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L'éducation morale et le programme de philosophie pour enfants

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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ISABELLE MICHAUD

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u L

N

¿93-L'ÉDUCATION MORALE ET LE PROGRAMME DE PHILOSOPHIE POUR ENFANTS

Mémoire présenté

À la Faculté des études supérieures de !,Université Laval

pour l'obtention

du grade de maître es arts (M.A.)

FACULTÉ DE PHILOSOPHIE UNIVERSITE LAVAL

JUILLET 1999

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RÉSUMÉ DU MÉMOIRE

À l'aide d'une grille d'analyse définissant ce qu'est l'éducation morale, nous évaluerons si le programme de philosophie pour enfants peut former moralement un être humain. Notre grille d'analyse s'inspire librement de la grille d'analyse de messieurs Lucien Morin et Louis Brunet, lesquels puisent à même les philosophies aristotélicienne e t scolastique. Nous entreprenons donc, tout d'abord, de définir ce qu'est l'éducation morale, nous présentons ensuite le programme de Matthew Lipman: le programme de philosophie pour enfants, puis, nous évaluons la capacité de celui-ci à éduquer moralement le petit de l'être humain.

ICACi

Isabelle Michaud, étudiante Michel Sasseville, directeur

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AVANT-PROPOS

C'est avec une gratitude infinie que je tiens à remercier certaines personnes, sans qui ce mémoire n'aurait tout simplement pas vu le jour. D'abord, mon cher directeur de recherche, monsieur Michel Sasseville, pour sa science, sa patience et pour une discussion exceptionnellement enrichissante qui dure depuis huit ans; puisse-t-elle être éternelle. Ensuite, il m'est impératif de remercier monsieur Lucien Morin qui m'a généreusement fait don de son temps, de son amour de l'éducation et de son manuscrit... Toute ma reconnaissance va également à monsieur Thomas De Koninck pour ses nombreux éclairages en certains temps de noirceur intellectuelle et pour ce qu'il est. Et finalement, je désire ardemment exprimer tout mon amour à maman, papa, Sébastien et Karim qui ont eu et qui ont foi en moi. Merci.

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TABLE DES MATIERES

RÉSUMÉ... ... I AVANT-PROPOS... II TABLE DES MATIERES... III INTRODUCTION... p.7 CHAPITRE 1 QU’EST-CE QUE L'ÉDUCATION?...

Introduction... p.13 1.1 Définitions... p.13 1.1.1 Éduquer... p.14 1.1.2 Éducation... p.14 1.1.3 Forme, former, formation... p.15 1.2 Des précisions entourant la notion de forme... p.16 1.2.1 La forme implique une matière... p.16 1.2.2 La forme est prioritaire sur la matière... p.17 1.2.3 La forme implique une fin... p.17 1.3 Des précisions entourant la notion

de formation... ... p.17 1.3.1 La formation implique un changement... p.18 1.3.2 La formation implique un agent

de formation... p.18 1.3.3 La formation et l'ordre... p.19 1.4 La formation d'un être humain... p.20

1.4.1 La formation comme processus et comme

forme acquise... p.20 1.4.2 La formation d'un être humain

et la matière... p.21 1.4.2.1 Les facultés humaines comme

des matières à former... p.22 1.4.2.2 La formation des facultés

en

des matières... p.23 1.4.3 Des conditions nécessaires à la

formation humaine... p.24 1.4.4 La(les) fin(s) de la formation d'un

être humain... ... ... p.25 1.4.5 La formation du corps... p.27 1.4.6 La formation des sens externes et

des sens internes... p.27 1.4.7 La formation de !'intelligence... ... p.28 1.4.7.1 Une définition de !'intelligence... . p.29

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V 1.4.7.2 L'activité de !'intelligence... p.29 1.4.7.3 L'intelligence théorique... ... p.31 1.4.7.4 L'intelligence pratique... p.32 1.4.8 Définitions de l'affectivité sensible et de

l'affectivité intellectuelle (ou volonté)... p.34 1.4.9 Les causes des formations d'un

être humain... p.35 1.4.9.1 Des causes efficientes intrinsèques... p.36

1.4.9.1.1 La nature de l’être humain... p.36 1.4.9.1.2 L'activité du sujet lui-même... p.37 1.4.9.2 Des causes efficientes extrinsèques... p.38 1.4.9.2.1 La famille... p.38 1.4.9.2.2 L'enseignant...p.39 Conclusion... p.40

CHAPITRE 2 LA FORMATION MORALE... Introduction... p.43

2.1 Une définition de la formation morale... p.43 2.1.1 Étymologies et définitions de

morale et éthique... p.44

2.1.2 Formulation de la définition de

la formation morale... p.45 2.1.3 Distinction entre la formation morale et

l'enseignement moral... p.46 2.2 Les finalités de la formation morale... p.47 2.3 Les matières de la formation morale... p.52 2.3.1 L'affectivité humaine... p.52 2.3.2 Les actes humains... p.57 2.3.3 La formation morale

en

une matière... p.58 2.4 Les formes morales de l'affectivité... p.58 2.4.1 L'habitus... p.58 2.4.2 Les vices et les vertus...p.66 2.4.3 Les vertus et les vices de l'affectivité

puis de !'intelligence pratique en vue de l'agir... p.70 2.5 Les agents de la formation morale... p.80

2.5.1 Les causes efficientes intrinsèques de formation morale: la nature du sujet en

formation et son activité... p.80 2.5.2 Les causes efficientes extrinsèques de

formation morale: la famille, l'enseignant,

les pairs, la société... p.81 Conclusion... p.86

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VI CHAPITRE 3 LE PROGRAMME DE PHILOSOPHIE POUR ENFANTS

Introduction... p .8 9 3.1 Naissance et évolution du programme de

philosophie pour enfants... p .8 9 3.2 Les objectifs du programme de philosophie

pour enfants... p .9 1 3.3 Conception de la philosophie et conception

de l'enfant selon le programme de

philosophie pour enfants... p .94 3.3.1 La philosophie... p .9 5 3 .3 .2 L'enfant... p .97 3.4 L'approche pédagogique du programme

de philosophie pour enfants... p .99 3.4.1 Le matériel pédagogique: le roman

philosophique et le guide pédagogique... p .9 9 3.4.2 La communauté de recherche : définition et

fonctionnement... p .1 03 3.4.3 La solidification de

la communauté de recherche... p .1 05 3.4.4 Enseignement et enseignant au sein

du programme de philosophie pour enfants... p . 1 0 8 3.5 L'éducation morale selon le programme de

philosophie pour enfants... p .1 1 3 Conclusion... ... p .1 19.

CHAPITRE 4 LE PROGRAMME DE PHILOSOPHIE POUR ENFANTS FORME-T-IL MORALEMENT?...

Introduction... p .1 2 2 4.1 Y a-t-il éducation en philosophie pour

enfants ?... p.l 23 4.2 Y a-t-il éducation morale en

philosophie pour enfants?... p.l 2 9 Conclusion... p.l 3 9 CONCLUSION... p.l 4 2 Bibliographie... p.l 4 8

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INTRODUCTION

Une réalité telle que l'éducation peut sembler banale et facile à appréhender. En effet, il n'est pas rare de s'approprier et de discuter de l'éducation sans trop avoir conscience de la très grande complexité de celle-ci; comme si l'éducation allait de soi. Cependant, n'importe quel penseur qui consacre un tant soit peu de temps à réfléchir sur l'éducation constate inévitablement l'étendue de son ignorance. Aussi, nombreux sont les domaines de la connaissance humaine qui tentent de comprendre l'éducation: la psychologie, la sociologie, la biologie et l'histoire entre autres. La philosophie ne fait pas exception. De fait, il existe une discipline nommée philosophie de l'éducation. Aussi, le sujet du présent mémoire s'insère au sein de cette discipline: la philosophie de l'éducation.

Plus spécifiquement, il s'agit d'une réflexion d'ordre philosophique sur l'éducation mais surtout sur l'éducation morale en général et l'éducation morale au sein du programme de Matthew Lipman: le programme de philosophie pour enfants. Explicitement, le but du présent mémoire consiste à évaluer, à l'aide d'une grille de lecture que nous élaborerons, le programme de philosophie pour enfants quant à sa capacité à éduquer moralement.

Or, réfléchir sur l'éducation peut sembler une entreprise peu originale: les ouvrages sur ce sujet ne manquent pas et l'éducation morale au sein du programme de philosophie pour enfants fût abordée plusieurs fois, ne serait-ce que par les concepteurs du programme eux-mêmes. Alors, en quoi notre problématique s'avère-t-elle pertinente?

La réponse à cette question peut s'articuler selon deux critères: c'est que notre objet d'étude (l'éducation) est une réalité complexe puis problématique dans son essence même et que l'approche philosophique de l'éducation est tout à fait appropriée à l'étude de cet objet que l'on n'a jamais fini de connaître.

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8

En effet, l'éducation pose problème: «il nous semble essentiel de montrer que, même en éducation, surtout en éducation, les choses ne vont pas de soi»1. En effet, il est difficile de comprendre et savoir ce qu'elle est et ce qu'elle doit être. D'ailleurs, il semble que l'Occident est en perpétuelle crise de l'éducation. Il n'en va pas autrement pour l'éducation morale, laquelle est une partie de l'éducation globale du petit être humain.

De plus, bien que la réalité éducative pose problème, il n'en demeure pas moins que celle-ci est d'une absolue nécessité car «la nature humaine est ce qui exige d'être éduqué; elle est aussi ce qui fait que l'éducation ne peut pas tout. Inversement, si l'éducation ne peut pas tout, on ne peut rien sans elle»2. Ainsi, il faut éduquer d'une part parce que la nature individuelle de chaque nouveau-né le commande et d'autre part, parce que la nature de l'espèce humaine le commande aussi. Effectivement, un enfant naissant que l'on ne prend pas la peine d'éduquer est voué à une mort certaine. L’humanité se composant d'individus, peut-on imaginer à quoi celle-ci se destinerait si l'éducation n'existait pas? C'est en grande partie de l'éducation que dépend le développement, !'épanouissement et le bonheur de chaque être humain. Par conséquent, c'est aussi de l'éducation dont dépendent le développement, !'épanouissement et le bonheur de l'humanité. Ce n'est pas peu dire...

Ainsi, l'éducation morale (formation des moeurs, du caractère) semble être pour certains l'éducation elle-même: «la formation à la vie morale et aux vertus est une partie essentielle, à vrai dire la partie la plus importante, de la fin première de l'éducation au sens plein du mot»3. C'est que la formation du caractère d'un être humain permet à ce dernier d'avoir une personnalité unifiée, d'agir de façon autonome et responsable et d'être heureux. L’individu étant constamment dans la nécessité d'agir, agissant toujours avec tout son être et en interrelation

1 Olivier Reboul, La philosophie de l'éducation, Paris, PUF, 1989, p.14. 2 Ibid., p.22.

3 Jacques Maritain, Pour une philosophie de l'éducation, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1959, p. 181.

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9 avec autrui, il est primordial de l'aider à former son caractère afin de lui assurer un bien-être et une capacité d'action adéquate.

Matthew Lipman et ses collaborateurs reconnaissent la nécessité de la formation morale et la développent grandement au sein de leur programme. Aussi, le programme de philosophie pour enfants prétend contribuer à la formation morale des enfants en leur assurant le développement d'une pensée autonome participant à l'agir raisonnable. De plus, de nombreux penseurs, liés de près ou de loin au programme de philosophie pour enfants, ont exposé en quoi consiste la formation morale prévue par ce même programme.

Or, l'intérêt de notre approche consiste à évaluer la prétention du programme de philosophie pour enfants à éduquer moralement d'un point de vue extérieur au programme. Nous procéderons à cette tâche à l'aide d'une grille de lecture issue d'une réflexion d'ordre philosophique sur l'éducation et l'éducation morale, réflexion grandement influencée par les pensées aristotélicienne puis scolastique.

Or, qu'est-ce qu'une réflexion d'ordre philosophique sur l'éducation? Mais surtout, pourquoi réfléchir philosophiquement sur l'éducation? Selon Lionel Ponton et Jean Rioux, la philosophie peut et doit réfléchir sur l'éducation parce que «la philosophie s'attache à l'analyse des concepts fondamentaux, elle remonte aux options initiales et aux principes de base»1, quelque soit l'objet d'étude, l'éducation y compris. Alors que l'histoire de l'éducation tente de retracer et d'expliquer l'évolution de la réalité éducative depuis les débuts de l'humanité jusqu'à aujourd'hui; que la biologie de l'éducation rend compte de l'éducation en fonction du développement physiologique de l'être humain; la philosophie de l'éducation d'une part pose la question:

«Qu'est-ce que l'éducation?» et d'autre part, elle tente d'y répondre.

Afin de répondre à cette question, la philosophie de l'éducation soulève inévitablement une autre question tout aussi essentielle: «qu'est-ce que l'être humain?» En effet, une définition de l'éducation ne peut faire l'économie d'une définition de l'être humain car si l'on veut

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éduquer véritablement un être humain, on doit connaître sa nature et ce qu'elle requiert:

si le but de l'éducation est d'aider et de guider l'enfant vers son accomplissement humain, l'éducation ne peut échapper aux problèmes et aux difficultés de la philosophie, car elle suppose par sa nature même une philosophie de l'homme, et dès l'abord elle est obligée de répondre à la question: «qu'est-ce que l'homme?» que pose le sphinx de la philosophie1.

Bien que ces deux questions puissent paraître à plusieurs comme banales et naïves -mais surtout comme des questions auxquelles on a déjà répondu- il est manifeste qu'elles ne le sont pas. En effet, c'est la confusion et la mésentente chez les penseurs de l'éducation. Cette situation est due en partie au fait que les différents types de réflexions sur l'éducation recèlent peu d'ordre et se soucient peu des fondements de l'éducation. Les penseurs bien souvent s'égarent sur des chemins tortueux ne menant nulle part et pensent de façon abstraite une réalité on ne peut plus concrète. En fait, ils semblent ne pas considérer suffisamment la nature humaine puis en fonction de cela, ce que doit être l'éducation. La philosophie de l'éducation, en dévoilant les problèmes au coeur de l'éducation rend explicites et manifestes les finalités ainsi que les fondements de l'éducation.

Effectivement, la philosophie de l'éducation tente d'identifier les finalités de l'éducation: ce en vertu de quoi nous éduquons ou autrement dit, ce pourquoi nous éduquons. Ainsi, les finalités devenues évidentes, il devient plus aisé de réfléchir sur les moyens en éducation. D'ailleurs, Maritain nous met en garde: «la première erreur est l'oubli ou la méconnaissance des fins. Si les moyens sont aimés et cultivés pour l'amour de leur propre perfection, et non pas comme moyens seulement, dans cette mesure même ils cessent de mener à la fin»2. De même, la philosophie de l'éducation s'intéressant aux fondements de l'éducation, elle tente de définir la nature de l'être humain, laquelle commande l'éducation.

1 Jacques Maritain, Pour une philosophie de l'éducation, p.20. 2 Ibid., p.19.

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Par conséquent, la philosophie de l'éducation constituant une réflexion fondamentale sur l'éducation, elle est la réflexion qui fonde et unifie la totalité du savoir sur l'éducation. En clair, les sciences étudiant les moyens propres à l'éducation et les sciences portant sur un ou des aspects de l'être humain ou de l'éducation prennent racines dans un sol philosophique, lequel donne sens, unité et complémentarité à toutes ces sciences.

Ainsi, la réflexion philosophique qui dirige son regard de façon plus spécifique sur l'éducation morale s'interroge sur ce qu'est l'éducation morale, sur ses fondements, sur les valeurs véhiculées en éducation morale, sur ce que l'éducation morale devrait être en fonction de ce qu'est la nature morale de l'être humain et sur ce que devraient être les moyens adaptés aux finalités poursuivies en éducation morale. En ce sens, la philosophie réfléchissant sur l'éducation morale constitue une réflexion plus fondamentale que les principaux domaines de la connaissance humaine qui s'approprient habituellement la réflexion sur l'éducation morale (théologie, sociologie, psychologie).

Aussi, en plus de réfléchir philosophiquement sur l'éducation et l'éducation morale, nous réfléchirons philosophiquement sur le programme de philosophie pour enfants en se demandant: «Qu'est-ce que le programme de philosophie pour enfants?» et «Qu'est-ce que la formation morale en philosophie pour enfants?».

Afin de pouvoir répondre à la problématique que nous nous sommes posé, à savoir: «Le programme de philosophie pour enfants peut-il former moralement un enfant?», nous élaborerons une grille de lecture. Cette grille sera essentiellement composée des définitions de l'éducation, de l'éducation morale et elle identifiera certains principes généraux rattachés de près à la réalité éducative. Pour nous guider dans cette entreprise de définition, nous suivrons la méthodologie aristotélicienne de définition par les quatre causes (finale, formelle, agente, matérielle), nous mettrons à contribution l'étymologie des mots, puis nous utiliserons la définition de l'être humain du Ministère de l'Éducation selon laquelle celui-ci serait corps, affectivité et intelligence. De plus, nous tiendrons compte de la nature sociale de l'être humain, laquelle ne fait pas partie

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de la définition du Ministère de l'Éducation retenue ci-haut. Ensuite, nous présenterons quelques-unes des dimensions du programme de philosophie pour enfants. Finalement, nous évaluerons le programme de philosophie pour enfants sur sa capacité à former moralement un enfant avec l'aide de notre grille de lecture1.

Ainsi, de façon plus spécifique, le chapitre 1 constituera une définition de l'éducation, le chapitre 2 sera une définition de l'éducation morale, le chapitre 3 consistera en une présentation du programme de philosophie pour enfants et le chapitre 4 sera la réponse à la problématique de ce mémoire. Nous conclurons en résumant les résultats de la présente recherche, en soulignant les limites de ce travail et en soumettant d'autres pistes de réflexion.

1 Afin de rendre évidentes les assises concrètes de la première partie du mémoire (les chapitres 1 et 2), nous nous efforcerons de vulgariser et d'illustrer notre propos à l'aide d'exemples et d'images. Ceci étant dit, il va de soi que le ton de la deuxième partie du mémoire (les chapitre 3 et 4) différera et sera, pour ainsi dire, plus descriptif et plus analytique.

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CHAPITRE 1

OU'EST-CE QUE L’ÉDUCATION?

Introduction

Avant d'entreprendre l'étude du programme de philosophie pour enfants et, plus spécifiquement, l'étude dudit programme quant à sa capacité d'éduquer moralement, il est important d'effectuer un certain débroussaillage sémantique. En effet, afin de résoudre notre problématique, une connaissance de la signification des mots éduquer,

éducation, former, formation ainsi qu'une connaissance des différentes

réalités impliquées lors de !'utilisation de ces mots sont nécessaires. Aussi, le présent chapitre s'emploiera à définir les réalités couramment utilisées dans le domaine de l'éducation d'une part et, d'autre part, à greffer autour de ces réalités quelques principes fondamentaux rattachés à la réalité éducative. Ces définitions, de même que ces principes fondamentaux, serviront à constituer une grille de lecture à la lumière de laquelle notre problématique pourra être éclairée.

1.1 Définitions

Définir, c'est dire ce qu'est une chose, c'est rattacher cette chose à son genre prochain et à sa différence spécifique1. Outre ce type de définition, qui est la plus rigoureuse qui soit, d'autres moyens aidant à faire comprendre les choses peuvent être mis à contribution. L'étude étymologique2 des mots est un de ces moyens. Ainsi, notre propos débutera par une enquête sur l'étymologie des mots et se complétera

1 Voir J.R. Gallup (dir.), Manuel du cours Principes de logique 1, Faculté de philosophie, Université Laval, 1994, section, 5 p. 171.

2 «(...) l'étymologie · peut être d'un grand secours. Non seulement elle rappelle les racines, très concrètes la plupart du temps, des mots, mais elle montre aussi l'évolution de leurs significations en tenant compte de l'évolution des connaissances.» Lucien Morin et Louis Brunet, Philosophie de l'éducation 1. Les

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par les définitions couramment utilisées, puisées à même les dictionnaires.

1.1.1 Éduquer

Le mot éduquer n'a été attribué à la réalité humaine qu'aux environs du 19e siècle. En fait, le mot dérive de deux verbes latins: educare qui signifie «nourrir», «avoir soin de», «élever», «instruire», et educere qui veut dire «faire sortir de», «conduire», «diriger», «tirer à soi» «mettre au monde», «mettre en marche». Ces deux verbes renvoient originellement à des actions effectuées en vue de la culture des végétaux et de l'élevage des animaux. Le verbe éduquer sera rarement utilisé avant le 18e siècle et lorsqu'il fait son apparition dans la langue, c'est en tant que substitut du verbe nourrirL

Comme les végétaux et les autres animaux, l'être humain a besoin d'être élevé, d'obtenir des soins, d'être nourri. Éduquer un être humain, c'est lui prodiguer les soins que sa nature demande, c'est l'élever en le nourrissant. Nous parlons ici de nourriture corporelle, mais également de nourriture spirituelle (pour son esprit). Aujourd'hui, le mot éduquer s'emploie presque exclusivement en rapport avec l'être humain:

«éduquer signifie "diriger la formation de quelqu'un par !'instruction et

la pédagogie"»1 2.

1.1.2 Éducation

Le terme éducation dérive du mot latin educatio (1527), lequel renvoie spécifiquement à une action: celle d'élever des végétaux et des animaux. Ce mot provient lui aussi des verbes educare et educere. Par analogie, le mot en vint à s'attribuer à l'être humain pour désigner la «mise en oeuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d'un être humain»3. Ainsi que le soulignent Morin et Brunet,

1 Le Robert Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey (dir.), Paris, Dictionnaires LE ROBERT, 1992, p.662.

2 Ibid.

3 Le Robert Dictionnaire de la langue française, Paris, Dictionnaires LE ROBERT, 1995, p.719.

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l'éducation d'un enfant voulait donc dire, au début, l'élever, au sens de répondre à ses besoins de nourriture, ses besoins physiques et corporels. Par la suite, educatio a pris aussi un sens moral (la formation du caractère) et un sens intellectuel (la formation de l'esprit). On est ainsi passé du corps ou du physique à l'esprit ou au psychique: le mot qui désignait l'action d'aider à la croissance corporelle du petit en est venu à désigner l'action d'aider au développement de l'esprit1.

1.1.3 Forme, former, formation

Comme nous avons pu le constater, la notion de formation intervient dans les définitions d'éduquer et d'éducation. L'éducation est, selon cette définition, une formation. Aussi, comprendre la signification de cette dernière devient impératif pour notre recherche sur l'éducation.

Le mot formation provient du mot formatio provenant du verbe

former, lui-même dérivant du mot formare. Ce dernier vient de forma

(fin du 11e siècle), forma veut dire «forme» en français et comprend principalement cinq significations2. Premièrement, forma signifie «moule», comme les moules utilisés pour faire des gâteaux. Le mot désigne ensuite l'objet formé par le moule: le gâteau une fois cuit. En un troisième sens, forma peut aussi désigner l'aspect extérieur des choses, physique et matériel. Ainsi dira-t-on de notre gâteau qu'il est. en forme de coeur. En quatrième lieu, si notre gâteau est une véritable oeuvre d'art, le mot forma renverra explicitement à sa beauté. Finalement, ce qui fait que notre gâteau est unifié, organisé, structuré, ordonné, bref ce qui fait que notre gâteau est un gâteau, c'est sa forme.

C'est ce dernier sens qui nous intéresse pour notre propos. En effet, dans le contexte de la formation d'un être humain, nous ne disons pas que la forme d'un être humain est un «moule», ni un objet moulé, ni un aspect physique extérieur, ni sa beauté. Il est plutôt question de parler de la forme d'un être humain comme étant son principe interne d'organisation et d'unité.

1 Lucien Morin et Louis Brunet, Philosophie de l’éducation 1: Les sciences de

l'éducation, pp.13-14.

2 Ces cinq significations sont tirées de Lucien Morin et Louis Brunet, Philosophie

de l'éducation 2: La formation fondamentale, Ste-Foy et Bruxelles, PUL et De Boeck

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Selon Aristote, la forme, c'est ce qu'est une chose: «j'appelle forme la quiddité de chaque être, sa substance première»1. La forme est un «"principe interne d'unité des êtres"»2. Elle organise, structure et unifie les êtres.

Former est emprunté au mot latin formare (1135) qui veut dire

«donner une forme». Le Petit Robert, quant à lui, mentionne que former, c'est «donner l'être et la forme»3.

Pour ce qui est du terme formation, il dérive du mot latin formatio (1170), lequel renvoie à «l'action de former quelque chose»4 ou à «ce qui est formé»5.

Retenons donc essentiellement que l'éducation, c'est l'action visant à assurer la formation (action de donner une forme) d'un être humain, lequel, au terme du processus, est un être humain formé.

1.2 Des précisions entourant la notion de forme

Nous l'avons vu, l'éducation consiste en une formation et celle-ci est l'action de donner une forme. Précisons davantage cette idée de forme afin de comprendre les différentes réalités impliquées par cette notion.

1.2.1 La forme implique une matière

Une forme, tout d'abord, n'existe jamais seule: rien de tel que des formes qui se promènent dans la nature. Une forme, en tant que principe interne d'un être, vient toujours avec cet être puisqu'elle le constitue. En corrélation avec cette dernière idée, les êtres ne pourraient exister sans un principe interne, sans la forme. Il n'existe pas dans la nature de pure matière informe et ce, même à l'échelle microscopique: «bref, tout ce qui existe dans notre monde est composé de matière et de forme, toute matière ayant une forme quelconque et toute forme étant

1 Aristote, La Métaphysique tome 1 , trad. J. tricot, Paris, Vrin, 1991, pp.380-381. 2 Dictionnaire historique de la langue française, p.814.

3 Le Petit Robert, p.952,

4 Dictionnaire historique de la langue française, p.816. 5 Ibid., p.816.

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la forme d'une matière quelconque»1. Il ne peut y avoir de gâteau sans ses ingrédients et les ingrédients sans principe organisateur ne peuvent constituer le gâteau.

1.2.2 La forme est prioritaire sur la matière

La forme est logiquement prioritaire . sur la matière. En déterminant la matière, elle donne l'être aux êtres et les constitue. Autrement dit, sans forme, aucun être n'est possible et il ne subsisterait qu'un pur chaos inconcevable: «or, ce principe d'union, c'est la substance formelle de chaque chose, car c'est là la cause primordiale de son être»2. C'est parce que les ingrédients constituant notre gâteau ont été organisés, formés d'une certaine façon plutôt que d'une autre, que notre gâteau peut exister en tant que gâteau.

1.2.3 La forme implique une fin

Cette dernière constatation illustre bien que les choses ne se font pas au gré du hasard mais en fonction d'une fin: «de fait, toute production humaine consciente et sensée suppose la considération de la fin d'abord et des moyens pour l'atteindre -la forme et la matière»3. C'est parce que nous avions l'envie de manger un gâteau (fin) que nous avons réuni les ingrédients (matière) de façon telle (forme) à obtenir un gâteau (forme). Rappelons pour l'instant que la forme vient avec la matière, qu'elle la détermine et qu'elle le fait en vertu d'une fin à réaliser.

1.3 Des précisions entourant la notion de formation

L'idée de formation implique certaines réalités qui gravitent autour d'elle et qui demandent à être explicitées afin de mieux comprendre et cerner la notion de formation.

1 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p. 16. 2 Aristote, La Métaphysique tome 1, p.452.

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1.3.1 La formation implique un changement

L'action de donner une forme renvoie à un processus s'écoulant dans le temps. Un être en formation est un être qui change, qui passe, pour ainsi dire, d'un état X à un état Y. Or, comment une chose peut-elle devenir ce qu'elle n'était pas?

C'est que «changer, ce n'est pas changer en mais changer de: quelque chose existe avant, pendant et après le changement»1. Par exemple, un lièvre pendant le printemps et l'été revêt une couleur dans les tons de brun. Mais ce même lièvre à l'approche de l'hiver change de couleur; il devient graduellement blanc en vue de se confondre avec le décor hivernal pour échapper à ses prédateurs. Or, il s'agit bel et bien du même lièvre qui est passé de l'état de non blanc (brun) à l'état de blanc. Celui-ci a changé qualitativement mais le substrat, «ce sans quoi une réalité ne saurait subsister»2, demeure le même puisqu'il sert de base, de support au changement qualitatif.

Mais comment un être peut-il acquérir une forme quelconque à partir d'un état de privation de cette forme? C'est que l'être, qui passe d'un état de privation à un état où une forme est acquise, possède en sa nature la capacité d'acquérir cette forme (laquelle forme n'est certes pas étrangère à sa nature). Ainsi, le lièvre possède la capacité de passer de la couleur brune (état de non blanc) à la couleur blanche. Parler en termes de capacité et de forme acquise c'est, par le fait même, parler de puissance et d'acte: «on peut ne pas être quelque chose tout en ayant la capacité de le devenir. Et quand on ne l'est pas, mais qu'on peut le devenir, on dit qu'on en a la puissance, la capacité, la faculté; mais quand on l'est devenu, on dit qu'on est en acte, en activité, en action»3.

1.3.2 La formation implique un agent de formation

Donner une forme, procéder à la formation d'une chose, d'un être, nécessite !'intervention d’un agent, d'une cause efficiente. Selon Aristote,

1 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.33. 2 Dictionnaite historique de la langue française, p.2034.

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1 9 «ce n'est assurément pas le substrat qui est l'auteur de ses propres changements. Par exemple, ce n'est ni le bois, ni l'airain qui est cause du changement de l'un et de l'autre; ce n'est pas le bois qui fait le lit, ni l'airain la statue, mais il y a quelque autre chose qui est cause du changement»1. Illustrons: notre gâteau n'est pas venu à l'être de lui- même puisque c'est le pâtissier (ou plus généralement un être humain) qui a ordonné les ingrédients en vue de former un gâteau.

Mais aucun agent n'est intervenu pour faire passer le lièvre du brun au blanc, objectera-t-on! Effectivement, il semble qu'aucun agent

extérieur ne soit intervenu. Toutefois, c'est un agent intérieur qui a

commandé le changement. Cet agent de formation, c'est la nature du lièvre. Plus spécifiquement, il s'agit d'une cause efficiente (ou cause agente) qui, comme le suggère son nom, produit un effet; mais cette cause est de nature intrinsèque au sujet changeant, c'est-à-dire qu'elle est à l'intérieur dudit sujet. Clarifions à l'aide d'un autre exemple. Ce qui fait en sorte qu'une tulipe puisse passer de l'état de graine à celui de fleur éclose, c'est bien entendu les nutriments provenant de la terre, du soleil, de l’eau entre autres, mais c'est d'abord et avant tout parce que cette tulipe se développe selon un programme génétique. Ce programme était déjà inscrit au sein même de la graine qui allait devenir la tulipe et c'est ce programme qui déclenchera les changements qui s'effectueront tout au long de la vie de la tulipe. Ce programme génétique agit donc comme agent de formation, de changement et ce, même s'il est intérieur à la tulipe, même s'il fait partie de sa nature,

1.3.3 La formation et l'ordre

Il semble bien qu'une formation doit s'effectuer selon un certain ordre. Ainsi, il aurait été impossible de faire notre gâteau si nous n'avions pas préalablement mélangé les ingrédients, déposé la pâte dans un moule et fait cuire la pâte.

Deux types d'ordres sont cependant à distinguer. Premièrement, il y a l'ordre de l'intention qui consiste à déterminer la fin à réaliser puis les moyens à utiliser pour réaliser cette fin. Deuxièmement, il y a celui de

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20

Γexécution où les moyens doivent avoir été utilisés pour que la fin soit réalisée. Toutefois, c'est l'ordre de l'intention qui précède la réalisation effective d'une chose, l'ordre d'exécution. Effectivement, il faut réfléchir à la chose à réaliser et à comment nous allons la réaliser avant d'entreprendre la réalisation en tant que telle de cette chose. Ainsi, en premier lieu, nous avons pensé à faire un gâteau, ensuite nous en avons étudié la recette pour savoir comment le faire, puis finalement, nous l'avons fait.

Pour l'instant, retenons que toute formation est un changement, que celui-ci est mis en branle par un agent et qu'il s'effectue selon un ordre déterminé. Voyons maintenant comment ces principes généraux s'appliquent à la formation d'un être humain.

1.4 La formation d'un être humain

Il est certes fort utile de réfléchir aux notions de forme et de formation, mais il ne faudrait pas perdre de vue que ces réflexions doivent s'appliquer dans un cadre beaucoup plus spécifique: celui de la formation d'un être humain. Aussi, il importe de se demander: qu'est-ce au juste que former un être humain. Qu'est-ce qui est requis en vue de la formation d'un être humain?

1.4.1 La formation comme processus et comme forme acquise

L'activité de former un être humain (la formation humaine) peut s'entendre de deux façons; on peut référer soit au processus, soit à la forme acquise, résultat du processus.

Nous l'avons vu ci-haut, la formation implique une matière, une fin, un changement, un agent, un ordre et il n'en va pas autrement pour la formation d'un être humain. On considère alors la formation humaine comme un processus, lequel processus s'écoule dans le temps, et duquel processus devrait résulter une forme acquise. Par exemple, un jeune homme qui suit et se donne une formation en ballet classique pendant plusieurs années, sera un jour un danseur de ballet classique. De

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non-danseur qu'il était, il est devenu non-danseur parce qu'il avait la capacité de le devenir.

Aussi, une formation peut être considérée comme la forme acquise au terme du changement: l'état d'un être humain formé. Lorsque nous affirmons que notre danseur, au terme du processus de formation, a une

formation en ballet classique, «c'est faire allusion à une forme reçue,

c'est-à-dire ici à un ensemble de connaissances théoriques et pratiques qui ont été assimilées»1.

1.4.2 La formation d'un être humain et la matière

Comme tout être qui existe, l'être humain est un composé de forme et de matière. Préalablement à l'étude des différentes formes d'un être humain, il serait opportun de préciser ce qu'on entend au juste par

matière et ce qui, chez l'être humain, est susceptible d'être une matière

à former.

Se demander ce qu'on doit entendre par matière est une question très difficile. Certes, il ne faut pas penser uniquement aux molécules et particules élémentaires. Il faut comprendre la matière en relation avec la définition de forme retenue précédemment. Ainsi, matière (1175) s'entend comme une «forme stabilisée»2. Vers 1270, matière signifiera: «le fond indéterminé de l'être que la forme organise (...) fond naturel (d'une personne)»3.

Aussi, il semble que l'être humain, à sa naissance, est en partie un "fond indéterminé" qu'une formation ultérieure visera à déterminer. Ainsi, la formation d'un être humain s'effectue sur une matière humaine, sur l'humain en tant que matière.

Cependant, le mot matière dans le domaine de l'éducation humaine peut prendre un autre sens. En effet, la formation humaine s'effectue toujours en une matière. Par exemple, notre futur danseur se forme en ballet classique. Ainsi, matière ne signifie pas ici un fond indéterminé

1 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.48. 2 Dictionnaire historique de la langue française, p. 1205.

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demandant à être formé. Il faut plutôt concevoir ici la matière comme un ensemble de connaissances à assimiler.

1.4.2.1 Les facultés humaines comme des matières à former

L'être humain est un être de potentialités qui peuvent être actualisées. Pour faire face à la vie, l'être humain doit posséder une multitude de savoir-faire: lire, compter, interagir, cuisiner. Heureusement, les réalisations que l'être humain effectue au cours de sa vie supposent qu'il a le pouvoir de les faire. Ce dernier possède en effet les capacités lui permettant de vivre et de réaliser une multitude de choses.

Selon la définition du ministère de l'Éducation, «la personne est corps, intelligence, affectivité»1. Ce sont là essentiellement des composantes de l'être humain et certaines d'entre elles constituent des facultés. L'être humain possède plusieurs facultés, par exemple: la mémoire un pouvoir- se-souvenir, !'imagination un pouvoir-imaginer, l'affectivité un pouvoir- être-affecté, la volonté un pouvoir-vouloir, !'intelligence un pouvoir- penser, pouvoir-faire, pouvoir-agir. Par faculté, on peut comprendre: «capacité, aptitude, possibilité»2. Plus spécifiquement, selon Morin et Brunet une faculté, c'est «une capacité ou une aptitude formable»3. Aristote, quant à lui, parle en termes de puissance, laquelle signifie un «principe, en général, du changement ou du mouvement, dans un autre être, ou dans le même en tant qu'autre. -C'est aussi la faculté d'être changé ou mû par un autre être, ou par soi-même en tant qu'autre»4. On peut entendre également par faculté un «pouvoir-faire»5.

Dans ce contexte, le rôle de la formation humaine est d'assurer le passage de la puissance à l'acte, «c'est dire que la formation est comme à mi-chemin entre la puissance naturelle, (ou faculté), et l'activité. Elle est

1 Ministère de l'Éducation du Québec, L'école québécoise, énoncé de politique et

plan d'action, Québec, M.É.Q., 1979, p.26.

2 Dictionnaire historique de la langue française, p.773.

3 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.48. 4 Aristote, La Métaphysique tome 1, p.284.

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23 à la fois un certain aboutissement et un point de départ»1. Toujours selon Morin et Brunet, la formation est un «pouvoir-mieux-faire»2. Elle vient suppléer à !'indétermination naturelle des facultés humaines, elle les détermine à mieux faire ce qu'elles doivent faire. Notre jeune homme a la capacité de faire du ballet classique. La formation qu'il s'est donnée et qu'il a suivie lui permet de mieux faire du ballet classique. Son pouvoir-danser naturel (capacité de danser) s'est transformé en un pouvoir-mieux-danser et finalement, en un pouvoir-danser en acte (activité de danser). Sa capacité de danser seule ne lui permettait pas de faire l'activité de danser, elle lui permettait toutefois d'apprendre à danser pour en arriver à faire l'activité de danser de façon effective.

1.4.2.2 La formation des facultés en des matières

Comme nous l'avons mentionné plus haut, les facultés humaines peuvent être formées en des matières. Ainsi en est-il, par exemple, de notre danseur formé en ballet classique.

Les choses sont susceptibles d'être connues et assimilées par l'être humain. L’être humain qui entreprend de connaître et d'assimiler des êtres, des règles, des principes, des techniques, se forme et suit une formation en une matière. Matière est ici considérée comme une chose ou un ensemble de choses que l’être humain, par son activité, peut connaître et assimiler3.

1 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.81. 2 Ibid.

3 La connaissance humaine est essentiellement l'activité d'assimiler les choses singulières. En effet, lorsque j'ai une connaissance en acte de la tulipe X, cette tulipe ne se retrouve pas dans mon intelligence de façon matérielle. Cette tulipe X existe dans mon intelligence de façon intellectuelle, elle a pris la forme d'une idée: l'idée de tulipe. Pour la désigner, on nomme cette tulipe X: tulipe. Ce mot est un universel: il désigne toutes les caractéristiques qu'ont en commun toutes les tulipes singulières. En connaissant et en nommant, j'ai assimilé une réalité singulière, j'ai rendu semblable à moi-même cette tulipe X: «une fois assimilée -ce qui, étymologiquement, veut dire rendues semblables- les natures ou essences, ou les "ce que c'est" des choses existeront dans !'intelligence d'une façon semblable à cette dernière, c'est-à-dire d'une manière universelle, ce qui suppose une certaine "dématérialisation"». Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation

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Qui plus est, les choses une fois connues se doivent d'être organisées. En effet, la formation en une matière doit s'effectuer selon un certain ordre puisque sans cela, nous ne posséderions qu'un amas de données éparses, disparates et confuses. Ainsi, les diverses connaissances (théoriques, pratiques, sensibles) que notre jeune homme possède de la danse doivent être ordonnées en un tout cohérent pour que danse il y ait. Aussi, chaque partie du tout cohérent peut constituer une matière à connaître et chaque faculté peut être formée en plusieurs matières successivement. Par exemple, la matière (ou discipline) du ballet classique est un tout divisible en parties (ou sous-disciplines) telles l'histoire de la danse, l'entraînement physique, etc. Ces sous-disciplines sont différentes matières que le futur danseur devra connaître puis assimiler, et ce, successivement.

1.4.3 Des conditions nécessaires à la formation humaine

Bien que les facultés constituent en un sens la matière de la formation d'un être humain, est-ce là tout ce qui est requis pour que cette formation puisse s'effectuer? Il semble que non. Voyons d'un peu plus près.

Notre jeune homme est aujourd'hui un danseur étoile de ballet classique. Aussi, il n'est plus susceptible d'être formé en ballet classique en raison du fait que sa formation est déjà toute acquise. Il a acquis la forme de danseur de ballet classique, cette forme est en acte, c'est-à- dire qu'il fait l'activité de danser et qu'il le fait à la perfection. De même, si notre jeune homme souffrait de paraplégie, il serait impossible pour lui de se former et de suivre une formation en ballet classique. «Bref pour être formé dans tel sens ou tel autre, il faut ne pas l'être déjà et, surtout, être capable de l'être, jouir d'un élément potentiel, d'une certaine puissance dans sa nature»1, il faut donc être perfectible.

Pour qu'un être puisse être formé, il faut également que sa nature lui permette d'acquérir une ou plusieurs formes. On ne peut pas apprendre à une tulipe à parler. Sa nature ne lui permet pas d'être formée ni pour la parole ni pour quelqu'autre activité qui ne corresponde pas à son

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25 essence, «pour que formation il puisse y avoir, il faut une certaine ouverture au multiple, une certaine aptitude à être déterminé dans plusieurs directions»1. L'être humain, en ce sens, présente une intéressante malléabilité par rapport aux autres types d'êtres. En effet,

l'être humain peut se former en plusieurs matières et se donner une

multitude de formations: en cuisine, en astrophysique, en théologie, en arithmétique, en gymnastique, en morale.

Mais ce n'est pas tout. La formation d'un être humain requiert également qu'une multitude de facteurs soient agencés d'une certaine façon et concourent à la réalisation de cette formation. Pour que notre jeune homme puisse se former en ballet classique, beaucoup d'éléments sont requis: un professeur, un endroit pour s'entraîner, une bonne alimentation, un costume adéquat. Tous ces facteurs doivent être présents dans une certaine proportion et selon une certaine combinaison. Notre jeune homme ne se rend pas en son lieu d'entraînement en l'absence de son professeur et après s'être mal alimenté, pour ensuite retourner chez lui mettre son costume de danse en vue d'aller prendre un café avec son professeur. Dans ces conditions, il n'y aurait pas de formation en ballet classique possible.

1.4.4 La(les) fin(s) de la formation d'un être humain

Bien que la formation d'un être humain s'effectue sur les facultés humaines, en des matières et ce, en respectant certaines conditions fondamentales, en vertu de quelle(s) fin(s) cependant forme-t-on un être humain? En d'autres termes, quels principes généraux servent à orienter cette formation?

C'est l'être même à former qui indiquera l'orientation que devra suivre la formation. Ainsi, une bonne connaissance de la nature humaine est requise. Plus spécifiquement, c'est la nature humaine qui servira de critère en fonction duquel une formation sera jugée bonne ou mauvaise.

Qu'est-ce donc que l'on appelle la nature humaine? Nul ne peut nier l'expérience commune que nous avons de nous-même: celle d'être un

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26 corps, une affectivité et une intelligence. Essentiellement, la formation humaine vise à développer et à rendre effectives ces composantes.

Pourtant, ce qui semble caractériser plus spécifiquement l'être humain, c'est sa dimension intellectuelle. D'ailleurs, celle-ci constitue en fait sa différence spécifique: l'être humain est un animal doué de raison. Aussi, la vie humaine est toute empreinte de rationnalité. L'être humain possède un pouvoir-penser, une faculté nommée «intelligence» qui doit être actualisée et bien utilisée. En effet, tout ce que l'être humain entreprend de réaliser dépend, en grande partie, de sa capacité de penser et de bien penser. Même ses activités corporelles et affectives relèvent en partie de l'activité de son intelligence. Ainsi, la formation d'un être humain s'effectuera en vue de permettre à ce dernier d'utiliser son intelligence pour orchestrer sa vie et d'être raisonnable, c'est-à-dire:

fait pour‘ agir en connaissance de cause (et non pour réagir aveuglément); un être appelé à avoir la maîtrise de ses actes, et donc destiné à se déterminer lui-même, à se mouvoir par lui- même, à se posséder (et non à être soumis à des automatismes); et enfin, un être qui aspire au bonheur, qui agit pour lui-même (et non pour d'autres, qui voudraient l'instrumentaliser, l'utiliser comme une bête ou un objet) E

Une bonne connaissance de la nature humaine est donc essentielle pour orienter la formation d'un être humain. Toutefois, cette dernière doit aussi se préoccuper de ce que les êtres humains doivent réaliser tout au long de leur vie. Effectivement, il faut savoir que l'être humain doit constamment poser des actes et faire des choses. Aussi, la formation humaine s'occupe à former les facultés en fonction des actes qu'elles contribuent à accomplir. Ainsi, par la formation, les pouvoir-faire deviendront des pouvoir-mieux-faire. Mais en vue de faire quoi au juste?

Les trois prochaines sections seront employées à étudier la nature de certaines composantes de l'être humain (corps, sens internes, sens externes, puis intelligence), leurs activités ainsi que leur formation.

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27

1.4.5 La formation du corps

Le faire propre au corps est d'assurer la survie des fonctions vitales de même qu'accomplir ce que !'intelligence lui commande. En ce sens, en quoi consisterait la formation du corps humain?

Il ne semble pas que l'on puisse donner une forme, un principe d'organisation interne au corps. Celui-ci paraît plutôt bien organisé en lui-même. En effet, le corps semble se développer de façon naturelle et déterminée en suivant des mécanismes physiologiques se développant selon un certain programme prévu par !'ADN. Ainsi, en quoi le corps pourrait-il être éduqué? N'accomplit-il pas cette tâche lui-même? Pourquoi parle-t-on d'éducation physique?

Lorsqu'on parle d'éducation physique ou de gymnastique, il s'agit uniquement de favoriser le développement corporel en soumettant le corps à des commandements venant de la raison. Il serait, dès lors, peut-être plus approprié de parler de développement psycho-moteur. «Ainsi donc, et paradoxalement, la formation du corps apparaît principalement comme une formation de l'esprit en sa capacité de diriger les mouvements corporels»1.

1.4.6 La formation des sens externes et des sens internes

Les sens externes (le toucher, l'odorat, le goût, l'ouïe et la vue) sont responsables de la connaissance sensible. Ils sont parties intégrantes du corps et se trouvent sur la surface externe de ce dernier. Aussi, la formation des sens externes n'est pas tellement différente de la formation du corps en général. Les sens vaquent à leurs activités naturellement et d'eux-mêmes: le nez n'a nul besoin d'une formation pour sentir. Toutefois, la raison peut commander de cesser d'inhaler ou bien encore de se boucher le nez, mais cette activité de !'intelligence n'enlève et n'ajoute rien aux capacités naturelles des sens. L'intelligence ne peut en rien commander aux sens externes de cesser de sentir les choses sensibles. On ne peut former les sens externes à sentir ou à mieux-sentir, ils exercent cette activité d'eux-mêmes.

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28 Qu'entend-on au juste par sens internes? Les sens internes sont des fonctions associées à l'activité cérébrale, assurées par des «organes» ou plutôt par des «systèmes d'organisation» logeant à l'intérieur du corpsL Ils facilitent toutes les formes d'apprentissages. On range parmi les sens internes la mémoire, le sens commun (capacité de conscientiser nos différentes sensations), le sens de l'expérience (capacité de tirer une leçon à partir d'une multitude de souvenirs de même ordre), le sens de !'attention et !'imagination. Contrairement aux sens externes, les sens internes ne suivent pas uniquement un développement physiologique naturel. Ils sont en partie susceptibles de formation et peuvent être développés puisqu'ils présentent une perfectibilité ainsi qu'une ouverture au multiple. La raison, en commandant l'usage des sens internes, assure par le fait même la formation de ceux-ci. L'habitude y est pour beaucoup. C'est en s'habituant à être plus attentif, que le sens de !'attention s'aiguise. De même, c'est en s'habituant à retenir toutes sortes de données qu'on développe la mémoire.

De plus, c'est le développement des sens internes qui permet de diriger dans une certaine mesure l'usage de nos sens externes. Par exemple, un sens de !'attention développé permet une écoute plus attentive de la musique. Les sens internes ne permettent pas de mieux sentir mais ils dirigent l'usage des sens externes. «C'est donc uniquement dans la mesure où ils fonctionnent de pair avec les sens internes que les sens externes pourront apparaître susceptibles d'une certaine formation»1 2.

1.4.7 La formation de !,intelligence

Nous avons précédemment mentionné que l'être humain était doté d'un corps, d'une affectivité et d'une intelligence. Dans cette section, nous aborderons la formation de cette dernière faculté dite spécifique à l'être humain. Nous entreprendrons donc de définir ce qu'est !'intelligence, de comprendre son activité et d'étudier plus en détail en

1 Régis Jolivet, Vocabulaire de la philosophie, Lyon, Ed.Emmanuel Vitte, 1962. p.91 2 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.79.

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29 quoi consiste sa formation et ce, parce que !'intelligence n'est pas sans jouer un rôle important dans l'agir moral.

1.4.7.1 Une définition de !'intelligence

Le mot intelligence provient du mot latin intelligentia signifiant «"action de comprendre" et "faculté de comprendre, entendement"»1. Le mot intelligentia dérive du verbe intelligere qui signifie «choisir entre (par l'esprit)» lequel mot étant lui-même composé de inter: «entre» et

legere: «cueillir, rassembler»2. L'intelligence est cette faculté permettant

à l'être humain de connaître: «apprendre, prendre connaissance de»3 et de comprendre le réel.

À sa naissance, l'être humain possède !'extraordinaire possibilité de connaître. Toutefois, lorsqu'il arrive à l'existence, l'être humain ne connaît pas tout, en fait, il connaît bien peu de choses. Nouveau-né, notre futur danseur étoile ne sait pas qu'il faut faire le bien et éviter de faire le mal, que deux et deux font quatre, qu'il faut regarder de chaque côté de la rue avant de la traverser, que Salvador Dali était un grand peintre du 20ième siècle.

L'intelligence du petit humain étant dans un état d'immense virtualité, cette activité doit être formée pour pouvoir accomplir son activité propre. Ainsi, !'intelligence est une matière qu'une formation viendra organiser. Mais !'intelligence, parce qu'elle est aussi une faculté qui permet la connaissance humaine, sera formée en des matières. Notre danseur est donc formé entre autres en mathématique, en histoire de la danse, en français.

!.4.7.2 L'activité de !'intelligence

Selon Morin et Brunet, l'activité de !'intelligence consiste à saisir l'essence des choses, à juger du vrai et à raisonner4. Toutefois, ces

1 Dictionnaire historique de la langue française, p.1037.

2 Ibid.

3 Ibid., p.475.

4 Morin et Brunet, Philosophie d l'éducation 2: La formation fondamentale, pp.281 à

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30 activités ne s'effectuent pas en laissant la nature agir seule. Une formation de !'intelligence pourra permettre à l'être humain de mieux saisir l'essence des choses, de mieux juger du vrai et de mieux raisonner et ce, dans les différents domaines de la connaissance humaine.

L'activité de penser (évaluer, apprécier, réfléchir, méditer)1 vise ultimement à pouvoir résoudre des problèmes2, peu importe le type de problème. Notre jeune homme danseur de ballet se doit de bien penser. En effet, toute sa vie durant, il devra résoudre de multiples problèmes: alimentaires, mathématiques, psycho-moteurs.

Or, pour pouvoir résoudre les problèmes qui parsèment la vie humaine, il faut bien sûr être en mesure de penser, mais il faut également savoir juger de ce qui est vrai et de ce qui est faux. Effectivement, à quoi servirait-il de penser si nous sommes dans l'erreur, si nous aboutissons à de fausses conclusions? Il ne suffit pas à notre danseur de penser et de savoir qu'il doit s'alimenter de façon saine si celui-ci aboutit à la conclusion qu'une bonne alimentation se constitue essentiellement de croustilles et de bière. Devant un problème, qu'il soit d'ordre mathématique, linguistique, conjugal, culinaire ou philosophique, il importe de savoir chercher et de trouver les bonnes solutions. Ainsi, «une intelligence formée se distingue d'une intelligence sans formation, par une capacité plus grande de penser une réalité, de comprendre, de discerner la vérité et d'éviter l'erreur dans ce qui est proposé»3.

Pour pouvoir juger de la vérité et de la fausseté d'une chose, l'être humain doit posséder la capacité de connaître ce qu'est cette chose, son essence, sa forme. Pour ce faire, il utilise son intelligence. En effet, ce n'est ni par le corps, ni par les sens, ni par l'affectivité que l'on connaît l'essence des choses mais bien par !'intelligence. Seule cette dernière peut comprendre et expliquer les causes des choses, leurs principes puis

1 Dictionnaire historique de la langue française, p.1470.

2 Un problème est une «difficulté qu'il faut résoudre pour obtenir un certain résultat». Le Robert, p. 1785.

3 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale,

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leurs constituants. Les choses n'entrent pas et ne logent pas dans l'intelligence de façon matérielle, elles ne le pourraient pas et nous ne le pourrions encore moins! Aussi, lors du processus de connaissance, il y a dématérialisation des choses: seules leurs formes qui sont immatérielles demeurent au sein de !'intelligence. Ainsi, l'essence de !'intelligence, ce qu'elle est, sa forme, c'est d'être la forme des choses, «car !'intelligence au coeur de la fonction cognitive la plus proprement et profondément humaine est un pouvoir-être-la-forme-des-choses. Voilà pourquoi, aussi, il est si important et gratifiant de la bien former, car alors elle devient réellement un pouvoir-mieux-être-la-forme-des-choses»1.

1.4.7.3 L’intelligence théorique

Raisonner, l'acte de juger du vrai et du faux ainsi que la capacité d'être la forme des choses constituent l'activité propre de !'intelligence. Précisons que !'intelligence exerce son activité soit de façon théorique, soit de façon pratique. Aux dires de Morin et Brunet, qui suivent en cela de très près la distinction aristotélicienne2, ces deux formes d'intelligence se subdivisent à leur tour: !'intelligence théorique se diviserait en savoir-démontrer, savoir-intuitionner et en sagesse théorique, puis !'intelligence pratique engloberait le faire et l'agir.

Au terme d'une formation de !'intelligence théorique, l'être humain devrait pouvoir trouver des solutions vraies à des problèmes d'ordre théorique.

Plus spécifiquement encore, nous avons parlé de la formation de !'intelligence théorique en termes de savoir-démontrer, de savoir- intuitionner et de sagesse théorique. Mais de quoi s'agit-il au juste?

Nous venons de mentionner que l'acte de juger du vrai et du faux constituait l'activité de !'intelligence. Or, «juger le vrai, (...) c'est juger de la vérité d'une conclusion. Et ce qui donne à !'intelligence la capacité d'effectuer un tel jugement, c'est sa capacité de raisonner, de

1 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.288. 2 Sur les différentes sortes d'intelligences voir: Aristote, Éthique à Nicomaque, trad. Jean Tricot, Paris, Vrin, Livre VI, 1972.

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démontrer»1. Donc, la formation intellectuelle théorique, par l'exercice répété du raisonnement, devrait permettre à l'être humain de savoir démontrer.

Cependant, pour savoir démontrer, il est nécéssaire de savoir intuitionner. En effet, toute démonstration s'appuie sur des principes. Les principes sont des vérités indémontrables et saisissables par l'intuition, laquelle est une disposition naturelle de l'être humain. Par exemple, nul ne peut soutenir une conclusion fausse telle que «ce morceau de gâteau est plus grand que le gâteau au complet» et ce, en vertu de la vérité du principe: «un tout est plus grand que sa partie». Par conséquent, la capacité que possède un individu de juger de la vérité d'une conclusion dépendra de sa capacité naturelle à saisir la vérité ou la fausseté du principe sur lequel s'appuie la démonstration menant à cette conclusion.

Un individu qui possède à la fois le savoir-démontrer et le savoir- intuitionner possède, toujours selon Morin et Brunet, la sagesse théorique. Cette sagesse est aussi appelée métaphysique, laquelle est une partie de la philosophie. La métaphysique est une réflexion sur les principes premiers. Une telle formation ne s'acquiert ni facilement, ni rapidement. En effet, une longue familiarisation avec ce type de réflexion et avec son objet est requise pour posséder de façon actuelle la sagesse théorique. Ainsi, ce qui caractérise la formation intellectuelle théorique quant à la sagesse théorique «c'est qu'elle est un "pouvoir-mieux-voir" ce qui est premier, un "pou voir-mieux-juger-le-vrai" en rapport aux questions premières, aux fondements premiers des connaissances et de ce qui est»2.

!.4.7.4 L'intelligence pratique

Il ne faudrait certes pas négliger la formation de !'intelligence pratique; cette dernière étant aussi importante que la formation de !'intelligence théorique. Rappelons que la formation de !'intelligence

1 Morin et Brunet, Philô'sophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.325. 2 Ibid., p.329.

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pratique consiste en une formation quant au faire d'une part et quant à l'agir d'autre part. Voyons de plus près.

L'être humain, tout au long de sa vie, rencontrera non seulement des problèmes d'ordre théorique, mais surtout beaucoup de problèmes d'ordre pratique relatifs au faire et à l'agir. Or, pour résoudre ces problèmes, l'individu utilise son intelligence pratique. Par conséquent, il importe de bien la former.

Comparativement à !'intelligence théorique dont l'objet est de nature nécessaire, !'intelligence pratique, pour le faire comme pour l'agir, porte sur des choses qui peuvent être autrement qu'elles sont. Autrement dit, l'objet qu'elle considère est contingent. En effet, certaines choses n'existeraient pas si elles n'avaient pas été pensées et faites, comme pour notre gâteau qui n'était pas avant que nous ne le fassions. Également, l'être humain étant un être libre, il possède la capacité de se déterminer dans un sens ou dans un autre, d'agir d'une certaine façon ou d'une autre.

La formation de !'intelligence pratique quant au faire s'appelle art:

Pour la rendre capable de mieux voir, de mieux juger des solutions aux problèmes posés par les objets contingents qu'elle considère et en rapport auxquels elle interviendra, !'intelligence a besoin d'une formation dite pratique. Et quand, rappelons-le, cette formation a rapport aux objets contingents soumis à notre activité de formation ou de production, elle s'appelle art, au sens large où les Grecs parlaient de technê» L

Un individu qui possède un art particulier est un individu qui est capable de réaliser une chose selon des règles déterminées. Par exemple, le pâtissier possède l'art de la pâtisserie, il sait produire des gâteaux en suivant les règles (recettes, méthodes, techniques, etc.) prévues pour la confection des gâteaux. Ainsi, une formation en vue du faire vise essentiellement la production d'oeuvres. Cette formation procède par l'enseignement des techniques et des moyens utilisés pour la réalisation

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34 d'oeuvres ainsi que par l'exercice, la mise en application répétée de ces moyens et techniques1.

L'intelligence pratique, nous l'avons vu, doit également être formée en vue de l'agir humain. Car, de l'action, nul ne peut sortir. Toujours nous sommes contraints d'agir et ce, d'une certaine façon plutôt que d'une autre. Pour agir de la façon qui convient (à soi, à autrui, à la collectivité, à la situation) il faut réfléchir avant d'agir. «Un individu dont !'intelligence est ainsi formée dans le domaine de l'action est davantage capable de discerner ce qui peut être utile et bon pour lui, pour sa vie»2. Lorsqu'un individu possède cette capacité de juger de ce qui est bon pour lui, il s'assure en partie3 que ses actes futurs seront bons et contribueront à améliorer son être. Aussi, on qualifie cet individu de prudent. La prudence consiste essentiellement à savoir discerner les moyens appropriés à l'atteinte d'une fin spécifique. La formation à la prudence s'effectue de pair avec la formation de l'affectivité. C'est que l'affectivité et le jugement entretiennent des liens très étroits. Effectivement, l'affectivité influence le jugement de !'intelligence et celui-ci influence et oriente les dispositions de l'affectivité. Nous nous limiterons pour l'instant à ces quelques propos sur la prudence étant donné que nous y reviendrons plus explicitement lors du prochain chapitre.

1.4.8 Définitions de !,affectivité sensible et de !,affectivité intellectuelle (ou volonté)

Le mot Affectivité est dérivé de affectif, lui-même dérivant de

affecter, lequel vient de afficere qui signifie «mettre (quelqu'un) dans

une certaine disposition»4. Selon Morin et Brunet, l'affectivité est «la

faculté ou le pouvoir d'être affecté ou attiré par des choses, des

1 Mentionnons que la sensibilité de même que !'inspiration ajoutées à la maîtrise de techniques et de règles peuvent être mises à contribution lors de la réalisation d'oeuvres.

2 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p.318. 3 Nous verrons pourquoi la formation à la prudence est insuffisante pour assurer en totalité la moralité des actes lors du prochain chapitre.

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événements, des personnes»1. Il existerait une affectivité dite sensible, c'est-à-dire une affectivité où les affections subies, les attirances, les réactions se produisent de façon involontaire, comme lorsque nous éprouvons de la colère bien que nous ne voulions pas éprouver cette affection. L'affectivité serait constituée d'une autre partie dite

intellectuelle qu'on nomme également volonté. Le mot volonté vient de volontas qui dérive de velle lequel signifie «vouloir». Vers 1370, le mot

réfère à la «faculté de se déterminer librement à l'action, en pleine connaissance de cause, en relation avec le thème de la liberté»2. L'activité de la volonté relève en partie de !'intelligence, d'où son nom d'affectivité intellectuelle. En effet, c'est !'intelligence qui présente à la volonté les choses comme étant bonnes ou mauvaises et oriente, par le fait même, l'activité de la volonté.

Puisque la formation morale (formation de l'affectivité sensible et de l'affectivité intellectuelle ou volonté) constitue le propos du prochain chapitre, nous nous contenterons pour le moment de ces définitions approximatives de l'affectivité sensible et de l'affectivité intellectuelle.

1.4.9 Les causes de formation d'un être humain

Pour passer de la puissance à l'acte, pour qu'il y ait un changement, pour qu'une faculté acquière une forme, bref pour qu'il y ait formation humaine, nous avons vu qu'il est nécessaire qu'un agent intervienne. Ce n'est pas tout de savoir en vue de quelle(s) fin(s) on doit former un être humain, quelles formes il devra acquérir et quelles matières en lui sont susceptibles d'être formées. Il faut également connaître qui ou quoi réalise la formation humaine. En d'autres termes, il faut pouvoir identifier les causes efficientes de cette formation. Or, il semble que les causes efficientes de formation humaine soient essentiellement de deux ordres: intrinsèque et extrinsèque.

1 Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale, p92. 2 Dictionnaire historique de la langue française, p.2283.

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36

1.4.9.1 Les causes efficientes intrinsèques

On entend par cause intrinsèque un type de cause logeant à l'intérieur même du sujet en formation. Les causes intrinsèques qui relèvent de l'individu en formation et qui peuvent collaborer à cette formation sont sa nature et ses actes.

1.4.9.1.1 La nature de l'être humain

Selon Aristote, «la nature est un principe et une cause de mouvement et de repos pour la chose en laquelle elle réside immédiatement, par essence et non par accident»1. Contrairement aux êtres naturels, les êtres artificiels doivent leur existence et leur devenir à des principes qui leur sont extérieurs. Par exemple, un gâteau n'arrive pas à l'existence de par lui-même. Son existence dépend d'un pâtissier qui voulait réaliser ce gâteau et qui a orchestré les différents moyens à sa disposition en vue de le faire.

Se demander si la nature humaine peut être une cause intrinsèque de formation, c'est d'une part se demander si nous entendons par nature humaine la nature relative à l'humanité en entier ou la nature d'un seul individu et d'autre part, si cette nature humaine assure la formation des facultés en partie ou en totalité.

La nature humaine contribue à la formation à la fois pour l'espèce et pour l'individu. Pour l'espèce, par exemple, la compréhension intuitive du principe premier de !'intelligence «deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles» est naturelle à toute l'espèce humaine. De même, la nature humaine participe à la formation d'individus singuliers dans les cas de douance naturelle comme pour les individus dotés d'une mémoire exceptionnelle.

Cependant, la nature ne forme pas en totalité les sens internes, l'affectivité et !'intelligence. L'intervention d'autres types d'agents est nécessaire pour permettre à ces facultés d'atteindre leur plus haut point de perfectionnement.

1 Aristote, Physique, trad. Henri Carteron, Paris, Les Belles Lettres, 1926, t.l, II 1,

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1.4.9.1.2 L'activité du sujet lui-même

Lorsque nous avons utilisé plus haut l'exemple de notre danseur de ballet classique, nous avons fait mention que celui-ci se formait en danse. Qu'en est-il au juste de l'apport du sujet lui-même pour sa formation?

L'être humain en formation n'est pas que passif: il ne fait pas que subir l'action d'un agent sur lui. Il possède la capacité d'agir, d'effectuer des actions. Ce constat de fait comporte d'importantes conséquences pour l'éducation. L'être humain, loin d'être une pâte molle à laquelle on donne la forme désirée, joue un rôle on ne peut plus actif dans sa formation.

Le fait pour l'être humain de posséder une multitude de puissances à actualiser implique bien entendu une certaine réceptivité mais aussi une bonne dose d'activité. Les facultés humaines sont des pouvoirs-faire en partie indéterminés devant recevoir une forme: c'est en cela que réside l'élément réceptif de la nature humaine. Nous l'avons vu, bien que la nature humaine, les facultés ou pouvoir-faire constituent les conditions initiales de formation, l'activité seule de la nature humaine est insuffisante pour assurer cette formation. C'est la puissance d'agir de l'être humain qui, en concordance avec sa nature et d'autres facteurs extrinsèques1, assure sa formation. «Les actes qu'un individu accomplit font non seulement qu'il se forme mais, simultanément, qu'il est formé; ses actes peuvent réellement et concrètement provoquer chez lui une accoutumance, une habituation, et donc concourir de façon très prochaine à la formation de l'une ou l'autre de ses facultés»2.

Ainsi, parce que notre jeune homme a pris la décision de se former et parce qu'il s'est entraîné pendant plusieurs années, un nombre incalculable de fois, il possède aujourd'hui la forme de danseur émérite. Aussi, ne faut-il surtout pas sous-estimer l'importance de l'agir de l'individu pour sa formation.

p. 130. Quelques-uns de ces facteurs seront abordés dans la prochaine section.

Morin et Brunet, Philosophie de l'éducation 2: La formation fondamentale,

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