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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Sciences, Technologies (avec un S) et Citoyenneté (sans S): combats pour la réunion et la séparation des trois termes

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Texte intégral

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SCIENCES, TECHNOLOGIES, CITOYENNETÉ.

COMBATS POUR LA RÉUNION

ET LA SÉPARATION DES TROIS TERMES

Guy RUMELHARD

Lycée Condorcet - I.N.R.P., Paris

MOTS-CLÉS: SAVOIRS-VRAIS - LIBERTÉ - POUVOIR POLITIQUE - ENSEIGNEMENT

RÉSUMÉ : La pensée scientifique est une pensée au sens plein du terme, sans dogme, sans références absolues, qui se risque entière dans un jeu infini avec ses propres limites. Elle peut offrir au citoyen un exercice de sa liberté intellectuelle. Cette intuition du siècle des lumières doit être repensée et rectifiée, mais elle reste le seule éthique qui vaille. Ce lien est sans cesse remis en cause par l'apparition d'une nouvelle référence absolue constituée par LA NATURE qui se propose comme fondement au droit,àl'éthique etàla citoyenneté, et par une liaison étroite entre science et technique

SUMMARY : Scientific thinking is thinking in ils fullest sense, free from dogma, from any absolute reference, risking everything in an infinite game with its own li mils. Il therefore offers people the opportunity to exercise their freedom of thought. This notion was first expressed in the Age of Enlightenment, a period in which teaching and freedom were strongly Iinked. In present times, it remains a valuable single guiding principle (even if it needs to be reconsidered and amended). This linkage between teaching and freedom is unceasingly called into question by the appearance of "nature" as a new absolute reference which is proposed as the foundation for law, ethics and citizenship, and by the strong connection between science and technology.

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Les trois termes proposés comme titre de ces Journées Internationales pourraient se décliner de la façon suivante: savoirs-vrais, savoirs-utiles, liberté et pouvoir politique. En notant également quele fait de les écrire au singulier ou au pluriel en change profondément le sens. Le pluriel est un éloge de la différence, ou bien une façon d'affadir un terme et de le vider de son sens. Le singulier désigne un universel, ou bien au contraire un individuel-singulier.

Deuxième remarque préalable, le fait de se situer dans une perspective d'enseignement implique a priori une visée bien précise. Il s'agit de s'adresser à TOUS et non pas seulement à certains publics, en respectant un principe de séparation que l'on nomme laïcité, en s'exerçantàla réflexion et en se préparant à l'action. Autrement dit, selon une fonnule classique, il s'agit de former des citoyens qui sont en particulier des électeurs, mais pas de faire réussir telle élection ou telle action indirecte, participative ou directe.

Trois domaines de la vie sociale, fortement reliésàl'activité scientifiqueàtravers des techniques de production, de gestion, des soins médicaux, des expertises, des institutions, des appareils d'état, suscitent des interrogations" philosophiques" citoyennes, et des interventions selon diverses modalités démocratiques qui impliquent un exercice concret des valeurs. Nous analyserons deux cas pour montrer en quoi l'enseignement prend en compte la réflexion citoyenne.

l. TECHNICISATION ET CONTRÔLE DES RAPPORTS SOCIAUX

Dans son cours de 1977 Michel Foucault décrit l'émergence, du XIXe siècle d'un biopouvoir qui s'intéresse aux populations en général (et non plus seulement aux individus) et viseàréguler au mieux les grands flux biologiques (natalité, maladies endémiques et épidémiques, mortalité) afin d'optimiser la gestion des forces sociales. Quelques noms, qui apparaissent dans le cours de biologie, marquent les étapes de celte prise contrôle social: Louis, Quételet, Malthus, Galton. Ce mouvement s'accélère dans les années 1950,à la suite de la création et de l'invasion des ordinateurs, de la cybernétique, des cartes, des fichiers, des codages et des cryptages, des statistiques et plus largement des" chiffres ". En biologie ces problèmes concernent directement les questions de dynamique de populations, de génétique de populations, d'épidémiologie, les empreintes génétiques, les cartographies génétiques et l'intérêt psychologique et social pour toutes les questions de généalogies. Pour l'enseignement les occasions d'exercer la réflexion des élèves sont nombreuses mais ambiguës. Faut-il refuser a priori tout contrôle. En fait, ici, la réflexion ne s'appuie pas sur la science mais sur le droit. En France la C.N.I.L. (Commission Nationale Informatique et Liberté) s'appuie sur le code pénal pour rappeler un principe de distinction et de séparation entre l'espace public et l'espace privé. Techniciser signifie l'abandon de toute question de sens et de valeur, en faisant croire que la question (par exemple le soi-disant contrôle des flux migratoires) n'est que de nature technique: noter et enregistrer grâceàdes "papiers" et des "cartes". Ce travail n'aurait rienàvoir avec des problèmes économiques, des problèmes de xénophobie et de racisme, encore moins avec un principe universel de liberté.

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2. TECHNICISATION DE LA MÉDECINE, ET MÉDICALISATION DE TOUS LES ASPECTS DE LA VIE HUMAINE

Technicisation signifie ici l'apparition de nombreux appareils de détection, de mesure, d'observation de l'intérieur de l'organisme par des procédés de réfraction-difFraction-effraction ; l'apparition de tableaux de nombres, de calculs, de carnet de santé, d'ordinateur dans le cabinet du médecin. Médicalisation signifie que la transmission de la vie, la naissance, la mort, mais aussi toutes les maladies organiques et les maladies mentales nécessitent l'intervention d'un médecin. À travers les concepts de santé publique organique, de santé mentale, de prévention, de facteur de risque, de prédiction prépathologique, de groupes d'aide psychopédagogique (G.A.P.P.), on peut dire que le corps médical a abandonné un principe de séparation et est devenu un "appareil d'état".

lei également l'intervention et la réflexion citoyennes de l'enseignant sont marquées d'ambiguïté. Les concepts de la prévention ne sont pas contestés dans la mesure où la santé (et donc la guérison) est devenue pratiquement la seule valeur sociale de référence. Elle est érigée à la dignité d'un droit. Par ailleurs le médecin n'est pas encore totalement désacralisé et reste un personnage un peuàpart, en dehors du contrôle citoyen direct. Nous n'en sommes plus au temps de Claude Bernard qui ne veut se confronter qu'au tribunal de sa propre conscience de savant, ni au temps de Pasteur qui estàlui même son propre expert dans les procès concernant les décès dus au vaccin contre la rage, mais nous n'en sommes pas encore au Tribunal "tout court". Le médecin-expert entretien un rapport ambigu avec le pénal: expert psychiatre chargé de déresponsabiliser un prévenu, il peut également être chargé de soigner (contre son gré?)un délinquant sexuel.

L'éthique concerne d'abord la pratique médicale et a été redéfinie en 1947 dans le Code de Nurembergàla suite de concept juridique' de "crime contre l'humanité". lei la référence au droit et à un concept universel d'humanité comme absolu imprescriptible est claire. Mais le nouveau vocable de bioéthique réintroduit et entretient une double ambiguïté: les questions d'éthique concernent aussi (un peu, beaucoup?) la recherche dite fondamentale; par ailleurs il est légitime de rechercher un "fondement naturel de l'éthique", comme le suggère le livre collectif de J.·P. Changeux. Celte fétichisation de la santé et de la nature réactive un vieux thème (que beaucoup croient neufi)de critique d'une médecine agressive (la némésis médicale, la iatrogénèse) et la croyance dans la possibilité d'être le "médecin de soi même". Celte sorte de "retour" à l'hippocratisme qui dit que "c'est la nature qui guérit" et que la technique médicale "doit imiter la nature" est en fait une régression. Cette fétichisation de la nature induit également un juridisme incertain: droit du fœtus comme personne potentielle, droit des animaux.

Laréflexion réellement citoyenne a quelque difficulté à se situer entre le modèle du médecin libéral, de l'éducateur plus ou moins attiré par les procédés de contraintes, le juge, le policier, les groupes de réhabilitation d'un ordre moral plus ou moins hystérique.

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3. LA PENSÉE SCIENTIFIQUE

UNE PENSÉE AU SENS PLEIN DU TERME

Afin d'articuler la pensée scientifique, au travers de son enseignement, avec les questions soulevées dans les exemples précédents, il convient de rappeler cenaines de ses caractéristiques:

• Capacité de progrès, ouvenureàl'inconnu, dans une dimension historique

Le travail de tout scientifique consiste àse situer en permanence aux frontières de la science,à

dépasser les limites,à créer du nouveau. Le principal critère de scientificité est bien le critère heuristique, c'estàdire la capacité d' autodépassement infini, la création de "concepts en attente" des développements qu'ils contiennent. L'inachèvement est constitutif de la science.

Le progrès social a prétendu trouver ici un point d'appui, mais il n'est pas simple et direct. L'énoncé des droits universels de l'Homme ne dispense pas d'une lutte incessante pour leur mise en oeuvre concrète, et le recul est toujours possible.

• Ouvenureàl'imprévu,àl'aventure et au risque intellectuel

Le travail scientifique a une dimension anti-dogmatique et anti-élitiste. Il faut apprendre à risquer ses certitudes les plus chères,à les remettre en cause, à les détruire devant des découvertes non préméditées. Installer le risque dans la pensée conduit àrefuser les développements par simple accumulation et juxtaposition de faits, les concepts qui décrivent des "essences immuables" et ontologiques, des dogmes. En ce sens tout "savant" risque en permanence de redevenir un "élève" et de devoir se refaire une culture nouvelle. On ne peut asseoir une hiérarchie ou une élite sur la "quantité de savoir".

• Capacité d'intégration, restructuration, rectification, refonte

Une découverte imprévue entraîne une reprise conceptuelle visantàl'intégrer.

La

réorganisation est bien souvent totale et implique un changement de base. Le scientifique qui bute sur un obstacle sait convenir ses erreurs internes en conditions de possibilité d'une avancée.

• Validation et recherche du vrai

La pensée scientifique invente ses propres procédures internes de contrôle et de validation de ses méthodes et de ses résultats. Ce n'est pas un pur discours car elle invente des mises à l'épreuve expérimentales reprocluctibles par quiconque se place dans les mêmes conditions.

• Diffusion et communication du savoir

La pensée scientifique n'est pas une oeuvre solitaire. Elle implique une diffusion permettant la libre discussion entre les "travailleurs de la preuve". Mais sa diffusion est également une nécessité démocratique comme condition intellectuelle d'un exercice des libertés. Et de plus elle attend de cette diffusion une nouvelle validation en s'incorporant àla culture d'une époque. La dimension communicationnelle fait panie de la pensée scientifique.

• Autonomie et libené.

La pensée scientifique peut bien évidemment être empêchée, interdite, mais jamais dirigée. Personne n'est son maître. La pensée scientifique travaille à s'affranchir de ses déterminations sociales, économiques, institutionnelles, mais aussi affectives ou de génie personnel. Elle tend à s'autonomiser etàacquérir une valeur permanente et universelle. Elle représente donc un exercice de la liberté

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intellectuelle, condition d'autres libertés, d'une liberté sans cesse croissante. C'est en ce sens seulement qu'elle est digne d'être enseignée.

4. LES RISQUES DE RÉTROACTION

L'effondrement des idéologies, le recul du politique devant l'économique, la fragilisation ou la remise en cause des repères moraux traditionnds, le pragmatisme, le multiculturalisme, les recherches anxieuses d'identité, de différentiation, un juridisme affaibli, la négation de l'idée de progrès social, les crimes contre l'humanité, remettent en cause l'universalité de la connaissance scientifique, sa valeur de vérité et de liberté.Lescientifique est assimilé à l'expert qui n'est bien souvent qu'un personnage au service de l'économie et de la production industrielle. Pour toutes ces raisons il convient de dissocier sciences et techniques, de rappeler que "l'essence de la technique n'est pas technique" selon le livre de M. Heidegger. De nombreuses expressions visent à relier étroitement sciences et techniques et même à renverser leurs rapports de conditionnement: technoscience, biotechnologies, recherche biomédicale, sciences de la santé, culture scientifique et technique. Il existe des moyens scientifiques et technique du pouvoir, mais il faut aussi rappeler que certaines techniques de pouvoir ne peuvent être efficaces qu'à la condition de demeurer masquées, c'est-à-dire cachées derrière "la science". Analyser les mécanismes de la pensée à l'aide d'un ordinateur selon un procédé classique de modélisation scientifique n'implique pas qu'il soit "naturel" de gérer socialement les populations avec des ordinateurs, masquant ainsi l'intervention de décideurs politiques. Le scientifique devient l'esclave du pouvoir.

On ne peut résoudre scientifiquement une question de philosophie morale ou politique. Critiquer le racisme au nom de la science relève d'une bonne intention. On reste cependant dans un processus d'argumentation qui peut ne pas convaincre et même éventuellement se retourner. Refuser le racisme c'est se référer à un principe universel qui s'énonce et ne se discute pas.

Il n'y a pas, par contre, de déterminisme technologique. Ni le rythme ni la direction du changement ne sont déterminés. Ils interviennent dans un contexte social qui apporte ses structures, ses comportements, ses valeurs, ses idéologies. La technologie est liée à un projet de changement individuel et collectif qui est de l'ordre du faire et non pas du connaître. C'est un phénomène humain total qui inclut donc au départ une certaine vision de l'homme explicite ou au contraire masquée: libératrice ou aliénante. Il y a donc des résistances possibles et légitimes au changement technique. Trois attitudes citoyennes trouvent leur légitimité dans la désacralisation de l'expert, de l'ingénieur, du médecin, dans la relativisation de certains absolus tels la Raison, l'Histoire, la Vérité, dans l'exigence de contrôle des activités techniques et industrielles. Mais à condition de garder à l'esprit un principe de contradiction. On est bien souvent pris entre deux risques. Il est important de se prémunir contre la réapparition incessante d'un nouvel absolu, d'un transcendant de substitution qui se nomme

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recol1strution d'une rationalité-historicité-vérité qui doit diffuser-à-tous. On peut regarder le travail du scientifique avec l'œil du zoologiste, de l'ethnologue ou du sociologue mais sans le réduire à ces componements qu'il dépasse collectivement. Si l'on vide l'activité du scientifique, de ce qui constitue sa vitalité, sa matérialité, son autonomie, sa valeur de libené, il devient difficile de justifier son enseignement.

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