A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004
ASSISTER LA CONSTRUCTION D’UN PROTOCOLE
EXPÉRIMENTAL EN TRAVAUX PRATIQUES DE CHIMIE
AVEC UN ENVIRONNEMENT INFORMATIQUE : Educ@ffix.net
Mustafa ERGUN*, Isabelle GIRAULT*, Cédric D’HAM*, Patricia MARZIN*, Éric SANCHEZ**
*MeTAH-LEIBNIZ, Université Joseph Fourier (Grenoble 1), ** I.N.R.P
MOTS-CLÉS : CHIMIE – TRAVAUX PRATIQUES – CONSTRUCTION DE PROTOCOLE – EIAH – LABORATOIRE À DISTANCE
RÉSUMÉ : Nous montrons comment des élèves de Terminale procèdent lorsqu’ils parviennent à construire un protocole expérimental avec l’environnement informatique Educ@ffix.net et quelles sont les connaissances théoriques et méthodologiques que les élèves mobilisent lors de cet apprentissage.
ABSTRACT : We shall show how pupils proceed when they design an experiment protocol with the computer environment Educ@ffix.net and which are the content and process knowledge that pupils mobilize during this learning.
1. INTRODUCTION
La construction du protocole expérimental est une étape importante dans une démarche expérimentale. Les compétences relatives à cette étape constituent des objectifs d’apprentissage de l’enseignement de la chimie au lycée et à l’université qui sont généralement négligés. En effet des travaux (Coquidé, 2003 et Séré, 1997a) ont fait le constat que l’investigation scientifique était peu ou mal enseignée à l’école. Si les élèves sont confrontés de façon fréquente et régulière à des activités pratiques, les protocoles de travaux pratiques (TP) sont souvent élaborés par les enseignants (Orlandi, 1991), l’activité des élèves étant limitée à leur mise en œuvre. Les TP constituent la base de formation expérimentale des étudiants de physique, chimie et sciences de la vie et de la terre. De nombreux auteurs insistent sur l’importance d’une telle activité pour la construction de connaissance chez les apprenants notamment en chimie (Arce, 1997, Séré, 2002 et Rollnick, 2001). Il existe différentes approches dans les TP (Tiberghien, 2001). Les objectifs d’apprentissage liés aux TP les plus importants du point de vue des enseignants sont la connaissance du matériel scientifique, sa maîtrise et la pratique d’une démarche scientifique ou expérimentale (Séré 1997b). Les objectifs d’apprentissage visés par un TP répondent sur deux types de savoir ; les savoirs théoriques (ou déclaratifs) et les savoirs procéduraux. Les connaissances déclaratives sont descriptives, indépendantes des usages et assez éloignées de l’action concrète. Elles représentent les faits et les principes (Mendelsohn, 1995). Elles correspondent aux connaissances formelles comme une règle de grammaire, une définition de géographie, une loi de physique, un théorème de mathématiques (Develay, 1998). Les connaissances procédurales consistent en association entre des buts, des actions et des situations. Elles sont prescriptives et spécifiques dans leurs usages. Elles concernent les savoirs méthodologiques et gestuelles. Les savoirs méthodologiques correspondent aux étapes d’un processus d’une tâche proposée et les savoirs gestuelles correspondent aux gestes physiques.
2. QUESTIONS DE RECHERCHE
Un premier aspect de notre recherche porte sur l’évaluation des capacités d’élèves de Terminale scientifique à construire un protocole expérimental cohérent par rapport au problème technologique qui leur est soumis lorsqu’ils utilisent Educ@ffix.net. Quelles difficultés liées aux concepts mis en jeu rencontrent-ils ? Un second aspect porte sur l’identification des apprentissages qui peuvent se mettre en place dans le cadre d’une telle activité avec ce type d’environnement informatique. Quelles sont les connaissances théoriques et méthodologiques que les élèves mobilisent ?
3. ENVIRONNEMENT INFORMATIQUE : Educ@ffix.net
Les systèmes qui proposent des manipulations de sciences expérimentales à distance avec des objets réels sont peu nombreux et parmi ceux-ci peu concernent des manipulations de chimie (Senese, 2000, Cooper, 2002 et Lelève, 2002). Educ@ffix.net est un environnement informatique pour l’apprentissage humain (EIAH), prototype conçu pour assister les élèves impliqués dans une tâche d’élaboration de protocole destinée à déterminer la concentration du colorant E124 contenu dans un sirop de grenadine (d’Ham et al., 2004). Dans cet EIAH, l’apprenant conçoit le protocole de la manipulation à l’aide d’une interface spécifique et celle-ci est réalisé à distance par un robot en temps réel. Afin de structurer l’activité d’élaboration du protocole, le travail de l’apprenant est divisé en cinq étapes, qui sont des procédures classiques du travail du chimiste. L’apprenant doit choisir parmi huit actions élémentaires et les placer dans le cahier de laboratoire selon une chronologie qui permet de répondre au problème posé. L’apprenant a la possibilité de consulter à tout moment des cours comprenant des explications sur les principales notions mises en jeu. Il a également la possibilité d’évaluer son protocole en demandant une évaluation par un tuteur artificiel. Le tuteur donne des informations sur l’état d’avancement de son travail et les erreurs commises. Par contre il ne corrige jamais les erreurs mais il pointe les problèmes à corriger en les catégorisant (par exemple, erreur de type rinçage) et propose un lien vers la page de cours correspondante.
4. ÉVALUATION DE LA CONSTRUCTION DU PROTOCOLE 4.1 La méthodologie
Nous avons travaillé avec deux classes de Terminale S (56 élèves, âgés de 17-18 ans). Les élèves travaillant en binômes ont été enregistrés ou filmés pendant l’activité de construction du protocole expérimentale (1h30). Le protocole élaboré a été récupéré à la fin du travail. Nous avons utilisé un logiciel de trace qui permet de suivre le cheminement des élèves dans le logiciel et réalisé un pré-test et un post-pré-test avant et après l’expérimentation avec l’EIAH. Les questions ont pour but de tester d’une part les connaissances théoriques et d’autre part des connaissances méthodologiques des élèves, les questions étant identiques dans le pré-test et le post-test.
4.2 Les premiers résultats
Les premiers résultats que nous avons obtenus au cours de l’année scolaire 2003/2004 sont des éléments de réponse à nos questions de recherche. Dans les pré et post-test (tableau 1), les réponses
données montrent que les élèves ont de bonnes connaissances sur les notions théoriques en jeu. Nous avons constaté qu’il y a un taux de réussite assez faible pour la connaissance théorique K2 (homogénéité) dans les réponses des élèves. Nous pensons qu’il s’agit d’un problème de formulation de la question posée. En effet, nous attendions une réponse au niveau microscopique (notion de concentration), alors que la réponse spontanée des élèves s’est située au niveau macroscopique (notion de phase). La première partie de cette question (cf. P1) illustre ce propos car les élèves ont très bien reconnu la solution homogène, alors qu’est proposée une représentation du microscopique. Nous pouvons dire également que la connaissance K6 (additivité des absorbances) semble intégrée par seulement la moitié des élèves. Il s’agit à la fois d’une notion difficile et d’un exercice probablement trop difficile aussi. Les enregistrements vidéo et informatiques des actions des élèves sur l’interface montrent que les élèves réussissent à construire un protocole expérimental cohérent avec cependant des degrés de réussite différents suivant les binômes. 16 binômes sur 28 ont réalisé les 5 étapes avec des degrés de réussite différents. 5 binômes ont réussi avec un taux de 100% à toutes les étapes. La comparaison des résultats obtenus au pré-test et au post-test montre que leurs connaissances procédurales ont évolué suite à la réalisation de cette activité (tableau 2). Les résultats montrent que la connaissance procédurale P1 (homogénéisation) est acquise par moins de la moitié des élèves pendant le pré-test, alors que 51% d’élèves choisissent de ne pas répondre. Il est intéressant de noter que la proportion d’élèves répondant juste à la question a augmentée sensiblement (76%) à la fin de l’expérimentation. Cela vient peut-être des interventions du tuteur et l’accès au cours qui leur rappelle que « l'homogénéisation consiste à agiter la solution ». Les réponses données à la question procédurale P3 (rinçage) sont intéressants parce que la réponse correcte est nettement amélioré après l’expérimentation, 43% d’élèves répondent correctement au pré-test alors que le taux de bonne réponse passe à 70% d’élèves dans le post-test. Cette amélioration est peut-être à relier aux interventions du tuteur. En effet, les élèves qui ont eu des difficultés de rinçage pendant la construction de leur protocole ont très probablement rencontré le message suivant du tuteur : « Réfléchissez à quelle solution utiliser pour le rinçage, afin de ne pas contaminer ni diluer votre solution à prélever ». Les résultats pour la connaissance procédurale P5 (solution de référence) montrent que la connaissance n’évolue pas de façon significative entre les pré et post-test. La situation choisie dans le test est assez complexe et surtout beaucoup plus compliqué que dans leur construction de protocole où la solution de référence est de l’eau. Il est possible que la situation proposée dans le TP était trop simple, ou en tout cas trop classique, pour faire évoluer cette connaissance.
0 20 40 60 80 100 K1 K2 K3 K4 K5 K6 Connaissances Théoriques % pré-test post-test 0 20 40 60 80 100 P1 P2 P3 P4 P5 Connaissances Procédurales % pré-test post-test
Tableau 1 : réponses des élèves sur les questions théoriques dans le pré et post-test
Tableau 2 : réponses des élèves sur les questions procédurales dans le pré et post-test
K1 : Concentration molaire P1 : Homogénéisation
K2 : Homogénéité P2 : Dilution
K3 : Longueur d’onde P3 : Rinçage
K4 : Spectre d’absorbance P4 : Application de la loi
K5 : Loi de BL P5 : Solution de référence
K6 : Additivité des absorbances
5. DISCUSSION ET CONCLUSION
Lors de l’utilisation d’Educ@ffix.net, nous n’avons pas rencontré de grande difficultés liées à son utilisation et son ergonomie chez les élèves. En ce qui concerne l’évaluation de l’apprentissage de la construction du protocole expérimental avec l’EIAH, nous pouvons dire qu’il s’agit d’une amélioration des connaissances procédurales (l'homogénéisation, le rinçage, la validité de la loi de Beer-Lambert) chez les élèves et la majorité est parvenue à construire un protocole expérimental cohérent. Le temps prévu était insuffisant pour ce type d’activité. Notre travail sur les difficultés rencontrées par les élèves est en cours.
Les auteurs tiennent à remercier la société Educaffix pour sa collaboration.
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