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L’internalité en milieu religieux : un point de césure
entre doctes et manants
Bernard Gangloff
To cite this version:
Bernard Gangloff. L’internalité en milieu religieux : un point de césure entre doctes et manants. Les
cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, Éd. de l’Université de Liège, 1996, 31 (3), pp.104-108.
�hal-01693004�
L•internalité en milieu
relig~eux:
un point de césure entre doctès et-màhl!ints
Bemard Gangloff
1« Je crois en Dieu tout puissant. .. », récitait machinalement Gérard quand il s'arrêta soudain pour réfléchir-une fois n'est pas coutume - au sens des mots qu'il venait de
prononcer. Et bientôt une nouvelle phrase lui vient à l'esprit, phrase qu'il avait anciennement rencontrée dans une revue de psychologie et dans laquelle était en substance avancé que « la perception d'une récompense ou d'une punition comme résultat du hasard, du destin, ou d'autrui tout puissant relevait d'une croyance en un contrôle externe »; et qu'à l'opposé, « considérer ces événements comme étant le fruit
de son comportement ou de ses caractéristiques personnelles relativement stables référait à une croyance en un contrôle interne » 2. Plus globalement, Gérard se souvenait avoir lu que l'explication des comportements, comme celle des renforcements, renvoyant respectivement aux théories de l'attribution et du contrôle, pouvaient l'une et l'autre etre analysées en termes de croyances internes et externes. Ainsi le Credo, profession de foi, parole première symbolisant et scellant
l'appartenance à la communauté religieuse, serait fondée sur l'extemalifé.
Gérard se remémorait pourtant de nombreuses situations dans lesquelles il s'était senti davantage interne que beaucoup de non-croyants. Etait-il alors mauvais fidèle ? Ou
encore son impression sur ces taux d'intemalité différentiels manquait-elle de clairvoyance ? Telles sont les questions que nous avons souhait6 approcher ici en nous demandant plus précisément si les croyants de notre culture, c'est à
4ire
les catholiques, ·étaient plus externes que les non-croyants.•
1
M~odotogieAyant opté pour une approche inductive, nous avons considéré que la revue de la littérature, relevant ailleurs de la définition de la problématique et située de
ce
faiten
amont du choix méthodologique, pouvait constituer ici un premier outil. Cette analyse documentaire nous a alors confronté à une indéniable prolixité de travaux sur l'attribution et le contrôle interne-externe. Cependant très peu d'entre eux renvoyaient à
une comparaison de taux dichotomisés selon l'appartenance religieuse. Ainsi Andrisani et Nestel (1976) se bornent à affmner que« la croyance que le succès et l'échec ont des déterminants internes est fermement ancrée dans l'éthique protestante ». Mais cette
Laboratoire de Psychologie sociale PRIS, Univenité de Rouen, rue Lavoisier, BP 108, 76134 Mont Saint Aignan Cedex.
affirmation ne nous est que de peu d'utilité: outre que les auteurs ne la relient à aucune 6tude, elle ne concerne que les protestants. Quelque peu plus pertinente est la recherche de Russel et Jorgenson (1978) montrant, grâce à une échelle de LOC («locus of control » ), que les religieux sont plus internes que les non-religieux; mais leur population de religieux était constituée de baptistes et de luthériens, aux caractéristiques donc là encore bien difft'zentes de celles des catholiques français.
Aussi avons nous d6cidé de demander à 39 catholiques français de répondre à un questionnaire de LOC. Nos sujets se différenciaient d'après l'intensité de leur
appartenance religieuse, avec d'une part des « professionnels » de la religion ( 17 membres du clerg6 réplirtis en 7 moines et 10 prêtres, les premiers donc membre du clergé régulier, suivant une «règle »,et les seconds appartenant au clergé s6culier, vivant dans le« siècle», dans le monde), et 22 catholiques (parce que baptisés) mais non pratiquants.
L'échantillon des « professionnels » de la religion a été établi par tirage au hasard à partir de la liste alphabétique des institutions religieuses (monastères et églises) d'un département français (l'Isère) puis, afin de contrôler l'influence potentielle d'une particularité li6e à tel ou tel établissement, en choisissant d'interroger au maximum
deux personnes par institution. Quant a l'échantillonnage du groupe CNP, il a repos6 sur la technique de la boule de neige: nous avons demandé
à
une personne détectée CNPde nommer d'autres personnes ayant cette même caractéristique, avec indication de leur statut professionnel, et ainsi de suite. Puis, là encore pour accroilre la repr6sentativité de notre échantillon, nous avons retenu un nombre identique de sujets par statut professionnel. Ajoutons enfin que nous avons vérifié le carac~re gaussien de chacun de nos échantillons 3.
Le questionnaire employé est l'échelle de Dubois (1985) version «contrôle personnel », constitué de 28 items pertinents (et de 14 items de remplissage).
Cependant, alors qu'à chacune des propositions du questionnaire initial les sujets répondent sur un continuum (phrase complètement fausse, plutôt fausse, plutôt exacte ou absolument exacte), nous n'avons ici présenté qu'une alternative de réponses (vrai ou faux).
•
2 Résultats et discussion
Les usultats obtenus (scores d'internalité au questionnaire) figurent dans Je tableau 1, les différences significatives (T de Student) étant consignées au tableau 2.
3 R6pondant à un point soulev6 par un des évaluateurs de l'article, l'auteur précise: « J'ajoute qu'il est bien sOr possible que des variables autres que l'intensité de l'appartenance religieuse différencient ces trois populations. Cependant, du fait que c'est le cas de toute étude, je ne pense pas utile de le pr6ciser dans le texte: ainsi, puisque l'origine sociale et le niveau d'études sont cit6s par l'un des lecteurs, et que pour m'en tenir à quelques études sur l'intemalit6, je rappelle que Beauvois et le Poullier (1986) ne mesurent que la profession; que Dubois (1988), Dubois et Twgnon (1989) ne prennent pas non plus en compte ces deux variables. Par ailleurs, si ces deux variables avaient ici une influence, ·cela signifierait, vu mes résultats, que les moines auraient un niveau d'études et une origine sociale supérieure à ceux des deux autres groupes. Or, du moins à ma connaissance, aucune étude n'étaye une telle hypothèse ».
Tableau 1
Moyenne des taux d'lnternallté obtenus (x théoriques= 14)
Refigieux
Réguliers Séculiers
I
CNP24,167 20,3 21,647 18,318
CNP =catholiques non pratiquants
Tableau2
Lieux des différences significatives obtenues
Religieux
Réguliers Séculiers
2
CNP
On observe ainsi que, globalement, les religieux sont plus internes que les CNP (t
=
2,702; p=
.003). Cependant, une analyse plus fine met en évidence que seuls les membres du clergé régulier sont plus internes que les CNP (t=
3,272; p = .003), les moines se révélant également plus internes que les prêtres (t = 2,636; p=
.0195).Le premier point intéressant est la plus forte internalité des religieux, pris globalement, par rapport aux CNP. Une premi~re interprétation peut alors provenir de l'outil utilisé. Ainsi Russell et Jorgenson (1978) se sont demandés pourquoi être
membre d'un groupe religieux, appartenance impliquant un~ croyance en une entit6 supranatureUe puissante et présupposant de ce fait un taux d'intemalit6 plus faible que chez les non religieux, se traduisait en fait par des résultats inverses. Ils ont alors attribué cette contradiction aux caractéristiques multidimensionnelles, pour eux, de l'échelle de Rotter utilisu. De la même façon Silvestri (1979) a mesuré le niveau d'intemalité de 35 participants à un meeting religieux d'après leurs réponses à l'échelle de Rotter. Et il l'a mis en rapport avec leurs réponses à une autre question, portant sur le degré de pouvoir que les sujets attribuaient respectivement à eux-mêmes et à Dieu concernant leur propre destinée. Silvestri a alors constaté que se sentir dépendant envers Dieu impliquait une indépendance vis à vis de la chance, d'autrui,... c'est à dire renvoyait à des réponses internes au questionnaire de Rotter. en d'autres termes,
manque de causes externes spécifiquement relatives à Dieu. Que les religieux y fournissent alors des réponses internes est tout à fait cohérent avec leur doctrine, mais
il s'agit alors de réponses internes consistant en un rejet des réponses externes proposées, réponses externes faisant la part trop belle au hasard, au destin, ... et non d'un choix de l'internalité en elle-même.
Par ailleurs, le deuxième point à analyser, c'es~-dire le fait que le lieu de scission se situe intra-religieux et non entre religieux et CNP, peut fournir une seconde interprétation aux résultats globaux obtenus.
Comme le relate vertenfent Drewermann (1993), le dogme de l'Eglise vaticane prône bien l'extemalité: « le christianisme a toujours demandé à ses fidèles de devenir humbles ( .. ), d'être sans pouvoir parmi les hommes » (p. 598); « ni la vie, ni le monde, ni l'amour, ni la renonciation, ni l'avenir, ni la victoire sur la mort ne sont aux mains de l'homme( .. ). Nous sommes encouragés à nous libérer de notre pouvoir» (p. 597-598). Le catholique se caractérise ainsi par un « abandon de tout mouvement de volonté propre», abandon comblé par« l'intériorisation( ... ) d'"ime direction venant de l'extérieur » (p. 377), par « l'imposition extérieure » des décisions (p. 380) au détriment du « caractère personnel de la décision » considéré comme « le principe de tout mal » (p. 379) A travers chaque événement, chaque action, chaque décision, c'est en fait « Dieu lui-même, ou éventuellement l'Eglise du Christ, qui parle »
(p.
378). On observe même chez les catholiques un « escamotage de tout ce qu'il y a de personnel dans l'activité » avec « transfert de volonté du moi sur celle, toute extérieure, d'un autre » (p. 376). Cette pression à l'externalité semble certes d'autant plus intense que l'on entre dans les ordres: «la liberté du sujet ne cesse de la [l'Eglise] menacer. Impossible de faire jamais totalement disparaitre la spontanéité de la personne »; aussi faut-il que « l'individu transfère lui-même sa liberté en lien de contrainte indissoluble ( ... ).L'individu doit jurer( .. ) que sa liberté est désormais enchatnée »(p. 186-187). Cependant Drewermann montre que le véritable point de césure se situe au sein du clergé lui-même:« le principe hiérarchique du gouvernement de l'Eglise catholique est du genre oligarchie spirituelle de tradition» (p. 157-158); «une personne non avertie aura du mal à se figurer la force de la pression extérieure sur les prêtres et les religieux ( ... )d'ordre non contemplatif,. (p.l91). Dy a existence d'une« caste qui doit définir la vérité » (p. 109), avec volonté de « créer des personnes obéissantes et scnitïiises qu'mi peut exploiter jusqu'à l'extrême limite ,. (p. 133).De
même Eco ( 1982) met en lumière l'existence de cette oligarchie se réservant lapossession de la vérité et des secrets: «seul le bibliothécaire( ... ) a le droit de circuler dans le labyrinthe des livres; lui seul sait où les trouver; lui seul décide comment, quand, et de l'opportunité de pourvoir le moine qui en fait la demande( ... ). parce que toutes les vérités ne sont pas bonnes pour toutes les oreilles » (p. 54-55). En particulier, en matière de causalité des événements il s'agit de préserver les gens simples contre l'angoisse que pourrait générer le sentiment de la liberté: « le peuple de Dieu tout entier n'est pas encore près
à
accepter tant de secrets ( ... ), il pourrait êtreterrorisé » (p. 116-117). Le simple fait de se poser la question de la responsabilité des événements devrait même être réservé à Dieu ou à ses représentants les plus directs, dit encore Eco: « raisonner sur les causes et les effets est chose fort ardue dont je crois que l'unique juge puisse être Dieu » (p. 45).
Ces quelques fragments de ~xtes tendent à montrer que l'Eglise catholique adopte ·vis4-vis de ses ouailles une pédagogie d'externalité, et que cette pédagogie est aussi
bien dirigée vers les fidèles que vers les membres de l'Eglise; les seuls à pouvoir échapper à cette pression sont ceux qui élaborent les dogmes ou qui, en situation de relégation monastique, sont amenés à une réflexion approfondie des normes 6dict6es sans pour autant représenter un danger de déstabilisation pour l'organisation.
Et
de ce point de vue, le personnage le plus interne de l'Eglise catholique devraitetre
le Pape ... mais nous n'avonspas
pu le vérifier.•
3
Références
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