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Le réalisme dans les romans des fréres Goncourt.

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Academic year: 2021

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LE IUW.ISME DANS LIS ROMANS DES lllD.U GONCOUJlT by

BENSA.BATR, Charles, B.A.

A theais submitted to

the Faculty of Graduate Studiea and l.esearch McGill University,

in partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Departaent of French Language

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TABLE DES MA.TIBUS

Page

INBODUC'.riON • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 1

calPI!RE I - Le réaliane des cadres • • , • • • , , • , • • • • ,

13

CHAPITRE II -

Le

réalisœe dea personnages • • • • • • • • , • • •

36

CBAPIT.ll III -L'intrigue dans les romans des

fr~res

Goncourt • •

62

CHAPITRE IV - Le réaliaae du style , • • • • , • , • • , • • • •

72

CONCWSION , , , • • , , • , • , , , , • • , , • • , • , • • • ,

85

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(1864), Germinie Lacerteux {1865), Manette Salomon {1867), Madame Gervaisais (1869). C'est la totalité de la production romanesque des deux frères. l . Ces vo1~s forment un ensemble bien groupé dans le temps, où se retrouve une évidente unité d'intention, de ton, d'écriture. Les historiens de la littérature sont aujourd'hui d'accord pour classer ces oeuvres sous la rubrique 1Tomans réalistes". Mais ils diffèrent dans leur analyse et leur

appréciation du 'Téalisme" de ces ouvrages. A quoi tient réellement ce

1Téalisme" ? Telle est, présentée de la façon la plus sommaire, la

ques-tion à quoi le présent mémoire se propose de répondre.

Il importe donc, au début de notre étude, de définir avec quelque~

précision, la nature du 1Téalisme" en littérature, et particulièrement du

'Téalisme" tel qu'il a été compris pendant les années 1860-1869.

La littérature française, pour nous en tenir à elle, semble tra-versée d'un bout à l'autre par deux courants principaux : un courant

idéa-liste et un courant réaidéa-liste. A chaque époque, les hommes, les idées, les esthétiques paraissent sollicités par l'une ou l'autre de ces lignes de force, et souvent par les deux à la fois. Quand la ligne idéaliste domine, fleurit une littérature d'imagination, de sentiment, de reve, d'évasion, d1ùn ton grave

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-et poétique. Quand la ligne réaliste a l'ascendant, éclôt une littérature d'observation, d'intention utilitaire, de prétention scientifique dont la forme est souvent relevée d'ironie ou de comique. L'une et l'autre sont profondément humanistes tout en impliquant des conceptions différentes et parfois opposées de la nature humaine l'idéalisme présuppose une vue spiritualiste de l'homme, le réalisme une vue matérialiste du monde. Littérairement, leur coexistence n'est point pacifique. Du Moyen-Age à nos jours, nous assistons à l'affrontement des idéalistes et des réalistes, représentants des deux grandes familles d'esprit entre lesquelles se trouve partagée la civilisation de l'Europe occidentale.

A~ début du 19e siècle français, l'idéalisme triomphe. Il se traduit en littérature par le mouvement romantique. Aucun domaine de la littérature ou des beaux-arts n'échappe au Romantisme, et vers 1830 sa domination est presque complète.

Dix ans plus tard, on constate une diminution sensible de sa

puissance d'attraction. Victime de son succès, il décline. De 1840 à 1860, le réalisme va, peu à peu, s'affirmer, reprendre le terrain perdu et attirer un nombre croissant de bons artistes et de bons écrivains. Mais la scène littéraire est confuse : idéalisme d'hier et réalisme de demain se dispu-tent la génération du milieu du siècle'• Le représentant le plus typique de cette double sollicitation, celui qui en a souffert les déchirements douloureux, est indubitablement Gustave Flaubert.

On sait les angoisses vécues par ce grand artiste qui a rejeté le romantisme de sa jeunesse après des luttes intérieures dont sa Corres-pondance porte témoignage. Idéalisme et réalisme ont livré dans son âme un

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dur combat. Si ce dernier a triomphé, ce fut au prix de grands sacrifices. Flaubert a composé Madame Bovary dans la souffrance : chaque chapitre lui a cotlté des nuits de labeur et des milliers de ratures·. Les formidables brouillons de Flaubert, les '~imalayas de papier" dont se moque Albert Thibaudet, ne prouvent pas, comme ses détracteurs le laissent entendre, que Flaubert n'était pas un écrivain de grande race. Ils témoignent que Flaubert avançait péniblement à contre-courant de son tempérament et de son éducation.

Se forcer à l'observation minutieuse de l 1univers quotidien

est un dur pensum pour celui qui, dès qu'il lâche les rênes à l'imagination, s'envole vers un Orient chimérique et se perd dans de grandes visions,

éblouissantes de soleil et de couleur~~ Traduire en langue précise cette réalité observée avec patience et à contre-coeur est un exercice répugnant, mais combien salùtaire! La quête du mot juste, de l'épithète nécessaire, de l'expression la plus naturelle et la plus exacte, exige~ une discipline, presque une dévotion sacerdotale, qui prendra sur Flaubert un empire absolu avec le temps. Il découvrira dans cette besogne terre à terre, des jouis-sances qui finiront par posséder tout son être et conjurer les fantasmes de son imagination. Dans l'accomplissement de sa tâche quotidienne, il se forgera une esthétique du verbe où se trouveront conciliées des exigences contradictoires : l'Art, rêve romantique, redescend de l'empyrée pour se concrétiser dans l'artisanat; le Beau n'est plus l'apanage des créatures d'exception et des paysages sublimes : le Beau est partout~ tout autour de nous, dans la plus humble chaumière, dans les cailloux du chemin, dans

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-le mendiant à la porte de 1 'église•. Il suffit que ce mendiant, ces cailloux, cette chaumière soient observés avec une précision de naturaliste et décrits avec une économie de moyens toute classique. C'est au cours du passage de 1 'observation à l'expression que natt l'Art dont Flaubert disait qu 1 "il est assez vaste pour occuper tout un homme" et qu' ·~n distraire quelque chose, est presque un crime". Aussi, l'esthétique flaubertienne voit-elle dans tous les objets et tous les ~tres matière à oeuvre d1art puisque l'art n'est ni dans les ~tres, ni dans les choses, mais dans leur transmutation en caractères d'imprimerie leur assurant la pérennité, dans le travail de l'artisan qui les fait passer du plan matériel au plan visuel, puis au plan verbal.

Si nous avons insisté un peu longuement sur le réalisme de Flaubert, c'est que, pour les jeunes frères Goncourt, le réalisme, c'est Flaubert. Ils l'ont bien connu, l'ont fréquenté, l'ont écouté, ont étudié son oeuvre avec perspicacité et passion. Il représentait pour eux le neuf en littérature dont ils étaient si friands. Le procès de Madame Bovary avait fait de lui, bon gré mal gré, un chef d'école en un temps oà la critique rattachait toujours un écrivain à une école-. A son propos, elle avait cité Balzac, Murger, Champfleury, et tenté de lui trouver des ascendants. Mais il était clair aux esprits ouverts et cultivés que Flaubert était un phénomène littéraire à part. Les éditeurs parisiens des années soixante publiaient chaque année quelques deux cents romans à l'intention de la bourgeoisie du Second Empire. Tous relevaient plus ou moins de la définition que Pierre Daniel Huet avait, dès 1669, formulée dans son Traité de l'origine des romans, publié en préface au Zaïde de Madame de Lafayette : '~e qué l'on

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appelle proprement romans sont des histoires feintes d'aventures amoureuses écrites en prose, pour le plaisir et l'instruction des lec-teurs ••• ".Un large public féminin faisait fête à ces romans d'amour dont la formule n 1 avait pas changé depuis deux siècles. Mais Madame

Bovary tranchait si nettement sur cette production courante, qu'elle ne pouvait manquer de scandaliser. Sou• la pression de forces économico-sociales plus que littéraires, Madame Bovary fut condamnée, et le réqui-sitoire du substitut Pinard, est devenu un classique de la bêtise. Les passages incriminés ont accrédité dans la conscience bourgeoise les repro-ches d'immoralité faits à Flaubert, et ont contribué à associer le réalisme dans la conscience publique à un outrageux mépris des bienséances et une recherche volontaire du scandale1 Mais la morale publique était le

der-nier souci d'une nouvelle génération post-flaubertienne, et Madame Bovary fit son chemin'.

Ifefit si bien que, pour des jeunes de 1860, le problème se pose de découvrir de nouveaux moyens d'innover dans le romani. C'est le problèma que doivent résoudre les Goncourt s'ils veulent se tailler une place dans le monde littéraire qu'ils fréquentent mais auquel ils n'appartiennent pas encore·. Historiens fureteurs du 18e siècle, bibelotiers, collectionneurs de gravures et de "petits mattres", jaloux de leur indépendance et tenaillés par l'ambition, ces jeunes aristocrates aux nerfs à fleur de peau doivent opter pour un genre romanesque conforme à leurs tendances profondes et à leurs aspirations. Tout flaubertistœqu1ils soient dès 1857, ils ne sau-raient se mettre à l'école du solitaire de Croisset sans courir le risque de passer pour des thuriféraires·. Or, ils veulent être originaux. Pour

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-dégager leur originalité après le passage de Flaubert, quelles voies s'ouvrent à eux

?

Il faut reconnattre qu'il y en a beaucoup. Il suffit de considérer les éléments romanesques traditionnels - cadre, caractères, intrigue - pour s'apercevoir que Madame Bovary n'a couvert qu'une partie de l'immense champ possible. Pour le cadre, Flaubert s'en est tenu à la Province, - et même à sa province, la Normandie. Il reste donc à couvrir toutes les autres régions de France1~' Il reste sur-tout Paris': Pour les caractères, Flaubert s'en tient à la petite bour-geoisie, ce qui laisse aux Goncourt la noblesse, la haute et la moyenne bourgeoise. le clergé, les artistes, et les millions que le Second Empire désigne pudiquement sous la rubrique "les classes laborieuses". Enfin, pour les intrigues, i l n'y a que 1 'embarras du choix'~ Madame Bovary toùrne sur l'amour et l'adultère~ Voilà qui met en scène essentielle-ment luxure et jalousie. Restent les autres passions humaines en leurs combinaisons infinies ••• Il est clair que les Goncourt, abordant de sang-froid le choix de leurs sujets et de leur manière, avaient la partie belle'; Les limites de leur liberté créatrice ne leur seront point impo-sées de l'extérieur. C'est en eux-mêmes qu'on les trouvera.

Sur le plan social, la seule limite que reconnaissait alors la littérature, les frètt.es Goncourt la récusent. Au nom des bonnes moeurs et de la morale publique, le Pouvoir impose des bienséances aux écrivains. Au besoin par la force. Il y a des sujets interdits et toute une collec-tion de tabous·. Ceux qui les bravent risquent l'amende et la prison. Leurs procès font scandale et la presse évite de publier des détails. Or, le scandale ne fait pas peur aux Goncourt. Avant d1entrer dans leur

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carrière de romanciers, ils y ont déjà gonté comme journalistes. Pour avoir cité quelques vers légers de Jacques Tahureau, (qu'ils avaient d'ailleurs pris dans le Tableau de la poésie du XVIe siècle de Sainte Beuve qui, lui, n'avait pas effarouché la Restauration en les publiant trente ans plus tôt), les Goncourt ont été cités à compara1tre devant la Sixième Chambre Correctionnelle de la Seine, le 12 février 1853.1 La justice impériale n'était pas tendre pour les chroniqueurs boulevar-diers, surtout quand ils appartenaient à 1 10pposition1~ Edmond et Jules furent, huit jours plus tard, acquittés d'outrage à la morale publique, mais leur gloire, gr~ce à la plaidoirie d'un avocat larmoyant qui avait 1 •oreille des juges, n'en souffrit point. De cet 4pisode, ils ont gs.r~ un profond m4pris de 1 'hypocrisie des magistrats du Second lbpire et des niaises valeurs bourgeoises dont ils sont les d4fenseurs. Ils s.ur4ient plai-sir l les retrouver s.u pr'toire et l leur dire leur fait. Ils sont tout prtts 1l affronter un second proc's• plus retentissant que le premier, et la peur

des poursuites éventuelles ne p'sera pas lourd dans leur décision de toucher ou non aux sujets soi-disant interdits. »*ailleurs, quelle meilleure

ré-clame qu'un procb de setandale ? Et, sans cette publicité tapageuse, comment se faire un nom l Parist

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-Les scrupules moraux ne sauraient donc compter et limiter la liberté des artistes. Les Goncourt s1en sont débarrassés au nom du

prin-cipe flaubertien de "la vérité dans 1 'Art". Qui s'offenserait de la vérité ? Les imbéciles et les vendus;~ Ni les uns ni les autres ne feront partie du public auquel les Goncourt destinent leurs romans. Et nous tenterons de montrer que "scandaliser le bourgeois" est une réac-tion natu:œl.le du tempérament Goncourtr~ Le sujet de Soeur Philomène est un bon exemple de leur parti~pris à cet égard.

Mis à part ce souci premier de choquer les Philistins, leur choix se trouve dicté par des considérations désintéressées-. Mais celles-ci sont moins fortes que le mouvement naturel, la pente de leur esprit qui les entratne presque malgré eux. Leur passion du document et leur vocation d'historiens des moeurs ainsi que les habitudes de travail qu'ils ont acquises, interviennent alors. L'immense labeur utilisé à réunir les faits de leur His~oire de la société française pendant la Révolution les avait comblés de satisfaction. Ils avaient eu 11

impres-sion que le document sous toutes ses formes permet de toucher à la

substance même de l'Histoire et, peu à peu, vérité historique et collection de documents leur étaient devenues synonymes • . Quand parut en 1855 leur Histoire de la société française pendant le Directoire, ils n'hésitèrent pas à déclarer dans la courte préface :

'~our cette nouvelle histoire, il nous a fallu découvrir 1es nouvelles sources du Vrai, demander nos documents aux journaux, aux brochures, à tout ce monde de papier mort et méprisé jusqu'ici, aux autographes, aux gravures, aux dessins, aux tableaux, à tous les monuments intimes qu'une époque

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laisse derrière elle pour être sa confession et sa résurrection."2

Leur attitude devant l'Histoire, -même petite-, est nettement anti-romantique : ne rien laisser à l'imagination, ne pas céder aux engoue-ments, aux préjugés, aux opinions d'autrui; tout vérifier, ne rien avancer sans preuve écrite ou matérielle; donner la parole aux faits seuls.

Aborder le roman apr~s dix ans d'un relevé scrupuleux et scientifique des habitudes de vie du XVIIIe siècle, des modes vestimen-taires aussi bien que gastronomiques, c'est l'aborder avec des habitudes de travail et un gont du Vrai qui se satisfera seulement du réalisme le plus total. Des documents du passé aux documents du présent, il n'y a qu'un pas. Les Goncourt le franchissent sans hésiter. Et c'est dans le cadre de leurs romans qu'éclatera leur amour du document vrai. Par des observations méthodiques, à la FLAUBERT, ils recueilleront des faits que perçoivent leurs regards aigus et que note leur plume acide. Aucun détail n'est trop mesquin pour leur carnet : le Vrai a mille facettes, et toutes sont d'égale importance.

Mais un roman ne saurait comporter une tr~s vaste accumulation de faits. La patience du lecteur se lasserait et l'intrigue se trouverait ralentie à l'excès. Il faudra donc trier parmi les observations patiemment notées, celles qui sont les plus représentatives ou les plus indispensables. Ce choix sera particulièrement difficile aux Goncourt. Il leur a été pénible

2. E'. & J*~· de Goncourt, Histoire de la société franxaise pendant le Directoire, Ed. définitive,

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-de ne pas utiliser les -descriptions précises -des boulevards et -des rues de Paris, des toilettes féminines, des tableaux, des meubles et des monu-ments accumulées pendant des années~ Ils n'ont pu s'empêcher de piller

sans réserve dans le trésor de leurs esquisses. Ils ont chargé et sur-chargé leurs romans de détails vrais mais inutiles. Au nom de la vérité dans l'Art, ils ont eu l'indiscrétion de faire passer l'Art après la

Vérité~ Notre chapitre sur le cadre étudiera plus spécialement le réa-lisme particulier des Goncourt dans Manette Salomon. Nous avons choisi ce roman à titre d'exemple, mais nos conclusions sont applicables à

tous les autres. Le foisonnement des détails nuit beaucoup à l'ensemble. Pour ce qui est des caractères, le Vrai seul a encore droit de cité. Que l'étude psychologique ait été au premier plan des préoccupa-tions des Goncourt, est évident par le titre même de leurs romans.

Tous portent le nom du personnage central. Faut-il y voir une imitation inconsciente de Flaubert ? Peut-être, mais Flaubert n'a écrit qu'un Madame Bovary'. Les Goncourt ont publié six titres taillés sur le même patron. Ce n'est pas colncidence, mais choix délibéré, et méthode~

Les personnages des Goncourt seront dessinés d'après nature et chacun d'eux sera un modèle que les spécialistes ont presque toujours retrouvé gr~ce aux notes du Journal. Mais à leurs protagonistes, les Goncourt ont donné une caractéristique uniforme : tous manquent de bon

sens, d'équilibre, de volonté. Tous sont névrosés. Faut-il y voir une transposition inconsciente de l'hypersensibilité de leurs créateurs ? Nous bornerons notre étude des caractères à deux principaux, Germinie Lacerteux et Madame Gervaisais, situées aux extrémités de l'échelle

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--

sociale. Mais nos conclusions relativement à ces deux-là seront valables pour les autres personnages.

En ce qui concerne les intrigues, les Goncourt avaient le choix entre romancer une '~istoire vraie", ou inventer une '~istoire

vraisemblable'•. Leur gont de l'Histoire les a guidés. Ils ont toujours préféré extraire de leur expérience les données premières de leurs intri-gues. Ils ont fait appel à leur imagination seulement pour les intrigues secondaires. Nous examinerons en détail l'intrigue de Soeur Philomène et de Renée Mauperin. Nous y séparerons la part de l'observation et celle de l'imagination. Et nous reconna1trons, non sans regret, que l'imagina-tion des Goncourt est loin d'être à la hauteur de leur merveilleux don d'observation.

Notre dernier chapitre abordera le style dont se vêt cette production romanesque. Ce style est, en effet, un élément capital du réalisme des Goncourt. Pour euxJcomme pour Flaubert, c'est le style qui élève le réel à la hauteur de l'Art et transmute en beauté la laideur qui nous entoure. Par le soin qu'ils ont apporté à écrire, les Goncourt ont été de bons disciples de Flaubert. Mais ils n'ont pas été ses imitateurs. S'ils ont, eux aussi, pourchassé le terme propre, ils l'ont enchâssé dans une phrase toute différente. La phrase de Flaubert est essentiellement oratoire, de construction ternaire, nourrie de comparaisons et animée d'un large mouvement. Celle des Goncourt est hâchée et sautille de nota-tions en notanota-tions, de touches de couleur en touches de couleur, de traits de burin en traits de burin. C1est une phrase d1artiste~graveur et de peintre pointilliste. Elle vise à rendre la plus extrême acuité de la

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-sentation ainsi que les dégradés les plus nuancés de la couleur. Elle n1hésite pas à violenter la syntaxe et à s 1émailler de néologismes, d1argot, de jargon d1atelier. Elle est, dans les grands morceaux de bravoure chers aux Goncourt, d1une extrême complication, et fait le déses-poir des grammairiens. Au contraire, dans les pages de dialogue qui relient les descriptions, la phrase a la simplicité directe de la langue parlée. Autant le "style artiste" parait aujourd'hui artificiel et inutilement torturé, autant celui des conversations respire 11aisance. Là où les Goncourt se sont contentés de reproduire ce qu1ils avaient entendu, -ou auraient pu entendre -, le réalisme est aisé, convaincant, et typiquement d'époque : c1est une résurrection du passé'. Là où l'intention de 1Téalisme

artiste" est trop évidente, il y a échec du réalisme.

Nous avons annoncé dans cet avant-propos le sujet de nos chapi-tres et les conclusions auxquelles nous comptons aboutir. Nous systéma-tiserons ces dernières dans un épilogue qui aura pour le moins le mérite de la brièveté. Ayant abordé un sujet ample et difficile, nous avons dn nous restreindre. Nous espérons qu1il ne nous sera pas tenu grief d'avoir borné le présent mémoire à des limites raisonnables.

*

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Dans 1 'oeuvre romanesque des Goncourt, Manette Salomon est un exemple unique àe description des cadres. Pour quelles raisons ? D'abord parce qu'il se déroule à Paris. Ce roman, dont l'intrigue reste secondaire, presque insignifiante, en comparaison de son intérêt documentaire, compte, peut-on dire, autant de chapitres que de scènes qui, sous des aspects divers, reflètent Paris et la vie parisienne.

Les Goncourt ont fait le tour de France, visité la Hollande et l'Algérie, fait deux voyages à Rome (à propos de Madame Gervaisais), mais ils ne connaissaient à fond et n'aimaient que Paris, cette ville où ils flanaient à longueur de journée, son ciel et ses boulevards, ses musées et ses monuments; ils en ont fréquenté les salons et les bas-fonds, l'Opéra et les bals musette. Ils ont compris et adoré Paris. Ils en étaient fiers.

"Paris! messieurs les Anglais, voilà Paris'! C'est ça! ••• c'est tout ça ••• une crâne ville! ••• J'en suis et je m1en flatte! Une ville qui fait du bruit, de la boue, du chiffon, de la fumée, de la gloire .•. nl

C'est à Paris qu'ils ont observé leurs personnages (boutiquiers, dornes-tiques, concierges, artistes et hommes de lettres} et glané l'argot des Gautruche et des Jupillon. C'est à Paris qu'ils ont placé la mansarde

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de Germinie Lacerteux, comme les salons bourgeois de Renée Mauperin et de l'abbé Blampoix; c'est également à l'hOpital de la Charité qu'ils ont choisi de situer et d'écrire Soeur Philomène. Partout à Paris, ils se sentaient chez eux et, en fait, ils l'étaient. On se demande si ces célibataires qui considéraient la femme comme l'ennend mortel de l'artiste et de l'écrivain, et dont la plume souvent acerbe ne ménageait personne, surtout leurs amis, ne cherchaient pas dans cette affection, cet amour presque filial et qui ne s'est jamais démenti, la compensation de leur misogysme et de leur impossibilité à trouver des amis valables. Pour eux Paris est refuge et consolation autant que théAtre de leur lutte contre leurs rivaux et les cabales qu'ils doivent affronter.

A

propos de Soeur Philomène, qui venait de para1tre, ils écrivirent dans leur Journal

'~etour anxieux à Paris, vers l'amant de notre vie, vers notre livre, vers les nouvelles de notre succès ou de notre insuccès ••• Quelle vie que cette vie des lettres. Ces journées où les émotions se précipitent vers vous! ••• Ces minutes d'angoisse •.• ,où je ne

sais quoi de poignant vous mord à la vitrine d'un li-braire où vous n'êtes pas exposé ••• Enfin tout le travail haletant de votre pensée nerveusement partagée entre l'espérance et la désespérance. n2

L'apostrophe à Paris dans Gerndnie Lacerteux est une des plus belles pages qu'ils aient écrites.

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16

-·~ Paris! tu es le coeur du monde, tu es la grande ville humaine, la grande ville charitable et

fra-ternelle: Tu as des douceurs d'esprit, de vieilles miséricordes de moeurs, des spectacles qui font

l' aumOne! Le pauvre est ton citoyen connue le riche! n3

C'est à Paris, centre artistique et intellectuel , que se situent les '~lieux artistes" que les Goncourt connaissent parfaite• ment et qu'ils veulent mettre en scène. Ils y ont passé leur enfance.

·~regarder et à copier des lithographies de Gavarni ••. nous qui étions sans le c~nnattre, et sans qu'il nous connnt, ses admirateurs.'

C'es~ là qu'ils ont fait leurs amis et connaissances : auteurs et peintres : Millet, le fils de paysans normands, venu en boursier à Paris; Monnier "employé au Ministère de la Justice" à qui un M. Petit a fourni le type de M. Prudhomme·. C'est à Paris qu'ils voient Janin, Henri Heine, Alexandre Dumas fils, George Sand, Alphonse Daudet, Charles Monselet, Emile Zola, etc.

Ils ont leurs entrées chez Sainte-Beuve, Michelet et Hugo.

Le salon de la princesse Mathilde leur est ouvert.

11 En sortant de chez Sainte-Beuve, nous entrons

chez Michelet. Nous le trouvons assis sur un petit canapép les mains sur les cuisses, dans une pose d'idole." 5

11 Mercredi des Cendres ••• La princesse est encore

tout égayée du bal où elle a été hier chez M. de Morny. Elle était vêtue de loques de modèle, arrangées par Eugène Giraud."6

3. GeiJDinie Laçerteux, p. 275 G'• Charpentier, Editeur. (Paris, 1880) 4. Journal, T.I, p.l6

5. Journal, T.III, p.l56 6. Journal, T.ït, p.l80

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Ils fréquentent les bals masqués et tous les ateliers de la capitale dont 1es vignettes se retrouvent dans Manette Salomon.

'~té voir Célestin Nanteuil à Bougival. Bougival, 7 l'atelier du paysage de l'école française moderne." Le Journal prouve qu'aucun aspect de Paris ne les laisse indifférents. C'est un reportage de la chronique parisienne au jour le jour, des cercles littéraires et artistiques et des événements mondains'.

note

"Je lis dans un journal que Valentin, le dessina-teur de l'Illustration, est mort d'une attaque d'apoplexie à Strasbourg. Il avait l'air d'un poussah, aurait dit Henri Heine."8

Dans leurs randonnées, ils découvrent et relèvent cette

'~1 y a dans ce moment à Paris 68 beaux partis, 68 dots importantes. Ces partis sont affichés au cercle de la rue Royale'. u9

Au hasard des boulevards ils s'installent dans un café et couchent sur leur calepin des observations psychologiques où apparatt en clair leur philosophie de la vie et leur amour du beau, du jeune, du chevaleresque. Par exemple

'~u café Riche, un vieillard était à cOté de moi. Le garçon après lui avoir énuméré tous les plats, lui demande ce qu1il désirait : "Je désirerais,

dit le vieillard ..• , je désirerais avoir un désir." C'était la Vieillesse, ce vieillard. nlO

7. Journal, T.I, p.98 8. Journal, T.I, p.91 9. Journal, T.I, p.171 10. Journal, T'.I, p.271

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--e

18

-ou encore

11 A une table d'un café, sur le boulevard

Sébastopol. Quand je regarde les passants, ce qui frappe, c'est le nombre des lâches qu'il doit y avoir dans le monde. Tant de gens passent devant vous avec de mauvaises têtes, et qui ne commettent pas même de cri-mes, n'élèvent pas néme de barricades.nll

La Table des Dtners Magny était pour eux la rencontre de confrères, les commentaires de 11un et de l'autre, la critique

des écrivains, l'occasion de noter les traits piquants, le carac-tère, les sentiments et les petites mesquineries des célébrités de l'époque :

" Nous revenons de la campagne pour le dtner Magny. On cause de Vigny, le mort du jour. Et voici Sainte-Beuve jetant des anecdotes sur sa fosse. nl2

" Dtner chez Dinochau, le marchand de vin de la rue Navarin. Ici Gautier, sortant comme un

ruminant d'une digestion et interrompant Feydeau.-MOi le matin, ce qui m'éveille, c'est que je rêve que j'ai faim. ul3

La manière dont ils relatent les faits quotidiens, le menu détail, les portraits croqués à l'emporte-pièce, les notes

furtive-ment jetées sur leur carnet au gré de leurs promenades, montrent combien ils connaissaient Paris et tout ce que cette ville représentait pour eux. Au cours d'une promenade, ils remarquent et notent :

11. 12. 13. 14.

"Contre la grille du Jardin des Plantes, et allant à l'hôpital de la Pitié, une vieille femme portée à découvert sur le lit de transport de 11hôpital.ul4

Journal, T.II, p.259 Journal, T .II, p.l46 Journal, T.I, p.l65 Journal, T.III, p.298

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On comprend également pourquoi ils l'ont tant aimé. Car ils l'ont vu avec des yeux de Goncourt, vécu avec leur dilettantisme qui savait apprécier le bon gont, un joli bibelot, un bon repas, la peinture d'une toile et la beauté d'un monument; ils l'ont enfin senti avec un coeur et des fibres Goncourt.

On trouve dans Manette Salomon deux sortes de cadres : le petit cadre, intérieur : appartements, salons, restaurants, ateliers, etc'., et le grand cadre, extérieur Paris prolongé par Fontainebleau, son extrême banlieue de 1 'époque1

!i

Ce roman parut en 1867~ Il devait s'intituler l'Atelier Langibout et s'ouvre sur la description d'un atelier de jeunes artistes sous Louis-Philippe. Les Goncourt y consacrent une quaran-taine de pages; aux murs, à la boiserie et au mobilier, il faut ajouter les habitués de l'établissement, véritables personnages-meubles peints d'après nature et sans la présence desquels on ne saurait concevoir cet

"inu:nense atelier peint en vert olive, avec sa baie ouverte et sa table à modèle, ses soixante sculpteurs et peintres : Lestronnat, aux cheveux en brousaille enflammée ••• , le grand Lestingrant ••• le petit Deloche, Garbulien,un suisse •.• Malambric le "soU de fusain", Shulinger, un alsacien à tour-nure de caporal prussien ••• Montariol le ·:m.ondain, Degousset, le louche ••• 11 15

On voit, dès les premiers chapitres, l'intention des Goncourt après l'étude des milieux littéraires, (dans Charles Demailly) celle des milieux artistes de leur époque. Ils reprennent le thème des

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20

-Hommes de lettrest la femme annihilant l'artiste. Victime de Marthe, Charles Demailly meurt fou; Coriolis, sous l'influence de Manette, renoncera à son idéal, 11art, et mettra ses tableaux au feu. Le livre n1eut pas le succès escompté, du moins à ses débuts. On retrouve les mêmes condamnations de la femme dans En 18 et dans La femme au 18e siècle ob elle figure les sept péchés capitaux. Zola trouve la thèse de

"la femme tuant l 1artiste absolument faux".

ZÏ6)~me

Flaubert ne ménage

pas ses amist

"La Manette des bichae me paratt avoir remporté

une veste, d1une belle longueur qu1elle peut

passer pour un linceul. 11 17

Flaubert est l'atné et le bon ami des Goncourt; il ne leur mesure ni

ses conseils, ni son amitié, ni ses coups de dents ••• Avec un paternalisme sarcastique et des termes vulgaires de son style épistolaire, (bien diffé• rent de celui de ses romans), l'auteur de Madame Bovary lance une cruelle boutade ob transpire le plaisir de voir des rivaux malheureux.

A côté de Manette, trois autres protagonistes animent le récitz Anatole le bohème; Coriolis, un créole qui rapporte d'Asie Mineure le gont d1

un Orient de lumière aux couleurs tendres; Garnotelle, peu doué mais bncheur et prix de Rome. Si nous mentionnons les personnages, c•est à cause du rôle important qu'ils ont dans la p~inture du cadre. Il y a aussi le p,.~tysagiste Crescent qui fournit aux Goncourt le prétexte du cadre

provincial.

16. E. Zola, Lfs romans naturalistes, Chappentier Ed. (Paris, 1881) 17. A. Billy, ;ps frères Goncourt, page 196.

(24)

Le Salon est un des cadres intérieurs où les personnages

anonymes font figure d1objets animés, marionnettes mondaines ou artistes

qui joùent le rele d1un choeur antique et grotesque: "Un grand jour que le jour d1ouverture d'un

salon •.• c'est une foule, une m!lée •.• du monde de tous les mondes des artistes .•• des bourgeois .•• des vieux messieurs qui regardent les nudit~s;

et çà et là au mileu de tous, des mod~les allant aux tableaux, aux statues où elles retrouvent leum corps... Il y a des bouches béantes, ouvertes en 0, devant la dorure des cadres ••• Il y a les silencieux qui se promènent les mains à la Napol~on,derri~re le dos ••• Il y a des hommes qui tratnent des troupeaux de femmes aux sujets historiques ..• Spectacle

vari~, brouill~ •.• , tout le long de ces murs qui portent le travail, l'effort et la fortune d'une année." 18

La

description s1étend sur deux pages. Elle fait revivre 11atmosph~re de l'exposition avec son public et ses artistes avec leur anxiété, leurs émotions et leurs espoirs. Sont minutieusement notés tous les mouvements, les commentaires flatteurs ou jaloux, les attitudes des spectateurs,

leurs costumes, leurs mani~res, et leur curiosité, Imaginant lttous 19

ces dos devant ces tableauxtt , le lecteur se sent appartenir à cette foule qui vient juger, condamner ou louer.

Parmi les contemporains des Goncourt, on ne connatt pas

d'~crivain qui soit all~ aussi loin qu'eux dans le monde de 11art. Ils ont peint avant d1écrire et parlaient en connaissance de cause, dtoù l'intérêt qu1ils portent à 11art de leur époque, et leur parti-pris

contre ceux qui se sont ~loign~s de l'école traditionaliste pour se

18. Manette Salomon, p. 170. 19. Ibid., p. 173.

(25)

-

22-livrer au moderne. Leurs écrits révèlent souvent des qualités d •artistes, mais leurs connaissances les poussent quelquefois à abonder dans la

nomenclature, telle la description de 11atelier de Coriolis, véritable

énumération dtobjets hétéroclites dont les noms renvoient souvent le lecteur au dictionnaire:

L1atelier de Coriolis avait

1neuf ~tres de long sur sept de large. Ses

quatre murs ressemblaient à un musée et à un pandémonÎl.um. • . L'étalage et le fouillis d 1un luxe baroque, un entassement dtobjets bizarres, exotiques, hétéroclites, des souvenirs, des

morceaux d1art, 11amas et le contraste des choses de tous les temps, de tous les styles, de toutes les couleurs, le pèle-mêle de ce que ramasse un artiste, un voyageur, un collectionneur ••• des yatagans, des khandjars ... , des flissants, des camas ..• , des khoussars ••• , des kris .•• , une tête de mort ••. , A côté de la porte, une crédence moyen âge ••• ,

De

11autre côté de la porte, des toiles sur châssis empilées .•• ,

Le

reste du mur, de chaque côté, était couvert de plâtres peints." 20 Cependant, les Goncourt étaient des gens de goüt. Ont-ils voulu marquer le contraste entre le raffinement dont Garnotelle cherche à faire montre, et le aésordre voulu de Coriolis t Pourtant le lecteur

se lasse à ces longues pages qui font écrire à Taine s1adressant aux Goncourt:

•vous écrivez pour des spécialistes, des gens

de métier comme vous .•• on halète à vous suivre" 21

La

sobriété, un certain goüt et le souci de 11ordre, dans le studio de Garnotelle, contrastent avec le pêle-néle de !*atelier de Coriolis.

La

correspondance entre les cadres et leurs personnages est

20. Manette Salomon, p. 144

(26)

une des caractéristiques de l'oeuvre des Goncourt; nous y reviendrons par la suite.

Garnotelle est un nouveau riche, un jeune peintre qui a "réussin.

Ce parvenu tombe dans 1•exagération des qualités bourgeoises. Les

Goncourt trouvent les termes q*i décrivent à la fois 11atelier et son

locataire:

nsur les murs se détachaient des cadres dorés, des gravures de Marc-Antoine .•• , Les meubles étaient couverts d1un reps gris qui s'harmoni-sait doucement et discr~tement avec la peinture de ~'atelier. Deux vases de pharmacie italienne, à anses de serpents tordus, posaient sur un grand meuble à glace de vitrine, laissant voir la

collection, reliée en volumes dorés sur tranche, des études et des croquis de Garnotelle. Tout était net, rangé, essuyé jusqu1aux plantes qui paraissaient brossées." 22

Ce riche intérieur déteint sur le personnage ou en est le reflet. Garnotelle devient un meuble de son "salon'\ son langage affecté, sa suffisance, sa mise soignée, ses attitudes,de circonstance, manquent de naturel.

'~arnotelle en vareuse de velours noir, entra. Comment ! c'est toi

t...

.Je suis enchanté .•• Ah ! tu regardes mon exposition ••• Ah ! c'est vrai .•. tu reviens de loin

!

tu as l 1innocence de ces choses-là .•• Eh bien! J1ai tout si~ plement écrit à la Direction que j•avais besoin dtun délai pour finir ..• et voilà ..• Jeen'envoie pas comme les autres ••• Vous êtes distingué par l'administration ••• Cela fait très bien ••• Ah

ça

!

et toi ? Est-ce qu•on ne m•a pas dit que tu avais quelque chose ? n 23

22. Manette Salomon, p. 166 23. Manette Salomon, p. 167

(27)

--- --

24-C1est en réalité 11Ingriste Flandrin que les Goncourt cherchent à

atteindret ils n'a~nt pas Ingres

"· .• 1 1inventeur au XIXe si~cle de la photogra-phie en couleur pour la reproduction des Pérugin et des Raphael 11 24

Quand les Goncourt veulent nous mont.rer le Paris du pauvre et de la mis~re, ils nous conduisent chez les commissaires-priseurs

(o~ la veuve de Lestonat, un ancien él~ve de Langibout, assiste à la vente pitoyable des travaux de son défunt mari)t

·~n commissaire amorphe, un crieur qui ne donne pas plus que la moitU de sa voix ••• une vingt!aine de personnes espacées autour des tables; venus pour EJe chauffer. " 25

ou encore chez Mère Capitaine o~ Anatole occupe la mDitié d1une chambre,

dont l'autre moitié appartient à un sergent de ville:

"Bigre

! -

fit Anatole - ce ntest pas 11escalier du touvre ••• et quelque habitué qu1i l f(lt à

tous les logis, le lieu lui fit un petit froid ••• Du carrelage sur la terre battue, il ne restait plus que trois carreaux.

La

fenêtre était à guillotine ••• Au mur un papier dont il était impossible de discerner la couleur, avait été arraché contre le lit, à cause des punaises, et remplacé par une grande tache blanche faite à la chaux. Là-dedans tombait un jour de cave avec toutes ses tristesses, ce qu1on appelle si bien nun jour de souffrance", une lueur o~ il n'y avait que la pauvreté du jour. 11 26

Nous ne signalerons pas tous les cadres parisiens, nous en tenant à ceux qui nous paraissent essentiels.

24.

Manette Salpmon, p. 151 25. Manette Salomon, p. 129 26. Manette Sa.loW>n, p. 388

(28)

e

Le Carnaval de Pourim, la synagogue:

u ••• une salle d'ombre, un grand chandelier ••• des tètes d'hommes en toques noires en rabats de dentelle sur de grands livres ••• n 27

Le restaurant Philippe, le caf4 Fleurust'~spèce de cercle artistique" 28(sans doute les habitués du restaurant Magny.)

Le coin du Louvre l

·~ux vieilles ruines, aux copistes Dâles 29 et femelles qui peuplaient les galeries."

A côt4 des cadres vrais que les Goncourt ont observés, et qu'ils nous livrent sans y ajouter leur touche personnelle, il y a ceux qu'ils ont imaginés. c'est le cas de Manette posant pour Coriolis, ou lorsqu'elle admire sa propre nudit4 devant la glace, étudiant ses attitudes, se plaisant dans une atmosphère de volupt4, seule dans 1 'atelier.

'~lle commençait à se déchausser ••• laissait tomber sa chemise de fine batiste ••• Elle 4tait nue ••• allait se glisser sur les peaux fauves garnissant le divan ••• Alors elle commençait à chercher les beautés, les vo-luptés, la grlce nue de la femme ••• 8uisqu*il n 1y a que la glace qui me voit ••• " 3

C'est le bal masqué dans l'atelier de Coriolis où

27. Manette 28. Manette 29. Manette 30. Manette

'~tre les quatre murs rayonnant de lumière, on eut cru voir se presser un peu de toutes les nations et de tous les siècles. L1univers

s1y coudoyait. C1était comme une 4vocation

où le peuple d1un Musée, descendu de ses

cadres , se cognait au Carnaval. Les étoffes,

Salomo!l, p. 218

!!!

1

O!!P.I!t,

p. 205 Salomott, p. 55 Salomon, p • 233

(29)

- 26 ""

les modes, les dessins, les lignes, les souvenirs. les pays, tout àe mêlait dans le tohubohu étourdissant des couleurs. 11 31

Les Goncourt, emportés par l'amour de 11art et par leur dilettantisme, stéloignent momentanément du vrai réel.

Quant au cadres extérieurs c*est toujours Paris, mais à ciel ouvert. Paris vu de la petite coupole du Jardin des Plantes, est une suite de coups de pinceau, et de touches de couleur :

'~es masses dtun ton de tan et de marc de raisin ••• de tuiles brunes ••• , le rose des poteries des cheminées ••• , larges teintes étalées d*un ton brQlé, du noir-roux ••• des carrés de maisons blanches avec les petites raies noires de leurs milliers de fenêtres ••• une blancheur effacée et jaunltre ••• le

rouillé de la pierre. 11 3 2

Ces détails montrent à quel point les Goncourt sont sensibles aux nuances des coloris. Non contents de les énumérer, ils donnent ~

chacune une qualité, une condition, résultant de phéno~nes physiques, de l'effet du temps. Peintres de race, ils voient d1abord la couleur, ensuite 11objet. Car Paris c'est aussif

"· •• un fouillis de toits ••• des milliers de tuyaux noirs, un fourmillement de demeures, un amas de pierres ••• un glchis de lignes et d'architectures ••• un enfouissement de

maisons ••• u 33

Voici des cadres parisiens, sans doute chers aux Goncourt:

'~ ciel était d1un bleu si tendre qu'il parais• sait verdir. Pour nuages, il avait comme des

31. Manet te Salomon. p. 245 32. Manette Salomon, p. 9 33. Manette Salomon, p. 9

(30)

d'chirures de gazes blanches qui tratnaient. Là-dedans montait la coupole du Panth,on,

baig~e, chaude et violette, au milieu de laquelle une fenêtre renvoyait un feu d'or au soleil couchant. Puis, des fus,es de folles branches et de cimes emuél4es, des arbres de pourpres aux premiers bourgeons verdissants •••

On

eut cru voir, par cette

journ'e de printemps, le rayon dlun hiver de Rome au Luxembourg. " 34

Un cadre tout de lumi~re et de couleurs. Et encore,

le Paris des po~tes à Asni~res ••• le long des rives, des verdures trou4es

d1om.bres, des barques aux couleurs vives. n 35

le Palais Royal au printemps où

" ... 11air avait une lavure de ce bleu

violet ••• le jet d1eau semblait un bouquet

de lumière blanche" 36

Paris la nuit, sur la Seine où Anatole prend son bain pour raffaléhir ses nuits chaudes mangées par les punaises:

"· •• les quais 'tai-ent noirs et comme morts .... de loin en loin une lumi~re... Çà et là une lanterne, un r'verb~re dans le noir de la

rivi~re ••• les tours de Notre•Bame, les toits

de

1

1

H~tel

de ville, le ciel, la nuit d•argent." 3

7

le Paris boueux des impasses:

n ••• une rue 4troite aux petits pavés ••• le

ruisseau libre lavant les pieds des cons-tructions n 38

Bt voici, enfin, le Paris gris de décembre:

34. Manette Salot!f>n, p. 419 35. Manette Salomon, p. 1 111 36. Manette Salomop., p. 208 1

37. Manette Salomon, p. 399 38. Manette Salomon, p. 385

(31)

- 28 ...

~~]hiver de Paris a des jours gris, d1un gris morne, infini, d'sespéré. Le gris remplit le ciel> bas et plat, sans une lueur, sans une trouée de bleu •. Une tristesse grise flotte dans 11air." 39

Ici intervient un jeu de mots, le choix de l'expression le gris -et son emploi répété pour mieux rendre l'impression de l'hiver.

La

sélection est un des principes des Goncourt qui écrivent:

t~ science du romancier n1est ~8s de tout écrire mais de tout choisir."

Cette formule qui, à premi~re vue, semble paradoxale sous la plume d'écrivains réalistes, montre la conception réaliste des Goncourt; en même temps, elle explique la somme d'efforts que ce choix a exigé

De Paris, les Goncourt nous transportent à Barbizon et à la forêt de Fontainebleau. C'est l'occasion, pour eux, de nous peindre quelques scènes de la vie rustique.

"Pittoresque et riante auberge que cette auberge de Barbizon, une maison dans un treillage mangé de lierre, de jasmin. de

ch~vrefeuille, de plantes qui gr~Înt

avec de grandes feuilles vertes."

C'est surtout la forêt qui les enchante et dont ils admirent avec une émotion presque religieuse, les arbres, les foug~res, les hautes herbes ondulantes; la vie furtive, rampante, les torrents, les grottes, les

42 petits sentiers, les roche~:~, "une magie de la forêt".

39.

40.

41. 42. Manette Salomon, t 1 Journal, p. 215 Manette Sal~n, Manette Salomon> p. 187 p. 254 p. 264

(32)

--

Barbizon est en réalité le village où les Goncourt s1étaient

installés pour écrire leur roman, une auberge pauvre, une chambre sans cheminée en compagnie de malades venus chercher le repos ..

"En vivant dans sa chambre i l y avait découvert tous les dessous de la chambre garnie des champs: le fané des si~ges,

la pauvreté sale du papier, le rapiéçage du couvre•pied, la couleur mangée des rideaux, la corde de la descente de lit,

43 le déplaquage de la commode d'occasion ••• "

Il y a entre les cadres des Goncourt et le langage, l'attitude et l'action des personnages qui y sont situés, une correspondance que nous avons signalée. Objets et individus sont si bien agencés qu1ils

forment un toutt c1est Anatole, la blague en personne dans cet Atelier

d'adolescents ou le pauvre hère enterrant son singe Vermillon au lois de Joulogne, au clair de lune; Philonène, la soeur pleine d1abnigation

à 1 ~R&pital de la Charité; Madame Gervaisais pénitente dans 1 'austère et pauvre église du Transtévère; c1est 11abbé Blampoix dans son salon

et en présence d1une mondaine discutant affaires et mariage; Gautruche

en compagnie des joyeuses lorettes, ou dans sa triste chambre où il apprivoise une perdrix boiteuse; Garnotelle dans son studio et Manette devant le miroirt des cadres à la mesure des gens qui les ont faits.

On trouve dans les romans de Balzac cette correspondance entre le cadre et les personnages. C1est Birotteau dans sa parfumerie,

Madame Birotteau dans sa maison, Grandet dans sa cave, Goriot et

Rastignac dans la Fension Vauquer, la banque entre les mains du puissant

(33)

30

-Keller ••. Balzac, ce faisant, avait surtout le souci de la r&alit& psychologique: earact~re des personnages et atmosph~re du lieu.

Les Goncourt: en ont-ils subi llinfluence dans la conception de leurs cadres ? Il nous semble que non, Ils ont beaucoup admir& l'auteur de

le

Comédie humaine dont ils ont écrit:

·~ roman; depuis Balzac, n1a plus rien de

commun avec ce que nos pères entendaient par roman. Le roman actuel se fait avec des

documents, racont&s ou relevés d•après nature ••• "

44

Mais ils étaient plus disciples de Flaubert dont ils appr,ciaient la passion pour 1 1Art. Et nous trouvons dans Madame Bovarz des pages oh

la descriptionsdu cadre (et des personnages} pourrait volontiers ttre attribuée aux deux fr~res.

C'est la chambre où

Emma

avait l'habitude de rejoindre Léon:

11 1~omme ils aimaient cette bonne chambre pleine de gatt' malgr' sa splendeur un peu fanée ••• et elle riait d'un rire sonore et libertin quand la mousse du vin de Champagne débordait du verre léger sur les bagues de ses doigts. Ils étaient ~i complètement perdus en la possession

d

1eux-mêmes, qu•ils se croyaient là dans leur maison particulière • ••• comme deux éternels jeunes époux. Ils disaient notre chambre, notre tapis, nos

fauteuils, même elle disait mes pantoufles, un cadeau de Léon, une fantaisie qulelle avait eue. C'étaient des pantoufles en satin rose, bordées de cygne. Quand elle s1asseyait sur ses genoux, sa jambe, alors trop courte, pendait en 11air; et la mignarde chaussure,

qui n'avait pas de quartier, tenait seulement par les orteils à son pied nu. u 45

ou le pharmacien dans son "capharnaHm":

44. Journal, tome II, P• 229

(34)

·~•apothicaire appelait ainsi un cabinet, sous les toits, plein des ustensiles et des marchan-dises de sa profession. Souvent il y passait seul de longues heures à 4tiqueter, ~ transvaser, à reficeler; et il le consid4rait non comme un simple magasin, mais comme un v4ritable sanctuaire d•où st4chappaient ensuite, 4labor4s par ses mains, toutes sortes de pilules, bds, tisanes, lotions et potions qui allaient r4pandre sa c414brit4 ••• le capharnaHm 4tait le refu~ où se concentrant 4gofstement, Homais se d4lectait dans l'exercice de ses pr4dilections; 11 46

~me souci de correspondance entre le cadre et les personnages, même moyen pour la rendre: des conditions psychologi~ues, le choix, la force et la place du mot juste.

Nous nous excusons de la longueur autant que de la fréquence des citations, en particulier de celles qui concernent Paris, mais nous avons voulu montrer que les Goncourt ont vu et signal4 tous les aspects de Paris. Nous esp4rons y avoir réussi. Toutefois les auteurs de Manette Salomon ne les ont pas tous vus avec la même sympathie. Certains leur ont plu; ils les ont aimés parce qu'ils y 4taient heureux ou parce qutils répondaient à leur propre goût: tels les paysages et le ciel parisien au printemps ou en hiver, la forèt de Yontainebleau, le Jardin des Plantes; l'auberge de Barbizon. D•autres

leur ont déplu et ils ont tenu 4galement à t•écrire: c1est le studio de Garnotelle, la chambre de l'auberge de Barbizon dont ils n'ont pas gard4 de bons souvenirs.

Ces cadres ont ét4 vus par des scrutateurs po~tes et chasseurs dtimages, d4crits avec un pullulement de mots concrets ou concr4tis4s afin

(35)

-

32-de leur donner vie et poids; 32-des termes techniques pour les cadres et les personnages professionnels, de l'argot de circonstance pour peindre les personnages-meubles dans la mesure où ils sont des "pierrots dans un cadre de pantomime n.

Ce que nous avons vu dans ce chapitre concernant les cadres, nous le retrouvons un peu dans les autres romans des Goncourt. Tous se passent A Paris, sauf Madame Gervaisais. Et le Paris de Charles Demailly ou de Renée Mauperin ne diffère pas de celui de Manette Sala,mon. Mais nous avons jugé que le cadre ne pouvait être mieux analysé ~ue dans Manette Salomon, comme les personnages et 1 •intrigue n lavaient

respectivement leur place que dans Renée Mauperi~ et Soeur Philomène, Madame Gervaisais et Germinie Lacerteux. Quel rele le cadre joue ... t-il dans les romans des Goncourt f Est-il plus important que les personnages et 11intrigue

?

Nous répondons imm'diatement p~r 11affirmative. Car

i l s'agit de Paris, un immense objet d'art; c•est la poétisation du réa• lisme du cadre: le réel tout entier, mais dans des termes tels qu'il soit acceptable, beau, quelquefois sublime. C'est ce que les Goncourt expriment par la bouche de Chassagnol:

'~st-ce que tous les peintres, les grands peintl:'es de tous les temps, ce n •est pas de leül" temps C[U 'ils ont dégagé le Beau ?

Rst ... ce que tu crois que ça n1est donné

qu1à une époque, qu*à un peuple, le beau Y

Mais tous les temps portent en eux un Beau, un beau quelconC[ue, plus ou moins

à fleur de terre, saisissable et exploitable ••• C'est une question de creusage, ça ••• Il faut

peut~tre, pour le trouver,

4

1e l•analyse, une

loupe, des yeux de m;yope."

(36)

Les Goncourt ont 4t4 tour à tour hisCoriens~ auteurs drama-tiques et romanciers; mais ils ont 4té 4galement des cridrama-tiques d1art. Dans ce domaine, ils ont fait preuve de connaissances et de goat;

cependant, leur critique est fondée sur leur propre conception du beau.

On sait qu•ils ont pratiqu4 la peinture et qu'ils ont 4té aquafortistes avant d'embrasser la carri~re des lettres. L•amiti4 respectueuse qu1ils

n'ont jamais cess4 de témoignér ~ Gavarni, est une dette de reconnaissance envers le célèbre caricaturiste. A leur analyse dtun tableau ou à leur commentaire sur les peintres de leur siècle, on constate immédiatement la solidité de leurs connaissances dans le domaine des arts. On connatt 4galement leurs ouvrages; L'Art a~ XVlite siècle; &e Japonisme;

Gavarni. Ils ont admiré Delacroix 'un homme de génie venu avant terme" 48 et Desckmps pour le vivant des formes et des couleurs de leur peinture. Mais ils n'aimaient pas Ingres, imitateur des classiques et fabricant de photos en couleurs ••• Ils ont aussi aimé Chardin qui

"··· fait tout ce qu'il voit •.• , Il touche au garde• manger du peuple •.• Il peint le vieux chaudron, la poivrière. ltégrugeoir en bois avec son pilon, les meubles les plus humbles. Nul morceau de Nature qu'il méprisett 49

Eour les Goncourt, l'art doit se nourrir de formes et d•images vraies; pas de symbolisme, pas d*idéalisme. Là aussi ils ont voulu être réalistes. Comme Chardint ils ont cherché les quartiers humbles de Paris, la vie pauvre et boh~me, et des sCènes souvent p4nibles, telles

48. Manette Salomon. p. 152

(37)

--...

34-celles des salles de vente, des pièces délabrées aux grabats pleins de punaises... Mais ils ont aussi décrit "le Tout Parisn, ses salons et ses jardins. Leur doctrine de l'art pour 11art a créé en eux la passion avec laquelle ils se penchent sur 11objet ~u1ils décrivent avec le plus infime détail. Leur plume corrige, retouche et perfec-tionne non pour modifier, mais pour mieux peindre, pour rendre au

maximum 11impression du réel et, au besoin, communiquer la sensation qutil provoque en eux~mes. D'ob ce réalisme idéaliste déjà signalé à propos de certaines de leurs descriptions. C*est également à ce propos que nous avons parlé de leur sélection ••• Pour eux, le réalisme n 1est pas. 1 •art de photographier, de copier servilement, mais de savoir choisir le vrai artistique, le vrai qui frappe, le vrai qui platt dans le Vrai tout court. Ils ont voulu raconter, exprimer le Paris et la vie parisienne des

artistes, on peut dire qu1ils

y ont réussi. Ils ntont rien omist

scènes intérieures et grands boulevards, cadres intimes et scènes publiques, panoramas et impasses, le ciel d1hiver et le Palais Royal au printemps, le Paris ensoleillé et la nuit sur la Seine, t•auberge provinciale et le restaurant parisien •• , A chacun de ces cadres ils ont donné sa couleur locale et ses personnages qui ne sauraient en être détachés ou abstraits.

Cet

art de bien agencer le cadre aux personnages et vice•versa,

leur vient de leur go~t et de leur aptitude à bien assortir les choses et les êtres.

'~i je n1étais pas littérataur, la profession que

j 1aurais choisie~ ça aurait été dtètre un inventeur

d1intérieurs." 5u

50. E. et

J.

de Goncourt, La Maison d'un Artiste, tome I, G. Charpentier Edit. (:Paris), p. 25

(38)

Et dans le Journal on peut lires

"On ne sait pas, pour un passionnê de mobilier, le bonheur qu1il y a l

composer des panneaux sur lesquels les matières et les couleurs s1harmonisent

ou contrastent, à crêéerdes espèces de grands tableaux d'art, oh l'on associe le bron~e, la porcelaine, le laque, le jade, la broderie • " 51

C'est, à notre avis, ce qu'ils ont fait dans ~~ette Salomoa oh l'étude de la peinture et des peintres du dernier siècle est axée sur la

description de Paris1 le cadre de leurs cadres, la ville qu1ils ont

tant aimée et qu'ils ont, sans doute, voulu immortaliser dans cette oeuvre.

*

* *

(39)

C B A P I T R E II

---

(40)

peuple, complétait Soeur Philom~ne; Madame Gervaisais faisait pendant h Renée Mauperin. Nous savons également que la fresque comprenait les hommes de lettres (avec Charles Demailly), et le monde des artistes (avec Manette Salomon). Ce n'était pas La Comédie Humaine, avec laquelle ils eussent sans doute voulu rivaliser, mais l'entreprise était déjh ambi-tieuse et, pour l'époque, originale.

Dans les deux romans, nous nous proposons 11étude et l'analyse

des personnages vus et décrits par les Goncourt, principalement Germinie et Madame Gervaisais. Issus de milieux situés aux deux extr~es de l'échel-le social'échel-le, l'échel-les deux protagonistes diff~rent par leur éducation, leurs occu-pations, leurs goQts; la vie qu'elles m~nent, ou qui les m~ne,est propre h chacune d'elles. Mais, sur le plan psychologique, elles présentent des caractéristiques par.all~les qui les acheminent toutes deux vers la tombe, par des voies divergentes, certes, mais soumises aux m@mes pressions. Chez l'une, c'est l'abus du sexe et de l'alcool, refréné çh et lh par les vélléités d'une volonté émoussée; chez l'autre, une lente et volontaire mortification de tout son être dictée par un mysticisme religieux qui s'est

graduellement substitué h la volonté et h l'intelligence. Germinie et Madame Gervaisais développent, sous des aspects psycho-pathologiques diffé-rents, une hystérie névrotique caractérisée, chez toutes deux, dont le

(41)

pro-•

38

-gr~s, coupé par des améliorations passag~res, s'achemine graduellement de l'état bénin jusqu'aux acc~s fiévreux oh le contr8le mental est ré-duit h néant.

Nous sommes h la fin du Second Empire; lelprogr~s des sciences médicales et de la pensée sociale attribuent tous les phénom~~es, quels qu'ils soient, h l'hystérie: capacité que riches et pauvres de cette so-ciété stratifiée peuvent se partager. C'est le terme h la mode. Il est normal qu'il soit venu aux Goncourt, au courant du mouvement intellectuel et scientifique, - surtout dans un domaine aussi passionnant ••• ,- - l'idée d'-attribuer h l'hystérie les déviations d'individus nés dans une certaine classe. C'est aussi l'époque oa le Dr. Jean Martin Charcot, dans sa cli-nique neurologique de la Salp~tri~re, lance la théorie de l'hystérie, dé-finie comme une psychose provoquée par la formation d'une idée fixe, dont le sexe n'est pas l'unique origine, mais qui peut 3tre reliée h d'autres

phénom~nes tel hypnotisme ou obsession. Nous nous trouvons, en ce qui concerne nos deux héro~nes, en présence des deux cas. Les Goncourt, friands d'originalité et de scandale, ne pouvaient laisser passer l'occasion d'une étude caractérielle avec un arri~re-plan scientifique, se berçant ainsi de la douce illusion d'avoir collaboré au progr~s littéraire et artistique de leur époque autant qu'l celui de sa pensée scientifique. Ils retrace-ront la pénible clinique de cette hystérie du début de chaque roman et jusqu'h la fin qui en marquera le terme fatal. C'est pourquoi, nous avons choisi les deux névrosées comme personnages centraux. Un paragraphe sera également réservé aux autres protagonistes selon l'importance du r8le que chacun d'eux joue dans la vie des héro!nes.

(42)

C'est en aont 1862 que les Goncourt conçoivent le projet d'écrire Germinie Lacerteux, le plus réaliste et le plus cél~bre de leurs romans.

Apr~s la maladie et la mort de Rose Malingre, leur bonne, la mattresse d'Edmond de Goncourt, Maria, vient leur conter la double vie

que menait, h leur insu, celle qui lesa~ait servis pendant 25 ans avec un dévouement maternel.

"Mes amis, tant que la pauvre fille a vécu, j'ai gardé le secret professionnel de mon métier ••• Mais maintenant qu'elle est en

terre, il faut que vous sachiez la vérité ••• ••• Et nous apprenons sur la malheureuse des choses qui nous coupent l'appétit ••• Et toute une existence inconnue, odieuse, répugnante, lamentable, nous est révélée."l

Pourtant, le thène ne manquait pas d'attrait, d'autant plus que l1héro~ne du futur roman était une famili~re:

"elle savait notre vie, ouvrait nos lettres ••• Depuis vingt-cinq ans, elle nous bordait tous les soirs dans nos lits ••• Cet affreux déchire-ment de voile que nous avions devant les .yeux •••

C'est comme l'autopsie d'une poche pleine d'hor-ribles choses, dans une morte tout

l

coup ouverte."

2

Mais le sujet restait délicat, sinon inédit. Il y a bien eu les paysans et les humbles de Rétif de la Bretonne: M. Nicolas, Sarah ou l'amour h 40

~' dans lesquels l'auteur du Paysan perverti se soumet au vrai absolu. Mais il était déjh dépassé par Flaubert. Hugo avait bien publié ~

1. Journal, Rome II, p.47 2. Ibid., p.36 et p. 49

Figure

TABLE  DES  MA.TIBUS

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