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Le rapport au travail chez les personnes qui vivent une situation de handicap dans un cadre de travail non compétitif

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Academic year: 2021

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© Véronique Garcia, 2019

Le rapport au travail chez les personnes qui vivent une

situation de handicap dans un cadre de travail non

compétitif

Mémoire

Véronique Garcia

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Le rapport au travail chez les personnes qui vivent une

situation de handicap dans un cadre de travail non

compétitif

Mémoire

Véronique Garcia

Sous la direction de :

Charles Fleury, directeur de recherche Normand Boucher, codirecteur de recherche

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Résumé

Le travail rémunéré offre aux personnes qui y prennent part bien plus qu’un salaire. Il leur permet d’obtenir un statut et une légitimité, en plus de contribuer à leur participation sociale, ainsi qu’à leur bien-être physique et psychologique. Pourtant, chez les personnes ayant des incapacités, l’accès au travail constitue l’un des obstacles majeurs qu’elles rencontrent dans leur vie. Au Québec, il existe par contre diverses mesures qui tentent de pallier ce problème. Dans ce mémoire, nous nous sommes penchés sur l’une d’entre elles : le travail non compétitif. En nous basant sur les travaux de Mercure et Vultur (2010) et en reprenant le concept sociologique d’ethos du travail hérité de Max Weber, nous avons cherché à comprendre ce qui incite les personnes ayant des incapacités à participer à ce type de travail spécifique. Plus précisément, les objectifs de cette étude étaient de cerner : 1) le parcours de vie de ces travailleurs et son impact sur leur ethos du travail 2) ce que représente l’emploi régulier et le travail non compétitif pour eux 3) la « centralité » et la « finalité » qu’ils accordent au travail et leurs attitudes par rapport aux normes managériales, 4) les convergences et divergences relatives à leur ethos du travail en regard de d’autres études et enfin, 5) si les types d’ethos développés par Mercure et Vultur s’appliquent aux travailleurs non compétitifs. Des entrevues semi-dirigées ont ensuite été effectuées auprès de 13 travailleurs non compétitifs de la Capitale-Nationale. Les résultats montrent l’existence de certaines particularités quant au sens accordé au travail par les répondants, qui se trouve marqué par leur parcours professionnel et de vie. On observe également que même s’il est possible de les associer à un type d’ethos en particulier, ces travailleurs présentent tous des caractéristiques propres à plusieurs types d’ethos.

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Abstract

Paid work offers much more to workers than a salary. It affords them a status and legitimacy. It is also linked to their participation to social life as well as to their physical and psychological well-being. However, access to work is one of the main obstacles faced by people living with disabilities. In the province of Quebec, there are different measures devised to attenuate this problem. In this master’s thesis, we analyze one of them: non-competitive work. Based upon the work of Mercure and Vultur (2010) and using the sociological concept of work ethos inherited from Max Weber, we strived to understand what motivates people with disabilities to take part in this particular type of work. The objectives of this research are to delimit: 1) the life trajectories of these workers and the impact on their work ethos, 2) what are regular work and non-competitive work for them, 3) the “centrality” and “finality” which is given to work by the participants as well as their views on managerial norms, 4) the similarities and differences of their work ethos when compared to the ones presented in different studies, and finally 5) whether the types of ethos developed by Mercure and Vultur apply to competitive workers. Semi-directed interviews were conducted with 13 non-competitive workers from the Capitale-Nationale region. The results show particularities regarding the meaning given to work by the respondents. This meaning is coloured by their professional and personal histories. We also observe that even though it is possible to assign a type of ethos to each respondent, these workers all express characteristics typical of many types of ethos.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... viii

Liste des figures ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Chapitre 1 La participation sociale, le travail et le handicap ... 5

1. 1 Le concept de situation de handicap...5

1.2 Participation sociale, intégration sociale et inclusion : quel concept choisir pour quelle réalité? ...9

1.2.1 Le concept d’intégration : de Durkheim à aujourd’hui ... 9

1.2.2 Le concept d’inclusion ... 14

1.2.3 Le concept de participation sociale : les habitudes de vie de l’individu dans son milieu ... 15

1.3 Travail, travail rémunéré, emploi et bénévolat : quelques éléments de définitions ...18

1.4 Le travail en tant que vecteur de participation sociale et facteur déterminant du bien-être . ...21

1.5 Les personnes ayant des incapacités et les obstacles à la participation au travail ...26

Chapitre 2 Le travail et la régulation sociopolitique du handicap au Québec et au Canada ... 34

2.1 Régulation sociopolitique du handicap et du travail au Québec et au Canada: De l’institutionnalisation à la participation sociale ...34

2.2 Les programmes et initiatives visant l’insertion ou la réinsertion professionnelle des personnes ayant des incapacités au Québec ...41

2.2.1 Les programmes d’aide financière ... 41

2.2.2 Les subventions salariales ... 45

2.2.3 Les services spécialisés de main-d'œuvre et les établissements de santé ... 46

2.2.4 L’emploi assisté ... 47

2.2.5 Les entreprises adaptées ... 49

2.2.6 Les services d’apprentissage aux habitudes de travail ... 52

2.2.7 Le travail non compétitif et la population à laquelle il s’adresse ... 54

Chapitre 3 L’ethos du travail et ses différentes formes ... 63

3.1 Le concept d’ethos du travail ...63

3.1.1 L’origine du concept d’ethos et l’ethos du travail chez Mercure et Vultur ... 63

3.1.2 La centralité du travail ... 67

3.1.3 La finalité du travail ... 68

3.1.4 Les attitudes par rapport aux normes managériales ... 70

3.2 Le rapport au travail à l’aune des récents changements sociohistoriques ...71

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vi

3.3.1 La centralité du travail et les auteurs consultés ... 73

3.3.2 La finalité du travail et les auteurs consultés ... 74

3.3.3 Les attitudes dominantes par rapport aux nouvelles normes managériales et les auteurs consultés ... 76

3.3.4 La satisfaction au travail et les auteurs consultés ... 77

3.4 L’hétérogénéité de l’ethos du travail ...79

3.4.1 Les différences d’ethos du travail selon la situation professionnelle ... 79

3.4.2 La centralité, la finalité et la satisfaction au travail chez les personnes ayant des incapacités ... 82

3.4.3 Les différents types d’ethos du travail et les divergences chez les personnes ayant des incapacités ... 86

3.5 Limites des études portant sur le rapport au travail des personnes ayant des incapacités 93 Chapitre 4 Objectifs, hypothèses et méthodologie de recherche ... 96

4.1 Objectifs de l’étude ...96

4.2 Hypothèses de recherche ...97

4.3 Méthodologie ...100

4.3.1 Instrument de collecte de données et technique d’enquête ... 100

4.3.2 Limites de la méthodologie employée ... 104

4.3.3 Population ciblée et échantillon étudié ... 105

4.3.4 Déroulement et analyse des données ... 108

Chapitre 5 Résultats ... 109

5.1 Le parcours socioprofessionnel des personnes au travail non compétitif ...109

5.2 La genèse de la centralité et de la finalité du travail : ...116

5.3 La centralité du travail : l’importance de l’emploi régulier et du travail non compétitif dans la vie des répondants ...120

5.4 Les finalités du travail : significations de l’emploi régulier et du travail non compétitif chez les répondants ...123

5.4.1 Les finalités premières de l’emploi régulier et du travail non compétitif ... 124

5.4.2 L’ensemble des finalités de l’emploi régulier et du travail non compétitif ... 128

5.5 La valeur normative du travail : le rapport aux attentes des employeurs, la motivation et l’implication au travail ...134

5.5.1 Le rapport aux attentes des employeurs et des patrons à l’emploi régulier et au travail non compétitif ... 134

5.5.1 L’implication et l’effort à l’emploi régulier et au travail non compétitif ... 138

5.6 Les spécificités du travail non compétitif, la satisfaction par rapport à celui-ci et ses effets positifs ou négatifs dans la vie des répondants...144

5.6.1 La perception des différences entre l’emploi régulier et le travail non compétitif .. 144

5.6.2 La satisfaction au travail non compétitif ... 148

5.6.3 Les effets positifs ou négatifs du travail non compétitif dans la vie des répondants... ... 154

5.7 Les aspirations des répondants : le travail idéal et les projets professionnels des répondants ...157

5.8 Les types d’ethos des répondants ...159

5.8.1 L’ethos de l’autarcie ... 161

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vii 5.8.3 L’ethos de la résignation ... 165 5.8.4 L’ethos de la professionnalité... 165 5.8.5 L’ethos de l’égotélisme ... 166 5.8.6 L’ethos de l’harmonie ... 174 Chapitre 6 Discussion ... 176

6.1 Le parcours de vie et son interaction avec le rapport au travail des répondants ...176

6.2 La centralité du travail : des ressemblances entre le travail non compétitif et l’emploi régulier ...181

6.3 Les finalités du travail : les particularités des travailleurs non compétitifs ...183

6.4. Le modèle de travail idéal des répondants : une autre manière de circonscrire les finalités accordées au travail ...189

6.5 Les normes managériales et le rapport aux attentes des employeurs : des différences perçues entre l’emploi régulier et le travail non compétitif ...191

6.6 La satisfaction par rapport au travail non compétitif et ses effets dans la vie des répondants ...195

6.6.1 La satisfaction au travail des répondants ... 195

6.6.2 Les effets positifs ou négatifs du travail non compétitif dans la vie des répondants : le travail est-il perçu comme vecteur de participation sociale et de bien-être? ... 201

6.7 Les types d’ethos des répondants : les effets d’un parcours de vie et professionnel distinctif...205

Conclusion... 209

Bibliographie ... 219

Annexes 1 Questionnaire sociodémographique et schéma d’entrevue ... 245

Annexes 2 Texte du contact téléphonique (Intervenant du programme PIC) ... 254

Annexes 3 Feuillet d’information ... 255

Annexes 4 Formulaire de consentement ... 258

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Liste des tableaux

Tableau 1 Les programmes et initiatives visant l’insertion ou la réinsertion professionnelle et le maintien au travail des personnes ayant des incapacités au Québec ... 61 Tableau 2 Les types alternatifs de travails développés pour les personnes ayant des incapacités .... 62 Tableau 3 Synthèse des ethos du travail par Mercure et Vultur (2010) ... 92 Tableau 4 Comparaison des finalités premières de l’emploi régulier et du travail non compétitif chez les répondants ... 128 Tableau 5 Comparaison de l’ensemble des finalités associées à l’emploi régulier et au travail non compétitif par les répondants ... 134 Tableau 6 Les types d’ethos des répondants ... 160

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Liste des figures

Figure 1 Modèle du développement humain et processus de production du handicap ... 18

Figure 2 Illustration des significations associées au non-emploi par les répondants ... 113

Figure 3 Modèle général du parcours d’emploi des répondants ... 115

Figure 4 Schéma détaillé des 13 parcours ayant conduit au travail non compétitif ... 116

Figure 5 Illustration de la provenance des changements d’ethos du travail ... 120

Figure 6 Illustration de la centralité relative de l’emploi régulier et du travail non compétitif chez les répondants ... 123

Figure 7 Illustration de la position des répondants par rapport aux normes à l'emploi régulier et au travail non compétitif ... 138

Figure 8 Illustration de l’implication et des efforts des répondants à l’emploi régulier ... 143

Figure 9 Illustration de l’implication et des efforts des répondants au travail non compétitif ... 144

Figure 10 Illustration de la perception de la différence entre le travail non compétitif et l’emploi régulier ... 147

Figure 11 Illustration des éléments de satisfaction des répondants envers le travail : confort, conditions matérielles, relations sociales et contenu ... 152

Figure 12 Illustration de la satisfaction et de l’implication des répondants au travail non compétitif ... 153

Figure 13 Illustration des effets positifs ou négatifs du travail non compétitif nommés par les répondants ... 156

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Remerciements

Dans un premier temps, je tiens à remercier chaleureusement Charles Fleury, professeur à l’Université Laval et directeur de ce mémoire, pour son soutien, sa rigueur intellectuelle et sa disponibilité. Tout au long de ce projet, celui-ci m’a donné la chance de bénéficier de conseils précieux et de pistes de réflexion enrichissantes qui ont nourri mon travail. Il a toujours su m’amener à développer davantage ma pensée et à me dépasser, tout en me laissant une grande autonomie.

Je ne saurais non plus passer sous silence l’apport du codirecteur de ce mémoire, Normand Boucher, chercheur au CIRRIS. Il a été pour moi un mentor irremplaçable, qui m’a initiée au champ du handicap et qui m’a permis de me familiariser davantage avec le monde de la recherche. Il a su, tout au long de mon parcours, me conseiller, m’orienter et m’encourager lorsque nécessaire. Je lui suis également reconnaissante de m’avoir recrutée dans l’équipe DEPPI et de m’accorder sa confiance en m’impliquant dans différents projets.

De même, je souhaite remercier l’équipe du PIC, qui a accepté de participer à mon projet de recherche, ainsi que Sophie Bouffard, technicienne en recherche psychosociale au CIUSSS. Leur généreuse contribution a été indispensable au bon déroulement de ce mémoire.

Sa réalisation n’aurait également pu être possible sans la collaboration inestimable des treize participants que j’ai rencontrés et qui se sont montrés intéressés par la problématique de cette étude. Ils ont accepté de me partager leurs expériences personnelles et de me raconter leur parcours de vie avec une grande générosité.

Un merci tout spécial aussi à ma famille, à mon amoureux Charles Meunier et à mes amis, Andréanne Bienvenue, Mai-Thi Do et Guillaume Sénéchal, pour leur soutien indéfectible, tant dans mes études, que dans l’ensemble des sphères de ma vie. Merci aussi à tous mes autres amis et proches qui m’ont encouragée dans mes efforts.

Enfin, j’aimerais dédier ce travail à la mémoire d’Alain Roy, une personne toujours prête à rendre service, qui répandait la joie et la bonne humeur à l’atelier d’apprentissage au travail non compétitif et à l’IRDPQ.

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Introduction

Le travail est une activité dont le sens et l’importance sont déterminés par les croyances ainsi que les valeurs de la société dans laquelle il s’inscrit. Dans les sociétés occidentales contemporaines, celui-ci semble toujours détenir un rôle essentiel dans l’existence des individus. Il est lié à leur participation sociale de même qu’à leur santé physique et psychologique. Pourtant, les personnes ayant des incapacités rencontrent fréquemment des obstacles qui limitent, voire empêchent leur participation à des activités liées au monde du travail. Voyant fréquemment leurs compétences dévaluées, étant considérées peu ou pas productives, peu autonomes, dépendantes et fragiles au travail, les personnes ayant des incapacités sont souvent exclues de la sphère de l’emploi salarié.

Pour pallier ces difficultés, des organismes tels que l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)1 ont émis plusieurs recommandations de mesures à adopter

afin de favoriser la participation au travail des personnes ayant des incapacités. De nombreuses mesures et programmes ont aussi été créés et pensés au Canada et en Europe, afin de soutenir les personnes ayant des incapacités physiques dans leur insertion/réinsertion2 et leur maintien en

emploi. Cet intérêt porté à la situation des personnes ayant des incapacités s’enracine dans l’idée que le travail occuperait une telle importance dans les sociétés actuelles, qu’il serait indispensable pour qu’elles puissent être des citoyennes à part entière. Parmi les mesures actuellement mises en œuvre qui partent de ce fondement, le projet de travail « non compétitif » élaboré à Québec par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale (CIUSSS C-N), point de services Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ), constitue un

1 Dans son rapport Transformer le handicap en capacité, l’OCDE propose d’appliquer des mesures

semblables à celles des régimes de chômage pour favoriser l’emploi chez les personnes ayant des incapacités. Ces mesures sont : mettre l’accent sur l’activation, promouvoir une intervention précoce individualisée, éliminer les contre-incitations au travail, instaurer une culture d’obligations mutuelles et impliquer les employeurs.

2 L’insertion professionnelle désigne ici un processus qui s’étend sur plusieurs années qui débute par la

transition entre l’école et le marché de l’emploi, et qui prend fin lorsque la personne considère que ses attentes par rapport à son projet professionnel sont satisfaites (Vincens, 1997 ; Vultur, 2003). Le terme de « réinsertion » est par contre appliqué ici aux travailleurs ayant une incapacité causée par un accident, qui effectuent en quelque sorte une seconde « transition » vers le marché du travail et qui doivent généralement reconstruire leur identité professionnelle (Mailhot, 2014).

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2

bon exemple. S’adressant aux individus en âge de travailler et dont les incapacités fonctionnelles (physiques, comportementales ou cognitives) ne permettent pas d’occuper un emploi régulier ou en entreprises adaptées, ce projet permet à la personne d’intégrer un milieu de travail régulier avec le soutien de professionnels en réadaptation. Il s’agit également d’une forme de travail non rémunérée, la personne au travail non compétitif recevant pour son travail une « allocation de fréquentation » offerte volontairement par l’entreprise l’embauchant.

Nous proposons comme sujet de recherche de nous pencher sur le rapport au travail des personnes ayant une déficience physique au travail non compétitif. Plus précisément, nous comptons répondre à la question suivante :

Quel est l’ethos du travail des personnes ayant des incapacités au travail non compétitif?

Nous analyserons l’ethos du travail chez les personnes ayant des incapacités au travail non compétitif en nous penchant sur l’importance et le sens que revêt le travail pour celles-ci dans leur projet de vie, ainsi que leur rapport aux normes managériales actuelles. Les trois premiers chapitres de notre recherche seront consacrés à définir les notions centrales qui seront utilisées pour notre analyse. Il s’agit principalement des concepts de situation de handicap, de participation sociale et d’ethos du travail. Dans le but de mieux définir le travail non compétitif, nous préciserons en quoi cette forme de travail se distingue de l’emploi régulier, ainsi que des autres destinées aux travailleurs ayant des limitations. Puis, dans le chapitre portant sur les résultats de l’étude, l’ethos des travailleurs non compétitif fera l’objet d’une analyse approfondie. Afin de saisir la spécificité de cet ethos, notre recherche s’appliquera ensuite dans la discussion à mettre ce rapport au travail en relation avec celui qu’entretient la population à l’emploi régulier. Pour ce faire, nous comparerons les résultats que nous aurons obtenus avec ceux de l’étude de Mercure et Vultur (2010) sur l’ethos du travail au Québec.

L’examen de la question de l’ethos du travail des personnes en contexte de travail non compétitif nous apparaît pertinent dans la mesure où très peu de recherches en sciences sociales ont été effectuées sur le rapport au travail qu’entretiennent les personnes ayant des incapacités. Les

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quelques rares études portent essentiellement sur l’insertion ou la réinsertion des personnes ayant des incapacités dans le milieu de travail (les obstacles et facilitateurs)3 et le respect de leurs droits

au travail ou à l’embauche (stigmatisation, égalité, etc. souvent mises en relation avec la pauvreté)4.

Quelques exceptions méritent toutefois d’être soulignées. Parmi les recherches traitant du rapport au travail des personnes ayant des incapacités, il peut notamment être évoqué les travaux de Galer (2012) et de MacGregor (2012), réalisés en Ontario auprès des personnes ayant une déficience physique. Il peut être ensuite cité l’étude de Cinamon et Gifsh (2004) menée en Israël auprès de personnes ayant une déficience intellectuelle, puis celle de Ferrari, Nota et Soresi (2008) menée en Italie également auprès de personnes ayant une déficience intellectuelle. Enfin, il existe aussi les recherches de Corriveau (2017), de Garcia et al. (2016) et de Desplat, Earle et Girard (2016), qui ont été conduites au Québec auprès de personnes ayant des déficiences physiques.

Ces quelques recherches portant principalement sur le sens du travail concernent néanmoins uniquement des personnes ayant des incapacités à l’emploi régulier rémunéré ou en entreprises adaptées. Nous pensons qu’en étudiant la perspective des personnes au travail non compétitif, il est possible que nous brossions un portrait différent de leur rapport au travail, comme nous le décrirons ci-dessous. Dans le cas contraire, nous pourrons valider les résultats obtenus par les auteurs ayant interrogé des personnes à l’emploi régulier ou en entreprises adaptées. De plus, il est pertinent de relever que la plupart des études repérées ont été réalisées dans des pays étrangers (Cinamon et Gifsh, 2004; Ferrari, Nota et Salvatore, 2008) ou dans d’autres provinces du Canada (Galer, 2012; MacGregor, 2012).

Dans un autre ordre d’idées, nous pensons qu’étudier le rapport au travail qu’entretiennent les personnes ayant des incapacités dans un contexte de travail non compétitif nous permettra de mieux comprendre comment il est vécu par un groupe minoritaire précis. Comme l’expliquent Mercure et Vultur, l’ethos du travail varie selon les différents groupes auxquels appartiennent les individus, de même que selon leur expérience du travail, leurs modes de socialisation et la singularité de leurs expériences vécues (Mercure et Vultur, 2010, p. 7). On peut d’ores et déjà prévoir qu’une telle étude permettra d’enrichir notre connaissance sur les différentes formes d’ethos

3 Il peut être donné comme exemple d’études sur ce sujet celles de Dugas et Guay. (2007) et Pinsonneault et

Bergerin (2006).

4 Il peut être donné comme exemple d’études celles de Gouvier et Mayville (2003), González (2009) et

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du travail. Elle est d’autant plus pertinente dans le contexte actuel où les gouvernements des pays occidentaux véhiculent la participation au marché du travail, « en tant que bien intrinsèque pour la société et l’individu » chez les chômeurs et les groupes marginalisés de la société (Angers, 2011, p.2).

Enfin, notre étude s’inscrit dans une perspective sociologique et se figure le travail comme étant avant tout une activité sociale dont les significations qui y sont rattachées constituent des constructions sociales (Baldry, 2013, p. 577). Comme l’exposent Léa Ferrari et ses collègues, le travail est déterminé par les croyances et les valeurs de la société dans laquelle il s’exerce (Ferrari, Nota et Salvatore, 2008, p. 438). En ce sens, l’approche sociologique se distingue de celle en psychologie qui étudie principalement le rapport au travail sur le plan des besoins et de la satisfaction qui s’y rattachent (Baldry, 2013, p. 577). Aussi, si nous proposons de référer parfois à certains thèmes abordés par l’approche psychologique, nous n’inscrirons pas notre étude au sein de cette perspective.

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Chapitre 1 La participation sociale, le travail et le handicap

Dans ce chapitre, les bases théoriques des concepts de travail, de handicap, de participation sociale, d’intégration sociale et d’inclusion seront posées. Ces concepts apparaissent centraux pour l’analyse, puisque la présente étude implique de s’intéresser non seulement à une forme de travail particulière, le travail non compétitif, mais aussi à une population précise : les personnes ayant des incapacités à qui ce travail s’adresse. Il sera aussi démontré que le travail représente un puissant vecteur de participation sociale, de même qu’un important facteur de bien-être physique et psychologique. Enfin, il sera constaté que plusieurs obstacles à la participation au travail des personnes ayant des incapacités demeurent présents aujourd’hui.

1. 1 Le concept de situation de handicap

Avant de définir ce que sont la participation sociale, le travail, l’emploi et le travail non compétitif, il est nécessaire de distinguer les notions de « situation de handicap », de « déficience » et « d’incapacité » qui seront employées tout au long de cette étude.

D’abord, la « déficience » est un terme médical désignant l’altération ou une atteinte anatomique, histologique (structure) ou physiologique (fonctionnement) du système organique d’une personne (Dorvil, 2003; Fougeyrollas, 2010). Selon Fougeyrollas (2010), le système organique recouvre un ensemble de composantes corporelles qui visent une fonction commune (ex. système nerveux, musculaire, squelettique, oculaire, cutané, urinaire, etc.). La « nomenclature des systèmes organiques » – ou l’ensemble des systèmes organiques – comprend donc la totalité des composantes du corps humain (Fougeyrollas, 2010, p. 156). Comme l’explique l'auteur, les déficiences des systèmes organiques peuvent s’avérer parfois temporaires et même de très courte durée, « comme lorsqu’une phase pathologique aiguë se termine par une guérison rapide » (Fougeyrollas, 2010, p. 156). Elles peuvent aussi, au contraire, persister dans le temps, devenir chroniques, voire permanentes, comme dans le cas d’une absence totale ou partielle d’un organe découlant d’une amputation.

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Pour ce qui est du terme d’incapacité, celui-ci réfère à la réduction partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité physique ou mentale (Fougeyrollas, 2010). La notion d’incapacité se définit donc en rapport à celle de capacité : la possibilité pour un individu de réaliser une activité varie de la capacité entière à l’incapacité complète (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 1998). Les incapacités les plus courantes sont liées aux activités intellectuelles, au langage, aux comportements, aux sens et à la perception ainsi qu’aux activités motrices (OPHQ, 2010). Enfin, pour Fougeyrollas (2010), la qualité d’une aptitude, c’est-à-dire la possibilité pour un individu d’accomplir une activité physique ou mentale, peut se mesurer par une échelle allant de la capacité optimale à l’incapacité complète.

Quant au terme de « handicap », il s’agit d’un mot d’origine anglo-saxonne dont l’étymologie proviendrait de « hand in cap », signifiant littéralement « main dans le chapeau » (CNRTL, 2017; Dorvil, 2003; Fougeyrollas, 2017). Au départ, ce terme désigne une pratique populaire pour fixer la valeur d’échange d’un bien dans le cadre d’un troc entre deux personnes. Puis, au XVIIIe siècle, l’expression est progressivement appliquée au domaine du sport, dont les courses de chevaux notamment. Un handicap se rapporte donc à l’imposition de difficultés supplémentaires aux concurrents les plus puissants pour égaliser les chances de gagner pour tous les participants (CNRTL, 2017; Dorvil, 2003; Fougeyrollas, 2017). Le terme fait ensuite son apparition dans le dictionnaire de l’Académie française dans les années 1920 et désigne alors le fait de mettre en état d’infériorité, un désavantage, un défaut ou un point faible (CNRTL, 2017; Fougeyrollas, 2017). Enfin, son utilisation pour désigner les personnes ayant des incapacités se fait tardivement, après les années 1950 et se répand seulement au début des années 1970 (Fougeyrollas, 2017). Le sens de ce terme se modifie en même temps et désigne « l’infériorité intrinsèque des corps différenciés par leurs atteintes anatomiques, fonctionnelles, comportementales et leur inaptitude au travail » (Fougeyrollas, 2017, paragr. 2). Le terme de handicap regroupe alors l’ensemble des personnes ayant une déficience, quelle que soit la nature et l'origine de cette dernière. Le concept de handicap est alors conceptualisé « biomédicalement » comme une caractéristique inhérente et endogène à la personne.

À la fin des années 1970, la conception biomédicale du handicap est cependant radicalement remise en question avec la montée des mouvements de défense des droits des personnes ayant des incapacités. Il s’agit du modèle social du handicap, selon lequel

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la société est désignée responsable des déficiences de son organisation conçue sur la performance, la norme et la productivité entraînant un traitement social discriminatoire des personnes ayant des déficiences et l’impossibilité d’exercer leurs droits (Fougeyrollas, 2017, paragr. 6).

Puis, les années 1990 et 2000 se distinguent par une réintroduction du facteur du corps – et non uniquement de l’environnement social – dans la construction du sens du handicap. Cette redéfinition du concept de handicap pose alors l’interaction entre les personnes et leur environnement et n’illustre plus simplement des relations de cause à effet unidirectionnelles (Corriveau, 2017; Fougeyrollas, 2017). Aujourd’hui, cette conception interactionniste du handicap est largement acceptée tant dans le champ de la recherche que dans les milieux de défense des droits des personnes ayant des incapacités.

Ainsi, dans l’ouvrage marquant La funambule, le fil et la toile : Transformations

réciproques du sens du handicap, Fougeyrollas (2010) définit le handicap comme un phénomène

résultant de l’interaction entre les personnes et leur environnement. C’est d’ailleurs cette définition qui sera adoptée dans le cadre de cette étude, puisqu’elle comporte de nombreux avantages. D’abord, l’auteur propose bien plus qu’une simple définition du handicap : il offre un modèle explicatif global des causes et conséquences des maladies, traumatismes et autres atteintes à l’intégrité ou au développement de la personne (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 1998). En d’autres termes, ce modèle conceptuel, nommé le Modèle de développement humain – Processus de production du handicap (MDH-PPH), a l’avantage de ne pas s’appliquer uniquement aux questions de santé. En fait, celui-ci traite plutôt du développement humain en général, démédicalisant ainsi le concept de handicap :

Le MDH-PPH s’appuie sur un modèle anthropologique de développement humain qui s’applique à tous les humains et considère le processus de handicap comme une variation du développement humain, non exclusif aux problèmes de santé (Grenier et al., 2015, p. 36).

Une autre particularité du MDH-PPH est sa conceptualisation du « handicap » en tant que « situation » où plusieurs facteurs de la vie d’une personne produisent celle-ci. D’après le MDH-PPH, la « situation de handicap » d’un individu découlerait de l’interaction entre des facteurs personnels et des facteurs environnementaux (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 1998;

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Grenier et al., 2015). Ces facteurs personnels et environnementaux peuvent agir à titre d’obstacles ou de facilitateurs (physiques ou sociaux) dans le contexte de vie d’une personne (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 1998; Grenier et al., 2015). Les éléments indiquant des obstacles environnementaux peuvent être physiques (architecture, climat, géographie physique) ou sociaux (règles sociales, système économique, infrastructures publiques, etc.), alors que les éléments personnels peuvent toucher au système organique, aux aptitudes (comportements, activités motrices et intellectuelles, langage, etc.) et aux facteurs identitaires (le genre, l’orientation affective et sexuelle, l’assignation ethnique, l’appartenance culturelle, la langue, les objectifs et l’histoire de vie, les valeurs, les croyances, le statut socioéconomique, le statut familial, etc.) (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 2015; Grenier et al., 2015; Weber, 2004).

L’interaction entre ces divers facteurs physiques et sociaux est ensuite considérée comme ayant à son tour une influence positive ou négative sur les habitudes de vie. Une habitude de vie peut se définir comme la performance, en milieu réel de vie, d’une activité sociale qui est valorisée par la personne et son environnement socioculturel selon ses caractéristiques (âge, sexe, identité socioculturelle, etc.) (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 1998). La réalisation des habitudes de vie est aussi ce qui assure la survie et l’épanouissement de la personne dans son milieu social (Fougeyrollas et al., 1998). Elles se déclinent en deux aspects, soit les activités de la vie courante (la communication, les déplacements, la nutrition, la condition personnelle, les soins personnels et l’habitation)5 et les rôles sociaux de la personne (les responsabilités, les relations interpersonnelles,

la vie communautaire, l’éducation, le travail et les loisirs) (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 2015; Grenier et al., 2015). D’après le MDH-PPH, l’influence de facteurs physiques et sociaux sur les activités courantes et les rôles sociaux (ou l’accomplissement des habitudes de vie) est ce qui place la personne en situation de pleine participation sociale ou, au contraire, en « situation de handicap ». Le contraire d’une « situation de handicap », qui correspond à la réduction de la réalisation des habitudes de vie, est donc une « situation de participation sociale », c’est-à-dire une situation de réalisation des habitudes de vie.

5 Dans le MDH-PPH, les activités courantes, telles que s’habiller, prendre soin de son hygiène ou de voir à sa

sécurité à la maison ne sont pas considérées comme des caractéristiques personnelles. Elles sont plutôt « définies socialement et dépendantes des variables du milieu réel de vie et des choix et caractéristiques fonctionnelles et identitaires des personnes concernées. C’est la rencontre de la personne avec son environnement en fonction d’un résultat attendu, socialement déterminé (Fougeyrollas, 2010, p. 159-160).

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La situation de handicap est aussi considérée comme partielle ou totale selon les interactions existantes entre les caractéristiques et capacités de la personne d’un côté et les obstacles présents dans l’environnement de l’autre. Celle-ci peut également se trouver en situation de handicap dans le contexte d’un champ d’activités particulier et en situation de participation sociale dans un autre (Grenier et al., 2015). Enfin, selon le modèle du MDH-PPH, la situation de handicap ne serait pas un état figé, mais un état évolutif : celui-ci peut être modifié par la réduction des déficiences, le développement des aptitudes (action sur les facteurs personnels), ainsi que l’adaptation de l’environnement (action sur les facteurs environnementaux) (Fougeyrollas, 2010; Grenier et al., 2015).

1.2 Participation sociale, intégration sociale et inclusion : quel concept choisir pour quelle réalité?

1.2.1 Le concept d’intégration : de Durkheim à aujourd’hui

Comme le révèle la littérature consultée, le terme d’intégration sociale apparaît à première vue ne pas avoir de sens bien fixé et est employé pour désigner différents phénomènes (Boudon et al., 1995; Grenier et al., 2015; Rein, 2002; Schnapper, 2007; SHERPA, 2015; Tiberj, 2014; Wieviorka, 2008). En fait, il s’agit d’un concept polysémique employé parfois dans un sens par la sociologie et dans un autre dans le langage commun et le langage politique (les politiques d’intégration ou le modèle d’intégration) (Schnapper, 2007; SHERPA, 2015; Tiberj, 2014; Wieviorka, 2008). Dans le langage commun et politique, ce terme désigne l’intégration à la société, c’est-à-dire le rapport entre un individu ou un groupe et une collectivité plus large (Schnapper, 2007; Tiberj, 2014; Wieviorka, 2008). Son usage est alors généralement limité à des questions relatives aux populations de personnes immigrées et à leurs enfants (Schnapper, 2007; Tiberj, 2014)6.

6 Dans ce contexte, celui-ci renvoie communément à la difficulté que rencontre un groupe de personnes

immigrées et leurs descendants à s’intégrer au sein d’une société (Schnapper, 2007; Tiberj, 2014). Des questions relatives à la préservation ou non des cultures d’origine, à l’usage des langues nationales ou à la participation aux instances nationales y sont habituellement rattachées (Tiberj, 2014).

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En sociologie, le terme d’intégration est fréquemment employé dans son sens politique (Tiberj, 2014). Toutefois, celui-ci désigne plutôt à la base une propriété du groupe social et un processus de la société (Boudon et al., 1995; SHERPA, 2015; Wieviorka, 2008). Par exemple, chez Durkheim, l’intégration désigne la façon dont le groupe social attire à lui les individus qui le composent (Durkheim, [1897]2002a; [1897]2002b). Comme le résument des auteurs comme Boudon et al. (1995), Cusset (2007) et Wieviorka (2008), Durkheim décrit l’intégration sociale comme se déroulant sur trois registres en correspondance. Elle se développe sur le registre d’une conscience commune, d’un partage de sentiments, de croyances et pratiques (société religieuse), de même que sous la forme d’interactions entre individus (société domestique) et de partage de buts communs (société politique). L’idée d’intégration renvoie donc « non seulement à ce qui se joue sur chacun d’eux, mais aussi aux modalités de leur articulation, voire de leur fusion, et par exemple à la capacité de chaque pays à unifier le social, le politique et le culturel au sein de représentations formant un tout » (Wieviorka, 2008, p. 224).

Par ailleurs, le concept durkheimien d’intégration, est également associé à celui de socialisation (Durkheim, [1897]2002a; [1897]2002b; Grenier et al., 2015; Wieviorka, 2008). Il désigne alors un mécanisme social qui permet à une personne ou à un groupe de personnes de devenir membres d’un autre groupe plus large par l’adoption des normes et des valeurs de son système social (Durkheim, 1897]2002a; [1897]2002b; Wieviorka, 2008). Cet apprentissage des normes et des valeurs se ferait notamment par le truchement de la famille ou des groupes de pairs (Durkheim, [1897]2002a; Wieviorka, 2008). Dans la théorie durkheimienne, le concept d’intégration est donc étroitement lié à celui de lien social7, c’est-à-dire qu’il renvoie à ce qui relie

les individus entre eux comme membres d’une société, ce qui leur permet de se centrer sur des buts communs plutôt que seulement sur leurs intérêts individuels :

Mais dire d’un groupe qu’il a une moindre vie commune qu’un autre, c’est dire aussi qu’il est moins fortement intégré ; car l’état d’intégration d’un agrégat social ne fait que refléter l’intensité de la vie collective qui y circule (Durkheim, [1897]2002a, p. 63).

7 Comme le définit Paugam, l’expression « lien social » désigne la force qui lie entre eux les membres d'une

communauté sociale. Il s’agit « tout à la fois [du] désir de vivre ensemble, [de] la volonté de relier les individus dispersés, [de] l’ambition d’une cohésion plus profonde de la société dans son ensemble » (Paugam, 2009b, p.4).

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Il signifie également adapter les individus à la nation, à la vie sociale et à l’ordre au sein desquels ils vivent (Durkheim, [1897]2002a; Wieviorka, 2008).

Dans son ouvrage portant sur la division du travail, Durkheim distingue deux formes d’intégration : la solidarité mécanique et la solidarité organique. La solidarité mécanique se définit comme un type de lien social caractéristique de la société traditionnelle et désigne l’intégration par l’effacement des différences au profit des ressemblances (Durkheim, [1897]2002b). Les individus pensent et agissent par similitude, ont des fonctions sociales semblables, des valeurs communes fortes et une conscience collective élevée. Peu de place est laissée à l’expression de l’individualité et le groupe fortement intégrateur ne tolère aucun écart aux normes de la communauté (Durkheim, [1897]2002b). La solidarité organique, pour sa part, représente un type de lien social caractérisant la société moderne et survient avec l’avènement de la division sociale du travail (Durkheim, [1897]2002b). Les différentes activités sociales tendent à se diversifier et à se spécialiser, mais deviennent en même temps complémentaires les unes des autres (Durkheim, [1897]2002b). Les consciences individuelles peuvent aussi s’exprimer plus librement et se trouvent moins soumises aux contraintes imposées par la conscience collective propre aux sociétés traditionnelles (Durkheim, [1897]2002b).

Enfin, pour Durkheim, lorsque la dimension « individualiste » de la personnalité des individus tend à se renforcer, celle-ci le fait au détriment du collectif. Autrement dit, les différences individuelles peuvent devenir trop importantes pour que la société continue à fonctionner harmonieusement (Durkheim, [1897]2002a; [1897]2002b). Celle-ci se retrouve alors en situation « d’anomie » ou de perte de repères, c’est-à-dire que les normes sociales s’imposent aux individus avec moins d’efficacité. Une situation anomique aurait des effets nocifs sur le corps social, menant notamment à un accroissement de phénomènes pathologiques, dont le suicide peut incarner l’une des manifestations (Durkheim, [1897]2002a; [1897]2002b).

Depuis Durkheim, certains auteurs contemporains ont proposé des approches réactualisées de la notion d’intégration sociale, tout en l’associant généralement à celle du lien social, de la socialisation et de la citoyenneté (Castel, 1988; Rein, 2002; Paugam, 1999; Schnapper, 2007;

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Wieviorka, 2008). Par exemple, chez Schnapper, l’intégration nécessiterait deux conditions: une volonté de la part des individus de s’insérer, de s’adapter et de participer activement à la vie collective (ou « l’intégrabilité de la personne ») et la capacité du groupe social d’attirer à lui les individus (ou la « capacité intégratrice ») (Schnapper, 2007).

Le terme « intégration » est en revanche vigoureusement critiqué par d’autres auteurs (Grenier et al., 2015 ; Le Capitaine, 2013; Ravaud et Stiker, 2000; SHERPA, 2015; Wieviorka, 2008). Certains d’entre eux, tels que Wieviorka, vont même jusqu’à affirmer que le concept d’intégration se trouverait aujourd’hui en crise. Tel que formulé auparavant, il s’agit d’un concept fortement chargé de sens social et politique. En fait, son usage social et politique lui vaudrait aujourd’hui encore d’être dénoncé comme faisant référence à une manière rigide d’imposer une place fixe à l’individu dans la société : « il a été […] dénoncé [par les sociologues] comme caractéristique du point de vue de dominants, imposant leurs normes à des dominés » (Schnapper, 2007, p. 16).

Cependant, d’après Wieviorka (2008), bien plus que son sens politique, c’est la place centrale que lui confère la sociologie classique, qui l’associe à l’image d’une forte correspondance entre la société, l’État et la nation, et le relie au concept de socialisation, qui se trouverait aujourd’hui mise en doute. De fait, comme celui-ci l’expose :

Les concepts de socialisation et d’intégration reposent sur l'idée de processus au cours desquels, progressivement, les individus apprendraient à devenir pleinement maîtres d’eux-mêmes et de leur existence, en même temps que conformes aux exigences du lien social. L’idée de socialisation implique qu’au départ, ceux qui ne sont pas encore socialisés sont des humains incomplets, immatures, imparfaits (Wieviorka, 2008, p. 226).

Tout comme cet auteur, Le Capitaine (2013) et Ravaud et Stiker (2000) reprochent aux modèles intégratifs le fait qu’ils impliquent généralement que les individus à intégrer doivent s’adapter à la société « normale », à la vie sociale et à l’ordre tels qu’ils sont. Pour Wieviorka, une telle conception présenterait même le risque de traiter ces personnes comme une menace, un danger ou un risque pour la société, menant à nier leurs droits, à les surveiller et à les contrôler (Wieviorka, 2008). Dans le même ordre d’idée, d’après Grenier et ses collègues (2015), mais aussi Ravaud et

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Stiker (2000), le processus d’intégration peut se traduire par la mise en place de dispositifs et de politiques publiques qui cherchent à normaliser les individus ou à leur assigner une place ou un rôle particulier. Un tel phénomène engendrerait la création de politiques publiques inadaptées aux besoins concrets des personnes. En même temps, la normalisation et l’assignation des rôles sociaux se feraient par « l’imposition d’une uniformité sur les comportements attendus par les membres d’une même société, peu importe leurs conditions sociales et leurs aspirations » (Grenier et al., 2015, p. 42).

Par ailleurs, la remise en cause du concept d’intégration s’expliquerait également par la montée en puissance des approches centrées sur l’individu, le Sujet et les interactions, qui se trouveraient en opposition à celles du système, de la société ou de la totalité. Selon Wieviorka, bien que les premières aient toujours existées en sociologie, celles-ci tendraient à devenir de plus en plus prégnantes (Wieviorka, 2008). Comme celui-ci le souligne, les modèles intégratifs tendent à ignorer ou à minimiser la subjectivité des individus, de même que leur capacité à attribuer eux-mêmes un sens à leurs actes, à appréhender leur univers et à agir sur celui-ci. À l’inverse, les approches centrées sur le Sujet permettraient au sociologue de se distancer de l’idée de déterminisme social. Les individus, enfants, personnes immigrées, personnes ayant des incapacités, etc. y seraient posés comme des acteurs à part entière de leur existence, tandis que les institutions seraient davantage « envisagées sous l’angle de leur capacité à se transformer, à s’ouvrir à la subjectivité de ceux qui y travaillent, ou qui les fréquentent » (Wieviorka, 2008, p. 226).

Dans le même sens, ces approches permettraient de mieux cerner les changements sociétaux en cours, tels que la montée de l’individualisme et du singularisme8 et les mutations du lien social :

Il existe de nouvelles « communautés imaginées », dont l’espace est planétaire, et non plus national grâce notamment à Internet, et aux technologies actuelles de communication. […] Ces transformations sont accélérées par un phénomène qu’en fait

8 Cusset, dans son ouvrage Le lien social, définit l’individualisation comme « le processus par lequel les

individus acquièrent la capacité de se définir par eux-mêmes et non uniquement en fonction de leur appartenance à telle ou telle entité collective. Il s’agit d’un processus historique, long, progressif et, sans doute, réversible. Ce processus connaît néanmoins des phases d’accélération, dont semble faire partie la période qui débute à partir des années 1960 » (Cusset, 2007, p. 80). D’un autre côté, si les individus jouissent aujourd’hui d’une autonomie plus grande par rapport aux groupes sociaux, ils ont par contre l’obligation sociale de se définir eux-mêmes et de se différencier de leurs semblables (Ehrenberg, 1995; Martuccelli, 2017; Paugam, 2009b).

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elles exacerbent : la résistance des personnes confrontées à des normes, des règles, des processus impersonnels qui régissent de plus en plus leur existence […] On assiste dès lors à la poussée de l’individualisme, aussi bien sous la forme de calculs rationnels individuels, que sous la forme de la subjectivité et de l’affirmation du Sujet personnel (Wieviorka, 2008, p. 228–229).

Par conséquent, d’après Wieviorka (2008), l’idée d’intégration héritée de la tradition durkheimienne ne serait plus suffisamment d’actualité pour analyser les changements et le fonctionnement sociaux aujourd’hui.

1.2.2 Le concept d’inclusion

Comme il vient d’être exposé, l’usage du terme « d’intégration » semble controversé et se trouve radicalement en opposition avec toute approche centrée sur les acteurs sociaux. Pour cette raison, certains auteurs lui préfèrent le terme « d’inclusion » (Le Capitaine, 2013; Weber, 2004). Toutefois, comme le soulèvent Grenier et ses collègues (2015), il peut être difficile de présenter une définition simple et opérationnelle du concept d’inclusion, vu l’ampleur de la réalité couverte par ce dernier. Pour ces auteurs, l’inclusion peut par contre être comprise en tant que caractérisation de l’environnement physique et social : « Le terme d’inclusion réfère à la prise en compte des personnes ayant des incapacités dans la conception de l’environnement physique et social » (Grenier et al., 2015, p. 42). Ce concept renvoie donc non seulement à la prise en compte de la valeur du point de vue, de la participation sociale et de l’exercice des droits des individus, mais aussi à leur accès aux biens, aux services et aux lieux sans obstacle. Cet accès doit être fait au même titre que les autres citoyens, avec l’aide suffisante pour y parvenir en cas de besoin (Grenier et al, 2015).

Comme le relèvent les auteurs, la notion d’inclusion possède la qualité de laisser place à un travail d’ajustement des sociétés, de même qu’à l’acceptabilité et à la participation des individus qui la composent (Grenier et al., 2015; Le Capitaine, 2013; Ravaud et Stiker, 2000). En ce sens, elle se distingue positivement du concept d’intégration, qui suppose une conformité, une domination, voire une oppression du groupe qui définit les normes au nom du majoritaire sur le minoritaire. Dans la

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présente recherche, la notion d’inclusion sera donc employée, mais en tant que caractérisation de l’environnement physique et social : elle se rapportera à la prise en compte de la participation sociale et des droits des individus, de même que leur accès aux biens, aux services ainsi qu’aux lieux sans obstacle.

1.2.3 Le concept de participation sociale : les habitudes de vie de l’individu dans son milieu

Il a été illustré dans les paragraphes précédents que même si pour certains auteurs l’emploi du concept d’intégration sociale semblait adéquat pour l’analyse de phénomènes sociaux tels que le travail et le champ du handicap, cet usage tend à être contesté par d’autres. À la suite de Weber (2004), cette recherche propose donc plutôt de centrer sa réflexion autour de la notion de participation sociale, qui comporte l’avantage notable de faire partie intégrante du modèle du MDH-PPH employé dans cette recherche pour conceptualiser le handicap. Tout comme le concept d’intégration, la participation sociale est une notion polysémique, qui recoupe une variété de définitions (Hästbacka, Nygård et Nyqvist, 2016; Raymond et al., 2008)9. Il semble en contrepartie

y avoir un consensus selon lequel celle-ci désignerait l’épanouissement de la personne dans la société. Ce sont plutôt les modalités et les conditions de cet épanouissement qui semblent varier d’un auteur à l’autre.

Pour certains d’entre eux, la participation sociale est ancrée dans les interactions sociales : participer socialement se réalise dans des situations d’échanges et d’actions réciproques entre les personnes (Hästbacka, Nygård et Nyqvist, 2016; Raymond et al., 2008). Pour d’autres, ce concept se rattache au lien social et plus particulièrement aux réseaux sociaux : participer socialement suppose une certaine qualité des rapports sociaux des individus, de même que « de faire partie d’un réseau d’interrelations présentant un minimum de stabilité et de réciprocité » (Raymond et al., 2008, p. VIII). Certaines sources consultées relient aussi la participation sociale à l’exercice des droits des individus : participer socialement signifie d’après celles-ci que la personne exerce tous ses droits, se

9 À ce sujet, Raymond et ses collègues, expliquent que « la participation sociale est une notion polysémique,

qui recoupe une impressionnante variété de définitions et d’applications [qui peuvent être] regroupées en fonction de quatre grandes familles sémantiques » : fonctionnement dans la vie quotidienne, interactions sociales, réseau social et associativité structurée. La présente recherche reprendra dans les paragraphes suivants cette typologie.

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perçoit et agit comme l’acteur principal de sa vie (FQCRDITED, 2013; Grenier et al., 2015). La notion de participation sociale est également fréquemment associée avec l’associativité structurée : « participer socialement signifie prendre part à une activité à caractère social réalisée dans une organisation dont le nom et les objectifs sont explicites » (Raymond et al., 2008, p. VIII). Le fait de s’impliquer dans un groupe de défense des droits, de participer aux activités d’un établissement de santé ou d’un centre communautaire, de travailler ou de faire du bénévolat dans un organisme, forment autant d’exemples de l’associativité structurée. Enfin, pour de nombreux autres chercheurs, la participation sociale correspondrait à la réalisation des habitudes de vie de la personne dans la vie quotidienne telles que définies par le modèle du MDH-PPH : participer socialement impliquerait de pouvoir accomplir les activités quotidiennes (la communication, les déplacements, la nutrition, la condition personnelle, les soins personnels et l’habitation) et jouer les rôles sociaux (les responsabilités, les relations interpersonnelles, la vie communautaire, l’éducation, le travail et les loisirs) qui sont jugés essentiels par la personne ou par son milieu social (Dugas et Guay, 2007; Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 2015; Grenier et al., 2015; OPHQ, 2009; Raymond et al., 2008). Cette importance varie selon les caractéristiques personnelles (âge, sexe, identité socioculturelle, etc.).

Comme le relèvent avec justesse Raymond et ses collègues (2008), les divers éléments qui viennent d’être énumérés décrivent tous la participation sociale, ce qui signifierait que l’ensemble de ces définitions mériterait d’être retenu. D’un autre côté, il peut être argumenté que la réalisation des habitudes de vie regroupe en fait les quatre autres composantes de la participation sociale qui ont été énumérées. En d’autres mots, les rôles sociaux et les activités courantes comprennent en eux-mêmes les interactions sociales (la communication et les relations interpersonnelles), les réseaux sociaux (les relations interpersonnelles), l’exercice des droits (les responsabilités) et l’associativité structurée (la vie communautaire, l’éducation, le travail et les loisirs) sans se limiter strictement à l’un de ces derniers éléments (voir MHAVIE 4.0 dans RIPPH, 2017). De plus pour Grenier et ses collègues, les droits s’exercent à travers la réalisation des habitudes de vie de la personne: « Il est [...] possible d’évaluer le degré d’exercice des droits d’une personne ou d’un groupe de personnes au moyen de la mesure de la réalisation de ses habitudes de vie dans un ou plusieurs domaines d’activité particuliers » (Grenier et al., 2015, p. 34-35). À la lumière de ce qu’il vient d’être souligné, la présente recherche se figurera donc la notion de participation sociale comme la réalisation des habitudes de vie d’une personne dans son milieu.

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Tel qu’énoncé précédemment, la participation sociale représente un processus interactif où les facteurs environnementaux, mais aussi les facteurs personnels, agissent à titre d’obstacles ou d’éléments facilitateurs (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 1998; 2015; Grenier et al., 2015; Weber, 2004). Comme illustré dans la Figure 1 (voir fin de ce sous-chapitre), tirée de l’ouvrage de Fougeyrollas (2010), les facteurs environnementaux peuvent se situer au niveau macro (lois, politiques, organisation des services, orientations des décideurs, influence du mouvement associatif de défense de droits, etc.), méso (le transport, les attitudes de l’environnement social, le degré d’information de ces personnes, la conception architecturale, matérielle et urbanistique des infrastructures) et micro sociétal (le domicile, les proches, les aides technologiques, le poste de travail, etc.). Un facteur personnel ou environnemental est considéré comme un obstacle lorsqu’il entrave la réalisation d’activités courantes ou de rôles sociaux (p. ex. le travail) et crée une situation handicapante pour la personne. Inversement, il est considéré comme un facilitateur lorsqu’il contribue à la réalisation des habitudes de vie (Fougeyrollas, 2010; Fougeyrollas et al., 2015; Grenier et al., 2015). Ainsi, selon ce modèle, le concept de participation sociale est intrinsèquement lié à celui de handicap. Plus précisément, la relation entre ces deux éléments est conçue comme un continuum allant de la participation sociale optimale à la situation de handicap totale (Fougeyrollas, 2010; Grenier et al., 2015).

Par ailleurs, en plus d’être lié à la situation de handicap, le concept de participation sociale tel que défini dans le MDH-PPH présente l’avantage de tenir compte du pouvoir des acteurs sur leur environnement, de se trouver ancré au cœur de l’action individuelle et socialisée (OPHQ, 2009; Weber, 2004). Participer socialement signifie que les acteurs ont bel et bien un impact sur leur environnement, sur les obstacles comme sur les facilitateurs:

La qualité de la participation sociale vécue par les personnes ayant des incapacités est donc situationnelle et peut être améliorée et optimalisée par des mesures transformant l’environnement en facilitateurs, permettant ainsi l’égalité des chances et l’exercice des droits de la personne (Dugas et Guay, 2007, p. 5).

Une telle conception de la participation sociale permet donc au chercheur de se représenter autrement le handicap, qui n’est plus pensé en tant qu’état permanent et statique. Autrement dit, le

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modèle du MDH-PPH permet de relativiser la notion de handicap et de remettre en question le statut figé de la « personne handicapée » – ou encore du « travailleur handicapé ».

Un tel concept permet enfin de concevoir l’exclusion sociale comme un processus dynamique, à géométrie variable, qui doit être évalué dans les diverses sphères de la vie quotidienne (Weber, 2004). Comprise en lien avec la participation sociale, l’exclusion sociale peut alors être définie comme « l’affaiblissement de la participation de l’individu aux réseaux sociaux les plus fondamentaux dans le contexte de la société dans laquelle il vit » (Moati, 2003, p. 14).

Figure 1 Modèle du développement humain et processus de production du handicap

(Source : Fougeyrollas, 2010)

1.3 Travail, travail rémunéré, emploi et bénévolat : quelques éléments de définitions

Selon Fouquet (2011), l’emploi et le travail constituent deux concepts distincts qui sont souvent confondus à tort. D’abord, le travail peut être défini dans son sens large comme l’ensemble

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des activités coordonnées par lesquelles les êtres humains construisent, maintiennent et transforment leur environnement physique et social en vue de produire quelque chose (AQRIPH 2013; Baldry, 2013). Plus spécifiquement, il désigne une activité qui consiste à produire un bien ou un service, même lorsque la rétribution qui pourrait lui être rattachée est absente ou prend une autre forme que le salaire (échange ou compensation en biens ou services, compensations financières ou autres formes de rétribution) (AQRIPH 2013; Baldry, 2013; Fouquet 1998; 2011)10.

Quant à l’emploi, Fouquet le décrit comme étant avant tout une « relation qui unit une personne à une organisation » (Fouquet, 1998, p. 2). Autrement dit, il se rapporte généralement à un contrat passé entre deux parties, l’employeur (qui peut être une organisation à but lucratif ou non lucratif) et l’employé, pour la réalisation d’un travail contre une rémunération. La réalisation du travail peut alors se faire par l’exercice d’une profession pour un travailleur salarié, ou bien pour un travailleur indépendant, par la réalisation de plusieurs contrats dans le cadre de l’exercice d’une profession. Pour Fouquet (1998; 2011), pour qu’il y ait emploi, le travail se doit de répondre à trois critères. Il doit d’abord être reconnu comme étant socialement utile et donc échangeable. Il doit ensuite être individualisable pour s’échanger contre un salaire. Enfin, il doit être assorti de garanties et de protections sociales dans la durée. Au Québec, l’emploi est généralement régi par la Commission des normes du travail pour le travail salarié et par le Code civil québécois (Gouvernement du Québec, 2017a; 2017b). Ainsi, une personne bénévole n’occuperait pas un emploi au sens strict du terme, mais elle ferait un travail (Fouquet, 1998; 2011).

En ce qui concerne le bénévolat, celui-ci semble, dans certains cas, difficile à départager de l’emploi, étant donné le fait que les frontières entre l’engagement dans le cadre d’une action rémunérée et l’action bénévole sont minces et souvent floues (Ferrand-Bechmann, 2010). À l’origine, le bénévolat peut-être défini comme étant une activité désintéressée (libre et sans but lucratif) et gratuite (non rémunérée) (Halba, 2008, p. 17). Cependant, depuis les dernières décennies, le bénévolat s’est modifié pour se rapprocher davantage de l’emploi rémunéré (Ferrand-Bechmann, 2010). Par exemple, il peut parfois y avoir une compensation financière pour les frais

10 Certains auteurs optent pour une définition plus restreinte du travail, incluant strictement le travail

rémunéré (Méda, 2010). D’autres, lui préfère son sens plus large. Dans cette recherche, nous avons opté pour une définition relativement élargie, permettant d’y inclure les formes de travail non rémunérées, mais visant à produire un bien ou un service produit ou offert par des entreprises, administrations publiques ou organisations.

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rattachés à celui-ci (p. ex. pour les déplacements). Des organismes offrent aussi parfois ces compensations à des personnes en situation de difficulté financière. Ce genre de situation témoigne donc d’un effacement des frontières et de l’existence de véritables zones grises entre l’emploi rémunéré et le bénévolat (La Fonda, 2004). En revanche, il n’en demeure pas moins certaines différences dans la participation des bénévoles, qui se distingue de façon marquée de celle des travailleurs rémunérés d’une organisation. De fait, le bénévole qui décide de s’impliquer dans une organisation n’y est en aucune façon obligé (Godbout, 1983). Comme le décrivent Gaudet et Reed (2004), le bénévolat se définit comme une forme de don à autrui de temps, qui forme une denrée rare dans la société contemporaine – et est donc fortement monnayable. Ce don de temps exprime « souvent la reconnaissance d’avoir beaucoup reçu de la société, l’appartenance à une collectivité et le désir de rendre » et se situe dans une logique « qui s’éloigne radicalement de celle de la sphère marchande, où le lien est créé pour permettre l’équivalence dans l’échange » (Gaudet et Reed, 2004, p. 60-66). L’emploi rémunéré, à l’inverse, suppose de la part du travailleur un échange de son temps de travail contre de l’argent; il s’agit d’un échange marchand. Par conséquent, l’emploi rémunéré est une action exercée sous contrainte : le travailleur libre, qui vend sa force de travail, se retrouve dans un lien de subordination par rapport à son employeur – ou vis-à-vis du client dans le cas d’un travailleur autonome (Freyssenet, 1994). Contrairement au bénévole, il se trouve donc plus contraint de travailler, de faire partie de l’organisation où il exerce cette activité et d’en accepter les normes (horaire, rémunération, etc.) (Godbout, 1983; Freyssenet, 1994).

Comme il sera vu ultérieurement, le travail non compétitif, bien que ne pouvant être qualifié d’emploi, partage cependant plusieurs caractéristiques avec celui-ci et s’en rapproche davantage que du bénévolat. Ainsi, le travail non compétitif étant une forme de travail offrant une forme de rétribution financière, la présente recherche se concentrera exclusivement sur cette dernière forme de travail (l’emploi régulier et d’autres types de travail se classant dans cette catégorie). Afin d’alléger le texte, le terme de « travail » sera employé pour désigner le travail impliquant une rétribution en argent, ainsi qu’un lien de subordination entre un employeur et des travailleurs.

Figure

Figure 1 Modèle du développement humain et processus de production du handicap
Tableau 1 Les programmes et initiatives visant l’insertion ou la réinsertion professionnelle et  le maintien au travail des personnes ayant des incapacités au Québec
Tableau  2  Les  types  alternatifs  de  travails  développés  pour  les  personnes  ayant  des  incapacités
Figure 2 Illustration des significations associées au non-emploi par les répondants
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