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La lutte à la traite des êtres humains en Allemagne et aux Pays-Bas

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La lutte à la traite des êtres humains en Allemagne et aux

Pays-Bas

Mémoire

Marc-André Billette

Maîtrise en science politique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

Le cadre social double de la criminalité organisée transnationale et de l'immigration illégale encadre la lutte à la traite des êtres humains au niveau international. Malgré la généralisation d’un certain vocabulaire et des représentations de la traite des êtres humains, les statistiques nationales montrent des disparités spectaculaires qui font suspecter que l’objet est, dans les faits, identifié, compris et contrôlé de manières extrêmement différentes dans des contextes nationaux différents. Dans ce travail de recherche, nous focaliserons notre attention sur deux pays en particulier, soit l'Allemagne et les Pays-Bas, car le dénombrement des victimes dans les deux pays suit une tendance différente depuis le début des années 2000, et ce malgré que les deux pays ont signé les mêmes conventions au niveau international et qu'ils doivent se soumettre aux mêmes exigences provenant de l'UE. Les Pays-Bas ont une vision globale du phénomène, tandis que l'Allemagne semble se focaliser principalement sur l'aspect migratoire du problème, ce qui explique la différence dans le recensement des victimes.

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Table des matières

RÉSUMÉ...iii

Table des matières...v

Liste des tableaux...vii

Liste des abréviations...ix

Remerciements...xi

INTRODUCTION...1

CHAPITRE 1...7

Comparabilité entre l'Allemagne et les Pays-Bas...7

1.1 – Pays de destination de la traite des êtres humains...7

1.2 – Les indicateurs nationaux...8

1.3 – La lutte à la traite des êtres humains et la prostitution...9

1.4 – Le recensement des victimes présumées de la traite des êtres humains...10

1.5 - Comparaison ...13

CHAPITRE 2 ...15

Cadre conceptuel et contexte juridique de la lutte à la traite des êtres humains au niveau international et européen ...15

2.1 - Cadre sur la criminalité organisée transnationale...15

2.2 - Contexte juridique ...18

2.3 - Conventions et Protocoles au niveau international selon le cadre de la criminalité organisée transnationale...19

2.3.1 - Signature de Traités et Conventions internationaux de la lutte à la traite des êtres humains par l'Allemagne et les Pays-Bas...24

2.4 – Le cadre social double de la criminalité organisée transnationale et de l'immigration illégale au niveau européen ...27

2.4.1 – Conventions, Décisions-cadres et Directives...31

CHAPITRE 3 ...35

Aspects juridiques, politiques et pratiques pouvant expliquer les différences observées entre l’Allemagne et les Pays-Bas...35

3.1 - Le gouvernement et la mise à l'agenda...35

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3.2.1 – Législations de la traite des êtres humains...39

3.2.2 – Institutions impliquées dans la lutte à la traite des êtres humains...41

3.3 - Existence d'un « Bureau du rapporteur national sur le trafic des êtres humains et sur la violence sexuelle contre les enfants » aux Pays-Bas...44

3.4 – Le rôle de l'immigration dans les politiques de lutte à la traite des êtres humains...50

3.5 - L'organisation des forces policières et juridiques ...63

3.5.1 - L'organisation des capacités policières dans la lutte à la traite des êtres humains...64

3.5.2 – Formation et professionnalisation des forces policières et judiciaires...74

CHAPITRE 4...79

Implication du crime organisé dans la traite des êtres humains...79

4.1 – Définition d'organisation criminelle...80

4.2 - Le nombre de suspects...81

4.3 – L'ethnicité des groupes criminels...84

CHAPITRE 5...91

Analyse et conclusion ...91

BIBILOGRAPHIE...99

ANNEXE 1...107

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Liste des tableaux

Tableau 1 – Évolution de la traite des êtres humains 3

Tableau 2 – Population totale 13

Tableau 3 – Nombre de victimes par 100 000 habitants 13

Tableau 4 – Conventions, Protocoles et Traités au niveau international 26 Tableau 5 – Conventions de l'Organisation Internationale du Travail 27 Tableau 6 – Directives et Conventions au niveau européen 33

Tableau 7 – Lois et Institutions 43

Tableau 8 – Population totale 52

Tableau 9 – Nombre d'immigrants 53

Tableau 10 – Pourcentage de nouveaux immigrants sur population totale 55 Tableau 11 – Nombre de victimes par immigration totale en pourcentage 58 Tableau 12 – Classement des nationalités des victimes présumées aux Pays-Bas 60 Tableau 13 – Classement des nationalités des victimes identifiées en Allemagne 62 Tableau 14 – Nombre total d'officier de police par pays 66

Tableau 15 – Nombre de policier par habitant 66

Tableau 16 – Débuts des enquêtes et identification des victimes en Allemagne 67

Tableau 17 – Déclarants des victimes aux Pays-Bas 68

Tableau 18 – Total des infractions enregistrées 70

Tableau 19 – Nombre d'infractions par habitant 70

Tableau 20 – Crimes et délits violents – total et sur 100 000 habitants 71 Tableau 21 – Homicides – total et sur 100 000 habitants 71 Tableau 22 – Trafic de stupéfiants – total et sur 100 000 habitants 72 Tableau 23 – Nombre de suspects de la traite des êtres humains 82 Tableau 24 – Classement des nationalités des suspects dans le domaine de la sexualité

en Allemagne 88

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Liste des abréviations

BKA Bureau fédéral de la police criminelle allemande - Bundeskriminalamt BNRM Bureau néerlandais du Rapporteur National

CDU Union chrétienne-démocrate - Christlich Demokratische Union Deutschlands CSU Union chrétienne-sociale en Bavière - Christlich-Soziale Union in Bayern EMM Centre d'expertise sur le trafic humain et le trafic illicite de migrants GRETA Groupe d'expert sur la traite des êtres humains

ICMPD International Centre for Migration Policy Development LEM Groupe national d'expert sur la traite des êtres humains LKA Bureau de police criminelle de l'État - Landeskriminalamt LPF Parti LPF - List Pim Fortuyn

NR Bureau du rapporteur national sur le trafic des êtres humains et sur la violence sexuelle contre les enfants aux Pays-Bas - Nationaal Rapporteur Mensenhandel en

Seksueel Geweld tegen Kinderen

OIT Organisation Internationale du Travail

OIM Organisation Internationale pour les Migrations PVV Parti pour la liberté - Partij voor die Vrijheid

SPD Parti social-démocrate - Sozialdemokratische Partei Deutschlands SIOD Service de renseignements et d'enquêtes de la sécurité sociale UE Union européenne

UNICRI Institut Interrégional de Recherches des Nations Unies sur la Criminalité et la Justice UNODC Office des Nations Unies contre la drogue et le crime

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Remerciements

J'aimerais remercier Ece Ozlem Atikcan et Stéphane Leman-Langlois pour leur patience et support tout au long de ce travail de rechercher, ainsi que leurs judicieux conseils qui m'ont permis d'approfondir mes connaissances, tant au niveau empirique que méthodologique.

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INTRODUCTION

« La traite des êtres humains est l'esclavage des temps modernes »1. Cette phrase provient du document La stratégie de l'UE en vue de l'éradication de la traite des êtres humains pour la

période 2012-2016 publié le 19 juin 2012 par la Commission européenne. En fait, cette phrase est la

toute première du texte et elle démontre à quel point la traite des êtres humains frappe l'imaginaire collectif des sociétés qui sont affectées par ce crime.

À première vue, et selon les stéréotypes populaires, à la suite de la Guerre froide plusieurs femmes de l'Europe de l'Est se sont retrouvées prises au piège dans des réseaux criminels internationaux, qui les ont par la suite amenées en Europe de l'Ouest, les forçant à se prostituer.

Pour Louise Shelley, avec la mondialisation des marchés économique et l'ouverture des frontières du monde slave, les principaux bénéficiaires dans l'ancien bloc soviétique ont été les organisations criminelles, ce qui a permis la commercialisation internationale des « Natasha »2. Natasha est un nom générique que certains auteurs ont donné aux filles provenant de l'Europe de l'Est qui ont été impliquées dans la traite des êtres humains à travers l'exploitation sexuelle. Donna M.Hughes en 2000 et le journaliste Victor Malarek en 2003, sont deux auteurs qui ont marqué la littérature avec leurs ouvrages nommés respectivement The « Natasha » Trade : The Transnational

Shadow Market of Trafficking in Women et The Natashas : Inside the New Global Sex Trade. Ces

ouvrages ont fortement influencé la littérature à cause de leur caractère sensationnaliste3. Les médias ont aussi rapporté certaines histoires sensationnelles de trafic humain et certains films ou documentaires ont aussi été produits, tel que Sex Slaves (2005), Human Trafficking (2005), Born

into Brothels (2004), Sex trafic (2004), Trading Women (2003), Lilja 4 Ever (2002) et Selling of Innocents (1997). En 2005, l’Organisation Internationales pour les Migrations affirmait que « The

crime has become one of the fastest growing and most lucrative criminal activities, occurring across borders and within individual countries »4.

1 Commission européenne, La stratégie de l'UE en vue de l'éradication de la traite des êtres humains pour la période

2012-2016, Bruxelles, Commission européenne, 19 juin 2012.

2 Louise Shelley, Human Trafficking : A Global Perspective, New York, Cambridge University Press, 2010, p.18. 3 Edward R.Kleemans, « Explanding the domain of human trafficking research : introduction to the special issue on

human trafficking », Trends in Organized Crime, Vol.14, no2 et 3. , 2011.

4 Organisation Internationale pour les Migrations, Exploratory Assessment of Traffikcing in Persons in the Caribbean

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Réagissant à ce fléau grandissant, les gouvernements et organisations internationales ont adopté des conventions, protocoles et lois pour contrer le problème que représente la traite des êtres humains. Ces conventions et protocoles sont les bases juridiques qui encadrent la lutte à ce crime.

Or, malgré la généralisation d’un certain vocabulaire et des représentations de la traite des êtres humains, les statistiques nationales montrent des disparités spectaculaires qui font suspecter que l’objet est, dans les faits, identifié, compris et contrôlé de manières extrêmement différentes dans des contextes nationaux différents. Dans ce travail de recherche, nous focaliserons notre attention sur deux pays en particulier, soit l'Allemagne et les Pays-Bas, qui montrent des disparités statistiques étonnantes. Le dénombrement des victimes présumées de la traite des êtres humains dans les deux pays suit une tendance différente depuis le début des années 2000, et ce malgré que les deux pays ont signé sensiblement les mêmes conventions au niveau international et que les deux pays doivent se soumettre aux mêmes exigences provenant de l'Union européenne pour combattre le trafic humain.

Une avenue possible d'explication pour cette tendance inverse entre Berlin et Amsterdam serait que la gestion et la structure de la lutte à la traite des êtres humains soient différentes dans les deux pays. La principale différence au niveau institutionnel entre les deux voisins est l'implantation en 2000 aux Pays-Bas d'un Rapporteur National qui coordonne la lutte à ce crime, système que le voisin allemand n'a pas encore implanté en son sol.

Le Bureau fédéral de la police criminelle allemande (Bundeskriminalamt, BKA) et le Bureau du rapporteur national sur le trafic des êtres humains et sur la violence sexuelle contre les enfants aux Pays-Bas (Nationaal Rapporteur Mensenhandel en Seksueel Geweld tegen Kinderen, NR ) sont les organes qui recensent les victimes identifiées et présumées de ce crime dans leur pays respectif, avec l'aide de certains centres de supports aux victimes. Les rapports annuels que publient ces deux organismes démontrent une évolution inverse dans le nombre des victimes identifiées entre les deux pays. Le tableau 1 donne une idée de l’ampleur de la différence. Un fait intéressant à noter est que la population de l’Allemagne est cinq fois plus grande que celle des Pays-Bas, ce qui ajoute au contraste.

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* Début de la comptabilisation des statistiques autres que pour l'exploitation sexuelle.

** Légalisation de la prostitution en 2002 en Allemagne et en 2000 aux Pays-Bas. Sources : BKA et NR

De cette observation statistique découle notre question de recherche pour ce travail :

Pourquoi les statistiques concernant le recensement des victimes présumées de la traite des êtres humains, en l'Allemagne et aux Pays-Bas, prennent-elles des directions divergentes depuis le début des années 2000 ?

De prime abord, avec ces statistiques, nous serions tentés d'analyser la situation en y identifiant

des facteurs structurels, entre autres le fait que selon Europol les Pays-Bas sont reconnus, avec la Belgique, comme étant l'une des cinq plaques tournantes de la criminalité organisée transnationale en Europe5.

Il est également possible que la disparité soit due au fait que les autorités allemandes réussissent à neutraliser efficacement le problème alors que les ressources policières des Pays-Bas sont débordées ou s’attaquent mal au problème. Il est aussi possible que les statistiques reflètent non pas un meilleur contrôle de la part de Berlin, mais au contraire une meilleure détection de la part d’Amsterdam, qui réussirait ainsi à réduire son « chiffre noir ». Dans les deux cas la source de

5 Europol, OCTA Eu Organised Crime Threat Assessment, La Haye; Europol, 2009, p.28. 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 0

500 1000 1500

Tableau 1 - Évolution de la traite des êtres humains

Allemagne Pays-Bas Année N o m b re d e v ic tim e s

Tableau 1 – Évolution de la traite des êtres humains

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 Allemagne 987 811** 1235 972 642 883* 790 772 733 651 672 Pays-Bas 284 343 257 405 424 579 716* 826 909 993 1222

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la disparité se trouve dans une différence de gestion politique du problème. De plus, un aspect à considérer est la nature interne de la traite des êtres humains qui change avec le temps. Ces arguments seront analysés en profondeur dans le travail et nous démontrerons que le premier argument ne se confirme pas, mais que le deuxième tend à être plausible. En ce qui concerne la nature interne du trafic, nous nous attendons aussi à ce que cela ce confirme.

À la suite de ce raisonnement, nous pouvons d'ores et déjà formuler deux hypothèses pour ce travail de recherche. La première hypothèse est que la gestion politique de la lutte à la traite des êtres humains a pris une trajectoire différente, que ce soit à travers l'implantation du Rapporteur National ou des plans d'action nationaux aux Pays-Bas, ce qui a mené à des résultats distincts de son voisin. La concentration des ressources au niveau politique de la lutte, à travers le Rapporteur National aux Pays-Bas, amène une meilleure coordination des acteurs impliqués dans ce combat contre la traite des êtres humains. La gestion politique de la lutte se reflète donc par des actions différentes sur le terrain qui elles mènent à un meilleur recensement des victimes présumées. Nous pouvons ajouter à cela des définitions légèrement différentes, une compilation des statistiques divergentes et des budgets différents qui viennent expliquer en partie la différence du recensement des victimes présumées. Comme deuxième hypothèse, nous pourrions avancer que les marchés criminels de la traite des êtres humains ont certaines distinctions, surtout au niveau des organisations criminelles impliquées dans ce trafic, ce qui expliquerait le nombre accru de victimes présumées aux Pays-Bas. Europol divise l'Europe en cinq zones de criminalité et les Pays-Bas et la Belgique sont considérés comme étant le centre de gravité de la zone Nord-Ouest6. Après analyse des faits, s’il nous est impossible de démontrer la différence entre les structures organisationnelles du crime organisée, il sera possible d'émettre une hypothèse nulle pour compléter le raisonnement. Cette hypothèse postulerait que si la structure du crime organisé est identique dans les deux pays, la seule explication restante serait que le contexte opérationnel est différent.

Les deux pays de notre étude se sont engagés, tant au niveau international qu'européen, à combattre le trafic humain. Or, si les deux pays ont choisi des chemins différents pour y arriver – avec des résultats divergents – il y a lieu de découvrir pourquoi. De là, nous devons nous pencher sur le cadre social double dans lequel la lutte à la traite des êtres humains a été placée, c'est-à-dire le

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cadre de la criminalité organisée transnationale et celui de l'immigration « illégale » en Europe. Cette partie sera traité au début du chapitre 2, mais auparavant, nous allons décrire la structure de la recherche ainsi que la comparabilité des pays de notre étude.

Structure de la recherche

Les chapitres deux et trois de notre analyse porteront sur une évaluation des politiques de Berlin et Amsterdam dans leur lutte respective contre le trafic humain. Le chapitre deux se concentrera sur le cadre conceptuel de notre recherche ainsi que sur le contexte juridique de la lutte à la traite des êtres humains en Allemagne et aux Pays-Bas. Quant à lui, le chapitre trois portera sur la description des activités pratiques de contrôle de la traite des êtres humains dans les deux pays. Nous chercherons à démontrer qu'il existe des différences, parfois mineures, mais que ces mêmes différences peuvent être à l'origine de l'écart observé dans le dénombrement des victimes. De là, nous commencerons par analyser brièvement le contexte international de la lutte à la criminalité organisée transnationale et par le fait même la lutte à la traite des êtres humains, après quoi nous analyserons le contexte européen qui encadre certaines décisions que doivent appliquer les deux pays suite aux directives de la Commission européenne. Pour terminer cette partie, le contexte et l'organisation nationale de la lutte dans chacun des deux pays, qui représenteront le gros de notre travail, seront étudiés.

Dans cette partie, nous chercherons à tester notre première hypothèse de base qui postulait que la gestion politique de la lutte à la traite des êtres humains a pris une trajectoire différente entre les deux pays, à travers principalement l'implantation du Rapporteur National aux Pays-Bas, ce qui a mené à des résultats distincts de son voisin. Cela nous permettra de comprendre où se situent les différences entre Berlin et Amsterdam.

En second lieu, comme la traite des êtres humains est placée sous la lutte au crime organisé, il nous apparaît nécessaire d'en évaluer l'implication dans les pays analysés et de valider les affirmations provenant des diverses organisations internationales et gouvernements qui mentionnent que le crime organisé est à la base de ce crime. Ce sujet sera traité dans le chapitre quatre de notre étude.

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Pour cette partie, un ajout au niveau du cadre théorique sera fait. Nous débuterons par identifier le type de crime organisé auquel ont fait référence dans le discours gouvernemental, à savoir s'il s'agit d'un crime commis par des organisations criminelles hiérarchiques de types Mafia ou simplement des individus liés entre eux par des contacts opportunistes. Cela nous permettra de tester notre deuxième hypothèse qui cherche à évaluer si la structure du crime organisé entre l'Allemagne et les Pays-Bas en ce qui a trait à la traite des êtres humains est différente, ce qui pourrait expliquer en partie une divergence au niveau des victimes identifiées et présumées recensées. Pour cela, nous nous baserons sur la technique d'analyse des réseaux criminels employée par Morselli7.

Avant d'amorcer cette étude, il nous parait primordial d'évaluer la comparabilité des deux pays en question, soit l'Allemagne et les Pays-Bas. La question de recherche que nous proposons nous semble pertinente, mais nous nous devons d'abord d'évaluer la comparabilité entre les deux pays pour éviter tout biais qui pourrait nuire ou fausser nos résultats.

7 Carlo Morselli, Contacts, Opportunities and Criminal Entreprise, Toronto : University of Toronto Press, 2008, 131 pages.

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CHAPITRE 1

Comparabilité entre l'Allemagne et les Pays-Bas

À notre connaissance aucune étude comparative sur la structure et la gestion de la lutte à la traite des êtres humains entre l'Allemagne et les Pays-Bas n'a été effectuée à ce jour. De ce fait, nous devons donc démontrer la comparabilité entre les deux pays dans le but de valider notre recherche scientifique.

1.1 – Pays de destination de la traite des êtres humains

La littérature sur le trafic humain divise les pays en trois grandes catégories; soit les pays sources, de transit et de destination. Selon cette typologie, les pays à l'étude sont similaires, c'est-à-dire qu'ils sont considérés comme étant des pays de destination et/ou transit. En effet, plusieurs institutions et chercheurs, tels que le Département d'État des États-Unis et la scientifique Leslie Holmes, considèrent l'Allemagne et les Pays-Bas comme étant des pays de destination importants, tout en étant aussi des pays de transit8. Donc nous pouvons supposer que les facteurs qui influencent le crime sont les mêmes. Notons tout de même que nous pouvons aussi retrouver ce crime à l’interne, ce qui ferait de l’Allemagne et des Pays-Bas des pays « source », mais cette manifestation est secondaire, ne représentant que 15 à 25% du problème national dans les deux pays9.

Pour plusieurs auteurs, les causes principales du problème découlent d'une relation dite « push-pull ». Pour Siegel et Follmar-Otta, le déséquilibre économique entre les pays riches et les pays pauvres est la cause principale qui amène la migration vers les pays riches, ce qui peut mener par la suite à la traite des êtres humains :

There are multiple causes of human trafficking. There is a close connection between human trafficking and migration, although not all victims of human trafficking are migrants. The primary cause is the economic imbalance between countries of origin and destination, as well as societal inequality within the countries of origin10.

8 Leslie Holmes, Traffikcing and Human Rights : European and Asia-Pacific Perspectives, Cheltenham, UK ; Northampton, MA : Edward Elgar, 2010, p.57 et États-Unis. Département d'État, Trafficking in Persons Report. Washington : Department of State, 2012, p.166 et p,262.

9 Nous étudierons l'impact interne de la traite des êtres humains interne plus loin dans le travail.

10 Petra Follmar-Otto et Heike Rabe, Human Trafficking in Germany, German Institute for Human Rights, Septembre 2009, p.22.

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Donc, ce qui attire les migrants vers les pays riches de l'Europe de l'Ouest, c'est principalement la qualité de vie liée à la richesse économique de la nation et des conditions de vie qui s'y rattache. Dans la plupart des pays européens, ce mouvement migratoire se heurte à des politiques migratoires et d'accès au marché de l'emploi restrictives, ce qui ouvre la porte à l'exploitation des migrants en engendrant un marché noir de l'immigration.

Cette qualité de vie similaire entre l'Allemagne et les Pays-Bas peut se mesurer à travers certains indicateurs. Les indicateurs que nous allons utiliser pour démontrer la comparabilité des pays de notre étude servent à illustrer que les deux pays ont un niveau de développement économique et sociétal similaire. Ce niveau de la qualité de vie similaire est important, ou du moins la réputation d'endroit où il fait bon vivre qu'il procure, car il permet de valider la comparabilité entre les deux pays de notre étude en démontrant qu'ils sont considérés, en premier lieu, comme des pays de destination de la traite des êtres humains à cause de leur pouvoir d'attraction sur les migrants liés à leur réputation et richesse nationale.

1.2 – Les indicateurs nationaux

Le PIB par habitant est un élément qui permet de comparer le niveau de richesse nationale entre les pays. La Banque Mondiale estime que le PIB par habitant en 2011 en Allemagne se situait à 44 021$ et à 50 085$ pour les Pays-Bas11. Ces résultats placent l'Allemagne au 21eme rang mondial et les Pays-Bas au 12eme rang.

Au niveau politique et sociétal, les deux pays sont considérés comme étant des démocraties qui respectent les droits fondamentaux. Leurs gouvernements sont élus démocratiquement et des élections sont tenues régulièrement. La liberté d'expression et de la presse y est présente, ce qui permet de surveiller et de critiquer le Gouvernement et ses décisions. L'égalité entre les sexes y est respectée. L'Indice de Développement Humain des Nations Unies est un indice statistique composite qui permet quant à lui d'évaluer dans l'ensemble la qualité de vie dans les différents pays. Les Pays-Bas et l'Allemagne se classent respectivement quatrième et cinquième en 2013 au niveau mondial avec des résultats respectifs de 0,921 et 0,92012.

11 Site de la Banque Mondiale en ligne, http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.PCAP.CD ,(consulté le 27 mai 2013). La Banque Mondiale calcule le PIB par habitant en dollar américain US$.

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Au niveau de la population totale, cela peut sembler être un obstacle à une comparaison entre les deux pays à cause de l'immense écart entre les deux voisins. Mais cela peut, au contraire, devenir un élément de comparaison avantageux et intéressant pour notre étude. Selon Eurostat, la population allemande se chiffrait à 81 802 257 habitants en 2010 et à 16 574 989 habitants pour les Pays-Bas13. La population allemande est près de 5 fois celle de son voisin. Il nous apparaît donc peu plausible au premier coup d’œil de constater un nombre plus élevé des victimes présumées aux Pays-Bas qu'en Allemagne, mais la réalité en ait autrement, ce qui rend encore plus intriguant notre question de recherche.

1.3 – La lutte à la traite des êtres humains et la prostitution

En ce qui a trait à la lutte à la traite des êtres humains, les deux pays sont considérés par les États-Unis comme faisant partie du classement « Tier 1 »14. Ce classement provient du rapport

Trafficking in Persons Report produit annuellement par le Département d'État américain qui évalue

les efforts entrepris par le Gouvernement pour combattre le trafic humain, efforts jugés selon les standards établis par le Trafficking Victims Protection Act (TVPA) adoptés en 2000 aux États-Unis. Le rapport mentionne quatre catégories de classement possible pour les États, la plus favorable étant « Tier 1 », suivie de « Tier 2 » et de « Tier 2 Watch List » et la moins favorable étant « Tier 3 ». Par contre, le classement des pays dans le rapport américain est plus subjectif que scientifique. Le bureau du Government Accountability Office of the United States a lui-même admis que ce classement n'était pas scientifique et qu'il était principalement utilisé pour influencer les politiques des autres pays en matière de lutte à la traite des êtres humains15. Malgré la subjectivité de ce classement, il n'en demeure pas moins que les États-Unis reconnaissent les efforts entrepris par Berlin et Amsterdam comme étant suffisants dans leur lutte respective à la traite des êtres humains.

Un autre élément similaire qui facilite la comparabilité entre Berlin et Amsterdam, c'est leurs

progrès humain dans un monde diversifié, New York; Programme des Nations Unies pour le développement, 2013,

p.156.

13 Eurostat, Trafficking in human beings, Luxembourg; Commission européenne, Eurostat : Methodologies and Working papers, 2013, p.31.

14 États-Unis. Département d'État, (2012), op.cit., p.166 et p,262.

15 Goverment Accountability Office, Human Trafficking : Better Data, Strategy, and Reporting Needed to Enhance U.S.

Antitrafficking Effort Abroad, Washington,D.C., 2006, cité dans Simmons et Lloyd, « Sujective Frame and Rational

Choice : Transnational Crime and the Case of Human Trafficking », Hauser Globalization Colloquium, Automne 2010, p.23.

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lois nationales face à la prostitution. La majorité des victimes identifiées et présumées recensées le sont dans le domaine de la prostitution. Les deux pays ont légalisé la prostitution au début du millénaire, celle-ci est devenue légale le 1er octobre 2000 aux Pays-Bas et le 1er janvier 2002 en Allemagne. Cette attitude envers la prostitution facilite notre comparaison entre les deux capitales, car cela exclut la possibilité que les lois nationales envers la prostitution soient la cause de l'écart remarqué dans le recensement des victimes.

1.4 – Le recensement des victimes présumées de la traite des êtres humains

La plus grande difficulté qui permettrait de démontrer la comparabilité de l'Allemagne et des Pays-Bas se situe sans aucun doute au niveau de la comptabilisation des victimes identifiées et présumées de la traite des êtres humains. La manière de calculer et la provenance des statistiques liées aux victimes sont différentes dans les deux pays.

Le problème du recensement et de la comparabilité entre les données est reconnu tant par les Gouvernements que les chercheurs. Les acteurs impliqués dans la lutte à la traite des êtres humains souhaitent tous des statistiques fiables et comparables. Eurostat dans son rapport Trafficking in

human beings mentionne que:

The need to develop comparable and reliable statistics on crime and criminal justice has long been recognised by the European Commission and the EU. This has been further emphasised in the Commission Communication on Measuring Crime in the EU, adopted in January 2012, in which trafficking in human beings was highlighted as one of the priority areas for collecting statistics16.

En ce qui concerne l'Allemagne, les données proviennent des enquêtes effectuées par la police. Ces enquêtes sont comptabilisées par le BKA qui recueille les données sur les enquêtes liées à ce crime de la part des différents corps policiers à travers le pays et publie par la suite les résultats nationaux.

Ce décompte comporte aussi quelques lacunes, car les différentes ONG du pays n'ont pas comme obligation de rapporter à la police les victimes présumées qu'elles rencontrent. Aussi, à partir de 2005 le BKA a changé sa manière de calculer les victimes, car depuis il comptabilise à partir des enquêtes conclues au cours de l'année et non plus à partir des enquêtes que les différents corps policiers ont effectuées durant l'année. Ce changement peut expliquer en partie la chute du

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nombre de victimes recensées à partir de 2005, car une enquête pouvait durer plus d'un an, ce qui amenait les victimes de ces enquêtes à être comptabilisées plus d'une fois dans les rapports de police. Aussi, il est impossible avec l'ancien et le système de calcul actuel de connaître le nombre de nouvelles victimes par année.

Le changement dans la manière de dénombrer les victimes n'est pas le seul responsable de la chute du nombre de victimes recensées. En 2005, le Gouvernement allemand a amendé le Code criminel pour inclure de nouvelles infractions qui englobent l'exploitation liée à la traite des êtres humains hors de l'industrie du sexe. Les résultats incluant les victimes hors prostitution sont présents dans les rapports à partir de 2006 (publié en 2007). Selon cette logique, la diminution reliée au changement dans la façon de comptabiliser le crime en 2005 aurait dû être compensé par l'ajout, en 2006 de nouvelles catégories de victimes, qui elles auraient dû logiquement accroître les statistiques. Cette logique est respectée pour les premières années, mais le décompte des victimes recommence à chuter dès 2007.

Il devient donc difficile de comparer les statistiques allemandes d'avant 2005 et celles d'après 2005 et de les comparer avec celles provenant d'autres pays. Par contre, rien ne nous indique pour l'instant que les changements effectués en 2005 ont amenés une diminution ou une augmentation dans le problème allemand de la traite des êtes humains. D’ailleurs, depuis les changements de 2005, aucune tendance lourde et claire dans le recensement des victimes ne peut être observée comparativement à son voisin néerlandais. Malgré tout, selon Morehouse, les données publiées par le BKA sont les données les plus complètes que possède la communauté scientifique pour évaluer l'ampleur du problème en Allemagne17.

Du côté des Pays-Bas, le Bureau néerlandais du Rapporteur National (BNRM) est l'agence qui publie les rapports annuels comportant les données statistiques sur les victimes présumées de la traite des êtres humains. Les données publiées par ce bureau sont collectées auprès de l'organisation non gouvernementale d'aide aux victimes de la traite des êtres humains CoMensha. Depuis 2006, la police aux Pays-Bas est obligée selon la loi de rapporter à CoMensha toutes les victimes de la traite

17 Christal Morehouse, Combatting Human Trafficking : Policy Gaps and Hidden Political Agendas in the USA and

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des êtres humains qu'elle rencontre18. Par contre, ce ne sont pas toute les victimes recensées par

CoMensha qui ont été rapportées par la Police. Plusieurs agences et organisations, de même que des

particuliers, peuvent rapporter des cas de trafic humain à l'ONG CoMensha. De ce fait, CoMensha n'a aucun moyen de vérifier le statut des victimes, à savoir s'il s'agit réellement d'une victime ou non et s'il y a réellement eu exploitation. C'est pour cette raison qu'aux Pays-Bas le dénombrement des victimes recensées par CoMensha et publié par la suite par le Rapporteur National, est considéré comme étant un recensement de victimes « présumées » de la traite des êtres humains et non un recensement de victimes dites « identifiées », comme pour son voisin allemand.

Les Pays-Bas ont eu aussi amendé leur code criminel en 2005 pour inclure dans leur législation de nouvelles catégories de victimes, ce qui est venu accroître le nombre de victimes présumées hors de l'industrie du sexe. Ce changement dans la législation néerlandaise peut se voir à partir du cinquième rapport annuel du Rapporteur National publié en 2007. Malgré cela, le nombre de victimes présumées avait clairement augmenté en 2006 comparativement à l'année précédente et ce nombre est en constante évolution depuis 2004.

Une opération statistique qui peut aider à contourner ce problème est de transposer le nombre de victimes par 100 000 habitants. De là, nous pourrons obtenir un point de comparaison identique entre les deux pays.

18 Richard H.J.M. Staring, «Human Traffikcing in the Netherlands : trends and recent developments », International

(25)

Avec le tableau 3 qui ramène les victimes sur 100 000 habitants, il devient évident que les Pays-Bas identifient plus de victimes que son voisin allemand, 7 fois plus concernant la dernière année de comparaison possible, malgré que la population allemande soit 5 fois plus élevée.

1.5 - Comparaison

En résumé, la comparaison entre les données recueillies n'est pas idéale, car pour l'Allemagne il s'agit de victimes identifiées et de victimes présumées pour son voisin les Pays-Bas. Le recensement de victimes présumées sera toujours plus élevé que les victimes identifiées à cause qu'il provient de plusieurs sources et non pas seulement des rapports de police. Par contre, cela n'explique pas à lui seul la tendance vers la hausse observée aux Pays-Bas et l'absence de tendance claire, et même une diminution du dénombrement des victimes en Allemagne.

Étant conscients des limites statistiques disponibles, nous nous devons tout de même de composer avec les meilleures données disponibles et les données fournies par le BKA et NR sont, à ce jour, les meilleurs outils pour comparer l'évolution et la distinction de la traite des êtres humains entre l'Allemagne et les Pays-Bas.

Tableau 2 – Population totale

Année Allemagne Pays-Bas

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 82 259 540 15 987 075 82 440 309 16 105 285 82 536 680 16 192 572 82 531 671 16 258 032 82 500 849 16 305 526 82 437 995 16 334 210 82 314 906 16 357 992 82 217 837 16 405 399 82 002 356 16 485 787 81 802 257 16 574 989 81 751 602 16 655 799 source Eurostat Tableau 3

Nombre de victimes par 100 000 habitants

Année Allemagne Pays-Bas

2001 1,2 1,8 2002 1,0 2,1 2003 1,5 1,6 2004 1,2 2,5 2005 0,8 2,6 2006 1,0 3,5 2007 1,0 4,4 2008 0,9 5,0 2009 0,9 5,5 2010 0,8 6,0 2011 0,8 7,3

(26)
(27)

CHAPITRE 2

Cadre conceptuel et contexte juridique de la lutte à la traite des êtres humains au niveau international et européen

2.1 - Cadre sur la criminalité organisée transnationale

Selon Buzan, suite à l'effondrement de l'Union soviétique et de la fin de la Guerre froide, les pays de l'Occident, principalement les États-Unis, se sont retrouvés face à un « déficit de la sécurité »19. Ils se devaient de trouver un nouvel ennemi pour justifier la légitimité de leur appareil sécuritaire dans ce nouvel environnement politique. Intimement liée à ce déficit de sécurité se trouve le virage effectué vers une libéralisation des marchés et un modèle politique de démocratie comme étant les principes organisateurs pour les sociétés humaines dans plusieurs régions du monde20.

Selon Simmons et Lloyd, les choix politiques qui ont mené à la libéralisation des marchés et à l'évolution mondiale vers un modèle politique démocratique ont pu se propager à travers les diverses sociétés à cause du cadre social qui soutient ces principes organisateurs21. Pour la formation de cadre social, les auteures utilisent la définition d'encadrement de David Snow qui a décrit comme « the conscious strategic efforts by groups of people to fashion shared understandings of the world and of themselves that legitimate and motivate collective action »22. Dans la même ligne d'idée que Snow, Breuil et ses associées, en analysant la formation du cadre social concernant le trafic humain de nature sexuelle, mentionnent que « Narrating human trafficking, in other words, refers to the way in which separate groups of actors shape “the truth” into a comprehensible, acceptable and productive story »23.

19 Barry Buzan, « Will the 'global war on terrorism' be the new Cold War? », International Affairs, vol., 82, no.6, novembre 2006, p.1101,

20 Beth A.Simmons, F. Dobbins et G.Garrett, The global diffusion of markets and democracy, Cambridge : Cambridge University Press, 2008 cité dans B.Simmons et P.Lloyd, (2010), op.cit.

21 Simmons et Lloyd, (2010), op.cit., p.3.

22 D.McAdam et als, Comparative perspectives on social movements : political opportunities, mobilizing structures, and

cultural framing, Cambridge [England]; New York : Cambridge University Press, 1996, cité dans Simmons et Lloyd,

(2010), op.cit., p.5.

23 Brenda Carina Oude Breuil et als, « Human trafficking revisited : legal, enforcement and ethnographic narratives on sex trafficking to Western Europe », Trends in Organized Crime, vol.14, 2011, p.31.

(28)

Paradoxalement, le cadre ayant mené à la libéralisation des marchés – largement adopté par les États occidentaux – a également créé une insécurité qui découle en partie de l'ouverture des frontières liée à l'intégration des marchés économiques. Cette insécurité est décrite de la sorte par l'auteur Barry Buzan :

Within the frame of the liberal international economic order (LIEO), it is well understood that while opening state borders to flows of trade, finance, information and (skilled) people is generally to be promoted, such opening also has its dark side in which illiberal actors, mainly criminals and terrorists, can take advantage of liberal openness in pursuit of illiberal ends. The problem is that the liberal structures that facilitate business activity cannot help but open pathways for uncivil society actors as well24.

Simmons et Lloyd admettent que la construction d'un cadre social est très importante lors de périodes de changement normatif et qu'elle peut unifier les acteurs:

The social construction of meaning through framing is especially important during periods of normative change or structural flux. Under changing conditions, actors struggle to come to terms with how the world “works”, the nature of the constraints and opportunities they face, and even relationships of cause and effect. Under these conditions they are especially likely to draw on framing devices that suggest how to think about the issue and on reasoning devices that justify what should be done about it (Gamson and Modigliani 1989). This process opens up new opportunities for various actors to form new coalitions and alliances, and to create ―global frames that unite them and further their purposes (Tarrow 2005; Fiss and Hirsch 2005)25.

Elles ajoutent qu'une fois que le cadre dominant est en place, les États adoptent des politiques qui sont appropriées à leur situation telle qu'interprétée à travers le cadre sélectionné26. De plus, elles mentionnent que dans la diffusion des cadres, plusieurs éléments peuvent être présents pour expliquer l'adoption d'un cadre particulier. Il est possible que des pressions provenant des puissances hégémoniques soient présentes pour orienter l'adoption d'un cadre précis.

Une fois que le cadre social est adopté, les politiques sont mises mis en place de manière rationnelle, car les États ont calculé les coûts et bénéfices de la mise en œuvre de ce cadre :

But in contrast to quasi-rational adoption of scripts posited by world polity and related theories, we argue that actual policy implementation is contingent, calculated, and quite responsive to material costs and benefits. Using a unique dataset on pathways for criminal externalities, we can demonstrate, in contrast to the expectations of world polity theory, that governments innovate rationally, given their acceptance of the way the issue was framed in the first place. We refer to this as a conditionally rational choice, highly constrained by the primordial question of what frame is used to define the problem27.

Les auteures ajoutent que les cadres sont des construits sociaux dans lesquelles les acteurs calculent rationnellement leurs intérêts. Les États sont capables de répondre au cadre de manière très

24 Buzan, (2006), op.cit., p.1104. 25 Simmons et Lloyd, (2010), op.cit., p.6. 26 Ibid., p.3.

(29)

individualisée selon les cadres, les informations et les incitatifs auxquels ils sont exposés28.

À la suite de la chute du mur de Berlin, les États se sont donc trouvés face à un déficit sécuritaire et à une insécurité liée à la libéralisation des marchés économiques. Le cadre social qui a permis de combler ce vide politique fut celui de la lutte à la criminalité organisée transnationale (et par la suite, au terrorisme). Ce cadre de la lutte au crime organisé est devenu utile pour les États, car il permet d'englober une multitude de dossiers sous un même toit, tel que le contrôle des frontières, de l'immigration, de la drogue, de la criminalité intérieure pour ne nommer que ceux-là.

L'insécurité reliée à la libéralisation des marchés et le déficit sécuritaire post-Guerre froide n'expliquent pas à eux seuls pourquoi la lutte à la traite des êtres humains s'est retrouvée sous le même couvert que la lutte à la criminalité organisée transnationale. Initialement, pour que le problème de la traite des êtres humains soit considéré comme étant un enjeu politique majeur, il se devait d'être considéré avant tout comme étant un problème qui menace la sécurité de l'État et de la société d'accueil. Ainsi, un élément important qui n'est pas toujours explicitement désigné par les différents gouvernements, mais qui est évoqué fréquemment dans la littérature scientifique sur les raisons de l'inclusion de la lutte à la traite des êtres humains dans le cadre de la lutte à la criminalité transnationale, est la lutte aux pressions migratoires qui ont suivi la fin de la Guerre froide.

Pour Simmons et Llyod ce sont les pays de l'Europe de l'Ouest qui ont donné l'élan pour implanter le cadre de criminalité organisée transnationale au sein de la communauté internationale justement à cause des nouvelles pressions migratoires post-Guerre froide29. Buzan abonde dans le même sens et renchérit en affirmant que :

In the EU's European Security Strategy document, organized crime-especially trafficking in drugs, women, illegal migrants and weapons-and its links with terrorism, are given together as one of five key threats to Europe, along with terrorism itself, proliferation of WMD, regional conflict and state failure. This presentation has evolved from the pre-9/II European pattern, where the main effort went into securitizing a threat package linking immigration, organized crime and drug-thereby depicting immigrants as the root problem30.

Le cadre de la criminalité organisée transnationale permet donc aux États de lier la lutte à la traite des êtres humains à la sécurité et à l'autorité de ces mêmes États, car selon les États et les rapports provenant des organisations internationales, ce crime est commis principalement par le

28 Ibid., p.8. 29 Ibid., p.11

(30)

crime organisé. Ce crime organisé est devenu, comme nous l'avons mentionné auparavant, le nouvel ennemi qui permettait de combler le déficit sécuritaire suite à l'effondrement de l'URSS. Simmons et Llyod évoquent trois cadres sociales qui ont marqué les dernières décennies en ce qui a trait à la compréhension et à l'interprétation de la traite des êtres humains, les deux premiers étant; la protection des victimes, jusqu'au milieu des années 90, et le cadre des droits de la personne, qui lui, n'a jamais dominé les débats. Les auteurs résument la situation présente, avec le troisième cadre qui est celui de la criminalité organisée transnationale, de la manière suivante :

A third frame for human trafficking is the transnational organized crime frame. This frame situates human trafficking firmly within the broader problem of criminal networks that transcend national borders. In contrast to the two frames above, this frame strongly implies international cooperation, since it explicitly focuses on a phenomenon which, by definition crosses state boundaries. This frame also links trafficking with networks that engage in activities that have already been designated as criminal. Finally, this frame views trafficking as corrosive of state authority, and even sees it as a potential national security threat31.

Ce cadre social double de la criminalité organisée transnationale et de l'immigration illégale nous servira de guide tout au long de notre travail de recherche. Il nous aidera à répondre à notre question de départ et à tester nos deux hypothèses qui elles seront analysées selon les deux axes principaux du cadre social.

2.2 - Contexte juridique

Nous avons évoqué dans la partie précédente que le cadre social double de la criminalité organisée transnationale et de l'immigration illégale a servi de justification aux politiques et conventions que les divers gouvernements et organisations internationales ont mises en place pour combattre le trafic humain. Il est donc nécessaire d'élaborer plus en profondeur sur la nature de ce cadre social double et de comprendre comment les gouvernements, principalement à travers l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), ont légiféré concernant la lutte à la traite des êtres humains au niveau international. Après quoi, nous analyserons comment Berlin et Amsterdam ont réagi à ce cadre international de la criminalité organisée transnationale.

Par la suite, un bref survol historique des divers traités ou conventions qui ont été créés au niveau international sera fait, le tout dans l'optique d'examiner si Berlin et Amsterdam ont signé les mêmes traités. De cette observation, il sera possible d'établir ou non une distinction historique au niveau de leurs engagements pour combattre ce crime.

(31)

2.3 - Conventions et Protocoles au niveau international selon le cadre de la criminalité organisée transnationale

Du 12 au 15 décembre 2000, à Palerme en Italie, la communauté internationale, sous l'égide des Nations Unies et plus précisément à travers l'UNODC, se réunit pour élaborer et adopter le

Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer et le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions. Les

trois protocoles sont entrés respectivement en vigueur le 25 décembre 2003, le 28 janvier 2004 et le 3juillet 2005.

Ces trois protocoles complètent la Convention des Nations Unies contre la criminalité

transnationale organisée adoptée par la résolution 55/25 de l'Assemblé générale le 15 novembre

2000, qui elle, est entrée en vigueur le 23 septembre 2003.

La définition fournie dans le Protocole de Palerme a permis de délimiter les grandes lignes de la lutte à la traite des êtres humains. En plus, elle a permis de mettre un terme aux disputes concernant la définition de ce crime au niveau de la communauté internationale et scientifique32. La définition de la traite des êtres humains a permis de créer un consensus international et d'établir de nouveaux standards pour la protection des droits des victimes de la traite33. Cette même définition a aussi servi de références aux gouvernements nationaux dans l'élaboration de leur cadre juridique pour lutter contre ce crime.

Le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des

femmes et des enfants définit la traite des êtres humains comme suit :

Aux fins du présent Protocole:

a) L’expression “traite des personnes” désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation 32 C.van den Anker et I. van Liempt, Human Rights and Migration : Trafficking for Forced Labour. Houndmills,

Basingstoke, Hampshire ; New York : Palgrave Macmillan, 2012, p.4

(32)

sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes;

b) Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée à l’alinéa a du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa a a été utilisé;

c) Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil d’un enfant aux fins d’exploitation sont considérés comme une “traite des personnes” même s’ils ne font appel à aucun des moyens énoncés à l’alinéa a du présent article;

d) Le terme “enfant” désigne toute personne âgée de moins de 18 ans34.

Une distinction importante qui est apportée par le Protocole de Palerme, c'est la différence entre les termes anglais « trafficking » et « smuggling ». En anglais, il existe une distinction importante entre ces termes, distinction que la langue française peut difficilement expliquer. La traduction officielle utilisée par les Nations Unies fait référence à « traite des êtres humains » pour l'expression « trafficking » et « trafic illicite » pour l'expression « smuggling ». En fait, la différence entre les deux consiste principalement dans l'infraction commise par les malfaiteurs, plus que part leur traduction. Pour le « trafficking », il s'agit de la forme de trafic humain comme nous la connaissons à travers les médias, celle qui consiste à forcer quelqu'un dans la prostitution ou à exécuter des travaux forcés, dans le but d'exploiter cette personne pour ses propres fins. Par contre, l'expression « smuggling » fait référence à une aide apportée à des migrants pour traverser une ou des frontières de manière illégale. Pour le « trafficking », il n'est pas nécessaire de traverser une frontière, mais pour le « smuggling » oui, car il s'agit de l'infraction qui est touchée par le protocole à cet effet. Pour la situation de « smuggling », la coopération ou le lien reliant les criminels et ceux qu'ils aident à passer la frontière et migrants se termine généralement après la traversée, comme si le contrat reliant les deux parties venait à échéance. Il est vrai que parfois, la réalité en est tout autre et qu'une personne qui fait partie d'une infraction dite « smuggling » au début peut se retrouver à être victime de « trafficking » par la suite. Le Protocole de Palerme a donc aidé à clarifier la différence entre ces deux termes. Pour la suite de ce travail, nous ferons exclusivement référence à la notion de « trafficking » lorsque nous évoquerons la traite des êtres humains et non à la notion de « smuggling », car nous ne désirons pas nous concentrer sur la notion de franchir illégalement une ou des frontières, mais bel et bien sur l'exploitation et la coercition des personnes, concepts fondamentaux dans le trafic humain.

Un autre élément important dans la définition fournie par le Protocole de Palerme est le

34 Nations Unies, Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et les Protocoles s'y

(33)

concept d'exploitation, qui est à la base de la traite des êtres humains. Aussi, la définition élargit le champ d'application de ce crime, pour inclure le travail forcé et n'est plus exclusivement focalisé sur la prostitution. Il aurait aussi été logique, en incluant les termes « exploitation » et « travail forcé », que la convention soit rédigée sous l'égide de l'Organisation Internationale du Travail (OIT), mais la communauté internationale en a décidé autrement. Le chercheur Norbert Cyrus, dans un rapport publié pour l’OIT résume la situation de la façon suivante : « The point of departure for the current debate on forced labour in Germany is the Palermo Protocol, which made trafficking in persons an international criminal offence. This new law reflects an international commitment to curb transnational organised crime »35.

Enfin, selon van den Anker et van Liempt, le changement le plus important dans les discussions concernant le trafic humain, à la suite du Protocole de Palerme, c'est qu'il existe maintenant un lien direct entre traite des êtres humains et menace à la sécurité36 :

Illustrative of this is the fact that the Protocols in which trafficking and smuggling are defined is part of the UN Convention against Transnational Organized Crime. The purpose of this Convention is to promote interstate cooperation in the combating of transnational organized crime. The Protocols were not designed as a human rights instrument but rather to prosecute smugglers and traffickers. The security framework in which smuggling and trafficking is discussed probably accounts for the high number of countries which have signed up to the Protocols (117 as of June 2011 for the Protocol on Trafficking; 112 for the Protocol on Smuggling) : states are eager to invest in fighting crimes as the resulting measures strengthen police powers and fit in which the governmental discourse on crime control37.

Louise Shelley abonde dans le même sens lorsqu'elle mentionne : « Its (the definition of trafficking) focus is on border security, illegal migrants, and organized crime. It does not address the needs of trafficking victims as do some national and regional legislation on human trafficking that were developed subsequently » et elle ajoute même « Instead the approach taken by the United Nations addresses the criminals who enslave the women and children. It takes a law enforcement perspective »38. Donc le phénomène de la traite des êtres humains est, selon la définition des Nations Unies, un problème qui serait entièrement relié au crime organisé.

Ces protocoles et la convention qui les chapeaute sont venus en quelque sorte encadrer la lutte au phénomène de la traite des êtres humains au niveau international et national. À partir de ces

35 Norbert Cyrus, Traficking for labour and sexual exploitation in Germany, International Labour Office, Genève, Organisation Internationale du Travail, novembre, 2005, p.10.

36 van den Anker et van Liempt, (2012), op.cit., p.4. 37 Ibid., p.4.

(34)

documents, il devenait clair que la lutte à la traite des êtres humains se ferait à travers la lutte au crime organisé. Il est donc important d'explorer le tout et d'analyser comment a été administré la lutte par les diverses autorités nationales, car « Many of the measures taken to address human trafficking at the national level are a reaction to international instruments and treaties »39.

Le problème de la traite des êtres humains est, à première vue, un problème lié aux droits de la personne, car il implique la migration de personnes vers d'autres pays et il touche leurs droits fondamentaux. Alors pourquoi la communauté internationale a-t-elle cherché à mettre la lutte à la traite des êtres humains sous l'égide de la lutte au crime organisé? Simmons et Lloyd expliquent ce choix à l'aide de la théorie du choix rationnel, en mettant de l'avant le principe qu'à la suite de la Guerre froide, les États ont focalisé leur attention sur le cadre social de la criminalité transnationale, car ce cadre permet d'inclure dans la lutte à la traite des êtres humains des aspects politiques beaucoup plus larges. Pour Breuil et ses associés :

As international concerns have increasingly focussed on the “threat” of transnational organized crime and the protection of national borders, trafficking in human beings has essentially become a matter of law and order: ‘the response to trafficking in persons emphasized the proximity of this issue to other irregular migration issues and illicit cross-border activities’ (Segrave et al. 2009: 18)40.

À la suite de la signature de la Convention des Nations Unies contre la criminalité

transnationale organisée et du Protocole de Palerme, plusieurs estimations sur l'ampleur du

phénomène du trafic humain sont apparues dans les rapports internationaux. Les données disponibles proviennent essentiellement du Gouvernement des États-Unis, dans ses rapports annuels sur la traite des êtres humains publiés par le Département d'État, de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), de l'OIT et de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

En 2005, l'OIT estimait les revenus illicites de la traite des êtres humains à 32 milliards de dollars US par année41. Comme nous l'avons fait remarquer dans l'introduction, l’OIM affirmait quant à elle que le trafic humain devenait un des crimes avec la plus grande croissance dans le monde.

39 Corinne Dettmeijer-Vermeulen, « Trafficking in Human Beings. Ten Years of Independent Monitoring by the Dutch Rapporteur on Trafficking in Human Beings », European Journal on Criminal Policy Research, vol.18, 2012, p.285. 40 Brenda Carina Oude Breuil et als, (2011), op.cit., p.34.

41 Organisation Internationale du Travail, A Global Alliance Against Forced Labour, International Labour Office, Genève, Organisation Internationale du Travail, 2005, p.55.

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Ces estimations ont été jugées par la communauté scientifique comme étant hâtives, principalement à cause du manque de transparence dans la méthodologie employée pour arriver à ces conclusions. Pour Zhang la nature secrète de la méthodologie employée par ces diverses agences dans l'évaluation de l'ampleur du problème se résume ainsi:

First, positions and claims of well known global organisations (most notably the United Nations and its subsidiaries) and government agencies (most notably the United States) were used as 'empirical evidence', despite the fact few of these agencies disclosed their data sources or methodologies. […] As far as these agencies were concerned, human trafficking as a modern-day slavery was a proven fact of global proportions. This conclusion requires neither substantiation nor qualification. Everyone should simply accept it42.

Makarenko abonde dans le même sens que Zhang lorsqu'elle mentionne que « Although national governments and international organizations have provided “guestimates” of the number of people smuggled/trafficked across national and international borders, these figures are affected by political agendas, inefficient reporting mechanisms »43.

Ce qu’il est important de retenir dans la dernière citation, c'est que les estimations sont affectées par l'agenda politique des gouvernements concernés. Breuil et ses associées appuient les dires de Makarenko en affirmant :

Proponents of the “war on organized crime” had a strong say in the imagination of the “perpetrators” of trafficking as transnational organized crime groups, thereby securing government funding and public backing for repressive (international) law enforcement policies. It is therefore important to distinguish political motivations from empirical observations in the imaginations of human trafficking for the sex industry44.

Ces deux citations démontrent que les gouvernements et organisations internationales veulent justifier l'inclusion la lutte à la traite des êtres humains à l'intérieur du cadre social de la criminalité organisée transnationale. Cette justification illustre que les gouvernements adhèrent avant tout au cadre social de la criminalité organisée transnationale pour combattre l'insécurité qui découle de la fin de la Guerre froide et de la libéralisation des marchés économiques.

Malgré le manque de transparence sur les estimations publiées par les agences de Nations Unies et l'agenda politique qui guide les décisions d'inclure la lutte au trafic humain dans le cadre plus large de la lutte à la criminalité organisée transnationale, Berlin et Amsterdam ont manifesté leur appui à ce cadre en signant et ratifiant la Convention des Nations Unies contre la criminalité

42 Sheldon X. Zhang, « Beyond the 'Natasha' story – a review and critique of current research on sex trafficking », Global

Crime, vol.10, no.3 , 2009, p.181.

43 Tamara Makarenko, « Organized crime or crimes organized? Isolating and identifying actors in the human trafficking chain », dans Anna Jonsson, Human Trafficking and Human Security, London ; New York : Routledge, 2009, p.26. 44 Breuil et als, op.cit., (2011), p.43.

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transnationale organisée et le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

Comme l'affirme Kilchling, les grandes lignes de la lutte au crime organisé sont principalement écrites au niveau international et au niveau européen, «whereas organised crime legislation is more and more dominated by European and international policies which clearly set the standards. In this area, national legislatures are being forced to amend their national law more or less permanently, in particular through binding European Union legislation »45. Le Bureau néerlandais du Rapporteur National (BNRM) reconnaît lui aussi l'importance de la législation internationale sur les mesures prises au niveau national pour combattre ce crime46. Il est donc essentiel de considérer tous les traités et conventions qu'ont signés Berlin et Amsterdam depuis le 20eme siècle à ces deux niveaux.

2.3.1 - Signature de Traités et Conventions internationaux de la lutte à la traite des êtres humains par l'Allemagne et les Pays-Bas

Dans cette section nous ferons un survol des différents Traités et Conventions au niveau international que Berlin47 et Amsterdam ont signé depuis le début des années 1900 concernant la lutte à la traite des êtres humains. Cela nous permettra de découvrir s'il existe ou non une interprétation historique de la divergence dans les politiques nationales employées de nos jours dans les deux pays européens de notre étude.

Selon tableau 4, l'Allemagne et les Pays-Bas ont signé les mêmes accords au niveau international, sauf celle la Convention internationale relative à la répression de la traite des

femmes majeures de 1933. En ce qui concerne la signature de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui signé en 1950, les deux

capitales n'ont jamais ratifié cette convention. Les raisons évoquées dans la littérature scientifique

45 Michael Kilchling, « Organised Crime Policies in Germany », dans Cyril Fijnaut et Letizia Paoli, Organised Crime in

Europe : Concepts, Patterns and Control Policies in the European Union and Beyond, Springer, Studies of Organized

Crime, vol.4, 2004, p.718.

46 Bureau of the Dutch National Rapporteur, Trafficking in Human Beings : Ten years of independent monitoring, La Haye; National Rapporteur on Trafficking in Human Beings, 2010, p.31.

47 Pour cette section, nous considérons Berlin comme étant la capitale de l'Allemagne et ne tenons pas compte de la République démocratique d'Allemagne qui a existé d’octobre 1949 à octobre 1990.

(37)

pour expliquer cette décision sont que ce protocole prenait une orientation « abolitionniste » envers la prostitution. Amsterdam a refusé la ratification de ce protocole, car cela allait à l'encontre des valeurs et politiques de tolérances à l'égard de la prostitution à cette époque48. Aucune précision n'a été trouvée quant aux motivations de Berlin de ne pas ratifier la convention, mais il nous est permis de sous-entendre que les motivations aient été les mêmes que son voisin, surtout que Breuil et ses associées affirment que peu d'États ont signé ce protocole à cause de l'approche abolitionniste qu'il proposait49. Une des raisons qui nous aient permis de croire en cette explication, c'est que les deux voisins ont adopté la même position concernant l'inclusion de la prostitution, étant considéré comme du trafic humain, lors des négociations qui ont mené à la signature et ratification du Protocole de Palerme en 2000. Ditmore et Wijers, qui ont participé aux négociations, indiquent que « Others such as Netherlands, Germany and Australia were adamantly opposed to a formulation of trafficking that would essentially define all prostitution or any sex work as trafficking in persons, because it would require them to alter their national domestic law upon ratification of the Protocol »50.

Comme nous l'avons mentionné auparavant, la lutte à la traite des êtres humains ne s'effectue pas de nos jours sous l'égide de l'OIT, mais cela n'empêche pas que certaines de ses conventions reliées au travail forcé ont une incidence sur les législations que doivent appliquer l'Allemagne et les Pays-Bas. Le tableau 5 résume les principales conventions de l'OIT qui touche à la traite des êtres humains.

Encore une fois, Berlin et Amsterdam ont ratifié les mêmes conventions internationales en ce qui concerne l'OIT. Cela établit que nous ne pouvons pas déceler pour l'instant de causes internationales à la différence des modèles d'application de la loi qu'ont instaurée l'Allemagne et les Pays-Bas depuis le début des années 2000 pour combattre le trafic humain.

48 Bureau of the Dutch National Rapporteur, Trafficking in Human Beings : First report of the Dutch National Rapporteur, La Haye; National Rapporteur on Trafficking in Human Beings, novembre, 2002, p.13.

49 Breuil et als, op.cit., (2011), p.33.

50 Melissa Ditmore et Marjan Wijers, « The negociations on the UN Protocol on Trafficking in Persons », Nemesis, no.4, 2003, p.84.

Figure

Tableau 1 - Évolution de la traite des êtres humains
Tableau 2 – Population totale Année Allemagne Pays-Bas 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 82 259 540 15 987 07582 440 309 16 105 28582 536 680 16 192 57282 531 671 16 258 03282 500 849 16 305 52682 437 995 16 334 21082 314 906 16 357 99
Tableau 4 - Conventions, Protocoles et Traités au niveau international
Tableau 5 - Conventions de l'Organisation Internationale du Travail Conventions
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