LA MAIN À LA PÂTE (FRANCE) / ABC EN SCIENCES (BRÉSIL) :
PRINCIPES UNIVERSELS, SINGULARITÉS CULTURELLES
Danielle GRYNSZPAN
Laboratoire d’Éducation Environnementale et à la Santé, Fiocruz, Rio de Janeiro
MOTS-CLÉS : ENSEIGNEMENT DES SCIENCES - CULTURE SCIENTIFIQUE
RÉSUMÉ : Le présent travail relate l’expérience d’implantation du projet La Main à la Pâte
(Lamap) au Brésil, où il été baptisé ABC en Sciences, visant spécifiquement l’enseignement des sciences à l’école primaire, tout en reflétant l’engagement assumé par l’Académie Brésilienne des Sciences (ABC). À Rio de Janeiro, nous avons mis l’accent sur la motivation à la création de stratégies et de matériel éducatif propres. Le principal objectif est l’intégration des sciences aux cultures locales et l’interrelationsciences-technologie.
ABSTRACT : The purpose of this paper is to report the experience of implementing the La Main à
la Pâte (Lamap) Project in Brazil, where it’s been called ABC na Ciência, specially focused on science teaching in primary school, and also reflecting the Brazilian Academy of Sciences’ commitment (Academia Brasileira de Ciências - ABC). In Rio, we’ve strongly stimulated the teachers to create their own educational strategies and material. The main goal is to integrate science with local cultures as well as the inter-relationship between science and technology.
1. INTRODUCTION
De nos jours, l’enjeu de l’éducation en sciences est de former des professionnels pour une société en mutation, ce qui, de plus en plus, exige des engagements sociaux et éthiques et un abordage interdisciplinaire (Matalon, 1998). Voilà pourquoi il est nécessaire de concevoir des stratégies d’éducation qui motivent un effort constant afin de stimuler l’éveil de la créativité dans l’enseignement des sciences de la nature, ainsi que l’interaction horizontale entre les différents domaines du savoir. Il convient également d’insister sur l’importance de la contribution du chercheur dans la société, en tant que partenaire de projets éducatifs, et de souligner son rôle dans les réponses données aux questions ayant trait à la qualité de vie, dans une perspective plus humaniste et moins scientiste (Leselbaum, 1998). Par ailleurs, le besoin se fait sentir de souligner la responsabilité de l’académie, non seulement dans la transmission de connaissances correctes et actualisées, mais aussi dans la construction partagée d’un savoir lié à la culture dans les diverses régions du pays.
2. LE CONTEXTE
L’Institut Oswaldo Cruz (IOC/FIOCRUZ), prestigieuse institution de recherche brésilienne, vit constamment une situation dialectique de tradition et de transformation. Si, d’un côté, nous nous ressentons du poids de la tradition d’une institution académique ancienne, de l’autre et dans le même temps, s’inscrit dans cette tradition la reconnaissance d’un engagement dans la formation de personnel dont l’action s’exercera à divers niveaux et dans divers secteurs, selon une orientation claire, afin de contribuer à trouver des solutions aux problèmes qui affectent la population brésilienne. Ainsi, depuis les années 80, certains chercheurs se consacrent à l’éducation et à la vulgarisation de la science, ce qui implique la conception d’activités allant de la réalisation de cours (spécialement destinés aux enseignants des établissements publics), à la production de matériels éducatifs, utilisés par le Secrétariat Municipal et Départemental à l’Éducation de Rio de Janeiro ou dans le cadre de programmes spécifiques à l’échelle nationale.
Depuis le début des années 90, nous menons, dans notre laboratoire, une ligne de recherche intitulée “Éducation, santé et milieu”, visant, dès l’origine, l’enseignement primaire (appelé “fondamental” au Brésil), vu que rares sont les Brésiliens dépassant ce niveau de scolarité. Notre travail s’est étendu au niveau national, sous forme de cours destinés en priorité aux enseignants des écoles primaires et d’orientation de projets interdisciplinaires (si possible, transdisciplinaires) dans les écoles des chefs-lieux et des communes rurales des États du Pará, Maranhão, Sergipe, Bahia, Minas
Gerais et Espírito Santo, outre celui de Rio de Janeiro.
À partir du constat de l’augmentation rapide de l’influence des sciences sur la vie quotidienne, notre défi majeur, pour ce millénaire, est de contribuer à réduire l’écart existant entre l’accumulation croissante de connaissances académiques, d’une part et, d’autre part, la quantité et la qualité de ce qui parvient au grand public. Aussi, plusieurs de nos chercheurs se sont-ils réunis autour d’un projet éducatif ayant pour principal objectif le contact étroit entre les chercheurs et les enseignants, médiateurs potentiels des sciences.
En avril 2001, nous avons été invités à prendre part à un projet international, fruit de la coopération entre les Académies des sciences française et brésilienne, appelé en France “La Main à la Pâte” et que nous avons baptisé “ABC en sciences”, à la fois parce qu’il vise tout spécialement l’amélioration de l’éducation scientifique dans l’enseignement primaire et qu’il représente la première initiative concrète de l’Académie Brésilienne des Sciences dans ce sens. Il nous a été donné de connaître sur place les applications du projet dans trois villes françaises (Lyon, Bergerac et Paris), afin de le mettre en place au Brésil.
3. MÉTHODOLOGIE ET RÉSULTATS
Actuellement, à Rio de Janeiro, nous en sommes encore à la phase expérimentale, l’implantation du projet se faisant graduellement dans certaines écoles du ressort de la commune et de l’État de Rio. Notre travail est centré sur la formation des enseignants, suivant l’orientation méthodologique originelle qui privilégie la démarche d’investigation, car nous croyons au travail dévoué des enseignants des écoles publiques, mais nous avons mis sur pied, parallèlement, un programme de formation continue, fonctionnant depuis le début de l’année 2001, sous forme de cours et de stages, concentrés sur deux jours : le vendredi et le samedi.
Un accord avec le Secrétariat à l’Éducation garantit la participation de professeurs chargés de classes dans tout l’État de Rio, représentés dans chacune des 29 coordinations régionales qui regroupent les 1860 écoles de l’État. Grâce à ce contrat, les enseignants des établissements publics suivent une formation qui leur permettra d’assumer le rôle de responsables de la création et du suivi de Centres de Ressources Humaines et Matérielles dans les diverses communes de l’État de Rio de Janeiro. Certains d’entre eux sont d’ailleurs déjà engagés dans le processus de conception des premiers modules : « eau », « air » et « corps » et comptent, pour ce faire, sur la collaboration de
scientifiques spécialisés dans ces thèmes clés, ainsi que sur celle de professeurs et de chercheurs se consacrant à l’éducation en sciences.
L’élaboration en commun de stratégies et de matériel inédits sur le thème de l’« eau » est en phase de conclusion, le groupe ayant décidé de diviser le matériel en trois kits : “les propriétés de l’eau”, “eau et vie” et “eau et santé”. L’intégration d’enseignants issus de sphères entre lesquelles les rencontres sont rares – comme dans le cas des enseignants de l’État et de la commune – a contribué à une meilleure adéquation des projets aux différentes tranches d’âge et aux diverses réalités, étant donné que, pour les uns, spécialisés dans un domaine des sciences, le souci majeur portait sur le contenu, tandis que pour les autres, polyvalents, il était plus facile d’adopter un abordage privilégiant l’interdisciplinarité. Nous n’avons jamais perdu de vue l’importance du développement de la capacité d’argumentation orale et de la structuration de l’expression écrite, considérant qu’il favorise l’épanouissement global des élèves.
4. CONCLUSION
Notre projet de travail comporte l’idée que l’éducation scientifique doit être comprise comme un présupposé fondamental de l’exercice de la citoyenneté et la condition sine qua non de l’insertion culturelle. Voilà pourquoi l’un des objectifs importants est que les activités pédagogiques puissent refléter l’intégration des sciences aux cultures locales, notamment par le biais de la musique et des dictons populaires, ainsi que la notion de l’interrelation des sciences et de la technologie, en invitant à l’élaboration de produits simples de notre quotidien à partir de l’étude de notions scientifiques de base.
De plus, certaines activités sont davantage adaptées à la salle de classe, mais certaines autres permettent de jeter un pont entre celle-ci et l’environnement physique et social de l’école. Citons, par exemple, le travail réalisé dans la crique d´Urca, située dans la baie de Guanabara, où des générations d´élèves de Rio de Janeiro sont, pour la première fois, entrées en contact avec la vie marine. Malgré les effets de la pollution, cette crique a préservé une richesse de faune et de flore. Dans le cadre du projet et selon la ligne d´incitation à la démarche d´investigation, une activité y a été réalisée. Certaines questions du programme distribué invitaient à l’observation du milieu aquatique et à la description des êtres vivants découverts, tandis que d´autres conduisaient à l´étude des rapports entre les formes et les fonctions des organismes présents dans l´écosystème et proposaient un débat sur l´importance de leur diversité. Enfin, le programme suggérait l´indication
des facteurs environnementaux qui pourraient avoir une influence sur le répartition des êtres vivants, ainsi que des problèmes occasionnés par les déchets et d´autres formes de pollution.
Dans l’application du projet ABC en Sciences - La Main à la Pâte, à Rio de Janeiro, nous avons mis l’accent sur l’encouragement à la conception de stratégies et de matériels éducatifs propres. Ceux-ci sont, en partie, le fruit de la recherche réalisée par les professeurs impliqués dans le projet, après un relevé préalable de données sur les connaissances, les croyances et les opinions sur les sujets traités.
L’autre point clé repose sur le partenariat entre les chercheurs en sciences naturelles et ceux en sciences de l’éducation (ce groupe comprenant les professionnels se consacrant à la didactique des sciences), car nous sommes persuadés que ce partenariat, quoique parfois difficile, est nécessaire. L’objectif étant toujours l’intégration des sciences aux cultures locales, les principes universels sont abordés dans le respect des singularités culturelles.
BIBLIOGRAPHIE
CHARPAK G., La Main à La Pâte – les sciences à l’école primaire, Paris : Flammarion, 1996. LESELBAUM N., “Éducation sanitaire”, “Promotion”, “Prévention”, “Éducation à la Santé”, in Éducation à la Santé – rôle et formation des personnels d’éducation, Paris : Institut National de Recherche Pédagogique, 1998, pp. 131-138.
MATALON B., La Marche des Idées Scientifiques : évolution ou révolutions ?, Sciences Humaines, 1998, 21, 24-26.
