• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les enjeux de la formation des médiateurs

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les enjeux de la formation des médiateurs"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

LES ENJEUX DE LA FORMATION DES MÉDIATEURS

Patrick TRABAL

Laboratoire de sociologie de l'I.N.S.E.P.

MOTS-CLÉS: SOCIOLOGIE - ÉPISTEMOLOGIE - FORMATION - MÉDIATEUR - SPORT-MATHÉMATIQUES - ENTRAINEURS

RÉSUMÉ: Je me propose de réfléchiràla formation des médiateurs en travaillant sur la dimension sociale de leur métier. En prenant comme exemples l'enseignement des mathématiques et des sciences d'une part et la position de l'entraîneur dans le sport de haut niveau d'autre part, je montrerai comment celle situation d'interface délimite deux champs. Les tensions duesàcelle situation d'entre-deux méritent une fom1ation qui fait une large placeàl'épistémologie elàla sociologie des sciences.

SUMMARY: The aim of this paper is to study what is the best for the mediators'training, in analyzing the social aspect of their job. We will take two examples : mathematics and science teachers in France and the position of coaches for high level athletes. We will show thatthey have to work between Iwo fields and that generates which generate tensions. We will conclude that in their training, they need to study the epistemology and the socioJogy of sciences to understand the bases of these tensions.

(2)

1. INTRODUCTION

Se questionner sur la fonnation des médiateurs suppose une réflexion sur la réalité sociale du métier qu'ils sont amenés àexercer. J'entends par médiateur toute personne qui estàl'interface entre les acteurs de la construction du savoir scientifique d'une part et des individus àqui ils sont censés transmettre ces contenus. En fait, je ferai principalement référenceàdeux exemples que j'ai étudiés: • le premier est l'enseignant de mathématiques ou de sciences dans l'enseignement secondaire sur lequel j'ai travaillé pour ma thèse qui a été récemment publiée sous la forme d'un ouvrage [Trabal, 1997b),

• le second ne sera abordé que partiellement car il figure pamli mes objets d'études actuels. Je me contenterai donc de souligner quelques exemples (Trabal, 1997a).

Le parcours que je propose dans cet article renoncera à emprunter les voies balisées de la didactique pour préférer les sentiers d'lIne étude sociologique de la médiation scientifique. Il ne s'agit ici ni de remettre en question la légitimité des différentes disciplines qui se sont emparées du sujet, ni de dévaloriser leurs apports mais de s'étonner du fait que la sociologie a délaissé cet objet sur lequel elle a pourtant quelque chose àdire etàapprendre. Ma réflexion se déroulera en trois étapes. Je me propose d'expliciter les tensions que le médiateur est appelé à gérer, de montrer que ces tensions renvoient à l'identité même du scientifique, de formuler quelques propositions pour la fonnation des médiateurs.

2. DES TENSIONS ...

2.1 Moi, je déteste les maths

!

Les expressions d:un rejet des mathématiques ne manquent pas dès lors que l'on y est attentif. Pour objectiver cette phobie, on peut se reporteràla grande presse (Trabal, 1995) : l'on y dénonce parfois le fait que les mathématiques constituent un véritable pouvoir(Lenouvel observateurdu 3 décembre 1979 parle d'une "voie royale") alors que, souvent elles sont associéesàune "peur"(Phosphore, septembre 1993) et au cauchemar des f.unilles (Le nouvel ohservaleur, 1979).Télérama, plus récemment (12 juin 1996), s'interrogeait sur "ces x et ces y narquois qui vous faisaient suer sang et

eau ... ".

Mais on peut aussi consulter les études (Bon & Boy, 1981; Boy, 1989; Boy& Muxel, 1989; Boy, 1992) sur le rapport des jeunes (et les autres) allx disciplines scientifiques (Bon & Boy, 1984), études qui mettent en exergue que ces matières figurent pam1Î celles les plus détestées des élèves. Si l'on réalise des entretiens avec des élèves ou des adultes, une analyse thématique des discours obtenus montre ce que j'ai nommé une véIitable violence envers les mathématiques (Trabal, 1997b). . Enfin, une (re)lecture de Stendhal (Stendhal, 1890) convaincra le lecteur que ce rejet des mathématiques n'est point une affaire de mode: l'actualité et la pertinence de ce que dénonce le biographe tendentànous indiqller que les problèmes de l'enseignement des mathématiques n'ont rien de conjoncturel.

(3)

Le futur enseignant de mathématiques devra simultanément faire face àdes élèves qui rejettent cette discipline et gérer une exigence qui tientàsa mission de transmettre les contenus de cette matière. Avant de recenser les fondements de ces tensions, attachons-nous à analyser la situation de médiation dans un autre contexte.

2.2 "Un gouffre enlre deux mondes"

Dans le sport de haut niveau en France se pose la question du travail du médiateur qui est appeléà faire face d'une part au monde de la recherche scientifique visantà'améliorer la perfomlance et d'autre part au "terrain". En effet, des tensions renvoientàune double incompréhension:

- l'incapacité des scientifiquesàprendre en compte la réalité du terrain. Ils resteraient trop proches de leurs modèles théoriques, ne comprenant pas les contraintes et des impératifs des entraîneurs et des sportifs qui sont fondés sur une obligation de résultats. Or, lorsque ceux-ci sont au rendez-vous, ils souhaiteraient en récolter les bénéfices en minimisant la performance et la valeur de l'athlète, la qualité de l'entraînement, le travail difficile qu'il a fallu fournir.,

- les entraîneurs et les sportifs - ne comprennent pas (ou mal) les outils que les scientifiques mettentà leur disposition. Par ailleurs, lorsqu'un entraîneur entre dans un laboratoire, "il est incapable de formuler clairement la demande et souhaiterait la réponse au problème

D'aucuns envisagent la formation de "super entraîneurs" qui seraient des médiateurs capables de faire face aux deux champs. Pour illustrer ceci, évoquons le cas de P. ancien champion du monde, qui s'est engagé dans une association pour gérer les tensions que nous venons d'évoquer:iltente de promouvoir difficilement un produit mis au point par des chercheurs, auprès des cadres sportifs dont le scepticisme l'irrite. Dans l'entretien que j'ai eu avec lui, il insiste à plusieurs reprises sur ce qui constitue la base du problème: le monde scientifique est mal compris. "Il existe un tel gouffre entre ces mondes, qu'il fautàtout prix reprendre le relais (... ), créer un trait d'union entre ces mondes et les ameneràtravailler,àconverger ensemble dans le même sens". Son parcours personnel lui apportant une connaissance des problèmes des sportifs de haut niveau, de la réalité des entraîneurs, du fonctionnement des industriels du sport et des travaux des scientifiques l'amèneà se poser comme le candidat parfait pour une interface: "ilya une cellule scientifique qui parle l'hébreu, qui parle avec des mots que l'on ne comprend pas et un monde sportif qui dit réclamer de la performance mais qui ne fait aucun effort pour avoir cette performance". Sans le dire en ces termes, la question de la rationalisation, dans le sens d'une mobilisation de la raison scientifique et technique au profit de finalités définies par un groupe social (ici, la perfOImance - il évoque le travail qui doit "converger dans le même sens"), est liée selon P.àla possibilité de combler "ce gouffre entre ces mondes". 2.3 Des enjeux de ces "incompréhensions"

Ces problèmes renvoientàdes difficultés individuelles. L'élève qui doit apprendre une discipline dont il ne perçoit pas le sens, se révolte contre lui-mêmeetl ou contre l'institution scolaire (Crespin, 1996). La violence des propos que nous avons recueillis, parfois dans les larmes, concernant leur "haine" des mathématiques tend à montrer que même adulte, cette situation est pénible pour beaucoup. L'entraîneur, las de ne pouvoir obtenir rapidement une réponse préciseàune question va "faireàson

(4)

idée" en jurant de ne plus perdre du temps 11 écouter les prétendues précautions méthodologiques des chercheurs.

Mais ces tensions se déclinent aussi comme des questions sociales: le fait que la grande presse, presque unanime, dénonce la tyrannie des mathématiques, ou encore des interrogations sur l'utilité de la recherche en sciences du sport, dépassent la situation d'apprentissage et interrogent le médiateur.

3. DU FONDEMENT DE CES TENSIONS

Si l'on souhaite comprendre ces phénomènes, on ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la nature des mathématiques, des sciences et de la recherche. Or celle-ci a un prix. Il faut renoncer

à

l'idée que l'énoncé scientifique enseigné est forcément valide, accepter que la légitimité de la diffusion des sciences n'est pas acquise, accorder au non scientifique le fait qu'il mobilise des modes de connaissance tels que le sens commun qui sont toutàfait opératoires dans certains cas: si l'on ne tient pas une position symétrique accordant autant de légitimité au scientifique qu'au non scientifique, on ne peut prétendre aborder ce problème scientifiquement. En dehors de la question de la réflexivité que suscite cet énoncé, sur laquelle j'ai déjll écrit (Trabal, 1997b), il convient de préciser ce que "scientifiquement" veut dire.

Lorsque l'on interroge des scientifiques dans leur laboratoire, lorsque ,'on regarde attentivement ce que les plus connus d'entre eux disent quand ils expliquent ce que la science est, ou encore lorsque l'on étudie les programmes scolaires, un point apparaît clairement dans tous ces discours: la science après l'observation procède d'une rupture avec le sens commun, et est fondée sur la démarche hypothético-déductive telle que la décrit par exemple G. Bachelard. Or ce dernier n'hésite pas à affirmer que le scientifique se construit "en détruisant" le non scientifique, et qu'il est nécessaire d'opérer une (Bachelard, 1940). Ces mots témoignent de la violence de la formation scientifique qui exige donc des

renoncemems.

En effet, il faut bien que l'élève renonceàrecourirà son mode de connaissance habituel,àsa langue (pour préférer le langage scientifique, qui bien moins poétique carilrestreint les différentes acceptions des mots de la langue naturelle garantit cependant une compréhension mutuelle entre scientifiques),àsa logique (qui diffère de la logique formelle - les psychosociologues (Grize, 1990) ont bien montré les rôles différents de mots comme "et", "ou", "donc", "si" qui font référence aux contenus de la phrase dans la logique quotidienne alors que précisément la logique formelle en fait abstraction), et surtoutàses sens communs (il ne s'agit pas simplement de "voir" que sur la figure, on a telle propriété mais de la démontrer, de "sentir" qu'un bateau glisse bien mais d'objectiver le phénomène par les outils usités en tribologie, de le mesurer, de l'expliquer...).

Or si une telle conversion a un prix (celui d'un renoncementàune partie de soi-même) qui apparaît élevé (peut-être ceci explique-t-il les relations violentes que nous recensions plus haut), elle permet d'accéder au groupe social des scientifiques qui revendiquent un pouvoir plus grand au nom d'une validité plus grande (leurs énoncés ponent sur plus d'observations), d'un détachement de leur objet

(5)

(ils ont renoncé à l'investir affectivement) et d'une utilité pour la société via l'ensemble des applications technologiques.

Ainsi les tensions que nous avons évoquées précédemment seraient fondées sur la nature même de l'activité scientifique qui, en se définissant désigne simultanément les non scientifiques, en prétendant àune validité la plus universelle possible dévalue du même coup le mode de connaissance du sens commun, et en se faisant, instaure une hiérarchie fondant une dissymétrie dans les interactions entre les scientifiques et les non scientifiques.

4. COMMENT SORTIR DE CES TENSIONS ...

DES SUGGESTIONS POUR LA FORMATION DES MÉDIATEURS

Le médiateur a, de fait, àgérer ces tensions. Plusieurs attitudes sont possibles. Il peut nier les spécificités de l'activité scientifique (rupture épistémologique, démarche hypothético-déductive.... ), ce qui lui évitera des situations de conflit. Il peut être rigide en recoursàl'instar des enseignants de Stendhalà l'argument d'autorité. Je pense pour ma part qu'il est préférable d'expliquer les tensions en mettant à jour l'opposition entre le sens comlllun et le mode de connaissance scientifique, en acceptant de discuter de l'activité scientifique sans se réfugier derrière des contenus, en acceptant de mettre la scienceenjeu dans les contextes physiques et sociaux dans lesquels elle a des prétentions. Ceci suppose de maîtriser certaines notions en épistémologie et en sociologie des sciences et je souhaiterais tenir la position que ces notions méritent une place importante dans la formation des médiateurs. Cette suggestion se heurteà plusieurs difficultés pamli lesquelles l'absence de formation en sciences humaines pour de nombreux apprentis-médiateurs. Je pense que cette situation est un excellent point de départ pour faire comprendreàdes scientifiques que des savoirs scientifiques qui leurs sont étrangers (sciences humaines) ne peuvent s'acquérir qu'au prix d'une démarche d'une conversion qui leur semblera sans doute difficile et laborieuse mais qui est semblableàcelle qu'ils ont vocationàexiger dans leur future activité.

BIBLIOGRAPHIE

BACHELARD

G.,

La philosophie du nO/1, Paris: Presses Universitaires de France, 1940. BONF.,BOY D., Les Français et la science,La Recherche, 1981, /20, 344-352.

BON F.• BOY D., La science, la technique et l'opinion publique en 1982, C.f.E. ÉlUde. 42. BOY D.,Les altitudes des Françaiscl l'éJ.:ard de fil sciellce, Rllp{Jorl de résuflalS el noIe de synlhèse, S.O.F.R.E.S., 1989.

BOY D., Évolution des attitudes depuis 1972, inColloque pour la science, acres du Colloque 3-4 décembre1991,Fondation Électricité de France, pp. 17-33.

CRESPIN C.,Les adulres en jormaliofl face aux marhémariques, Université Paris X-Nanterre, U.F.R. Sciences de l'Éducation, 1996.

(6)

GRIZE J.-B.,Logique et langage,Ophrys, 1990.

STENDHAL,\lie de Henry Bru/ord,Paris: Gallimard, 1973 (léd. 1890).

TRABAL P., De la violence envers les mathématiques,Revue des queHions scientifiques, 1995, 166,4,361-382.

TRABAL P., La sociologie, la technique et j'innovation technologique dans le champ sportif, in Acles du Colloque Jacques Carlier,8-10 décembre 1997(àparaître).

TRABAL P., Laviolence de l'enseignemem des mathématiques et des sciences, une aUlre approche de la sociologie des sciences,Paris: L'Harmattan, 1997.

Références

Documents relatifs

2017 Analyse génomique chez le triticale (8x) et leurs géniteurs (blé et seigle) par les techniques C-banding, N-banding et Hybridation in situ : Identification de

 Prévoir le protocole expérimental permettant de préparer une solution à partir d’un solide puis le réaliser..  Prévoir le protocole expérimental permettant de préparer

Les objectifs spécifiques sont de: (i) cartographier les unités d’occupation des sols dans la réserve partielle de faune de Pama et les agrosystèmes adjacents;

La DGAFP (bureau du statut général et du dialogue social – SE1 et bureau des politiques sociales, de la santé et de la sécurité au travail – PS2) reste à votre disposition

Le concept de la consultation d’anesthésie de demain, et donc de la télémédecine doit avoir pour but d’apporter une aide et une simplification à cet acte, sans dégrader

[r]

En 2005, les montants d’avantage principal de droit direct des nouveaux pensionnés sont plus faibles de 1 à 5 % en euros constants (hors tabac) par rapport à 2004 dans les régimes

Enfin, il est clair que Npxq “ Mp⌧pxqq et donc par composition des équivalents, on obtient le