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La correspondance et son utilisation littéraire dan ‘La Comédie Humaine’.

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(1)

1

lA CORRESPONDANCE ET SON UTILISATION LITTERAIRE DANS 1

lA COMEDIE HUMAINE

by

Estelle E. Schecter

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial

fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts.

Department of French, McGill University,

(2)

Pages INTROWCTION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 1

CHAPITRE I - Lettres utilisées dans un but dramatique

.

.

.

6

CHAPITRE II - Lettres utilisées dans un but narratif • • • • 80

CHAPITRE I I I - Lettres utilisées dans un but psychologique • 119

CHAPITRE IV - Lettres utilisées dans un triple but • • • • • 139

CHAPITRE V - Caractéristiques des lettres et leur emploi • • 147 dans La Comédie Humaine

CON:LUSION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 156 APPENDICE -Tableau I

.

.

.

.

.

.

.

. .

.

.

. . .

• 159 Tableau II • • • •

.

. .

• 181 Tableau III

• • • • •

• •

• • • 182 Tableau IV • •

• • • • • • • • • • • • 183 B IBLIŒRA.PH IE • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 184

(3)

INTRODUCTION

De tous les artifices techniques employés par Balzac pour donner à La Comédie Humaine le mouvement et la variété de la vie, l'utilisation des lettres est l'un des plus remarquables. Balzac en effet se complaît à rédiger des missives de toutes sortes, depuis la lettre d'affaires truffée de chiffres jusqu'au billet-doux le plus galant. Il accompagne fort souvent ces compositions de commentaires qui attestent du plaisir que lui a procuré leur rédaction et montrent amplement que le romancier les a insérées volontairement dans un but précis: peindre un caractère, nouer une situation, renseigner le lecteur, surprendre l'attention, inspirer la crainte, déclencher le drame- bref, que Balzac leur assigne une place de choix dans son arsenal littéraire. Aussi nous a-t-il paru important de leur consacrer une étude détaillée.

Le procédé n'est pas nouveau. Depuis qu'Honoré d'Urfé a introduit 38 lettres et billets dans le premier volume de L'Astrée, ses successeurs lui ont allègrement emboîté le pas. La mode des "romans par lettres .. n'a pas réussi

à

jeter sur cette technique un discrédit permanent, et il faut bien admettre que l'échange de corres-pondance entre diverses personnes se justifie aussi bien dans la littérature que dans la vie. Mais La Comédie Humaine présente un ensemble romanesque si considérable que certains procédés, qui

(4)

passeraient inaperçus dans une oeuvre moins ample, y assument des proportions commensurables avec les milliers de pages imprimées. Une étude de l'utilisation des lettres dans les romans de Marivaux ou de Flaubert ne se justifierait guère. La Comédie Humaine, au contraire, fournit matière à un examen approfondi menant à des conclusions, qui, espérons-le, ne seront pas sans intérêt.

Un tel examen pose des problèmes dont le moindre n'est pas le classement de la correspondance. Il est en effet malaisé de répartir dans les casiers commodes d'une classification a priori 574 missives dont la caractéristique la plus frappante est la diversité. Quels critères adopter pour un groupement logique? Longueur?

expéditeur? nature de la lettre? répartition selon les "Etudes" et "Scènes"? Les en-têtes du recensement général figurant à l'Appendice

(Tableaux 1 à IV) indiquent que nous avons considéré ces éléments d'appréciation. Après mûre réflexion nous avons décidé que seule une méthode empirique s'inspirant des fins que poursuivait Balzac en

rédigeant cette "sommeu de communications épistolaires permettrait d'apprécier l'importance de leur rôle dans la technique du romancier. C'est pourquoi s'est finalement imposé à nous la classification

suivante:

1) Lettres écrites dans un but dram.a t i que ;

2) Lettres écrites dans un but narratif;

3) Lettres écrites dans un but psychologique.

Ainsi se trouve donné le cadre des trois preaiers chapitres du présent mémoire.

Il va de soi que certaines lettres participent à la fois à

(5)

3

-plus d'une rubrique. Mais cette constatation n'infirme pas notre tentative de classement: elle prouve, tout au plus, qu'en matière littéraire la rigidité n'est pas de mise. D'ailleurs notre chapitre IV, consacré à certaines lettres d'amour, apparemment rebelles à

toute classifitation, est dédié aux critiques des chapitres précédents: il leur fait amende honorable en illustrant comment une même lettre remplit à la fois trois fonctions étroitement liées.

Deux des romans de La Comédie Humaine se situent, par leur nature même, en dehors de notre étude. Les Mémoires de deux jeunes mariées et Le Lys dans la Vallée sont en effet des romans épisto-laires.1 Par contre, bien que les.lettres figurant dans les

"Etudes Analytiques'' ne soient pas vraiment incorporées à la trame d'un récit mais plutSt citées à titre d'exemple, elles tombent sous le coup de notre analyse comme celles des "Etudes de Moeurs" et des "Etudes Philosophiques" • D'ailleurs nous avons cru nécessaire de tenir compte non seulement des lettres données en entier mais encore des lettres résumées et de celles dont l'existence se révèle par allusion, soit que Balzac n'ait pas voulu lasser le lecteur en les reproduisant "in extenso", soit qu'il ait manqué du temps nécessaire

à leur composition. Nous avons donné, d'autre part, au terme

"correspondance" une très grande extension lexicale en l'appliquant

à toutes les communications écrites, y compris dépêches militaires, pétitions, faire-part, invitations etc •••

Bien que 1 'édition Conard2 soit "la Vulgate des Balzaciens",

1. Alain dans Avec Balzac (Gallimard, Paris, 1937) fait remarquer, (p. 121) que Le Lys est en effet un roman par lettres.

(6)

nous avons utilisé l'édition de La Comédie Humaine publiée dans la Bibliothèque de la Pléiade.1 Cet ouvrage est en effet beaucoup plus accessible et figure en bonne place dans la bibliothèque des

Balzaciens d'aujourd'hui. D'ailleurs l'exemple vient de haut. Un Balzacien de la trempe du Dr. Pernand Lotte {auteur du fameux Dictionnaire biographique des Personnages fictifs de la Comédie

Humaine)2 n'hésite pas i référer le lecteur

à

l'édition de la Pléiade dans son article sur le "retour des personnages" publié dans L'Année balzacienne 1961.3 Et des Balzaciens moins notoires, J.-H. Donnard4 et R. Pierrot,5 en font autant dans le même recueil. Enfin les doctes calmeront leurs scrupules érudits en constatant que Marcel Bouteron a établi le texte publié chez Gallimard aussi bien que celui de l'édition Conard.

Nous avons adopté pour les titres des romans cités dans les notes au bas des pages les mêmes sigles que ceux utilisés dans

l'édition de la Pléiade dont le chiffre romain indique dans nos notes, 6

la tomaison et les chiffres arabes la pagination. Nous avons

également indiqué dans ces notes par le signe: (rés.) les lettres dont Balzac donne seulement un résumé; et par le signe: (all.) celles

1. Balzac, Honoré de, La Comédie Humaine, 10 vol., La Pléiade, Paris,

1935-1937. Les Contes Drolatiques, Oeuvres ébauchées et préfaces, vol. XI, La Plêiade, Paris, 1959.

2. Lotte, Pernand, Dictionnaire biographique des personnages fictifs de la Comédie Humaine, Josê Corti, Paris, 1952.

3. Lotte, Pernand, "Le 'Retour des Personnages' dans 'La Comédie

humaine" in L'Année balzacienne, 1961, pp. 227-281, Garnier, Paris,

1961.

4. Donnard, Jean-Hervé, "Deux Aspects Inconnus du Saint-Simonisme de Balzac" in L'Année balzacienne 1961, pp. 139-147, Garnier, Paris,

1961.

5. Pierrot, Roger, nvers la vie Fortunée" in L'Année balzacienne 1961,

pp. 67-72, Garnier, Paris, 1961. 6. Cf. Vol.

xr.

pp. 1129-1130.

(7)

s

-auxquelles il se contente de faire allusion. Si ni l'un ni l'autre de ces deux signes n'apparatt, la lettre en question a été imprimée en entier.

(8)

1

LETI'RFS UfiLISEES DANS UN BUT DRAMATIQUE

Les récits de La Comédie Humaine sont émaillés de lettres dont le but principal est de faire avancer l'action. Cette légion de "ressorts", habilement dêguisés en correspondance, englobe les lettres d'affaires, les billets-doux, les lettres officielles, les lettres d'époux- bref, toute la gamme des communications écrites. Souvent, en effet, la valeur dramatique d'une missive dépend beaucoup plus de la situation créée par Balzac et des circonstances qui

accompagnent son emploi (ainsi que du moaent de son arrivée, de son interception ou de sa lecture par une tierce personne) que de sa nature m&e. Toutefois certaines catégories de lettres se prêtent mieux l l'utilisation dans un but dramatique et Balzac y a le plus souvent recours.

Les lettres d'amour

Notre auteur, par exemple, exploite au maximum les

possibilités de la lettre d'amour qui, par raison de son but, de sa nature intime et des rapports entre les correspondants, est admira-blement bien adaptée

l

l'utilisation dramatique. Chez Balzac une lettre d'amour est parfois employée comme ressort de l'action en tant que moyen auquel ont recours les amants ou les amantes qui cherchent

(9)

7

-se faire accorder un rendez-vous ou une faveur. Elle joue aussi un tel rôle lorsqu'elle représente le seul moyen de communication entre deux amants surveillés de près. Enfin une missive de nature compromettante fait souvent l'objet d'une interception et sert ensuite d'instrument de chantage, situation qui, elle aussi, est riche de potentiel dramatique. Nous examinerons tour à tour chacun de ces trois emplois enfin de mieux évaluer les efforts de Balzac dans ce domaine.

Les lettres et billets destinés à assurer la continuation d'une liaison, à inspirer de l'amour ou à se faire accorder une grice abondent dans La Comédie Humaine, que ce soient des amants ou des amantes qui s'en servent. On n'a qu'à penser aux efforts de

1

Gaston de Neuil auprès de Mme. de Beauséant, à ceux de Calyste du Guénic auprès de Mme. de Rochefide2 ou à ceux de Raoul Nathan auprès

de Mme. de vandenesse,3 entre autres, pour se rendre compte de la fréquence de ce phénomène. Les f em.mes y ont recours aussi. C'est largement grâce à des lettres et à des billets que Delphine de Nucingen s'assure de l'assiduité d'Eugène de Rastignac4 et que Louise de Bargeton a le même succès auprès de Lucien de Rubempré.5

Or toutes ces lettres contribuent à engager ou à sceller des liaisons qui sont des éléments importants des drames respectifs où elles

1. Dans ~' II, PP• 229-301 233.

2. Dans !!_, Ibid., pp. 461·4, 4 72-3 •

3. Dans PB, II, p. 133 sqq. (all.) "La correspondance", dit Balzac, "oÙ laplume est toujours plus hardie que la parole, où la pensée revêtue de ses fleurs aborde tout et peut tout dire, avait fait arriver la comtesse au plus haut degré d'exaltation .. , Ibid., p. 134. 4. Dans ~. Ibid., pp. 961-2, 994, 10061 1055.

(10)

. 1

para1ssent.

L'habitude de la correspondance amoureuse se pr~te parfois

i une utilisation assez différente. Dans la nouvelle Etude de 2

Femme , par exemple, une lettre que Rastignac rédige à l'intention de Mme. de Nucingen mais qu'il adresse par inadvertance à la

vertueuse marquise de Listomère met tout en branle, cet équivoque étant le point de départ même de la nouvelle. Et dans une des nouvelles comprises dans Autre Etude de Femme3 l'habitude de correspondre amène de Marsay chez sa mattresse pour lui apporter une lettre, incident qui lui aussi sert de tremplin à l'action, car de Marsay surprend sa mattresse avec un autre. La Comédie Humaine offre plusieurs variantes de cette même situation, variations qui témoignent de l'ingéniosité de Balzac.

Par ailleurs Balzac déploie encore plus d'habileté dans son maniement de la lettre utilisée comme instrument destiné i

inspirer de l'amour, soit qu'il fasse réagir le destinataire d'une manière négative, - ce qui déclenche une série d'incidents rapides ou propulse l'action dans une direction tout autre que celle

attendue • soit qu'il ait recours i une lettre pour provoquer la rupture d'une liaison, - ce qui précipite les derniers événements du drame. D'autre part très souvent dans ces cas le romancier, au lieu de se limiter

à

une ou plusieurs lettres isolées, nous offre un échange ou toute une suite de missives. Enfin l'utilisation

1. Cf. aussi 1) le billet-doux (all.) de Foedora

1

Rapha!l dans PC (IX, pp. 121 ... 2). 2) Le billet de Massimilla Doni

à

Emilio (~

x,

p. 330). 3) L'incident où Collin guérit Mme. de Sérizy en lui montrant une lettre de Lucien- dans SMC, V, pp 1145 sqq.

2. Pl. 1, pp. 1050 sqq. (all.). ---3. III, pp. 214 sqq. (all.).

(11)

9

-adroite d'une ou de plusieurs lettres introduit maintes fois dans le récit des éléments d'humour, de compassion ou d'appréhension.

Citer des exemples pour attester de l'exactitude de ces remarques et, partant, du génie de Balzac, pose un problème qui n'est pas

à

déplorer-

à

savoir, l'embarras du choix. Les limites

imposées

à

ce mémoire ne permettent pas de s'attarder sur tous les exemp-les magnifiques qu'off re La Comédie Humaine • Deux que nous soumettrons

à

un examen assez poussé témoigneront de la technique du romancier: l'échange de lettres entre le baron de Nucingen et

1

Esther Gobseck dans Splendeurs et Misères des Courtisanes et la série de lettres censées envoyées par la duchesse de Langeais dans

2 la nouvelle de ce nom.

L'emploi de la lettre du banquier Nucingen, elle-m~me un chef-d'oeuvre de tragi-comédie, illustre comment une lettre d'amour peut déclencher une suite d'incidents qui tout amusants qu'ils soient mènent

à

la catastrophe. On se rappelle que le baron,

fatigué d'attendre sa "récompense", décide de "traiter 1 'affaire de son mariage par correspondance, afin d'obtenir d'(Bsther) un

. h . 3

engagement ch1rograp ure". Malheureusement la lettre du baron, lettre qui fait rire par son incongruité et qui attriste par sa sincérité, n'obtient de la destinataire que le cri: "Eh~ il m'ennuie ce pot

à

millions~"

4 et une page de papier

à

poulet

5 couvert de cette expression charmante, "Prenez mon ours ...

1.

v,

pp. 821-3, 823, 823-4, 824, 834-5. 2. Ibid., pp. 223 sqq. (rés.).

3.

Ibid:,

p. 821.

4. Ibid., p. 823.

(12)

Il n'est pas surprenant que le pauvre baron ait recours au remède des financiers du dix-neuvi~me siècle, le bain de pieds. Deux

1

autres lettres d'Esther, envoyées un peu plus tard, où elle

déclare qu'elle se donnera mais que sa mort s'ensuivra, confondent le bar.on dont le spectacle fait rire, et inspirent en même temps au lecteur, qui sait qu'Esther ne plaisante pas, une certaine appré-hension, surtout que Balzac commente la réaction de la femme du

baron, peu inqui~te, par cette remarque, "Mme. de Nucingen ignorait

.,

f.

2 ., 1 '

ent1erement la nature- 1lle". Une dern1ere ettre d Esther au

3

baron où elle prétend avoir changé d'avis à son sujet et être prête

à

se donner confirme nos inquiétudes et m~ne l'action jusqu'au seuil de la catastrophe.

L'exemple de la lettre du baron montre comment une s~Jle

missive destinée

à

obtenir les faveurs d'une mattresse peut précipiter le dénouement d'un récit. Celui que fournit La Duchesse de Langeais 4 illustre l'utilisation de toute une suite de lettres qui m~nent

rapidement au point tournant du drame d'une toute autre façon. D'abord toutes les lettres en question sont expédiées par Mme. de Langeais qui cherche à ramener à elle Armand de Montriveau.

L'envoi de chacune d'elles fait avancer l'action non par la réaction provoquée chez le destinataire mais justement par l'absence de

réaction. C'est le travail de l'esprit chez Mme. de Langeais à la suite de lettres demeurées sans réponse qui fait avancer l'action. Le fait que toutes les lettres sauf la derni~re sont résumées,

1.

v,

pp. 823-4, 824. 2. Ibid., p. 825. 3. Ibid., pp. 834-5.

(13)

- 11 ...

technique qui accllère le rythme de la nouvelle et contribue à créer chez le lecteur une appréhension croissante, ajoute d'ailleurs à

l'intérêt de leur emploi. Un examen succint de cette série mettra en évidence l'art de Balzac.

On se rappelle les quelques pages magnifiques où Balzac décrit l'état d'esprit de la duchesse ainsi que ses efforts épisto-laires et autres pour reprendre Armand de Montriveau, comment cette femme titrée s'abaisse jusqu'à envoyer son valet quérir des réponses, comment elle finit par se rendre elle-même chez Armand où elle trouve ses quatorze lettres non décachetées sur un vieux

guéridon~

1 Le lecteur sait qu'il n'y a qu'une solution possible au dilemme

• . ... 2 .

d'Anto1nette, celui auquel elle a recours, une dern1ere lettre, pu1s

3

la retraite.

Si cette dernière lettre est donnée en entier et (par conséquent) retarde l'action, jusqu'ici rapide et propre à tenir éveillée l'attention du lecteur, c'est à bon escient. Car cette lettre rend encore plus sensible l'état d'âme de la duchesse et renforce la compassion et l'appréhension que sa situation a déjà fait naître chez le lecteur. Les raisonnements et l'explication lucide de sa conduite antérieure contenus dans cette lettre,

plaidoirie éloquente d'ailleurs, témoignent que nous avons toujours

1. Balzac semble s'être trompé. A la page 225 (V) il dit:

.. Pendant vingt-deux jours madame de Langeais écrivit à monsieur de Montriveau sans obtenir de réponse" mais à la page 241

"Restée seule, elle vit ses quatorze lettres posées sur un vieux guéridon" •

2. Ibid., pp. 243-s.

3. Cf. la lettre de Béatrix à La Palférine dans B (II, p. 616) où Béatrix se compromet tant qu'elle devient la victime des

(14)

affaire

1

une femme qui sait raisonner, mais le style exclamatoire, les arrêts, le ton désespéré, trahissent son véritable état d'âme. La duchesse se dit prête

1

se retirer dans un couvent si Armand ne vient pas et le lecteur sait que c'est un dernier ultimatum, que cette fois elle est bien décidée. Les précautions prises par la duchesse pour être certaine qu'Armand lira la lettre et ses prépara-tifs faits au cas où Armand n'agirait pas attestent de sa sincérité. Après une lettre aussi compromettante il n'y a pas d'autre moyen de

racheter son estime-propre. Ainsi attend-on la réaction d'Armand en craignant le pire.

Le délai fixe de trois heures prescrit par Antoinette rend sensible le passage du temps et accroît l'appréhension du lecteur

1

mesure qu'il s'écoule. Le spectacle de la duchesse qui garde de l'espoir jusqu'au dernier moment, qui se rend même chez Armand où elle attend jusqu'à huit heures et quart, qui finit par se désespérer et s'enfuir à travers les rues de Paris en pleurant, est des plus pathétiques. Et le départ occasionné par le manque de réponse à cette lettre est d'autant plus tragique qu'Armand sort pour aller

à

l'hStel de la duchesse quelques moments après la fuite de celle-ci. Il avait été retenu par une conférence et de plus sa pendule

retardait. On sait quelles recherches suivent cette fatale soirée, point tournant du drame, amené par cette série de lettres à base

1

d'une situation adroitement exploitée.

Si l'exemple pris dans La Duchesse de Langeais est

telle-1. Cf. aussi dans MD (IV, pp. 154 sqq.) les lettres de Dinah à Lousteau (rés.

ët

all.). Comme Lousteau ne lit pas les lettres et n'y répond pas, il a'est pas du tout préparé - et le lecteur non plus -

à

l'arrivée de Dinah

à

Paris, point tournant du drame.

(15)

13

-ment intéressant c•est en partie parce qu•il est à peu près le seul dans son genre. D'autres lettres sont destinées à ramener un amant mais au contraire de celles de La Duchesse de Langeais elles font avancer l'action en provoquant une réaction chez le destinataire, témoin par exemple la lettre écrite par Mme. de Beauséant à Gaston de Neuil1 vers la fin de La Femme Abandonnée.2 Toutefois si la technique est un peu différente, le résultat est le même; de nouveau l'envoi d'une lettre précipite la catatrophe comme le souligne Balzac lorsqu 'il dit : "Cette lettre décida le combat.

(Gaston) résolut de quitter la marquise et de se marier ... 3 De plus, la lettre de Mme. de Beauséant, de même que celles de Mme. de

Langeais, inspire au lecteur de la compassion pour cette femme dont le désespoir se révèle dans le rythme saccadé et le style nerveux de sa lettre ainsi que l'appréhension, car le fait même que Mme. de Beauséant a été poussée

à

écrire suggère au lecteur l'issue de cette affaire. On ne peut que sympathiser avec elle qui espérait ramener Gaston a

..

ses pieds et qui, au lieu d'une visite, reçoit une

4

lettre froide et révélatrice. L'intérêt de cet échange de lettres

5

est renforcé par un post-scriptum où deux autres lettres, de la part de Gaston de Neuil cette fois, jouent un rôle. Leur peu d'influence sur Mme. de Beauséant amène le suicide de Gaston et,

1. II, pp. 236-240.

2. Cf. aussi le billet-ultimatum de Mme. de Beauséant à Adjuda•Pinto dans PG (Ibid., pp. 903-4).

3. Ibid.:-p. 241.

4.

Ibid:,

p. 241 sqq. (rés.), cf. dans PMV (X, p. 1043). Lorsque Ferdinand envoie une lettre à Caroline-au lieu de venir Balzac

commente: "Quel coup de poignard que ce mot de Justine: "Madame,

une lettre~ Une lettre au lieu d'un Ferdinand~ comment se

décachette-t-elle? que de siècles de vie épuisés en la dépliant~

Les femmes savent cela ••• ".

(16)

partant, la conclusion de la nouvelle.

Par ailleurs, dans La Comédie Humaine, on trouve des

lettres d'amour de nature semblable à base de situations encore plus compliquées. Dans Modeste Mignon par exemple, une lettre de Canalis l la duchesse de Chaulieu1 met en branle une série d'événements menant au dénouement. De nombreuses autres lettres dont une de la duchesse elle-même2 et une du duc d'Hérouville à un ami du duc de

3 A 4

Chaulieu y jouent un role. Une partie de la lettre de la duchesse à Canalis est montrée par celui-ci à Modeste dans un effort pour se tirer d'affaire. Bn fait, il se perd et, en se perdant, décide Modeste à choisir Ernest comme mari, choix qui

5 termine le drame.

Il faut aussi dire quelques mots du billet d'Arthur à

6

Julie d'Aiglemont dans La Femme de Trente Ans qui fait plut6t exception. Ce billet qui arrive après un silence de deux ans, à un moment où Julie se demande si Arthur l'a oubliée, déclenche une

série d'incidents qui mènent rapidement et brusquement au dénouement de cet épisode. Dans ce billet, qui a un tel effet sur Julie que ses propos et ses gestes revêtent quelque chose de fou, Arthur lui

révèle ne jamais avoir quitté Paris mais avoir continuellement

1. I-id., I, pp. 569-71.

2. Ibid., p. 574.

3. Ibid., p. 573 (rés.).

4. cf. aussi 1) une lettre de la femme de chambre de la duchesse à

Butscha et la réponse; Ibid., p. 571 (rés.). 2) les lettres de la duchesse de Chaulieu

i

Mlle. d'Hérouville et

à

Mlle. de

Maufrigneuse (all.), Ibid., p. 574.

s.

cf. les lettres échangees par Charles et Bugénie Grandet vers la fin d'BG (III, pp. 636-9, 645-6). Une troisième lettre de Grassins

à sa femme (imprimée en partie) et montrée à Bugénie par Mme. des Grassins joue un r6le dans les événements en détrompant Bugénie

(pp. 641-2).

(17)

15

-veillé sur elle à son insu. Il lui demande, d'autre part, de le recevoir en l'absence de son mari, car il se meurt et veut lui dire adieu. L'agitation de Julie, le départ de son amie, Mme. Wimphen, l'entrée d'Arthur, le retour du comte d'Aiglemont et les événements fatals qui suivent ont lieu avec une rapidité incroyable qui pousse cette affaire dans le passé sans que le lecteur se soit rendu

compte du tragique de ce dênouement, catastrophe précipitée par le

1

simple envoi du billet d'Arthur.

Souvent les lettres d'amour et, plus souvent, les ensembles de lettres d'amour, sont employées comme ressorts du drame en tant que moyen de correspondre entre deux amants séparés par les événements ou les gens. Les correspondances utilisées

ainsi, comme les lettres d'amour de la première catégorie d'ailleurs, déclenchent parfois l'action proprement dite ou la mènent à la

catastrophe. Mais ici Balzac insiste surtout sur le danger qui menace les correspondants et sur les ruses ingénieuses auxquelles ils doivent avoir recours, sans doute afin d'attirer l'attention du lecteur sur les lettres et jouer sur les émotions de celui-ci. Il existe chez notre auteur de nombreux exemples d'un tel emploi de la lettre chacun un peu différent des autres. La suite de lettres

2

échangées par Pierrette Lorrain et jacques Brigaut contient

cependant tous les éléments trouvés à part ou en combinaison ailleurs.

1. Cf. aussi 1) la lettre reçue par Blondet de Mme. de Montcornet dans Pay., VIII, pp. 311-2,(all.) 2) Le billet de Florine à

Nathan dans

E!,

II, p. 108(all.) 3) Le billet de La Palferine

à

Claudia PB, VI, p. 848(rés.). 4} La lettre de Nathan à Marie de Van4enesse dans ~. II, p. 141 sqq. (rés.) 5) La lettre de Félicité à Calyste qui le décide à signer le contrat de mariage dans

!•

II, pp. 520-2.

(18)

Nous l'examinerons, par conséquent, en détail.

L'intérat dramatique de cette suite de lettres est dû en partie au fait qu'il s'agit de deux enfants en face d'une vieille fille endurcie par la vie et plus particulièrement par la jalousie. Or les lettres elles-mêmes, expression simple d'un amour des plus candides et des plus tendres, soulignent ce contraste en mettant en relief l'innocence et la faiblesse de ces deux jeunes enfants, tout seuls dans la vie. Ces lettres pathétiques contiennent, en outre, une condamnation des Rogren d'autant plus complète qu'elle est prononcée sans arrière-pensée et écrite dans un style atténué. La valeur dramatique des lettres est encore renforcée par les

commentaires de Balzac qui nous avertit avant même de les transcrire

1

qu'elles vont servir"de pièces dans un horrible débat judiciaire". Si le fond et la forme de ces lettres contribuent à

l'intérêt de leur rôle dramatique, ce sont surtout les ruses ingénieuses auxquelles doivent avoir recours Pierrette et jacques qui y ajoutent. Les démarches des jeunes nous rappellent que ces lettres sont pour Pierrette beaucoup plus qu'un moyen de

correspondre, qu'elles représentent sa seule planche de salut et de vie. D'autre part, le recours à des ruses rend sensible et renforce le danger qui augmente à mesure que Sylvie devient plus soupçonneuse et Pierrette plus malade, danger qui inspire au lecteur une

appréhension montante et qui ne se dissipe qu'avec la mort de Pierrette. On guette par conséquent les moindres gestes des

personnages, depuis l'incident au marché où Brigaut glisse dans la main de Pierrette un premier billet jusqu'à la magnifique scène où

(19)

17

-Sylvie découvre Pierrette en train de monter une lettre l sa fen~tre.

On accompagne la jeune fille dans son voyage nocturne à la salle l manger pour trouver papier, plume et encre. On la regarde descendre sa lettre de sa fen~tre au beau milieu de la nuit tout en retenant son haleine pour ne pas éveiller Sylvie dont la chambre est directement en dessous de la sienne. La nuit suivante on guette de nouveau Pierrette dans le plus grand silence. On voudrait l'avertir que Sylvie s'est levée, qu'elle voit Brigaut s'éloigner vers la maison du colonel, qu'elle découvre la ficelle mais on ne peut que partager les craintes de Pierrette qui, sans comprendre la

terrible jalousie de vieille fille de Sylvie, sait qu'elle est furieuse et qu'elle l'épie de pr~s. Ainsi se termine le premier acte de cette tragédie.

Le deuxiame s'ouvre sur Pierrette qui double son corset avec ses deux premi~res lettres de Brigaut et les recouvre de calicot. Cette démarche souligne l'imminence de la catastrophe et renforce le "suspense" qu'accentue encore une sorte de trêve avant l'orage. jacques s'est rendu compte de la fatigue que causaient ses veilles à Pierrette et il s'est arrêté pour le moment de lui écrire. Entretemps s'introduit un nouvel élément d'cppréhension. jacques, à l'insu de Pierrette, a écrit à la grand-mère de celle-ci, Mme. Lorrain, une lettre courte et directe soulignant le danger menaçant Pierrette et la priant de venir.1 Arrivera-t-elle à temps? Ce point d'interrogation intensifie l'intérêt de la situation.

Sylvie de son c8tê épie toujours. On comprend qu'après

(20)

trois jours et trois nuits d'espionnage infructueux sa jalousie et sa fureur ont atteint leur apogée. Quant 1 Pierrette elle est prête l s'effondrer. C'est alors qu'a lieu l'évanouissement de Pierrette et que Sylvie découvre la cachette de ses lettres. De plus,

Pierrette se cogne la t~te, ce qui aggrave sa maladie, et Vinet accroit les soupçons de Sylvie en suggérant une liaison entre Pierrette et le colonel. Tout est pr@t pour la scêne magnifique qui a lieu cette m@me nuit lorsque Brigaut siffle et que Pierrette se l~ve pour monter sa lettre. Sylvie se l~ve aussi, atteint la chambre de Pierrette au moment o~ celle-ci détortille son peloton de soie pour dégager la lettre de Brigaut. Alors a lieu "un combat terrible, un combat infâm.e".1 D'un côté Sylvie, qui montre ttun horrible masque plein de haine et grimaçant de fureur", 2

déterminée 1 avoir cette lettre; de l'autre c8té la pauvre

Pierrette qui se meurt, également déterminée 1 la garder, la serrant dans la main avec toute la force qui lui reste. Alors, selon

Balzac, "Sylvie empoigna dans ses pattes de homard la délicate, la blanche main de Pierrette et voulut la lui ouvrir".3 .Elle mord la main de Pierrette, la frappe contre l'appui de la fenêtre tandis que Pierrette crie au secours. .En ce moment arrive la grand-m~re qui emporte la pauvre Pierrette, toujours tenant sa lettre, de cette terrible maison. Ainsi se déroule une série d'événements des plus captivants dont le point de départ est une correspondance servant de moyen de communication entre amants surveillés de pr~s.

1. III, p. 756. 2. Ibid.

(21)

19

-Par ailleurs dans La Comédie Humaine les lettres qui servent de moyen de correspondre entre deux amants, ou entre deux jeunes susceptibles de devenir amants, engagent des liaisons qui sont par la suite des éléments importants du drame. Tel est le r6le de la lettre de de Marsay 1 Paquita Vald~s dans La Pille aux

1

Yeux d'Or, par exemple. L'aventure dont il s'agit est cependant des plus invraisemblables et bien que la lettre elle-m@me joue un rale technique important la situation manque d'intérêt. Balzac d'ailleurs ne réussit pas à nous faire sentir l'élément de danger que comporte l'exploit de de Marsay ni a nous faire sympathiser

2 avec les correspondants.

En plus de la lettre qui cherche à inspirer de l'amour ou qui assure la communication entre deux amants, il faut

considérer la lettre ou billet-doux en tant que document révélateur et tr~s souvent compromettant, susceptible de faire réagir un

troisi~me personnage en quelque sorte liée à la vie des corres-pondants. La réaction ainsi provoquée a d'habitude une influence considérable sur le cours de l'action, arrivant même, comme

quelques-unes des missives que nous avons étudiées, à lui imprimer une direction inattendue. Un tel emploi de la lettre donne au lecteur l'impression que ce sont les personnages eux-m~mes qui

créent leur propre drame, en se faisant mutuellement agir et réagir.

1.

v,

pp. 289 sqq.

2. Cf. aussi 1) le billet que Montefiore réussit à faire parvenir à Juana Mancini dans ~· IX, pp. 807 sqq. 2) Les lettres échangées

par Augustine Guillauae et Théodore de Sommervieux dans MCP, Ibid., I, pp. 36 sqq. (rés.). 3) Les lettres échangées

par

Ginevra et Luigi auxquelles Balzac fait allusion dans Ven, Ibid.,

(22)

---Cette impression ne se dégage pas seulement de l'emploi de la lettre en tant qu'arme; la m~me remarque s'applique à l'utilisation

littéraire de la correspondance dans un but dramatique en général. Mais c'est lorsqu'on examine le troisi~me aspect de la lettre d'amour

en

tant que ressort du drame que cette technique nous

semble la plus frappante. C'est aussi en étudiant la lettre d'amour en tant qu'arme que se voit clairement un autre élément d'intérêt résultant de l'utilisation de la correspondance dans un but drama-tique. Une lettre provoque une certaine réaction. Or le lecteur prend plaisir à prévoir cette réaction et si elle est, en fait, celle prévue, il trouve la situation plus vraie. Son adhésion est alors plus compl~te.

La lettre de Valérie Marneffe à Wenceslas Steinbock1 en

est un exemple frappant. Valérie, se trouvant enceinte et poussée par le désir de se venger de Wenceslas qui n'est pas venu la voir depuis deux semaines, décide de "lancer cet enfant comme une bombe

2

dans le ménage de Wenceslas". En envoyant sa lettre elle s'assure

que cette missive va tomber entre les mains d'Hortense car c'est

Mme. de Steinbock que Valérie cherche à blesser et à l'intention de qui la lettre est rédigée. Tout d'abord ce ''billet-doux" t par le

ton et le contenu, témoigne d'une grande intimité entte Valérie et Wenceslas. Valérie va m@me jusqu'à nommer Wenceslas le père de son enfant, ce qui n'est pas vrai. Mais peu importe, Hortense y ajoute foi. Comme derni~re fl~che Valerie sugg~re que l'éloignement de

Wenceslas est due à "la tyrannie d'une femme qu'il lui a dit ne

1. Dans Be, VI, p. 351. 2.

(23)

Ibid. 21 Ibid.

-1 .. ..

pouvoir plus aimer." Apres une telle lettre on s'attend a ce qu'Hortense quitte son mari. C'est justement ce que fait Mme. de

Steinbock. Or, en partant, elle laisse pour Wenceslas la lettre

de Valérie et une d'elle-même2 où elle explique sa démarche et lui reproche avec aigreur sa conduite. Wenceslas, flatté par la lettre de Valérie et se sentant coupable en face de sa femme court chez sa maîtresse au lieu d'aller se jeter aux pieds d'Hortense pour lui demander pardon. Ainsi la ruse de Valérie réussit et en même temps les fins de Balzac accomplies d'une manière habile car cette rupture marque un moment important dans le drame et entraîne

3

d'autres événements non moins importants.

Parfois une situation qui est essentiellement assez semblable engage la participation de quatre personnes, les carres-pondants, un personnage qui se procure la lettre ou billet-doux en question, et la victime. Le procédé n'est pas moins efficace,

4

témoin l'incident où Mme. de St. Estève dans un effort pour rendre le baron Montès de Montéjanos assez jaloux pour vouloir tuer

Valérie, fait montrer à celui-ci la copie d'un billet envoyé par Valérie ~Wenceslas et qui atteste de l'intimité qui existe entre eux. Un incident qui est au fond de même nature se produit dans

.. 5 ..

La Fausse Ma1t resse ou le comte Laginiski, "enchanté de rabaisser

1. Dans Be, VI, p. 351. 2. Ibid.:-pp. 353-4.

3. Cf. aussi 1) le billet adressé à Crevel par Valérie et montré au baron Hulot, Ibid., p. 309. 2) Le billet envoyé par Béatrix à

Calyste et vu par Sabine {dans

s,

II, p. 562). 3) ~es lettres reçues par Paquita Valdès de l'Angleterre et qu'elle montre

à

de Marsay dans FYO,

v,

p. 314 (all.).

4. Dans Be, Ibid:; III, p. 487.

(24)

1

son ami aux yeux de sa femme11

, montre à celle-ci une lettre de

Malaga à Thaddée. Cette lettre qui fait croire non seulement qu'il existait autrefois entre Thaddée et Malaga des rapports étroits mais encore que Thaddée s'est conduit comme un infâme envers elle, fait na!tre chez Clémence un mépris si complet pour Thaddée que celui-ci, désespéré, décide de partir. Dans l'un et l'autre cas les démarches des personnages eux-mêmes qui visent à rendre jaloux ou à inspirer du mépris contribuent

à

amener le dénouement.

L'efficacité de ce procédé, selon lequel les personnages donnent l'impression de créer leur propre drame est soulignée par un emploi de la lettre d'amour qui est quelque peu semblable mais o~

l'auteur intervient. Au lieu de faire montrer une lettre d'amour révélatrice à quelqu'un, Balzac tire les fils de façon à ce que la présence de la lettre soit signalée juste au bon moment sans raison valable. Un tel procédé, au contraire de celui examiné ci-dessus, manque complètement de vérité.

La lettre trouvée par Auguste de Maulincour vers le début de Ferragus2 est l'exemple le plus frappant. On se rappelle les circonstances: un inconnu qui s'est réfugié sous une porte-cochère pendant une averse laisse tomber une lettre ramassée par Auguste; cette lettre, par le plus grand des hasards, porte l'adresse de la maison dans laquelle est entrée Mme. Jules. Or nee poème inconnu,

3

mais essentiellement parisien, écrit dans cette lettre sale", signé Ida et adressé à un nommé "Mosieur Feragusse", 4 Henry par

1. II, p. 45.

2. Ibid., V, pp. 41-43. 3. Ibid., p. 43.

(25)

23

-ailleurs, reproche ~ celui-ci son abandon et sa cruautê. Pour une raison non divulguée cette lettre fait penser ~Auguste qu'Ida est peut-être une parente de Mme. Jules et il se demande si "le rendez-vous du soir, duquel il avait été fortuitement témoin, n'était pas

1

nécessité par quelque tentative charitable". Quoiqu'il en soit, cette lettre permet ~ Auguste de pênétrer dans la maison suspecte. Lorsqu'il frappe à une porte ouverte par Ferragus il voit chez lui

Mme. Jules, événement qui le pousse à continuer ses recherches. Le tout, pour dire le moindre des choses, est tiré par les cheveux et représente de la part de Balzac un effort manqué pour présenter deux personnages, Henry et Ida, allécher l'intérêt du lecteur et faire continuer le drame, tout à la fois. Même l'humour de cette lettre avec sa mauvaise orthographe, sa grammaire incorrecte et ses

reproches amusants, ne peut déguiser l'artificialité de son emploi. Une tentative pareille a lieu dans Splendeurs et Misères

2

des Courtisanes où les concierges du quai Malaquais apportent à Camusot, alors que celui-ci est en train d'interroger Collin, une

lettre d'Esther ~ Lucien qu'ils avaient "oubliée" dans un tiroir. Les conséquences de cet événement sont de longue portée. La lettre commence par prouver qu'Esther s'est suicidée, que les domestiques de Lucien sont partis avec l'argent qu'on cherche, que Lucien est donc innocent et du meurtre et du vol dont il est soupçonné. La lettre montrée à Collin pousse celui-ci i insister pour la mise en liberté immédiate de Lucien, ce qui éveille de nouveau les soupçons de Camusot. Enfin la lettre, qui témoigne d'un amour des plus

1.

v,

p. 43.

(26)

profonds pour Lucien est lue par ce dernier et le plonge dans un abattement tel que Camusot lui fait tout avouer. La lettre finit donc pas provoquer le suicide de Lucien qui a lieu peu après. Le rôle dramatique de cette lettre est évident. Malheureusement, comme dans Ferragus, la présence de Balzac l'est aussi. On n'a plus

l'impression que ce sont les personnages qui créent le drame; on voit

l

plutôt le montreur de marionnettes qui tire les fils à son gré. Heureusement Balzac se rachète par son emploi habile de la lettre d'amour intime et compromettante comme instrument de

chantage. Tantôt une ou plusieurs lettres employées ainsi préparent des scènes-clés; tantôt elles mettent en branle une série d'événe-ment qui mènent au dénoued'événe-ment. De plus, les personnages qui pratiquent le chantage se montrent tellement fins qu'on ne peut qu'admirer leur habileté ainsi que celle de Balzac. Bn même temps l'emploi de lettres en tant qu•armes suscite chez le lecteur une certaine appréhension pour les victimes.

C'est peut-être Collin qui exploite le mieux la possession d'un nombre de lettres compromettantes et dont les démarches influent le plus sur le cours d'un drame, celui de Splendeurs et Misères des

2

Courtisanes. Les lettres d'amour des duchesses de sérizy et de Maufrigneuse et de Clotilde de Grandlieu adressées à Lucien et mises

3

de côté par Collin font partie des préparatifs ordinaires d'un

1. Cf. aussi 1) les lettres d'amour de du Tillet à Constance Birotteau lues par hasard par Anselme Popinot (dans CB,

v,

pp.

579 sqq. (al1.) ). 2) La lettre d'amour de Charles Grandet

à

Annette vue par Bugénie dans BG, III, pp. 574 sqq.

2.

v,

PP• 967 sqq. (all.).

(27)

25

-homme de cette trempe et en même temps constituent quelques prépara-tifs de Balzac lui-même en vue du drame qui se prépare. La prévoyance de Collin est bien récompensée. Lorsque plus tard, au cour de son interrogatoire par Camusot, il suggère par une remarque voilée qu'il

1

a des lettres compromettantes, il met en branle toute une série d'événements qui détermine son sort aussi bien que celui de plusieurs autres personnages.

La possession de ces lettres par Collin fait agir tout d'abord "les trois filles d'Eve enveloppées par le serpent de la correspondance",2 c'est-à-dire les duchesses de Sérizy et de Maufrigneuse ainsi que Clotilde de Grandlieu. Une fois le péril

connu par le duc de Grandlieu celui-ci, qui sait que ''Les lettres ••• ont causé tout autant de malheurs particuliers que de malheurs

publics"3 prend des mesures pour récupérer ces lettres. Pendant que le duc s'emploie à cette fin, Camusot renseigne le procureur du roi Grandville sur le danger qui les menace. Celui-ci est convaincu

qu • "Un scélérat aussi profond que jacques Collin se garde bien de lâcher de pareilles armes"4 et craint que Collin ne fasse parvenir ces lettres

à

quelqu'un "parmi les ennemis du gouvernement et de l'aristocratie".s Collin, en fait, menace Grandville de ces lettres compromettantes en disant : "Les grandes dames qui font du style et de grands sentiments toute la journée, écrivent comme les filles agissent .. ,6 et sait obtenir en échange de ces documents non seulement

1.

v,

p. 967. 2. Ibid., p. 1097. 3. Ibid., p. 1098. 4.

Ibi'd.'

t p. 1105 •

s.

Ibid. 6. Ibid., p. 1115.

(28)

la commutation de la peine de Théodore de Calvi, mais sa propre mise en liberté et la place d'adjoint de Bibi-Lupin, son archi-rival. Ainsi les machinations de Collin et son chantage donnent lieu à de nombreux incidents dont le déroulement, qui semble @tre dirigé par Collin, fait avancer le drame et l'am~ne à son dénouement.

Le recours au chantage donne lieu à une suite d'événements aussi importants dans La Cousine Bette o~ Valérie Marneffe se charge de diriger la vie du baron Hulot. Elle aussi prépare pour ainsi dire son propre drame lorsqu'elle écrit à Hulot dans le seul but d'avoir une lettre compromettante de lui. Tel est le r8le de la

1

lettre où elle joue l'inconsolable, prétend avoir subi une sc~ne

terrible de son mari et @tre pr@te à s'enfuir avec Hulot. Elle prie celui-ci de ne pas l'abandonner et de lui écrire pour la consoler, ce que fait Hulot, ému par tant de "preuves" d'amour. Le billet de Hulot,2 écrit sur du papier officiel n'est pas seulement des plus ridicules - Hulot s'adresse à son "aimable amie"3 - mais aussi des plus compromettante - Hulot se dit pr@t à sacrifier situation et famille pour Valérie. Une deuxi~me missive de Hulot à Valérie, 4 également compromettante, est provoquée par un autre billet de

5

Valérie, envoyé quelques jours plus tard ostensiblement pour changer l'heure d'un rendez-vous. Ce n'est qu'au moment où Marneffe et le commissaire de police surprennent Hulot et Valérie rue du Dauphin que l'importance des démarches de Valérie se sait. Elle voulait les

1. VI, pp. 371-3. 2. Ibid., pp. 373-4. 3. Ibid., p. 373. 4. Ibid., p. 378.

(29)

-

27-lettres de Hulot pour pouvoir le forcer à faire nommer Marneffe chef du bureau. Loin de s'être querellés elle et son mari travaillent ensemble. La lettre de Valérie, reprise

à

Hulot par celle-ci, et les réponses de Hulot, expliquent le commissaire, seraient "décisives au procès correctionnel".! Elles prouvent, dit Marneffe, que l'enfant

de Valérie est de Hulot. Bien que l'habileté de Valérie soit déjouée par la catastrophe en Algérie et les démarches du maréchal pour

arranger cette affaire, néanmoins les machinations de Valérie font

2

avancer l'action en donnant lieu à plusieurs incidents.

Une démarche exigeant encore plus de génie du mal et confine au chantage est utilisée avec succès dans Albert Savarus où Rosalie de Watteville s'empare des lettres échangées par Albert et Francesca, en

3

supprime quelques-unes et les remplace par d'autres. Le lecteur, qui est plus ou moins dans~ secret de l'affaire, et qui en sait, de toute façon, plus long qu'Albert et Francesca devient une sorte de

complice de Balzac et de Rosalie. Il la regarde agir avec appré-hension et sans savoir exactement quelles seront les conséquences de ses démarches et craint le pire. Car les moyens de Rosalie (sa

femme de chambre accomplit les interceptions et les premières lettres

4

lues renseignenet Rosalie sur la vie et les ambitions d'Albert) et les mobiles qui la poussent à agir (la jalousie éveillée par la lecture des lettres d'Alberté à Francesca, jalousie qui accroit avec le temps)

1 • VI, p. 384 •

2. Cf. 1) 1 'anecdote inventée sur le Garde des Sceaux qui parait dans le journal de Lousteau, dans

J!,

IV, pp. 865 sqq. (all.). 2) ~~ pp. 833 sqq. (all.), l'incident où il est question de faire chanter Matifat grâce à des lettres qu'il a écrit à Florine. 3. I, pp. 809 sqq.

4. Ibid., pp. 809-815, 817-821. Bien qutil s'agisse aussi de lettres contrefaites et anonymes ainsi que d'une lettre d'amis c'est la correspondance d'Albert et de Francesca qui est à la base de tout.

(30)

démontrent au lecteur qu'un danger tr~s réel menace Albert. La profondeur de l'amour de celui-ci pour Francesca et ses espoirs d'avenir dévoilés dans ses lettres que lit le lecteur en m!me temps que Rosalie accrott l'appréhension ainsi inspirée. Bt lorsque Rosalie se met à tirer les fils en envoyant une lettre anonyme au préfet,1 on sait qu'Albert et Francesca sont perdus.

Balzac souligne que c'est Rosalie qui dirige tout et

insiste sur la valeur dramatique de ses démarches lorsqu'il nous fait savoir leurs conséquences avant de nous révéler leur nature exacte. Ce n'est qu'après la mort du père de Rosalie que tout se sait alors

. 2

que celle-ci "dans un paroxysme de repent1r" se confesse à l'abbé de Grancey. Sa lettre est résumée dans un paragraphe qui mérite d'être cité presqu'en entier.

"Ce futtt, dit Balzac, "quelque chose de simple et de formidable. Mademoiselle de Watteville avait supprimé les lettres d'Albert à la duchesse, et celle par laquelle Francesca annonçait à son amant la maladie de son mari en le prévenant qu'elle ne pourrait plus lui répondre pendant le temps qu'elle se consacrerait, comme élle le devait, au moribond. Ainsi, pendant les préoccupations d'Albert relative-ment aux élections, la duchesse ne lui avait écrit que deux lettres, celle oa elle lui apprenait le danger du duc d'Argaiolo, celle o~ elle lui disait qu'elle était veuve, deux nobles et sublimes lettres que Rosalie garda. Après avoir travaillé pendant plusieurs nuits, Rosalie était parvenue à imiter parfaitement l'écriture d'Albert. Aux véritables lettres de cet amant fidèle, elle avait substitué trois lettres dont les brouillons communiqués au vieux prêtre le firent frémir, tant le génie du mal y apparaissait dans toute sa perfection. Rosalie, tenant la plume pour Albert, y préparait la duchesse au changement du Français faussement infidèle.

Rosalie avait répondu à la nouvelle de la mort du duc d'Argaiolo par la nouvelle du prochain mariage d'Albert

1. I, p. 832.

(31)

29

-avec elle-même, Rosalie. Les deux lettres avaient dû se croiser et s'étaient croisées. L'esprit infernal avec lequel les lettres furent écrites, surprit tellement le vicaire-général qu'il les relut. A la dernière, Francesca, blessée au coeur par une fille qui voulait tuer l'amour chez sa rivale, avait répondu par ces simples mots : "Vous êtes libre, adieu:"!

Ainsi Balzac confie à Rosalie de Watteville le soin de faire avancer le drame, de l'amener au dénouement en lui donnant comme instruments une correspondance amoureuse et en la douant d'une

2

jalousie terrible et d'un exceptionnel génie du mal.

En marge de l'emploi dramatique de la lettre en tant que document intime et compromettant il y a lieu de signaler un procédé qui revient souvent chez Balzac et qui donne parfois lieu ! des situations qui ne manquent pas d'intérêt, à savoir la remise d'une correspondance amoureuse, surtout d' ttne correspondance de femme. Le plus souvent cet acte marque un point important et solennel dans un récit, comme le montre la remise de la correspondance de Mme. de Beauséant dans Le

P~re

Goriot.3 Le moment oa Mme. de Beauséant

brale cassette et lettres, en symbole de sa rupture avec Adjuda-Pinto et comme dernier acte avant de se retirer est des plus émouvants.

Par ailleurs la remise d'une correspondance peut avoir une influence plus grande encore sur le cours de l'action : au lieu de marquer la rupture d'une liaison, la provoquer.

1. 1, p. 850.

4

Dans Une Fille d'Eve

2. Il est intéressant de remarquer la ressemblance entre les machina-tions de Rosalie de Watteville et celles d'Annibal, l'ami

d'Horace dans un roman de jeunesse de Balzac, Jane la Pâle. Balzac se montre plus habile et plus vraisemblable dans Albert Savarus.

3. II, pp. 1059 sqq. 4. Ibid., PP• 159 sqq.

(32)

Vandenesse veut briser la liaison entre sa femme et Nathan, et en même temps récupérer les lettres de Marie. Or ces lettres se trouvent dans un portefeuille 1 secret gardé par Nathan dans le boudoir de Florine. Celle-ci n'en sait rien. Pour l'en avoir instruite Vandenesse obtient d'elle qu'elle lui vende les lettres de Marie en présence de celle-ci. C'est sauver l'honneur de sa femme et la brouiller avec Nathan pour toujours. Cette rupture marque le dénouement du roman. On se rappelle aussi la remise de la correspondance de Louise de Bargeton par Lucien dans Les

1

Illusions Perdues, acte qui provoque aussi une rupture et qui est

2

autrement intéressante ~ cause de la lettre cinglante et prétentieuse qui accompagne ce renvoi. Cet acte irréfléchi de la part de Lucien lui vaut l'hostilité de Mme. de Beauséant ainsi que celle de Mme. d'Espard, facteur qui a une grande influence sur l'action. Ainsi la remise d'une correspondance amoureuse dans La Comédie Humaine

3

n'est pas sans intér@t.

Les lettres de famille

Balzac n'exploite pas moins les possibilités dramatiques de la lettre de famille qui se prête 1 devenir le ressort du drame

à cause des rapports étroits entre les correspondants. Les lettres

1. IV, pp. 626 sqq. 2. Ibid., PP• 627-8.

3. Cf. 1) la remise d'une correspondance par le compagnon de voyage dans Mes, II, pp. 173 sqq. 2) La remise de la correspondance de de Marsay par Delphine de Nucingen dans PG, Ibid., p. 970. 3) Le curieux incident auquel donne lieu la-remise de la corres-pondance de la duchesse de Sérizy par Camusot 1 celle-ci dans SMC, Ibid., V, pp. 1000 sqq. lorsque Mme. de Sérizy br6le les interrogatoires.

(33)

31

-de famille jouent un rele semblable l celui -des lettres d'amour. Elles déclenchent l'action, précipitent la catastrophe ou am~nent

le dénouement de plus d'un roman. Et comme les lettres d'amour leur emploi introduit souvent dans le drame des notes d'humour, de "suspense" et d'appréhension. Toutefois Balzac ne se limite pas l exploiter les procédés que nous avons déjl examinés. Non seulement

1 il élargit le champ des possibilités dramatiques de la lettre mais de plus il tire souvent meilleur parti de certains man~ges qui peuvent accompagner leur emploi.

D'abord les lettres de famille jouent parfois le r61e d'une sorte de ttfil conducteur" permettant l Balzac de faire le récit des "antécédents" des personnages ou de se livrer à des

digressions à coeur joie sans donner l'impression d'avoir oublié son sujet. De plus, une lettre de famille est plus fréquemment à la base de sc~nes-clés d'un roman qu'une lettre d'amour. D'autre part, l'arrivée d'une lettre de famille comporte plus souvent un élément de surprise, facteur qui ajoute énonnément l l'intérêt de son emploi sans nuire en rien l la vérité ni l la vraisemblance de la situation car il est dans la nature même d'une lettre d'arriver quand on s'y attend le moins. D'ailleurs l'envoi d'une telle missive change plus sensiblement d'habitude le rythme d'un récit ou a une influence plus nette sur l'intrigue. Enfin les lettres d'enfants l leur famille comportent un intérêt particulier.

La lettre résumée des vieux Lorrain demandant aux Rogron,

1. Cf. par exemple le billet de Cécile de Marville ~. sa m~re dans CP, VI, p. 558, ruse de Cécile et de sa m~re pour se débarrasser du cousin Pons.

(34)

tante et oncle de Pierrette, de se charger d'elle,1 illustrera l'emploi de la lettre de famille comme "fil conducteur". Les destinataires de cette lettre sont morts et la poste, toujours empressée 1 toucher le prix du port, la fait suivre aux Rogron de Paris, fille et fils des décédés. L'effet de cette lettre est expliquée par le récit des "antécédents" de ces Rogron, qui fait comprendre leur répugnance à accepter Pierrette. Leur réaction, négative d'ailleurs, ne se change en action positive qu'apr~s une période de trois ans dont Balzac raconte fid~lement les événements. Or le fait que la lettre des Lorrain est mise de c6té et transportée avec les Rogron 1 Provins permet 1 Balzac de faire l'exposition des événements survenus dans l'intervalle et qui résultent enfin dans l'envoi d'une lettre par les Rogron aux Lorrain leur demandant

2

Pierrette. Cette réponse o~ Sylvie Rogron parle comme si elle était "désireuse de prendre sa cousine avec elle, en donnant l

entendre que Pierrette devait un jour avoir un héritage de douze mille livres de rente, si Monsieur Rogron ne se mariait pas", 3 fait venir la jeune fille l Provins, premier pas dans la série d'événe-ments qui ~ne à la catastrophe. Ainsi Balzac en se servant de la lettre originale comme "fil conducteur" peut introduire les "anté-cédents" des personnages et en même temps amener le drame à son

• ; 4

po1nt de depart.

1. Dans P, III, pp. 659 sqq. (all.). 2. Ibid.: p. 687 •

3. Ibid.

4. Cf. aussi l'échange de lettres entre Mme. Bridau et sa marraine Mme. Hochon qui résulte à la longue dans le voyage de Mme.

Bridau à Issoudun, dans

!•

p. 857 (all.), p. 931 (rés.), pp.

(35)

-

33-En plus de servir de "fil conducteur", les lettres de famille préparent ou sont fréquemment à la base de scênes-clés qui représentent l'apogée ou le point tournant du drame. L'emploi de la lettre inspire alors au lecteur de vifs sentiments de compassion et d'appréhension. Il faut mentionner à ce propos la lettre de

1 ,

Mme. Cla!s dans La Recherche de l'Absolu dont la lecture prepare la magnifique sc~ne de l'argent en révélant à Marguerite l'existence de la somme cachée chez les Solis pour parer au cas où1 leur père

ayant tout pris, il n'y aurait plus d'argent à la maison. L'emploi d'une autre lettre de m&me nature, celle du docteur Minoret dans

2

Ursule Mirou~t est m@me plus intéressant à cause d'une interception. La scêne où le docteur Minoret donne d'une voix grave et solennelle ses derniêres instructions à Ursule tandis que Minoret est caché derriêre la porte, le vol et la fuite de celui-ci, les cris du docteur lorsqu'Ursule hésite à le quitter, son dernier regard plein de terreur, enfin la lecture de cette lettre par Minoret chez lui dans le plus grand secret, tous ces événements sont d'un intêr~t

capital. En plus ils revêtent cette lettre d'une importance

spéciale et font nattre chez le lecteur la plus grande appréhension pour Ursule aussi bien qu'une vive compassion pour elle. Ces

sentiments s'accroissent lorsque Minoret-Levrault déjoue les projets du bon docteur. Car, en brOlant ce papier, Minoret a non seulement privé Ursule de sa fortune mais il la réduite à la dernière misère, et rendu impossible son mariage l Savinien. Au lecteur, seul témoin

1. IX, PP• 601-2.

(36)

1

de tous ces événements, la situation semble désespérée.

Parmi les lettres dont l'arrivée comporte un élément de surprise et qui accél~rent le rythme du récit en déclenchant l'action, celle censée envoyée par l'abbé de Sponde l sa nièce, Rose Cormon, dans La Vieille Fille2 est un exemple des plus intéressants. Pour ne pas ralentir l'action et pour mieux insister sur l'effet de cette lettre sur Rose, Balzac la résume. ttL'irruption"3 de jacquelin dans la salle

A

manger de Prébaudet l huit heures du matin le lendemain du déménagement de Mlle. Cormon l sa terre, est le coup de théltre qui met tout en branle. jacquelin brandit un expr~s apporté par un garçon qui a couru d'Alençon. La lecture des premières lignes de cette missive fait perdre la tête ! Mlle. Cormon qui commence l crier des ordres, l courir ici et ll, affolée, l voler ttpar les escaliers comme un éléphant auquel Dieu aurait donné des ailes". 4 Les

personnages s'animent et les événements s'accêl~rent. La lettre qui pousse Mlle. Cormon l revenir de Prébaudet, le lendemain de son départ, sous une pluie battante, et à une vitesse qui fait mourir son cheval Pénélope, événement qui fait parler toute la ville, lui annonce, selon Balzac, l'arrivée imminente l Alençon de M. de

Troisville, petit-fils d'un des amis de son oncle. Si Mlle. Cormon est devenue si surexcitée à la réception de cette lettre c'est qu'elle

1. Cf. aussi 1) les lettres de Lucien à David l la fin des IP, IV, pp. 994-5. 2) La lettre de Flore de Brambourg à son

beau-fr~re Joseph Bridau dans R, III, pp. 1108-9. 2. IV, pp. 286 sqq. (rés.).

-3. Ibid., p. 286. 4. Ibid., p. 287.

(37)

35

-"calculait que le petit-fils d'un ami de son oncle pouvait n'avoir que quarante ans; un militaire

devait @tre immanquablement garçon, elle se promettait donc, son oncle aidant, de ne pas laisser sortir du logis monsieur de Troisville dans l'état on il entrerait".!

La réaction de Mlle. Cormon met en relief son désir de se marier et sa conduite la rend parfaitement ridicule. On sait d'ailleurs quels événements catastrophiques résultent de ses calculs. Ainsi l'emploi de cette lettre est-il à la fois important et intéressant.2

La magnifique lettre de l'abbé Birotteau l son frère César3 s'apparente par son emploi à celle de l'abbé de Sponde.

Cependant ce chef-d'oeuvre d'onction religieuse, au lieu de déclencher l'action, y met pratiquement fin. Et son arrivée, au lieu d'accélérer le rythme du roman, le ralentit. Mais comme la lettre reçue par

Rose Cormon, celle-ci arrive à un moment inattendu et des plus drama-tiques. Ce n'est pas que l'arrivée de cette lettre n'ait pas été préparée - César a écrit à son frère huit jours après le bal4 au moment on i l avait deux cent mille francs d'effets sur la place et rien en caisse. Dans cette lettre sans rhétorique il lui avait demandé un prêt d'argent en l'avertissant d'une .. crise commerciale"5 si sérieuse qu'il le suppliait d'emprunter de l'argent au besoin. Mais un grand nombre d'incidents ont lieu dans l'intervalle qui

sépare l'envoi de la lettre de César et l'arrivée de celle de François, si bien que César (et le lecteur) ont oublié la lettre originale.

1. IV, p. 288.

2. Cf. aussi l) la lettre de M. de Granville à son fils dans

QE,

I,

pp. 956-7.

3. Dans CB, V, PP• 535-7. 4. Ibid.-,-p. 475.

(38)

La réponse met d'ailleurs beaucoup de temps à venir. On apprend par la suite qu'elle a été retardée parce que l'abbé a mal mis l'adresse. C'est pourquoi cette lettre n'arrive que le soir du quatorze janvier alors que César, brisé par les hauts et les bas des événements survenus depuis le bal, se voit dans l'impossibilité d'avoir cinquante mille francs pour le lendemain, ce qui veut dire la

faillite.

La sc~ne à laquelle l'arrivée de cette lettre donne lieu est magnifique et grosse d'appréhension. L'émotion de César fait craindre pour sa vie car lui, en reconnaissant l'écriture et croyant à un envoi d'argent, devient presque fou et s'écrie : ttAh! je suis sauvé ••• Mon fr~re! mon fr~re!n 1 Dans un paroxysme de joie il baise cette lettre qui est, en fait1 un arrêt de mort. Elle

contient des consolations pour l'tme mais n'apporte rien pour

remédier à la situation pécuniaire de César. Il est vrai que l'abbé envoie mille francs, mais mille francs qui vont augmenter les

embarras de César car, comme le fait remarquer Constance, ces mille francs qui feront vivre la famille feront aussi penser aux créanciers que César nleur (a) soustrait des sommes importantesu. 2 Il faut dire cependant que si cette lettre marque la ruine compl~te de César, elle lui apporte une sorte de paix, celle qui vient d'un désastre connu. En m!me temps le rythme lent créé par les longues phrases de cette lettre se communique au récit. Un désespoir plane sur tout, désespoir qui ne disparatt qu'avec la fin du roman qui ne tarde pas à venir.

1.

v,

p. 535.

Figure

TABLEAU  IV- Répartition  de  l'ensemble  des  lettres  données  en  entier  et  résumées

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