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Jean-Michel DEREX, La Mémoire des étangs et des marais. À la découverte des traces de l'activité humaine dans les pays d'étangs et de marais à travers les siècles, Éditions Ulmer, Paris, 2017, 192 pages

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Academic year: 2021

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Élias BURGEL.

1 / 4 Ce compte rendu a été publié dans la revue Histoire & Sociétés rurales (H&SR), n°47, 2017/1, p.187-192.

Ouvrage recensé — Jean-Michel DEREX, La Mémoire des étangs et des marais. À la

découverte des traces de l’activité humaine dans les pays d’étangs et de marais à travers les siècles, Éditions Ulmer, Paris, 2017, 192 p.

Dans un article-manifeste publié au début des années 2000, Jean-Michel Derex — qui venait alors de soutenir, en 1999, sous la direction d’Andrée Corvol (Paris IV), une thèse intitulée Intérêts privés, intérêts généraux, intérêts communautaires : la gestion de l’eau et des zones humides en Brie (Ancien Régime - fin du XIXe siècle) — appelait de ses vœux une « histoire des zones humides en France », en arguant que celles-ci étaient « absentes des synthèses historiques » [Jean-Michel Derex, « Pour une histoire des zones humides en France (XVIIe-XIXe siècle) », Histoire &

Sociétés Rurales, 2001/1, n°15, p.11]. Environ quinze ans plus tard, l’auteur offre moins une « synthèse historique » proprement dite, au sens académique de l’expression, qu’une promenade érudite au cœur des zones humides de la France métropolitaine — la précision apportée par ce dernier adjectif étant nécessaire, dans la mesure où les zones humides ultramarines, telles que les mangroves antillaises ou guyanaises, ne sont pas évoquées. Ce parcours de découverte est ponctué d’un très riche paratexte iconographique, qui offre plus de 150 illustrations en couleurs et de très belle qualité : reproduction d’images d’Épinal, de cartes postales du début du XXe siècle, d’œuvres picturales ou encore de pièces d’archives diverses et, surtout, clichés de l’auteur, qu’on devine accumulés au cours d’une démarche de recherche menée avec passion et persévérance, à mi-chemin des salles d’archives et du « terrain », pour reprendre une expression de géographes. Filiale de la société allemande Verlag Eugen Ulmer, les Éditions Ulmer — chez qui a paru l’ouvrage —, sont d’ailleurs habituellement plutôt reconnues pour leurs ouvrages pratiques de jardinage, d’écologie ou d’entretien des animaux domestiques, à l’iconographie toujours extrêmement soignée. Aussi le lecteur ne s’étonnera-t-il point de ne pas trouver, dans ce livre, de bibliographie ou de notes de bas de pages, dans la mesure où celui-ci aspire avant tout à lier érudition, accessibilité au grand public et plaisir de lecture.

Pour autant, le lecteur avisé reconnaîtra volontiers, au fil du propos, de brèves allusions aux travaux de recherche académique les plus récents et les plus sérieux sur le sujet : ceux de Jean-Loup Abbé sur l’assèchement de l’étang de Montady dans le Languedoc médiéval [Jean-Loup Abbé, À la conquête des étangs. L’aménagement de l’espace en Languedoc méditerranéen (XIIe-XVe siècle),

Presses Universitaires du Mirail, 2006], ceux de Raphaël Morera sur les entreprises de dessiccation conduites par des entrepreneurs privés en diverses régions du royaume de France à partir du règne d’Henri IV [Raphaël Morera, L’Assèchement des marais en France au XVIIe siècle, PUR, 2011], ceux d’Emmanuelle Charpentier sur les sociétés du marais de Dol à la fin de l’époque moderne [Emmanuelle Charpentier, Le Peuple du rivage. Le littoral nord de la Bretagne au XVIIIe siècle, PUR, 2013] ou encore ceux de Reynald Abald sur le décret révolutionnaire du Comité de Salut Public ordonnant le dessèchement des étangs dans une perspective anti-seigneuriale [Reynald Abad, La Conjuration contre les carpes. Enquête sur les origines du décret de dessèchement des étangs du 14 frimaire an II, Fayard, 2006]. De manière plus diffuse, les écrits de Patrick Fournier gagneraient sans doute également à être convoqués [Patrick Fournier, « La ville au milieu des marais aux XVIIe et XVIIIe siècles. Discours théoriques et pratiques de l’espace », Histoire urbaine, 2007/1, n°18]. C’est que, depuis le début des années 2000, les travaux historiques sur les zones humides ont sans conteste essaimé, à l’intersection de plusieurs domaines de recherche : histoire socio-économique, histoire urbaine, histoire des sciences et des techniques, histoire des paysages, histoire environnementale, histoire de l’alimentation mais aussi, bien évidemment, histoire rurale [cf. en particulier Bernard Heude, La Sologne. Des moutons, des landes et des hommes du XVIIIe siècle au Second Empire, PUR, 2012]. La création du Groupe d’Histoire des Zones Humides (GHZH) en 2003 n’est pas étrangère à cette évolution : elle matérialise le regain d’attention pour cet objet tout en catalysant ce processus.

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2 / 4 Si le parcours érudit proposé par Jean-Michel Derex, dont le mouvement suit l’ondulation d’une conversation plutôt que celui d’une dissertation, prend la forme de quatorze entrées thématiques, cela n’est pas sans entraîner, au fil des pages, quelques répétitions et certains déséquilibres entre les chapitres. La lecture, cependant, reste toujours aisée et fort plaisante. Plusieurs enjeux transversaux méritent alors d’être relevés, parce qu’ils font tout l’intérêt de la construction des zones humides comme objet d’étude, notamment pour les périodes médiévale, moderne et contemporaine (la période antique n’étant pas évoquée dans l’ouvrage).

1/ Le premier point concerne inévitablement la dénomination elle-même de l’objet étudié, dans la mesure où Jean-Michel Derex ne parle explicitement de « zones humides » — également, sous sa plume, l’expression « espaces humides » — qu’en introduction, qui plus est pour qualifier cette expression de « vilain terme » [p.10], en lui préférant ensuite celle de « pays d’étangs et de marais ». Si l’auteur ne donne pas d’explications explicites à cet arbitrage langagier, il convient sans doute de rappeler que l’expression « zone humide » n’est pas neutre, dans la mesure où elle constitue une catégorie juridique depuis la loi sur l’eau de 1992 (loi 92-3 du 3 janvier 1992, art. 2) : son emploi n’est donc pas dénué de connotations anachroniques pour les périodes antérieures. Comme le soulignait ainsi l’auteur dès 2001, « pendant très longtemps, les espaces humides n’ont pas été définis » comme un tout [Jean-Michel Derex, op.cit., p.13], puisque la multiplicité des dénominations prévalait. À cet égard, sans que l’historien.ne soit contraint de retrouver la diversité émique des dénominations, l’expression « pays d’étangs et de marais » est sans doute plus neutre analytiquement. Pour définir l’étang, Jean-Michel Derex l’oppose au lac, en le concevant comme un « plan d’eau » qui est la « résultante de facteurs naturels et humains étroitement imbriqués » [p.38], tandis que le second ne devrait son origine qu’à des facteurs géologiques. À l’exception des « plans d’eau issus de l’activité extractive » [p.42], l’étang serait alors toujours délimité par une chaussée. Si l’auteur ne propose par de définition du marais, il demeure possible de convoquer la définition limpide du chevalier de Jaucourt (1704-1779), dans L’Encyclopédie : « lieu plus bas que les lieux voisins, où les eaux s'assemblent & croupissent, parce qu'elles n'ont point de sortie ». Dénués de chaussée et pourvus de contours plus fluctuants que les étangs, les marais n’en sont pas moins, eux aussi, la « résultante de facteurs naturels et humains étroitement imbriqués ».

2/ Partant, le deuxième point qu’il convient de souligner est sans nul doute le fait que les marais et les étangs sont des milieux anthropisés, qui ne peuvent être envisagés indépendamment de complexes interventions humaines. En insistant, à juste titre, sur le fait que les « pays de marais et d’étangs sont tout sauf naturels » [p.21], Jean-Michel Derex semble alors demeurer à mi-chemin de l’histoire régressive à la Marc Bloch et de l’environmental history à la William Cronon. De facto, l’auteur semble plus proche du premier pôle lorsqu’il est par exemple conduit à indiquer que les étangs et les marais sont porteurs d’ « héritages qui passent les siècles » [p.9] et de « traces environnementales ou patrimoniales » [p.185], c’est-à-dire d’une succession d’aménagements ayant subi l’influence du temps : la perspective, présentiste et paysagère, incite en effet à interroger la stratification des interventions humaines pour expliquer un état final, en vertu de la métaphore de la bobine cinématographique chère à Marc Bloch [cf. Marc Bloch, Les Caractères originaux de l’histoire rurale française, Armand Colin, 1999 [1931]]. Lorsqu’il souligne que « l’aménagement d’un marais ou d’un étang n’est jamais définitivement acquis » et que l’histoire d’une région de zones humides est constituée de flux et de reflux, « chemins de traverse, avec des abandons et des reprises » [p.45], l’auteur semble inversement plus proche d’une perspective attentive aux pratiques sociales aménageuses dans des contextes précis. Par-delà les aménagements structurants des territoires, ponctuels mais durables, cette seconde démarche ouvre la voie à une étude des pratiques, quotidiennes ou moins quotidiennes, d’entretien des infrastructures territoriales [cf. Patrick Fournier & Geneviève Massard-Guilbaud (dir.), Aménagement et Environnement. Perspectives historiques, PUR, 2016]. Bien plus, elle aspire à ne pas s’interdire l’étude des aménagements ratés ou des processus environnementaux qui peuvent sembler régressifs : dans cette perspective, Émeline Roucaute et Georges Pichard mettent par exemple au jour un « retour des eaux » en Camargue à la fin de l’époque moderne [Émeline Roucaute & Georges Pichard, « Les cadastres des associations territoriales d’Arles, témoins de la gestion des zones humides au XVIIe siècle », Siècles. Cahiers du

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3 / 4 Centre d'histoire « Espaces et Cultures », 2009, n°30]. Dans les deux cas, l’invitation à se déprendre d’une vision des marais et des étangs comme des milieux virginaux, qu’il conviendrait de protéger en les sanctuarisant, n’est pas sans rappeler les mises en garde de William Cronon, figure de proue de l’histoire environnementale américaine, contre le concept de wilderness [William Cronon, « Le problème de la wilderness, ou le retour vers une mauvaise nature », Écologie & Politique, 2009/1 [1995], n°38]. Dans la conclusion de l’ouvrage, Jean-Michel Derex souligne ainsi l’écueil des « stratégies conservatrices » ou « stratégies du “re” (qualification, re-valorisation, ré-habilitation, re-naturalisation, réparation) », en invitant à toujours avoir à l’esprit la « dynamique de ces milieux, leur réactivité aux changements sociaux [et] aux changements climatiques » [p.185].

3/ Un troisième point est lié aux enjeux économiques des étangs et des marais, puisque l’auteur rappelle qu’ils « ne sont pas les terres sans intérêt économique que beaucoup ont voulu dénoncer » [p.71], notamment les physiocrates de la fin de l’époque moderne et les médecins hygiénistes du XIXe siècle [p.135-136]. Par-delà une perception durablement négative au service d’une « mauvaise réputation des lieux » [p.21], que l’auteur semble attribuer à des facteurs anthropologiques autant qu’historiques (cf. chapitres 1, 12 et 13) en raison du « fonctionnement symbolique des marais et des étangs » [p.165], ces derniers ont en effet toujours été sujets à des exploitations humaines plus ou moins intenses, en vertu d’un décalage frappant entre représentations et pratiques. En fonction des dynamiques de la démographie, ceux-ci peuvent, à un premier niveau, constituer des « espaces à conquérir sur le néant » [p.51] afin d’obtenir des gains de productivité agraire lorsque aucune amélioration technique n’est envisageable. Des spéculations, plus ou moins intenses, ont alors lieu autour de l’extension des terres mises en culture ou de l’accroissement des herbages fourragers : elles sont portées par des acteurs de toutes natures en fonction des époques (ecclésiastiques, communautés d’habitants, entrepreneurs privés, agents du pouvoir central, etc.). À un second niveau, sans qu’il soit besoin de promouvoir leur assèchement, marais et étangs peuvent être porteurs de ressources plus ou moins prisées (carpes et anguilles, sel, osier, tourbe, sangsues, etc.) : l’économie de ces denrées peut alors demeurer locale ou concerner des circuits plus vastes. Ces différentes configurations sont illustrées par Jean-Michel Derex à l’aide d’exemples historiques de différentes périodes, mobilisés des quatre coins de l’Hexagone. Ils révèlent des « eaux agitées », « espaces instables ouvrant de larges boulevards à la chicane et aux procès » [p.125], où les intérêts sont éminemment contradictoires. La gestion de l’eau est ainsi souvent « source de discordes » [p.126], parce que les différents acteurs en présence peuvent s’affronter autour de la détermination du niveau d’eau ou, sur le littoral, de sa salinité. Cela n’est pas sans faire penser aux travaux d’Alice Ingold sur les conflits liés à la gouvernance de l’eau dans le Roussillon [Alice Ingold, « Gouverner les eaux courantes en France au XIXe siècle.

Administration, droits et savoirs », Annales. HSS, 2011/1].

4/ Enfin, un quatrième et dernier enjeu inspiré par le propos de Jean-Michel Derex concerne l’organisation sociale et culturelle des sociétés des zones humides. De fait, ces territoires donnent souvent lieu au développement d’une forte « identité » locale, parce que les modalités d’organisation sociale favorisent le « sentiment d’appartenance des individus » [p.105]. L’auteur évoque ainsi le « sentiment de vivre dans un milieu “à part ” » [p.110] ou « en marge » [p.119], en mobilisant le vocable géographique d’« insularité », terme de géographie sociale et économique qui gagnerait à être mis en rapport avec le concept d’ « îléité », issu quant à lui de la géographie culturelle [Françoise Péron, Des îles et des hommes, Éditions de la Cité/Ouest-France, 1993]. Les études récentes sur la « géographie des marges » mériteraient indéniablement d’être elles aussi mises en relation avec cette réflexion [cf. Samuel Depraz, La France des marges. Géographie des espaces « autres », Armand Colin, 2017]. Pour singulariser l’appartenance territoriale des étangs et des marais, Jean-Michel Derex reprend alors l’expression heureuse — déjà employée dans son article de 2001 — de « solidarité obligée » [p.113-115], afin de souligner que les sociétés des zones humides sont généralement un « monde de solidarités et de contraintes structuré par des usages » [Jean-Michel Derex, op.cit., p.30]. S’il convient d’éviter toute forme de déterminisme, la perspective est séduisante : pour surmonter les contraintes spécifiques liées à l’occupation et à

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4 / 4 l’exploitation des zones humides, les sociétés locales seraient fréquemment conduites à mettre en place des formes avancées d’organisation collective afin de coordonner les intérêts particuliers, seul moyen pour atteindre un certain degré d’efficacité. Wateringues et autres syndics des périodes médiévales et modernes sont ainsi considérés par Jean-Michel Derex comme les « ancêtres des actuels syndicats mixtes intercommunaux mis en place pour la gestion et l’entretien des marais » [p.113]. Les travaux récents de Raphaël Morera sur la « gouvernance » et la « gestion participative » des zones humides françaises à l’époque moderne semblent aller dans le même sens : ils soulignent l’originalité de certaines formes de « pouvoirs territoriaux », plus ou moins autonomes à l’égard des pouvoirs seigneuriaux et du pouvoir central, à des fins d’entretien des infrastructures assurant les équilibres écologiques locaux (curage des canaux, maintenance des écluses, etc.). En Camargue et dans le pays arlésien, dès le XVIe siècle, des associations de propriétaires et d’exploitants prennent par exemple ponctuellement des décisions à valeur normative, susceptibles de s’imposer à tous au nom d’un intérêt collectif [Raphaël Morera, « Mise en valeur des zones humides et association de gestion. Naissance et affirmation de nouveaux pouvoirs territoriaux (France, XVIe-XVIIIe siècles) », Siècles. Cahiers du Centre d'histoire

« Espaces et Cultures », 2015, n°42].

En définitive, tout en constituant un très beau prolongement de son manifeste en faveur de la recherche historique sur les zones humides de France — et d’ailleurs : les recherches récentes ayant notamment montré l’importance de l’approche transnationale, ne serait-ce que, par exemple, du fait de la circulation des techniciens hollandais à l’époque moderne —, l’ouvrage de Jean-Michel Derex est donc une invitation à prendre conscience des enjeux socio-environnementaux liés à ces territoires spécifiques. Invitation qu’il serait regrettable de ne point saisir, tant les enjeux dépassent les limites de leur objet.

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