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Vérite et raison : le réalisme dans l'oeuvre de Jean Renart.

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(1)

VERITE ET RAISON

LE REALISNE DANS L'OEUVRE DE JEAN RENART

(2)

J:.

VERITE ET RAISON

LE REALISHE DANS L'OEUVRE DE JEAN RENART

by

Claude N. L. Levy

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Stuc1ies and Research in partial fulfilment of the requirements for the degree of Haster of Arts.

Department of Romance Languages, French,

lITe Gill Uni versi ty, Hontreal.

1

1

®

Claude M. L. Levy 1967

(3)

TABLE DES TT A T 1ER E S

Ii-..JTR ODUCTI OIT •••••••••••• Q • • • • • • • et • • • • • • • • • • • • • • • • • • l

CHAPITRE l LI Intficu.e ... fi • 7

CHAPITRE II La néa1j. té Tanc;i b1e ••••••••••••••••• 36

CHAPITRE III: La part de création arti stique •••••• 6L~

CHAPITRE IV Le Style . . . 102

CONCLUSION •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 120

(4)

,r-I{ .

,-INTRODUCTION

Jean Renart, auteur de l'Escoufle (1200-1202), de Guillaume de Dole (1212-1213), et du Lai de l'Ombre (1220), et contemporain de Philippe Aur;uste, a récemment été ra-mené au premie:- plan de l'histoire littéraire.

Quoiqu'on ne puisse établir sa biographie1 avec cer-titude, tl semble qu'il ait été originaire de Picardie ou du Nord de l'Ile-de-Frence, peut-être des environs de

fi

Dammartin-en-Goelle, et qu'il ait vécu approximativement de 1170-1180 à 1250, donc en pleine période

d'efflores-cence des romans de la Table Ronde et du merveilleux cour-toise Poète de cour - celle du grand feudataire Renault

de Daw~artin, comte de Boulogne -- il aurait été clerc,

fin lettré, et fort instruit des particularités régionales, des idées politiques et du domaine du droit. Sans doute avait-il beaucoup voyagé: il connaissait bien le pays de Caux en Normandie, Eontpellier et Saint-Gilles en Languedoc,

1. D'après l'étude de Hrne Ri-:::a Lejeune-Dehousse dans

(5)

Toul en Lorraine, la rég:i.on de Liège, ~Tayence, et peut-être avait-il été même jusqu'en Terre Sainte, en tout cas sûrement en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, déplacement courant à l'époque. Enfin il aurait mené, sur la fin de ses jours, une existence assez déréglée si l'on en croit deux tensons (débats dialogués) que l'on peut dater de 1230-1240, "Du Plait Renart de Dammartin contre Vairon, son roncin" et "De Renart et de Piaudoue".

La jeunesse de Jean Renart, donc, a été baignée dans un climat littéraire tout imprégné d'amour courtois et de prouesses chevaleresques. Déjà, depuis 1170, les fameux sujets "bretons" ont supplanté les sujets antiques~

Quant à Chrétien de Tl'oyes, "ce grand inventeur du XIIe siècle1", il a fait école. Son Cligès, Erac1e et Ille et Galeron de Gautier d'Arras, Hériaduc (ou le chevalier aux deux épées), Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu, le Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil ne sont que des va-riations sur un thème qui laisse libre cours à l'ilnagina-tion. Or, "quand on examine le Guillaume à.e Dole, on ne peut pas ne pas être frappé par la fidélité de la peinture qui, sous le couvert de la fiction romanesque, reproduit avec exactitude les conditions mêmes de 18. vie dans les

1. Gustave Cohen. Chrétien de Troyes et son oeuvre, Paris, Rodstein,

1948,

p~

511

(6)

milieux aristocratiques de so~ époque et il est devenu banal de parler, à son propos, de roman réaliste dans le sens que l'on donne à ce terme lorsqu'on a en vue l'école qui s'en prévalut au XIXe siècle, c'est-à-dire lorsqu'on entend désigner par là une oeuvre d'imagination qui se propose de représenter, sans l'idéaliser ni la caricatu-rer, la réalité de la vie. n1 Bien plus, dès l'Escoufle, que Io'f.me Lejeune-Dehousse qualifie d'''oeuvre de jeunesse,,2,

,

notre auteur avait déjà souligné par deux fois sa soif de

"raison" et "vérité":

"

••• Mout voi conteors ki tendent 10

A bien dire et a l'ecorder Contes ou ne puis acorder

Mon cuer, car raisons ne me laisse; Car ki verté trespasse et laisse Et fait venir son conte a fable, Ce ne doit estre chose estable Ne recitée en nule court." Et un peu plus loin:

••• Qui en tans et en saison

26

"

Puet metre .j. bel conte en memoire Et faire .j. dit de bovne estoire

1. Anthime Fourrier. Le courant réaliste dans le roman Courtois en France au r·10yen-Age, Paris, Nizet, 1960,

tome l, p.

9.

2. Op. Ci t ., p. 11

(7)

Ci

-...,.-(Et mout bien fait cil qui s'en paine) Ki vertés soit, c'est bele paine."

En effet, ce qui frappe le plus, lorsque l'on compare la production de Jean Renart aux oeuvres à la mode à

l'é-poque~ c'est l'absence de "merveilleux" et de "dém3sure". Chez lui il n'y a ni paysages fantastiques, ni monstres è. combattre, ni philtres d'amours, ni anneaux qui rendent

".

invisible. Bien plus, même les aventures qu'il relate restent à la mesure de l'entendement humain et les proues-ses de proues-ses chevaliers ne sont rien moins que du dOlllaine du possible.

Enfin, différents des goûts du temps par le rejet de la place laissée à l'imagination et à la fantaisie, les romans de Jean Renart le sont également par l'absence de ces longs portraits et monoloeues sur lesquels Chrétien de Troyes et ses imitateurs s'étendaient tant. Les héros de notre auteur ne sont en effet qu'à peine esquissés --quelques remarques semées çà et là, un trait de caractère souligné en passant, ou un détail vestimentaire qui campe son personnage -- i quant aux longs débats psychologiques,

ils sont pl~esque complètement absents, même dans le Lai de l'Ombre, les clichés chers à la littérature courtotse, et la périphrase poétique ne le tentant guère.

(8)

appelle "la partie négative du génie de Jean Renart".l Quant

à l'aspect positif de ce génie, celui qui nous intéresse ici, il est, comme nous allons le voir, certainement très complet

et présente, avant la lettre toutes les facettes de la tech- ~

nique du roman réaliste.

"Véri té" et "Re.isontl

, par opposition au "merveilleux"

et à la "démesuretl

, voilà donc la marque' de Jean Rens,rt, et

le sujet de recherche que se propose cette thèse. Fidèle à la méthode de M. Etienne Servais, c'est dans le texte que nous étudierons l'Escoufle, Guillaume de Dole, et le Lai de l'Ombre pour essayer d'en dégager tous les éléments de ce réalisme si particulier à notre poète.

Dans un premier Chapitre, nous traiterons de "l'in-trigue", de son agencement, de son déroulement et de sa fa-bulation, ainsi que du rythme du récit.

Le deuxième chapitre sera consacré ~ "la réalité tangible". Nous y passerons en revue les allusions histo-riques, géographiques et littéraires que contiennent les textes, et nous étudierons l'observation chez Jean Renart.

Dans le chapitre trois, "la part de création artis-tique", nous discuterons des personnages et de leur psy-chologie.

(9)

Cl

Un dernier chapitre sera réservé à l'étude du style et à la manière de l'auteur~

Enfin nous concluerons en démontrant que ces pièces --bien plus romans de llloeurs que romans d'aventures -- repré-sentent une véritable IIcomédie humaine" de ce début du XIIIe siècle.

Nous nous sommes sel~vi, pour cette étude, de l' édi-tion unique cle Iücheland et Heyer à la Société des Anciens Textes Français

(1894)

pour l'Escoufle, de celle de H~ Felix Lecoy, dans les ClassiQues Français du Hoyen-Age

(1962)

pour Guillaume de Dole, et de celle de ]\1~ John Orr e.ux "Edinburgh University Press"

(1948)

pour le Lai de l'Ombre. Les nu-méros qui suivent les C~L t8.tions de textes renvoient aux vers de ces éditions. Quant aux traductions en français moderne,

elles sont tirées des ouvrages d'André Hary La Chambr~ des Dames et Le Roman de l'Ecoufle mis de rlme ancienne en prose nouvelle.

(10)

CHAPITRE l

L'INTRIGUE

La première carattérist:lClue du génie de Jean Renart est la simpltcité de ses intrigues: Deux enfants Qui s'aiment dans l'Escoufle, un empereur amoureux d'une "pucelle" qu'il ne connaît que par ouï-dire dans Guillaume de Dole, un chevalj.er qui veut conquérir le coeur de sa dame clans le Lai de l' Ombre~ "Partir d'un conte populaire ou d'une historiette et gonfler ce récit de fines nota-ttons, d'observations empruntées à 18. vie réelle: voilà sa formule~"l

Le roman de l'Escoufle, qui tire son nom d'un inci-dent du récit, le vol d'une aumônière par un milan (un écoufle), raconte en quelques 7400 vers les aventures de deux amoureux, Guillaume et Aelis~ Il n'y a donc que très peu de relation entre le titre du roman -- l'épisode au-quel il réfère, quoique marquant, n'ayant pas une importance

(11)

capitale1 -- et son sujet, si peu en fait que l'auteur a cru bon de s'en justifier en indiquant les raisons de son choix, d'autent plus que les mésaventures nombreuses des deux amoureux sont précédées d'un long prologue de

1700

vers environ exclusivement consacrés aux succès guerriers

et politiques du père de notre héros, le comte Richard:

" ••• Hais c'est drois que li rournans ait

9074

Autretel 110n comme It contes."

L'idée de présenter les ~arents du héros dans un prologue n'est pas nouvelle. Elle appartient à l'hérita-ge courtois de Chrétien de Troyes qui dans eon Cligès dé-peint d'abord les amours de Soredamor et d' Alixandre, et à.

la trarU tian d.e J.9. TAgeYlCle de Tristan où la première partie, dans la version remaniée de Thomas, traite des parents,

Rovalen et Blancheflor, car il était alors très important d'avoir de bons progéniteurs, être bien né étant l'un des canons de la chevalerie qu'Auerbach défini comme un

"class-1. L~ré qui considérait cet épisode comme essentiel,

s'était élevé contre cette "perte de rimes et de vers". "C'est seulement après avoir lu plusieurs milliers de vers que l'on sait pourquoi le trouvère a intitulé son roman l'Escoufle, écrivait-il. Ceci pourrait être pris pour un éloge, et l'est en effet quand un auteur, sa-chant éveiller l'intérêt, sait aussi le suspendre et satisfait enfin la curiosité longtemps amusée~ Hais il est impossible, malgré la meilleur volonté de voir ici rien de pareil~" Histoire Littéraire de la France, tome 22 (p~

807),

Paris, Librairie Universitaire, .. , 1895~

(12)

(;

determined order of life"l, et Jean Renart, qui n'a pas encore atteint sa maturité littéraire, suit ici dans les traces de ses prédécesseurs~ Mais, même ce faisant, il innove, car il ne va pas présenter Richard comme un noble chevalier en quête d'aventures guerrières et amoureuses, mais comme un croisé, et surtout comme un politique des plus avisés. "Ce n'est donc point d'une tradition histo-rique ou légendaire qu'est sortie l'histoire du comte Richard, ce seigneur normand modèle accompli de la cheva-lerie qui délivre la Terre-Sainte des Sarrasins et qui, à

son retour, oubliru1t ses terres de Normandie, s'établit à Rome et devient en quelque sorte le premier ministre d'un fabuleux empereur qU'il délivra de la tyrannie de serfs insolents.u2

En effet, les trois quarts de ce prologue -- jus-qu'au vers

1369

très exactement -- sont consacrés à la description minutieuse du pèlerj.nage en Terre-Sainte, et ce n'est pas un des moindres mérites de l'auteur que d'avoir su faire revivre pour nous, sans fioritures inutiles, toutes

1. Nimesis~ Ne~J" York, Doubleday Anchor Book,

1957,

p. 212.

A rapprocher de la réflexion de la dame dans la première des Quinze Joyes d.e MaryYr~: "Dieu merci, je suis d'aus-si bon lieu comme dame, damoiselle ou bourgeoise; je m'en rapporte à ceulx qui scevent les lignes

1",

et à la façon dont Farinata apostrophe Dante au chant X de l'Inferno: "Chi fuor li maggior tui?".

(13)

les étapes de cette expédition outre-mer. Quant à la dernière partie du prologue, elle va permettre à Jean Renart de préciser les tendances politiques du comte de l'1onti villiers - et par conséQuent les siennes _ et de donner une leçon de "gouvernement" à son auditoire.l Après avoir été chaleureusement accueilli par l'empereur à Benevent (v.

1370-1457),

Richard a en effet été prié par celui-ci de l'aider à se débarrasser des serfs Qu'il avait élevés aux plus hauts rangs, au préjudice de ses

barons (v.

1483-1504).

Richard accepte volontiers, réussit dans son entreprise, et après avoir associé au pouvoir

les plus hauts princes du pays (v.

1560-1615)

explique les dangers d'une politique Qui consiste à s'appuyer sur les "vilains" (v.

1616-1651).

Ainsi donc il aura fallu attendre

1700

vers d'un très long développement avant d'aborder enfin le propre du sujet. Hais qu'on ne s'y trompe pas. Même si le pro-logue semble surtout sacrifier aux c~ons de la littéra-ture courtoise et être destiné à piQuer la curiosité du public, ou même, comme le mentionne r.tne Lejeune-Dehousse2, s'il n'est pas sans rapport avec la dédicace du roman à un certain comte Hainaut, il nlen a pas moins une très grande

1. Nous reviendrons plus tard sur cette préoccupation

constante chez Jean Renart et sur l'historicité du fait.

(14)

(

importance pour le déroulement de l'intrigue et la suite des évènements. C'est en effet parce qu'il l'a aidé à se débarrasser des vilains que l'empereur demande à Ri-chard de rester à la cour de Rome, qu'il lui donne pour femme la dame de Gênes et que de cette union naitra Guillaume dont il voudra faire son héritier et l'époux de sa fille. C'est aussi parce que, à la mort de Richard, lCempereur reprendra son ancienne politique en faveur des vilains que ceux-ci, pour se venger, le feront revenir sur sa décision et rompre les fiançailles de Guillaume et d'Aelis.

Jusqu'ici, donc, rien n'aura été apporté au progrès de l'intrigue qui intéresse directement notre sujet, si ce n'est quelques éléments psychologiques qui permettront d'en mieux comprendre les rouages. Et nous voici enfin au début du récit. Celui-ci peut être divisé en deux par-ties de longueur à peu près égale, suivies d'un épilogue que de nombreux critiques ont jugé long et inutile.

La première partie, qui pourrait s'intituler "Les enfances Guillaume" décrit l'enfance et les amours de Guil-laume et d'Aelis, leur interdiction de se voir, leur éva-sion et leur séparation après l'épisode de l'écoufle. C'est le thème bien connu de Floire et Blanchefleur et d'Aucas-sin et Nicolette, à cette différence près que les amours des deux enfants seront d'abord encouragées par leurs parents.

(15)

(1

Après avoir évoqué, avec cette profusion de dé-tails qui lui est propre, les premiers pas de Guillaume au châtee.u de sa mère, près de Venise, Jean Renart nous le montre arrivant à Rome où l'empereur l'a fait deman-der pour qu'il soit élevé avec sa fille. L'impression qu'il produit sur taus est des plus favorables, et bien-tôt Aelis et lui ne se quittent plus. Les années passent, l'amour naît et déjà

n ••• La damoisele ne laist mie

1986

por sa maistre ne por sa mere Que ne l'apiaut ami ou frere,

- Frere por couvrir l'autre non _ I I

Ces prémices posés, notre auteur s'attarde encore pen-dant une centaine de vers à dépeindre l'éducation1 des deux jouvenceaux, puis il en arrive enfin au ressort prin-cipal de l'action. Désireux de récompenser Richard pour les services qu'il lui a rendus, l'empereur décide de fai-re de Guillaume son héritier et de le marier à sa fille. Mais comme il n'est pas sûr d'obtenir le consentement de ses barons, il imagine un stratagème pour le leur extor-quer: il leur demandera une faveur, mais ne leur explique-ra de quoi il s'agit qu'une fois qU'elle lui auexplique-ra été

ac-1. Ce qui lui permet de placer quelques commentaires très personnels dont nous discuterons, entre a.utre, au cha-pitre du style.

(16)

cordée. Le stratagème réussit et les barons, qui ne peu-vent revenir sur leur parole donnée, se voient contraints d'accepter, bien à contre-coeur, la décision de leur sou-verain. Désormais le destin de Guillaume semble fixé, en tout cas jusqu'au prochain rebondissement, la mort de son père et son évasion avec Aelis.

En effet, dès après les funérailles du comte Richard les "mauvais conseillers" reviennent à la charge et repro-chent à l'empereur le consentement qu'il leur a arraché. L'impératrice elle-même se range à leur avis et finit par obtenir de son royal époux qu'il revienne sur sa

décision~l

Aussitôt, Guillaume se voit interdire la chambre d'Aelis. Pleurs et le.mentations de pa.rt et d'autre, puis, au cours d'un rendez-vous secret, les deux amoureux décident de s'enfuir et d'aller à Rouen. La date de l'évasion est fixée, les préparatifs terminés. Enfin la nuit arrive et Gui lla.ume et Aeli s se retrouvent sur les grands chemins. Le récit vient de faire son premier grand pas en avent. Les deux jeunes gens sont ms.intenant entièrement livrés à eux-mêmes.

Suit ensuite la description idyllique de la vie des deux amoureux en route pour la Normandie, suite de tableaux

1. Nous verrons au chapitre III comment dans cette scène toute en dialogues, et dens celles qui suivent, la psychologie de l'auteur et son sens du réel se montrent plus pénétrants que jamais.

(17)

Cl

-14-charmants sur lesquels Jee.TI Renart peut s'attarder et poétiser 8. souhait. Aucun détail n'est épargné, le ca-dre champêtre d'un bel été, la recherche des hôtels pour le soir, confortables mais assez à l'écart pour éviter la mauvaise rencontre des messagers de l'empereur que celui-ci n'a pas manqué d'envoyer à leur poursuite, la préparation des victuailles pour le lendemain, les

dé-jeuners sur l'herbe. Les gestes et les paroles des deux enfants sont rapportés avec un tel souci du réel que tout cela semble vraiment vécu. Qu'on en juget GUillaume, qui pour faire plaisir à son amie a accepté de s'arrêter, pour manger, à la montjoie de Toul, en Lorraine (v. )·~404 et

suiv.), la conduit par un petit sentier jusqu'à une fon-taine. "L' a, nous dit l' Emteur, il mit pied à terre et descendit la pucelle. Ils s'étendirent sur les fleuret-tes au bord de l'eau, et à cause de la chaleur Aelis en-leva sa chape et sa cotte faisait un grand rond autour d'elle sur l'herbe. Guillaume mit les bouteilles à re-froidir dans la fontaine, ôta les freins aux mulets et les entrava avec les licoux.~ •• Puis le damoiseau tira de

sa besace un pâté et une géline, qu'il découpa, et quand la belle av ai t mord.u, elle donnait à mordre à son ami". Mais le bonheur ne peut pas durer et la tempête s'abat

(18)

l'au-mônière qu'Aelis vient de lui remettre en gage d'amour. Cette av~ônière contient la bague que l'impératrice con-fiait à sa fille chaque soir avant de s'endormir et que GUillaume, au lieu de la passer au doigt, a laissée près de lui, o~cupé qu'il est à regarder dormir son amie. La suite est évidente. GUillaume, qui a pris en chasse le milan, abandonne un instant Aelis endormie. Quend

celle-ci se réveille, elle se croit trahie, se lamente d'abord, puis décide de retrouver son amant coftte que co~te, et se met en route pour Rouen. De son côté Guillaume réussit enftn à récupérer le bijou, revient où il a laissé Aelis, suppose, maintenant qu'elle n'y est plus, que les sergents de l'empereur l'ont enlevée et se met à leur poursuite en direction de Rome. Nous sommes au vers 5212 et les enfants sont maintenant séparés.

Il aura donc fallu arriver au milieu du roman pour en comprendre le titre et pour que l'intrigue reçoive son second coup de pouce. T·iais ici encore nous n'avons pas affaire à ces longueurs inutiles qui foisonnent dans nom-bre de romans d'aventures du XIIe et du XIIIe siècles. Le but de Jean Renart était évident. Il s'agissait de pré-parer "raisonnablement" l'auditoire au dénouement en le rendant plausible. Il lui fallait montrer les deux enfants capables de se tirer d'affaire ensemble loin de la cour

(19)

Ci

pour les faire accepter ensui te se til~ant d' s.ffaire tout seuls. L'épreuve de la vie aux champs fortifiait leurs caractères et les préparait à celle de la séparation. Il fallait également introduire l'aumônière et l'écoufle pour expliquer à l'avance, en quelque sorte, les conditions de la reconnaissance et des retrouvailles.

A partir de ce moment, le. deuxième partie du roma'l1 va nous conduire, à travers deux récits parallèles, à un "happy end". Une fois de plus, ce ne sont pourtant pas des aventures ou des mésaventures fantastiques que Jean Renart va décrire, mais plutôt une série de tableaux in-times, comme "une véritable odyssée bourgeoise" di t IfJ!lle Lejeune-Dehousse,l et parmi lesquels il faut citer: l'ar-rivée d'Aelis chez sa vieille hôtesse de Toul (v~ 4962-5307), l'installation des deux "ouvrières" Aelis et Isabel dans un clair logis de Nontpellier (v! 5468-6092), puis chez la comtesse de Saint-Gilles (v. 6093 et suiv~), la vie de Guillaume dans un hôtel de pèlerj.ns à Saint-Jacques puis à Saint-Gilles (v~ 6158-6681), sans compter le récit détaillé d'une chasse S.U fe.ucon (v ~ 6682-6845), et surtout

la soirée chez le comte de Saint-Gilles au cours de laquel-le Aelis retrouve Guil1s.ume.

1. Op. Cit. p. 183. Toutes ces scènes, déjà mentionnées par r-îme Lejeune-Dehousse dans sa thèse de doctorat, seront reprises en détails au chapltreII lorsque nous

(20)

-,

()

(1

L'intrigue, pendant ce temps, n'avance que très peu, surtout si l'on considère qu'il s'est écoulé sept ans entre la séparation et les retrouvailles. Hais comme tous les évènements s' enche5.nent avec logique, et que de naturel 1 Bien sûr, l'auteur a dû intercaler dans son récit l'histoire des amours du comte de Saint-Gille et de la châtelaine de Montpell~er

(v.

5826-5962),

mais seulement par souci Qe réalisme, afin d'expliquer, plus tard, la présence d'Aelis aù château. Bien sûr tl faudra attendre l'épisode fihal de la chasse au faucon pour donne:r ~~lJ. peu de mouvement s,u dénouement, mais nfest-il pas normal, en effet, que ~a vue d'un écoufle réveille chez Guillaume le souvenir d'm1 autre écoufle, cause de tous ses malheurs,

"

et ~ue dans un moment de rage incontrôlable il lui arrache le coeur et le dévore?l N'est-il pas encore plus normal qu'ml incident si extraordinaire soit rapporté par le mai-tre-fs.uconnier au comte de Saint-Gj.lles, dont la curiosité

est alo~s piquée au vif, et qu'il fasse venir Gui1laQ~e pour

lui expliquer les raisons de son geste? Il n'en fallait pas plus pour mettre les deuy. amants en présence sans avoir recours à une intervention sl'.rnaturelle - barque magique

1.

En

lui faisant manger le coeur de sa victime, Jean Renart est peut-être tombé dans un excès de réalisme grand-guignolesque, encore qu'il soit possible d'y voir une réminiscence d'un certain mythe paien puisque Guil-laume, après avoir démembré et brûlé l'Oiseau, en jeta .également les cendres au vent.

(21)

comme dans Tristan et Yseult ou autre -- et pour préparer la grande scène de la reconnaissance.

La façon dont cette scène est présentée par Jean Renart est d'ailleurs bien typique de notre auteur. Il ne fait en effet appel à aucun des poncifs de ce thème

traditionnel, ni vêtement,l ni chanson connue des amoureux seulement,2 ni chien fidèle. J Au contraire, c'est par une suite d'émotions et de luttes intérieures, savamment no-tées, entre son "amour" et sa "raison" qu'il va finalement amener Aelis à ouvrir ses bras à GUillaume, un Guillaume qui ne s'y attendait pas, et à se jeter à son cou:

tlDi val biau frere, cui j'acol tlEstes vous donc li miens amis?tI

Ce n'est qu'ensuite qu'elle s'enquerra de l'aumônière et de la bague qu'elle lui avait données.

Somme toute, le roman de l'Escoufle aurait pu se terminer ici; cependant Jean Renart a cru bon d'y ajouter un long épilogue de quelques 1200 vers dans lequel nous voyons les deux héros retourner d'abord en Norm~idie

re-couvrir l'héritage de Richard de Montivilliers, puis à Rome celui de l'empereur. En effet, maintenant qu'ils se sont enfin retrouvés, Aelis et GUillaume, qui sont en âge

1. Le Lai de Fresne 2. Galeran de Bretagne

(22)

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1

de le faire, vont pouvoir s'épouser. Le mariage aura lieu à Rouen où le comte de Saint-Gilles, qui s'est dé-couvert être un cousin de GUillaume, l'a conduit afin qu'il succède à son père. Naturellement, Guillaume qui

en a toutes les qualités est immédiatement accepté par les seigneurs nOTIlands, et comme

"La grant bonté qui est en li

La fait prisier par tout le monde,"

sa réputation se répand et arrive jusqu'à Rome où, main-tenant que l'empereur et l'impératrice sont morts, la situation est des plus mauvaises. Aussi, lorsque les barons romains l' envoj. ent chercher pour lui offrir la couronne, accepte-t'il de venir les délivrer de l'empri-se des "vilains", comme son père l'avait fait 8vant lui, et de devenir empereur.

L'épilogue, comme le reste du roman, auquel il n'apporte rien de neuf, ne développe donc aucun thème

lit-téraire en particulier. Il n'est que l'occasion de nou-velles descriptions et de nounou-velles notations, et surtout le prétexte à de nouvelles considérations défavorables de Jean RBnart sur le gouvernement des serfs. 1 Il va permet-tre en oupermet-tre à l'auteur de préciser cet idéal moral qu'il reprendra dans Guillaume de Dole, à savoir qu'il n'y a

(23)

aucun honneur auquel "chevalerie" et "gentillessel' ne

pllisse conduire. 1

Le Roman de la Rose, tel est le titre authentique donné par Jean Renart à sa deuxième oeuvre, nous verrons plus tard pour quelle raison; mais, au XVIe siècle, le président Claude Fauchet, pour éviter toute confusion pos-sible avec le fameux poème allégorique de Guillaume de

Lorri s et de Jean de I~eung, a substitué à ce ti tre celui de Guillaume de Dole, et cette nouvelle appellation a été adop-tée par les érudits.2 Le roman pourrait s'intituler, plus justement sans doute, Conrad et Liénor.

Gaston Paris rattachait Guillaume de Dole à ce qu'il appelait "le cycle de la gageure", formé de récits où une femme calomniée réussit à confondre son calomniateur. Hais ce thème

J

qui se retrouve dans le Roman du comte de Poitiers (vers 1180), de même que dans le Roman de la Violette (vers 1225) de Gerbert de Hontreuil, a été habilement fondu ici avec un autre thème, celui de la princesse lointaine de l'a-mour éprouvé par ill1 roi pour une belle inconnue.

1. Paul I>le"Ter. Introduction p. XXVII

2. Ce titre est aujourd'hui consacré, quoique, comme on l'a remarqué (Ed. Serrois p. II) il soit assez mal choisi.

3.

On retrouvera ce thème plus tard dans une nouvelle du Décaméron (II,

9)

et dans le Cymbeline de Shakespeare.

(24)

o

-21-Après un prologue d'une trentaine de vers dans le-quel il nous informe qu'il a intercalé des chants et de la musique dans ce Roman de la Rose, l'auteur annonce le dé-but de ~on poème.

Il y avait dans l'Empire, jadis, en Allemagne, un empereur nommé Conrad qui était un modèle de vaillance et de courtoisie. Cet empereur n'était pas marié, au grand regret de ses barons, mais il n'était pas préssé de se ren-dre 8 leurs raisons car sa jeunesse le portait vers les l)l::üs·i.:(','i P.t les divertissements champêtres 011 D. in.\Ti tai. t

les seigneurs et les de.mes de toute la cnntrée. Un jour d'ennuj, ConrRd fait appeler près de lui un ménestrel nom-mé Jouglet qui lui vante un chevalier assez pauvre, me.is franc et vaillant entre tous, Guillaume de Dole, qui vit seul avec sa mère et sa soeur Liénor. Jouglet décrit avec tant d'enthousiasme la beauté de la jeune fille que l'em-pereur s'éprend d'elle et forme en lui-même le projet de l'épouser. Il envoie donc chercher Guillaume à qui il ré-serve le plus charmant accueil, qui devient rapidement son favorl, et qu'il couvre de présents. Cependant Conrad,

malgré tout son désir, n'a pas encore osé parler à Guillaume œe la belle Liénor (v.

31-1641).

Ce début de roman est donc exclusivement consacré à la mise en place du décor et à la présentation de Conrad,

(25)

personnage prlncipal de l'oeuvre et symbole de l'idéal politique de l'auteur. 1 Ici, mieux encore que dans l'Escoufle, le poète a su montrer son personnage an si-situation. En effet, c'est par une suite de traits ano-dins, ~ais pleins de fines notations psychologiques, qu'il découvre à son auditoire l'émoi grandissant de ce souve-rain épicurien épris d'une jeune fille qu'il n'a jamais vue. Et c'est le dialogue entre l'empereur et Jouglet, l'évoçation de Liénor, la possibilité de vivre un rêve, l'idée de s'allier le frère pour avoir la belle, et sur-tou,.t la pudeur de lui parler de celle-ci une fois qu'il est ~ introduit à la cour. Et que de naturel à tout cela! Conrad n'a-t'il pas été dépeint comme un jeune hom-me aimant les aventures galantes2 et que ses barons

prés-saient de prendre femme? Quoi d'impossible alors à ce qU'il se laisse séduire par une image.

Mais entre temps l'intrigue n'avance pas. Nous avons déjà parcouru le quart du roman, assisté à une fête champê-tre, à la réception de Nicole au "plessié de Dole" et à celle de Guillaume par l'empereur sans qu'il ne se soit rien passé, et il faudra attendre l'épisode suivant pour faire enfin un léger pas en avant. En effet, ce n.'est

1. Cf. Conclusion.

(26)

)

qu'après le tournoi de Saint-Trond, où Guillaume se dis-tingue par de magnifiques prouesses que Conrad se décide

à lui parler de Liénor, à lui dévoiler ses projets de

ma-l

riage, et à lui révéler le stratagème qu'il a imaginé pour être sûr d'obtenir le consentement de ses barons: il réunira un "parlement" auquel il demandera un "donlt et ce n'est qu'après avoir reçu l'assurance qu'il lui sera ac-cordé qu'il réclamera l'autorisation d'épouser Liénor.

Quant au tournoi de Saint-Trond, ce "long et inu-tile épisode" selon Gaston Paris2 outre qu'il est le pré-texte à de bril.lantes et savoureuses descriptions, et à de nouveaux commentaires, en apparté, de l'auteur, il joue un rôle des plus importants dans le déroulement du récit. En effet, c'est lui qui, du point de vue de la raison, va permettre de niveler la différence de classe sociale qui existe entre Conrad et Llénor et d'effacer, de ce côté en tout cas, toute objection que les barons pourre,ient soule-ver plus tard. On peut d'ailleurs comparer en ce sens les

exploits de GUillaume, dont l'honneur rejaillira sur sa soeur, à ceux du comte de ~ontivilliers dans le prologue de l'Escoufle. Donc même si le rythme du récit, jusqu'ici a été assez lent, et constamment interrompu, rien n'a été

1. Comme l'a indiqué 1\1. Gustave Charlier (Op. Cit. T. 1

pp.

89-92)

dans les Mélanges, le stratagème est le même que celui de l'Escoufle.

2. Dans Itle cycle de la gageure lt Romania, Vol. XXXII,

1903,

(27)

)

Cl

laissé au hasard, et le mouvement va se précipiter avec l'entrée en scène d'un nouveau personnage et l' introcluc-tion du thème de la gageure.

En effet, le sénéchal Ken, personnage influent à

Qui porte déje. ombrage la faveur du frère, craint, si son maître épouse la soeur de GUillaume, de perdre tout cré-di t à. la cnur qn' il a un peu négligée dernièrement, et prend la résolution d'empêcher cette union. Pour cela il se rend en secret dans l'humble château où vivent Liénor et sa mère, se fait passer pour un compagnon d'armes du fils, et bien qU'il ne puisse obtenir de celle-ci qu'elle le mette en présence de sa fille, il réussit par ses flat-teries à obtenir de la pauvre vieille, fière na!vement de la beauté de son enfant, la confidence d'un dangereux

se-cret: Liénor a, de naissance, sur la cuisse, un signe en forme de rose. (Ainsi s'expltque le titre de Roman de la Rose donné par Jean Renart à son oeuvre): Et le moment venu, il fait savoir à Conrad qu'il a obtenu les dernières faveurs de la belle. Le mariage n'est plus possible et l'empereur, qui s'en lamente, explique pourquoi à

Guillau-1. Ici encore, comme dans Lancelot et Yvain de Chrétien de Troyes, et comme dans l'Escoufle, l'épisode dont est tiré le titre du roman se trouve au milieu du récit. Sans doute était-ce là un moyen d'intriguer l'auditoire et d'éveiller sa curiosité. Il est en tout cas certain que cet épisode, qui est avant tout le thème central de toute une série de contes semblables, est celui qui. sert à relancer l'action et à faire rebondir une intrigue par ailleurs passablement simpliste.

(28)

Cl

me dont la douleur, la honte et la colère sont immenses

(v. 2968-3736).

l/[ais revenons un peu à ce premier coup de théâtre. Il faut bien noter que le thème du pari a ici été en par-tie renouvelé par Jean Renart et que les faits sont beau-coup plus finement amenés que dans le Roman du Comte de Poitiers ou le Roman de la Violette. C'est en effet par-ce qu'il est jaloux de la trop grande amitié de son maître pour Guillaume que le sénéchal cherchera

à

en savoir plus et découvrira en même temps l'existence de Liénor et l'a-mour de l'empereur. C'est également parce que sa jalousie est d'ordre purement politique __ il a peur de perdre son rang de privilégié à la cour __ qU'il se rendra à Dole sans

X

avoir exactement idée de ce qu'il y va chercher, et qu'il ne tentera pas de séduire la jeune fille que son éducation

stricte empêche de se trouver seule en présence d'un homme, d'où la nécessité de faire jouer à la mère indiscrète le rôle généralement révolu à une entremetteuse. Enfin et sur-tout, Keu, de retour auprès de l'empereur, attendra, pour parler, que celui-ci lui fasse part de ses projets et ne dé-voilera alors ce qu'il sait que comme à regret et avec beau-coup de peine, sûr qu'il est que son suzerain qui n'a jamais vu Liénor ne pourrait même pas vérifier ses dires. Psycho-logiquement tout s'explique et les évènements, qui s'en~

(29)

)

()

vers un second rebondissement avec la scène du procès.

En effet, un neveu1 de GUillaume, parti tuer Liénor pour venger l'honneur familial, découvre la vérité, et Liénor entreprend de rétabltr sa réputation. Passive jus-que là, elle va, à partir de ce moment, jouer un rôle actif qui Ya donner à son personnage une consistance humaine et revaloriser un procédé de convention. Elle se rend donc à l-Tayence où l'empereur a convoqué tous les grands du royau-me, se présente incoznito devant la cour de Conrad, implo-re justice et accuse le sénéchal de lui avo:i.r fait violence et de lui avoir volé ses joyaux. Celui-ci, qui n'a jamais vu Liénor, proteste hautement de son innocence. Soumis au jugement de Dieu il est prouvé innocent; mais à ce moment la jeune fille révèle qui elle est et explique comment le sénéchal a appris l'existense du signe et donné à sa calom-nie une apparence de vérité. Tout est bien qui finit bien: l'empereur épouse la belle innocente; le frère, son honneur lavé, retrouve la joie de vivre; et le vilain coupable est invité à partir pour l'Orient où, dans les rangs des che-vallers du Temple, il consacrera sa vie à la défense des Lieux Saints.

1. Ce "neveu" de Guillaume (ainsi désigné aux vers

3776,

3792, 3796, 3849, 3854, 3855)

est du reste un cousin: la mère de Guillaume est son "antain" (v.

3924)

et Liénor, dit l'auteur, est sa "cousine" (v.

3936).

(30)

"

Cette dernière partie du rom.an, empreinte d'un réalisme de situations autant que de mots est caractéris-tique de Jean Renart. 1 C'est d'abord l'intrusion vlolente, l'épée à la main, du cousin de Guillaume, qui ne veut rien entendre et qui ne se calme que lorsque la dame de Dole s'évanouit dans les bras de sa fille, lorsqu'il mentionne lui aussi cette rose

ttQu'el a devers la destre hanche

3987

Desor la cuisse grasse et blanche,

Que male flambe puisse ardoirt tt ,

et qu'elle avoue l'imprudente confidence qu'elle a faite au sénéchal. C'est ensuite le départ, accompagnée de deux vavasseurs, de Liénor qui n'oublie pas, maintenant qu'elle

sait que Conrad voulait l'épouser, d'emporter avec elle tout son trousseau, et son arrivée à Mayence, le premier mai, où la ville en fête célèbre à la fois le retour du printemps et la grande assemblée des barons. Ici, notre poète Va profiter de l'occasion pour décrire, avec ce luxe de détails précis qui n'appartient qu'à lui, la joie des

1. En effet, alors que dans les récits du cycle de la gageure l'innocence de la femme est démontrée lorsque après avoir accusé le calomniateur et que celui-ci

jure ne l'avoir jamais vue, elle se nomme, notre auteur lui, a compliqué les choses en introduisant la décou-verte des bijoux sur le sénéchal. tt~ourquoi ce détour?

C'est que, nous dit Mme Lejeune-Dehousse, Jean Renart veut tirer de ces évènements le maximum d'observations réalistes et d'émotion:' dramatique. (Op. cit. p. 47)tt.

(31)

citoyens de retour du bois, dans la matinée, avec leur "mai", les décorations de la ville, et le logement de Liénor chez une riche bourgeoise. Puis vient la prépa-ration du complot contre le sénéchal. Liénor, qui ne laisse rien au hasard, lui envoie, de la part d'une châ-telaine de Dijon qui jusqu'ici s'est toujours montrée in-sensible aux avances de Keu, une aumônière, un anneau, une agrafe et une ceinture brodée qu'il devra porter, pour lui plaire, "a sa char soz sa chemise"; et ce n'est que lors-qu'elle aura reçu l'assurance que le sénéchal s'est plié à sa volonté qu'elle se préparera à se rendre à l'assemblée des barons. Suit ensuite la description de la toilette de Liénor, belle mais décente com .. me il sied à une "pucelle",

sa course à travers la ville, aux e.cclamations respectueu-ses des bourgeoirespectueu-ses; son arrivée au palais aux cris de "voi-ci f/[ai ,,2, et enfin sa rencontre avec l'empereur.

La longue scène suivante (v.

4709-5116)

est entiè-rement consacrée au procès du sénéchal. Nous y reviendrons au prochain chapitre pour en dégager tout le réa.lisme par-ticulier à la procédure judiciaire de l'époque, mais nous

1. "Que vet l' empereres quere.nt,

4553

Font ces borjoises, qui veut feme? Hé! Dex, car pregne ceste deme!"

2. L'admiration des bourgeois autant que celle des barons devant la beauté de Lienor laisse bien présager le. fin de l'aventure.

(32)

(

pouvons déjà noter ici le rôle important qu'elle joue dans le déroulement et le progrès de l'intrigue. Logi-quement, psychologiLogi-quement, c'est elle et elle seule qui amène la conclusion du réct t en prenant 18. place de la tradi tionnclle scène de le. reconnaissance. En effet, elle V8. permettre tout d'abord de mettre en présence Conrad et Liénor qui ne se sont encore jamais rencontrés. Jean Renart qui possède beaucoup de métter au moment où il écrit Guil-laume de Dole, sait d.écrire avec beaucoup d'émotion l'im-pression que chacun fait sur l'autre -- la presta~ce de

Conrad, que Liénor reconnait comme l'empereur 8.ussitôt qu'il sort de J.a chambre du conseil, le flot de cheveux blonds sur.la nuque découverte de Liénor lorsqu'elle le salue --et le geste spontené de Conrad quand Liénor dévoile son identité: il l'embrasse devant tout le monde. Elle va aus-si permettre de confronter Liénor avec les barons 8vant même que l'empereur ne leur demande ce "don" pour lequel il les a réunis en "parlement". Dès son entrée ils ont été tou-chés par sa beauté et le. C8.use est gagnée d'avance. Elle va enfin permettre à Liénor de retrouver son honneur et de pouvoir épouser J.fempereur, autorisation qu'il obtiendra sans peine de la part de ses barons dès après la preuve de CUlpabilité du sénéchal.

(33)

cons-c)

tamment interrompue, même si elle n'avance que très len-tement, elle n'en est pas moins préparée de façon très com-plète.

Enfin, pour finir son récit, Jean Renart va décrire en 500 vers le mariage et la fête nuptiale. En effet,

a-~rès que Guillaume a rendu hommaee à sa soeur, mairtenant

l'impératrice, les barons ont décidé un Conrad déjà con-sentant à ne pas attendre l'Ascencion et à profiter de la réunion de tous les grands du royaume pour célébrer son

mariage. L'auteur passera rapidement sur la cérémonie, s'at-tardera un peu sur la description de la robe de Liénor lI

en-tièrement faite à. l'aiguille peT une reine de Pouille, jadis pour son plaisir" 1 et s'étendra avec beaucoup de cI!lDlple.isen-ce, SUT les egapes pantag1'lléliques qui suivront la bénédic-tion. Et le poème se termine par une sorte d'apologue dans lequel on nous dit que l'Archevêque de Mayence fit mettre en écrit toute cette histoire pour exhorter les rois et les comtes à bien agir suivant l'exemple de l'empereur Conrad •

• •

Le Lai de l'Ombre, qui ne comprend pas un millier de vers, est la plus courte e1es oeuvres de Jean Renart que nous considérons ici. Il est évident que dans un récit de

(34)

()

(

cette dimension il n'y avait pas beaucoup de place laissée aux aventures, si peu en fait que Joseph Bédier, qui dans l'introduction de son édition du poème, le définissait com-me "une historiette, tendre et spirituelle, et plus spiri-tuelle que tendre" l'avait ra.ngé dans la classe des "ensei-gnemenz"l et "chastiemenz", et le divisait en deux parties: un IImo t de la fin", le don de l'anneau à l'ombre, et le

long dialogue qui le préparait. Aussi écrivait-il: "Le bien amener, c' est-s~-dire analyser d'abord par le menu les manoeuvres galantes du soupirant, les tours et les détours de sa stratégie, donner un exemple et un modèle de conver-sation courtoise, tel fut le dessein de l'auteur, et par là son poème appartient surtout, peut-on dire, au genre didactique".2

Voyons donc un peu ce que l'histoire nous conte. Um jeune chevalier, doué des plus belles qualités, s'enflamme brusquement pour une belle châ,telaine, lui qui justement méprl 8a,i t l' tlAmour" à cause de ses nombreux succès. Après quelques hésitations, il décide d'aller lui ouvrir son

coeur, et le voilà parti, lias darnes 1 Il, Ewec deux compagnons.

Arrlvé au chê.teau de celle-ci, il est reçu avec beaucoup de

1. Le Lai de l'Ombre de Jean Renart, publ. p. J. Bédier,

~s,

S.A.T.F,

1913,

p.

II.

2. Ibid

p.

III

(35)

r- '\

"

.'

Cl

courtoisie par cette reine de beauté aimable mais étonnée de sa visite, elle qui le connait bien de renommée; et la

conversation s'engage (v. 1-349).

Cette première partie du poème, qui comprend par ailleurs un trop long prologue1 pour une pièce aussi cour-te, représente donc une véritable scène d'exposition dans la meilleure traditjon du théitre classique. Jean Renart y définit, sans les nommer, les protagonistes de ce pas

de deux - "Lui", chevalier accompli, "Elle", modèle de beauté et de courtoisie -- et plante le décor. Et une fois de plus, aucun détail qui puisse, plus tard, expliquer un mot ou un geste, n'est laissé au hasard, ni les tourments de l'amour naissant chez le chevalier, ni sa réputation de Casanova qui est arrivée jusqu'aux oreilles de la chite-laine.

Profitant d'un tête-à-tête avec elle, le jeune hom-me déclare son amour Èl la dame. Surprise et rougissante,

celle-ci accueille d'abord cette déclaration avec un sou-rire, mais bien vite se doit de préciser, devant l'insis-tance du visiteur, que la chaleur de sa réception n'a rien à voir avec ses sentiments profonds, et qu'il a tort de s'entêter de la sorte. Touché, les larmes aux yeux, le pauvre chevalier fait peine à voir, tellement que la dame

1. V. 1 à 52. Sur l'importance de ce passage quant aux informations qu'il donne sur la vie de l'auteur vers 1220, voir Mme Lejeune-Dehousse. Op. cit. pp. 246-257.

(36)

()

s'attendri t et cha.'Ylge d'arguments: "Il n'est pas juste que je vous aime, fait-elle, car j'ai mon mari, vrai prud'hom-me qui prud'hom-me sert et m'honore à mon gré". Aussitôt le che-valier reprend espoir, insiste pour qu'elle accepte au moins un souvenir de lui et devant un nouveau refus annonce qu'il en mourra. Ceci ne manque pas d'impressionner 18. châtelai-ne qui devient toute songeuse et commence

à

l'écouter avec

complaisance. Tandis·qu'elle est absorbée d8ns ses pensées, et s'apitoie sur ses soupirs, le jeune homme réussit à lui glisser au doigt son annee.u et,avant qu'elle ne s'en aper-çoive, prend brusquement congé. (V.

350-579).

Il n'en faut pas plus pour tout remettre en question et relancer l'action. La châtelaine, dépitée de se retrou-ver seule si vite, se félicite d'abord de n'avoir pas cédé, mais découvre bientôt l'anneau et, effrayée des conséquences que cela peut avoir pour sa réputation, envoie quérir le chevalier pour le lui rendre, bien déCidée, s'il refuse, à s'en débarrasser d'une façon ou d'une autre. Elle reçoit, cette fois-ci, son soupirant sur la margelle du puits, dans la cour du château. Là, une nouvelle discussion s'en-gage et, devant l'argument d'obéissance que tout amoureux doi t 8. son amie, le jeune homme consent è. reprendre la ba-gue à condi tion::,t.o1ite fois qu'il puisse en disposer è. sa guise. Alors, aux yeux étonnés puis ravis de la belle da-me, "Sachez, fait-il, que je ne remporterai pas cet anneau

(37)

(

mais que je le donnerai à ma douce amie, celle que j'aime le plus après vous". Et il lance l'anneau à l'ombre, dans le puits. (v. 580-307).

Cette courtoisie conquiert définitivement le. de.me, qui le regarde maintenant d'un oeil amoureux. Elle lui tend son annea1J, en gage, et leurs bouches et leurs mains reprennent là où leur coeur les a amenés.

Voilà comment, sans jamais tomber dans le marivau-dage ou la préciosité, Jean Renart met en scène le coeur humain. L'histoire en elle-même est simple et l'intrigue ne se prête que très peu à de grands mouvements, mais par 18. justesse du dj.alogue et d.es nuances psychologjques l' au-teur a su en faire un chef d'oeuvre du type.

Commentant Guillaume de Dole dans son étude sur le cycle de la gageure, Gaston Paris remarquait que l'intrigue en était constamment interrompue peT de longue:J descriptions et que les personnages n'agissaient pas beaucoup. Aussi écri.vait-il: "La fable du roman est très altérée et repose probablement sur une tradition·orale et imparfaite de Guil-laume de Neve!,ê. ou d'un récit pareil. Cette fable, surtout ainsi altérée et réduite, se prêtait mal à fournir la trame de tout un roman; l'auteur est 8.rri vé à en tirer les six mille vers de rigueur en y intercalant un ]ong et inutile

(38)

(,

épisode (le tournoi) et en délayaYlt son réci t par des en-tretiens qui forment hors-d'oeuvre. Il ne pouvait guère avoir recours 8.UX subtili tés psychologiques que Chrétien

de Troyes avait mises à 18 n1ode; il ne trouvait pas dans son sujet les combats de sentiments qui en sont le thème habituel".l

Ce jugement, qui pourrait s'adapter à l'ensemble de l'oeuvre de Jean Renart, est cert~ünement exact, IDa.is il nous semble, sans vouloir en minimiser la portée, que, tout à l'idée de faire entrer ce récit dans un groupe bien défini, l'éminent critique ne s'était pas aperçu que la beauté de l'oeuvre consistait justement à traduire direc-tement la réalité contemporaine et à décrire un milieu

vivant. Dès lors les thèmes utilisés par l'auteur n'étaient plus que l'occasion d'un roman ou d'un fabliau, le vrai

su-jet en étant la. peinture réaliste de telle ou telle sltua-tion, de tel décor ou de telle conversation. Dès lors, il

!lfe,veJt plu8 beso:i.n d'un enchevêtrement d'épisodes, ni de grands retours en arrière, ni de monologues introspectifs.

C'est ce "tableau détaillé des moeurs, des idées et des go'O.ts de la he.ute société française durant le cours du XIIe siècle,,2 que S011S le titre de "Réalité Tangible" nous

envisagerons D1e.intenant.

1. Romani a, vol. XXXII,

1903,

p. 488.

(39)

(1

CHAPITRE II

LA REALITE TANGIBLE

"C'est la peinture de 113. société à laquelle e11f;;

~~t destinée qui rempli t le~ plus e;ra.nde !)s.rtie de notre

vieille littérature comme de notre littérature moderne, a écrit Gaston Paris.1 Aussi est-elle (la vieille litté-rature) une mine inépuisable de rensetgnements sur les moeurs, les usages, les coutumes, toute la vie privée de l'ancienne France ••• ".

Cepende.nt, au moment où l'Escoufle, Guillaume de Dole et le Lai de l'Ombre étaient donnés au public, le roman n'était qu'une oeuvre d'imagination conçue pour échapper à la vie plutôt que pour la refléter avec exac-titude. En effet, il y avait trois élér!1ents essentiels dans l'oeuvre de Chrétien de Troyes: une peinture, ou plus préci sément, un essaj. de définition de l'amour courtot s, une recherche de l'exotisme et du merveilleux, une descrip-tion de la réalité contemporaine; et bien sûr un réalisme

1. Dans l'introduction de l'Histoire de la Langue et de la li ttérature française pUbliée sous lB. direction de L. Petit de Julleville, Paris, Collj.n 1896.

(40)

)

très accidentel et st~r~otY9~, qui n'existait que parce que le poète qui décri vai t ll.!18 ville ou nn tournoj. ne

pou-vai t que représenter quelque cY)ose qui ressemblât Èt une

ville ou 8. un tourrloi. Jean Renart, sans se refuser l' ap-pui d'une histoire d'amour, s'est surtout intéressé, lui, aU spectacle du monde qui l'entourait et, parce qu'il s'est débs.rrassé du "bric~G.-brac arthurien" et d'un mer-veilleux de convention, sa peinture de la vie a gagné en force et en fidélité. Ce faisant, il fut certainement le premier à aller consciemment à l'encontre d'un courant littéraire ferwement établi; et avec lui le réalisme prend droit de cité et devient l'essence même du roman. Comment notre auteur s' arrange-t'il? Simplement en faisant pe.rti-ciper pleinement son s.udi taire par de constantes allusions

à, la vie réelle - chansons, rersonnages, lieux, us et cou-tumes.

"Celui qui a mis ce conte en un roman Oll il 8.

re-cueilli de beaux airs pour conserver le souvenir des chan-sons, veut que sa renommée aille jusqu'au pS.ys de Reims, en Champs.gne, et que le beau rlfilon de Ne.nteuil, lm des preux du royaume, soit informé de ce procédé. De même que

(41)

le teiYltlJr:i.er colore les étoffes pour faire apprécier son talent, de même l'auteur El j.ntrodui t des chants et de la

musique dans ce Roman de la Rose,l et c'est là. une chose nouvelle. Ce roman est bien différent des autres et bro-dé, par endroits, de beaux couplets, et il échappe a.insi à la compétence des vilains, Oui, soyez certains que l'au-teur a dépassé tous les autres! Comment se lasser de l'é-couter pulsque, si l'on veut, on chante et on lit son oeuvre ••• Le conte? armes et amour; le chant? armes et amour encore. Il semble à chacun vraiment que l'auteur du roman a trouvé aussi toüs les mots des chansons tant ils s'accordent 9 .. vec ceux du conte." (v. 1 à 29).

On ne pouvait être plus clair qU9nt è. ses inten-tions, et Jean Renart, Qui était très fier de son innova-tion, n'en cache, dans ce prologue, ni le pourquoi ni le comment. Que l'on imagine alors l'agréable surprise de son audiitoire qui avait certainement tous ces refrains sur le bout des lèvres et il sera facile de comprendre que le procédé ait été tout de suite imité par de nombreux poètes __ son imitateur immédiat étant Gerbert de Montreuil dans

son Roman de la Violette _, et qu'il ait depuis fait for-tune. CeË'endant il faut noter que cette insertion de

(42)

-

..,1./-sons -- on en compte quarante-six1 - - au texte d'un ro-man ne se retrouve que dans cette seule des trois oeuvres que nous considérons, aussi ce ne sont pas les chansons

elles-mêmes que nous étudierons ici, mais plutôt la ma-nière dont elles s'intègrent au récit et ce qu'elles y apportent.

Ces chansons, ce sont les divers héros de son a-venture qui sont censés les débiter; elles s'insèrent donc,

en principe dru1s l'action et, quoique empruntées, elles ont été choisies, nous déclare l'auteur, avec une telle habileté et un tel sens de la situation qu'on les dirait

composées par lui. Un premier groupe de chansons est en-tonné par les galants chevaliers et les jeunes dames qui reviennent du bois, en groupe, puis plus tard par les mê-mes qui vont "caroler" jusqu'à l'heure du coucher. Rien que de très naturel donc, dans cette première insertion, où le thème des chansons traduit la gaieté et la joie des participants à la fête champêtre, d'autant plus que Jean Renart a varié autant que pOSSible ses transitions et

1. Felix Lecoy, dans son introduction, les divisent en

16

chansons courtoises (dont

13

françaises et

3

pro-vençales),

5

chansons de toile ou d'histoire, 1 chan-son dramatique, 2 pastourelles, l chanchan-son d'éloge,

20 chansons à. danser et l "tournoi de dame". Op. Cit., p.

XXII

et suive Et pour l'étude des chansons nous renvoyons à l'article de Gaston Paris qui se trouve dans l'introduction de l'édition Serv~is, Paris, Didot,

1893,

New-York, Johnson Reprint Corporation,

1965,

(43)

)

-L}U-chémsé SEm.S ce,sse ses '1enel).:rs d8 ch8.:n.ts.

Suivent ensuite deux chansons courtoises que Con-rad chante lui-même et qui, contrairement au jugement de Ch. V. Langloj_s ql.Ü prétendait que "La plupart d'entre ces ch8nsons ne conviennent guère à celui dans la bouche duquel elles sont !,!i . .ses et n' eXI)Ï'i:rnent I)8.S du tout les

senti!!lents qU'il doit avoir"1 décrivent pS.rfaitement l'é-tat d' rune (le l'empereur: Dans les deux cas c'est l '

l~voca-tion de Liénor et de SI3. beauté, c'est son amour naissant pour la belle inconnue qui le pousse à s'extérioriser par un chant:

11 850

••• Et por ce chant, que ne1 puis oublier,

La bon' runor dont Dex joie me doigne, Car de Li sont et vienent mi penser."

et ct est le soleil, le matin de printemps, au réveil, .. qui donne plus de force à sa jOie, dès qu'il se remet à penser à elle:

"Li noviaus tens et mais et violete Et roissignox me semont de chanter; Et mes fins cuers me fet d'une amorete Un doz present que ge n'os refuser."

Qui d'entre nous n'a pas ressenti au moins une fois cette fièvre du printemps!

1. La vie en France au Moyen-Age, Hachette, 1924, tome 1

(44)

(

1

.1 Viennent ensuite les trois chansons de toile

qu'Ae-lis et sa m~re r~citent ~ Nicole lors de la visite de cet envoyé de l'empereur au Plessis de Dole. Ici encore pas de fausse note, le cadre et la conversation remplissant à merveille leurs fonctions. La réception, en effet, a lieu

d.al"lS 19. cha:'!!.bre où les deu:{ habiles brodeuses travaillent

à une ~tole, et comme c'était la mode autrefois de

trav2il-1er au métier en chantant des "chansons d'histoire", elles ne se font guère prter pour s'ex~cuter à la grande fierté de Guillaume qui n'a pas d'autres trésors1 à montrer que sa soeur et sa mère.

Est-il besoin d'en ajouter? Que ce soit la chanson que Guillaume et ses compagnons entonnent alors qu'ils chevauchent vers la cour imp~riale2 ou celles que Conrad fredonne en recevant le jeune homme,3 que ce soit celles que les ménestrels récitent à l'empereur, pour le distraireh ou pour 8.ccornpagner le cort~ge en route vers le si te du tournoiS, toutes ces intercalations sont des plus

naturel-1. "Venez en, fet il, main a main, Si vos moustreraj mon tresor. Sa mere et bele Lienor

Le maine en la chambre veoir." 2. V. 1301-1307

3. V. 1456-1462 et 1769-1776 4. V. 1335-1367 et 2027-2035 5. V. 251h-2518 et 2525-2527

(45)

(

les et des mieux venues dans le récit. Il était tout-à-fait normal en effet pour un grand de se distraire en é-coutant chsnter bardes et troubadours, et de faire accom-pagner une procession de musique et de chants. Et même si l'une de ses chansons semble hors de propos -- aux vers 22)1 et suivants, il s'agit (l'un "bachelers de Normendie" qui chante une chanson de toile pour plaire à GuillaQme1

-c'est encore dans une autre que se trouve le mot de la fin du roman, au vers

5444,

lorsque l'empereur répondant à

l'exclamation d'un invité s'écrie:

"J'ai amors a ma volente

5444

Teles cour ge voel"

Pas lme fois donc Jean Renart ne peut-être accusé d'avoir plaqué ses chansons dans le seul but de faire du remplissage. Au contraire, il nous semble même évident qu'elles ont un rôle bien défini

à

jouer dans la compré-hension du sujet et dans la progression de l'intrigue. En

plus de provoquer la rée.ction V01.l.J.l1.e chez U!l 9,nditoire

a,verti, ces ch8nsons vont aider à. comprendre la psychologie des personnages et leurs états d' âme. ~1ieux que les longs monologues à la Chrétien de Tro~res, elles analysent et dé-voilent les sentjJnents :i.ntirnes (les hél'os~,vec toutes les

1. iVIentionnée p8.r G. Paris dans l t introduction 8, La Vie en France au 11oye:'l-_~~. Op~ cit. pp. eXI - eXIl

(46)

o

nuances supplémentaires que la musique peut ajouter aux mots, un peu comme le fond sonore de nos pièces modernes, et réussissent à créer lme ambiance vivante où alternent chagrins et joies, espoirs et déceptions, toutes émotions facilement cOllllnunicables au public pour peu qU'on sache les doser.

Outre qu'il est ce "document important qui nous a conservé les plus anciennes chansons de toile et de da'Ylse connues",l Guillaume de Dole est aussi la seule oeuvre du Genre à citer les auteurs des refrains qu'elle incorpore.

En effet, contrairement à ses imitateurs, Jean Renart a toujours nommé, chaque fois que c'était faisable, ceux à qui il empruntait ses couplets, et a même poussé le mérite

jusqu'à donner les noms de jongleurs, vivants à l'époque, qui les récitaient - Jordains "li iTiex bordons" (Cité

v. 2}+03) ,

Hues IIde Braieselve" ( Cl lie v. • J.. '

3408-3409),

Cupelin

(ci té V.

3401) ,

Doete de Troies (Cité v.

4566)

et Aigret de Grarne (Cité

v. 2516)

_ nous lai s sa...i'l t 8.insi une antho-logi.e complète de la lyrique courtoise du temps.

Outre les ménestrels déjà mentionnés, Jean Renart n'a pas cTa.int de mêler aux personnages fictifs de seR romans des célébrttéfl de l'époque, que non seulement il ci te mai s qu'il fait 8.nssj. p8.rticiper comme IIfigurants

1. P~ Zumthor. Histoire littér8.ire de la France médievale, Paris, Press Universitaires de France,

1954,

p. 212.

(47)

t

l'. f·, t l L r t: L r i

D

bénévoles", tels les comtes d'Eu et de Varenne dans l'Escoufle, le comte de Genève, Eudes de Ronquerolles, Bouchard le Veautre, l'évêque de Chartres et tous les participants du tournoi dans Guillaume cle Dole. En effet si les personnages principaux de ses oeuvres ne sont que des figures imaginaires créées ps,r l'auteur pour les be-soins de l'histoire, "tout le personnel secondaire, et en particulier les cO!11baltants qui prell..YJ.ent part au tournoi de Saint-Trond, porte des noms de la noblesse réelle, qu'il s'agisse des chevaliers françats, les "Ganthier de Chatillon", les "}1ichel de Harnes", ou des chevaliers de l'Empire les "duc de Saxe", "comte d'Auborc", "comte de Bar", "duc de Louvain", "de Limbourg", etc •• ! De plus, tous ces persoll..YJ.ages ont été choists de telle sorte qu'il n'y a aucune invraisemblance chronologique à se les re-présenter réunis au même moment, et plus précisément dans la première 011 la seconde décade du XIIIe siècle, pour

quelque fête ou quelque cour solennelleU •1

Ces personnages historiques sont beaucoup trop nombreux pour que nous les passions tous en revue -- Mme Lejeune-Dehousse a d'ailleurs déjà fait le travail dans

son enalyse des poèmes __ mais il est de notre sujet de souligner l'effet que cette énumération a pu avoir sur un

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auditoire dont no''..s savons déjà qu'ils étaient contem-porains. E~ tout d'abord, comment notre auteur s'y prend-il pour les introduire?

Contrairement 8. ce qui se passe dans d'autres re-lations du même genre, Jean Renart n'énumère pas tille liste de noms, comme c'est le cas par exemple dans le Roman de la Violette, mais fait 8.ppel 8. une conversation entre Guil-laume et ses invités (v.

2076-2137)

et c'est ceux-ci, qui viennent de traverser la France pour le rejoindre, qui donnent le détail du clan français alors que Guillaume, qui défendra les couleurs de l'empereur, présente les barons allemands. Voilà pour le naturel! Quant au souci de "vé-rité" et "Raison", c'est dans la répartition des protago-nistes qu'il va se vérifier. Il fallait, en eff€t, puis-que les noms cités étaient ceux de chevaliers vivants et connus, respecter le jeu des alliances poli tiq11es, ce que soucieux d'exactitude l'auteur s'est empressé de faire: "Les Français ne sont représentés que par des vassaux du roi de France; quant aux Allemands, ils sont tous choisis parmi d'authentiques barons de l'Empire".l

r.i:ais d'autres personnages historiques sont mention-nés en dehors du tournoi. C'est a1nsi que Guillaume de Dole n'est pas entouré de chevaliers "recrutés parmi les

Figure

TABLE  DES  TT  A T  1ER E  S

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