LA SCIENCE EN CAMPAGNE,
OU LA NAISSANCE DE "VILLAGES SCIENTIFIQUES"
René QURIS
Fédération Nationale des Foyers Ruraux
MOTS-CLÉS: ÉDUCATION POPULAIRE - SCIENCES ET
socIÉTÉ -
MILIEU RURALRÉSUMÉ: La EN .F.R. connaît les enjeux de l'accès à la culture scientifique et technique dans la société d'aujourd'hui et particulièrement en milieu rural. Le programme "Villages Scientifiques" est adaptéàla réalité sociologique et démographique de ce milieu. L'accentyest mis sur une démarche active intégrée dans une dynamique sociale.
SUMMARY : The F.N.F.R. knows the implications of scientific and technical culture in the contemporary society, particularly in rural areas. The "Villages Scientifiques" opération is fit to sociological and démographie reality of these areas. An activ process, in a social group is favoured.
1. LES "FOYERS RURAUX"
La Fédération Nationale des Foyers Ruraux et des Associations d'Animation et de Développement du Milieu Rural est un mouvement d'éducation populaire dont l'un des enjeux majeurs est de contribuer au développement de la citoyenneté. Le mot animation y prend un sens global puisqu'il envisage aussi bien le champ culturel que le champ social et le champ économique. La F.N.F.R. porte naturellement un intérêt tout particulier aux jeunes qui sont les citoyens de demain, mais elle accorde également une grande importance à l'éducation permanente. L'Université Rurale suscite régulièrement les occasions de réunir les acteurs du milieu rural aussi bien au niveau des pays et des régions que celui de la France entière ou même de l'Europe. Les actions conduites vont favoriser le croisement des savoirs populaires et des savoirs savants et toujours privilégier la démarche sur le contenu. Par rapport aux autres grandes fédérations d'éducation populaire, la EN.ER. tire sa spécificité du milieu dans lequel elle exerce sa mission: le milieu rural. De manière concrète la EN.F.R. met en réseau 3.000 associations qui maillent l'espace rural, elle regroupe 280.000 adhérents et touche environ lmillion d'usagers.
2. SPÉCIFICITÉ DE L'ACTION CULTURELLE EN MILIEU RURAL
Par définition, le milieu rural est un milieu diffus caractérisé par de faibles densités humaines mais avec dans ce domaine de fortes sources d'hétérogénéité (rural péri-urbain vs rural profond, zones de plaine céréalièrevs zones montagnardes...). Une réalité nouvelle est l'actuelle recomposition démographique et sociologique du milieu rural qui accentue encore son hétérogénéité: ruraux d'origine, néo-ruraux, ruraux alternants ou migrants pour leur travail, leurs loisirs ou leur cessation d'activité... Le monde rural ne peut plus être confondu avec le seul monde agricole. Une caractéristique qui demeure essentielle est la qualité de la vie sociale qui prévaut dans ces communautés rurales. Alors que le milieu urbain est souvent en train d'exploser, cette qualité de vie pourrait même avoir valeur de modèle pour la société contemporaine.
L'action culturelle va bien sûr s'appuyer sur la réalité de ces communautés humaines et en raison du caractère diffus du milieu rural, elle va toujours être polyvalente. Même dans un petit village, des champs culturels explorés vont être variés (pratiques artistiques, mise en valeur du patrimoine, culture scientifique...) Cette approche polyvalente est malheureusement souvent déconsidérée (et mal aidée) en raison de son côté qui peut passer pour tropamateur.Elle est cependant en elle-même très féconde, puisqu'elle amène nécessairementà envisager un homme global plutôt qu'un homme éclaté, ce qui n'est pas une mince qualité dans notre société hyper-spécialisante.
Le modèle de développement culturel qui semble adapté pour le milieu rural est celui qui, au lieu de s'appuyer sur la notion de centres, s'appuie sur celle de réseaux et au lieu de privilégier les grosses infrastructures, privilégie les hommes qui animent les réseaux (matériel vs immatériel).
3. POURQUOI LA C.S.T. ?
En raison de l'emprise de plus en plus grande de la science et de la technique sur le fonctionnement et l'évolution de nos sociétés, le citoyen doit se sentir interpellé. Le fait d'habiter loin des grandes technopoles ne dispense pas leruralde ce devoir.
L'évolution de l'agriculture peut servir d'illustration. En quelques dizaines d'années, les mécanismes de production et les modes de distribution ont été complètement modifiés. Les agriculteurs ont été amenés (obligés) à utiliser des techniques de plus en plus sophistiquées, pour produire toujours plus et maintenant ils découvrent que la société peut se passer de la majorité d'entre eux...
Un autre exemple pourrait être pris avec l'environnement. L'espace naturel constitue une des nouvelles richesses dont le milieu rural se trouve aujourd'hui détenteur et responsable. L'un des challenges pour la générationàvenir est bien d'apprendreàle connaître, le protéger, le gérer, l'aménager en un mot le mettre en valeur...
Il y a donc nécessité de garder un regard critique sur l'évolution des connaissances scientifiques et les révolutions techniques qu'elles génèrent, car elles ne sont pas toujours synonymes de progrès. Le citoyen doit garder la maîtrise de son développement et ceci n'est possible que s'il s'approprie la culture de son temps.
4. QUE PEUT ÊTRE LA C.S.T. EN MILIEU RURAL?
Le milieu rural est loin des villes où sont concentrés les lieux où se produisent les savoirs (laboratoires de recherche, universités) et aussi ceux où ils se diffusent (C.C.S.T.I., grands musées thématiques...).Ladiffusion de la C.S.T. va prendre le contre pied de ce que l'on a plutôt l'habitude de voir dans les grandes métropoles (actions prestigieuses concentrées dans l'espace). Elle sera une action diffuse en accord avec la réalité démographique (petites unités de population) et privilégiera l'action en profondeur ancrée dans une communauté humaine, par rapport à l'aspectvitrine,non dénué de scientisme. Ce qui est fondamental est moins la qualité des supports (médias) que celle de la médiation elle-même et cette dernière repose beaucoup sur des médiateurs, donc des hommes. La F.N.F.R. initie dans son réseau une dynamique appelée:Villages Scientifiques.L'idée en est de susciter dans un groupe social, une communauté humaine, constituée d'enfants, d'adultes, de responsables locaux, de chercheurs... une véritable démarche collective et inscrite dans la durée, de mise en culture de la science.
5. DEUX EXEMPLES DE "VILLAGES SCIENTIFIQUES"
Les deux actions ont été conduites en Bretagne (juin 1993), durant une opération promue par la EN.FR :leMois de la Science etde ['Environnement en Milieu Rural.Un thème générai avait été choisi pour unir toutes les actions,ils'agissait cette année-là de celui des déchets. Malgré ce thème
unificateur, les actions ont pu prendre des contours toutàfait différents en fonction du désir des gens, des intérêts particuliers, des réalités locales et des personnes ressources présentes et prêtesàse mobiliser. En l'occurrence, dans les exemples cités(cf.encadrés), la présence de deux chercheurs du C.N.R.S., l'un appartenantàun laboratoire d'archéologie, l'autreà un laboratoire d'écologie, a orienté la thématique. Ces actions ont d'ailleurs bénéficié du labelPassion Recherchedu C.N.R.S. Les points communs de ces expériences étaientàla fois de partir de problèmes concrets ayant des implications sociales et de mettre en jeu une approche scientifique. Dans les deux cas c'est tout un groupe humain constitué d'associations, d'établissements scolaires, de chercheurs, d'élus locaux, qui est entré dans la démarche. Enfin, un temps était réservéà la découverte du problème posé, un temps àla démarche scientifique proprement dite et un tempsà la diffusion des résultats et au débat (voir autres exemples dansAnimer le magazine ruralconsacréàla C.S.T., déc. 1992).
"3010, Archéologie du futur"
un constat
l'objectif
desdécharges sauvages qui dénaturent un paysage
une prise de consciencepastoujours suffisante de la responsabilité de chacun danslagestion de ses propres déchets.
susciter une réflexion générale sur un problème très réel de nos sociétés : les déchets, et particulièrement surlaresponsabilité des citoyens d'aujourd'hui en face des générations futures. découvrir une science, dont on est souvent amenéà connaître les résultats, mais jamais les méthodes: l'archéologie.
avoir une véritable pratique de cette discipline scientifique sur un site expérimental, faire l'apprentissage deladémarche scientifique, découvrirlanécessité delarigueur.
une communauté une association (Office Plourinois d'Animation, 29600 Plourin les Morlaix) un chercheur du C.N.R.S. en archéologie(DRA.374, Brest)
les écolesetcollèges du paysdePlourin.
lamunicipalité
un projet. ..
.. , collectif
une petite équipe (avec l'archéologue) écrit un scénario et en fonction de ce scénario enfouit un certain nombrededéchets dans le site expérimental.
les animateurs reçoivent une fonnation pour encadrer les archéologues en herbe
les groupes se succèdent (1/2 journée) sur le chantier et sousladirection des animateurs (ou plus occasionnellement du chercheur) participentàla fouille. Chacun passeàchaque poste (fouille, tamisage, inventaire, cIassement).
chaque groupe contribue, pour sapart,àla reconstitution du scénario
"Des déchets utiles"
un constat un problème économique et écologique: depuis l'abandon de pratiques agricoles peu rentables, la lande de la forèt de Brocéliande, brûle de manière récurrente (tous les 7-8 ans) et propage souvent l'incendieàla forêt eUe-même. Les sols déjà pauvres, se trouvent encore plus dégradés, et deviennent impropresàIOUSreboisements.
ilexiste sur le secteur une usine de retraitement des ordures ménagères qui a souvent du maI à trouver des débouchés pour le compost qu'elle produit.
l'objectif pourquoi ne pas réutiliser, au moins partiellement, ces déchets ménagers pour enrichir et restructurer les sols avant reboisement? l'hypoÛ1èse mérite d'être testée.
sensibiliseràdes problèmes de société: économiques (évolution des modes de production) et écologiques (les incendies, le reboisement, les déchets)
faire avec de jeunes enfants l'apprentissage de la démarche expérimentale.
une communauté une associationla Soelt (centre de classes de découverte et d'animation locale, 56430 Concoret) un chercheur dans un laboratoire d'écologie(C.NRS., URA.696, Rennes)
trois classes de CM I-CM2
des élus locaux (maires, président du SITCOM...)
un projet.. observation: découverte avec les enfants des problèmes (visite des zones incendiées, visite de l'usine de traitement des ordures)
... C011eclir expérimentation: le chercheur propose un protocole expérimental, l'expérience est conduite en classe sous la direction d'un animateur, de l'instituteur et sous le contrôle du chercheur. Des essais de germination (graines de haricot) sont conduits dans des milieux de composition différente. Deux facteurs sont testés la présence de compost et l'âge du compost (pendant ou après la iliermophase). Découverte de la rigueur (exemple:ilfaut peser soigneusement pour constituer les différents mélanges, arroser de manière homogène, s'assurer que chaque lot bénéficie bien du même éclairement, mesurer les résultats, inférer une conclusion)
diffusion, communication: tout résultat se diffuse. A la fin du mois d'animation, les participants se réunissent dans un forum (enfants, instituteurs, animateur, chercheur, élus...) chacun explique, pose ses questions, débat
6. CONCLUSION
La science un devoir
Entre l'attitude scientiste ou techniciste et la tentation, tout aussi réelle aujourd'hui, de tomber dans l'antiscience ou la parascience,ilexiste un chemin, certes ardu, qui fait de1'homme le responsable de son savoir et de ses actes.
Une démarche active
S'ilfaut parler d'alphabétisation scientifique, l'enjeu n'est pas tant d'inculquer des contenus (les programmes scolaires sont suffisamment chargés et en transmettent déjà beaucoup), que de faire découvrir la méthode en rentrant dans une démarche active.
Un acte social
Tant la production de savoirs que leur transmission ou leur utilisation sont bien les fruits d'une communauté humaine. Une dimension importante de l'alphabétisation scientifique doit donc être également de bien resituer la science dans sa dimension sociale.
BIBLIOG RAPHIE
ANIMER le magazine rural,Dossier spécial sur la culture scientifique et technique, "Vous avez dit C.S.T. 7". numéro 52, décembre 1993, F.N.F.R. 1 rue Sainte Lucie 75015 Paris.
