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Étude des dénominations de personnes dans le "Roman du comte d'Anjou" de Jehan Maillant (1316)

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(1)

MEMOIRE

PRESENTE

A L’ECOLE DES GRADUES DE L’UNIVERSITE LAVAL

POUR OBTENIR

LA MAITRISE EN LINGUISTIQUE FRANÇAISE

par

JEAN-YVES DUGAS

B.A., Licencié es Lettres de l'Université Laval

Etude des dénominations de personnes dans le "Roman du comte d’Anjou"v4e

Jehan Maillart (1316)

1971

(2)

"I-/Z

(3)

En terminant ce travail, nous voulons exprimer notre reconnaissance envers ceux qui, de près ou de loin, ont contribué a l'élaboration de ce mémoire.

D’abord nous tenons à remercier M. Jean-Denis Gendron qui, grâce au poste qu’il nous a offert au "Dic­ tionnaire Etymologique de l’Ancien Français", nous a per­ mis d’effectuer nos recherches dans un climat intellectuel

enrichissant et dans une sécurité matérielle indispensable. Qu'il veuille bien trouver ici le témoignage de notre pro­ fonde gratitude.

Comment témoigner notre reconnaissance envers no­ tre maître Monsieur Georges Straka pour son ardeur, sa bien­ veillante attention et son dévouement à diriger nos recher­

ches? Qu’il sache que l’enseignement qu’il nous a prodigué pendant nos années de licence a contribué à éveiller en nous un intérêt toujours grandissant pour la linguistique. Cet ouvrage veut réfléter, de bien modeste façon, les connais­ sances si vastes que le maître nous a prodiguées pendant quelques années.

(4)

TABLE DES MATIERES... ü ABREVIATIONS... v BIBLIOGRAPHIE ... vii INTRODUCTION... 1 A- Objet du mémoire... 1 B- Processus méthodologique... 3

CHAPITRE I: DENOMINATIONS DE L'ETRE HUMAIN... 11

A- Individus... 11

B- Collectivités... 29

CHAPITRE II: DENOMINATIONS GENERALES DE L'HOMME ET DE LA FEMME... 50

A- Homme... 50

B- Femme... 58

CHAPITRE III: DENOMINATIONS DE L'HOMME ET DE LA FEMME, ETRES SOCIAUX... 97

A- D'APRES LE TITRE PORTE... 98

a) Homme... 9 8 b) Femme... 155

B- D'APRES L'APPARTENANCE A UNE CLASSE SOCIALE... 166

a) Homme... 167

b) Femme... 177

C- D'APRES LA FONCTION EXERCEE .... 178

a) en général... 178

a1 ) homme... 178

(5)

b) Domaine familial... 185 b^) homme... 185 82) femme... 214 c) Domaine judiciaire... 237 c^) justice legislative. . . . 237 C2) justice exécutive... 243 C3) justice pénale... 249 1) homme... 2 49 2) femme... 253 d) Domaine religieux ... 255 d^) homme... 255 d2) femme... 270 e) Domaine militaire ... 271 f) Domaine artistique... 277 g) Domaine médical... 282

h) Domaine du travail manuel . . . 284

h^) homme... 284

femme... 287

i) Domaine du travail domestique . 290 i^) homme... 291

i2) femme... 301

j) Domaine interlope ... 301

CHAPITRE IV: DENOMINATIONS DE L’HOMME ET DE LA FEMME SOUS L'ANGLE DE LEURS RAPPORTS MUTUELS. 306 A- RAPPORTS POSITIFS ... 306 a) homme... 306 b) femme... 312 B- RAPPORTS NEGATIFS ... 319 a) homme... 319 b) femme... 328

(6)

CHAPITRE V: DENOMINATIONS DES ETRES NE POSSEDANT

PAS UNE EXISTENCE CONCRETE ... 332

CONCLUSION... 381

SCHEMES DE CLASSEMENT DES NOTIONS ETUDIEES. 389 A- Schème I... 389 B- Schème II ... 392 C- Schème III (d’après Hallig-Wartburg). . 395

LISTE COMPLETE DES OCCURRENCES POUR CHACUN DES MOTS

ETUDIES... 399

(7)

af r. = ancien français att. = attestation ca = circa cf . = conférez c.r. = compte-rendu col. = colonne éd. = édition etc = et caetera ex. = exemple

EWFS = Etymologisches WBrterbuch der FranzBsischen Sprache (Gamillscheg)

fasc. = fascicule

FEW = FranzBsisches Etymologisches WBrterbuch FS = French Studies

Gdf . = Dictionnaire de l’Ancienne Langue Française de Frédéric Godefroy i .e . = id est (C’est-à-dire) 1. = ligne MA = Le Moyen Age no = numéro nos = numéros

op. cit. = Opéré citato

P • = page

(8)

P.U.F. = Presses Universitaires de France

R - Romania

RPH . Romance Philology

RPHF = Revue de Philologie Française et de Littérature ss . = suivants(es)

t. = tome

TL = Altfranzbsisches WBrterbuch de Tobler-Lommatzsch trad. = traduit

v. = vers (un)

v. g. = verbi gratia (par exemple)

vol. = volume

vv. = vers (plusieurs)

(9)

A- LA SOURCE

Maillart, Jehan Le Roman du Comte d'Anjou édi- té par Mario Roques, Paris, Champion, Les Classiques Fran­ çais du Moyen Age numéro 67, 1931.

B- LES OUVRAGES CONSULTES

Adams, George C.S.

Baldinger, Kurt

Bênac, Henri

Words and Descriptive ternis for "Woman" and "Girl" in French

and Provençal and border Dialects, Genève, Droz, Studies in the Ro­ mance Languages and Literature

11, 1949.

Fr. Ménage. Neues zu einer alten Etymologie, ZRP 72, 1956, pp. 321-339.

Dictionnaire des synonymes, Paris, Hachette, 1956.

Bloch, Oscar et Wartburg W. von. Dictionnaire étymologi­ que de la langue française, Pa­ ris , P.U.F., 5e éd., 1968.

Brüll, Hugo Untergegangene und veraltete Worte des Franzüsischen im heutige.n Englisch, Halle, Nie-meyer, 1913.

Canard, M.

Crossland, Jessie

Essai de sémantique, le mot "Bourgeois", RPHF 27, 1913, pp. 32-47.

Prou, Preux, Preux hom, Preud' ornes, FS 1, 1947, pp. 149-156. Faral, Edmond Les jongleurs en France au Moyen

Age, Paris, Champion, Bibliothè­ que de l'Ecole des hautes études, Section IV: Sciences historiques et philologiques, fascicule 187, 2s édition, 1964.

(10)

Foulet, Lucien Sire et Messire, R 71, 1950 pp. 1-48 et 180-221; R 72, 1951, pp. 31-77, 324-367 et 479-528. Monseigneur, R 72, 1951, pp. 333-340 et 484-504.

Dictionnaire Illustre Latin -Français, Paris, Hachette, 1963.

Etymologisches WürterbUch der FranzBsischen Sprache, Heidel­ berg, Cari Winter, 2. Auflage, 1969 .

Paris, Champion, 1880 ss. gue Française et de tous ses dialectes du IX® au XVe siècle

Gougenheim, Georges Mes ch ine, MA 69, 1963, pp. 359- 364.

Etude stylistique sur quelques termes désignant des personnes dans le "Vair Palefroi" in Mé­ langes de Philologie romane of­ ferts à M. Michaëlson, Gbteborg, 1952, pp. 190-197.

Grisay A., Lavis G., Dubois-Stasse M. Les dénominations de la femme dans les anciens textes littéraires français, Belgique, Duculot, Publications de l’ins­ titut de Lexicologie française de l'Université de Liège, 1969. Hallig, Rudolf et Wartburg, Walther von. Système raison­

né des concepts pour servir de base à la lexicographie, Berlin,

2e édition, 1963.

Langlois, Charles-Victor La vie en France au moyen Sge d'après des romans mondains du temp s, Paris, Hachette, 1924.

(11)

Lévy, Raphaël Contribution à la lexicoX^gra- phie française selon d’anciens textes d'origine juive, Syracu-se University Press, 1960.

Martin, Robert Le mot "rien" et ses concurrents en français (Du XIVe siècle à l'époque contemporaine), Paris, Klincksieck, 1966.

Ménard, Philippe Manuel d'Ancien Français, 3-Syntaxe, Bordeaux, Sobodi, 1968. Morgan Jr, Raleigh Old French "jogleor" and kindred

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1953-1954, pp. 279-325.

Raynaud de Lage, Guy Manuel pratique d'ancien fran-çais, Paris, Connaissances des Langues 11, Picard, 1964.

Ribard, Jacques Un Ménestrel du XlVe siècle, Jean de Condé, Genève, Droz, Publica-tions Romanes et Françaises 104, 1969.

Stowell, William Averill Old-French titles of respect in direct address, Baltimore, J.H. Furst Company, 1908.

Thorn, Anders Christopher Sartre-Tailleur, étude de lexico-logie et de géographie linguisti-que, Lund, C.W.K. Gleerup, Lund Universitets Arsskrift, N.F. Afd 1, Bd 9, NR2, 1913.

Tobler, A. et Lommatzsch, E. AltfranzBsisches Wbrterbuch, Berlin, en cours de publication depuis 1915.

Wartburg, Waller von FranzBsisches Etymologisches W8r- terbuch, Bâle, en cours de publi- cation depuis 1922.

(12)

A- OBJET DU MEMOIRE

Lorsque nous avons pris contact avec notre sujet, nous nous proposions d’étudier la langue de Jehan Maillart dans son ensemble selon tout ce qu’elle révèle d'intéressant. Une étude plus approfondie du roman nous en a révélé la ri­

chesse sur le plan lexicologique et du même coup nous a obli-2 gé à restreindre l’extension de notre champ d'investigation. Comme nous l'avait suggéré le professeur Kurt Baldinger, qui le premier a attiré notre attention sur l'intérêt qu'offrait une étude des dénominations de personnes dans cette oeuvre, nous avons consigné sur fiches pas moins de cent quatre-vingt-cinq vocables que nous avons utilisés comme matériel lexical de ce mémoire. D'ailleurs un phénomène remarquable militait en faveur de ce sujet d'étude: en effet des quelques dix-sept personnages qui évoluent dans ce roman deux seulement, soit le messager Galopin et la mairesse d'Etampes dame MaheuLt, portent un nom; les autres sont dénommés à partir de critè­ res tels que leur rang (prince, comte, duc), leur travail

1 Dans quelques cas, et là il s'agit de distinctions qui ne trouvent pas toujours leur fondement dans la réalité, nous nous trouvons devant des traits qui appartiennent plutôt à la langue du copiste sans qu'ils soient nécessairement at­ tribuables à l'auteur. Nous touchons là le problème qui se pose à tout médiéviste qui scrute des textes en ancien fran­ çais.

2 En effet un travail de ce genre dépassait nettement les ca­ dres d'un mémoire de maîtrise.

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(parmentier, charpentier), leur lien de parenté (père, fille, cousin, tante) ou encore leur fonction (maire, prieure, éche- vin). D'où un foisonnement de termes employés en guise d'ap- pellatifs ou "d'interpellatifs" qui témoignent d'une certai­ ne virtuosité verbale, bien qu'en général on s'accorde à voir dans l'oeuvre de l'auteur du Comte d'Anjou un tissu de

len-3 teurs et de répétitions.

Nous voudrions en outre justifier une certaine par-4

tie de notre mémoire. En parcourant la table des matières, le lecteur a pu constater la présence latente de noms propres tels que Dieu, Sainte Marie, Sauveur, Saint-Esprit qui, à proprement parler, ne constituent pas des dénominations gé­ nérales mais des appellations spécifiques aux individus, et qui plus est des individus ne possédant pas d' "existence concrète", n'intervenant pas directement dans l'action. Nous tenons à en effectuer l'étude car l'élément religieux occupe une place de prime importance dans cette fresque sociale, eu égard au but même que le romancier visait: "Son roman est, dans son intention, une histoire probante, un "exemplaire"

(V. 31 et V.. 3526) profitable et qui doit émouvoir les coeurs

3 Voir en particulier Mario Roques, éd. du Roman du Comte d 'An jouvRgr%Jehan _ ^aillar.t, Paris, Champion, Classiques Français du Moyen Age no 64.1, 1931, p. XV.

Charles-Victor Langlois, La Vie en France au Moyen Age, t. 1, Paris, Hachette, 1924, p. 263.

4 Se reporter également au chapitre qui traite des formes sous-nommées.

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à bien faire". Même absents physiquement, Dieu, la Vierge, les saints et le diable vivent parmi les personnages qui in­ cessamment les implorent ou les réprouvent. Leur omniprésen­ ce, traduite matériellement par les nombreuses répétitions dans un style litanique cher à Péguy, ajoute une dimension métaphysique au drame humain. Ignorer ces noms propres,

c’est amputer sérieusement l'oeuvre d'une partie importante de sa richesse lexicologique. Nous espérons avoir réussi à motiver l'adjonction de ces termes à notre travail.

B- PROCESSUS METHODOLOGIQUE

Les études sémasiologiques ont connu les balbutie- e ments de l'enfance au cours de la première moitié du XX siècle grâce à Jo st^ r i er, à G. Ipsen et à S. ühman. Ces études théoriques ont permis aux sémanticiens de se for­ ger un instrument adéquat permettant l'exploration scientifi­ que des champs sémantiques. Quant a nous, à la recherche d'un schème de travail type, nous avons découvert l'ouvrage

r

de A. Grisay, G. Lavis et M. Dubois-Stasse qui nous est ap­ paru comme un guide sûr, basé sur une méthode éprouvée. Ce­ pendant les auteurs de cet ouvrage ont dépouillé pas moins

5 Mario Roques, op. cit., p. XIV. En outre relever les vv. 8033-8037.

6 Les dénominations de la femme dans les anciens textes lit­ téraires français, Belgique, Duculot, Publications de

l'institut de Lexicologie française de l'Université de Liège, 1969.

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de cent dix textes pour constituer leur matériel lexical alors que nous nous appuyons sur une oeuvre unique. En conséquence il nous a été nécessaire d’adapter à maintes reprises leurs principes à notre point de vue restrictif.

En ce qui a trait au classement des vocables étu­ diés un problème - de choix dirions-nous - se posait. S'offrait à nous un système de classification intégrale ré­ sultant des travaux de Rudolf Hallig et Walt*èr von Wartburg pouvant englober tous les termes existants. Mais le nombre de termes étudiés étant trop restreint et la variété inexis­ tante - une seule optique: les dénominations de personnes - , nous avons été dans l'impossibilité d'en appliquer

inté-g

gralement le schème. Le lecteur trouvera cependant en ap­ pendice un "essai" de classement selon Hallig-Wartburg. Un autre classement intitulé: "Index des mots relatifs à la civilisation et aux moeurs" a été proposé par Mario Roques à la fin de son édition du Roman du Comte d'Anjou, "pour

9

fournir des matériaux déjà sommairement classés aux tra­ vailleurs qui voudront étudier le vocabulaire français en

s'attachant aux idées exprimées et aussi aux conditions et

7 Système raisonné des concepts pour servir de base à la lexicographie, Berlin, 2e édition, 1963.

8 Par ailleurs tout classement idéologique de mots se rap­ proche plus ou moins du "Begriffssystem" car, étant don­ né l'extension de ses structures, il englobe virtuelle­ ment quasi toute forme de classification.

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aux groupes sociaux où les mots sont employés." Encore une fois nous avons renoncé à faire nôtre ce classement car il déborde très nettement les limites de notre étude, s'in­ téressant aux multiples facettes de la société décrite dans ce roman et les personnes comme telles n'occupent qu'une in­ fime partie de ce classement. En outre nous contestons cer­ tains critères de classement: nous préférons classer sous religion "chapelain" plutôt que sous "organisation féodale domestique"; "estrange" et "privé" rangés sous la rubrique "domestique" ne va pas sans nous étonner quelque peu; la section "débauche, délits et crimes" contient des termes comme "bevellr", "joueur de dez" et "truant": nous considé­ rons que boire, jouer aux dés et mendier ne constituent pas des délits ou des crimes et n'incluent pas nécessairement la débauche.

Nous proposons deux schèmes de classement l'un (schème 1) comportant les subdivisions suivantes: 1) dénomi­ nations de l'être humain, 2) l'homme et la femme, 3) l'homme et la femme, êtres sociaux, 4) l'homme et la femme dans leurs rapports avec l'autre, 5) les êtres ne possédant pas une

exis-10 Mario Roques, op. cit., p. XX.

11 Nous nous devons de signaler qu'ils ont vu le jour à la suite d'une lente maturation: ils ont fait l'objet d'un exposé systématique au cours d'un séminaire organisé par notre maître et ont été soumis à l'esprit critique de nos collègues. Par la suite nous avons repensé et réé­ valué le contenu et après maints réajustements nous leur avons donné leur forme "définitive".

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tence réelle; l’autre (schème 11): 1) l’être humain, 2) la société, 3) le travail, 4) l’armée, 5) la religion, 6) la justice et 7) la famille. Sensiblement les mêmes quant au fond, ils se différencient principalement en ce que le schème 1 tient compte de la différenciation des sexes alors que le schème 11 l’ignore; le premier système de classement débute par l'être humain pour aboutir au métaphysique selon une démarche ascensionnelle et le second système comme un ensemble de vagues concentriques cerne un groupe d'êtres de plus en plus restreint, de l’être humain à la société fami­ liale: le qualitatif et le quantitatif, le générique et le spécifique servent de base initiale à l'organisation de no­ tre classification. Dans chaque sous-catégorie nous avons réparti les termes non alphabétiquement mais idéologique­ ment - en cela nous demeurons fidèle à Hallig et Wartburg

selon un rythme décroissant allant de l'être le plus "im­ portant" au plus "obscur", du plus grand nombre d'individus â la communauté la plus restreinte sinon à l’individu.

Chaque mot a fait l’objet d'une étude particulière aussi exhaustive que possible. Dans un premier moment nous dégageons le sens du mot de façon générale et de façon par­ ticulière. Le sens afférent au passage précis étudié se dé­ gage de l'étude du contexte qui nous révèle les éléments de seconde zone contenus dans la signification du terme.

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Pré-cisément à ce stade, se pose le problème de l’accidentel et de l'immanent, c'est-à-dire devons-nous retenir un sens par­ ticulier qui se greffe accidentellement à un concept? Pre­ nons un exemple: lorsque le roi de France résume le drame du comte de Bourges,

Certes, vous devez bien haïr, Fet il, toute la criature Qui a mise paine ne cure

A vous cest annui procurer. (v. 6867)

Tout le mépris qui entache le terme "criature" ne fait pas partie de son essence mais provient du fait qu’on l'applique à une personne foncièrement méchante. Notre attitude se si­ tue à un niveau moyen: nous ne pouvons écarter délibérément cet aspect du vocable, mais fonder notre étude sur cette seu­ le particularité serait faire fausse route. Il faut donc distinguer trois plans: un aspect diachronique (créature en général), un aspect synchronique (la créature en tant que "réalisée" dans tel ou tel personnage du roman) et un aspect momentané (la créature méchante). Fait suite à l'étude du sens précis apparaissant dans le passage, les considérations - s'il y a lieu - sur l'évolution du terme i.e. si la si­ gnification s'est dégradée (par exemple "dame") ou a presque disparu ("sire" appliqué au mari) à la lumière de facteurs sociologiques, philosophiques, culturels ou autres.

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Pour reconstituer la fiche sémantique de chaque vo­ cable nous avons eu recours à différents instruments de tra­ vail qui ont servi de base à l'identification des divers

sens. En particulier, nous avons utilisé trois dictionnai­ res qui font autorité - à un degré variable - dans le

do-12

maine de l’ancien français soit le FEW , le Tobler -

Lom-13 14

matzsch et le Godefroy . Grâce aux renseignements que nous y avons puisés, nous avons pu établir le sens général

en tant que l’ancien français était concerné - du mot étudié. Ensuite par une étude serrée du contexte - décri­ te plus avant - nous avons déterminé avec autant d’exacti- tude que faire se pouvait le signification précise au XIV siècle et plus particulièrement dans le Comte d'Anjou. Dans quelques cas sporadiques il nous a été loisible de reculer la date d’apparition d’un terme signalé par le FEW qui n'a dépouillé en général que les glossaires: par exemple "famé de joie" dont on note l'apparition en 1660, existait déjà depuis 1316, de même pour "gent d'armes" dont nous avons ra­ mené la date d'apparition de ca 1360 à 1316. Dans la plu­ part des cas cette consultation doublée d'une étude de l'en­ tourage contextuel du mot ont suffisamment éclairé le sens

12 FranzBsisches Etymologisches WBrterbuch, Bâle, en cours de publication depuis 1922.

13 AltfranzBsisches WBrterbuch, Berlin, en cours de publi­ cation depuis 1915.

14 Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, Paris, Champion, 1880 ss.

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du terme.- Pour certains termes particuliers nous avons uti­ lisé des ouvrages spécialisés pour élucider quelques aspects spéciaux: ainsi pour ménestrel, dame, parmentier etc.; ces travaux seront signalés en leur lieu et place.

Avant de clore cette introduction, nous voudrions porter à l'attention du lecteur ces quelques réflexions de Jean Ribard: "Il est, dans notre littérature médiévale une période relativement mal connue, volontiers négligée, une manière de moyen âge du Moyen Age. La première moitié du XlVe siècle \.. se présente en effet, à tous égards comme une période de transition. A la charnière de deux grandes époques historiques ... on y voit la littérature, comme la langue d'ailleurs, hésiter et se chercher." Nous pou­ vons les appliquer mutatis mutandis à notre roman où la lan­ gue reflète cet âge entre deux âges avec tout ce qu'il com­ porte d'évolution, de fluctuation, d'approximation. Nous saisissons â travers le sens des dénominations de personnes la"dégradation" progressive du vocabulaire du "grand siè­ cle" 17 que fut le XIIIe. Nous espérons avoir apporté une contribution - bien humble nous le reconnaissons - à la connaissance de la langue du début du XlVe siècle et plus spécifiquement de celle de Jehan Maillart bien que les

limi-15 C'est nous qui soulignons.

16 Un ménestrel du XlVe Jean de Condé, Genève, Droz, Publi­ cations Romanes et Françaises 104, 1969, p. 11.

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tes extérieures imposées à notre mémoire nous aient empêché d’effectuer le travail que Mario Roques appelait de ses voeux: "La morphologie, la syntaxe et

18

de l’oeuvre de Jehan

le style et surtout

le vocabulaire Maillart, avec sa

da-tation précise, mériteraient une étude que notre édition ren-dra possible". 19 Du moins sommes-nous heureux d'avoir dé­ friché un sentier de l’oeuvre maillartienne et espérons-nous plus tard procurer l’étude complète souhaitée par l’éditeur du Comte d’Anjou.

18 C’est nous qui soulignons. 19 Op. cit., p. XX.

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DENOMINATIONS DE L’ETRE HUMAIN

A- INDIVIDUS:

Dans l’éventail des termes qui servent à désigner l’être humain il s’en trouve certains qui présentent une signification si générale qu’il devient parfois difficile si ce n’est dans quelques cas impossible - de saisir toute la richesse signifiante du concept évoqué. Cet état de choses résulte du fait que le champ sémantique des déno­ minations auxquelles il est fait allusion (témoin: "âme",

"créature", "enfant", etc.) englobe des éléments qui, tout en participant à la dominante sémantique générale du champ, constituent à eux seuls ce que j’appellerais des "micro­ champs" doués d'une autonomie relative par rapport à l'en­ semble. Ce que l’on peut traduire par le schéma suivant:

(23)

Par conséquent il nous faudra utiliser avec prudence le ma­ tériel lexical fourni par Jehan Maillart et tout particuliè­ rement les termes qui font l’objet de la première partie de notre travail. C’est pourquoi l’étude du contexte sera ca­ pitale car nous y découvrirons les valeurs sémantiques "mar­ ginales", les zones secondaires du sens principal, les nuan­ ces affectives ou péjoratives qui viennent se greffer au mot pour en constituer la riche complexité.

AME

Ce terme employé fréquemment avec une coloration religieuse et philosophique (cf. l’expression "corps et âme") sert à désigner également "une personne, un individu, une personne qui que ce soit" (Gdf. 8, 100b; FEW 1, 97b). C’est précisé­ ment ce sens du personnel indéfini, quelqu’un qu’on ne con­ naît pas, qu’il revêt dans le passage suivant de notre roman:

"Grant pieche vont qu'ame ne voient Et que d ’ ame ne sont vellez,

Tant qu’a un hamel sont venuez (sic) ." (vv • 1056-3057)

On peut déceler dans âme la nuance de "pas un être vivant, pas un individu quel qu’il soit" : sens "exclusif", prohibitif ab­ solu. Ce terme équivaut à la négation forte "personne".

RIENZ NEE

Nous relevons dans notre roman deux occurrences du mot nee désignant une personne, "créature" (Gdf. 5, 483a) et dans les

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deux cas le terme rienz forme corps avec nee, structure que nous pouvons expliquer de la façon suivante: rien vient ren­ forcer la négation personnelle au sens de "pas un être au mon­ de" (négatif), "âme qui vive" (positif). Les deux termes sont indissociables:

«Fille, fet il, n’aiéz paour, Quer, par celi Dieu que j'aour, Je vous aime plus que rienz nee,

Et si vous dirai ma pensee..." (v. 339)

"Car orendroit a retrouvée La rienz qui soit u monde nee

De qui veoir ot plus anvie..." (v. 6276)

Un autre exemple de nee au sens de "personne" nous est four­ ni au v. 4366 (voir supra p. 15): criature nee signifie être qui existe, qui soit au monde et présente une grande affinité avec rienz nee bien que cette dernière expression jouisse d’une unité, d’une cohésion supérieure à "criature nee" .

PERSONNE

Personne : "individu, homme ou femme; individu de l’espèce humaine" (FEW 8, 268b; Gdf. 10, 323c). Ce mot désigne

quel-1 "Ne... homme qui soit nez", "ne ... personne" (FEW 8, 21a) "rien ou chose nee", "kein sterblicher Mensch" (TL 6, 490, L. 25) "rien nee", chose, personne qui existe (Gdf. 7, 190a) Voir Robert Martin, Le mot "rien" et ses concur­ rents en français (Du XIVe siècle à l'époque contemporai­ ne) , Paris, Klincksieck, 1966, p. 190-191.

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qu’un quelqu'il soit:

"Mez il ne set quant mengera Ne se personne trouverra

Qui de son pain donner li veille." (v. 5354)

"Aus enclos conte la maniéré

Comment li dus congiê leur donne D'envoier aucunne personne

Qui leur estât die et raconte

A ceulz que tient enclos le conte..."(v.7274)

Par contre ce terme peut aussi servir à désigner un individu dans ce qu’il a de plus caractéristique ("particulièrement ce qui constitue la personne même"5£Gdf. 10, 323c), ce qui constitue son propre, son "ipséité" pour employer un terme de philosophie:

"Souvent par grant humilité

Les sert en sa propre personne.,

Leve lez piéz, l’argent leur donne..." (v. 8013)

"Si prieréz pour ma personne Et pour mon pere..." (v. 6742)

"Quer n’i ot homme de parage, Ne dame qui fust prouz ne sage, A qui li quens jouel ne donne

Selonc l’estât de sa personne:

Henas, chaintures, aumosnieres... " (v. 3018)

Cette caractérisation de l’individu s'accompagne du posses­ sif "sa" (voir aussi v. 3581) ou "ma" indiquant la personne dont on parle ou celle qui parle. Les équivalents sémanti­ ques de ces expressions s’énoncent comme suit: "elle-même"

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pour le premier exemple; "moi-même" pour le second et "l’in­ dividu considéré en lui-même" pour le dernier.

CRIATURE

L'entourage contextuel de ce mot, qui se présente comme fort révélateur, nous permet de distinguer nettement deux "tendan­ ces" sémantiques: l'une généralisante, l'autre particulari-s ante.

Ainsi cette dénomination revêt-elle d'abord le sens d' "être que Dieu a créé" (Gdf. 9, 241c; FEW 2^, 1297|), d' "être hu­ main" (en général) (FEW 22, 1297b):

"Car obaïr doit par droiture

Au criateur sa criature." (v. 2806)

"Nostre Sirez en soit louéz!» Li proudons respont a droiture:

«Amen, suz toute criature..." (v. 6500)

"Ce que quens vous ait espousee, A criature qui soit _nee_

Ne diréz en nulle maniéré

Tant vous en demant ne enquiere."> (v. 4366)

A remarquer au vers 4366 l'expression criature...neei le terme nee vient en quelque sorte renforcer le sens de cria­ ture en mettant l'accent sur l'existence concrète de l'indi­ vidu. Ce "syntagme" remplit le rôle d'un superlatif négatif.

(27)

Or tout en gardant un champ d’application relativement ex­ tensif, le mot criature est employé par Maillart a) soit pour désigner la comtesse d’Anjou, b) soit pour désigner

3

son fils, le fruit de sa grossesse, c) soit encore pour désigner l’un et l'autre personnages.

a) "Au norrir mistrent grant entente, Quer molt fu de belle fecture Et jjrjicjtejuse^ criature." (v. 96)

"Qui tant estoit bel a devis Que nus, tant se sache aviser, Ne savroit chose deviser

Qui puist enbellir criature

Qu'en son cors n’ait tout mis Nature."(v.233) .

b) "Lors se prent li quens a escrire Et mande molt estroitement

C'on li garde soigneusement La dame et celle créature

Dont elle a fet la por tellre . . •" (v . 3589)

"Que la contesse est agette

D'un fi.lz_£ mes onques mes velle Ne fut pluz belle créature

De cors, de membres, de fecture

Et de quanqu'anfes doit avoir." (v. 3235)

c) "Trop par sera ci grant dommage S'occions cez deus criatures

Qui tant sont de belles fectures..." (v. 5125)

3 Cf. vv. 4408, 5168.

4 Même si dans ce cas "filz" et créature sont rapprochés l'un de l'autre, le dernier terme insiste sur le côté "être humain" de l'enfant plutôt que sur son aspect fi­ lial.

(28)

"Voulez vous livrer a martyre

Deus criatures sanz dessertes?" (v.4145)

Pour confirmer davantage ce sens d’ "être humain" examinons le passage suivant:

"Et que n’a pas esté delivre De droite humaine criature, Mez d'une trop laide figure, Noire et velue, qui a teste

D'ours ou de chien ou d’autre beste, Que famés n’osent atouchier" (v. 3407)

L’auteur veut insister en adjoignant l’adjectif "humaine" à criature, ce qui en regard des exemples précédents peut appa­ raître comme une redondance; et de plus il oppose violemment criature à "beste" et tisse un véritable réseau verbal autour de la notion de "beste" ("laide figure; noire; velue; ours; chien"): le résultat obtenu a pour effet de faire ressortir encore plus nettement le sens de criature.

Si l'on scrute davantage les exemples consignés ci-haut, on constate qu’un halo "mélioratif, laudatif" entoure criature

(cf. "gracieuse criature", v. 96; "enbellir criature", v. g

233) pour le douer d’une charge affective: une créature, dans notre contexte, répond à l’idée de quelqu’un(e) de bon, de beau, d’agréable, qui est sans défense (cf. v. 4145, 3839, 4797) et qui attire la pitié ou l’admiration.

5 Aussi v. 4797.

6 Egalement "criatures ... de belles fectures", v. 5125; "belle créature", v. 3235.

(29)

Pour être complet il faut mentionner une attestation du mot criature pris dans un sens péjoratif, ? sous-entendant l’idée de quelqu'un de cruel, de méchant, de vilain. Il s'agit du passage où le comte de Bourges a raconté au roi de France, son cousin, toute la "forfecture" de la comtesse de Chartres, responsable de l'abominable machination dont il a été la vic­ time :

^Certes, vous devéz bien haïr, Fet il, toute la criature Qui a mise paine ne cure

A vous cest annui procurer." (v. 6867)

En somme ce concept signifie fondamentalement "être créé, être humain" tout en oscillant - en tant que notre ouvra­ ge est concerné - entre deux pôles: l'un collectif, neu­ tre, et l'autre individuel, affectif, soit en bonne ou mau­ vaise part.

HOMME

g

"Individu appartenant â l'espèce humaine (FEW 4, 453b), mammifère bimane, doué de raison et qui tient par suite le

premier rang dans les êtres organisés" (Gdf. 9, 763b). Voilà

7 Encore qu'il faille considérer que l'idée se trouve dans le contexte et non dans le mot.

8 Cf. L'opposition révélatrice homme/beste:

"Le temps s'eschaufe, lez biens nessent, Qui hommes e bestes repessent

Selonc leur disposition." (v.7002)

Voir les vv. 426, 883, 908, 909, 914,964,1580, 1593, 1609, 1614, 1901, 2056, 2677, 3085, 3417, 3502, 3516, 3555, 3895, 5763, 6012, 6484, 6512, 7223, 7292, 7466, 8092, dans les­ quels le même sens apparaît.

(30)

comment les grands dictionnaires définissent la notion g

homme . Nous en trouvons une illustration dans les vers suivants:

"Et sachiez plus est uns hons dignes, Humble, charitable, bénignes,

Net de cors et de bonne entente..." (v. 247)

"Onques mes homme n’ama si Con cilz fet deshonnestement, .Qui. ver.s_s a_ .fille. £^ro.p r_emen t,

Couvoite a avec li gésir..." (v. 292)

"Sente ne voie n’ont trovee,

Qui de cors d'omme soit hentee..." (v. 866)

L’indétermination générale cède parfois la place à une dé­ signation plus particulière: même si le mot garde une con­ notation d’indéfini, il dénote une certaine caractérisa­

tion; à tel point qu’on peut identifier l’individu ainsi dénommé homme, tel Adam qui:

"Par l’ordenance au roy celestre Qui juja qu'aussi con par 1'omme,

Qui menja de la sure pomme ..." (v. 957)

tel le comte d'Anjou:

"Mes uns mauv.és hons nous mut guerre, Qui, par force et son hauçage,

Vouloit avoir a mariage

Ma fille, que vous ci veéz..." (v. 1306)

vv. 2623, 2833, 5780, 5925, 6421, 7105.

Notons que la caractérisation n'est pas fournie pa omme lui-même mais par le vers suivant.

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(31)

"Quer ne vouloient consentir

Ceste chose a un_pois.san_t homme". (v. 1789)

ou tel le valet du comte de Bourges:

"La dame vient isnelement;

Quant 1 * omme ^sjtranj*e_ a perçell... (v. 2403)

L’auteur marque un souci particulier d’accompagner le ter­ me homme de qualificatifs qui traduisent la méchanceté, la puissance ou la non connaissance: ceci pour étoffer le substantif qui, par emploi fréquent, a besoin de spécifi­ cation dans un cadre donné, et pour personnaliser l'indi­ vidu ainsi dénommé.

Au Moyen Age les chemins n'étant pas toujours très sûrs, il était prudent de se faire accompagner dans ses déplace­ ments d'hommes d'armes prêts à défendre en cas d'attaque

celui ou celle dont ils devaient protéger la personne. Ainsi homme dans notre roman revêt sporadiquement la signi­ fication de "garde", "soldat" qui sur la route comme au château prête une aide militaire.

"Il nos couvient de ci embler Encore nuit du premier somme^

Que ceenz ne veillera homme ..." (v. 582)

11 Voir en outre les vv. 742, 7512, 7546, 7562.

12 De prime abord on croirait qu'homme signifie ici "per­ sonne" mais les vv. 690 et suivants nous incitent à croire qu'il s'agit plutôt d'hommes d'armes faisant le guet et assurant la garde des habitants du château plongés dans le sommeil.

(32)

"Et nous deus famés seules sommes, Que n’avons ne s erj ans ne hommes

Qui vieignent avec nous ensamb le... " (v. 1216)

Parfois voulant appuyer sur le côté fort, mâle de l’homme notre "poète" oppose au mot homme des termes qui font res­ sortir ces derniers aspects synthétisés comme suit par FEW

13

"mâle adulte du genre humain" (4, 453); ainsi homme voisine avec "Dieu" "enfant", "femme" et signifie être hu­ main, adulte et mâle, individu du sexe masculin.

"Mes tant estoit grande l’offense Que, si comme je croy et pense, Purs hons ne la petlst pas rendre, Pour ce couvint il I)ie_u descendre De sez souvrains sieges des cieps... Et vesti nostre humanité ..." (v• 967)

<<Ha! filz dous, criature gente,... N’a pas dis jours qu'estes en terre

Et si fors hons vous muet ja guerre(v.4416)

"Et va cerchant de cha en cha La ou les famés sont rengiez:

Des hommes n’a nulles anviez..."(v. 5694)

Dans la perspective du couple, homme opposé à femme présen­ te le sens de mâle mais signifie surtout époux, mari en tant que considéré en regard du conjoint.

"Car, si comme dit l’Evangile, Homme et f.ajne qui sont lïëz

13 Voyez également vv. 1268, 1945, 2011, 2660, 2833, 3015, 4236, 5739, 6194, 6265, 6287, 6288, 6790.

(33)

Par Sainte Yglise et mariez Sont une char tant seulement

Par la vertu du sacrement." (v. 6453)

14 Un des sens les plus répandus du mot homme est "vassal" i.e. "celui qui dépend d’un autre et qui appartient à un autre" (Gdf. 4, 488b; FEW 4, 453b). L’appartenance la plu­ part du temps est soulignée par la présence des possessifs "ses", "mes" (ex. v. 6964).

"Quer trop li par seroit honteuse S'avec sa famé demouroit

Et sez hommes ne secouroit." (v. 3108)

"Que le conte par son lignage, Par sez hommes et par sa force,

La praigne, et puis vive 1 ’ escor ce ... " (v . 6929)

"Au plus tost qu’elle peut s’avance, Sez homme s et sez fievés mande, Aide et conseil leur demande

Pour garder son cors et sa terre." (v. 7061)

Enfin Maillart adjoint à homme différents termes qui en pré­ cisent la notion: ainsi "gentilz", "hault", "lige", tous lau­ datifs qui expriment des aspects divers, variés de la nobles­ se foncière du personnage.

"Gentil" évoque l’idée de bonne race, noblesse, vaillance, générosité: qualités du coeur et du sang:

14 Ce sens apparaît en outre dans les vv. 3118, 3127, 3689, 6790, 6807, 7011, 7967.

(34)

"Li chevalier par cha par la Furent es chambres ostelêz. Molt a li quens bel apeléz

Lez gentilz hommes et lez dames..." (v. 2353)

Tandis que "hault" met l’accent sur la richesse matérielle et la noblesse, la fierté caractérielle soulignée par "si":

"Quer a grant merveille li semble

Que si haulz hons prendre la doie..."(v.2789)

"Que maintenant a commandé Que sanz delay soient mandé Tuit si baron et si hault homme

Dont il avoi t unne grant somme."(v. 6973)

Alors que "lige" se dit "en parlant d'un vassal qui a pro-mis à son seigneur la fidélité sans restriction" (FEW 4, 453b):

"Et nous, qui ci assembléz sommes,

Sommes tretous vos liges hommes..."(v. 6820)

"Sire, di li quens, or vous pri ge, Si con je sui vostre homme lige, Qu’a droiture m’en conseilliés

Et briement soiéz conseilliés. "(v. 6884)

ENFANT, ENFANCHON

En ce qui concerne l’emploi d'enfant on peut distinguer trois aspects sémantiques soit: 1) "Celui qui est dans la première partie de la vie humaine; garçon ou fille en bas âge"

15 Voir aussi vv. 3276, 4201, 4211, 4222, 4224, 4263, 4264, 4273, 4289, 4469, 4508, 4602, 4816, 5008, 5169, 5174, 5177, 5186, 5188, 5199, 5516, 5535, 5844, 5849, 5890, 6503, 6564, 6604, 7950, 7954.

(35)

3) "Etre jeune" (ici jeune fille). (FEW 4, 660a).

1) "...: mes onques mes veüe Ne fut pluz belle créature

De cors, de membres, et de fecture

Et de guanqu * anf es doit avoir."(v.3237)

"Quant ving au puis pour 1'1 empaindre, Onques ne veïs feste graindre

Faire a enfant de tel aage..." (v.4243)

2) "Quer je sai bien certainement C’onques n’ama plus tendrement

Pere enfant que vous moi feïstes..." (v. 783)

"Hé! Mort, vien moi tolir la vie,

Ainz que mon. enfant morir voie . . "(v. 3 847 )

"Mes de moni enfant qu’avendra?" (v. 3869)

Pour marquer l'appartenance de façon plus étroite, notre au­ teur accole souvent au vocable enfant, le possessif "mon"

(vv. 3197, 3832, 3835, 3847, 3869, 3982, 4061, 4189, 4459), ou "vostre" (vv• 4213, 4549), ou "son" (vv. 3197, 3946, 4405, 4439, 4443, 4459, 4941, 4988, 5095, 5222, 5936), ou "nostre" (v. 6073). De plus les termes "pere" (v. 783), "mère" (vv. 4078, 4091, 5166, 5946...), "bannie" (v. 4405), "famé" (vv. 3197, 4988, 5509, 5535, etc...), "dame" (vv.

16 Voir de meme vv. 1232, 3051, 3887, 3943, 4434, 4474, 4654, 4662, 5210, 5509, 5956, 6017, 6225.

(36)

3887, 4211 etc.), "comtesse" (vv. 5008, 5095, 6017 etc.), "meschine" (vv. 3051, 4474 etc.), voisinent immédiatement avec le mot "enfant" et marquent de façon plus "éclatante" le lien qui unit surtout la comtesse d’Anjou à son fils.

3) Notre attention est retenue par un sens spécifique du mot enfant dont un exemple unique nous est fourni au v. 257:

le diable a jeté son dévolu sur la jeune comtesse d'Anjou qu'il veut enflammer d’une passion incestueuse "par maint enging":

"Ouéz que fist li anvleus

Qui de mal faire est curïeus: Ce do_us enfant voit et avise

Qui en Dieu ot s’entente mise..."(v. 257)

Le contenu sémantique d'enfant dans ce cas se voit ajouter la nuance de "jeunesse" sans désigner particulièrement le premier âge de la vie. En effet l’être qu’il sert à repré­ senter n’est quand même plus une très jeune enfant mais une jeune fille. Le mot sous-entend les qualités inhérentes à cet âge: innocence, candeur, naïveté, mais qui constituent aussi des inconvénients pour 1' "anvïeus": abandon total, vulnérabilité, besoin de protection que Dieu assure à la jeune fille.

Si nous prenons en considération, dans ce passage, le vers qui suit et ceux qui précèdent, nous remarquons la présence

(37)

de Dieu et du diable, ce qui nous plonge dans un contexte religieux. Or une expression fréquente a cours en ce do­ maine: "enfant de Dieu": Dieu étant considéré comme le générateur de la race humaine.

Le diminutif enfanchon, petit enfant par sa structure même (adjonction du suffixe -"chon") traduit l’extrême jeunesse de l’être qu’il représente. Le jeune bébé, être fragile, est source pour ses parents de bien du souci et aussi de bien de la joie: toute leur tendresse inquiète (v. 5870) ou exultante (v. 5951) se cristallise dans le vocable en -fanchon!

"Quer de la famé li souvint... Et qui si se desconfortoit

Pour 1' enfanchon qu’elle portoit..." (v.5870)

"Molt li fet joieuse acointance,

La mere et puis 1'enfanchon baise."(v. 5951)

FRUIT

Ce terme désigne expressément - dans l’unique attesta­ tion apparaissant dans le Comte d'Anjou - "l’enfant que la mère porte dans son sein" (Gdf. 9, 670a; FEW 3, 826a)^^

17 Le FEW ajoute "terme religieux et poétique", a rappro­ cher d'expressions religieuses telles que "le fruit des entrailles" (Ave Maria) et le "fruit de ton sein" (Luc, 1, 42). Voir sur ce sujet, 0. Bloch et W.Vif' Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, P.U.F., 5e éd. 1968, p. 279b.

(38)

et lorsque naît le fruit de la conception, on le dénomme enfant, fils ou criature ou porteüre♦ Le comte de Bourges devant combattre "un hault baron de sa terre", confie sa femme enceinte au bon châtelain de Lorris en lui recomman­ dant :

"Gardez par vos lectres m’apere

L'estât du fruit et de la mere..."(v. 3176)

PORTEURE ET PORTEE

Si fruit caractérise le foetus humain en tant que logé dans 18

l’utérus maternel, par contre porteüre ou portée s’appli­ que au "fruit de l’enfantement, aux enfants, aux petits",

(Gdf. 6, 318a; FEW, 9, 206b) en tant qu’existant concrète­ ment à l’extérieur. En l’occurrence ce vocable sert à nom- mer la progéniture de la comtesse d’Anjou, appartenance signalée d’ailleurs par la présence du possessif "sa" dans

20 la totalité des exemples.

"Qui veult que on sa famé garde Et ne mande pas que l’en l’arde

18 Nous n’avons pas cru bon de faire un paragraphe distinct pour portée qui dans le cas qui nous occupe, présente un sens similaire à porteüre et désigne comme ce dernier terme le fils de la comtesse.

19 Nous relevons également au v. 3590 le terme porteüre au sens de portée, "action de porter" (Gdf. 6, 318a):

"Et mande molt estroitement C ’ on li garde soigneusement La dame et celle créature

Dont elle a fet la porteüre♦.."(v. 3590) 20 Voir vv. 4809, 4849.

(39)

Et qu’en getast s a por tellre

En unne orde privée obscure." (v. 3657)

"Que ma famé, qui si guilê M'a et honni et avilë,

Et sa portée geferont

En un viéz puiz qu'il trouveront

En la forest que vous gardez." (v. 3697)

"Mourra ainsi contre droiture Ceste dame et _sa portellre

Qui encore ne puet pechier?" (v. 4024)

Ainsi l'ensemble des termes que nous venons de traiter pos­ sèdent la caractérisation suivante: la possibilité d'être applicables soit à l'homme ou à la femme. En réalité la plu­ part s'appliquent à des individus de sexe masculin. Dans l'ensemble ils constituent des mots neutres, à l'exception d'enfanchon qui par sa structure même traduit un élément af­ fectif et de criature qui en vertu d'un entourage contextuel particulier, se place dans une zone péjorative momentanée. Ces considérations font ressortir que les vocables étudiés portent en eux-mêmes fort peu de renseignements particuliers sur la langue de l'auteur et ils ne permettent pas de tirer des conclusions valables sur le vocabulaire de Maillart. La deuxième partie de ce chapitre apportera quelques lueurs que confirmera l'étude des termes du chapitre second.

(40)

B- COLLECTIVITES

BARNAGE

Etroitement lié à baron dont il dérive, barnage exprime une collectivité: "une assemblée de barons, un corps de barons" (Gdf. 1, 387; FEW 1, 255a).

"Car li quens est de mon lignage; Si voudré nés que mori barnage Li aïst, s’il le veult requerre, A fornir et mener sa guerre

Contre la desloial contesse... " (v. 6940)

"Tantost son grant conseil assemble Et sez grans barons tous ensemble;

Grans fu et nobles 11 barnages."(v. 7715)

"Bien ont entendu lez messages

Li roys et tous sez &rans barnages ... " (v. 7740) 21

Comme pour le terme baron ; incidence guerrière (v. 6940), sens comportant la noblesse ("sez grans barnages nobles",

v. 7715 et 7740) et le lien de dépendance ("mon", v. 6940; "sez", 7740).

PUEPLE

On a souvent attaché au mot pueple une valeur péjorative prétextant qu’il groupait l’élément le moins brillant d’une

(41)

société. Or nous notons un exemple, tiré du Comte d’Anjou dans lequel pueple représente "les habitants d’une même ville, d’un même village" (Gdf. 10, 445a):

"-Dame, or ne vous desconfortéz, Font elles, ainz vous deportéz. Par tens lever vous couvendra, Quer li pueples vous atendra

Pour vous au moustier voir venir."(v. 2980)

Cette conversation relate les paroles de la châtelaine de Lorris et de la mestresse de la comtesse de Bourges qui en­ couragent leur jeune suzeraine au lendemain de la nuit de noces et qui lui signalent qu'elle devra affronter le peu­ ple. Nous voyons les sujets du comte de Bourges participer officiellement à la vie "privée" de leur maître.

L’expression pueple commun s'applique à "l'ensemble des ha­ bitants d'un pays qui n'appartiennent ni à la noblesse, ni

à la haute bourgeoisie" (FEW 9, 178a):

"La truevent si grant assemblée De genz et de pueple commun

Qu'ainsi bien cent milliers corn un En veïssiez illec actendre

La fin que maintenant doit prendre La confesse maleUree." (v. 7823)

Commun met l'accent sur l'origine très humble des personnes et exprime un tantinet leur vulgarité (le bas peuple). L'ex­ pression attestée une première fois en 1538 (FEW) seulement, l'était bien auparavant chez Maillart.

(42)

GENT

Ce terme est d’une incontestable richesse mais on n’a pas toujours su en faire ressortir les différents aspects.

Gent sert d’abord à désigner un "nombre indéterminé de per­ sonnes prises collectivement" (Gdf. 9, 694a; FEW 4, 106b); il s’emploie dans un sens très général lorsqu’on ne veut pas ou on ne peut pas distinguer les individus, les "per­ sonnaliser".

"Et sont dolens et maz et triées;

Onc genz si dolenz ne veïstez." (v. 1644)

"Et sachiéz, se vous i fussiéz, Que d’illec ne vous mellssiéz

Pour genz veoir ne festoier..." (v. 2497)

"Lez genz viennent de toutes pars; Par la ville se sont espars,

Qui miex miex se sont osteléz." (v. 2825)

Outre l’idée de pluralité d'individus, le mot gent tout en gardant cet aspect de collectif représente "une personne, un individu" (Gfd. 4, 261c; FEW 4, 106b): ce qu'il faut en­ tendre dans le sens d'un être considéré individuellement à travers le collectif. Ce qui est commun au sens précédent c'est l'aspect indéterminé, non-défini dévolu à ce terme. Il signifie sensiblement: n'importe quel être, individu ou

22 Voir en outre les vv. 18, 124, 1156, 1284, 2329, 2375, 2825, 3950, 4448, 5273, 5426, 5429, 5497, 5648, 5795, 6085, 6381, 6420, 6588, 7053, 7669, 7823, 7996.

(43)

quelqu’un qu’on ne veut pas nommer.

"Lors acordent un propos tel Que joiaux et or et argent Porteront avec eulz, quer gent Qui n’a pas povreté aprise

Est trop povre et trop entreprise..." (v. 648)

"Bien voit gent sont de bonne guise, Si lez aime mont et honneure

Et est joiant de leur demeure." (v. 2174)

La notion de gent se particularise parfois sur un plan que je caractériserais de "relationnel"; elle évoque les liens, la subordination qui lie les serviteurs à leur maître, le personnage noble à sa suite qui peut être constituée de ser­ viteurs ou de gens de compagnie et devient dès lors synony­ me d’ "ensemble des personnes constituant la suite d’un no­ ble, la domesticité d’un personnage". (FEW 4, 107a)

"Adont fist sa (le comte d’Anjou) gent apeler Domestiques Et lez chevaus fist enseller;

Sa gent envoie et sez mes s âges . . . " (vv . 14 75-1477)

"Estez vous l’autre mes qui vient Devant le conte pour mengier;

Sa gent commance a leidangier Et molt asprement leur demande

Celi qui tranche la viande..."(v. 2418)

"ç'e conte par la main a pris, Si lez a fet endeus lever,

23 Cf. les vv. 941, 3674, 5202, 5256, 5875, 5974, 6006, 6021, 6025, 6059, 6082, 6402, qui tout en comportant l’idée de pluralité, comportent l’aspect non-défini. 24 Cf. vv. 693, 3216, 5245, 5205, 6046, 6413, 6955, 7123,

(44)

Quer son vouloir veult achever Et enquere de leur afaire.

Toute sa gent fet en suz traire..."(v. 6046)

„ . 25"Par aventure, ce dist elle, ompagn e Egfc en ce vergier alee,

Li et la dame, a gent privée."(v. 1456)

"Que l’ostel appareiller face Et vinz et viande pourchace,

Quer illec a. jg.ra.n_t gent vendra..."( v. 2327)

"Li quens s'en va a grant leesce;....

Et .â 8ent sa fame emmaine..." (v. 6461)

Notons au passage l'expression a grant gent signifiant "avec nombre de personnes de sa suite" et la présence du possessif "sa" marquant la dépendance des serviteurs en­ vers le maître.

Ce qui peut nous surprendre un tant soit peu c'est de cons­ tater que ni Godefroy, ni FEW ne signalent gent au sens

pré-26

cis de "famille, lignée, ascendance, sur le plan hérédi-2 7

taire" qui d'ailleurs évoque la "gens romaine" avec son code de l'honneur et son

partenance à une famille

aristocratie "consanguine". L'ap-noble et puissante flatte l'orgueil de nos personnages et brandit le

j

^

h

,

d'une mésalliance avec "une

spectre, pour le comte

âfe-meschine de basse orine".

25 Voir de même vv. 3167, 6768, 6778, 7819.

26 Ce sens apparaît de plus aux vers 1287, 6081, 6358. 27 Ces deux ouvrages se contentent du sens très large de

"race", "nation" (Gdf. 5, 261c et FEW 4, 106b), ce qui nous apparaît nettement insuffisant à tout le moins en ce qui concerne notre auteur.

(45)

"Et quant il virent cez ouvrières Dont l’unne avoit biauté si grande, Li uns a la dame demande

Dont elle est et de quiex gent nee."(v.1723)

<<Dames, fet il, dont estez neez

Ne de quiex genz? Quer le me dites(v. 2621)

"L’enfant tint contre sa poitrine, Qui molt ert gracïeus et gent

Et bien sembloit de ha_ul_te gent" (v.5190)

Le seigneur féodal employait nombre de gens à son service soit qu’ils relèvent de la domesticité, soit qu’ils agis­ sent en tant que gens de compagnie. Mais sous son autorité se retrouvaient une foule de personnes auxquelles il devait aide et protection en retour de leur "féal" dévouement. C’est pourquoi gens désigne en outre, dans les deux passa­ ges qui vont suivre, les êtres qui sont attachés au comte de Bourges, et dont il faut assurer la sécurité. A noter la présence du possessif "sa" qui marque la spécificité de cette collectivité d’êtres.

"_Sa. gent viennent a li le cours,

Pour Dieu, qu'i leur face secours..." (v. 3101)

"Qu’en armes le viengnent secorre, Quer _sa gent veult aler rescorre

De celi qui si les formaine..." (v. 3114)

Dans le contexte plus précis de l’art militaire gent peut désigner un nombre indéfini d’êtres humains chargés de

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dé-fendre par les armes la liberté des individus, d'où le sens de "troupe de soldats" (Gdf. 4, 261c; FEW 4, 106b).

"La gent le conte lez accueillent,

Leur assault grandement maintienent... " (v . 7138)

-"Sire, font il, face unne chose Li dus, et n'i a point d'outrage: Nous envoierons un message

A nos. genz de l'autre establie... Car trop leur sont espoantables Lez assaus qui souvent leur rendent

Leurs anemis qui hors actendent... " (v. 7257)

En adresse gent se trouve toujours accompagné d'un adjec-’ tif car le mot lui-même d'un emploi très répandu avait perdu de sa précision comme dénomination. Douce gent ne souligne pas tant la mansuétude des individus ainsi dénom­ més mais sert d'appellation respectueuse ou condescendante:

"Pour Dieu, douce gent, or oiéz; Un petitet vous acoiéz:

Or vient le plus fort de mon conte; Tout ce devant a rienz ne monte

Contre ce que devant s'ensieut." (v. 3453)

L'auteur attire l'attention de ses auditeurs à l'aide d'une formule signifiant essentiellement: "bonnes gens", et s'ap­ pliquant à un auditoire composite:

"Devant le chastelain s'est mise La dame, qui la mort pou prise;

28 Cf. vv. 7379, 7393.

29 Cf. Stowell, W.A., Old-French Titles of Respect in Direct Address, Baltimore, J.H. Furst company, 1908, p. 154:

"gent was never used alone, but was always accompanied by some distinguishing adjective to give color to the

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Son filz entre sez bras acole.

«Pour Dieu, douce gent, ma parolle, Fet elle, veilliez escouter!" (v. 3972)

La comtesse s'adresse à une foule de gens venus assister à son "exécution": le peuple, les serfs, le châtelain. Il est frappant de rapprocher ces deux citations qui présentent un parallélisme parfait: l'expression "Pour Dieu" les pré­

cède toutes deux; elles réclament l'attention des gens ("or oiéz"; "veilliez escouter") de façon pressante et avec un sens concerté du dramatique.

Nous relevons une attestation de genz d'armes:

"Et li dus ot fet aprester

De sez genz d'armes un grant nombre Que nus lez soudoiers n'encombre

A faire ce qu'il ont promis." (v. 7393)

Le sens apparaît être celui de soldats, gens armés. Or le FEW donne gens d'armes au sens de "cavaliers pesamment armés"

(FEW 4, 107b). Nous pouvons donc ramener la date d'appari­ tion de cette expression de "ca 1360" à 1316 avec certitude.

FOULE

Curieux de savoir comment la comtesse de Chartres paiera ses crimes, une foule, une "grrande multitude de gens qui se pressent" (Gdf. 9, 649a; FEW 3, 846a) viennent assister au

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dénouement du drame vécu par leur suzerain, le comte de Bourges :

"La ot £ran£ foule et jg.ra.n_t ^res^e, Car de tous ceus qui oï dire

L’ont, n’i a nul qui ne desire A oïr et puis a veoir

Comment il li doit mescheoir, Tant ert a tous maugracïeuse

Et contre cuer et haineuse." (v. 7761)

La foule réunit un nombre indéterminé de personnes - mais une multitude C’est pourquoi grant foule traduit une sorte de superlatif. D’ailleurs la présence de presse lais­ se deviner la dimension numérique de foule.

ASSEMBLEE

Dans le domaine des collectifs, assemblée évoque "l'action de réunir plusieurs personnes dans un même lieu pour une ac­ tion commune; les personnes ainsi réunies" (Gdf. 8, 198b; FEW 1, 159a):

"«Que _tu_it_ viengnent a 1 ’ assemblée Qui a Orliens est assemblée

Pour honnorer et conjoïr La trouvée, dont mes oïr

Ne cuidoie vent ne nouvelle. "(v. 6383)

Ce mot évoque donc un rassemblement de personnes; le but commun qui va les rassembler ici, c'est la fête que donne l’évêque d'Orléans pour célébrer les retrouvailles de sa nièce et du mari de cette dernière:

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"L ' assemblée fu £ran_t et belle Et molt y ot grant appareil;

Nus ne vit onques la ppareil." (v. 6388)

"Tuit" et "grant" caractérisent l’ampleur de la réunion et le déploiement auquel elle donne lieu. Dans notre texte, une nuance qualitative distingue foule et assemblée : la foule rassemble nombre de personnes de toutes conditions en un magma d'êtres bigarrés, attirés par leur curiosité naturelle alors que l'assemblée réunit par voie d'invitation personnelle, des gens choisis pour leur valeur et leur no­ blesse. L'élément quantitatif détermine également une dis­

tinction entre ces deux vocables: la foule regroupe un nom­ bre d'individus supérieur à l'assemblée étant donné le point de vue restrictif de cette dernière.

MESNIE

Une excellente façon de déterminer le sens de mesnie con­ siste à le confronter avec ménagé: ménagé évoque la famille dans ce qu'elle a de plus intime, de plus uni, mesnie élar­ git le cercle de la société familiale: "ceux qui cohabitent avec un chef de famille, serviteurs, domestiques, gens de la

30 maison" (Gdf. 5, 294b):

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"La contesse, qui n'iert pas wide De mal et de grant felonnie,

Ot commandé a sa mesnie

Si tost con Galopin tenroient, Que eulz sanz faute 1’enyvrassent

Et que sez lettres li emblassent."(v. 3598)

"Lors appelé de _sa mesnie

La mestresse et dit c’on la face Venir tantost sanz point d’espace,

Et celle vient tout maintenant..."(v. 5932)

La mesnie se présente donc, dans un premier sens comme for­ mée de gens qui exécutent les ordres des personnages nobles.

Cependant, mesnie peut avoir le sens de "suite et compagnie d'un roi, d'un seigneur" (FEW 6^", 244a):

"Entre qu'ainsi se dementoient, Tout droit a elles venir voient Un chevalier de grant aage

Qui bien sembloit proudons et sage, Avec li deus de _sa mesnie." (v. 1887)

"Li quens grant despense fesoit Et belle mesnie tenoit,

Honneur et pris aloit querant."(v. 88)

L'importance de la mesnie va de pair avec l'importance du seigneur. Comme nous le constatons, ce mot peut évoquer une réalité parfois aussi restreinte que deux individus, d'où la nécessité d'apporter la précision suivante: mesnie dans la majorité des exemples relevés suggère un bon nombre

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de personnes - environ dix à quinze - bien qu'en une occasion le terme ne s'applique qu’à une suite fort res­ treinte.

COMPAIGNIE

Nous pouvons distinguer entre le sens "social" et le sens militaire de compaignie. Du point de vue de la société,

compaignie peut désigner "une réunion de personnes qui sont 2

rassemblées dans une salle" (FEW 2 , 966b)

"_Sa_ compaignie lesse toute,

Tout seul en sa chambre se boute."( v. 1531)

32

ou une suite, un ensemble de gens qui accompagnent une personne noble au cours de ses déplacements:

"Tant qu’il avint par aventure Que li quens de Bourges venoit D'un tournoi, et si amenoit De chevaliers grant compaignie

Et d’escuiers et de mesnie." (v. 2321)

"Li quens vers le duc se dévalé; Si l'a trouvé en mi la sale Avec que s li _sa compaignie

Qui li portoient compaignie." (v. 7687)

Ces suites faisaient partie de tous les voyages des gens nobles. C'est pourquoi l'auteur va insister sur le fait

que la comtesse en exil se déplace sans suite:

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"Or s’en va la gentil banle, Toute a pié et sanz compaignie

Fors de son enfant que tant aime..."(v.4404)

Militairement parlant, la compaignie consiste en "une trou-2

pe, une réunion de gens armés" (Gdf. 9, 136c; FEW 2 , 966b).

"Molt y ot belle compaigniee;

Si chevauchent a ost rengiee 1 Con gent aprise a bonne escole."(v. 705^)

Cependant dans le cas présent, il s’agit plutôt d’un défilé militaire coloré que d'une bataille rangée, encore qu'il ser­ ve de prélude à l'engagement des hostilités.

OST

Le vocable ost appartient surtout au domaine militaire. Rè-3 gle générale il désigne l’ensemble des hommes d’une armée

(Gdf. 5, 652c; FEW 4, 500a):

"Le dus illec ne proloingna;

Tantost 11 olz en deus se part." (v. 7191)

"Et 1’ost d’entour est assazee

De tous biens dont homme doit vivre..." (v.7222)

"Celle nouvelle va molt tost A la contesse, qui n’ot ost Ne gent en quoi se puist fïer Ne secours quere ne prïer

Fors que sa cité seulement."(v. 7444)

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ou de façon plus restrictive une troupe précise d'hommes:

"Si chevauchent a ost rengiee

Con gent aprise a bonne escole."(v. 7052)

"Car le duc et ly quens tantost S ' entressambleront a _g.ra.nt ost, Et le sievent a esperon."(v. 7452)

En dehors du contexte militaire, le mot os t peut désigner une troupe de gens, une foule quelconque:

"Lors ont passé celle £ran_t ost De jjoyres et de ^en_z menus.;

Jusqu’à l'aumosnier sont venus."(v. 5794)

Ainsi ost évoque collectivement un nombre indéterminé de personnes, soldats ou autres, et dans la plupart des cas ce nombre est passablement élevé: ce que souligne le qua­ lificatif grant.

ROUTE

Du latin "rupta" qui provient de "rumpere", rompre, route s'applique à une troupe d'hommes d'armes, "une compagnie de gens de guerre" (Gdf. 7, 250c; FEW 10, 572a):

"Li dus, li quens et lez genz toutes

S'en vont apréz a. routes, "(v.7820)

34 D'ailleurs le FEW fournit une précision intéressante: "troupe militaire en marche, petite troupe de gens" qui s'applique entièrement aux passages cités.

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"Fut la porte ouverte arriéré; Tantost y entre la baniere

Et tous les autres route a route ; La ville prennent trestoute,

Et les bourgois courtoisement

Les recheuvent et doulcement..."(v. 7567)

A la différence d’ost qui évoque un grand nombre de per­ sonnes, route désigne une troupe fractionnée ("rupta"), composée de peu d’individus. C’est pourquoi, au vers 7820, l’auteur voulant signaler le nombre imposant de gens doit adjoindre à route le superlatif molt et le qualifica­ tif grans.

Route peut en outre servir à désigner une "suite de gens, une compagnie" (Gdf. 7, 250c; FEW 10, 572a)

"Quer bien deüst a plus £rant^ route Ceste pucelle aler par terre,

S’a li n’eUst Fortune guerre, Quer bien est de si haült lignage Que bien deUst a mariage

Avoir ou duc ou prince ou conte, Et nous alons a si grant honte

Con povres famés esgareez." (v. 1904)

Dans ce cas-ci, la mestresse de la comtesse de Bourges dé­ plore le fait qu’elles doivent s’en aller seules, sans sui­ te pompeuse alors que sa maîtresse est d'ascendance noble.

HERTE

Le terme herte en général ressortit plutôt au domaine agri­ cole au sens de "troupeau de bestiaux". Or il peut égale­

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ment s'appliquer aux êtres humains:

"Ainsi viennent li soudoier, Pour le gelous du grant loier, Servir la contesse chartaine.

A cheval en revient grans hertes,

Chascun pour le bon paiement."(v. 7118)

Au sens large, herte signifie "troupe de chevaliers, de personnes" (Gdf. 4, 418a; FEW 16, 198a) et plus particu­ lièrement dans le contexte militaire: troupe de soldats, d'hommes armés. L'expression grans hertes pourrait être synonyme ici de "grand nombre, grande troupe". Ce qui ca­ ractérise herte en regard de route et d ' os t, c'est l'as­ pect quelque peu désordonné des hommes d'armes qui s'avan­ cent à la manière d'un troupeau d'animaux alors que la rou­ te et 1'ost évoquent des sections militaires bien rangées, disciplinées. D'ailleurs notons que le terme est appliqué à des bandes de soudoiers, ferrailleurs sans foi ni loi, prêts à se vendre au plus offrant, desquels on ne peut at­

tendre l'ordre et la discipline que suppose toute armée di­ gne de ce nom.

PRESSE

Nous avons eu l'occasion d'étudier différents collectifs tels pueple, foule, assemblée qui mettaient en scène nom­

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bre de gens rassembles. Ce qui distingue presse de ces termes, c’est l’attitude des personnes faisant partie de la "réunion": "foule, multitude de personnes qui se pres­ sent" (FEW 9, 363b; Gdf. 10, 412a)

"La vet courant par mi la presse;

Dit a celi pluz ne le fiere." (v. 5786)

"Par le païz queurt la nouvelle

Que li quens vient a gent molt belle Et si amaine la contesse;

Encontr'eus s’en vont a grant près se " (v . 6 7 70)

"La ot grant foule et grant presse..."(v. 7766)

"Lez grans dames s’en vont es chars Contre leur dame et leur mestresse Et les bourjois vont a grant presse

Sus lez bons chevaus sejournéz..."(v. 7942)

Il apparaît que l'expression grant presse devienne une for­ mule stéréotypée exprimant le côté compact, fourni de la

foule de même que la rapidité avec laquelle se déplacent un certain nombre de gens.

SUBGIES

L’administration seigneuriale du moyen âge requérait diffé­ rents officiers, dont le rôle consistait soit à exercer une surveillance judiciaire soit à percevoir les impôts dûs au seigneur. Dans ce dernier cas, les individus soumis à des

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redevances seigneuriales portent le nom de subgiës chez Maillart:

"Baillis et prevos et justices A fet pour corrigier lez vices Et receveurs pour recevoir

De tous lez subgiës leur devoir."(v. 7878)

En français moderne nous les appellerions "sujets" de 35

"subjectus", assujetti(r) : "celui qui est sous la do­ mination d’un prince ou d'un état souverain" (FEW 12,

340a; Gdf. 7, 507b). Le FEW date "subgiët" de 1325 avec le sens ci-haut mentionné alors que nous le relevons en 1316. Le collectif subgiës englobe tous les êtres tail- lables de quelque façon que ce soit. Du point de vue

so-aL.

ciologiq-trc nous devons signaler le souci d ordre que de- montre le comte de Bourges en prenant soin de mettre en place une structure administrative apte à fonctionner en son absence.

FORAIN

Nous relevons deux attestations intéressantes de forain. Ce terme, de par son étymologie *foranus, désigne "ce qui vient d’une autre ville, d’un autre pays, étranger" (FEW 3,

703a). Plus spécifiquement, il qualifie "l’homme du dehors"

35 Voir Félix Gaffiot, Dictionnaire Illustré Latin-Français, Paris, Hachette, 1963, p. 1493b.

(58)

(Gdf. 4, 62a):

"Estes vous les forains venir Qui viennent fierement con roy;

Bien ont ordonné leurs conroys...."(v.7502)

"L'assault commenchent a atendre, Et certes il ont moult beau faire, Car il n’est homme qui s’apaire

Qui aux forains traye ne lance."(v. 7513)

Les chartrains se retranchant derrière les murailles pro­ tectrices du château de Chartres, leurs assaillants devien­ nent - pour eux - les forains : les gens qui se trouvent a l'extérieur des portes ("foras") du château et leurs ad­ versaires étrangers.

TRESPASSANT

Le comte de Bourges parti à la recherche de son épouse, après quelques échecs:

"A la croiz se revint seoir

Pour miex lez trespassanz veoir; Des ieux pleure parfondement

Et souspire molt durement" (v. 5440)

Considérons un temps ces trespassanz évoqués au v. 5440. Il s'agit des gens qui vont et viennent, "des personnes qui passent, des passants" (FEW 7, 720a; Gdf. 8, 55b); le préfixe très - provenant de "trans" traduit le

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