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Les stratégies d'exploitation de l'archipel côtier du Labrador : une étude de cas du 18e siècle au site d'Ikkeghasarsuk

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Les stratégies d’exploitation des Inuits de l’archipel

côtier du Labrador : une étude de cas du 18

e

siècle au site

d’Ikkeghasarsuk

Mémoire

Martin Fields

Maîtrise en archéologie

Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

© Martin Fields, 2016

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Résumé

La fin du 18e siècle était une période dynamique au Labrador. À cette époque, le

phénomène climatique nommé le Petit Âge glaciaire affectait grandement l'étendue de la banquise côtière. L'arrivée des missionnaires et des objets européens enclencha une réorganisation des rôles sociaux chez les Inuits. L'établissement hivernal d'Ikkeghasarsuk, connu sous le code Borden HdCg-23 et le nom de site officiel Koliktalik-6, est composé principalement de deux maisons semi-souterraines construites avant 1776 sur un site dorsétien. La présente étude explore les stratégies d'occupation du territoire par l'analyse des restes fauniques de ces deux maisons. Les espèces de phoques chassées et leurs niches écologiques indiquent que les occupants du site exploitaient surtout les phoques présents dans les eaux libres de glace à l'automne, les phoques annelés au sina l'hiver et les phoques annelés sur la banquise côtière au printemps. Le site d'Ikkeghasarsuk, placé sur une île dénudée et balayée par le vent, aurait permis d'avoir un accès privilégié aux ressources marines diverses, peu importe les conditions climatiques.

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Abstract

The late 18th century was a particularly dynamic era on the northern Labrador coast. The climatic phenomenon known as the Little Ice Age created highly variable ice conditions. Missionaries settling on the northern coast and the influx of European goods set off a reorganisation of Inuit social roles. Ikkeghasarsuk, known as HdCg-23 and Koliktalik-6, is mainly composed of two sod houses built before 1776 over a Dorset site. This study focuses on regional occupation strategies through a zooarchaeological analysis of faunal materials sampled from middens associated to the two houses. This indicates that the hunters based at Ikkeghasarsuk exploited open water seals in the fall and ringed seals at the sina in the winter and on landfast ice in the spring. The site, while located on a barren and windy island, would have allowed easy access to marine resources regardless of climatic conditions.

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Table des Matières

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT... V TABLE DES MATIÈRES ... VII LISTE DES TABLEAUX ... IX LISTE DES FIGURES ... XI REMERCIEMENTS ... XIII AVANT-PROPOS ... XV

INTRODUCTION ... 1

UN SOIR D’HIVER À IKKEGHASARSUK ... 1

PROBLÉMATIQUE ... 3

CHAPITRE 1 ... 7

CADRE THÉORIQUE ... 7

INTRODUCTION ... 7

DE L'ÉCOLOGIE CULTURELLE À L'ÉCOLOGIE HISTORIQUE ... 7

CHAPITRE 2 ... 15

LES MÉTHODES ZOOARCHÉOLOGIQUES ... 15

INTRODUCTION ... 15

LES DONNÉES PRIMAIRES ... 15

LES DONNÉES SECONDAIRES ... 18

LES MÉTHODES QUALITATIVES ... 24

LES LIMITES IMPOSÉES PAR LES PROCESSUS TAPHONOMIQUES ... 25

La taphonomie ... 25

La collecte des données ... 27

CHAPITRE 3 ... 31

CHRONOLOGIE DES OCCUPATIONS HUMAINES DE LA RÉGION DE NAIN ... 31

INTRODUCTION ... 31

SEPT MILLE ANS DE VIE SUR DES TERRES QUI ÉMERGENT LENTEMENT DE L'EAU ... 31

LES STRATÉGIES D’EXPLOITATION DU TERRITOIRE ... 41

CONCLUSION ... 49

CHAPITRE 4 ... 51

CONTEXTE ENVIRONNEMENTAL DE LA RÉGION DE NAIN ... 51

INTRODUCTION ... 51

L'ARCHIPEL CÔTIER DE LA RÉGION DE NAIN ... 51

LE CLIMAT ... 54

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CHAPITRE 5 ... 77

LE CORPUS DE DONNÉES ... 77

INTRODUCTION ... 77

Le site d'Ikkeghasarsuk ... 78

L'OCCUPATION DORSÉTIENNE ... 81

L'assemblage artéfactuel des lots dorsétiens ... 82

L'OCCUPATION INUITE ... 82

L’assemblage artéfactuel des lots inuits ... 82

LES DONNÉES ZOOARCHÉOLOGIQUES ... 85

LES LOTS DORSÉTIENS ... 85

Les analyses qualitatives de l'assemblage faunique des lots dorsétiens ... 85

Les analyses quantitatives de l'assemblage faunique dorsétien ... 86

LES LOTS INUITS ... 92

Analyses quantitatives de l'assemblage faunique des lots inuits ... 92

Analyses qualitatives de l'assemblage faunique des lots inuits ... 97

Les phoques rabougris ... 99

Les analyses quantitatives ... 101

CHAPITRE 6 ... 109

DISCUSSION ... 109

INTRODUCTION ... 109

VIVRE À IKKEGHASARSUK ET NON AILLEURS ... 109

CHAPITRE 7 ... 123

CONCLUSION ... 123

ANNEXES ... 127

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Les restes osseux des lots dorsétiens. ... 86 Tableau 2 : Les restes osseux des lots inuits du site HdCg-23 ... 93 Tableau 3 : Les restes fauniques des lots inuits sans les fragments indéterminés. Ces

derniers gonflent l'assemblage et rendent les comparaisons difficiles. ... 94 Tableau 4 : Le profil de mortalité des petits phoques élaboré à partir de l'état de fusion des

os. ... 102 Tableau 5 : Le profil de mortalité des phoques élaboré à partir des données

cémentochronologiques. ... 103 Tableau 6 : Le profil de mortalité des phoques annelés élaboré à partir des données

cémentochronologiques. ... 104 Tableau 7 : Selon le modèle de Diab (1998), les restes de phoque ayant une haute valeur

nutritive sont sous-représentés dans les assemblages des deux dépotoirs. ... 105 Tableau 8 : Selon le cadre de référence inupiat, les restes ayant une haute valeur nutritive

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Liste des figures

Figure 1 : Les établissements d'hiver de la région occupés entre 1776 et 1777 et le site de Parngnertokh (HeCg-08) abandonné vers 1772. Les noms en inuktitut désignent des établissements qui sont également des sites archéologiques. Adapté de Brice-Bennett 1977. ... 13 Figure 2 : Les lignes dérivées d'une analyse de transport sélectif suivent des courbes

particulières dépendamment de la nature de l'assemblage osseux et de la stratégie de consommation. ... 22 Figure 3 : Une schématisation des processus entre la biocénose de la région de l'île de Dog

et l'assemblage zooarchéologique du site HdCg-23. ... 26 Figure 4 : Les interventions archéologiques de 2006 et 2007 au site d'Ikkeghasarsuk. ... 28 Figure 5 : Du matériel dorsétien, dont une lampe en stéatite, trouvé sous le dépotoir de la

maison 1. ... 29 Figure 6 : Le profil stratigraphique est de la tranchée principale excavée dans le dépotoir de la maison 1. ... 30 Figure 7 : Les distributions de pinnipèdes dans la région de Nain. Adapté de Brice-Bennett

1977. ... 43 Figure 8 : Les zones où les phoques annelés se trouvent au printemps. Adapté de

Williamson 1997 : carte 6. ... 47 Figure 9 : L’île Dog et les îles mentionnées dans ce mémoire. Adapté de : l’Atlas du

Canada, toporama, disponible en ligne http://atlas.gc.ca/toporama/fr/index.html, consulté le 27 février 2016 ... 54 Figure 10 : Les migrations de la harde de la rivière George. Adapté de : Inco Ltd. Regional

Ecological Context, disponible en ligne : http://www.vbnc.com/eis/chap2/chap22.htm, consulté le 11 avril 2011. ... 69 Figure 11 : Les trajets empruntés par les caribous en automne et en hiver ainsi que par les

ours polaires au printemps et en été. Adapté de Brice-Bennett 1977. ... 73 Figure 12 : Les vestiges des deux iglosoaks d'Ikkeghasarsuk sont encore très visibles dans

le paysage dénudé de l'île de Koliktalik... 77 Figure 13 : La vallée en forme de kudlik sur l'île de Koliktalik. L'établissement

d'Ikkeghasarsuk est situé sous la flèche rouge. ... 78 Figure 14 : Une vue en plongée vers l'est des groupes 1, 7, 8, 10, 11, 12, 13. La couche

noire posée sur l'horizon minéral est d'origine dorsétienne. Les restes osseux visibles en paroi témoignent de l'occupation inuite du site ... 81 Figure 15 : Deux fémurs de phoques annelés de la région d'étude. Le spécimen à gauche

provient d'un individu prélevé sur l'île de Dog en 2012 et celui à droite provient des lots inuits de l'assemblage faunique du site HdCg-23 ... 100

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Remerciements

Ce projet, qui a débuté à l’automne 2010, a été rendu possible grâce à l’aide de plusieurs personnes. Premièrement il faut remercier mon directeur de recherche, James Woollett, qui a accepté de me guider dans mon cheminement. Il a donné accès l’assemblage zooarchéologique, a trouvé le moyen de m’envoyer au Labrador et a beaucoup aidé sur le plan théorique de l’étude. Au laboratoire, j’ai pu compter sur mes pairs zooarchéologues pour aider à l’identification de spécimens et pour me conseiller sur les meilleures méthodes à appliquer. J’aimerais surtout particulièrement remercier Lindsay Swinarton, Céline Dupont-Hébert, Jacynthe Bernard et Stéphane Noël. De plus, j’ai pu profiter du travail qu’avait fait Guillaume Leclerc avant qu’il entreprenne un autre projet; les os de l’assemblage étaient déjà nettoyés et classés en sacs. J’ai également pu profiter du catalogue des artéfacts historiques monté par Amelia Fay, qui l’a gentiment partagé avec moi pour cette étude.

Avec l’aide et le soutien de M. Woollett, j’ai pu assister au projet de fouille d’un

iglosoak1 au site d’Oakes Bay 1 (Parngnertokh) entrepris par Lindsay Swinarton. Cette

dernière m'a beaucoup enseigné sur la fouille d’un tel site et la manière de monter un projet archéologique dans l’arctique. Mon expérience au Labrador a été merveilleuse, en grande partie grâce aux efforts de la famille Webb, notamment Éric et Herman. Le financement pour ce projet a été offert par le Centre d’études nordiques de l’Université Laval dans le cadre du Programme de formation scientifique dans le Nord du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada, du groupe de recherche en archéométrie (FQRSC) et le Programme du Gouvernement du Canada pour l'année polaire internationale.

Mes études depuis le premier cycle ont été appuyées grâce au financement de la Bourse d’études en langue française du Bureau de l’éducation française du gouvernement manitobain. Ce soutient m’a permis d’entreprendre des études à l’extérieur du Manitoba dans ma langue maternelle.

1 Les iglosoaks sont des maisons semi-souterraines construites de blocs de tourbe avec une charpente en bois

et un plancher pavé de pierres. Elles sont souvent occupées par plusieurs familles de la fin de l'automne jusqu'au printemps.

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Je suis très reconnaissant à mes parents de m’avoir poussé à accomplir ce projet. Ma mère, Lorraine Forbes, a porté un regard professionnel sur la qualité de l’écriture et a fourni des commentaires pertinents d’un point de vue externe à la discipline. Mon père, qui est entomologiste, m’a inspiré à faire des études scientifiques et à accomplir un travail rigoureux. Finalement je veux remercier Coralie Dallaire-Fortier qui m’a écouté et encouragé à toutes les étapes de ce projet.

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Avant-propos

Ce projet a commencé au cours de la session d’automne 2010. Initialement, le but de l’étude était d’explorer les relations physiques et spirituelles qu’avaient les Naskapis2

avec le caribou au site de HeDf-4 sur les rives du lac de la Hutte Sauvage au Nunavik. L’assemblage faunique de ce site avait déjà été analysé dans l’objectif de préciser l’économie de subsistance des Naskapis de la région. L’assemblage faunique était entreposé à la réserve archéologique du Québec. Toutefois, une partie importante de cette collection ne peut plus être localisée et il m'a fallu changer de sujet de recherche.

Heureusement, le laboratoire de bio-archéologie de l’Université Laval accueille plusieurs collections de calibre suffisamment élevé pour entreprendre une étude zooarchéologique de deuxième cycle. L’assemblage choisi, celui du site de Koliktalik-6 ou HdCg-23, était entreposé au laboratoire car il devait servir de corpus de données pour le projet de maîtrise de Guillaume Leclerc et l’assemblage était resté en entreposage. C'est en travaillant sur cette collection que j'ai eu mes premiers contacts avec la zooarchéologie en tant que bénévole, pour nettoyer les restes fauniques. M. Leclerc avait accompli le tri initial de la collection, ce qui m'a beaucoup aidé à l'étape du catalogage.

Le choix de cette collection dépendait aussi de son intégration dans un projet plus large sur l’écologie historique et le Petit Âge glaciaire dans la région de l’île de Dog, ce qui a également favorisé son utilisation. Ce grand projet, intitulé « The Archaeology of Inuit Subsistence and Landscape in Northern Labrador », soutenu par le CRSH, FQRSC et le programme du Gouvernement du Canada pour l’année polaire internationale, est dirigé par mon directeur de recherche, James Woollett, et inclut des contributions de plusieurs de ses étudiants aux cycles supérieurs dont Lindsay Swinarton, Natasha Roy et Andréanne Couture. En me joignant à ce projet j’ai pu bénéficier des conseils précis et pertinents de mes collègues et j’ai pu faire un stage de fouilles sur un site contemporain à Ikkeghasarsuk; le site de Oakes Bay-1 ou Parngnertokh, actuellement au cœur des études doctorales de Lindsay Swinarton, de Natasha Roy et du mémoire de maîtrise d’Andréanne Couture et le

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projet en cours de Yann Foury. Ainsi, avec le corpus de données en main, le catalogage des éléments a été commencé dès septembre 2011.

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Introduction

Un soir d’hiver à Ikkeghasarsuk

Ceci est une mise en contexte fictive qui met en vedette les quatre hommes recensés au site d'Ikkeghasarsuk pendant une visite hivernale en 1777 par les missionnaires moraves. Les éléments de l'histoire découlent des constatations dérivées de cette étude.

C’est une soirée de mi-janvier de l’année 1777; un croissant de lune éclaircit un paysage monotone gris pâle, les ombres à peine perceptibles sur les flancs des collines. Les aurores boréales jettent un reflet vert sur la neige qui recouvre les énormes bosses arrondies des îles de l’archipel côtier du Labrador. Entre l’île de Natsutuk et celle de Koliktalik, quatre hommes marchent à côté d’un traîneau tiré par une quinzaine de chiens. Ce sont Merkolik, Attuguna et Tutauk avec son frère Manumina. Durant la longue journée, ils ont réussi à prendre deux petits phoques, dont l’un aurait coulé s’il n’avait pas été pris au harpon. Ils se dirigent vers une crête au bord d’une vallée qui ressemble à une lampe (kudlik), où se trouvent quelques petites buttes couvertes de neige et presque invisibles dans ce paysage. Fait de blocs de tourbe et de pierres, avec des poutres en bois et en os de baleine, l’iglosoak se confond facilement dans le paysage.

Les quatre hommes et leurs chiens savent exactement où se diriger. Ils ont passé la fin de l’automne sur ce site à chasser les phoques du Groenland et à bâtir cette maison d’hiver. C’étaient des journées passées en kayak, fouettés par les vents du nord, d’autres à couper du bois sur les îles environnantes et à l’amener jusqu’à Koliktalik. D’autres encore à couper de la tourbe et à chercher les bonnes pierres pour paver le plancher. Tout ce travail était accompli pour avoir une maison étanche et mieux isolée, plus confortable et plus permanente qu’un igloo. Le chauffage assuré par des lampes en stéatite, alimentées en gras de phoque, créait peut-être un peu de fumée, mais au moins les murs ne fondraient pas. De plus, il n’y avait pas le risque de se retrouver en pleine mer si la banquise se détachait, et finalement, les ours rôdaient moins souvent sur les îles durant l’hiver.

Les deux phoques pris les chasseurs vont leur permettre de se reposer un jour ou deux, même plus s’ils partent chercher un peu de la viande entreposée. De toute façon, c’est au printemps que la chasse va bien, mais passer la journée au bord de la banquise pour

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harponner un phoque prend tout autant de patience que d’attendre accroupi au-dessus d’un trou de respiration.

Ils laissent les chiens et le traineau en bas de la crête. Les bêtes vont s’abriter ensemble, là où le vent ne souffle pas. Les deux petits phoques sont montés à l’iglosoak sans difficulté. Le tas de déchets à gauche de l’entrée de la maison est complètement gelé et recouvert d’une fine couche de neige. En rentrant, les chasseurs déposent les phoques dans le tunnel d'entrée de la maison. L’intérieur sent déjà la sueur, mais par-dessus tout il y a l’odeur d’un petit bouillon qui mijote dans une marmite en stéatite. Un des garçons doit avoir attrapé un lièvre aujourd’hui, ce qui va faire du bien après des semaines à ne manger que du phoque.

Merkolik enlève son manteau et remplit sa nouvelle pipe à la lueur du kudlik. Il fait attention car il y a quelques jours il en a échappé une sur les pavés du plancher et la jonction entre le fourneau et le tuyau s’est cassée. Quand il était gamin, il n'y avait presque pas de pipes comme la sienne, mais les hommes à la mission les vendent pour pas grand-chose maintenant.

Il n'est pas un homme particulièrement riche, mais il a des bols en céramique qui traînent au pied de la plateforme du lit et sa femme a cousu des perles de toutes sortes de couleurs sur leurs vêtements. Il possède même un surplus de clous en fer. Du temps de son père, il fallait faire un voyage jusqu'au Sud pour prendre du métal des postes de pêcheurs. Maintenant le métal est partout et il ne sait plus quoi faire avec tous les clous qu'il a accumulés. Il pourrait faire d'autres pointes de harpon, mais les couteaux et les outils peuvent être obtenus en échange avec des Moraves pour de simples peaux de renard.

Les modes de vie des Inuits sont intimement liés aux relations avec les animaux. Sur la côte du Labrador, où les courants marins de l’Arctique refroidissent le climat, les animaux sont plus utiles aux humains que les ressources végétales. Les Inuits exploitaient les animaux pour s’alimenter, se vêtir, s’abriter, se chauffer et pour se déplacer. L’acte de tuer ces êtres vivants était codifié dans leur religion, qui spécifiait les coutumes pour préserver les bonnes relations avec la sphère métaphysique. Une grande proportion de leur technologie servait à chasser les espèces sauvages et à contrôler les chiens domestiques. La zooarchéologie permet donc d’étudier ce peuple à partir du cœur de son existence dans ce

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milieu extrême. L’écologie historique permet d’aborder le sujet ouvertement en acceptant que les animaux et leurs environnements ont une relation dynamique et dialectique avec les humains.

L'établissement hivernal d’Ikkeghasarsuk est clairement daté, bien documenté dans les ouvrages historiques et comporte un assemblage faunique bien préservé. Deux maisons d’hiver ont été construites et occupées entre 1776 et 1779 sur cette île dénudée dans l’archipel côtier du Labrador, par-dessus les vestiges d’une occupation antérieure dorsétienne. Les occupants, dont on connait les noms de Merkolik, Attuguna, Tutauk et Manumina, ont chassé presque toutes les espèces animales disponibles dans la région, mais surtout un des seuls animaux à rester dans les environs l’hiver; le phoque annelé. Ce phoque occupe des niches écologiques différentes dépendamment de son âge et de sa condition physique. L’âge des phoques dans l’assemblage permet donc de déduire la nature de certaines stratégies employées par les chasseurs.

Les proportions des diverses espèces de phoques chassés donnent aussi un aperçu des environnements exploités par les chasseurs et de l’importance du site dans leur cycle saisonnier. Ce cycle est plus ou moins stable et aurait pu être bouleversé par les variations climatiques imprévisibles du Petit Âge glaciaire. Un autre bouleversement possible est l’influence des missionnaires Moraves à Nain, établis depuis cinq ans lors de la période d’occupation du site.

Ce projet a pour but d’étudier les stratégies d’exploitation de ce territoire pendant la deuxième moitié du dix huitième siècle, au cœur du Petit Âge Glaciaire. Ce n’est pas une étude sur les adaptations au climat, mais un regard sur les choix effectués par trois familles dans un milieu avec une forte dynamique écologique.

Problématique

Ce projet vise l'économie de subsistance des occupants de l'établissement hivernal d'Ikkeghasarsuk. Ce site comporte des qualités particulières, notamment la conservation des restes, la localisation géographique et sa courte occupation en plein cœur d'une période de changements environnementaux et sociaux.

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L’assemblage faunique du site d’Ikkeghasarsuk est bien préservé, ce qui permet souvent l’identification à l’espèce des restes osseux. Cela est important pour distinguer les six espèces de phoques présentes dans la région, dont quatre sont présentes dans l’assemblage. Les niches écologiques de ces phoques varient d’une saison à l’autre; de ce fait, une intégration des saisons de mort avec les proportions des restes identifiés à l’espèce permet de monter un schéma de l’économie de subsistance au site. La présence de restes osseux de phoques annelés significativement plus petits que la moyenne porte à croire qu’il y avait un phénomène de croissance freinée. Cela est probablement lié aux fluctuations climatiques du Petit Âge glaciaire et leur effet sur le cycle de vie des phoques annelés. D’autres sites semblables existent dans les îles environnantes, surtout dans des lieux vraisemblablement plus à l’abri des intempéries. Une question de recherche très simple peut alors être formulée : Pourquoi s’établir sur l'île de Koliktalik? Il faut toutefois préciser l’envergure et la nature de cette étude. Une question de recherche plus complète serait donc :

Que peut-on déduire des stratégies d’occupation du territoire lors du de deux épisodes de refroidissement climatique par l’assemblage faunique du site d’Ikkeghasarsuk?

Alors que le site peut paraître placé dans une position précaire sur une île dénudée d'arbres et balayée par les vents de l'Atlantique du Nord, il pourrait offrir un accès privilégié aux ressources marines de l’automne au printemps. L’analyse zooarchéologique pourra déterminer quelles zones étaient exploitées au cours de quelles saisons grâce aux niches écologiques des différentes espèces de phoque. De plus, la documentation du phénomène de développement freiné chez les phoques annelés, menant vers des phoques plus graciles ou rabougris, pourra servir d'indice indirect pour les reconstructions paléoclimatiques. La présence de phoques annelés rabougris serait liée à une débâcle précoce qui serait le résultat de conditions climatiques plus chaudes que la normale. Les données zooarchéologiques seront comparées aux connaissances ethnographiques sur les Inuits de la côte du Labrador durant la période d’étude.

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L’inventaire des structures archéologiques sert à démontrer l’occupation de la région hors de la saison d’habitation dans les maison hivernales (iglosoak). La présence des autres sites sera également mise en contexte avec les fluctuations climatiques du Petit Âge glaciaire. L'effet de ces fluctuations est abordée par plusieurs chercheurs depuis une trentaine d'années (Shledermann 1976a, 1976b, Kaplan 1983, Richling 1993, Woollett 2003, 2007, 2010). L'établissement hivernal d'Ikkeghasarsuk se distingue des autres car il s'agit d'un emplacement plus proche du sina lors d'hivers plus doux. Les ressources exploitées étaient donc prises au sina ou dans les eaux libres de glace.

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Chapitre 1

Cadre théorique

Introduction

Ce chapitre porte sur l'évolution des courants théoriques appliqués à l'archéologie de l'Arctique. Cette région, l'une des plus extrêmes à avoir été colonisée par l'être humain, a captivé l'intérêt de théoriciens depuis des décennies. La rigueur de l'environnement arctique a joué un rôle important dans le développement de théories teintées de déterminisme écologique. Actuellement, le rôle de l'être humain commence à être compris dans l'évolution culturelle de l'Arctique.

De l'écologie culturelle à l'écologie historique

Jusque dans les années 1960, l’archéologie était essentiellement une science descriptive, acceptant que certaines connaissances du passé soient impossibles à découvrir. Les interprétations fournies se limitaient à des généralisations peu poussées. Le développement de l’écologie culturelle et de la New Archaeology était lié aux limites perçues de cette archéologie traditionnelle. Certains chercheurs se sont alors acharnés à la construction de théories explicatives pour approfondir les connaissances sur les modes de vie anciens. Des progrès méthodologiques ont été faits, les nouvelles méthodologies étant de nature positiviste. Le positivisme dans ce sens implique surtout les caractéristiques essentielles de la science : l’objectivité, la reproduction des résultats et la précision quantitative. L’objectif ultime de ce mouvement était de faire des généralisations concernant les comportements humains; il s’agissait carrément de la transformation de l’archéologie en une science positiviste, au stade post-paradigme de Kuhn (Kelly et Hanen 1988 : 1, 6, 64).

Alors que le processualisme n’a pas été adopté universellement, son développement peut constituer une révolution scientifique, surtout dans le sens qu’il résout les problèmes associés à l’archéologie historico-culturelle (Kuhn 1970 : 180). Le concept de paradigme est difficile à appliquer en archéologie, surtout qu’il est doté de deux définitions par Kuhn :

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soit l’ensemble des croyances, des valeurs et des techniques d’un groupe, soit des solutions d’énigmes d’importance particulière dans le passé (Kuhn 1970 : 207).

Comme il a été expliqué précédemment, la théorie explique un phénomène à partir de données connues. Mais en archéologie, la définition de ce que représentent des données connues n’est pas précise. Par ailleurs les premières théorisations sur l’histoire de la culture étaient de nature presque entièrement spéculative. Depuis un demi-siècle, les archéologues processualistes tentent d’appliquer la méthode hypothético-déductive, alors que d’autres se servent plutôt de l’approche inductive. L’induction, alors qu’elle est très utile pour ne pas se laisser aveuglé par les concepts d’une théorie en particulier, n’est pas en mesure de confirmer une hypothèse. Des hypothèses peuvent être formulées à partir d’inférences inductives, ayant alors une fonction plutôt exploratrice d’un phénomène (Kelly et Hanen 1988 : 225, 226). Un fait connu selon la tradition hypothético-déductive serait essentiellement une hypothèse confirmée. Ainsi la vérité est un élément qui peut être modifié suite à des découvertes subséquentes. Les hypothèses actuelles servent de base à la formulation de théories ou même tout simplement d’autres hypothèses. Tout cela fait partie de l’accumulation des connaissances dans l’histoire des sciences de Kuhn (Kelly et Hanen 1988 : 228).

La théorie en science sociale est souvent classée en trois niveaux hiérarchiques. Le niveau d’une généralisation est attribué à partir de l’étendue de son application. Ainsi, une généralisation de bas niveau est souvent une régularité observée qui peut être réfutée. C’est une forme de connaissance empirique qui inclut alors les typologies, la classification des cultures archéologiques ou même la datation d’une strate. Ces généralisations peuvent être difficiles ou lentes à découvrir et leur élaboration demeure une fonction primordiale de l’archéologie (Trigger 1996 : 30-32).

Les généralisations de niveau moyen sont essentiellement des théories qui expliquent les régularités observées entre plusieurs variables dans plus qu’un contexte. Les explications fournies impliquent surtout des comportements humains face à des contextes semblables. La Middle Range Theory de Binford est semblable aux théories de niveau moyen car elle implique l’utilisation d’observations ethnographiques conjointement avec

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des faits archéologiques pour expliquer des comportements humains qui ne sont pas nécessairement visibles archéologiquement (Trigger 1996 : 32, 33).

Finalement, les généralisations de haut niveau sont une façon de comprendre une discipline entière. C’est le cas en biologie avec l’évolution darwinienne (actuellement transformée grâce aux études génétiques), mais l’archéologie ou la discipline plus large de l’anthropologie n’est pas régie par une seule théorie (Trigger 1996 : 33). Il y a plutôt une gamme de théories applicables aux sciences sociales dont l’écologie culturelle et l’écologie historique.

L’écologie culturelle est une approche théorique élaborée par Julian H. Steward en 1955. Il développa un modèle d’évolution multilinéaire des sociétés alors que l’évolution culturelle avait encore une association au darwinisme social. L’écologie culturelle a comme but d’expliquer la culture et d’identifier les facteurs causatifs des changements. C’est une théorie déterministe qui accorde une grande importance au contexte écologique d’une culture. C’est ce que Steward nomme le culture core, c’est-à-dire les structures liées à la subsistance, l’économie, la religion, le système politique et l’organisation sociale; des systèmes qui sont déterminées par l’environnement physique. Les traits secondaires sont le résultat de particularités historiques, d’innovations et de diffusions quelconques. Ces traits peuvent donner l’impression que chaque culture est une construction unique, se distinguant facilement de ses voisins. L’écologie culturelle de Steward étudie ainsi les pratiques encouragées culturellement qui sont fermement liées à l’environnement (Steward 1955 : 37).

Le processus d’innovation ou de diffusion n’est pas central à l’écologie culturelle. La technologie n’est pas un marqueur de l’évolution d’une culture, mais ce sont plutôt les implications sociales liées à son utilisation qui le sont. Les harpons de deux nations chassant les baleines boréales peuvent différer au niveau de leur construction et de leur technique d’utilisation. De plus, l’environnement habité par ces deux groupes peut être très différent, favorisant les différences technologiques. Toutefois, les formes sociales de ces deux groupes devraient être semblables car la chasse aux baleines est une activité nécessairement faite en coopération. Si la chasse se faisait sur de plus petits animaux, les chasseurs seraient probablement plus individualistes et compétitifs (Steward 1955 : 39,

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150). La technologie liée au harpon serait donc moins utile pour comprendre la culture que le contexte dans lequel l’arme est utilisée.

L’écologie culturelle est devenue une approche populaire pour les études archéologiques durant les années 1960 et 1970. C’est une des bases de l’étude de J. G. Taylor (1974 : 2-5) dans Labrador Eskimo Settlements of the Early Contact Period ainsi que de la thèse de doctorat de Fitzhugh (1972 : 9-11) dans Environmental Archaeology and

Cultural Systems in Hamilton Inlet, Labrador. Par exemple Fitzhugh décrit certaines

migrations de groupes selon des tendances environnementales. L’expansion des Thuléens dans l’Arctique de l’Est serait liée à la présence des baleines boréales (1972 : 56). L’apparition des maisons multifamiliales au 18e siècle sur la côte du Labrador a été

associée par Schledermann au refroidissement climatique du Petit-Âge glaciaire (1976b : 31-32). Une explication semblable est offerte par McGhee aussi récemment qu’en 1996 dans Ancient Peoples of the Arctic (1996 : 231). La thèse de doctorat de Kaplan (1983),

Economic and Social Change in Labrador Neo-Eskimo Culture, est également basée sur

l’écologie culturelle. Elle a fait le cas qu'en abordant des questionnements sur l’environnement et l’économie, les changements d’une culture au fil de 500 ans peuvent être étudiés. Le cas est plus fort dans un contexte arctique car l’environnement impose des contraintes sévères sur les activités humaines (Kaplan 1983 : 32-33).

L’étude actuelle pourrait facilement s’insérer dans ce courant théorique. Les questionnements sont écologiques et économiques, plus spécifiquement à savoir comment le Petit Âge Glaciaire aurait pu influencer les comportements humains. Cette approche manque toutefois de finesse pour aborder des problématiques de petite envergure. Il faut également intégrer l’influence des agents culturels; des individus, de leurs choix et des conséquences de ces choix. Grâce aux documents historiques laissés par les missionnaires Moraves, il est possible d’inférer l’effet d’agents culturels spécifiques. Le nom de quatre des habitants du site d’Ikkeghasarsuk entre 1776 et 1777 est documenté. Le rôle des agents est encore plus important sur ce site, car il est composé de deux occupations séparées (dorsetienne et inuite) par des centaines d’années. Le choix fait par un ou plusieurs groupes de Dorsétiens de s’établir sur une crête recouverte de gravier a influencé le choix de bâtir un iglosoak plus de mille ans plus tard. Dans ce cas, la modification anthropique du paysage par les Dorsétiens pourrait être un facteur dans l’occupation inuit du territoire.

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Les explications écologiques de la culture ne prennent pas en compte non plus les changements dans la subsistance, l’économie, la religion, le système politique et l’organisation sociale (culture core) chez les Inuits de la côte du Labrador suite à l’établissement des missions moraves. Ces changements ne sont pas liés à l’environnement, et la transition rapide des éléments mentionnés ci-dessus n’est pas conforme au modèle d’évolution graduelle (Woollett 2003 : 33).

Cette étude s'inscrit dans un courant théorique mieux adapté aux subtilités des contextes environnementaux et des activités humaines (Balée 1998 : 14). Le déterminisme écologique est trop simpliste quand il y a plusieurs sources de données pertinentes à l'étude. L’utilisation de données archéologiques, zoologiques, ethnohistoriques et paléoenvironnementales permet l’élaboration d’une étude de cas détaillée, centrée sur les familles qui ont occupé l'établissement hivernal d'Ikkeghasarsuk pendant une période très bien définie. Le but n’est pas d’étudier des tendances de longue durée, mais de se concentrer sur un événement bien délimité. Une approche relativement nouvelle pour intégrer les diverses disciplines est celle de l’écologie historique. Celle-ci porte sur la relation dialectique de l’être humain avec son milieu physique (Balée 1998 : 14). L’environnement est alors un contexte dans lequel on opère; il influence les activités anthropiques, mais il est influencé lui-même par ces activités. Le choix d’occuper la région de Dog Island découle de la valeur attribuée aux facteurs économiques, politiques et sociaux. Il est contrecarré par des risques tel des conditions climatiques imprévisibles ou peu de gibier. L’attribution de la valeur à ces éléments est faite par chaque personne, ou au moins, par chaque famille. Il faut garder en tête que la construction des maisons sur le site nécessitait énormément de travail et que des maisons déjà construites étaient encore en place à Parngnertokh ainsi qu’ailleurs dans la région (Figure 1). Les trois familles qui ont occupé et probablement construit une des maisons à Ikkeghasarsuk ont dû établir préalablement une entente, un contrat verbal pour y passer l’hiver, du moins pour le choix du lieu et pour organiser le travail coopératif pour construire la maison.

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Le Petit Âge Glaciaire a apporté des conditions climatiques plus variables et le site aurait pu être occupé lors d’un épisode plus froid, quand le sina3 était plus loin. La présence

des missionnaires Moraves aurait aussi eu une influence, certaines personnes voulant s’éloigner ou se rapprocher d’eux. La répartition de la population pour ne pas épuiser des ressources animales et végétales est centrale à la relation dialectique des Inuits avec l’environnement qu’ils habitent. Les relations sociales dans la région étaient probablement aussi des facteurs importants dans la répartition des sites et les regroupements de familles.

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Figure 1 : Les établissements d'hiver de la région occupés entre 1776 et 1777 et le site de Parngnertokh (HeCg-08) abandonné vers 1772. Les noms en inuktitut désignent des établissements qui sont également des sites archéologiques. Adapté de Brice-Bennett 1977.

Une grande variété de sources d’information est ainsi essentielle pour répondre à la question de recherche. Par exemple, les données zooarchéologiques sont plus parlantes quand elles sont intégrées au contexte zoologique des espèces exploitées ainsi qu'au contexte dans lequel ces espèces sont exploitées. Ce projet est monté parallèlement aux projets à long terme dans la région impliquant également d'autres étudiants sous la direction de James Woollett en archéologie ou dans des disciplines connexes. Lindsay Swinarton

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prépare un doctorat centré sur le site de Parngnertokh (Oakes Bay 1 ou HeCg-08) (2012) tandis que Yann Foury et Olivier Lalonde préparent des mémoires de maitrise. Ce site est également le sujet de l'étude de maîtrise d'Andréanne Couture (2014). Natasha Roy a fait un mémoire de maitrise (2010) et prépare actuellement un doctorat axé pour approfondir l’étude des les conditions environnementales de la région de Dog Island et la baie d’Okak après avoir fait une maîtrise sur l'évolution du paysage des îles de Dog et de Koliktalik.

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Chapitre 2

Les méthodes zooarchéologiques

Introduction

L’objectif de la zooarchéologie est d’étudier les relations entre les humains et leurs environnements sociaux et naturels, à partir de restes d’animaux dans des contextes archéologiques. L’analyse d’un assemblage faunique commence par des observations qualitatives, mais dépend surtout de données quantitatives. Il existe de nombreuses méthodes d’analyse, chacune fournissant généralement un type d’information si l’assemblage comporte les caractéristiques nécessaires. Par exemple, il faut des mandibules avec une canine pour déterminer l’âge et la saison de la mort des phoques. Cela peut sembler évident à première vue, mais ce n'est pas nécessairement le cas s’il faut faire des analyses statistiques sur un corpus de données qui pourrait ne pas être représentatif (Lyman 2008 : 16). Les analyses secondaires réalisées pour cette étude ont été choisies après que le catalogage soit terminé, quand il était possible de poser une question de recherche pertinente et d’élaborer des méthodes pour vérifier les hypothèses élaborées ci-haut.

Les données primaires

La collecte de données est une étape primordiale pour toute étude archéologique. Diverses méthodologies d’échantillonnage ont été adoptées à travers du temps pour la fouille de sites préhistoriques et historiques. La fouille est faite à la truelle, tout en faisant des observations sur les sédiments et les objets. Ces derniers sont récoltés et ségrégés par localisation. Le tamisage est effectué pour prélever les objets qui n’ont pas été découverts pendant la fouille. Les os de poissons, d’oiseaux et de petits mammifères sont difficiles à voir à travers les sédiments. Ces derniers peuvent également échapper aux mailles de tamis standard de 6,4 mm (Shaffer 1992 : 129). Deux stratégies ont été employées pour la fouille du site HdCg-23. Premièrement, tous les sédiments sortis des puits de fouille ont été passés dans des tamis de 6 mm. Ensuite, il y a eu des prélèvements des os mélangés aux plus gros sédiments lots riches en os. Ces échantillons pouvaient être traités au laboratoire pour récolter tous les petits restes osseux.

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Lors de la campagne de fouille de 2012, l’inventaire des structures archéologiques situés sur les îles de Koliktalik et Dog a duré deux jours. Initialement, ce projet avait pour objectif de faire l’inventaire des structures sur la totalité de l’île de Koliktalik, mais la présence d’un ours polaire sur l’île et des délais dans l’arrivée de l’équipement et du personnel ont modifié les zones ciblées. La vallée immédiatement adjacente au site HdCg-23 ainsi qu’un trajet entre les baies d’Oakes et d’Evilik sur l’île de Dog ont été ciblées en raison de leur potentiel archéologique. Ces zones avaient été préalablement identifiées par James Woollett lors de campagnes de fouilles précédentes.

Les méthodes utilisées étaient légèrement différentes sur l’île de Dog que sur l’île de Koliktalik. Néanmoins, le travail consistait à identifier visuellement des structures archéologiques, de prendre les coordonnées GPS au centre et d’enregistrer dans un cahier la taille et les caractéristiques de la structure. La présence de chaque structure devait être confirmée par les deux personnes présentes (Martin Fields et James Woollett) pour mériter l’enregistrement. Les structures et les artefacts notables ont été photographiés.

L’inventaire sur l’île de Dog a été effectué en suivant un trajet du site HeCg-08 dans la baie d’Oakes jusqu’au site de la maison de tourbe à la limite nord de la baie d’Evilik. Ce trajet passait par des champs de pierres, des paléo-plages et des sites connus. Le voyage d’approximativement 8 kilomètres a pris une journée de travail (8 heures) à accomplir et a permis de cartographier la position de 153 structures archéologiques.

Sur l’île de Koliktalik, un seul champ de pierre a été inventorié. Cette zone, au pied du site HdCg-23, est en bordure d’une petite baie sur la côte ouest de l’île. Pour ne pas se perdre dans le décompte des structures, un transect a été établi d’est en ouest à l’aide d’un ruban à mesurer. Avec cette ligne de base, il était plus facile de séparer le champ en diverses zones et de ne pas répéter l’enregistrement d’une structure. Au total, 82 structures ont été identifiées dans cette zone pour former le site HdCg-60.

Les restes fauniques prélevés ont été acheminés vers les laboratoires de zooarchéologie de l’Université Laval pour l’identification et l’analyse subséquente. Alors que l’identification des restes osseux est une étape quasi-universelle, les analyses spécifiques telles que l'analyse de la croissance animale ou des traces de boucherie dépendent des ressources disponibles et de la qualité du matériel (Reitz et Wing 1999 :

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142). L’identification est un processus essentiellement qualitatif; chaque élément est identifié à l’aide d’une collection de référence ou de planches anatomiques de livres zoologiques ou zooarchéologiques. La collection de référence sert à comparer chaque os ou fragment d’os à des squelettes complets d’animaux bien identifiés. Ainsi, la qualité des identifications et des analyses subséquentes dépend énormément de la qualité de la collection de référence (Chaix et Meniel 1996 : 14; Reitz et Wing 1999 : 147; O’Connor 2000 : 39).

Le laboratoire de zooarchéologie de l’Université Laval est particulièrement bien équipé pour l’identification des animaux présents au Labrador. Il y a plusieurs spécimens bien identifiés de phoques ainsi que des ouvrages de référence pour décrire les caractéristiques morphologiques des restes qui permettent l’identification à l’espèce. La variabilité intra-spécifique du squelette des phoques est souvent plus grande que la variabilité inter-spécifique (Woollett et al. 2000 : 399). L’identification de l’espèce est donc faite à partir de restes particuliers qui ont une des caractéristiques morphologiques spécifiques à l’espèce. Ce sont la mandibule, le maxillaire, l'humérus, le fémur et le bulle tympanique qui sont assez différents inter-spécifiquement pour assurer l’identification rigoureuse des espèces de petits phoques. La grande majorité des restes sont classés selon leur appartenance potentielle. La distinction est faite entre les petits phoques (phoque annelé Pusa hispida, phoque commun Phoca vitulina et phoque du Groenland Pagophilus

groenlandica) et les phoques de grande taille (phoque gris Halichoerus grypus, phoque à

capuchon Cystophora cristata et phoque barbu Erignathus barbatus).

Les observations sont notées sur des fiches d’enregistrement du North Atlantic

Biocultural Organisation Zooarchaeology Working Group Data Records Project

(NABONE 2010 : 6) qui comprennent les champs suivants : la localisation, l’espèce ou la catégorie d’espèce, l’élément anatomique, la partie de l’élément, le nombre de fragments, la fusion des épiphyses, les traces de boucherie, les traces de feu, les traces laissées par d’autres animaux, le côté, l’âge et les commentaires (voir l’annexe 1). Ces données sont essentiellement qualitatives et peuvent être précisées dans le champ des commentaires. Chaque reste ou groupe de restes identiques occupe une rangée. Les informations sont inscrites en codes pour accélérer l’enregistrement. Par exemple, le cinquième métacarpe est raccourci à MC5 lors de l’inscription des données (NABONE 2010 : 6). Les données sont

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enregistrées dans une base de données dans un logiciel informatique tel que Excel ou Access pour permettre la quantification des informations et les analyses statistiques subséquentes. La fiche d’enregistrement sert essentiellement à quantifier des informations qualitatives (Reitz et Wing 1999 : 149).

Les données secondaires

Le nombre minimum d’individus (NMI) peut être calculé à partir de restes osseux anatomiques bien identifiés. Sachant qu’un lièvre a deux humérus, un de chaque côté, et qu’il y a douze humérus droits et quinze humérus gauches dans l’assemblage, il est certain qu’un minimum de quinze lièvres sont représentés dans l’assemblage. Le NMI peut être raffiné en se servant de données qualitatives, par exemple si trois des humérus droits sont beaucoup plus petits que les humérus gauches, le NMI gonfle à dix-huit (Reitz et Wing 1999 : 191; Lyman 2008 : 39). Ce calcul fonctionne bien avec des éléments anatomiques peu nombreux chez un individu tels les mandibules, les os longs, le crâne, l’atlas ou l’axis. Ainsi, il permet de décrire des événements de courte durée telle une chasse fructueuse ou le calcul de la durée d’occupation d’un site4 (Grayson 1984 : 173; Reitz et Wing 1999 200,

223; Lyman 2008 : 89). Il faut mentionner que le NMI est un calcul qui ne reflète pas nécessairement la réalité. Premièrement, il tend à exagérer l’importance d’espèces qui sont peu représentées dans le NRE, le nombre de restes par espèce. Par exemple, la présence d’un seul os d’ours produit un NMI de un alors que son importance relative était probablement minime sur le site. Le calcul souffre également des choix d’agrégation du zooarchéologue (Lyman 2008 : 46). Sur un site qui comporte plusieurs aires, l’assemblage doit être séparé en unités semblables pour permettre des comparaisons intra-sites (Reitz et Wing 1999 : 196-198). Un caribou partagé entre trois structures va apparaître comme trois individus lors du calcul de NMI. Le calcul du NMI pour tout le site pourrait aussi souffrir d’une sous-représentation des individus et ne permettrait pas de distinguer des événements de chasse distincts (Lyman 2008 : 46).

4 Ce genre de calcul était en vogue lors des années 1970 et 1980. En calculant le poids de viande et parfois de

gras du NMI, la durée d’occupation d’un site était déterminée pour un nombre plus ou moins arbitraire d’humains (Samson 1983 : 427).

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Un calcul semblable au NMI existe pour inclure les restes fragmentaires. Ce nombre minimum d’éléments (NME) est calculé en tentant de remonter des os à partir de restes fragmentaires. Les sections de la diaphyse (le milieu) d’os longs sont souvent délaissées au profit des épiphyses et des métaphyses. Ces dernières ont souvent plus de caractéristiques diagnostiques; les sections de diaphyse sont largement semblables d’un os long à l’autre (Lyman 2008 : 220). Tout ce travail sert essentiellement à quantifier l’importance relative des espèces sur un seul site, l’avantage par rapport au NRE étant que la fragmentation ne gonfle pas l’assemblage. Comparativement au NMI, le NME ne surreprésente pas les espèces qui n’ont que quelques restes dans l’assemblage (Reitz et Wing 1999 : 215; Lyman 2008 : 222).

Le NME peut servir de base pour un autre calcul de fréquence relative; le nombre minimum d’unités animales (MAU5). C’est simplement le NME divisé par la fréquence

relative de chaque élément anatomique. Le NME tend à surreprésenter les éléments plus nombreux dans un squelette. Le MAU est une normalisation de ces données qui sert presque uniquement à des fins statistiques (Binford 1978 : 69; Lyman 2008 : 235).

En 1978, Lewis Binford publia une étude, Nunamiut Ethnoarchaeology, consacrée aux stratégies d’exploitation des carcasses. Il avait séjourné chez les Nunamiuts (un groupe Inupiat de l’intérieur et côte nord de l’Alaska) lors des années 1970 pour créer des modèles d’exploitation dans le cadre du courant théorique de la New Archaeology (Binford 1978 : 14-15). Ses modèles sont basés sur une variété de critères tel que la valeur calorique de la chair ou la facilité pour sécher la viande de chaque élément anatomique. Chaque catégorie d’os (dérivé du MAU) porte une valeur numérique de son utilité. Par exemple, le crâne d’un caribou porte beaucoup moins de viande que le fémur (valeurs de 18,1 et 100 respectivement) (Binford 1978 : 23). Le MAU doit être rectifié par rapport à la densité des restes osseux. De faux résultats peuvent découler de la préservation préférentielle des restes plus denses. Dans le cas des phoques, il y a une légère tendance inverse entre la densité d’un os et le poids de chair rattaché. Les mandibules ont une densité absolue de 1,1 g/cm3

et un index d’utilité de 8,81, tandis que les côtes ont une densité absolue de 0,63 g/cm3 et

un index d’utilité de 100, la valeur maximale dans son échelle(Lyman 1994 : 248). Des

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études semblables à celles de Binford ont été entreprises pour les phoques annelés et les phoques du Groenland par R. Lee Lyman, James Savelle et Peter Whitridge en 1992 ainsi que par Mark C. Diab en 1998. Pour un phoque les côtes sont considérées la partie la plus utile (Lyman et. al. 1992 : 536).

Les stratégies d’exploitation peuvent aussi être inférées lorsque les carcasses sont transportées. Le transport de certaines parties du corps serait lié au degré d’exploitation : si seuls les restes de basse utilité (vertèbres, carpes, phalanges) sont trouvés au lieu de boucherie, il est probable qu’une stratégie de transport en gros ait été effectuée et que les carcasses étaient exploitées au maximum, à un autre lieu. Inversement, si les carcasses à un lieu de dépeçage sont relativement complètes et qu’il ne manque que les os des pièces utiles, il y a eu une stratégie d’exploitation de gourmet (Metcalfe et Jones 1988 : 496). Dans le cas de ce projet, c’est le lieu de transformation et de consommation qui est à l’étude. Le lieu de boucherie peut très bien être l’endroit où le phoque a été harponné, sur la banquise côtière. Les restes de l'assemblage proviennent d'un dépotoir où les restes de ces animaux ont été rejetés. Un index d’utilité peut être formulé pour différentes types d’activité : pour l’exploitation du gras osseux, de la moelle, de la viande, du séchage de la viande ou de la congélation de la viande (Binford 1978 : 15, 23, 32, 91, 123; Metcalfe et Jones 1988 : 487). Les indexes d’utilité développés pour les phoques se concentrent sur le poids de la chair et non la teneur énergétique. Le gras sous-cutané était séparé en retirant la peau et mesuré à part. Ce gras a la multiple fonction de servir d’aliment et de combustible pour l’éclairage, le chauffage et pour la cuisson de la viande (Diab 1998 : 5; Lyman et. al. 1992 : 533).

Les indices d’utilité sont relativement faciles à appliquer une fois que les MAU sont calculés. Depuis la publication de Nunamiut Ethnoarchaeology de Binford en 1978, quelques autres chercheurs, dont Eugene Morin, Duncan Metcalfe et Kevin Jones entre autres, ont tenté de raffiner les calculs de la valeur des ressources disponibles par élément (Morin 2006; Metcalfe et Jones 1988). Ces valeurs quantitatives sont attribuées de manière subjective selon l’exploitation typique d’une carcasse. Par exemple les informateurs nunamiuts avec lesquels Binford a travaillé ne classifiaient pas leur préférence de moelle par rapport au volume présent dans un os, mais plutôt par la composition et le goût du gras (Binford 1978 : 42). Cela est un des reproches les plus judicieux des indices d’utilité; que

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les goûts ne dépendent pas nécessairement de la valeur des ressources disponibles et ne reflètent pas les indices proposés. L’autre reproche adressé est que les indices d’utilité ont tendance à ignorer le biais des restes osseux qui sont transportés ensemble, souvent nommés « riders » dans les études anglophones. Les tarses entre le tibia et le métatarse ont peu ou pas de viande, ni de gras, mais ils peuvent être présents si le membre inférieur est transporté en une pièce (Reitz et Wing 1999 : 215).

L’identification de stratégies d’exploitation se fait graphiquement, à l’aide d’un nuage de points qui représente la fréquence relative de chaque élément (en MAU) sur sa valeur économique (indice d’utilité) (Figure 2). Il y a deux stratégies dans le modèle de Binford, l’exploitation en gros et celle de gourmet. La stratégie en gros est l’utilisation au maximum des parties de la carcasse. Ainsi presque tous les restes osseux seront transportés au campement. La stratégie de gourmet implique l’utilisation des meilleurs éléments seulement : ceux qui portent de grandes quantités de viande ou de gras et ceux qui sont faciles à sécher ou à débiter une fois congelés (Binford 1978 : 81; Metcalfe et Jones 1988 : 494-495).

Des méthodes d’estimation d’âge et de sexe, se basant souvent sur la mesure de certains os diagnostiques, sont bien documentées pour plusieurs espèces6 (Reitz et Wing

1999 : 180, 187). Dans le cas des phoques, l’âge peut être estimé à partir de la fusion des épiphyses. L’âge peut être déterminé de façon plus spécifique en comptant les cernes de croissance de dentine et de cément des canines (Gaudreau et Woollett 2007 : 196; Woollett 2003 : 453-456; Pike-Tay et al. 2001 : 146; Stewart et. al. 1996 : 383).

6 Des livres existent à ce sujet comme : Innovations in Assessing Season of Capture, Age and Sex of

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Figure 2 : Les lignes dérivées d'une analyse de transport sélectif suivent des courbes particulières dépendamment de la nature de l'assemblage osseux et de la stratégie de consommation.

Une analyse cémentochronologique sur les canines de phoques du site a été entreprise par James Woollett. Les mandibules et les maxillaires de phoques ont l’avantage d’être relativement denses et d’être facilement attribuables à l’espèce. Les canines sont les dents les plus massives chez les phocidés et elles sont généralement en bon état de conservation. Des lames très minces, d’une épaisseur de 50 microns, sont coupées et polies sur des dents intactes ou décalcifiées. Avec de la lumière polarisée, les cernes de croissance saisonnière sont visibles au microscope à un grossissement de 10 ou 25 fois. Les cernes visibles sont le résultat de périodes de croissance différentes qui dépendent des ressources alimentaires disponibles, de la mastication7 et du cycle hormonal. Ces périodes sont bien

documentées dans le cycle saisonnier des phoques, ce qui permet de déterminer la saison de mort d’un individu. L’âge de la mort est déterminé en comptant des paires de cernes translucides et opaques. Les zones translucides découlent d’une déposition rapide du

7 Le cément joint la dent au ligament parodontal pour améliorer sa fixation aux gencives. L’action de mâcher

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cément, lorsque la nourriture est abondante, et les zones opaques indiquent une accumulation réduite. L’âge et la saison de mort d’un phoque sont estimés en comptant les paires de cernes à partir d’une ligne qui se forme avant la naissance et en notant l’aspect du dernier cerne (Gaudreau et Woollett 2007 : 196-197; Woollett 2003 : 449-451; Stirling et.

al. 1996 : 384). Au total, 38 dents de phoques annelés ont été retirés de mandibules et de

maxillaires bien identifiés. Neuf dents de phoques du Groenland et trois dents de phoques communs ont également été analysées.

Une analyse de l’âge de la mort des phoques a été entreprise à partir de l’état de fusion des épiphyses aux diaphyses des os. Alors que des données sur l’âge auquel les divers restes osseux se fusionnent existent pour les espèces de phoque principalement exploitées à Ikkeghasarsuk, la plupart des restes n’ont pas pu être attribués à une espèce précise. Les données sur l’âge de mort des phoques regroupent donc les phoques annelés, les phoques communs et les phoques du Groenland. Cette analyse dépend d’une étude effectuée par Jan Storå, et intitulée : « Skeletal development in the Grey seal Halichoerus

grypus, the ringed seal Phoca hispida botnica, the harbour seal Phoca vitulina vitulina and

the harp seal Phoca groenlandica. Epiphyseal fusion and life history » (2001). Storå (2001 : 217) avait examiné l’état de fusion des os de plusieurs spécimens de chaque espèce pour déterminer le plus jeune âge de fusion, le plus vieil âge de fusion et la fourchette d’âge de fusion en cours. Avec ces trois sources de données, il a été jugé préférable d’utiliser la moyenne de l’âge plus jeune et plus vieux de fusion de chaque élément. Les données du phoque annelé ont été utilisées car cette espèce forme la grande majorité des phoque de cet assemblage. De plus, des catégories générales d’âge ont été formées pour simplifier l’interprétation des résultats. Cela est nécessaire car les données de fusion sont limitées; chaque élément ne peut être considéré que comme étant plus jeune ou plus vieux qu’un certain âge. Les catégories formées dépendaient des divers regroupements de moments de fusion. Il y a donc les catégories des nouveaux-nés (moins de six mois), des juvéniles (entre six mois et six ans) et des adultes (plus de six ans). Les catégories des juvéniles et des adultes sont formés de deux regroupements de fusion. Ces additions sont faites pour se rapprocher des stades de vie des phoques annelés. Ils atteignent la maturité sexuelle vers six ou sept ans et c’est à cet âge qu’ils peuvent se frayer un territoire dans les zones plus productives de l’archipel côtier.

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Pour ne pas surreprésenter les catégories d’âge ayant plus de restes ou les os plus fréquents dans le corps, seulement les données maximales du nombre minimum d’unités animales8 (MAU) de chaque catégorie ont été prélevées. La somme des radius proximaux,

le reste dont la fusion était le plus souvent noté, s’élevait au même chiffre que la somme des individus placés dans les catégories d’âges9. Chaque catégorie d’âge avait un nombre

de restes fusionnés, des os du même âge ou plus vieux que la catégorie, et le nombre de restes non fusionnés ou en cours de fusion, les os plus jeunes que la catégorie. Les phoques nouveaux-nés sont faciles à identifier par des restes non fusionnés. Les phoques plus âgés peuvent être identifiés à partir de la fusion d’autres restes. Cependant les phoques juvéniles doivent être comptés en soustrayant les restes des catégories adjacentes. Par exemple, pour déterminer le nombre de phoques morts entre l’âge de six mois et 3,6 ans, il faut soustraire les restes non fusionnés avant six mois10 de ceux qui ne sont pas fusionnés avant 3,6 ans11.

Des restes non fusionnés à 3,6 ans ne le seront pas davantage avant six mois. La même technique sert à comptabiliser les phoques entre six et neuf ans en utilisant les décomptes d’os fusionnés. Entre 3,6 et six ans il faut soustraire les restes fusionnés.

Les méthodes qualitatives

Ces méthodes ne sont pas typiquement abordées dans les ouvrages sur la méthodologie en zooarchéologie. Les auteurs qui traitent de méthodologie tendent vers les méthodes quantitatives (ex : Grayson 1984 et Lyman 2008). Seule la répartition spatiale des restes est discutée, et cela au sein d’études de cas (Chaix et Méniel 1996 : 70-76).

Les analyses qualitatives sont centrées sur les commentaires notés lors du catalogage des restes. La présence de phoques annelés rabougris est attestée par ces commentaires ainsi que l’état de préservation, les pathologies osseuses et les particularités qui peuvent influencer les décomptes de NMI.

8 Le MAU ou minimal animal units en anglais.

9 Il y avait 50 radius proximaux fusionnés et 42 non fusionnés. Le total des individus d’âge différents s’élève

à 92.

10 Il y a seulement l'épiphyse distale de la première métatarse, métacarpe, la cavité glénoïde de l'omoplate,

l'acetabulum et l'épiphyse distale des premières deux rangées de phalanges qui sont fusionnées avant six mois.

11 Selon Storå (2001), la plupart des épiphyses des os longs sont fusionnées après 3,6 ans. Les épiphyses

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Les limites imposées par les processus taphonomiques

Les analyses doivent premièrement tenir compte des processus qui agissent sur un assemblage faunique (ou archéologique) au fil du temps. Ces effets s’inscriraient dans la taphonomie, l’étude des processus de fossilisation des organismes. Dans le cas de l’archéologie, les restes osseux sont rarement pétrifiés à moins de dater du pléistocène ou d’une période encore plus ancienne (Lyman 1994 : 1). La figure 3 schématise le fait qu’un assemblage faunique récupéré d’un site archéologique n’est pas exactement ce qui a été exploité; la thanatocénose12.

La taphonomie

L’assemblage faunique du site HdCg-23 provient d’un dépotoir et de l’intérieur de maisons en tourbe. Le processus taphonomique le plus actif à première vue est la présence de chiens suivi par la dégradation chimique et mécanique des os.

Entre cette accumulation de restes fauniques et les fouilles archéologiques, plusieurs facteurs naturels agissent pour décomposer les os. La décomposition de mousses et d’autres plantes, surtout les conifères, et la nature même des roches du Bouclier canadien crée des sols acides (Bastedo 1994 : 104; Henry 2002 : 11). L’acidité humique des sols attaque les os. Ce processus met les minéraux en solution, les détachant de l’os. La densité des restes osseux est un facteur primordial dans cette équation. Les os poreux, souvent de jeunes animaux, se détériorent plus rapidement que les os denses ou l’émail des dents (Reitz et Wing 1999 : 117) Les cycles de gel et de dégel augmentent le degré de fragmentation des restes osseux. L’eau s’infiltre dans les craques et les pores des os pour ensuite prendre environ 10% d’expansion lorsqu’elle congèle. Cette météorisation crée des fractures linéaires et parallèles qui permettre aux acides organiques de décomposer l’os plus rapidement (Lyman 1994 : 358; Irving et al. 1989 : 374).

12 La taphonomie est un sujet qui suscite beaucoup l’intérêt des zooarchéologues et des archéologues

expérimentaux. Il existe assez de monographies et de livres spécialisés pour mériter des recueils

bibliographiques comme Taphonomy : A Bibliographic Guide to the Literature. Christopher P. Koch (dir.) 1989.

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Figure 3 : Une schématisation des processus entre la biocénose de la région de l'île de Dog et l'assemblage zooarchéologique du site HdCg-23.

Des facteurs biologiques s’ajoutent à ceux-ci : les porcs-épics grugent les os pour maintenir leurs dents, les loups mangent les os pour le gras et le collagène. Des caribous en manque de phosphore (surtout lors de la croissance des andouillers) peuvent aussi en ronger (Lyman 1994 : 72, 325, 395). Les chiens sont toutefois les plus actifs pour détruire les os.

(43)

Plus de 18% de l’assemblage à part les fragments de mollusque et les fragments indéterminés portent des traces de dents d’un canidé. La majorité de la fragmentation semble être le résultat de ces animaux.

La décomposition des os est un processus qui dépend de l'environnement immédiat du reste; le pH des sols peut varier énormément sur quelques centimètres et le gel-dégel n’agit pas uniformément sur tous les os (Irving et al. 1989 : 374). Il faut simplement accepter qu’il existe plusieurs processus destructeurs, mais ils arrivent rarement à éliminer complètement les restes osseux. L'identification des agents taphonomiques et de leurs effets sur l'assemblage osseux permet l'établissement de limites de confiance par rapport aux interprétations. Dans l'assemblage à l'étude, les processus taphonomiques ont peu œuvré et les restes sont en très bon état.

La collecte des données

La première intervention archéologique effectuée sur le site remonte à 1966 lorsque J. Garth Taylor (Kaplan 1983 : 18, 488) a fait un puits de sondage dans la maison la plus à l’ouest; la maison 1. Ce sondage a permis de déterminer qu’il s’agissait d’une maison construite de tourbe et de poutres de bois et que le contenu en artefacts indiquait une occupation historique. Taylor a également inspecté une tombe située à trente mètres au sud-est du site. Un fragment de chaudron en fer et un fragment de cerceau de baril sont associés à cette tombe (Kaplan 1983 : 489).

D’autres interventions ont ensuite été faites par James Woollett en 2006 et en 2007 (Figure 4). Des sondages ont été réalisés dans les maisons et dans les alentours. Ces sondages ont permis d’identifier deux dépotoirs à proximité des tunnels d’entrée des maisons. En tout quatre zones sous-divisés en 10 groupes (opérations de fouille) ont été fouillées stratigraphiquement :

 Le groupe 2, une tranchée de 3 mètres sur 1 mètre situé au sud-est du tunnel d’entrée de la maison 2

 Le groupe 3, une tranchée de 2,5 mètres sur 1 mètre situé à l’intérieur de la maison 2, recouvrant le plancher et la marge de la plateforme de couchage.

Figure

Figure 1 : Les établissements d'hiver de la région occupés entre 1776 et 1777 et le site de  Parngnertokh (HeCg-08) abandonné vers 1772
Figure 2 : Les lignes dérivées d'une analyse de transport sélectif suivent des courbes  particulières dépendamment de la nature de l'assemblage osseux et de la stratégie de  consommation
Figure 3 : Une schématisation des processus entre la biocénose de la région de l'île de Dog  et l'assemblage zooarchéologique du site HdCg-23
Figure 4 : Les interventions archéologiques de 2006 et 2007 au site d'Ikkeghasarsuk.
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Références

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