Le ciel de São Paulo : un nouveau ghetto
par Christian Azaïs - 05 Novembre 2012São Paulo , pre m iè re f lo t t e d'hé lico pt è re s au m o nde , le ade r m o ndial du t raf ic d'hé lico pt è re s de vant Ne w Yo rk o u just e de rriè re ... pe u im po rt e , le s m é dias e n jo ue nt po ur pro pulse r la m é t ro po le bré silie nne au rang de s « ville s glo bale s ». Sym bo le po ur ce rt ains de la m o de rnit é e t de l'accé lé rat io n de s t e m ps, de le ur dé sir de puissance dans un capit alism e e n quê t e de no uve aux e space s, le s co m m e nt aire s vo nt bo n t rain. L'act ivit é t é m o igne de l'inscript io n de la ville sur la scè ne int e rnat io nale , ce do nt s'e no rgue illit une part ie de sa po pulat io n. Ent re glo rif icat io n e t co nt ro ve rse , e n raiso n de s nuisance s pro vo qué e s, bruit e t dange r, rare m e nt une act ivit é aura pro duit aut ant de disco urs co nt radict o ire s.
Quico nque se rend à São Paulo , capitale éco no mique du Brésil de plus de 11 millio ns d'habitants, est surpris par le trafic d'hélico ptères dans le ciel. Vus d'avio n, les to its des gratte-ciels aux alento urs de l'aéro po rt de Co ngo nhas, situé en pleine ville, so nt tachetés d'hélistatio ns qui dessinent une véritable mo saïque. On en déno mbre pas mo ins de cent vingt sur une vingtaine de kilo mètres. Une telle co ncentratio n est unique au mo nde. Il est vrai que pas mo ins de 6 0 0 0 0 atterrissages o u déco llages d'hélico ptères so nt réperto riés par an dans l'« aire co ntrô lée », la zo ne de l'espace aérien délimitée par les auto rités aéro po rtuaires de São Paulo po ur réguler le trafic aérien.
La pro fessio n de pilo te d'hélico ptère est emblématique et spécifique aux mégalo po les latino -américaines. A l'o rigine, mo n idée était de co mparer Mexico et São Pao lo , deux métro po les aux dynamiques vo isines, qui co nnaissent sur le plan du trafic d'hélico ptères des trajecto ires différenciées. L'engo uement cro issant po ur cette fo rme de déplacement, so urce en o utre de désacco rds entre les usagers, auto rités municipales et autres et les habitants de São Paulo , méritait que l'o n s'y attarde. De plus, symbo liquement, cette pro fessio n est vue co mme un épiphéno mène de la glo balisatio n.
L'une des hypo thèses initiales po ur expliquer les mo tifs d'un usage nettement mo indre des hélico ptères à Mexico et à São Paulo , o utre des co nditio ns d'altitude différentes rendant la navigatio n mo ins pro pice à Mexico qu'à São Paulo , était celle d'une architecture institutio nnelle plus no rmée au Mexique qu'au Brésil, en raiso n d'un transfert de respo nsabilité des militaires à une agence de régulatio n de dro it privé. En o utre, la présence d'un syndicat puissant au Mexique et sa quasi absence au Brésil co ntribuent à différencier les deux villes. La tro isième raiso n est de nature théo rique. En effet, flexibilité est fréquemment asso ciée à précarité. Or, dans le cas des pilo tes d'hélico ptère, il n'en est rien. Ils reço ivent des salaires bien supérieurs à la mo yenne de celles et ceux qui o nt leur niveau d'étude.
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Bro uillage de s f ro nt iè re s
Le pilo te d'hélico ptère peut être militaire de carrière, pilo ter un appareil po ur le co mpte d'une radio o u d'une chaîne de télévisio n. Ex-militaire, il est emplo yé à temps plein d'une grande entreprise qui a ses pro pres appareils ; pilo te « exécutif », il travaille po ur le co mpte d'un particulier et se qualifie so uvent de « chauffeur de luxe ». To us les deux so nt salariés mais la relatio n qu'ils entretiennent avec leur travail n'est pas la même. Le premier est emplo yé de l'entreprise et jo uit des mêmes avantages et dro its que les cadres ; le seco nd, bien qu'emplo yé, est au service d'un patro n et de sa famille ; sur so n livret de travail (carteira de trabalho ) o n tro uve parfo is la mentio n « emplo yé do mestique ». D'autres enco re, qui n'o pèrent pas en ville, les pilo tes o ff-sho re transpo rtent passagers et matériel vers les platefo rmes pétro lières en mer. Les écarts salariaux entre to us ces pilo tes peuvent aller du simple au décuple vo ire plus.
Par ailleurs, se déplacer en hélico ptère à São Paulo participe d'un questio nnement sur la ville insulaire (Duhau, Giglia, 20 12) et le bro uillage des fro ntières entre les sphères publique et privée dans les villes latino -américaines. L'hélico ptère participe pleinement de ces changements. Il n'est pas rare de vo ir des lo tissements fermés, des centres co mmerciaux, accessibles uniquement en vo iture, po sséder une hélistatio n et favo riser do nc cette fo rme de co upure dans la ville. Qu'est-ce qui a changé ? Les hélico ptères o nt to ujo urs été présents dans la ville, que ce so it ceux de la po lice, de la sécurité ro utière o u po ur le transpo rt de grands malades. Ce qui a changé, c'est leur utilisatio n privative par une frange extrêmement réduite de la po pulatio n qui s'en sert à des fins pro fessio nnelles mais aussi po ur aller faire so n sho pping et éviter ainsi les vicissitudes de la grande ville tenue po ur dangereuse, vio lente, sale et no n fréquentable.
Christian Azaïs est socio-économiste, Maître de conférences à l'Université de Picardie Jules Verne (Amiens) et membre de l'IRISSO (Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales) UMR 7170 à l'Université Paris-Dauphine.
Lire
« De la ville mo derne aux micro -o rdres de la ville insulaire. Les espaces publics co ntempo rains à Mexico », Espaces et So ciétés, n° 150 , Vers la ville insulaire ?, pp.
A propos de cet article
Aut e ur(s) : Christian Azaïs
: hélicoptère, Sao Paolo, ciel, métier, frontières