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Les personnages narratologiques du 1er mouvement de la sonate pour piano K.457 de Mozart : une démarche de recherche-création

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Academic year: 2021

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Les personnages narratologiques du 1er mouvement de

la sonate pour piano K.457 de Mozart : une démarche de

recherche-création

Mémoire

Anne-Marie Bélanger

Maîtrise en musique - musicologie - avec mémoire

Maître en musique (M. Mus.)

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Les personnages narratologiques du 1

er

mouvement de

la sonate pour piano K.457 de Mozart : une démarche de

recherche-création

Mémoire

Anne-Marie Bélanger

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Résumé

De nombreux préjugés entourant les sonates pour piano de Mozart, notamment leur trop grande simplicité, font en sorte qu’elles ne font pas partie du répertoire de prédilection (Newman 1983). De manière générale, les problèmes d’interprétation reliés à la musique de Mozart ont souvent été relevés (Badura-Skoda 1980; Levin 1992; Ogata 2012) et sa musique instrumentale a fait l’objet d’analyses comparatives avec sa musique vocale (Chantavoine 1948 ; Keefe 2001 ; Klorman, 2013). Plus précisément, Jones (1985) compare les sonates pour piano de Mozart avec ses opéras, mais ne suggère pas un renouvellement concret du jeu pianistique – et donc une revalorisation de ce répertoire. De plus, Irving soutient que la sonate K.457 emprunte le langage de l’opéra (1997: 100) : « The material is of narrative, even dramatic kind. This is evident from the beginning, which presents a dialogue suggestive of two radically conflicting characters, […] » (Irving 2010 : 99). Nous aborderons donc la sonate K.457 en tant que « récit » au sens de Grabócz (2009b), c’est-à-dire : des productions sonores qui se déroulent comme une « intrigue ». Ainsi, suivant une démarche narratologique, en quoi un examen des stratégies d’écriture opératiques de Mozart permettrait-il de mieux comprendre celles présentes dans la sonate K.457 ? Comment cette approche pourrait-elle influencer notre jeu pianistique ? Nous associerons d’abord les paramètres musicaux caractérisant quelques personnages de certains des opéras de Mozart (Idomeneo 1781, Die Entführung aus dem Serail 1782, Le Nozze di Figaro 1786, Don Giovanni 1789, Die Zauberflöte 1791) aux éléments musicaux propres au 1er mouvement de la sonate K.457. Ces correspondances seront ensuite identifiées aux « figures dynamiques de la mise en intrigue » de Grabócz (2009a) que sont le « suspense » et la « curiosité ». Finalement, nous verrons comment ces analyses se sont concrétisées dans notre jeu pianistique et comment notre processus créatif a fait avancer nos recherches.

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Abstract

Mozart’s piano sonatas suffer from prejudices, such as unnecessary difficulties, which lead pianists to set this music aside (Newman 1983). Mozart’s performance practice is often discussed (Badura-Skoda 1980; Levin 1992; Ogata 2012) and his instrumental music is the purpose of many comparative analysis with his vocal music (Chantavoine 1948 ; Keefe 2001 ; Klorman, 2013) . More precisely, Jones’ (1985) compares Mozart’s piano sonatas with his operas, but he does not propose new interpretation tools. Moreover, Irving suggests that Mozart’s piano sonata K.457 shows an operatic language (1997 : 100) : « The material is of narrative, even dramatic kind. This is evident from the beginning, which presents a dialogue suggestive of two radically conflicting characters, […] » (Irving 2010 : 99). Thus, this work will be regarded as a “story” following Grabócz’s definition (2009), which is, sounds’ continuity taking the form of a plot . How could narratology give a new understanding of the writing strategies specific to the first movement of this sonata? How could it influence our influence our own piano playing? We will first compare writing strategies related to the opera’s characters appearing at the same time in some of Mozart’s operas (Idomeneo 1781, Die Entführung aus dem Serail 1782, Le Nozze di Figaro 1786, Don Giovanni 1789, Die Zauberflöte 1791) and in this movement. These similarities will then be associated with Grabócz’s “figures dynamiques de la mise en intrigue”, which are “suspense” and “curiosity”. Finally, we will take a look at how these analyses influenced our interpretation of this work, and how our creative process impacted our researches.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Liste des exemples musicaux ... vii

Liste des tableaux... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

1. Contexte ...1

2. Problématique ...2

2.1. État de la littérature et de la création ... 2

2.2. Problème ... 6

3. Cadre théorique et objectifs ...9

4. Méthode ... 11

5. Présentation des parties du mémoire ... 13

Chapitre 1 – Analyse comparative du 1er mouvement de la sonate K.457 ... 14

Analyse comparative des caractéristiques générales du 1er mouvement... 14

Analyse comparative de l’exposition (mesures 1-74)... 15

Thème 1 (mesures 1-18) ... 15

Transition (mesures 19-35) ... 20

Thème 2 (mesures 36-74) ... 21

Analyse comparative du développement (mesures 75-99) ... 27

Analyse comparative de la réexposition (mesures 100-167) ... 30

Analyse comparative de la coda (mesures 168-185) ... 31

Chapitre 2 – Analyse des figures dynamiques de la mise en intrigue ... 33

Le « suspense » ... 33

La « curiosité » ... 39

Chapitre 3 – Analyse de l’interprétation ... 40

Principes généraux d’interprétation et analyse du journal de bord ... 40

Exposition (mesures 1-74) ... 47 Thème 1 (mes.1-18) ... 47 Transition (mes.19-35) ... 49 Thème 2 (mes.36-74) ... 51 Développement (mesures 75-99) ... 54 Réexposition (mesures 100-167) ... 56 Coda (mesures 168-185) ... 57 Conclusion ... 58

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Bibliographie ... 62

Ouvrages et articles scientifiques ... 62

Disques ... 68

Vidéos ... 69

Annexe 1 – Partition du 1er mouvement de la sonate K.457 de Mozart ... 72

Annexe 2 – Présentation des opéras et des personnages ... 78

Idomeneo (1781) ... 78

Idomeneo ... 78

Idamantes ... 79

Ilia ... 79

Elektra ... 79

Die Entführung aus dem Serail (1782)... 80

Osmin ... 80 Belmonte ... 81 Blondchen... 81 Le nozze di Figaro (1786) ... 82 Figaro ... 82 Suzanne ... 82 Comte Almaviva ... 83 Chérubin ... 83 Don Giovanni (1789) ... 84 Don Giovanni ... 84 Leporello ... 85 Donna Anna ... 85 Don Ottavio ... 85 Donna Elvira ... 85 Zerlina ... 86 Die Zauberflöte (1791) ... 87 Sarastro ... 87 Tamino ... 87 Pamina ... 88 Reine de la nuit ... 88 Monostatos ... 88

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Liste des exemples musicaux

Exemple 1 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Welch’ ein freudiges Getümmel » (acte 3, scène 9), mes.33-36 (Idomeneo, violoncelle et basse) ... 15 Exemplel 2 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Don Ottavio, son morta »

(acte 1, n°10), mes.9-11 (flûte 1, flûte 2, hautbois 1 et 2, basson 1 et 2) ... 15 Exemple 3– Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « O Isis und Osiris » (acte 2,

n°10), mes.4-10 (Sarastro) ... 16 Exemple 4 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Finale – Adagio » (acte 2,

n°21), mes.1-6 (Trombones alto et ténor) ... 16 Exemple 5 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Finale – Chœur final » (acte

2, n°21), mes.1-3 (Trombones alto et ténor) ... 16 Exemple 6 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah taci, ingiusto core » (acte

2, n°15), mes.49-51 (Don Giovanni) ... 17 Exemple 7 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Non ho colpa » (acte 1 scène 2),

mes.4-8 (Idamantes) ... 17 Exemple 8 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Qualmi conturba i sensi equivoca

favella? » (acte 2 scène 3), mes.7-9 (Idomeneo) ... 18 Exemple 9 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Ach, ich fühl’s, es ist

verschwunden » (acte 2, n°17), mes.1-6 (Pamina) ... 18 Exemple 10 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Vedro mentr’io

sospiro » (acte 3, scène 4), mes.76-81 (Comte) ... 18 Exemple 11 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Alles fühlt der Liebe

Freuden » (acte 2, n°13), mes.10-17 (Monostatos et basse) ... 19 Exemple 12 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Non so piu » (acte 1,

n°6), mes.1-5 (Chérubin) ... 19 Exemple 13 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « O statua gentillissima »

(acte 2, n°22), mes.26-27 (Leporello) ... 19 Exemple 14 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Il padre adorato » (acte 1 scène

10), mes.1-4 (Idamantes) ... 20 Exemple 15 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Venite

inginocchiatevi » (acte 2, scène 3), mes.87-89 (Suzanne) ... 20 Exemple 16 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Via resti servito » (acte 1, scène 4), mes.54-58 (Suzanne, Marceline) ... 20 Exemple 17 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Là ci darem la mano » (acte

1, n°7), mes.36-41 (Zerlina) ... 21 Exemple 18 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Se vuol ballare » (acte

1, scène 2), mes.13-18 (Figaro) ... 21 Exemple 19 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Finale – Allegro » (acte 1,

n°8), mes.445-458 (Pamina, Tamino) ... 21 Exemple 20 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Fuggi, crudele » (acte 1,

n°2), mes.61-74 (flûte, hautbois, cor, violon 1, violon 2, alto, Donna Anna, Don Ottavio, basse)... 22 Exemple 21 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Fuggi, crudele, fuggi » (acte

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Exemple 22 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Entführung aus dem Serail, « Solche hergelauf’ne Laffen » (acte 1, n°3), mes.1-8 (Osmin) ... 24 Exemple 23 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « D’Oreste, d’Ajace » (acte 3,

scène 10), mes.85-91 (Elektra) ... 24 Exemple 24 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Entführung aus dem Serail, « Ich gehe,

doch rate ich dir » (acte 2, n°9), mes.13-18 (Blondchen) ... 24 Exemple 25 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Der Hölle Rache kocht in

meinem Herzen » (acte 2, n°13), mes.17-34 (Reine de la nuit) ... 24 Exemple 26 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Pietà, Numi, Pietà ! » (acte 1,

scène 7, n°5), mes.43-49 (ténor et basse)... 25 Exemple 27 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah pietà signori miei » (acte

2, n°20), mes.1-4 (Leporello) ... 25 Exemple 28 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah ! Chi me dice mai ! »

(acte 1, n°3), mes. 22-28 (Elvira) ... 25 Exemple 29 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah taci inguisto core » (acte

2, n°15), mes.29-35 (Elvira, Don Giovanni, Leporello) ... 25 Exemple 30 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Alles fühlt der Liebe

Freuden » (acte 2, n°13), mes.10-17 (Monostatos) ... 27 Exemple 31 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « No, la morte io non pavento »

(acte 3, scène 9, n°27), mes.16-20 (violon 1, violon 2, alto, Idamantes, violoncelle et basse)... 27 Exemple 32 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Ouverture », mes.16-26

(violon 1, violon 2) ... 28 Exemple 33 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Dies Bildnis ist

bezaubernd schön » (acte 1, n°3), mes.2-6 (Tamino) ... 30 Exemple 34 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Porgi amor qualche

ristoro » (acte 2, n°1), mes.39-41 (Comtesse) ... 30 Exemple 35 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Dalla sua pace » (acte 1,

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Minutage correspondant au thème 1 ... 47

Tableau 3 : Minutage correspondant à la transition ... 49

Tableau 4 : Minutage correspondant au thème 2 ... 51

Tableau 5 : Minutage correspondant au développement ... 54

Tableau 6 : Minutage correspondant à la réexposition ... 56

Tableau 7 : Minutage correspondant à la coda ... 57

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Remerciements

Je souhaite d’abord remercier sincèrement ma directrice de recherche, Madame la Professeure Sophie Stévance, pour son support constant, ses bonnes recommandations et sa disponibilité tout au long de mon parcours. J’aimerais également exprimer toute ma reconnaissance à mon professeur de piano, Monsieur Arturo Nieto-Dorantes, qui m’a donné de judicieux conseils pendant l’apprentissage du 1er mouvement de la sonate pour piano K.457 de Mozart et la séance d’enregistrement au LARC. Dans cet ordre d’idée, je ne pourrais pas passer sous silence la grande contribution de Monsieur Serges Samson, technicien en travaux d’enseignement et de recherche, lors de mon passage au studio de même que pour le travail de montage et de mixage sonores.

Bien entendu, les bourses d’études reçues par la Chaire de recherche du Canada en recherche-création en musique, par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et la Faculté de musique de l’Université Laval, de même que les bourses de déplacement reçues par l’OICRM et l’OICRM-ULaval ont grandement facilité mes études et m’ont permis de vivre des expériences plus qu’enrichissantes. À ce propos, j’ai eu la chance de participer à deux éditions du Colloque étudiant de l’OICRM, à deux éditions de la conférence annuelle organisée par la MUSCAN, à la 2018 Graduate Student Conference de l’Université de Calgary et au colloque annuel de la Société canadienne pour les traditions musicales. Mes emplois en tant qu’assistante à la coordination de l’OICRM-ULaval et auxiliaire d’enseignement pour le cours de formation documentaire en musique ont aussi été une grande source de motivation et d’apprentissage.

Finalement, je tiens à remercier de tout cœur mes collègues, mes amis et ma famille qui m’ont suivie tout au long de mon parcours et m’ont incitée à me rendre jusqu’au bout de mes objectifs ; vous avez toujours su bien m’entourer et m’encourager à tous les moments !

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Introduction

1. Contexte

D’une manière générale, les sonates pour piano de Mozart ne semblent pas faire partie du répertoire de prédilection des interprètes en raison de préjugés portés à leur égard tels que leurs contrastes inappropriés, leur aspect mécanique, voire trop technique, ou leur simplicité apparente (Newman 1983 ; Brendel 2007 ; Jones 1985)

[…], his sonatas have seldom been held in quite the same high esteem as his quartets and symphonies. In the nineteenth century, the sonatas were […] regarded, […], as being too thinly scored. […]. For some such reason Grieg felt impelled to add second-piano parts to four of the sonatas (from 1879), Rockstrow saw fit to rationalize their bareness, and MacDowell brought them down to their moment of lowest repute by calling them products of “mediocrity […] in a style of flashy harpsichord virtuosity such as Liszt never descend to […] (Newman 1983 : 500).

De plus, elles demeurent couramment considérées comme des pièces destinées à l’apprentissage du piano : « A widespread prejudice regards them as teaching matter for children, as secondary pieces for domestic use imbued with the taste of their age, as works in which Mozart made it easy for himself and the player. » (Brendel 2007 : 9). De plus, lorsque les sonates pour piano de Mozart sont interprétées, elles se voient considérées comme des préfaces aux sonates plus « gratifiantes » de Beethoven (Irving 2010, 1). Autrement dit, les pianistes se tournent davantage vers les sonates de Beethoven, car elles semblent techniquement plus difficiles à l’écoute, donc moins « scolaires » et plus « sérieuses » que celles de Mozart. À ce propos, comme les œuvres à l’apparence sérieuse ont plus de chances d’atteindre les plus hauts niveaux de mérites, le répertoire beethovénien semblerait plus approprié lors de contextes plus formels de concerts ou de concours (Potgieter 1990 : 47 ; Irving 2010 : 1). De ce fait, le côté « sérieux » et tragique, suggéré notamment par la tonalité mineure, de la sonate K.457 fait en sorte qu’elle demeure mieux reçue et plus appréciée que toutes les autres sonates pour piano de Mozart (Potgieter 1990 : 40), de telle sorte que la forme, les thèmes et l’esthétique de cette sonate ont même été mis en perspective avec les sonates op.10 n°1 et op.13 nos 1 et 8 de Beethoven (Newman 1967 ; Hager 1986 ; Potgieter 1990).

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L’abondance de détails dans la musique de Mozart explique aussi la réticence des musiciens face à ce répertoire : « [...] these works are marked with care and even obsession for detail that drives many Mozart players to the brink of despair. » (Brendel 2007 : 10). Tout compte fait, ces œuvres contiennent des défis d’interprétation n’ayant pas encore fait, à notre connaissance, et jusqu’à ce jour, l’objet de recherches approfondies. Quels sont ces défis, et comment les surmonter ?

2. Problématique

2.1. État de la littérature et de la création

Littérature et création : Interprétation des sonates pour piano de Mozart

L’interprétation des sonates pour piano de Mozart constitue un champ de recherche important. En effet, les pianistes Richner (1978), Badura-Skoda (1980), Harnoncourt (1985), Coulter (1990) et Levin (2003) offrent un portrait complet des problèmes d’interprétation rencontrés dans la musique pour piano de Mozart. Ils abordent alors les particularités concernant le traitement des éditions Urtext, de la sonorité, du tempo, du rythme, des articulations, de l’ornementation, des agréments improvisés, du continuo, de l’accompagnement ou des cadences et proposent des solutions permettant de respecter, dans la mesure du possible, le style et les intentions du compositeur. De son côté, Neumann (1986) présente les pratiques courantes d’ornementation et d’improvisation dans la musique de Mozart au 18e siècle, tout en suggérant une certaine flexibilité dans leur application. Dans ce même ordre d’idée, Levin, tant dans son livre (1992) que dans de nombreux vidéos disponibles en accès libre sur YouTube sur les ornements improvisés dans la musique pour piano de Mozart, déplore qu’aujourd’hui les interprètes n’ornement plus : « […] our current teaching-and the values of a music industry defined by competitions and recordings – stifle risk-taking and invention. » (1992 : 221). Dans ces quelques entrevues, également disponibles en accès libre sur YouTube, le pianofortiste Christian Bezuidenhout se positionne dans la même lignée en affirmant qu’il faut aller au-delà du texte écrit lorsque nous approchons les partitions pour clavier de Mozart. D’autres auteurs soutiennent qu’en portant attention aux articulations et à l’accentuation dans la musique de Mozart, plus précisément dans la sonate K.545 (Bresin 2000), l’éventail d’expressions disponible

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devient plus riche et coloré (Neumann 1993 : 435). Toutefois, ces paramètres semblent négligés par les musiciens jouant du Mozart (Bilson 1992 : 237). Swinkin démontre plutôt l’influence de l’analyse schenkérienne sur l’interprétation, entre autres, des sonates pour piano de Mozart: « […] Schenkerian analysis is inherently compatible with and naturally applicable to performance. » (2007 : 76).

Par ailleurs, Ogata (2012) met en lumière l’évolution de la performance practice de la sonate K.457 en comparant des sources primaires lui étant associées, différentes éditions du 18e siècle et du 19e siècle ainsi que quelques enregistrements effectués entre 1923 et 2008. De là, l’auteure fait ressortir les paramètres semblant varier le plus entre les partitions et les interprétations analysées, c’est-à-dire le tempo, les articulations et les dynamiques. Dans son article, Wolff (1992) s’interroge plus spécifiquement sur l’impact de la redécouverte, en 1915, du manuscrit de la sonate K.457 du point de vue des articulations, des ornements, des dynamiques et de l’ordre de composition des mouvements. Selon Irving, la sonate K.457 demeure l’une des plus interprétées et enregistrées (2010 : 99), notamment par des pianistes et pianofortistes professionnels spécialistes de ce répertoire tels que Vladimir Ashkenazy, Paul Badura-Skoda, Daniel Barenboim, Kristian Bezuidenhout, Alfred Brendel, Christoph Eschenbach, Glenn Gould, Friedrich Gulda, Maria Joao Pires, Sviatoslav Richter, Grigori Sokolov, Andreas Staier et Mitsuko Uchida. En comparant ces versions à l’aide d’une écoute intuitive, nous remarquons, tout comme Ogata (2012), que le traitement du tempo diffère beaucoup, tandis que les variations d’articulations et de dynamiques semblent moins marquées. Comment alors aider les pianistes à se démarquer des interprétations existantes et, par le fait même, à apporter un vent de fraîcheur à l’interprétation de ces œuvres maintes fois jouées? À l’aide de quels outils pourraient-ils renouveler leur interprétation de cette sonate de Mozart?

À cet égard, divers auteurs proposent des avenues pertinentes pour s’interroger sur des manières de renouveler l’interprétation des sonates pour piano de Mozart. Rosen (2000/1971) demeure : « […] le premier, en 1971, à engager une réflexion […], en parlant des types expressifs et stylistiques, des formules conventionnelles trouvées dans les thèmes, dans les propositions de la musique classique. » (Grabócz 2009b : 13). En d’autres

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mots, en associant certains types de mélodies à des sentiments précis, cet auteur ouvre la voie vers de nouvelles pistes de réflexion pour renouveler le jeu pianistique. Dans cet ordre d’idée, Ratner (1991) identifie quelques topiques présentes dans les sonates pour piano de Mozart, c’est-à-dire : « […] vingt-sept types d’expression et de genres musicaux, chacun ayant une référence ou un renvoi à la vie humaine : aux affects, à l’univers extramusical ou aux « unités culturelles » de la période baroque-classique. » (Grabócz 2009b : 13). Irving (2006), quant à lui, fait une analyse plus en profondeur des topiques se retrouvant dans le 1er mouvement de la sonate K.332. Suivant la volonté d’approcher différemment les sonates K.332 et K.457, Irving (2010) les analyse selon la « rhétorique de la continuité », une approche linguistique inspirée de la narrative continuity, c’est-à-dire qu’il s’intéresse ainsi aux éléments assurant l’avancement séquentiel du « récit ». L’idée de rhétorique apparaît également alors qu’il relie la forme sonate aux six subdivisions traditionnelles d’un discours, c’est-à-dire exordium, narratio, divisio, confirmatio, refutatio et peroratio (Irving 1995 : 1997). En somme, il croit que l’adoption d’un angle narratologique pourrait élargir la vision des sonates pour piano de Mozart et aider à diversifier le jeu. Bref, selon ces auteurs, la mise en lumière de la présence d’états humains et de discours dans la musique instrumentale pourrait mener vers des pistes susceptibles de contribuer à un renouvellement de l’interprétation des sonates pour piano de Mozart. Ainsi, compte tenu que les états humains et le discours appartiennent à priori au monde la musique vocale, dans quelle mesure des comparaisons entre ces éléments vraisemblablement présents dans la musique vocale et instrumentale ont été effectuées ? Comment les œuvres instrumentales de Mozart ont été mises en parallèle avec ses opéras, des œuvres dont la représentation d’états humains et le discours demeurent partie intégrante ?

Parallèles entre la musique instrumentale et les opéras de Mozart

À cet égard, Busoni soutient que Mozart prenait le chant comme point de départ pour ses compositions instrumentales (Brendel 2007 : 1). Ainsi, Klorman présente une méthode d’analyse, multiple agency, qui considère chaque partie d’un quatuor à cordes comme une personne interagissant avec les autres (2013 : iv). Chacune des voix correspond alors à un personnage distinctif, de la même façon qu’à l’opéra. Keefe (2001) et Meyer (1980) mettent plutôt les opéras de Mozart en parallèle avec ses concertos pour piano :

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« […] voiceless dramas, full of tension, nobility and pathos. Their melodies are just as alive and individual as Mozart’s operatic characters. It is just this sense of dramatic values, re-created in instrumental terms, which enhances the revolutionary power of many of these concertos, as the expression of profound personal emotion. » (Meyer 1980 : 64). Cela dit, bien que ces auteurs soulèvent la présence de personnages dans la musique instrumentale de Mozart, il reste néanmoins à préciser la nature des paramètres permettant la mise en valeur des traits de caractère de ces personnages présents dans ses sonates pour piano. En ce sens, Kaiser (1986) décrit de façon rigoureuse chacun des personnages des principaux opéras de Mozart en présentant globalement leurs différents traits de caractère, mais surtout leur rôle dans l’évolution de l’histoire. Breydert (1956), en ce qui le concerne, fait une analyse plus en profondeur de l’intégration musicale des personnages et de leurs personnalités dans trois des opéras de Mozart, c’est-à-dire Le Nozze di Figaro, Don Giovanni et Die Zauberflöte, tandis que Brown-Montesano (2007) tente de mieux comprendre les personnages féminins plus marquants dans les opéras de Mozart.

Par ailleurs, Mozart avait une immense capacité de rétention : « […] Mozart had a remarkably retentive memory, which appears to have been of a strongly associational type, in that it was freely and powerfully influenced by similarities of emotion, dramatic situation, and the like. » (King 1950 : 256). De ce point de vue, Keefe (2005) établit des parallèles esthétiques et stylistiques entre les concertos et les sonates pour piano de Mozart. Pour sa part, Chantavoine s’intéresse aux éléments thématiques réutilisés par Mozart un peu partout au sein de son catalogue afin de mettre en lumière la notion d’« auto-réminiscence », c’est-à-dire des rappels thématiques faisant appel au souvenir et à la mémoire évoquant de manière plus ou moins exacte d’autres de ses œuvres (1948, 242). Les travaux de King (1950), Werner (1957) et Eckelmeyer (1980) font principalement ressortir des motifs mélodiques caractéristiques de Die Zauberflöte récurrentes non seulement à travers cet opéra, mais également dans d’autres répertoires de Mozart. Jones poursuit en mettant en perspective les sonates pour piano de Mozart avec certains de ses opéras : « Sonata forms and the operatic ensemble grew up together, and the influence of one upon the other is not easy to disentangle. » (1985 : 180). De ce fait, il repère des passages dans lesquels des parallèles musicaux et affectifs peuvent être effectués entre la

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musique instrumentale et vocale de Mozart (Jones 1985 : 21). Ainsi, il ne tente pas uniquement de faire ressortir des passages identiques, mais aussi d’associer des extraits mettant en lumière des sentiments similaires (1985 : 10). Somme toute, la pertinence de l’analyse comparative effectuée par Jones demeure appuyée par le fait que les sonates peuvent facilement être vues comme des études des différents états d’esprit et passions humaines (Brendel 2007, 44).

2.2. Problème

Bien que les ouvrages de Richner (1978), Badura-Skoda (1980), Harnoncourt (1985), Neumann (1986,1993), Bilson (1992), Wolff (1992), Bresin (2000) et Ogata (2012) proposent des solutions aux problèmes rencontrés par les musiciens dans la musique de Mozart, les suggestions d’interprétation apportées par ces auteurs se basent sur des conventions relevant de la tradition et ont probablement déjà été suivis par de nombreux interprètes; nous pouvons penser aux versions nous semblant plutôt conventionnelles de la sonate K.331 offertes par Wilhem Kempff et Daniel Baremboim. En effet, ces pianistes respectent à la lettre le texte et les conventions de style, faisant en sorte que leur jeu demeure sensiblement similaire.

En revanche, des travaux tels que ceux de Levin (1992) ont inspiré certains musiciens tels que les pianofortistes Andreas Staier et Kristian Bezuidenhout et leur ont permis de se démarquer sur le plan de l’ornementation. À cet égard, Staier demeure parmi les seuls à ajouter des ornements, notamment dans le troisième mouvement de la sonate K.331. Pour sa part, Bezuidenhout réussit à tirer son épingle du jeu en ajoutant des ornements à quelques endroits lors des reprises de l’exposition et de la réexposition du 1er mouvement de la sonate K.457 (annexe 1 : mes. 25, 46, 56 et 126), en faisant des contrastes agogiques plus marqués que ses collègues, principalement lors des fins de phrases, et en mettant davantage l’accent sur les soupirs, notamment aux mesures 74 et 94. En ce qui concerne les interprétations de cette sonate par des pianistes, seule celle de Glenn Gould ressort un peu du lot. Par exemple, dans le 1er mouvement, il prend certaines libertés en arpégeant quelques accords, joue de façon plus détachée que les autres, semble utiliser moins de pédale et son tempo demeure plus flexible. Et si Swinkin (2007) soutient l’influence de l’analyse schenkérienne

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sur le jeu pianistique et propose de nouvelles idées d’interprétation, surtout en ce qui a trait aux fluctuations de tempo, de dynamiques et d’articulations, il ne s’intéresse qu’au 1er thème du 1er mouvement de la sonate pour piano K.331 de Mozart. De surcroît, son analyse incite davantage au renforcement d’interprétations déjà « canonisées » qu’à un réel renouvellement.

À la lumière de ce qui précède, de nouvelles propositions d’interprétation aideraient à donner le goût aux pianistes de revisiter ce répertoire. Rosen (2000/1971), Ratner (1991) et Irving (2006) présentent une façon particulière d’approcher la musique de Mozart. Toutefois, ils n’expliquent pas comment la reconnaissance de topiques pourrait modifier l’interprétation. Et bien qu’Irving (1995, 1997, 2010) souhaite aborder différemment les sonates pour piano de Mozart afin d’en améliorer leur compréhension et leur interprétation, il ne donne pas de pistes de renouvellement concrètes. De surcroît, même si Chantavoine (1948), King (1950), Werner (1957), Eckelmeyer (1980), Meyer (1980), Keefe (2001, 2005) et Klorman (2013) font des parallèles pertinents entre la musique vocale et la musique instrumentale de Mozart, ils ne présentent pas, eux non plus, de nouvelles perspectives d’interprétation. Malgré les efforts pour renouveler la vision des sonates de Mozart, les pianistes semblent délaisser ce répertoire en raison des préjugés portés à leur égard et par manque d’outils leur permettant d’apporter du nouveau à leur jeu. Ainsi, aussi significatives soient-elles, ces analyses ne permettent pas un renouvellement concret du jeu pianistique – et donc une revalorisation de ce répertoire.

Plus encore, si Jones avance que la comparaison entre les opéras de Mozart et ses sonates pour piano encouragerait des exécutions plus colorées (1985 : 10), il ne propose pas de pistes de réflexion concrètes. Il organise sa recherche de correspondances entre les opéras et les sonates pour piano de Mozart autour de paramètres tels que la mélodie, le rythme, l’harmonie et les dynamiques. Il associe aussi la signification des tonalités et de certains passages présents dans les opéras à des extraits similaires se retrouvant dans les sonates pour piano. Cependant, il limite sa comparaison aux éléments du langage associés aux opéras seria. Cette approche nous semble tout de même porteuse si on l’étend aux particularités du langage musical propres aux autres genres d’opéras composés par Mozart,

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et si l’on place l’analyse comparative sur d’autres paramètres tels que les articulations, les indications de caractère et les traits de caractère des personnages.

À ce titre, Mozart met en valeur les traits de caractère de ses personnages à l’aide d’éléments musicaux tels que le phrasé, le rythme, les mélodies, l’instrumentation de la partie orchestrale, les indications de caractère ou les articulations. Il semble donc utiliser des éléments musicaux significatifs afin de mettre en valeur la psychologie de ses personnages et de placer l’histoire au cœur de ses opéras (Rushton 2007 : 16-17). À ce sujet, bien que Breydert (1956), Kaiser (1986) et Brown-Montesano (2007) s’attardent de manière exhaustive aux paramètres musicaux permettant la mise en lumière des traits de caractère des personnages d’opéras de Mozart, ils ne tentent néanmoins pas de voir si des stratégies d’écriture similaires demeurent utilisées par Mozart dans sa musique instrumentale. Ainsi, si la psychologie des personnages met en valeur des émotions particulières et fait avancer le « récit », le compositeur recourt-il à des procédés similaires dans ses sonates pour piano ?

À ce propos, la sonate K.457 contient, à l’image des personnages d’opéras de Mozart, un large éventail de caractères: « […], the thematic material incorporates a variety of distinctive figures and richness of emotion, […] » (Hager 1986 : 91). De plus, Irving soutient qu’elle emprunte le langage de l’opéra (1997: 100) : « The material is of narrative, even dramatic kind. This is evident from the beginning, which presents a dialogue suggestive of two radically conflicting characters, […] » (Irving 2010 : 99). Bref, compte tenu de la construction « dramatique » de cette sonate, l’établissement de liens avec la caractérisation des personnages d’opéras et l’approche de cette œuvre en tant que « récit » au sens de Grabócz (2009b), c’est-à-dire : des productions sonores se déroulant comme une « intrigue » conjuguant tensions et dénouements perçus consciemment ou non, pourrait s’avérer une option pertinente pour renouveler l’interprétation de cette sonate. À cet égard, « [d]epuis 1972, date de publication du livre de Charles Rosen sur le style de la musique classique, la musicologie admet que certaines formes sonate de Mozart et de Beethoven puissent être porteuses d’un drame constitué de tensions-détentes. » (Grabocz 2009a : 151).

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Bref, compte tenu que la narratologie permet d’étudier les mécanismes internes d’un « récit » (Guillemette 2016), l’utilisation de cette nous apparaît tout à fait appropriée pour la réalisation de ce projet ; d’autant plus qu’elle précise et rend tangible l’évolution de certaines stratégies musicales typiques dans l’histoire de la musique (Grabócz 2009a : 38), permet une meilleure compréhension des styles musicaux, , offre un cadre analytique pour une étude comparative, favorise la compréhension des « structures musicales exceptionnelles grâce à l’analyse de la forme du contenu » et aide à l’évaluation des interprétations instrumentales d’une œuvre historique (Grabócz 2009b : 44-45). Dans quelle mesure une démarche narratologique permettrait-elle de comprendre sous un nouvel angle les stratégies d’écriture propres à la sonate pour piano K.457 de Mozart ? En quoi pourrait-elle influencer notre jeu pianistique ?

3. Cadre théorique et objectifs

À priori, ce qui relie les différentes applications de la narratologie, c’est-à-dire la science du récit (Grabócz 2009a : 15), « […] [ce] n’est pas la volonté de voir une « histoire racontée en musique », comme le présuppose Nattiez (1990, 2001), mais de trouver les règles, les stratégies d’organisation des signifiés […] » (Grabócz 2009a : 27). À noter que par « signifiés », il est ici question de : « [...] formules musicales expressives qui peuvent être liées aux éléments textuels tout en étant susceptibles de se libérer du texte dans le cadre d’un genre musical instrumental, et en gardant le même contenu affectif ou référentiel/descriptif dans leur forme autonome […] » (Grabócz 2009a : 87). Ainsi,

[…] le trait commun à toutes ces formules – qu’elles soient données par Greimas, Aristote, Lévi-Strauss ou Jung – consiste en un itinéraire qui mène de la négation d’une première situation, en passant par la position (proposition) d’un nouvel élément et sa négation, jusqu’à une résolution offerte à la première contradiction. Tous ces auteurs parlent d’un cheminement qui est fait de « péripéties », du renversement de la situation, d’une série d’épreuves constituant un stade médian qui nous mène, par un dernier détournement, à la proposition d’une solution miraculeuse ou à une fin tragique procurant la purification. (Grabócz 2009a : 86)

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Par ailleurs, pour la musicologue spécialiste de narratologie Márta Grabócz, « […] le processus de la mise en intrigue repose essentiellement sur une incertitude, sur une indétermination construite par le discours, sur une stratégie textuelle tensive visant à intriguer le destinataire d’un récit en retardant l’introduction d’une information qu’il souhaiterait connaître d’emblée. » (2009a : 11). Plus simplement, pour Grabócz, la mise en intrigue du « récit » se construit à partir d’un élément « incertain » ou « indéterminé » générant des tensions, car l’auditeur n’a pas accès à toute l’information dès le départ.

Elle met donc sur pied une méthode basée sur les travaux sur le sens du linguiste Greimas (1970) et sur ceux sur le temps et le récit du philosophe Ricœur (1983) afin de développer de nouveaux outils d’analyse musicologique s’ajoutant non seulement aux plus traditionnels, mais, dans un mon idéal, pouvant entrer en dialogue avec eux (Olive 2013). Plus précisément, « [l]es catégories développées par Greimas et Ricœur, dans ce contexte, sont particulièrement intéressantes et utiles pour fonder une méthodologie apte à saisir des moments formels vivants et dynamiques, pleins de contenus, qui ne soient pas de pures coquilles vides, afin d’éviter que l’analyse ne tourne au découpage stérile de sections. » (Olive 2013). Ainsi, dans ses travaux réalisés sur l’Ouverture Léonore de Beethoven et sur la Vallée d’Obermann de Liszt (Grabócz 2009a), elle aborde le répertoire selon deux figures dynamiques permettant d’identifier l’« intrigue » en musique, c’est-à-dire le « suspense » et la « curiosité ». D’une part, lorsqu’il s’agit de « suspense » : « [c]’est la compréhension d’un évènement actuel ou passé qui est provisoirement entravée. » (Grabócz 2009a : 12). À vrai dire, le « suspense » consiste au retard stratégique de la réponse, donc à un énoncé musical à première vue incomplet, mais qui sera complété plus tard. D’autre part, la « curiosité » : « […] porte sur le développement ultérieur d’un cours d’évènements dont l’issue reste jusqu’au bout incertaine […] » (Grabócz 2009a : 12). De ce fait, cette figure dynamique survient lorsque la représentation de l’action demeure incomplète, c’est-à-dire qu’une proposition musicale à priori incomplète reste sans réponse complète.

Grâce à ces outils théoriques provenant de la narratologie, nous souhaitons donc mieux comprendre les stratégies d’écriture de la sonate K.457 afin d’en saisir la « mise en

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intrigue » et proposer une analyse de notre cheminement en tant que pianiste au sein de cette démarche. En d’autres mots, en plus de cerner les stratégies d’écriture du 1er mouvement de la sonate pour piano K.457 de Mozart ressortant de cette démarche narratologique, notre objectif est d’observer notre cheminement pianistique tout au long de ce processus de recherche-création. Cependant, avant d’entrer au cœur de notre travail, nous expliquerons comment nous comptons faire ressortir et analyser les stratégies d’écriture en question. Il sera aussi question de présenter notre démarche de création.

4. Méthode

Nous procèderons tout d’abord à une analyse qualitative des paramètres musicaux caractéristiques de certains des personnages d’opéras de Mozart (annexe 2), notamment les contours mélodiques, les rythmes, les dynamiques, les tessitures et les indications de caractères. Pour ce faire, nous avons construit nos analyses à partir des travaux de Breydert (1956), Kaiser (1986) et Brown-Montesano (2007) sur la caractérisation des personnages d’opéra. Compte tenu de l’importance accordée aux personnages dans les œuvres opératiques de Mozart issues de la collaboration avec da Ponte, celles-ci ont davantage retenu notre attention (Rushton 2007, 16-17). De plus, un opéra de chacun des genres explorés par Mozart (opéra seria, opéra buffa, singspiel) a été sélectionné afin d’avoir une vision la plus complète possible. Nos analyses seront donc construites à partir de quelques personnages provenant des opéras suivants : Idomeneo (1781), Die Entführung aus dem Serail (1782), Le Nozze di Figaro (1786), Don Giovanni (1787) et Die Zauberflöte (1791).

En ce qui concerne l’analyse de la sonate K.457, nous l’effectuerons selon son découpage formel. À noter que nous concentrerons notre travail de recherche sur le 1er mouvement de cette œuvre, car un « récit » typique se déroule en trois phases similaires aux sections de la forme sonate, c’est-à-dire l’état initial d’équilibre (l’exposition), le bouleversement (le développement) et l’état final d’équilibre (la réexposition) (Grabócz 2009b : 28). Dans un premier temps, nous associerons certains contours mélodiques, motifs rythmiques, dynamiques, articulations ou phrasés caractéristiques de ce Molto allegro aux paramètres permettant la mise en valeur des traits de caractère, tant psychologiques que physiques, des

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personnages d’opéras. Pour cette étape, nous baserons nos analyses sur la thèse de Jones (1985) en explorant plus en profondeur les comparaisons déjà effectuées par l’auteur entre les sonates pour piano et les opéras de Mozart sur le plan de la mélodie, du rythme, de l’harmonie et des dynamiques. Nous avons également décidé de nous concentrer sur de nouveaux paramètres tels que les articulations, les indications de caractère et les phrasés présents de façon similaire dans les deux types d’œuvres afin de rendre nos parallèles encore plus complets et significatifs. À l’aide des analyses de Rosen (2000/1971), Ratner (1991) et Irving (2006), nous repérerons également les topiques, c’est-à-dire des figures musicales fréquemment utilisées par les compositeurs de l’époque possédant une signification bien précise et facilement reconnue par le public, présentes à la dans cette pièce pour piano et à l’opéra.

Par la suite, il s’agira d’identifier ces associations aux figures dynamiques de la mise en intrigue de Grabócz, telles que définies plus tôt, que sont le « suspense » et la « curiosité » (2009a). Une telle démarche narratologique nous permettra donc de faire ressortir les stratégies d’écriture les plus significatives pour la construction d’un « récit » au sein du 1er mouvement de la sonate K.457. Or, si l’analyse comparative réalisée en premier lieu et l’application de la théorie provenant de la narratologie de Grabócz permettent de faire ressortir des procédés d’écriture caractéristiques de la sonate K.457, en quoi les résultats obtenus par le biais de ces analyses pourraient nous apporter une nouvelle vision et des pistes d’interprétation originales ?

Ainsi, sur le plan de la création, nous enregistrerons notre interprétation du 1er mouvement de la sonate pour piano K.457 de Mozart au LARC (Laboratoire audionumérique de recherche et de création), studio d’enregistrement à la fine pointe de la technologie de l’OICRM (sis à la Faculté de musique de l’Université Laval). Avec l’aide de notre enregistrement, représentant à la fois l’aboutissement de notre démarche de recherche et de notre processus de création, et des réflexions sur notre cheminement colligées dans un journal de bord que nous aurons tenu entre septembre 2017 et février 2018, nous serons alors en mesure de mieux comprendre nos stratégies musicales afin de voir comment cette démarche narratologique aura influencé notre interprétation, et vice versa. Plus

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précisément, tout au long de ce processus de recherche-création, nous avons d’abord noté nos impressions suite aux écoutes des différentes versions de l’œuvre travaillée proposées par les différents pianistes mentionnés plus tôt. À cet égard, ces constats d’écoute active nous ont aidé à déterminé les éléments pianistiques sur lesquels nous souhaitons porter davantage notre attention. Nous avons ensuite mis sur papier des remarques quant à l’avancement de notre apprentissage de la sonate et du travail de mémorisation et par rapport aux éléments à travailler lors des pratiques subséquentes. Ce journal de bord nous a également servi à rassembler nos réflexions concernant les diverses interactions entre recherche et création ressortant de chaque pratiques et ayant apparues tout au long de notre cheminement. Ceci dit, les données conservées dans ce carnet nous aideront à proposer, dans une certaine mesure, un regard nouveau sur l’interprétation du 1er mouvement de la sonate pour piano K.457 de Mozart. Par conséquent, la démarche de recherche-création ici proposée demeure nécessaire pour obtenir des résultats qu’une approche musicologique se concentrant sur l’analyse de partitions ou de création consistant en l’interprétation de répertoire n’aura, jusqu’à présent, permis d’atteindre.

5. Présentation des parties du mémoire

Nous présenterons d’abord nos analyses comparatives entre les moyens musicaux utilisés par Mozart permettant la caractérisation de ses personnages et les stratégies d’écriture présentes dans le 1er mouvement de la sonate pour piano K.457 de Mozart. Pour ce faire, nous suivrons le découpage de cette œuvre, c’est-à-dire la forme sonate. Il sera donc d’abord question de l’exposition, pour ensuite s’intéresser au développement, à la réexposition et à la coda. Nous poursuivrons avec l’association de ces parallèles aux figures dynamiques de la mise en intrigue. Finalement, nous procèderons à l’analyse de notre interprétation en se fondant sur les remarques présentes dans notre journal de bord et les éléments ressortant de notre interprétation de l’œuvre en question à l’aide de notre enregistrement.

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Chapitre 1 – Analyse comparative du 1er mouvement de la sonate K.457

Analyse comparative des caractéristiques générales du 1er mouvement

La tonalité de do mineur évoque généralement la solennité, la colère, la mélancolie, les mésaventures, la mort de héros et les actions funèbres grandioses (Jones 1985 : 144). Par exemple, lorsqu’Elektra, personnage jaloux, enragé, incontrôlable et égocentrique (Kaiser 1986 : 66), décide de se sacrifier par amour pour Idamantes, elle chante un air fougueux en do mineur dans lequel elle déploie toute sa colère (D’Oreste, d’Ajace, acte 3, scène 10).

Par ailleurs, l’indication Allegro demeure associée à la jalousie et à la fureur d’Elektra, notamment lors de ses numéros Tutte nel cor vi sento (acte 1, scène 6) et D’Oreste, d’Ajace (acte 3, scène 10) (Rushton 2007 : 59). Par le fait même, le tempo Allegro vient renforcer le caractère sombre, tragique et intense de ce 1er mouvement.

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Analyse comparative de l’exposition (mesures 1-74)1

• Thème 1 (mesures 1-18)

Le « thème de la fusée » (Richner 1978 : 83) (annexe 1 : mes. 1-2, 5-6, 19-20, 75-76, 100-101, 104-105) semble réservé pour les moments d’émotions intenses, notamment dans les récitatifs accompagnés de Mozart (Jones 1985 : 144). En effet, il est entendu alors qu’Idomeneo proteste contre le fait de devoir tuer son fils : « […] “ Cruel, iniquitous fate! Ah, no, I cannot raise the brutal axe against my innocent son.” » (Jones 1985 : 145) (exemple 1). Autrement dit, devant l’obligation de sacrifier son fils, Idomeneo ressent une grande douleur. Une mélodie similaire apparaît aussi quand Donna Anna reste sous le choc en réalisant que Don Giovanni est le meurtrier de son père (Jones 1985 : 145) (exemple 2). Bref, le « thème de la fusée » demeure utilisé lors de moments de grande intensité vécus tant par Idomeneo que par Donna Anna alors qu’ils sont durement confrontés à leur triste réalité.

Exemple 1 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Welch’ ein freudiges Getümmel » (acte 3, scène 9), mes.33-36 (Idomeneo, violoncelle et basse)

Exemplel 2 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Don Ottavio, son morta » (acte 1, n°10), mes.9-11 (flûte 1, flûte 2, hautbois 1 et 2, basson 1 et 2)

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Une certaine solennité se reflète également dans ce thème, car tout comme la musique du grand sage Sarastro (exemple 3), cette mélodie simple se base sur des accords et des figures rythmiques longues (Breydert 1956 : 174). De plus, ce motif apparaît lors de moments de grande importance aux allures de cérémonies solennelles dans Die Zauberflöte. Par exemple, il est joué dans le choral des deux hommes armés, c’est-à-dire juste avant que le triomphe de Tamino soit chanté (Rushton 2007 :117 ; Eckelmeyer 1980 :19) (exemple 4). Il apparaît aussi dans le chœur final Heil sei euch, Geweihten (exemple 5) (Eckelmeyer 1980 : 19) alors que les démons sont exorcisés pour laisser toute la place à la beauté et à la sagesse (Rushton 2007 : 118).

Exemple 3– Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « O Isis und Osiris » (acte 2, n°10), mes.4-10 (Sarastro)

Exemple 4 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Finale – Adagio » (acte 2, n°21), mes.1-6 (Trombones alto et ténor)

Exemple 5 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Finale – Chœur final » (acte 2, n°21), mes.1-3 (Trombones alto et ténor)

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La suite (mes.3-4, 7-8, 73-74, 102-103, 106-107) contraste énormément avec le « thème de la fusée » : « The opening of the C-minor sonata […] is a well-known example of a rapid shift in affect. The initial fanfare (mes. 1-2) is dark, stem, and tragic, whereas the answering subphrase is high, light, and singing. » (Edwards 1997: 70). À vrai dire, ce passage correspond davantage à une supplication qu’à un moment de grande intensité (Richner 1978 : 83). En ce sens, un motif semblable, mais dont le contour mélodique est inversé, est chanté par Don Giovanni afin de séduire Elvira en l’implorant de descendre de son balcon pour venir le rejoindre (exemple 6) (Rushton 2007 : 91-92).

Exemple 6 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah taci, ingiusto core » (acte 2, n°15), mes.49-51 (Don Giovanni)

Des lignes chromatiques descendantes suggérant le chagrin sont ensuite entendues à l’alto (mes.9-11 : 2e temps, 108-110 : 2e temps) et au soprano (mes.11 :4e temps-13 : 2e temps, 110 : 4e temps-112 : 2e temps) (Richner 1978 : 83). À l’opéra, Mozart utilise notamment le chromatisme afin d’évoquer la tristesse et de mettre en valeur la sentimentalité de ses personnages. Par exemple, Idamantes évoque sa tristesse face au rejet sans détour d’Illia à l’aide de ce procédé d’écriture (exemple 7) (Rushton 2007 : 59). Les lamentations d’Idomeneo (Kaiser 1986 : 104), fortement ébranlé par le fait de devoir sacrifier son fils, sont également mises en lumière par une succession de demi-tons (exemple 8). Le chromatisme aide aussi à définir la douleur psychologique et le désespoir ressentis par Pamina lorsque Tamino, contraint à ce moment au silence, l’ignore et ne lui répond pas (exemple 9) (Kaiser 1986 : 137-138 ; Rushton 2007 : 117).

Exemple 7 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Non ho colpa » (acte 1 scène 2), mes.4-8 (Idamantes)

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Exemple 8 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Qualmi conturba i sensi equivoca favella? » (acte 2 scène 3), mes.7-9 (Idomeneo)

Exemple 9 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Ach, ich fühl’s, es ist verschwunden » (acte 2, n°17), mes.1-6 (Pamina)

De manière générale, une basse répétitive, des rythmes pointés, des syncopes, des phrases entrecoupées de soupirs et des rythmes rapides caractérisent les mesures 13 (3e temps) à 18 et 112 (3e temps) à 117. Cependant, ces paramètres musicaux peuvent évoquer une multitude d’émotions mises de l’avant par différents personnages dans des contextes variés. Nous ciblerons donc les éléments les plus significatifs pour les mesures dont il est ici question. Dans un premier temps, les mélodies fragmentées, les motifs rythmiques et mélodiques agressifs syncopés et les rythmes pointés du Comte Almaviva évoquent le côté autoritaire, le désir de vengeance, la rage, le manque de contrôle, l’égocentrisme, la jalousie, la colère, le goût du combat, la vitalité et l’impulsivité, d’autant plus qu’ils apparaissent lorsqu’il réalise qu’il se fait berner par Figaro et Suzanne (Breydert 1956 : 72 ; Carter 1987 : 98-106 et 114) (exemple 10). En outre, la basse répétitive, les motifs courts répétés et les rythmes rapides suggèrent la passion prête à éclater ainsi que le caractère agité et effervescent de Monostatos (Kaiser 1986 : 124-125 ; Breydert 1956 : 171) (exemple 11).

Exemple 10 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Vedro mentr’io sospiro » (acte 3, scène 4), mes.76-81 (Comte)

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Exemple 11 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Alles fühlt der Liebe Freuden » (acte 2, n°13), mes.10-17 (Monostatos et basse)

L’agitation, ou plus précisément le désir hasardeux et sans souffle, fait aussi partie de ce passage et réfère notamment aux rythmes rapides, aux notes détachées et aux phrases courtes de Chérubin, jeune adolescent désespérément en quête d’affection et d’attention de la part de la gent féminine (Mann 1977 : 384) (exemple 12). De plus, les croches rapides correspondent à la volubilité incontrôlée de Leporello lorsqu’il se fait intimider et manipuler par son maître (Kaiser 1986 : 115) (exemple 13).

Exemple 12 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Non so piu » (acte 1, n°6), mes.1-5 (Chérubin)

Exemple 13 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « O statua gentillissima » (acte 2, n°22), mes.26-27 (Leporello)

Finalement, les phrases courtes syncopées constituées de rythmes rapides représentent la peur et l’anxiété d’Idamantes face à sa mort imminente et à l’incompréhension du comportement de son père (Rushton 2007 : 60) (exemple 14). En résumé, les phrases courtes et les rythmes rapides s’appliquent plus globalement aux émotions associées au désir de vengeance, à l’agitation et à l’anxiété. Les syncopes, quant à elles, marquent principalement la rage et la crainte. Plus spécifiquement, les rythmes pointés et la basse répétitive restent propres au désir de vengeance.

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Exemple 14 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Il padre adorato » (acte 1 scène 10), mes.1-4 (Idamantes)

• Transition (mesures 19-35)

La transition reprend d’abord le « thème de la fusée » dans la tonalité initiale de do mineur (mes.19-20). Mozart propose ensuite une musique active et légère dont les courts motifs répétés sont séparés par des sauts de tierces (mes.21-22, 77-78, 85-86, 172 : 4e temps-173). Ce passage se rapproche donc de la musique Suzanne associée à son humeur bien définie et à son agilité (exemple 15) (Breydert 1956 : 47-48). De plus, cet extrait flotte au-dessus du thème principal, comme lorsque Suzanne se querelle avec la vieille servante Marceline. En effet, la jeune fiancée chante au-dessus de sa rivale afin de montrer qu’elle contrôle la situation et qu’elle ne la laissera pas partir avec Figaro (exemple 16) (Breydert 1956 : 48). Exemple 15 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Venite inginocchiatevi » (acte 2, scène 3), mes.87-89 (Suzanne)

Exemple 16 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Via resti servito » (acte 1, scène 4), mes.54-58 (Suzanne, Marceline)

La sincérité lyrique et expressive des mesures 23 à 27 (2e temps), de même qu’aux mesures 79 à 82, fait davantage penser à Zerlina (Kaiser 1986 : 189). À vrai dire, sa beauté et son côté sophistiqué, voire un peu exubérant, sont mis en valeur par les triples croches ressemblant à des mélismes (mes. 23, 25, 79, 81) (Kaiser 1986 : 191-192) (exemple 17). À

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ce propos, « Zerlina’s […] aria seems […] shaped […] by her bent for elaboration and embellishment. » (Kaiser 1986: 192).

Exemple 17 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Là ci darem la mano » (acte 1, n°7), mes.36-41 (Zerlina)

Les mesures 27 (3e temps) à 35 et 126 à 130 demeurent caractérisées par des notes répétées précédant un certain développement (mes.28-29, 35, 130), tout comme la musique propre à Figaro. En effet, ce type de structure mélodique met en lumière la simplicité, le côté pratique, le bon sens, la prudence et la logique de ce personnage (Breydert 1956 : 34). À ce propos, « […], Figaro ne se permet d’exprimer ses émotions que lorsque, musicalement, il peut le faire sans danger. » (Breydert 1956 : 30). Ainsi, alors qu’il se moque de son supérieur dans Se vuol ballare, il reste longtemps sur la même note et fait progresser la mélodie progresse au fur et à mesure qu’il prend de l’assurance et assume ses paroles (exemple 18) (Breydert 1956 : 30).

Exemple 18 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Se vuol ballare » (acte 1, scène 2), mes.13-18 (Figaro)

• Thème 2 (mesures 36-74)

Le 2e thème commence avec un échange de mélodies ressemblant à un dialogue entre un violon et un violoncelle (mes.36-43, 131-138) (Richner 1978 : 84). Une stratégie d’écriture similaire est utilisée par Mozart au moment où Pamino et Tamina se rencontrent pour la première fois et se reconnaissent instinctivement (exemple 19) (Kaiser 1986, 179). Exemple 19 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Finale – Allegro » (acte 1, n°8), mes.445-458 (Pamina, Tamino)

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Un motif plutôt percussif et indiqué forte est ensuite entendu, suivi d’un passage contrastant plus mélodique et piano (mes.44-48, 139-144, 145-148) (Richner 1978 : 85). À cet égard, les questions rhétoriques et les exclamations véhémentes de ce genre caractérisent de manière importante le langage des opéras seria (Jones 1985 : 149). Ainsi, lorsque Donna Anna réagit à la mort de son père, elle termine son intervention abruptement et laisse la place à Don Ottavio. À ce propos, les gammes descendantes à la fois diatonique et chromatique contribuent au réconfort que tente d’apporter Ottavio (exemple 20) (Jones 1985 : 152-153).

En outre, une montée chromatique similaire à celle de la sonate (mes.44-45, 49-50, 139-140, 145-146) survient lorsque Donna Anna perd connaissance en voyant le corps inanimé de son père. Afin de la rassurer à son réveil, Don Ottavio lui demande de le prendre comme époux et père en lui promettant de se venger (exemple 21). Somme toute, l’important contraste entendu dans ce passage et aux mesures 57 et 153, peut être associé, d’une part, au choc ou au réveil de Donna Anna et, d’autre part, à la douceur de Don Ottavio souhaitant apaiser sa fiancée.

Exemple 20 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Fuggi, crudele » (acte 1, n°2), mes.61-74 (flûte, hautbois, cor, violon 1, violon 2, alto, Donna Anna, Don Ottavio, basse)

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Exemple 21 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Fuggi, crudele, fuggi » (acte 1, n°2, primo tempo), mes.1-8 (Donna Anna, Don Ottavio)

La musique énergique et abondante des mesures 51 à 56, 63 à 70, 149 à 152 et 160 à 167 peut, d’un côté, référer à la richesse et à l’apparence costaude d’Osmin (Kaiser 1986 : 129) (exemple 22). D’un autre côté, elle nous amène dans l’univers intense des sopranos coloratures. Par exemple, la virtuosité, le grand nombre de notes, le registre étendu et les

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longues vocalises soutiennent le désir de vengeance, l’impulsivité, la colère, la rage et la jalousie d’Elektra (Kaiser 1986 : 66 ; Rushton 2007 : 59) (exemple 23), de même que le déchaînement et la véhémence de Blondchen (Paradis 1999 : 198) (exemple 24). La haine, la cruauté et le côté diabolique, malicieux, manipulateur, et tempétueux de la Reine de la nuit se font également entendre à ce moment (Breydert 1956 : 152-154) (exemple 25).

Exemple 22 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Entführung aus dem Serail, « Solche hergelauf’ne Laffen » (acte 1, n°3), mes.1-8 (Osmin)

Exemple 23 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « D’Oreste, d’Ajace » (acte 3, scène 10), mes.85-91 (Elektra)

Exemple 24 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Entführung aus dem Serail, « Ich gehe, doch rate ich dir » (acte 2, n°9), mes.13-18 (Blondchen)

Exemple 25 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » (acte 2, n°13), mes.17-34 (Reine de la nuit)

Les mesures 59 à 62 et 156 à 159 constituent un moment d’imploration insistant (Richner 1978 : 85) caractérisé par un court motif ascendant chromatique répété cinq fois, ce qui lui donne de l’ampleur. Un motif similaire se retrouve sur le mot pietà dans le chœur des

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marins d’Idomeneo alors qu’ils demandent aux Dieux d’arrêter la tempête (exemple 26). Lorsque Leporello, alors déguisé en Don Giovanni afin de le protéger, demande pitié à Ottavio, Masetto, Anna, Zerlina et Elvira pour pouvoir s’enfuir sans conséquence, il utilise aussi du chromatisme sur le mot pietà (exemple 27).

Exemple 26 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « Pietà, Numi, Pietà ! » (acte 1, scène 7, n°5), mes.43-49 (ténor et basse)

Exemple 27 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah pietà signori miei » (acte 2, n°20), mes.1-4 (Leporello)

L’harmonie simple basée sur les notes de l’accord et l’entrée en canon (mes.71-73), tout comme dans la réexposition (mes.118-120) et la coda (mes.168-173), rappellent la musique généralement chantée par Elvira lui permettant de prouver qu’elle est une fille logique et de principes (Breydert 1956 : 95) (exemple 28). En effet, Elvira commence le canon entre elle et Leporello, alors déguisé en Don Giovanni, alors qu’elle tente de réprimer son désir pour le noble espagnol tentant de la reconquérir (exemple 29).

Exemple 28 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah ! Chi me dice mai ! » (acte 1, n°3), mes. 22-28 (Elvira)

Exemple 29 – Wolfgang Amadeus Mozart, Don Giovanni, « Ah taci inguisto core » (acte 2, n°15), mes.29-35 (Elvira, Don Giovanni, Leporello)

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Analyse comparative du développement (mesures 75-99)

Le développement commence avec une présentation du motif initial en do majeur (mes.75-76) préparant à un passage plus agité tel que celui constitué de figurations de triolets supportées par le « thème de la fusée » (mes.77-78). En ce sens, la tonalité de do majeur, le tempo allegro, les figures de rythme courtes, éléments présents dans l’air de Monostatos Alles fühlt der Liebe Freuden (exemple 30), laissent présager de l’effervescence et une passion contenue prête à éclater (Breydert 1956 : 171 ; Kaiser 1986 : 124). De plus, la tonalité de do majeur semble généralement réservée aux airs de bravoure chantés par les héros (Moindrot 1993 : 134). Par exemple, dans Hier soll ich dich denn sehen, Belmonte, l’organisateur de l’opération de sauvetage des captifs du sérail du méchant Pacha Selim, chante son désir ardent de retrouver sa bien-aimée Constanze (Rushton 2007 : 68). Le « thème de la fusée » en do majeur prépare donc bien à toute l’énergie propre à la suite de ce développement.

Exemple 30 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Alles fühlt der Liebe Freuden » (acte 2, n°13), mes.10-17 (Monostatos)

Le caractère animé de cette section du 1er mouvement se reflète bien dans l’agitation rythmique suggérée par les nombreux triolets (mes.83-94). À ce propos, ce côté vif correspond généralement à des passages opératiques de haute intensité. Par exemple, lorsque Idamantes accepte son destin, c’est-à-dire celui de sacrifier sa vie pour sauver celle de son père, Mozart utilise un tempo allegro, des figures de rythme courtes dans l’accompagnement et des phrases coupées par des soupirs (exemple 31) (Jones 1985 : 153 et 156).

Exemple 31 – Wolfgang Amadeus Mozart, Idomeneo, « No, la morte io non pavento » (acte 3, scène 9, n°27), mes.16-20 (violon 1, violon 2, alto, Idamantes, violoncelle et basse)

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Les mesures 83 à 94 sont construites à partir de figurations de triolets et du « thème de la fusée », comme lors des passages associés à Suzanne (mes.21-22,77-78,172-173) (exemple 15), à la différence que le « thème de la fusée » sert ici non seulement de support aux triolets (mes.85-86), mais flotte aussi au-dessus de ces triolets (mes.83-84,87-93). Normalement, le motif initial suggère à la fois le choc, la colère et la solennité. Le large registre couvert dans ce passage, l’ajout des triolets, les répétitions et les modulations rapprochées confèrent un côté encore plus ardent au « thème de la fusée » se rapprochant de celui des sopranos coloratures. Par ailleurs, l’échange de mélodie similaire entendu entre les violons 1 et 2 alors que Tamino se fait mordre par un serpent et le passage soudain d’un tempo Adagio à un tempo Allegro ajoutent à l’intensité du moment (exemple 32) (Rushton 2007 : 113). Somme toute, l’énergie contenue lors de ces moments permet d’associer la plus grande partie du développement au topique « Tempête et passion » (Irving 2006 : 269; Richner 1978 : 85). Plus précisément, le Sturm und Drang reflète les perturbations sociales qui ont mené à la Révolution française de 1789 par le biais, entre autres, d’une musique brillante, agitée et constituée de motifs rythmiques violents (Schrempel 2010 : 41, 49, 57).

Exemple 32 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Ouverture », mes.16-26 (violon 1, violon 2)

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Enfin, les accords diminués (mes.95-99) peuvent être associés au côté solennel, à la sagesse et à la grande maîtrise des moyens suggérés dans la musique de Sarastro par le biais de mélodies construites en accords (Breydert 1956 : 146-147) (exemple 3).

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Analyse comparative de la réexposition (mesures 100-167)

Les différences entre la réexposition et l’exposition se situent principalement dans la première partie de la transition (mes.118-125) commençant par un canon représentant Elvira (mes.118-120). Se trouve ensuite un passage cantabile aux allures romantiques (mes.121-125) dont les contours mélodiques apparaissent chez certains personnages lors de moments empreints d’une grande sensibilité. Par exemple, l’air du portrait de Tamino, moment où il voit la photo de Pamina pour la première fois et en devient amoureux, contient aussi par un saut de sixte suivi d’une ligne descendante (Kaiser 1986 : 177) (exemple 33). De plus, alors que la Comtesse Almaviva demande au Dieu de l’amour de retrouver l’affection que lui prêtait son époux dans son air d’entrée Porgi amor qualche ristoro, elle répète, tout comme dans la sonate, le sommet de sa phrase avant de chanter un accord majeur descendant (exemple 34).

Exemple 33 – Wolfgang Amadeus Mozart, Die Zauberflöte, « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » (acte 1, n°3), mes.2-6 (Tamino)

Exemple 34 – Wolfgang Amadeus Mozart, Le Nozze di Figaro, « Porgi amor qualche ristoro » (acte 2, n°1), mes.39-41 (Comtesse)

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