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Le rôle du Parlement européen dans la politique commerciale commune européenne - Le Parlement européen parvient-il à influencer le processus décisionnel en matière de politique commerciale commune européenne depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonn

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Academic year: 2021

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Le rôle du Parlement européen dans la politique commerciale commune européenne - Le Parlement européen parvient-il à influencer le processus décisionnel en matière de politique commerciale commune européenne depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne ?

Auteur : Bovy, Erwan

Promoteur(s) : Michel, Quentin

Faculté : Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie

Diplôme : Master en sciences politiques, orientation générale, à finalité spécialisée en politiques européennes Année académique : 2017-2018

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/5247

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FACULTÉ DE DROIT, DE SCIENCE POLITIQUE ET DE CRIMINOLOGIE

DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE

MÉMOIRE

LE RÔLE DU PARLEMENT EUROPÉEN DANS LA POLITIQUE COMMERCIALE COMMUNE

EUROPÉENNE

Le Parlement européen parvient-il à influencer le processus décisionnel en matière de politique commerciale commune européenne depuis l’entrée en vigueur du traité de

Lisbonne?

Bovy Erwan

Master en Sciences Politiques à finalité « politiques européennes ».

Promoteur : Pr. Dr. Quentin Michel

Lecteurs : Pr. Dr. Philippe Vincent et Pr. Dr. Antonios Vlassis

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Remerciements

Je tiens à remercier mes proches et spécialement mes parents, relecteurs doués et attentifs.

Je remercie particulièrement le Pr. Dr. Quentin Michel dont l’approche caractéristique de la Science Politique et des thématiques européennes m’a toujours conquis. Je le remercie également pour son rôle de promoteur dans le cadre de ce mémoire.

J’ai une pensée pour le député européen Mr Marc Tarabella et tous les membres de son bureau parlementaire qui m’ont offert ma première expérience dans l’environnement communautaire. Ils ont fait du Parlement européen une thématique que je voulais étudier. Leur bienveillance à mon endroit reste gravée.

A tous ces journalistes, dont je jalouserai toujours le métier, qui ont attisé ma curiosité à l’égard de ce qui se passe quotidiennement dans ce monde. Etudier la Science Politique vient certainement de là…

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Table des matières

I) Introduction ...4

II) La PCC avant le traité de Lisbonne ...8

III) Les changements mis en œuvre par le traité de Lisbonne ... 12

A) Les changements liés aux compétences tombant dans la PCC ... 12

B) Les changements dans le processus décisionnel ... 13

IV) Comment expliquer les changements mis en œuvre par le traité? ... 15

V) Le droit primaire à l’épreuve du droit dérivé et de la jurisprudence ... 17

A) Affirmation de son propre rôle par le Parlement lors de la négociation et de la conclusion d’accords internationaux ... 17

a) Les refus d’approbation d’accords internationaux par le Parlement ... 19

i) Le SWIFT I – le premier refus d’approbation parlementaire ... 19

ii) ACTA – le deuxième refus d’approbation parlementaire ... 22

b) Le TTIP ; base d’un nouveau cadre pour le processus décisionnel européen ? ... 24

B) Les accords interinstitutionnels ... 32

a) Les accords interinstitutionnels avant le traité de Lisbonne... 33

b) Les accords interinstitutionnels après le traité de Lisbonne ... 36

i) L’accord-cadre de 2010 ... 36

ii) L’accord interinstitutionnel de 2014 entre le Conseil et le Parlement ... 40

iii) L’accord interinstitutionnel « mieux légiférer » de 2016 ... 41

C) La jurisprudence de la Cour ... 42

a) L’interprétation de la Cour des compétences ajoutées par le traité dans la PCC ... 44

i) Les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle ... 46

ii) Les échanges de services ... 47

iii) L’avis 2/15 : la question des investissements étrangers directs et la fin des accords mixtes ? ... 48

VI) Les changements empiriques de la PCC ... 58

A) Les nouveaux accords globaux, une politisation au service du Parlement ... 58

B) La relation entre le Conseil et le Parlement, fêlure du triumvirat institutionnel ... 63

VII) Conclusion ... 67

VIII) Bibliographie ... 71

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I)

Introduction

Dans une Europe bâtie sur l’interdépendance économique entre ces membres, l’ambition d’agir d’un front commun en matière de commerce extérieur naquis concomitamment avec l’idée d’une communauté européenne. Conçue dans les textes comme une politique supranationale dès le traité de Rome, la politique commerciale commune (PCC) représente la quintessence de l’action extérieure européenne et contraste avec la faiblesse de la politique étrangère européenne. Petit à petit, le processus décisionnel a effectivement été centralisé au niveau européen ; la Communauté économique européenne (CEE), par la voix de sa Commission, a pu se prévaloir du rôle de négociateur au nom des Etats membres dès les années 1970 en vue de conclure de grands accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux.1 La CEE puis l’Union européenne (l’Union) ont le pouvoir de faire valoir une position communautaire lors de négociations d’accords commerciaux, en limitant l’interférence des Etats membres,2 sur les engagements tombant dans le cadre de la PCC.

L’histoire de la PCC plaide donc en faveur d’une politique extrêmement intégrée dans les mains de l’Union. Il est donc paradoxal que le rôle du Parlement européen (le Parlement) ait été réduit à peau de chagrin durant les cinquante premières années de la construction européenne. L’assemblée était formellement exclue du processus décisionnel jusqu’au traité de Lisbonne3 qui bouleversa la PCC dans son ensemble.

Jusqu’à l’entrée en vigueur du traité, deux institutions, le Conseil de l’Union européenne (le Conseil) et la Commission européenne (la Commission), façonnaient à elles-seules toutes les décisions relatives à l’encadrement du commerce européen avec les pays tiers. Les discussions entourant les négociations étaient opaques ; elles se déroulaient derrière des portes closes en petit comité. Ce royaume des technocrates européens était efficace et les résultats politiques en légitimaient le secret. Aussi, la volonté de faire primer les intérêts européens sur l’agenda du commerce mondial justifiait le manque de transparence entourant la politique. La légitimité de ce processus décisionnel n’était que peu remise en cause du fait de la faible politisation des enjeux entourant les négociations au siècle dernier. La technicité de la

1 CREMONA Marise, ‘A quiet revolution: the Common commercial policy six years after the Treaty of Lisbon’,

Swedish Institute for European Policy, 2017, p. 13. ; EECKHOUT Piet, ‘Exclusive External Competences: Constructing the EU as an International Actor’ in The Court of Justice and the Construction of Europe: Analyses and Perspectives on Sixty Years of Case-law, TMC Asser Press, 2013, p. 614.

2 La majorité qualifiée est en vigueur au Conseil depuis le traité de Rome.

3 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, 13 décembre

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politique, la complexité des accords commerciaux servaient de justification afin d’empêcher un Parlement, jugé peu efficace et sensible aux diverses pressions, d’avoir quelconque pouvoir. Ainsi, tant l’exécutif européen que les Etats membres jugeaient incompatibles leurs ambitions d’ouverture des marchés et le frein qu’aurait constitué une assemblée dans le processus décisionnel.

Cependant, le traité de Lisbonne change la donne et révolutionne les contours de la PCC. Le cadre de la politique est étendu au commerce des services, aux aspects commerciaux de la propriété intellectuelle et aux investissements directs. L’ancienne PCC qui n’incluait que les seuls biens et marchandises, corollaires indispensables du marché intérieur, ne correspondait plus aux objectifs beaucoup plus larges du commerce mondial. Le traité incorpore également la PCC dans les principes et objectifs de l’action extérieure européenne. Ce cadre plus large permet à l’Union d’engager ses partenaires sur des domaines politiques et non-commerciaux dans les accords qu’elle conclut.

Le changement le plus important va affecter le processus décisionnel européen. Le Parlement obtient avec Lisbonne un droit de veto sur les accords conclus par l’Union et est informé « immédiatement et pleinement à tous les stades de la procédure ».4 La codécision, procédure législative ordinaire, est appliquée aux actes découlant des articles 207 et 218 TFUE, ce qui renforce également le rôle du Parlement. Le Parlement est, désormais, également concerné par la mise en œuvre de la PCC avec la réforme de la comitologie. Ces changements sont majeurs et ébranlent les fondations sur lesquelles reposait la PCC.

Néanmoins, les dispositions du traité garantissant un rôle accru du Parlement laissent des questions en suspens, près de neuf ans après l’entrée en vigueur de celui-ci. L’institution entre, d’un coup, dans un processus décisionnel jadis chapeauté par deux institutions qui ont noué entre elles des relations étroites et une confiance réciproque. Le régime décisionnel créé s’en trouve bouleversé par l’introduction d’un nouvel acteur. C'est un énorme défi pour le Parlement et sa commission chargée de la politique du commerce et des investissements (INTA) de faire face à ses nouvelles compétences. Créée en 2004, elle est l’une des plus récentes commissions parlementaires, ce qui témoigne des pouvoirs presque nuls dont était doté le Parlement en la matière. Il en découle que le Parlement est a priori le plus faible des trois acteurs institutionnels. Il n’a aucune mémoire institutionnelle et l’expertise technique

4 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

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des députés et de leur cabinet sur les subtilités du droit du commercial est plus faible que celles des technocrates européens. Dès lors, la question de la capacité du Parlement à se faire une place dans le régime institutionnel se pose légitimement. Il incombe aujourd’hui au Parlement de se saisir des nouvelles compétences que le traité lui procure afin d’entrer pleinement dans le processus décisionnel. Il importe, pour ce faire, que l’acteur parlementaire s’intègre dans ce que le traité dessine comme un triumvirat décisionnel. Des trois acteurs, la Commission dans sa fonction de représentation des intérêts communautaires reste maitresse de la PCC. Ses choix influencent les orientations ainsi que le processus décisionnel de la PCC et la manière dont le Parlement peut parvenir à se saisir de ses nouvelles compétences.

Au demeurant, les dispositions du traité ne placent pas le Parlement sur un pied d’égalité avec le Conseil lors des négociations d’accords internationaux. A la lecture du traité, seul le veto parlementaire renforce de manière tangible le Parlement. Hors, celui-ci n’ayant cours qu’au moment de la conclusion d’un accord, l’institution reste faible dans les étapes préalables de négociation. Des doutes subsistent donc quant à la capacité du Parlement de réellement influencer le contenu des accords internationaux, dès lors, des questions émergent. Le Parlement se dote-t-il de la capacité d’influencer le cours des négociations ? Le rôle accru du Parlement peut-il servir de catalyseur pour une plus grande transparence autour des négociations et d’un plus grand accès public pour les documents de négociation ? Le Parlement parvient-il à s’enquérir des informations découlant des négociations alors que celles-ci étaient jugées très opaques avant que ses pouvoirs ne soient renforcés ? De surcroit, donner plus de pouvoir au Parlement visait également à rapprocher au maximum les ambitions communautaires des positions de la société civile, l’agenda libéral de l’Union se heurtant à des revendications parfois plus protectionnistes de la population. Quel rôle joue le Parlement dans sa relation « principal-agent » avec la société ? Concilie-t-il les différentes positions en pesant sur les choix politiques de l’exécutif européen ?

Enfin, le cadre de la PCC est transformé du à l’intégration de plus de compétences du marché intérieur dans le cadre de l’action extérieure européenne. L’Union bénéficie désormais de la capacité de conclure des accords généraux englobant de larges engagements commerciaux et d’investissements. Les objectifs communautaires ont-ils varié face à l’importance du changement ? De grands accords commerciaux peuvent aujourd’hui inclure uniquement des compétences exclusives à l’Union au titre de l’article 207(1) TFUE. Cette exclusivité renforce-t-elle la fonction de contrôle parlementaire du Parlement au détriment des parlements nationaux ?

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Il découle de ces observations que la PCC est confrontée à un changement sans précédent alors que les précédents traités n’avaient que peu modifié cette compétence. Cette révolution change de nombreux paradigmes qui prévalaient au XXème siècle.

Ce document vise à appréhender les conséquences des modifications du droit primaire face à la réalité quotidienne des relations interinstitutionnelles et des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (la Cour). L’étude repose sur une approche qualitative du changement qui s’appuie sur les nombreux documents provenant des institutions européennes, la jurisprudence de la Cour ainsi que la littérature sur la question. De plus, deux entretiens réalisés aux mois de mars et d’avril 2018 permettent de mieux contextualiser les positions des institutions face au changement. Le premier entretien a été réalisé le 16 mars 2018 avec l’assistante parlementaire du député européen M. Bernd Lange, Président de la Commission INTA, Mme Martins Gistelinck. Le deuxième s’est réalisé avec un haut responsable de la Direction Générale du commerce (DG Trade) chargé des relations interinstitutionnelles, le 27 mars 2018.5 Ces deux entretiens permettent de comprendre comment ces acteurs considèrent leur rôle dans cette nouvelle architecture institutionnelle ainsi que les enjeux actuels au cœur des relations interinstitutionnelles.

5 Cette personne souhaite rester anonyme. ; Cet entretien a été réalisé en anglais, les passages qui sont

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8

II) La PCC avant le traité de Lisbonne

Dès la création de la CEE, la PCC était traitée comme une compétence à part entière dans les textes, en en faisant une des premières compétences centralisées au niveau européen. Le traité de Rome, traité fondateur européen instaurait de jure une compétence dont la gestion devait se faire au niveau communautaire. Il confiait déjà à la Commission, et donc à la CEE, la conduite des accords internationaux en consultation avec le Conseil.6 La volonté était de permettre à l’Union de jouer un rôle dans le développement du commerce international et de faire de la PCC le pendant extérieur de l’union douanière et de la liberté de circulation des biens. En effet, le tarif douanier commun voulu par les six Etats fondateurs nécessitait de pouvoir conclure des accords tarifaires avec des pays tiers et de légiférer en interne sur les biens en libre circulation.7 Cependant, aux prémices de l’instauration d’une politique commerciale commune, les États membres appliquaient des politiques commerciales distinctes au niveau national et ne s'efforçaient que d’assurer une cohérence minimale au niveau européen.8 Ils furent réticents à concéder, de manière effective, le rôle de négociateur à la CEE. La portée supranationale de cette compétence n'a donc pas été réalisée par la simple transcription de la compétence de droit sur un texte de droit primaire.9 Des changements internes ont forcé les Etats membres à procéder à des modifications dans l'allocation des compétences de la PCC, afin d'éviter les disparités politiques et économiques. D’abord, afin d’arriver au marché unique, les Etats membres ont dû faire des concessions pragmatiques en faisant tomber une large gamme de biens du marché commun dans le spectre de la PCC. La PCC donnait, dès lors, la possibilité à la CEE de s’engager à l’international sur certaines compétences du marché commun. Ensuite, ce n’est qu’avec l’ambition que les paradigmes commerciaux européens pèsent sur de futurs grands accords multilatéraux que l’exécutif européen fut accepté comme seul négociateur européen représentant les Etats membres dès le Tokyo Round.10

Les législations en interne qui ont étendu le marché commun ainsi que l’agenda international ont fait de la Commission l'instigatrice d’un programme plus volontariste fondé sur la

6 Traité instituant la Communauté économique européenne, 1er janvier 1958, art. 113.

7 CREMONA Marise, ‘A quiet revolution: the Common commercial policy six years after the Treaty of Lisbon’, op.

cit., p. 13.

8 WOOLCOCK Stephen, ‘Policy-Making after the Lisbon Treaty’ in WALLACE Helen, POLLACK Mark A., and

YOUNG Alasdair R., eds, Policy-making in the European Union, Oxford University Press, USA, 2015, p.389.

9 Ibid.

10 MEUNIER Sophie, ‘Who speaks for Europe? The delegation of trade authority in the EU’, JCMS: Journal of

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libéralisation et l’ouverture de marchés à l’échelle mondiale dès les années 1970.11 A partir de ce moment, la PCC va être menée, pour ce qui est des accords commerciaux, par un pouvoir bicéphale composé de la DG Trade de la Commission et du Comité spécial désigné par le Conseil, le « trade policy committee » (TPC). Cet organe du Conseil, composé de représentants des Etats membres, et la DG Trade ont façonné ensemble, presque secrètement, la PCC. Le processus de décision intra-européen se faisait selon un modèle «principal-agent» dans lequel les Etats membres représentés au sein du TPC donnaient la marche à suivre à l’exécutif européen.12 La technocratie européenne a, dès lors, pris les rênes de la politique lors de négociations où la transparence était mise au second plan. Les décisions étaient prises par des fonctionnaires de la Commission prônant le libre-échange qui n’étaient freinés par le TPC que lorsque la libéralisation touchait des domaines sensibles. Ces méthodes ont permis d’atteindre une efficacité technocratique dans l’objectif de peser sur l’agenda international.13 Une question essentielle des relations extérieures européennes a toujours été le degré avec lequel la PCC devait couvrir les compétences du marché intérieur.14 La PCC étant officieusement reconnue comme une politique exclusive à l’Union depuis un avis de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) de 1975,15 les domaines entrant a priori dans la PCC devenaient officiellement régis par la seule Union en externe. La CJCE faisait une interprétation large de la PCC tant pour les mesures autonomes que pour les accords internationaux. La PCC, en ce qu’elle est une politique de défense des intérêts communautaires, ne pouvait être soumise à un pouvoir concurrent des Etats membres sur les matières entrant dans son cadre. La CJCE reconnaissait donc la nécessité de donner la compétence exclusive à l’Union permettant à celle-ci de devenir un véritable acteur international.16

Parce que la PCC est une politique exclusive, son cadre a été un enjeu prépondérant de la PCC pendant plus de cinquante ans.17 Au départ, seuls quelques types de biens voyaient leur

11 YOUNG Alasdair R., ‘The rise (and fall?) of the EU’s performance in the multilateral trading system’, Journal of

European Integration, 33, 6, 2011, p.716.

12 Hix Simon and HØYLAND Bjørn, The political system of the European Union, Palgrave Macmillan, 2011, p.307. 13 KLEIMANN David, ‘Taking Stock: EU Common Commercial Policy in the Lisbon Era’, CEPS, 2011, p. 3.

14 CREMONA Marise, ‘A quiet revolution: the Common commercial policy six years after the Treaty of Lisbon’,

op. cit., p. 12.

15 COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, avis 1/75 introduit par la Commission CE, rendu le 11

novembre 1975.

16 EECKHOUT Piet, ‘Exclusive External Competences: Constructing the EU as an International Actor’ in The Court

of Justice and the Construction of Europe: Analyses and Perspectives on Sixty Years of Case-law, TMC Asser Press, 2013, p. 614.

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composante extérieure être intégrée a priori dans la PCC. Jusqu’au traité d’Amsterdam, la PCC ne connut aucun changement à cet égard. Mais, l’extension des domaines couverts par les législations internes a permis à la politique commerciale de s’étendre parallèlement au marché commun. Dans les faits, la CEE pouvait s’engager en externe sur des domaines qui étaient couverts par des législations internes ; ce postulat fut prépondérant pour l’effectivité de la politique. Le principe des compétences implicites fut confirmé par la CJCE dans son arrêt AETR dès 1970.18

Cependant, le droit primaire n’ayant jamais arrêté péremptoirement les contours de la PCC avant Lisbonne, ceux-ci restaient grandement contestés. Ces manques laissaient au droit dérivé et à la jurisprudence le soin de modeler le cadre de la politique. Le conflit dans l’allocation des compétences était à son paroxysme pour déterminer si la CEE pouvait mener seule les négociations d’accords internationaux traitant de matières autres que les biens. Pour la CJCE, l’Union avait remplacé les Etats membres au GATT ; ce qui démontrait la mainmise de la CEE sur le commerce des biens.19 Mais, la question des services, notamment, devenait majeure de par l’importance croissante que ceux-ci avaient acquis dans les économies européennes ainsi qu’en raison des négociations de l’Uruguay Round. Dans un arrêt de 1994, la Cour intégrait le « mode 1 » de libéralisation des services, où seul le fournisseur de service ne franchit pas de frontière, dans le cadre de la PCC.20 La Cour estimait que rien ne différenciait le commerce des biens de la fourniture de service de « mode 1 » qui « est inclus dans la PCC ».21 En revanche, seuls quelques aspects des droits de propriété intellectuelle entraient dans la PCC, l’Union ne pouvait, donc, conclure seule l’accord ADPIC, également négocié lors de l’Uruguay Round.22 Le traité d’Amsterdam, sur base de cette jurisprudence, inclut la possibilité d’étendre le cadre de la PCC sur décision du Conseil à l’unanimité.23 Cependant, le Conseil « n’utilisa pas ce pouvoir » et le cadre de la PCC resta inchangé dans

18 COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, affaire 22/70 Commission contre Conseil, arrêt du le

31 mars 1970.

19 COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, affaires jointes 21/72, 22/72, 23/72 et 24/72

International Fruit Company nv contre Produktschap voor Groenten en Fruit, arrêt du 12 décembre 1972.

20 KRAJEWSKI Markus, ‘External trade law and the constitution treaty: towards a federal and more democratic

common commercial policy’, Common Market L. Rev., 42, 91, 2005, p.4.

21 COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPENNES, avis 1/94, 15 novembre 1994, para 44.

22 KRAJEWSKI Markus, ‘External trade law and the constitution treaty: towards a federal and more democratic

common commercial policy’, op. cit., p.4.

23 Traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'union européenne, les traités instituant les communautés

européennes et certains actes connexes, Journal officiel des Communautés européennes, 10 novembre 1997, art. 133(5).

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les textes.24 Le problème restait trop sensible pour qu’une réponse unanime ne soit trouvée.25 Ce n’est qu’avec le traité de Nice que l’étendue des domaines couverts par la PCC sera accrue pour la première fois dans le droit primaire. Nice a fait entrer dans la PCC, comme la Cour l’avait fait huit ans plus tôt, une partie du commerce des services et des aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle.26 Néanmoins, les paragraphes 5, 6, 7 de l’article 133 laissait dans une large mesure le soin aux Etats membres de préserver leurs prérogatives. Une réelle extension du cadre de la PCC était rendue illusoire du fait des conditions mentionnées dans l’article.27

Jusqu’au traité de Lisbonne, le Parlement n'avait aucun rôle formel dans la politique commerciale et n'était pas impliqué politiquement dans tout le processus de négociation. Malgré cette faiblesse, la consultation du Parlement était requise pour conclure de nombreux accords commerciaux.28 Toutefois, ce pouvoir accordé aux parlementaires n’avait cours qu'après que toutes les parties avaient adopté le texte final. Ainsi, le blocage potentiel du Parlement était rendu inepte en pratique.29 En effet, le Parlement n'était pas suffisamment informé, impliqué dans le processus de négociation, que pour être crédible et rejeter un accord global qui avait été négocié pendant plusieurs mois. Cette situation a été maintenue afin de préserver l'efficacité des résultats commerciaux, la clarté du mandat, la confidentialité des négociations. Les négociations des accords étaient jugées trop techniques dans une atmosphère générale tolérant des méthodes si opaques.30

24 KRAJEWSKI Markus, ‘External trade law and the constitution treaty: towards a federal and more democratic

common commercial policy’, op. cit., p.4.

25 MEUNIER Sophie, ‘Trade policy and political legitimacy in the European Union’, Comparative European

Politics, 1, 1, 2003, p.5.

26 Traité de Nice modifiant le traité sur l’union européenne, les traités instituant les communautés

européennes et certains actes connexes, Journal officiel des Communautés européennes, 10 mars 2001, art. 133(5).

27 HERRMANN Christoph W., ‘Common commercial policy after nice: Sisyphus would have done a better

job’, Common Market L. Rev., 39, 2002, p.19.

28 Traité de Nice, Journal officiel des Communautés européennes, op. cit., Art 300(3). 29 WOOLCOCK Stephen, ‘Policy-Making after the Lisbon Treaty’, op. cit., p.399.

30 DEVUYST Youri, ‘European Union law and practice in the negotiation and conclusion of international trade

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III) Les changements mis en œuvre par le traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne a profondément changé la PCC ; les changements qu’il a entrainé sont sans commune mesure par rapport aux révisions des précédents traités tant pour les compétences du marché intérieur intégrées à la PCC que pour le processus décisionnel.

A) Les changements liés aux compétences tombant dans la PCC

Le cadre de la PCC est étendu pour inclure le commerce des services, les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle et les investissements étrangers directs.31 L’Union acquiert donc une compétence pour négocier de grands accords de commerce et d’investissement. La PCC n’était plus en phase avec la politique commerciale du 21ème siècle. Par exemple, la conclusion des accords OMC en 1994 nécessita onze bases légales différentes ; le régime applicable aux accords commerciaux, tant pour la répartition des compétences entre l’Union et les Etats que pour le processus décisionnel, était devenu illisible.32 Un débat incessant existait autour de l’étendue des domaines couverts par la PCC depuis les années 1980. Le traité est donc tout autant une simplification et une clarification de l’allocation des compétences qu’une extension de celles-ci au bénéfice de l’Union.33

En plus des compétences tombant directement dans le cadre de la PCC, cette politique est désormais intégrée « dans le cadre des principes et objectifs de l’action extérieure de l’Union ».34 L’action européenne doit être menée en respectant des principes comme l’Etat de droit, la démocratie, le développement durable, les droits de l’homme, l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale.35 Des considérations non-commerciales ont depuis longtemps guidé la politique commerciale européenne notamment pour la politique de préférence tarifaire « tout sauf les armes » à l’égard des pays les moins avancés.36 De ce fait,

31 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

207(1).

32 CREMONA Marise, ‘A quiet revolution: the Common commercial policy six years after the Treaty of Lisbon’,

op. cit., p. 9.

33 WOOLCOCK Stephen, ‘EU trade and investment policymaking after the Lisbon Treaty’, Intereconomics, 45, 1,

2010, p. 22.

34 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

207(1).

35 Traité sur l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art. 21.

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l’intégration de la PCC dans les objectifs plus généraux de l’action extérieure peut être vue comme une codification des pratiques. Cependant, c’est une fenêtre ouverte pour l’inclusion de plus en plus fréquente d’engagements politiques non-commerciaux dans les accords internationaux, ce qui élargit le cadre potentiel de la PCC.

B) Les changements dans le processus décisionnel

La réforme la plus importante de la PCC vient d’un changement dans le processus décisionnel intra-européen. Les pouvoirs du Parlement ont été considérablement renforcés par le traité de Lisbonne de plusieurs façons.

Pour ce qui est des négociations et de la conclusion d’accords internationaux, l’approbation du Parlement est nécessaire pour « les domaines auxquels s’applique la procédure législative ordinaire ou la procédure législative spéciale » en interne.37 Les parlementaires grâce à cette réforme obtiennent donc un droit de veto crédible sur la plupart des accords internationaux « qui ne portent pas exclusivement sur la PESC », seul cas explicitement exclu de la procédure d’approbation.38 Qui plus est, le traité garantit un droit d’information immédiat et plein « à toutes les étapes de la procédure » de négociation d’accords internationaux,39 ce qui impose à la Commission de faire « régulièrement rapport au Parlement de l’état d’avancement des négociations ».40 Les précédents traités n’offraient qu’un droit de consultation sur les accords internationaux au Parlement qui n’avait aucune force probante tant celui-ci était peu impliqué dans les négociations. De plus, les accords strictement commerciaux étaient exclus de la procédure de consultation du Parlement.41

Ces changements sont majeurs tant ils contrastent avec la situation qui prévalait avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Néanmoins, il est à noter que le traité n’accorde aucun rôle formel à l’étape du mandat au Parlement. La Commission garde l’initiative de proposer au Conseil l’ouverture de négociations qui l’y autorise ou non et « arrête les directives de

37 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

218(6).

38 Ibid., art. 218(6). 39 Ibid., art. 218(10). 40 Ibid., art. 207(3).

41 L’article 300(3) du traité de Nice excluait la procédure de consultation « pour les accords visés à l’article

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négociation ».42 Dès lors, seul le Conseil a un pouvoir d’amendement du mandat présenté par la Commission qui guidera l’action des négociateurs dans ses pourparlers avec l’Etat tiers.43 En outre, le droit primaire laisse le soin, de manière exclusive, au Conseil « d’adresser des directives » à la Commission pendant l’étape de négociations.44 Le Parlement n’a donc aucun pouvoir ni à l’étape du mandat ni à celle des négociations pour infléchir la conduite de négociations menée par la Commission en consultation avec le TPC. Cependant, le droit de veto du Parlement au moment de la conclusion de l’accord lui assure la possibilité de conditionner son approbation au regard d’engagements qu’il voudrait voir - ou non - présents dans le texte négocié entre les deux parties.

Le Parlement bénéficie aussi de l’expansion de la codécision devenue procédure législative ordinaire (PLO) avec Lisbonne. Les législations internes en matière de PCC se font désormais dans le cadre de l’article 294 TFUE alors que la consultation du Parlement n’était pas obligatoire pour légiférer au regard des précédents traités. Le Conseil et le Parlement doivent donc par codécision adopter des législations européennes en matière de commerce, comme pour les mécanismes de défense commerciale ou les systèmes tarifaires préférentiels comme le SPG UE ou la politique « tout sauf les armes ».45

Le pouvoir de mise en œuvre de la PCC s’effectue, lui aussi, uniquement par voie de règlements par PLO.46 Ces mesures ne concernent que le cadre de la PCC énoncé à l’article 207(1) TFUE. Pour les mesures plus spécifiques que ce cadre général, la pratique de la PLO est rendue impossible. C’est donc la Commission qui est chargée de la bonne mise en œuvre des politiques communautaires au moyen des actes délégués et d’exécution.47 Le Parlement dispose désormais d’un pouvoir de contrôle sur ces actes, en particulier sur les actes délégués, alors que seul le Conseil pouvait décider de révoquer la délégation auparavant.48 Dès lors, les pouvoirs du Parlement sont renforcés à l’étape de la mise en œuvre tant des législations autonomes internes que des accords commerciaux.

42 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

218(2).

43 KLEIMANN David, ‘Taking Stock: EU Common Commercial Policy in the Lisbon Era’, op. cit., p.7.

44 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

218(4).

45 WOOLCOCK Stephen, ‘EU trade and investment policymaking after the Lisbon Treaty’, op. cit., p. 23. 46 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

207(2).

47 Ibid, art. 290 et 291.

(16)

15

IV) Comment expliquer les changements mis en œuvre par le

traité?

Les modifications apportées par le traité proviennent des négociations pour la « Convention sur l’avenir de l’Europe » (la Convention) qui devait aboutir sur la Constitution européenne.49 Les discussions ont débuté en 2002 après le Conseil européen de Laeken de 2001, les paradigmes entourant celles-ci diffèrent de ceux qui prévalaient lors des précédentes modifications de traités. Alors que lors de la conférence intergouvernementale précédant le traité de Nice un renforcement des pouvoirs du Parlement était inenvisageable, un consensus fut trouvé pour considérablement revoir le rôle du Parlement, notamment en matière de PCC, quelques mois plus tard.50 Comment expliquer ce revirement ?

Un des arguments mis en avant par la littérature est l’environnement général entourant les discussions de la Convention. La déclaration de Laeken suivant le Conseil européen appelait à plus de démocratie et de transparence dans le processus décisionnel européen.51 Le Parlement était vu comme capable de répondre à ces déficits en rapprochant la politique commerciale des citoyens européens.52 La PCC était un des seuls domaines où la majorité qualifiée était de vigueur au Conseil sans que la codécision ne soit pratiquée pour légiférer. Pour beaucoup de négociateurs de la Convention, la majorité qualifiée allait de pair avec la codécision.53 Il devenait incohérent de faire de la codécision une procédure ordinaire en interne et qu’elle ne prévale pas lorsque ces compétences servent à s’engager à l’international.54 En outre, le contexte général en faveur d’un Parlement co-législateur avec le Conseil a joué en faveur de l’assemblée.55 Dans ce contexte, le Parlement avait le soutien de la Commission afin que le commerce soit traité de la même façon que les autres politiques.

49 NIEMANN Arne, ‘Conceptualising Common Commercial Policy Treaty revision: explaining stagnancy and

dynamics from the Amsterdam IGC to the Treaty of Lisbon’, European Integration Online Papers, 15, 6, 2011, p.15.

50 ROSÉN Guri, ‘A match made in heaven? explaining patterns of cooperation between the Commission and the

European Parliament’, Journal of European Integration, 38, 4, 2016, p. 410.

51 Conseil européen : « Déclaration de Laeken sur l'avenir de l'Union européenne », 15 décembre 2001, p. 6. 52 KLEIMANN David, ‘Taking Stock: EU Common Commercial Policy in the Lisbon Era’, op. cit., p. 2.

53 ROSÉN Guri, ‘A match made in heaven? explaining patterns of cooperation between the Commission and the

European Parliament’, op. cit., p. 416.

54 ROSÉN Guri, ‘The impact of norms on political decision-making: how to account for the European

Parliament’s empowerment in EU external trade policy’, Journal of European Public Policy, 24, 10, 2017, p. 1451.

55 CREMONA Marise, ‘A quiet revolution: the Common commercial policy six years after the Treaty of Lisbon’,

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16

L’ambition était de généraliser les procédures décisionnelles afin d’entrer dans un projet plus large de démocratisation de l’Union.56

De plus, le fait d’inclure plus de compétences dans la PCC entraine a fortiori une plus grande probabilité d’être confronté à des accords exclusifs qui ne seront plus soumis à la ratification des parlements nationaux. Le besoin d’avoir un contrôle parlementaire sur les accords internationaux fut une des raisons qui décidèrent les négociateurs de la Convention d’accorder un droit d’approbation au Parlement.57 Aussi, le pouvoir de codécision sur la législation interne va de pair avec des pouvoirs élargis sur la conclusion d’accords internationaux. Le soutien de la Commission aux propositions d’un pouvoir d’approbation donné au Parlement ont permis de passer outre les réticences de certains Etats membres.58 En effet, beaucoup de négociateurs de la Convention qui représentaient les Etats membres étaient en faveur du maintien du simple droit de consultation parlementaire.59

L’intégration des services, des investissements et des aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle s’est quant à elle faite « sans réel débat ».60 Les problèmes rencontrés pour conclure certains accords ont entrainé un consensus global. Il était nécessaire de donner les moyens à l’Union de pouvoir conclure des accords commerciaux globaux conformément à l’expansion de l’agenda du commerce mondial.

56 ROSÉN Guri, ‘A match made in heaven? explaining patterns of cooperation between the Commission and the

European Parliament’, op. cit., p. 417.

57 MÁRTON Péter, ‘Revisiting the European Convention: the origins of the EP veto over international

commercial treaties’, European Politics and Society, 19, 4, 2018, p.15.

58 ROSÉN Guri, ‘A match made in heaven? explaining patterns of cooperation between the Commission and the

European Parliament’, op. cit., p. 415.

59 KRAJEWSKI Markus, ‘External trade law and the constitution treaty: towards a federal and more democratic

common commercial policy’, op. cit., p. 9.

60 MEUNIER Sophie and MORIN Jean-Frédéric, ‘The European Union and the space-time continuum of

(18)

17

V)

Le droit primaire à l’épreuve du droit dérivé et de la

jurisprudence

Le traité de Lisbonne comme tout droit primaire installe un cadre qui va être modifié par les pratiques institutionnelles. Les modifications instaurées par Lisbonne laissaient une grande appréciation quant à la portée de leurs dispositions. Le Parlement a rapidement pris conscience de l’importance de faire pression sur les autres institutions pour bénéficier pleinement des dispositions en sa faveur.61 Près de dix ans après l’entrée en vigueur du traité, certaines réponses viennent éclairer la manière dont le Parlement s’est saisi de son rôle après l’accroissement sans précédent de ses pouvoirs en matière commerciale. Les actions conjointes des institutions ainsi que certaines décisions de la Cour ont façonné le jeu interinstitutionnel et les prérogatives tangibles accordées au Parlement dans la stricte interprétation qu’ont les acteurs du traité.

A) Affirmation de son propre rôle par le Parlement lors de la négociation et

de la conclusion d’accords internationaux

Les relations interinstitutionnelles, qu’elles soient ou non consacrées dans les textes, sont une des voies dans lesquelles s’est engouffré le Parlement européen pour pleinement bénéficier des fonctions attribuées par le traité de Lisbonne. La pratique quotidienne a fait émerger de nouveaux standards dans le processus de décision quitte à malmener les dispositions de droit primaire. Dans ce cadre, le Parlement a pu user de nombreux outils à sa disposition pour faire pression sur les autres institutions pour infléchir leurs positions.

Parmi ces outils, le pouvoir d’approbation accordé par le traité est l’arme absolue pour faire valoir ses intérêts. Le Parlement a acquis la capacité de refuser unilatéralement tout traité relevant de l’article 218(6) a) du TFUE au moment de la conclusion de celui-ci. Ce pouvoir prépondérant n’intervient qu’à la dernière phase de négociation d’un accord, la ratification européenne dépendant du bon vouloir parlementaire. Néanmoins, par ruissellement inversé, le Parlement peut se targuer de fixer les conditions d’une future approbation aux étapes antérieures de négociations. En effet, trois phases peuvent être distinguées au niveau du

61 Parlement européen (commission INTA) : « avis de la commission du commerce international sur le nouveau

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18

processus de décision intra-européen afin d’arriver à la conclusion d’un accord avec un pays tiers :62

- La phase précédant les négociations avec le pays tiers : le mandat. Sur proposition de la Commission qui a le droit d’initiative, « le Conseil autorise l’ouverture des négociations, arrête les directives de négociation».63 La Commission « présente des recommandations au Conseil qui adopte une décision autorisant l’ouverture des négociations ».64

- La phase de négociation : la Commission mène les négociations au nom de l’Union en étroite relation avec le comité spécial du Conseil (le TPC, le « trade policy committee ») qui peut adresser des directives au négociateur.

- La signature et la conclusion de l’accord : le Conseil adopte une décision autorisant la signature de l’accord. Ensuite, après approbation du Parlement, le Conseil « adopte la décision de conclusion de l’accord ».65

- A ces trois phases de négociations, il peut être ajouté la phase de mise en œuvre des accords commerciaux. La réforme de la comitologie offre à la Commission un plus grand pouvoir de mise en œuvre au moyen d’actes non-législatifs : les actes délégués et d’exécution. Les deux organes législatifs veillent au contrôle de l’action de la Commission en la matière. Le Parlement a, en la matière, vu ses pouvoirs de contrôle s’accroitre largement (voir infra).

Il ressort donc de la lecture de l’article 218 du TFUE, clef de voûte institutionnelle de la politique commerciale commune, que le Parlement, malgré les avancées de Lisbonne n’a acquis de pouvoir qu’à l’ultime phase de négociation. Hors, les négociations successives montrent que le Parlement a pu à plusieurs reprises influencer les deux premières étapes de négociations bien qu’aucun rôle ne lui ait été formellement attribué par le traité. Pour y arriver, le Parlement a utilisé les moyens de pression dont il dispose. Parmi les plus importants, les résolutions et les rapports parlementaires ont permis au Parlement de faire part de ses positions, de ses lignes rouges dont la prise en compte conditionnerait son approbation. Les menaces voire le saisissement de la Cour ont également été un facteur d’influence dans le

62 VAN DEN PUTTE Lore and DE VILLE Ferdi and ORBIE Jan, ‘The European Parliament as an international actor

in trade’ in STAVRIDIS Stelios and IRRERA, Daniela (ed.), The European Parliament and its international relations, Routledge, 2015, p. 54.

63 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

218(2).

64 Ibid., art. 218(3). 65 Ibid., art. 218(5) et (6).

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19

processus de décision. Mais surtout, la menace voire le refus d’approuver certains accords est l’outil le plus efficace qu’ait le Parlement pour réellement peser sur la PCC.

a) Les refus d’approbation d’accords internationaux par le Parlement

Le pouvoir majeur accordé au Parlement européen par le traité de Lisbonne découle d’un changement qui ne peut paraitre que sémantique. Alors que depuis le traité de Maastricht, la consultation du Parlement était nécessaire pour conclure la plupart des accords internationaux,66 le traité de Lisbonne instaurait l’obligation de recueillir l’approbation du Parlement pour conclure un accord entre l’Union et des pays tiers ou des organisations internationales.67 Avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le pouvoir de consultation accordé au Parlement n’opérait qu'après que toutes les parties avaient adopté le texte final. Ainsi, «le rejet à un stade si tardif constituait une « option nucléaire » qui n'a jamais été utilisée ».68 En effet, le Parlement n'était pas suffisamment informé, impliqué dans le processus de négociation pour être crédible, et rejeter un accord global qui avait été négocié pendant des années.

Depuis Lisbonne, le refus parlementaire est devenu une option crédible. Le Parlement a par trois fois69 fait échouer des accords commerciaux à leur dernier stade en usant de son nouveau pouvoir d’approbation conféré par le traité de Lisbonne. Les deux refus majeurs sur les accords dits « SWIFT » et « ACTA » ont profondément modifié l’agencement institutionnel mis en place par le traité. Ces rejets ont entrainé la prise conscience d'autres institutions ; le Parlement est désormais en mesure d'exercer un droit de veto sur les accords commerciaux. Ainsi, cet électrochoc a renforcé le Parlement dans les premières étapes de négociations.

i) Le SWIFT I – le premier refus d’approbation parlementaire

Le SWIFT, accord concernant l’échange de données financières entre les Etats-Unis et l’Europe fut la première occasion pour le Parlement européen de se saisir de son nouveau rôle. Bien que les engagements présents dans l’accord n’aient pas de visées commerciales, il était une occasion pour le Parlement de faire valoir son nouveau pouvoir d’approbation sur les

66 Traité de Nice, Journal officiel des Communautés européennes, op. cit., art. 300(3).

67 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

218(6).

68 WOOLCOCK Stephen, ‘Policy-Making after the Lisbon Treaty’, op. cit., p.399. 69 Les accords dits « SWIFT I », « ACTA » et « Maroc/UE ».

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accords conclus entre l’Union et des pays tiers sur base de l’article 218(6) du TFUE. En effet, le pouvoir d’approbation concerne tous les accords internationaux concernant des dispositions régies par la procédure législative ordinaire en interne. La commission parlementaire au fond était donc la commission LIBE70 et non la commission INTA.

L’accord dit « SWIFT I » fut conclu après deux rounds de négociations entre septembre et novembre 2009, la Présidence suédoise et les Etats Unis s’accordant sur un texte commun le 30 novembre 2009, soit un jour avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Il devait entrer en application provisoire en février 2010 pour une durée de neuf mois.71 Le cas de ce premier accord SWIFT est particulier, les négociations ayant été menées avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’ancienne procédure basée sur les traités d’Amsterdam et de Nice faisait droit.72 Confronté à un accord « JAI », la Commission n’avait pas la main dans les négociations et la présidence du Conseil menait les négociations au nom de l’Union dans le cadre de cet ancien processus de décision. Le Parlement ne faisait office que de faire-valoir lors de ces négociations ; pourtant son approbation était devenue obligatoire conformément au traité de Lisbonne.

Dès septembre 2009, le Parlement ne manquait d’affirmer ses prétentions quant à son nouveau rôle. Une résolution faisant part des lignes rouges de l’assemblée pour obtenir son approbation était publiée.73 En plus de ce qu’il voulait voir figurer dans l’accord, le Parlement exigeait un accès aux documents sous peine de ne pas consentir à approuver le SWIFT I. En février 2010, la commission parlementaire au fond (LIBE) adopta un rapport recommandant à l’assemblée plénière de rejeter cet accord ; ce que celle-ci fera le 11 février 2010. Le premier rejet d’un accord international par le Parlement européen était donc entériné. Le Parlement avait utilisé, malgré la pression du Conseil, les deux instruments les plus puissants dont il disposait : une résolution pour faire valoir ses positions et, surtout, le

70 La commission parlementaire « libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures ».

71 L’article 15 de l’accord « SWIFT I » prévoyait que l’accord cesse de produire ses effets à partir du 31 octobre

2010.

72 SERVENT Ariadna Ripoll, ‘The role of the European Parliament in international negotiations after

Lisbon’, Journal of European Public Policy, 21, 4, 2014, p. 574.

73 Parlement européen : « Résolution du Parlement européen sur l'accord international envisagé pour mettre à

la disposition du département du Trésor des États-Unis des données de messagerie financière afin de prévenir et de combattre le terrorisme et le financement du terrorisme », 17 septembre 2009.

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refus d’approuver l’accord, droit nouvellement acquis depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne quelques mois plus tôt.74

Ce rejet ouvra la voie à une renégociation, menée cette fois par la Commission conformément aux dispositions du traité nouvellement en vigueur. La volonté clairement affichée de la Commission était de coopérer beaucoup plus étroitement avec le Parlement pour éviter un nouvel affront. En mai 2010, par le biais d’une résolution, le Parlement se félicitait du nouvel élan donné aux processus de décision intra-européen dans le cadre de la négociation de cet accord renommé « SWIFT II ».75 Malgré tout, le Parlement utilisa également deux instruments de pression à sa disposition ; à savoir : le fait de menacer la Commission de rejeter l’accord si ses principales demandes n’étaient pas prises en compte ainsi que des négociations directes avec les négociateurs/homologues parlementaires américains pour faire valoir directement leurs positions.76 En outre, dans une démarche parallèle, le Parlement demanda également un plus grand accès aux documents de négociation. Les blocages du Conseil, refusant à de multiples reprises de donner accès à l’information au Parlement concernant les documents liés aux directives de négociations et aux négociations poussèrent la députée européenne In’t Veld à aller devant la Cour pour condamner le Conseil sur base du règlement 1049/2001.77 La Cour argua que le principe de transparence ne pouvait être exclu des relations extérieures, mais qu’en appliquant le ‘Turco test’ basé sur la jurisprudence de la Cour,78 le Conseil pouvait refuser au Parlement l’accès au mandat de négociation qui pourrait contenir les objectifs stratégiques de l’Union.79 La Cour estime que des restrictions au principe de transparence pouvaient exister quand les intérêts stratégiques de l’Union étaient en jeu. Finalement, l’accord définitif SWIFT II sera approuvé par le Parlement le 8 juillet 2010 à une écrasante majorité.

De par ses actions, le Parlement a réussi à dépasser le rôle qui lui est formellement attribué par les traités. En refusant de ratifier l’accord intérimaire puis en usant de stratégies diverses

74 MEISSNER Katharina, ‘Democratizing EU External Relations: The European Parliament’s Informal Role in

SWIFT, ACTA, and TTIP’ European Foreign Affairs Review, 21, 2, 2016, p. 273.

75 Parlement européen : « Résolution du Parlement européen sur le lancement des négociations sur les accords

relatifs aux données des passagers aériens (PNR) avec les États-Unis, l'Australie et le Canada », 5 mai 2010.

76 MEISSNER Katharina, ‘Democratizing EU External Relations: The European Parliament’s Informal Role in

SWIFT, ACTA, and TTIP’, op. cit., p. 274.

77 Règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès du Parlement européen,

du Conseil et de la Commission, Journal Officiel de l’Union européenne, 30 mai 2001 ; CREMONA Marise, ‘A quiet revolution: the Common commercial policy six years after the Treaty of Lisbon’, op. cit., p. 48.

78 COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE, affaires jointes C-39/05 P et C-52/05 P Suède et Turco contre

Conseil, arrêt du 1er juillet 2008, points 42-45.

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lors de négociations du SWIFT II, ses positions ont eu une influence sur les directives de négociation, sur la définition des orientations que doivent prendre les négociations d’un accord. L’attribution de cette tâche au seul Conseil dans le traité s’est vue contrariée par les velléités parlementaires. La Commission a fait des efforts qui allaient dans le sens des demandes du Parlement. Cependant, il est à noter que l’accord définitif de juillet 2010 ne répondra que très partiellement aux exigences du Parlement.80 Se trouvant sans doute mieux considéré dans la machine interinstitutionnelle, le Parlement céda sur le fond pour gagner sur la forme.

ii) ACTA – le deuxième refus d’approbation parlementaire

L’accord anti-contrefaçons, ACTA, est le deuxième accord dont l’approbation du Parlement européen fut refusée au moment de sa conclusion. Cet accord, comme le SWIFT, a vu ses négociations entamées avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. L’étape du mandat ainsi que les premiers rounds de négociations se sont donc déroulés sous le processus de décision établi par les traités d’Amsterdam et de Nice. L’implication du Parlement dans les négociations a donc pâti du cadre décisionnel qui prévalait avant décembre 2009. Cet accord plurilatéral discuté entre l’Union et dix autres pays81 avait pour objectif de créer un cadre international sur les droits de propriété intellectuelle visant à mieux appliquer ces droits dans le monde face à leurs larges violations.82 Le traité de Lisbonne avait, entretemps, fait entrer les droits de propriété intellectuelle dans le giron de la politique commerciale commune, politique exclusive dans les mains de l’Union.

Dès 2009, le Parlement usa de ses stratégies classiques pour avoir voix au chapitre dans le cadre de cet accord.83 La député Int’ Veld, sur base du règlement 1049/2001, demanda, devant la Cour, à la Commission l’accès à l’ensemble des documents de négociations.84 Aussi, dans une résolution de mars 2010 qu’il a rendue publique, le Parlement ne cachait pas ses inquiétudes quant au manque de considérations dont ses positions avaient fait l’objet lors

80 ECKES Christina, ‘How the European Parliament’s participation in international relations affects the deep

tissue of the EU’s power structures’, International Journal of Constitutional Law, 12, 4, 2014, p. 911.

81 Australie, Canada, Corée du Sud, Etats-Unis, Japon, Maroc, Mexique, Nouvelle-Zélande, Singapour et la

Suisse

82 Commission européenne, DG Trade : « The Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) Fact sheet »,

novembre 2008, p. 1.

83 MEISSNER Katharina, ‘Democratizing EU External Relations: The European Parliament’s Informal Role in

SWIFT, ACTA, and TTIP’, op. cit., p. 275.

84 TRIBUNAL DE L’UNION EUROPÉENNE, affaire T-301/10 Sophie in ’t Veld contre Commission, arrêt du 19 mars

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de la phase de mandat et du début des négociations.85 Le Parlement ne commença donc réellement ses pressions sur les autres institutions qu’après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Les députés considéraient que leurs nouveaux pouvoirs n’étaient pas pleinement respectés notamment celui « d’être immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure ».86 Ces pressions, parallèles au refus d’approuver l’accord SWIFT, poussèrent la Commission à céder à certaines exigences du Parlement européen en matière d’accès à l’information. Elle autorisa un plus grand accès aux documents de négociations aux députés européens en parallèle de la mise en place de réunions avec des parlementaires au sein des ‘monitoring groups’ après chaque round de négociation.87 Alors que les députés semblaient partagés sur le fond de l’accord, sa politisation, après des manifestations opposées au texte en Pologne, a bouleversé le rapport de force au sein de l’hémicycle, plusieurs députés se dressant contre l’accord. Le Commissaire Karel de Gucht voulant convaincre les parlementaires du bien-fondé du texte, demanda à la Cour de se prononcer sur la compatibilité de l’accord avec le droit européen. Cependant, une majorité de députés n’exprimera pas son approbation au texte avant-même le positionnement de la Cour.

La résolution du 2 mars 2010 se positionnait, pourtant, plutôt en faveur du texte. Celle-ci était bien plus cantonnée à demander un plus grand accès aux documents de négociations pour le Parlement. Cependant, la politisation, les controverses ainsi que la médiatisation ont fait basculer le vote de l’assemblée plénière alors que les commissions parlementaires n’ont jamais réellement demandé de changements de fond de l’accord.88 Pour la Commission, les députés ont cédé à la pression des groupes d’intérêts sans réellement prêter attention aux arguments de l’exécutif européen.89

85 Parlement européen : « Résolution du Parlement européen sur la transparence et l'état d'avancement des

négociations ACTA », 10 mars 2010.

86 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Journal officiel de l’Union européenne, op. cit., art.

218(10).

87 MEISSNER Katharina, ‘Democratizing EU External Relations: The European Parliament’s Informal Role in

SWIFT, ACTA, and TTIP’, op. cit., p. 277.

88 Ibid., p. 279.

(25)

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b) Le TTIP ; base d’un nouveau cadre pour le processus décisionnel européen ?

Bien que les négociations du traité transatlantique soient au point mort aujourd’hui,90 les trois années de négociations autour d’un vaste traité bilatéral entre l’Union et les Etats-Unis ont profondément marqué le processus décisionnel européen entourant les négociations d’accords commerciaux. Ce traité fait partie de la nouvelle génération d’accords de libre-échange. Ces accords « approfondis et globaux » veulent créer un large cadre de coopération de manière bilatérale entre leurs signataires. Les négociations lancées en 2013 ont pour objectif d’aller plus loin que le vaste cadre ad hoc construit jusque-là.91 L’amplitude des matières touchées par ce traité ainsi que le partenaire dont il était question, les Etats-Unis, ont fait de cet accord un enjeu politique sans précédent. Alors que de nombreux autres accords de ce type sont en négociation depuis le début du siècle,92 le TTIP a cristallisé toutes les craintes liées au libre-échange et à la mondialisation. Dès le départ, la Commission se doutait d’une possible polarisation du débat, de critiques autour de l’accord.93 Sa position fut donc d’opter pour la transparence à un niveau jamais vu jusque-là au fur et à mesure que les négociations avançaient.

De son côté, le Parlement s’est montré très rapidement actif, saisissant les enjeux politiques et institutionnels qui pourraient ressurgir des négociations transatlantiques. Alors qu’il n’a formellement aucun rôle au stade du mandat, l’hémicycle a réussi à en influencer le contenu. Dès mars 2013, alors que le Conseil n’avait ni autorisé l’ouverture des négociations ni donné ses directives de négociations,94 le Parlement vota une résolution qu’il rendit publique. Tout en réaffirmant « son soutien à un accord de commerce et d'investissement global et approfondi avec les États-Unis »,95 le Parlement n’en oublie pas sa volonté d’influencer l’accord et de bénéficier de cet accord pour accroitre ses pouvoirs dans le cadre interinstitutionnel européen. Dans une partie intitulée « le rôle du Parlement », la résolution

90 Commission européenne : « overview of fta and other trade negotiations », mis à jour en mai 2018 ; Les

négociations se sont arrêtées à la fin de l’année 2016, à l’arrivée du nouveau Président des Etats-Unis, Donald Trump. L’Union affirme qu’il est nécessaire de « clarifier du côté des deux parties s’il y a un niveau suffisant d’ambitions partagées ».

91 MEUNIER Sophie and MORIN Jean-Frédéric, ‘No agreement is an island: Negotiating TTIP in a dense regime

complex’, The politics of Transatlantic trade negotiations, 2015, p. 178.

92 Plusieurs autres accords, bien qu’ils comportent des différences notables par rapport au TTIP, ont un spectre

et une ambition tout aussi large. L’Union négocie/a négocié des tels accords avec des pays comme Singapour, le Canada, la Corée du Sud ou le Japon.

93 « Entretien avec un haut responsable de la DG Trade », op. cit. 94 Les négociations ont officiellement débutées en juin 2013.

95 Parlement européen : « Résolution du Parlement européen sur les négociations en vue d'un accord en

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insiste sur les nécessités d’information du Parlement et de transparence vis-à-vis des citoyens.96 En pouvant s’appuyer sur certains Etats-membres qui partagent sa position sur les services audiovisuels, le Parlement « demande donc que l'exclusion des services de contenus culturels et audiovisuels, y compris en ligne, soit clairement stipulée dans le mandat de négociation ».97 De plus, le Parlement pointe les domaines sensibles du potentiel accord comme « le caractère sensible de certains domaines des négociations, comme le secteur agricole, pour lequel les perceptions (…) ont tendance à diverger entre les États-Unis et l'Union européenne » tout en soulignant que l’accord ne peut porter atteinte au principe de précaution européen.98 En agissant de cette manière, le Parlement outrepasse clairement les pouvoirs qui lui sont conférés par le traité. Il veut influencer le mandat de négociation, pré carré du Conseil, à la lecture du droit primaire et dans la pratique des accords précédents. En faisant pression sur le Conseil et la Commission avant que ceux-ci n’aient pu se prononcer, en établissant les lignes rouges dont le respect garantirait son soutien, l’assemblée fait de sa recommandation un pré-mandat dont les grandes lignes doivent être suivies.99 La Commission et le Conseil prendront d’ailleurs en compte les positions du Parlement sur les services audiovisuels en excluant cette question des négociations lors de la rédaction du mandat : «The agreement will not affect the capacity of the Union and its Member States to implement policies and measures to take account of developments in this sector in particular in the digital environment ».100

Le vote de résolution par le Parlement avant même que le Conseil n’adresse ses directives de négociation ou que les négociations ne soient formellement ouvertes est devenu une pratique courante dans le chef du Parlement. Dernièrement, alors que des négociations en vue d’accords de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande pourraient voir le jour,101 le Parlement s’est déjà prononcé par le truchement de deux résolutions datant d’octobre 2017.102 La démarche parlementaire marque un point de rupture en termes d’influence du

96 Parlement européen : « Résolution du Parlement européen », 23 mai 2013, op. cit., p.6. 97 Ibid., p.5.

98 Ibid., p.4.

99 MEISSNER Katharina, ‘Democratizing EU External Relations: The European Parliament’s Informal Role in

SWIFT, ACTA, and TTIP’, op. cit., p. 280.

100 Conseil de l’Union européenne : « Directives for the negotiation on the Transatlantic Trade and Investment

Partnership between the European Union and the United States of America », 17 juin 2013, p.5.

101 Le Conseil n’a pas encore adopté ses directives de négociations à ce jour.

102 Parlement européen : « Résolution du Parlement européen contenant la recommandation du Parlement

européen au Conseil sur le mandat de négociation relatif aux négociations commerciales de l’Union européenne avec l’Australie » et « Résolution du Parlement européen contenant la recommandation du Parlement européen au Conseil sur la proposition de mandat de négociation en matière commerciale avec la Nouvelle-Zélande », 26 octobre 2017.

Références

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