Chimérique, puisqu'en 1781 Henriette Gagnon n'avait apporté

à

Chérubin que 20.000 francs de dot.6 H.B. ne mentionne plus cet héri-tage avant la lettre au Duc de Massa, et jamais après. Mais Robert Sage, d'habitude bien renseigné, affirme qu'en septembre 1810, Chérubin remet

à

son fils la somme de 2.373 francs comme premier versement sur cette succession, par une traite payable environ un an plus tard, c'est-à-dire le

:4

aont 1811.7 C'est cet argent qu' Henri emportera

à

Milan le 29 aont

1. Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, p. 1344. 2. Stendhal, Journal, p. 1057.

3. Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, p. 582.

4.

Voir p. 29.

5. Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, p. 98.

6.

Martineau, H., Le Coeur de Stendhal, p. 37.

(39)

1811 et dépensera pendant un mois avec tant de plaisir. Il se permettra alors de descendre dans les meilleures auberges et de courtiser la Pie-tragrua en jeune homme en fonds. Il est surprenant que, vu sa haine envers son père, vu son besoin croissant d'argent, il ne donne pas suite

à

l'affaire de ce legs.

Notre héros devient donc Auditeur le 1er aont 1810. Trois semaines plus tard il est nonnné "Inspecteur du mobilier et des b~timents

de la Couronne", titre imposant accompagné d'un traitement supplémentaire de 6.000 francs.l Ce nouvel emploi le charge de l'entretien du mobilier du palais de Fontainebleau2 et de la surveillance de l'inventaire et de la comptabilité du Musée du Louvre.3 Il touche déjà la somme de 8.900 francs par an: 900 francs comme adjoint aux Connnissaires des guerres en non-activité, 2.000 connne Auditeur, 6.000 comme Inspecteur du mobilier de la Couronne. Crest le moment de songer à un appartement plus digne d e ses nouve es one i l f t · 10ns, e egan , avec une en ree '1' t t ' "d' t· 1S 1nguee • ,,, 4

A cette époque il habite une chambre garnie près de son ami Félix Faure. Les demeures à Paris où R.B. a logé pendant les années 1800-1810 n'étaient pas de celles à déséquilibrer son budget. L'arrangement était toujours le m~e: chambre décente mais modeste, dans le voisinage de quelque ami. Ainsi' en 1804, il se trouvait dans la m~e maison que

1. Martineau, H., Le Calendrier de Stendhal, p. 110. 2. Stendhal, Corr., tome l, Pléiade, p. 634.

3. Ibid., p. 628.

(40)

36

-Barral, "rue de Lille no. 500" à 19 francs par moisjl il l'habitait encore en 1806 et 1807. En 1808 il descendit avec Félix Faure

à

l'hStel de Hambourg où avait logé Louis Crozet au temps de ses études

à

l'Ecole des Ponts et Chaussées. Par contraste, notre nouvel Auditeur loue, en

2

octobre 1810, un appartement coquet en commun avec son ami Louis-Pépin de Bellisle au prix de 700 francs par an.

3

Il ne lui manque maintenant que cette ma1tresse, actrice et maigre, qu'il convoite depuis longtemps. Il est difficile de savoir le montant de la pension qU'il fait

à

Angéline Béreyter. Il en parle deux fois en 1812: un mois il lui donne 200 francs,4 un autre 166 francs 66 5 (sa solde mensuelle d'Auditeur). Dans son budget, il se propose de dé-penser la somme de 3.440 francs

à

la rubrique "spectacles, livres, filles";

jettons maintenant un coup d'oeil sur le budget entier qu'il se promet de respecter:6 Deux domestiques Deux chevaux mners Déjeuners Habillement

Entretien de voitures et chevaux Logement

Spectacles, livres, filles

2.000 2.000 2.160 400 2.000 500 1.500 3.440 14.000

1. Martineau, H., Le Calendrier de Stendhal, p. 71. 2. Stendhal, Gorr., tome I, Plé1ade, p. 593.

3. Stendhal, JOUrnal, p. 952 •

4. Stendhal, Corr., tome I, Pléïade, p. 678. 5. Ibid., p. 658. 6. Stendhal, Journal, p. 952. francs

"

"

Il

"

"

"

"

"

(41)

, ' '" , , , l , A ce qu il écrit a Pauline, il n y a pas un sou a rabattre. Il de-passera m~ ce total.

Puisqu'il ne touche que 8.900 francs par an, c'est à son père qu'il s'adresse d'abord pour la différence. Chérubin lui envoie une fois 25 lOUis,2 une autre 400 livres qui ne sont qu'"une goutte d'eau

. . , ' h "

3

au mll~eu d une sec eresse . Mais il se lasse probablement d'aider ce

fils qui lui envoie le compte de son tailleur envers qui il a "une dette criarde de 2.010 francs",4 qui lui demande

m~e

alors "dix paires de draps et cinquante serviettes" en insistant pour qu'ils soient fins.5 Henri menace alors les siens; il va épouser une certaine Jenny

Lesche-6

nault, "une nullité aimable et douce" qui a 7.000 francs de rente. Nulle réaction à Grenoble. li.B. commence bientSt à faire de forts em-prunts et à se couvrir de dettes.

Il faut préciser qu'à l'époque les dettes étaient chose com-mune. On n'a qu'à se rappeler que le grand Balzac devait tant d'argent,

qu'en 1838 sa mère a dn verser la somme de 90.000 francs à ses créanciers pour le secourir. Les emprunts d'H.B. s'élèvent déjà à 12.500 francs en

l8l0~7

et atteindront 37.000 francs en 1814. Il préVOit cette somme;

1. Stendhal, Corr. , tome l, Pléïade, p. 6ll. 2. Stendhal, Journal, p. 96l.

3. Stendhal, Corr. , tome l, Pléïade, p. 584. 4. Ibid. , p.

649:

5. Ibid. , p. 705. 6. Ibid., p. 6ll.

(42)

38

-dans une lettre

à

François Périer-Lagrange il en explique la raison: IIpour réussir dans ce pays, il faut faire une dépense assez forte. La

mienne, pour l'exercice de 1810, indépendamment des achats, montera à

8.000 francs. Je ferai une pareille dépense 5 ou 6 ans, et au bout du compte, j'obtiendrai une place qui vaut 24.000 francs. J'y arriverai

Il l avec 36.000 francs de dettes, que je paierai en 10 ans au plus •

r')

C'est toujours

à

une intendance en Italie~ ou à une préfec-ture qu'il r~ve. Il est snr de cette récompense après ses campagnes en Russie en 1812 et en Silésie une année plus tard; on sait qU'il ne re-çoit rien, ni en avancement ni en rubans. En Russie il perd encore tout son avoir (à ce qU'il dit en 1812, 4.000 francs en effets;3 en 1818, il dira 15.0004). A force de voir tant de cadavres d'hommes et de chevaux sur les champs de bataille,5 il revient à Paris avec de violents maux de nerfs. 6

Ses biographes ont peu analysé l'effet qu'ont eu ces expérien-ces sur sa personnalité. Dès l'~ge de 17 ans, il avait vu la mort de près. En Autriche, épouvanté par la vue des entrailles des corps des chasseurs, il se met lIà parler pour [se

J

distraire de cet horrible spec-tacle; il résulte de là qu'on [le] cro1t un coeur de ferll

•7 Nous lui

1. Stendhal, Corr., tome l, Pléïade, p. 588. 2. Ibid., p. 696.

3. Ibid., p. 657. 4. Ibid., p. 929.

5. Stendhal, Journal, p. 887.

6. Stendhal, Essais dfAutobiogra~hie, p. 1490.

7.

Stendhal, Corr., tome l, Plé~ade, p. 528.

(43)

connaissons au contraire une sensibilité très vive qui le "rend :femme",l et pouvons deviner que l'empreinte sur son ~, surtout à cette époque de sa vie, a été :forte. S'étant rendu compte que l'existence est fugi-tive et l'avenir incertain, i l s'est mis

à

courir à perdre haleine après toutes sortes de bonheurs passagers et :fugiti:fs. Convenons que l'argent est indispensable pour se procurer une grande partie des agréments de la vie. D'2 là s ans doute s on dés ir :frénét ique d ' obtenir cet argent.

Les plaisirs de l'esprit l'occupent encore. Il :fréquente tou-jours les cabinets de lecture,2 achète des livres,3 s'abonne au Journal de l'Empire à 60 :francs par an,4

tra\~ille

de temps en temps à l'Histoire de la Peinture et à Letellier,5 mais c'est surtout l'appétit de la belle situation sociale et de l'aisance qui lui tient à coeur. Il atteindra son but plus vite, par l'anoblissement nouveau que peut lui donner la baronnie.

Pendant son séjour à Brunswick i l avait ajouté la particule "den

6

à

son nom, titre qui lui :facilitait les entrées chez les aristocrates allemands. D'ailleurs, c'est l'un des ridicules du temps; les parents de Balzac, bourgeois comme lui, se font nommer de Balzac sur le :faire-part de mariage de leur fille. 7 Pour Henri Beyle, un titre de noblesse

1. Stendhal, Journal, p. 783. 2. Ibid., p. 913.

3. Ibid., p. 1003. 4. Ibid., p. ll80.

5. Martineau, H., Le Calendrier de Stendhal, p. 126. 6. François -Poncet, A., Stendhal en Allemagne, p. 42. 7. Bertier de S~uvigny, G. de.,

La

Restauration, p. 249.

(44)

40

-est maintenant d'une valeur beaucoup plus grande. Avec cette "gr~ce

importante" dit-il, il peut avoir dans deux ans, 40.000 francs

d'appoin-1

tements.

La preuve d'un ma.jorat est exigée d'un candidat au titre de baron. Cette institution avait été abolie par la Révolution; par les dé-crets du 30 mars 1806 et du 1er mars 1808, Napoléon l'avait restaurée pour en faire un des fondements de la noblesse de son empire. Les

majo-rats étaient des propriétés immobilières inaliénables possédées par l'a1né de la famille et passées de père en fils.

Le

chef de famille pouvait établir pour son fils atné la dotation d'un tel titre "sur de-mande" faite à l'Empereur. Les barons devaient justifier de 15.000 francs

de revenu, dont 5.000 francs en majorat.

Alors commence entre R.B. et son père cette "bataille de la baronnie" qui finit par le brouiller

m~me

avec le bon grand-père.2 Il affirme que son père arr~te sa carrière "faute d'un chiffon de 8 lignes

à

signer" ,3 et le traite de

"b~tard"

et de "vilain homme" • 4 Afin de com-prendre la conduite d'Henri Beyle, sinon de l'excuser, il faut savoir que de tels gestes paternels étaient courants parmi les familles aisées de l'époque. Par exemple, en 1784, No~l Daru avait acquis pour son fils Pierre une charge de commissaire provincial des guerres au prix de 100.000 1~vres, °

5

somme enorme a

,

..

l" epoque. Chérubin ne peut pas, ou ne veut pas

1. Stendhal, Corr., tome l, Plé~ade, p. 614. 2. Ibid., p.

631-3. Ibid., p. 69631-3.

4. Stendhal, Journal, p. 1005.

Figure

TABLE  DES  MATIERES  INTRODUCTION .•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••  CHAPITRE  l  - 1799  - 1806 ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••  CHAPr.r.RE  I I  - 1806  - 1814 •••••••••••••  ~  ••  c  • • • • • • • • •   ~  • • • • • • • • • •

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