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L' art de choisir un sujet dans la peinture d'histoire de Jacques-Louis David (1748-1825)

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(2)

Pierre Edouard Latouche M.Arch. Thesis

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(4)

RÉsUMÉ

Encore aujourd'hui considéré comme l'expression de

considérations essentiellement dramatiques, le choix d'un suj et

pour un tableau d'histoire se révèle aussi, à la lumière de

nombreux documents, être fonction d'u-~ certain savoirfaire

-un savoir-choisir, en quelque sorte. L'étude qui suit tentera d'esquisser la part que joue cet aspect du métier dans la pratique de Jacques-Louis David et dans l'extraction littéraire du Se~nent des Horaces, plus spécifiquement.

ABSTRACT

The choice of subject for a history painting, long considered motivated by dramatic considerations, appears to be also, in the light of numerous documents, the expression of the painter's craft. The following study will attempt to demonstrate this aspect in the oeuvre of Jacques-Louis David and, in parcicular, in The Oath of the Horatii.

(5)

L'art de choisir un sujet dans la peinture d'histoire d~

Jacques-Louis David (1748-1825).

Pierre-Edouard Latouche School of Architecture McGill University, Montreal

A Thesis submitted to the Faculty of Graduate St.udies and

Research in partial fulfilllnent of the requirements of the degree

of M. Arch.

(6)

REMERCIEMENTS

J'aimerais, en tout premier lieu, remercier le professeur

Alberto Pérez-G6mez. Son enseignement, SOI1 encadrement au cours

des séminaires, son engagement dans la création d'un cadre de réflexion unique ont joué un rôle de premier plan dans mes

démarches. C'est, immédiatement après, à mes collègues du

programme à qui je songe, avec une pensée particulière pour

Ramla Ban Aïssa, Jean-François Bédard et Susie Spurdens. Enfin

j'aimerais remercier mes parents, pour leurs conseils, leur

bibliothèque et leur patience, mais aussi Carol Lees, Nadine

Latouche, Luc d'Iberville-Moreau, Allan Penning, Marie-Josée

(7)

INTRODUCTION

\

Depuis l'article bien connu d'Edgar Wind, l'extrac~ion littéraire du tableau du Serment des Horaces (1785; fig. 1), du p~intre Jacques-Louis David (1748-1825), est à l'origine d'une polémique beaucoup plus vaste et encore mal cernée touchant l'invention davidienne1• Comme il n'existe a~cun témoignage univoque du p~intre nous indiquant l'origine de son trait, c'est l'identification précise de cette source qui a longtemps, et à juste titre, occupé l'attention des chercheurs. Au nombre des documents d'exégèse relevés à cette fin figure le récit d'un serment, au chapitre 24 (3-9) du livre premier de l'Histoire Romaine de Tite-Live (voir en appendice), puisque Anita Brookner, il y a treize ans déjà, nous en rappelait brièvement l'existence, dans une étude critique de l'article de Wind2 .

l Edgar Wind, «The sources of David's Horaces.. , dans Journal

of the Warburg and Courtauld Institutes, IV, (1940-1941), 124-138. Pour un résumé des diverses polémiques suscitées par les différents débats de source autour du Serment des Horaces, voir l'ouvrage de Warren Roberts, Jacques-Louis David, revolutionary artist, (Chapel Hill: Univ. of N. Carolina Press, 1989), introduction.

2 Selon Anita Brookner, Edgar Wind se serait trompé en attribuant l'inspiration de David à la mise en scène d'un serment des Horaces par le chorégraphe Noverre, car le peintre aurait été en Italie à l'ép0q'.le du récital. En fait eüt-il vu ce ballet,

l'épisod~ du serment tel que pensé par Noverre, théâtral et

baroque, n'aurait eu aucun rapport avec le sien, sobre et dépouillé. C'est plutôt avec le récit d'un serment chez Tite-Live que le trait noverrien aurait pu, à la rigueur, partager une similitude thématique, sans s'en être toutefois inspiré car le détail du récit de Tite-Live, jugé abscons et sanglant, l'en aurait empêché, «Livy's account contains the same oath but i t must have

(8)

Étor.namment, elle ne tint p~s compte à l'époque de l'hypothèse selon laquelle David aurait pu extraire son sujet du chapitre 24.

Un faste analytique avait pourtant été déployé. Cette lacune, à nos

yeux, méritait d'être comb1ée, ce que nous entreprenions de faire,

il y a ~Jelque temps déjà. Or, les suppositions se révélant assez

nombreuses, et les appels horizontaux à la maîtrise technique de

David se mul~ipliant, il nous parut vite nécessaire d'étayer notre

examen sur une appréciation plus générale des techniques propres ~u

choix d'un sujet, non seulement dans la pratique de David, mais aussi dans celle de ses contemporains et de ses prédécesseurs.

Il fallait, avant de reconstituer le choix du sujet des

Horaces en particulier, reconstituer la façon davidienne et la façon propre au XVIIIe siècle de choisir un sujet. Autrement dit,

mettre à jour les techniques, les usages, les pratiques

quasi-artisanales, répétés de tableau d'histoire en tableau d'histoire, qu'employaient David et ses contemporains pour arrêter un sujet, indépendamment des circonstances propres aux sources d'une oeuvre. Ce savoir-choisir, cet aspect du métier, une fois connu, du moins deviné, loin de se substituer à ces circonstances, en faciliterait

au contraire la saisie. En ce sens une division tripartite de

l'étude semblait toute indiquée.

Ainsi notre premier chapitre, plus général, tentera de

présenter les divers préceptes qui réglaient le choix d'un sujet chez les peintres d'histoire au XVIIIe siècle. Il nous semblait been a hugger-mugger affair for it was the prelude to the sacrifice

of a pig», Anita Brookner, Jacques-Louis David, (New York: Thames

(9)

naturel de rappeler ces préceptes tant David, dans le Serment des

Horaces, avait c~istallisé les aspirations esthétiques de la

génération, et méme du siècle ayant précédé l'exposition de cette

oeuvre3• Bien plus, l 'abs~nce d'études sur cet G:spect de la

pratique académique, si l'on excepte quelques belles pages de

Locquin et un article d'Henry Bardon, rendait ce rappel

nécessaire4 • Tout au long de ce chapitre notre intention sera

3 «Nous voudrions montrer que le triomphe de David, en 1785,

n'est que l'aboutissant d'une lente évolution, la conséquence

logique et attendue d'un mouvement d'idées longuement préparé, et, hien plutôt qu'un évânement de nature révolutionnaire, une sorte de

retour à la tradition .::lassique momentanément aba:ldonnée», Jean

Locquin, La peinture d'histoire en France de 1747 à 1785, (Paris:

HeI"Ii LaurE'ns, 1912), XXVIII ; «The various and sometimes complex

tendencies which had begun to emerge around the middle of the

century ••• all coalesced in the 1780s to produce a sudden crop ~f

masterpieces: David's Oath oÏ the Horatii, Canova's monument to

Clement

xrv

and Ledoux's Parisian barrières», Hugh Honour,

Neo-classicism, (New York: penguin Books, 1968), 32 ; «Jacques-Louis

David is one of those artists in whose work everything that is

peculiar to a given trend of art is found concentrated and

displayed with admirable clarity», Fritz Novotny, painting and

sculpture in Europe 1780-1880, (New York: Penguin Books, 1978), 19.

4 Locquin, La peinture d'histoire, 87-91, 92-95, 106-107 ;

Henry Bardon, «Les peintures à sujets antiques au XVIIIe siècle

d'après les livrets des Salons», dans Gazette des Beaux-Arts, LXI,

(avril 1963), 219~250. En fait, selon divers avis récemment émis,

l'organisation technique et corporative du travail sous l'Ancien

Régime serait encore à découvrir, voir Barbara Y.. Stafford, «The

eighteenth-century : towards an interdisciplinary model» dans The

Art Bulletin, LXX, (Mars 1988),22-23, et Steven L. Kaplan, «Social

classification and representation in the corporate world of

eighteenth-century France : Turgot' s 'carnival'», dans Work in

France, édité par S.L. Kaplan et C. J. Koepp, (Ithaca : Cornell Univ. Press, 1986), 227-228. certains ouvrages récents indiquent

toutefois une appréciation plus sens~le des rapports de force au

sein du milieu académique, voir notamment l'interprétation très

corporative qu'en fait Jeanr,e Laurent dans A propos de l'École des

Beaux-Arts, (Paris: EBA, 1987), et celle, très libérale, qu'en

donne Antoine Schnapper dans «The debut of the Royal Academy of

Painting and Sculpture», dans The French Academy : classicism and

its antagonists, (Newark: Univ. of Delaware Press, 1990), 27-36. 3

(10)

d'éviter le plus possible les analogies traditionnelles de l'ut Pictura poesis, et, disons-le, d'une certaine redondance sur l'unité d'action et sur les règles de composition poétique appliquées à la peinture, en soulignant le plus possible les

aspects matériels, sinon artisanaux de l'invention. C'est pourquoi par exemple, dans les essais théoriques que nous consulterons, nous privilégierons les extraits où l'auteur s~le écrire sur la base d'expériences ou d'observations concrètes (ou, du moins, plaçie un autaur l'ayant fait, ce qui est plus fréquent). Nous ne pourchasserons pas pour autant tous les clichés orphiques, car certains, on le verra, recoupaient parfois des situations bien réelles. On pense, en particulier, aux encouragements à choisir un sujet noble, le précepte par excellence du savoir-choisir, aux racines bien sOr aristotélicienne et horacienne, mais aux fruits, comme le montrait Locquin, on ne peut plus administratifs et économiquesS • Bien entendu cette présentation ne sera pas i:lormative, nous ne pensons pas pouvoir cerner l'invention au XVIIIe siècle dans toutes ses ramifications pratiques, théoriques et administratives. Nos sources, comme nous le verrons plus loin, trop incomplètes, ne nous le permettrait pas. Tout au plus penson~-nous pouvoir suggérer le remarquable dynamisme que suscitait la question du choix d'un sujet au XVIIIe siècle. Une ~'umération peut-être rapide et sèche des multiples aspects de ce dynamisme pourrait toutefois résulter de ce parti pris descriptif. Nous aimerions nous en excuser d'avance.

(11)

Notre deuxièm2 chapitre sera consacré à la maîtrise qu'avait David des divers préceptes identifiés en première partie. Ceux-ci, dans le corpus d'histoire daviàien, semblent avoir une part souvent

égale, sinon supérieure, à celle du «génie», car David, quelle

qu'ait été la férocité de sa rhétorique anti-corporative, demeure

résolument un praticien voué à l'exercice concret de son art,

répétant de choix en choix les mêmes gestes mentaux, transpirant le

métier qu'il arguait pourtant mépriser «comme la boue6... Ses

propos le démontrent, les documents l'attestent: si l'arrêt d'un sujet soulève chez lui des soucis «poétiques.. , l'artifice résulte

malgré tout ~'une maîtrise technique du texte. Pour reconstituer

cette ma1trise nous nous baserons, en un premier temps, sur ces mêmes propos et documents en ce qu'ils concernent ses diverses

lectures. Pl<i3 nous essaierons, toujours à partir de ces mê1nes

propos et documents, d'expliquer comment David, après avoir trouvé lm sujet, divisait ce dernier en divers moments, et pourquoi, à méme ces divers moments, en arrêtait-il un ultimement.

Enf~.n notre troisième et dernier chapitre, consacré au Serment des Horaces, tentera, sur la base des pratiques examinées en première et en deuxième parties, d'expliquer comment David arrêta

le sujet du tableau des Horaces d'après le récit de Tite-Live.

Notre objectif p=emier sera de démontrer qu'à la lecture du

chapitre 24, David écarta la laborieuse description d'un rituel

païen pour mieux considérer la perpétration d'un serment. Cette

6 Jacques-Louis Jules David, Le peintre Louis David 1748-1825:

souvenirs et documents inédits, (Paris: 1880), I, 57. 5

(12)

adaptation du référent, privilégiant un moment d'émotions intenses aux dépens des péripéties plus actives d'un récit, correspondait,

nous le verrons, à sa pratique.

Précisons qu'une partie de ce troisième chapitre v~sera à

clarifier la divergence d'opinions évidente qui existe entre

l'appréciation du Serment des Horaces que nous offrirons, et celle qui domine actuellement l'historiographie de cette oeuvre, suivant laquelle David aurait controuvé l'épisode du Serment. Ces quelques

remarques liminaires préviendront de lourdes digressions

justificatives, et éviteront, du moins nous l'espérons, de

possibles malentendus.

Les conclusions auxquelles nous arriverons, au terme de la

présente étude, seront, il va sans dire, à l'image du matériel

historique employé. une masse docUlllentaire importante, soumise à un

exercice par nature limité, devait bien, tôt ou tard, nous amener

à faire certains choix. Deux d'entre eux méritent d'être ici

particulièrement soulignés.

L'un touche bien sür notre définition de la peinture

d'histoire davidienne. Quel est ce corpus, 011 commence t-il, 011 se

termine t-il? ÉVoquer les mille scrupules, les cent nuances,

justifiant l'exclusion d'une oeuvre au profit d'une autre, aurait

retardé indéfiniment ce mémoire. Ainsi, sans savoir exactement

pourquoi nous faisons une distinction entre le Bélisaire et sa répétition, entre une toile achevée et une oeuvre disparue, entre

Le Sacri:fic~ d'Iphigénie et une esquisse sur un thème historique,

(13)

à nos yeux, de regrouper ce qui, intuitivement, à l'intérieur de

l'oeuvre de David, nous paraissait former un sous-ensemble

distinct, à savoir l'analogie, la «ressemblance», la similitude que

présentait une toile de David avec le Serment des Horaces. Ainsi,

aux fins de cette étude, un tableau d'histoire sera donc, tout

simplement, un tableau qui ressemble au Serment. Ce tableau doit être peint, achevé, il doit avoir survécu au temps, ne pas être une répétition, et doit, avant tout, traiter un sujet de l'histoire antique.

L'autre choix concerne bien entendu nos sources. Nous

abandonnions très tôt à une prochaine fois le dépouillement des

incroyables fonds d'archives que nous voulions consulter, de tous les traités de peinture et du moindre article que nous voulions

lire. C'est pourquoi les sources avec lesquelles nous avons

travaillé appartiennent, le plus souvent, aux traités qui nous

étaient physiquement disponibles, aux recueils de sources déjà

publiés que nous pouvions consulter, ainsi qu'à de remarquables travaux d'érUdition auxquels nous sommes très redevables, et que nous aimerions brièvement présenter. En tout premier lieu figure le catalogue de l'exposition David, d'Antoine Schnapper et d'Arlette

SérUllaz7 • C'est sur ses données que nous tranchions nos

hésitations, sur son impressionnante bibliographie que nous

réglions la nôtre. Une date, une dimension, un titre nous

manquaient, nous le prenions dans ses pages. Citons ensuite

7 Antoine Schnapper et Arlette Sérullaz, David, (Paris :

Réunion des Musées Nationaux, 1989). 7

(14)

l'oeuvre du petit fils de David, Jacques-Louis Jules David, Le peintre Louis David 1748-1825 : souve!lirs et documents inédits, et,

dans le même esprit, celle de Daniel et Georges Wildenstein,

Documents complémentaires au catalogue de l'oeuvre de Louis David,

toutes deux parcourues, crayon en main, relevant chaque référence au choix d'un sujetS. Un autre catalogue, celui de l'exposition David et Rome, de Régis Michel, nous fut également d'une grande utilité9• Quoique déjà cités, mentionnons aussi les ouvrages de

Jean Locquin, La Peinture d'histoire en France de 1747 à 3.785, et

d'Henry Bardon, «Les peintures à sujets antiques au XVIIIe siècle d'après les livrets des Salons», ce dernier très clairvoyant malgré

quelques erreurs en ce qui touche le Serment des Horace~. citons

enfin, ces deux monuments à la vie quotidienne des artistes sous

l'Ancien Régime, soit la correspondance des directeurs de

l'Académie de France à Rome et la correspondance entre le premier Peintre Pierre et le directeur général D'Angiviller, publiée en 1905 par les Nouvelles Archives de l'Art: Français, sans lesquels

toute la peinture d'histoire au ~ïIIe siècle ne serait, encore

aujourd'hui, qu'une tête sans corps10.

8 D. et G. Wildenstein, Documents complémentaires au catalogue de l'oeuvre de Louis David, (Paris: 1973).

9 Régis Michel, Arlette Sérullaz et Ugo Van de Sandt, David et

Rome, Rome, Villa Médicis, 1981-1982.

10 Correspondance des directeurs de l'Académie de France à Rome avec les Surintendants des bâtiments, publiée par A. de

Montaiglon et J.J. Guiffrey, 1887-1912 ; «Correspondance de M.

d'Angiviller avec Pierre», publiée par M. Furcy-Raynaud, dans

(15)

Les préceptes de l'art de choisir prennent leur source dans les multiples difficultés que rencontraient les aspirants peintres d'histoire à la lecture d'un livre. Ces difficultés, souvent très simples - savoir lire, trouver le livre, le comprendre, et a fortiori trouver un sujet et savoir l' «expliquer» aussi, comme disait David -, toutes ultimement relatives à la transformation d'un texte en image, suscitent aux XVIIe et XVIIIe siècles de nombreuses questions au sein de l'Académie. Les réponses à ces questions, rares au Grand Siècle et longtemps scumises au cloisonnement théorique entre invention et composition, deviennent légion au XVIIIe siècle, comme en témoignent les nombreux propos d'artistes et d'amateurs. En fait, vers le milieu du siècle leur cumul constitue, avec l'oeuvre de Caylus, de Dandré-Bardon et la création de l'École des Élèves protégés, un champ d'étude au même titre que l'anatomie ou la perspective : pédagogiquement on enseigne, on codifie, on débat ces règles; administrativement, dans les officines de Cochin, de D'Angiviller, on légifère et on budgète en leur faveur. Véritable ensemble de connaissances aidant le peintre à transformer avec plus de facilité son référent en image, l'art de choisir participe, par une réflexion sur la pratique picturale, à une instrumentalisation de la formation artistique

(16)

assez généralisée au XVIIIe siècle, et, par là-même, au bouleversement des pratiques ayant jalonné cette époque11•

Mais on ne saurait dire qu'il existe au moment où David peint le Serment des Horaces une science d:l choix au sens moderne du terme. Aucun «Art de cboisir réduit à un même principe» n'est

disponible aux peintres. Tout au plus cent années de réflexion sur cet aspect de la pratique ont-elles produit une masse assez importante de règles, de procédés, de «recettes» comme disait André Chastel. Ces «recettes», lorsqu'ell~s progressent, et elles le font, progressent horizontalement, c'est-à-dire qu'elles viennent clarifier non pas tout le processus de sélection, nous serions alors dans le monde de la science et des révolutions scientifiques, mais bien une étape du processus, puis une autre, ainsi de suite, empiriquement, par tâtonnements. Faire le récit chronologique de cette lente progression, un peu décousue, serait fastidieux. Notre présentation en regroupera PVltôt les diverses facettes en trois étapes , soit l ' «avant» , le «milieu» et l' «après» du choix d'un sujet, à l'instar des théories classiques qui divisaient chronologiquement la peinture en trois parties, à savoir l'inveD.tion, la composition et l'exécution.

Les prëJùces

L'Académie Royale de Peinture et de Sculpture, dont la

11 Pour une excellente présentation des tensions au sein du milieu académique au ':vIlle siècle, voir Alberto Pérez-G6mez, Archit:ecture and t:be crisis of modern science, (cambridge : MIT Press, 3.983).

(17)

fonction première est de cultiver libéralement les arts en assurant à ses membres un débit libre d'entraves corporatives, parvient

difficilement à remplir son mandat. Économiquement précaire,

surtout à ses débuts, administrativement coercitive et peu apte à

équilibrer de façon adéquate sa production à sa rhétorique,

l'Académie se confond fréquemment aux yeux de plusieurs, et de

David en particulier, au cours du XVIIIe siècle à l'ordre

corporatif dont elle cherche justement à se distinguer12 • Ce dur affranchissement marque tout particulièrement ce qu'il convient d'appeler les "prémices» du choix d'un sujet: Qui doit choisir le

s~jet? De quel registre faut-il le choisir? Des exigences

contractuelles contraignent-elles encore ce choix?

L'organi..ation corporative de la peinture avait longtemps laissé le choix du sujet à la volonté du client. Pour les tenants d'une peinture libérale et progressive, il fallait, au contraire, encourager le peintre à choisir lui-même "le sujet propre à être

représenté13". t>ar là , pensait-on, l'artiste s'émanciperait des

affres du commerce et de l'esprit mercantile des boutiques. Tout au

long du XVIIIe siècle, les contributions à ce débat demeurent

toutefois rares et leur ton modéré. Les impératifs économiques, plus forts, confèrent au concept, dans les différents propos, un

12 Voir Laurent, A propos de l'École des Beaux-Arts, voir

aussi les divers extraits de Turgot, et les introductions à ces extraits, que nous offre Baldine de Saint-Girons dans son ouvrage,

Esthétiques du lWIII'* siècle : le modèle :français, (Paris : Philippe Sers, 1990), 115-117, 196-199.

13 G. B. Bellori, vite, cité dans Nicolas Poussin: Lettres et

Propos sur l'Art, textes réunis et présentés par Antbony Blunt,

(Paris: Hermann, 1964), 179. 11

(18)

caractère exceptionnel et théorique14 . Oandré-Bardon lui-même, nonobstant une carrière entièrement consacrée à la réforme de la

peinture, n'élève qu'au rang de «grand avantage» pour l'artiste le choix personnel du sujet15 . En fait, selon le Premier Peintre Pierre, les artistes de 1.'Acadêmie, en proie à d'interminables hésitations au moment de choisir un sujet, auraient vu, dans l'imposition de celui-ci, une véritable délivrance:

Vous vous rappele,:ez, Monsieur le comte, que j'ai eu l'honneur de vous parler de l'attention que j'avais eu de demander à tous les artistes, si quelques sujets ne les piquaient pas dans leurs lectures. Le grand nombre a toujours préféré d'exécuter un sujet donné. Tout artiste qui a du génie préfère une décision parce que lorsqu'on le laisse le maître il fait vingt esquisses de vingt sujets différents16 .

Satisfaite d'imposer un sujet à qui le demande, l'Administration demeure toutefois très souple à l'égard des artistes désireux de se soustraire à cette distribution, en traitant un thème de leur choix. «Je ne les gênerai pas absolument à cet égard» écrit O'Angiviller en J.785, «on peut laisser à M. Vien et à M. Lagrenée

le choix de leur sujet17». Sollicitude dont i l fait encore preuve

14 «La troisième qualité de l'histoire consiste dans le choix de sujet, supposé que le peintre en soit le maître : parce qu'un sujet remarquable fournit plus d'occasions d'enrichir la scène et d'attirer l'attention. Mais si le peintre se trouve enqagé dans un petit sujet, i l faut qu'il tache de le rendre grand par la manière extraordinaire dont i l le traitera», Roger de Piles, Cours de peinture par principes, (Paris: J. Estienne, J.708), 70-7J..

15 Michel François Oandrê-Bardon, Traité de peinture suivi d'un essai sur la sculpture, I, (Paris: J.765), 94.

16 Lettre de Pierre à O'Angiviller, s.d., citée dans Schnapper, David, J.64.

17 O'Angiviller à pierre, J.8 novembre J.785, «Correspondance de M. O'Angiviller avec Pierre», dans Nouvelles Archives, n. 603.

(19)

en ~788, en préparation du Salon de ~789 :

Quant au choix des sujets, je les laisse comme l'année dernière

à leur option, me réservant de toutefois à en avoir connaissance

avant l'exécution, afin qu'il y ait dans la totalité la variété

convenable18 •

Cette souplesse n'est cependant pas absolue. Le peintre

d'histoire, s'il désire choisir son sujet_ ne saurait étre laissé aux aléas du marché, «aux sujets futiles de la T:lode et de t emps19»

comme l'é-.rit La Font de Saint-Yenne. C'est pourquoi, s'il désire

choisir librement son trait, l'artiste ne choisira celui-ci qu'à l'intérieur d'une fourchette aux limites clairement prescrites.

Cette prescription est positive, on encourage le peintre à puiser

dans tel ou tel registre, ou négative, certaines catégories

d'épisodes sont proscrites.

Ce sont les sujets dits nobles ou grands qui ont, bien stt, le

plus séduit, et le plus longtemps, l'esprit des théoriciens du

classicisme français. Franciscus Junius, «amateur absolument

ignorant de la technique20», mais néanmoins auteur d'une somme sur

l'art de peindre, De Pictura Veterum (~637), fut le premier, en

France, à en prescrire le choix :

la facilité d'invention ne manque jamais à ceux qui ont

18 D'Angiviller à Pierre, ~o février ~788, «Correspondance de

M. D'Angiviller avec :tlerre», Nouvelles Archives, n. 709. Sur la

position de Pierre à ce sujet, voir Locquin, La peinture

d'histoire, 46-47.

19 La Font de Saint-Yenne, L'Ombre du Grand Colbert, le

Louvre, et la Ville de Paris, dialogue. Réflexions sur quelques causes de l'état présent de la peinture en France. Avec quelques

lettres de l'auteur à ce sujet, (s.l. : 1752), 208.

20 André Fontaine, Les doctrines d'art en France, (Genève :

Slatkine reprints, 1970), 22.

13

, 1

(20)

réfléchi, qui ont pâli sur la plupart des belles choses de la littérature antique21 .

Véritable doléance exercée auprès de ceux qui présidaient au destin des arts - Poussin, Félibien, La Font de Saint-Yenne et Dandré-Bardon reconduiront cette prescription à la virgule près22 - sa

répétition incessante, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, se traduit par un préjugé budgétaire en faveur des sujets nobles, préjugé qu'amplifie d'autant plus le rabaissement critique des genres dits «inférieurs», comme le portrait ou le pa4-sage.

L'exclusion pure et simple d'autres catégories de sujets perpétue également le statut artificiellement élevé de la peinture d'histoir.e. Les motifs invoqués pour ces rejets portent en général sur l'aspect irrécupérable de certains traits qui, «tous possibles qu'ils sont à traiter, doivent néanmoins être exclus23".

21 Cité dans Fontaine, Les doctrines d'art, 27.

22 «La première chose qui, comme fondement de toutes autres, se requiert, est que la matière et le sujet soient grands, comme seraient les batailles, les actions héroïques, et les choses divines», Nicolas Poussin : lettres et propos, 170-171; «il faut représenter de grandes actions comme les historiens», André Félibien, cité dans Fontaine, Les doctrines d'art, 57; «On ne saurait avoir trop d'attention à ne traiter que des sujets nobles et intéressants. C'est souvent du beau choix du trait d'histoire que dépend la fortune d'un tableau,), Dandré-Bardon, Traité de peinture, 95; «De tous l~s genres de la peinture le plus grand, le plus noble, enfin le prlnlier sans difficulté, c'est celui de l'histoire. Le peintre historien est seul le peintre de l'ame, les autres ne peignent que pour les yeux. Lui seul doit sentir et exprimer cet enthousiasme, ce feu divin qui lui fait concevoir ses sujets d'une manière forte et sublime: lui seul peut former des héros à, la postérité, par les grandes actions et les vertus des· hommes célèbres qu'il présente à leurs yeux», La Font de saint-Yenne, Ré:flexions , (s.l. : 1752), 195.

23 Journal de Trévoux 011 méJDoires pour servir à l'histoire des sciences et des arts, LV, (Paris, 1755; réimpression Genève : Slatkine Reprints, 1969), 161.

(21)

L'exclusion touche bien entendu la proscription dubosienne à

l'égard des discours et des sentiments «qu'un peintre ne saurait rendre», tel le fameux «Qu1il mourut!» du vieil Horace24 . Mais

elle porte en fait bien plus sur des sujets jugés «vils», «désagréables», «ridicules», «ignobles» ou «absurdes»; des suj ets qui, en dépit d'artifices et de mises en scène généreuses, agacent. On pense, par exemple, aux sujets aux contrastes trop prononcés, qui choquaient l'opinion publique, comme celui d'Hercule combattant à cheval une Amazone, car «l'Europe et surtout la France, seraient rév::lltées de voir un homme, et plus encore un Héros combattre une femme2S», mais on pense également aux épisodes repoussants, d'une effroyable violence, d'ailleurs assez fréquents dans la littérature ancienne, comme celui du barbare Sinis :

qui attachait à des branches de pins courbées avec effort ceux qui avaient le malheur de tomber ~~tre ses mains; i l lâchait ensuite ces branches qui, reprenant avec violence leur position naturelle, mettaient en pièces ces malheureux, dont les membres épars demeuraient suspendus, et formaient comme un trophée à la méchanceté du plus cruel de tous les hommes26 •

Évidemment figure aussi la catégorie inévitable des sujets pornographiques, de tous temps pourchassés, qu'accable d'opprobre Dandré-Bardon :

i l en est de bas, d'ignobles, de si disgracieux, qu'on ne saurait sans répugnance en entreprendre l'exécution; i l en est de libres, d'indécents, de contraire aux moeurs qu'on ne peut traiter sans courir au risque d'alarmer la pudeur et de faire rougir l'innocence. Malheur à l'élève qui se détermine par gollt

24 Jean-Baptiste Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, I, (Paris: Pissot, 1755), 85.

2S Journal de Trévoux, LV, 164. 26 Journal de Trévoux, LV, 164.

(22)

aux sujets de la dernière espèce; ou qui~ressé par l'attrait du gain se charge d'en tracer la peinture !

Outre ces graves sentiments positifs ou négatifs, aux affinités qu'on pourrait qualifier de sociologiques, d'autres facteurs, aux affinités plus concrètes, plus physiques, compromettants quant aux prétentions acommerciales de la peinture d' histoire, contribuent également à déterminer à l'avance les thèmes d'oil seront puisés les sujets. A l'instar du premier maître peintre, le peintre académicien se voit en effet inévitablement soumis au cours de sa carrière à des exigences contractuelles ayant

un impact certain sur son choix. Au nombre de ces contraintes figurent particulièrement celles propres à l'espace. On pense par

exemple aux contraintes externes qu'imposaient de tout temps la dlmension du lieu ou du cadre oil devait être placée l'oeuvre28 . Mais on pense surtout aux contraintes internes qu'imposait ce qu'il convient d'appeler l'espace «intérieur» de la toile: tel artiste ou tel mécène, au moment d'entamer ou de commander une oeuvre, ne suggérera pas un sujet spécifique, un contenu dramatique précis -les amours de Mars et Vénus, la Bataille de Cannes ou la mort

27 Dandré-Bardon, Traité de peinture, 94. La proscription à l'encontre des sujets pornographiques est en fait pénale, puisqu'en novembre 1731 le maître peintre Jean Diacre fut ccndamné à 1000 E. d'amende pour avoir eu à son domicile 78 estampes et 14 figures sur ivoire «représentant des sujets infâmes et scandaleux», Ordonnances et Sentences de Police du Châtelet de Paris 1668-1787, (Paris: Archives Nationales, 1992), 62.

28 Voir notamment Charles-Antoine Coypel, «Lettres de M. Coypel •• • au Révérend Père de la Tour au sujet d'un tableau nouvellement placé», dans oeuvres, (Genève : Slatkine Reprints, 1971), 91; Lettre de David au duc de Cadore, 4 septembre 1812, dans J.-L. J. David, Le peintre Louis David, 484; voir aussi Du Bos, Réflexions critiques, l, 109-110.

(23)

d'Adonis - Llai·s plutôt un élément constitutif de l'oeuvre - un

sujet constitué de deux figures, homme et femme, une action en

terrain plat, un paysage avec de l'eau. Drouais,-dans une lettre à

David, donne un exemple exceptionnel de ce type de renversement : Je vais chercher un sujet de l'histoire Romaine oü il y ait sept

à hu~~ figures, tant d'hommes que femmes; que ce soit un suj~t

en campagne pour changer29 •

Ces contraintes internes -propres à la distribution et longtemps

jugées l'~~ressiond'un goüt vulgaire - l'amateur éclairé aurait

-été mü, selon Rosenblum, par des considérations dramatiques, le

fameux «Exemplum Virtuti::;30» -, se révèlent, à la lumière des

faits, largement partagées par les animateurs les plus acharnés

d'une peinture moralisatrice31 • Une lettre de D'Angiviller à Vien,

au sujet d'une commande à Peyron, se passe à ce titre de

commentaires :

Si, dans les deux suj ets qu' il médite, il y en avait qui dussent

être traités dans un ton mystérieux favorable au clair obscur,

je les préfererais, comme une Mort de Socrate dans la prison,

ou autre chose, car je n'indique pas de sujet. Je ne serais pas fâché que l'un des deux füt un sujet oü il y eut des femmes, et

29 Lettre de Drouais à David, 30 aoüt 1786, citée dans J.-L.

J. David, Le peintre Louis David, 35.

30 Voir Robert Rosenblum, TransÏormations in late eighteenth

century art, (Princeton: Princeton Univ. Press, 1969), 50-106.

31 Poussin lui-même, selon Bellori, aurait parfois succombé à

de tels soucis matériels en sonqeant, avant de se préoccuper du sujet d'une toile, au nombre de figures qu'elle devait comporter: «Nous l'avons entendu blâmer ceux qui composent une histoire de six, ou encore de huit figures, ou d'autre nombre déterminé, tandis qu'une demi-figure de plus ou de moins la peut qâter, et s'en

riaib), Bellori, Vite, cité dans Nicolas Poussin : lettres et

propos, 179.

(24)

nues, car il dessine bien32 •

David lui-même à ses débuts, au moment de choisir un sujet, se voit

souvent confronté à ce ~:enre de contralntes touchant la

composition. On lui conseille par exemple, pour améliorer son rendu

de la perspective de «s'exercer à traiter des sujets dont l'action

se passât sur un terra1n uni, parce qu'alors il serait forcé de se

rendre compte à lui-méme de la place de tous les groupes33». Dans

une note l'invitant à faire son tableau d'agrément à paris, Pierre ira même jusqu'à penser le choix du sujet en termes d'économie de temps:

il ne se présentera point qu'il n'ait fait un tableau à Paris; c'est un usage qui a pris force de loi ici, vu les motifs qui

y ont donné lieu. On l'a ~aissé le ma1tre de faire un morceau

de deux ou trois figures, pour accélérer son agrément34 •

symptomatiques de la superposition d'un ordre libéral sur un

ordre corporatif, les diverses contraintes que nous venons

d'évoquer, qu'elles soient sociologiques ou contractuelles,

témoignent du caractère général de cet «avant» du choix d'un su.jet. L'étape suivante, à savoir l'étape active de la quête d'un sujet,

semble en comparaison beaucoup plus interne au monde et à la

pratique académique. Le livre d'histoire, agent de cet internement, et son unique objet, n'en facilite pas pour autant la tâche du peintre.

32 2 avril 1780, citée dans Correspondance des directeurs, XIV, 14.

33 Rapport des commissaires de l'Académie, 10 avril 1779, cité

dans Schnapper, David, 563.

34 Note de Pierre, novembre 1780, citée dans Schnapper, David,

(25)

Le travai1 du 1ivre

«Les décades de Tit.e-Live ont tellement occupé mon cerveau pendant mes études qu'il m'a fallu dans la suite beaucoup de temps pour redevenir citoyen de mon propre pays», écrit Louis-Sébastien

Mercier, contemporain de David et collègue de ce dernier aux

Quatre-Nations35 • Les auteurs grecs et latins occupent en effet

une place prépondérante dans la pédagogie et l'imaginaire des

peintres du XVIIIe siècle; il est donc facile de comprendre

pourquoi le livre, support des récits de tant d'auteurs, devint

naturellement l'objet d'attentions particulières36 • Premier outil

du peintre d'histoire, sa lecture fut encouragée, sa collection

ébauchée, son analyse raffinée.

Au XVIIe siècle, Nicolas Catherinot et Dupuy de Grez avaient

tous deux fortemant recommandé aux peintres la lecture des

historiens de l'Antiquité et en avaient proposé des listes

exhaustives aux noms souvent obscurs : Evagrius, VUlcanus,

Gallicanus, etc37 • Roger de Piles, toujours plus instruit des

réalités concrètes de l'atelier que ses collègues, en soumet une lui aussi, quelques années plus tard, aux noms moins ésotériques et

35 Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, I, (Amsterdam :

1782-1788), 255.

36 «La coutume maintenant établie chez tous les peuples polis

de l'Europe, veut qu'on fasse de l'étude des auteurs grecs et

romains l'occupation la plus sérieuse des enfants. En étudiant ces auteurs, on se remplit la tête des fables et des histoires de leur pays et l'on oublie difficilement tout ce qu'on peut avoir appris

dans l'enfance», Du Bos, Réflexions critiques, I, 110; voir aussi

L. D. Ettlinger, «Jacques Louis David and roman virtue», dans

Journal of the Royal society of Arts, CXV, (1967), 106-108.

37 Voir Fontaine, Les doctrines d'art, 95-96.

(26)

qu'on qualifierait facilement de première liste standard :

Les livres à mon avis les plus utiles à ceux de la profession sont la Bible; l'Histoire des Juifs de Josèphe; l'Histoire Romaine de Coeffeteau et de Tite-Live; Homère; l'Histoire Ecclésiastique de Godeau, ou l'abrégé de Baronius; les Métamorphoses d'Ovide traduites par du Ryer; les Tableaux de Philostratei Plutarque, des Hommes Illustresi Pausaniasi la Religion des Anciens par du Chou138 .

Mais ce n'est qu'à partir de 1746 que de véritables eXhortations à la lecture se font entendre. coup sur coup, La Font de Saint-Yenne, Caylus et pernety appellent les peintres à «aller à la découverte dans un bon auteur39».

Physiquement accessible - les peintres s'ils ne possèdent pas toujours les ouvrages nécessaires les empruntent à des amis ou les consultent dans des bibliothèques - le livre d'histoire demeure

38 Roger de Piles, Remarques sur l' art de peinture, 127, cité dans Martin Weyl, Passion for reason and reason of passion, (New York: Peter Lang, 1989), 287.

39 «Quels sont les délassements d'un vrai peintre historien? C'est de lire et d'étudier nos meilleurs livres d'histoire et de la fable : d'y démêler les sujets non seulement intéressants et pittoresques, mais encore rare, singuliers, et qui attachent le spectateur par leur nouveauté», La Font de saint-Yenne, Réflexions, 241; «Quel plaisir pour un peintre, en se délassant de ses occupations ordinaires, d'aller pour ainsi dire à la découverte dans un bon auteur! oui, Messieurs, vous devez go'O.ter un attrait bien plus vif que tous les hommes à lire ces historiens, ces poètes, où tout est, pour l'ordinaire, en action», caylus, Réflexions sur la peinture, cité dans R. Saisselin, «Ut Pictura Poesis: Dubos to Diderot» dans Journal of Aesthetics and Art criticism, (1961), 146; «Un peintre d'histoire doit être un grand homme. Il faut qu'il soit historien lui-même et qu'il sache parfaitement tant l'histoire ancienne que moderne, la sacrée et la profane», A.-J. Pernety, Traité pratique des différentes manières de peindre, cité dans B. de Saint-Girons, Esthétiques du XVIIZC siècle, 305.

sur

Pernety et la littérature antique voir aussi Annie Becq, Genèse de l'esthétique française moderne : de la raison classique à l'imagination créatrice, 1680-1814, (Pise : Pacini Editore, 1984), 564-565.

(27)

néanmoins d'une lecture difficile40 . Ses récits interminables de sièges, de batailles, de jacqueries, ses dénombrements de tribus,

ses descriptions infinies de «marches, contren:arches, campements, négociations, publications de guerre, traité de paix, établissements de police, règlements, lois», paraissent plus aptes «à former le militaire, le politique, ou le magistrat» qu'un

40 Les inventaires après décès des peintres, publiés par Guiffrey, révèlent en effet à la lumière de leurs bibliothèques personnelles, que «les livres n'encombraient pas leurs appartements», voir Bardon, «Les peintures d'histoire à sujets antiques», Gazet:t:e des Beaux-Art:s, 222-223, et Jules Guiffrey, «Scellés et inventaires d'artistes», dans Nouvelles Archives de l'Art: Français, 28 série, VI, (1885-1886), 187. C'est plutOt sur le lieu d'étude que le peintre a accès aux livrs d'histoire. En effet la Direction des Bâtiments, quoique lentement, dote ses établissements de plusieurs ouvrages. C'est ainsi que le nombre de livres à l'Académie de France à Rome passe de huit en 1709 à trente-deux en 1785, soit quatre fois plus, tous, ou presque, ayant trait à l'histoire. On y retrouve bien sor Virgile, Homère, Diodore de Sicile, Tacite, Anacréon, César et Pline le Jeune, mais aussi l' Hist:oire des Incas en deux volumes, l'Art: des Anciens de Winckelmann, une vie de Charles XII, et une Vie de Christ:ine de SUède. Pour quantifier cette évolution nous nous sommes basés sur deux inventaires, l'un établi en 1709, voir Correspondance des Direct:eurs, III, 353-360, et l'autre dressé en 1785, voir Correspondance des Direct:eurs, XV, 20-21. A la lumière d'une lettre de Lagrenée d'un intérêt remarquable quant aux lectures des peintres, écrite à D'Angiviller en 1782 alors qu'il occupe le poste de directeur à Rome, il est possible que cette évolution ait été, à partir de cette année là, beaucoup plus brusque:

Mon devoir me prescrit de vous témoigner mon étonnement sur ce que, dans une acaèémie qui fait tant d'honneur à la France, devenue la pépinière qui répand des artistes dans toute

l'Europe, i l n'y ait point, je ne dis pas une bibliothèque, mais pas un seul livre pour y chercher des sujets. De mon temps, j'en parlais à M. Natoire, qui ne m'écouta pas. Je prends donc la liberté de vous en parler, M. le Comte, vous qui avez extrêmement à coeur le progrès des arts; procurez-nous, je vous prie, petit à petit, les livres indispensables aux peintres ••• l'on pourrait commencer par quelques livres de la première utilité, comme : l'Hist:oire de France, l'Hist:oire Romaine, l 'Hist:oire Ancienne, Plutarque, Télémaque, les Mét:amorphoses d'ovide, l'Arioste, le Tasse, Milton.

Voir Correspondance des Direct:eurs, XIV, 220. 21

(28)

peintre41 . Encombrés d'inutiles détails, lassants, les livres d'histoire, par leur inadéquation aux besoins des peintres, rappellent celle des livres et des cours d'anatomie hérités de la Renaissance, qui s'adressaient, comme l'écrit Locquin, «à des chirurgiens plutôt qu'à des artistes42". Afin de remédier à cette inadéquation, certains peintres élaborent des techniques personnelles de lecture. C'est le cas de Poussin qui, tout en lisant les histoires grecques et latines, «annotait les sujets puis, à l'occasion, s'en servait43». C'est aussi celui du savant Rubens qui avait «toujours auprès de lui un lecteur qui était à ses gl:lges, et qui lisait à haute voix quelque bon livre; mais ordinairement Plutarque, Tite-Live ou Sénèque44". David, bien des années plus tard, reprendra cette pratique et fera lire, par son ami Lechevalier, conservateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève et auteur d'un ouvrage sur la topographie de la Troade, une

41 «Lettre XII", dans Année Littéraire, (octobre 1757), 523. 42 Locquin, La peinture d'histoire en France, 82-84.

43 Bellori, Vite, cité dans Nicolas Poussin : lettres et propos, 179.

44 Selon Roger de Piles, Rubens «ménageait néanmoins son temps de manière, qu'il en donnait touj ou,=,s quelque partie à l'étude des belles-lettres, c'est-à-dire de l'histoire et des poètes latins qu'il possédait parfaitement, et dont la langue lui était fort familière aussi bien que de l'italienne, comme on peut en juger par les observations manuscrites qu'il a fait sur la peinture, oü i l a rapporté quelques endroits de Virgile et d'autres poètes qui faisaient à son sujet», Conversation sur la connaissance de la peinture, (Paris, 1677; réimpression Genève : Slatkine Reprints, 1970), 214-216.

(29)

description de la plaine de Troie, alors qu'il dessinait45 . Mais tous ne prennent pas de telles initiatives, ni ne partagent le même enthousiasme pour une lecture active des auteurs anciens. Pour le peintre moins savant, le problème posé par la non-disponibilité d'un manuel d'histoire à des fins spécifiquement picturales demeure entier. L'idéal pour lui serait un livre d'histoire efficace, épuré, écrit en «tableaux», qui présenterait, dans de belles séquences chronologiques, les épisodes de l'histoire antique, à la fois triés et collationnés.

Fruit d'une vaste réécriture «plastique» des livres d'histoires, entreprise par certains membres de l'Académie - et à

laquelle les doléances des ateliers ne sont pas complètement étrangères -, l'apparition dans la seconde moitié du XVIIIe siècle d'un nouveau genre littéraire, le recueil de sujets, allait répondre à ce désir d'efficacité. C'est au comte de caylus, académicien «amateur», qu'appartient sans contredit la paternité de ce nouveau genre. Ses trois recueils, à savoir : en 1755, les Nouveaux sujets de peinture et de sculpture; en 1757, les Tableaux tirés de l'Iliade et de l'Odyssée d' Homère et de l'Énéide de virgile avec des observations générales sur le costume , suivi aussitôt, en 1758, de L'Histoire d'Hercule le Tbébain, tirée de différents auteurs, à laquelle on a joint la description des tableaux qu'elle peut fournir, furent les premiers à para1tre et, 45 Lettre de Lechevalier à David, 15 septembre 1819, dans J.-L. J. David, Le peintre Louis David, 559. Voir aussi la notice biographique s. v. «Lechevalier (Jean-Baptiste)>>, dans Nouvelle Biographie Générale, XXIX-XXX, (Copenhague: Rosenkilde et Baqqer,

1960).

(30)

pendant plus de dix ans, les seuls disponibles. Ce n'est qu'en 1769

que Dandré-Bardon prendra la relève en publiant l'Histoire

Universelle traitée relativement aux arts de peindre et de

sculpter, ou tableaux de l' histoire enrichis de connaissances analogues à ces talents suivi, en 1772 des Costumes des anciens

peuples, auquel collabore le peintre Pierre Peyron (1744-1814).

Molé, en 1771, fera paraître ses Observations historiques et

critiques sur les erreurs des peintres, sculpteurs et dessinateurs

dans la représentation des sujets de l'histoire sainte.

Clairem~~tassocié à un sentiment de progrès - les critiques

de l'époque soulignent le caractère innovateur et pratique du

propos - le recueil de sujet, parce qu'il réalise pleinement les aspirations des peintres chercheurs de sujets, devient par là-même, à l'égard du livre d' histoire qu'il remplace, facteur d'avancement. Comme l'écrit un critique, le peintre peut désormais connaître la vie d'Hercule «sans recourir à Diodore de Sicile, à Apollodore, à

Pausanias, en un mot, aux anciens mythologistes ou historiens46».

En fait, plus largement, l'apparition de ce nouveau type d'ouvrage

s'inscrit dans un mouvement de spécialisation inhérent au système acadêmique et facilement observable dans la refonte générale, au

même moment et pour les mêmes raisons, de tous les outils

littéraires dont dispose les artistes : traités d'anatomie, de

perspective et d'iconologie47 •

46 Journal de Trévoux, LV, 643.

47 Voir Locquin, La peinture d'histoire, 86-87 et S.

Rocheblave, Cbarles-Nicolas Cochin, graveur et dessinateur, (paris : J.927), 82-83.

(31)

Parallèlement à cette transformation des manuels, et dans le mémé esprit d'efficacité, l'enseignement de l'histoire tel qu'il est dispensé par l'Académie change aussi avec la fondation, en 1749, de l'École Royale des Élèves Protégés48 . Là, six étudiants, choisis par concours, gouvernés par un professeur ..tiré de l'Académie», apprennent avec assiduité l'histoire et la géographie. Dandré-Bardon, qui y occupe la chaire d'histoire, à la suite du

décès de Lépicié, évoque, lors d'une conférence, l'utilité d'un tel enseignement. Rappelant les problèmes posés par l'apprentissage d'une matière confuse sans instruction, ni manuels spécialisés, il écrit :

L' Histoire universelle présente une immense étendue qui ne saurait être l' obj et de l'étude de ce grand nombre d'élèves destinés à succéder à nos grands peintres et à nos grands sculpteurs. Il leur faut un cours d'histoire fait exprès pour eux, qui leur ménage le temps, qui leur épargne les détours, et les conduise directement à leur but; savoir l'imitation de la nature, de l'Antique, et des ouvrages des maîtres de l'art49 .

cet enseignement prodigué, ces manuels mis à sa disposition, le peintre d'histoire peut enfin choisir son sujet. Aucune ambiguïté, due à une mauvaise lecture du sujet ou des épisodes, ne saurait cependant être tolérée. Une parfaite lisibilité du sujet choisi doit présider à sa réception par le public. Pour s'en assurer, commence alors pour le peintre une scrupuleuse étude du référent, paradoxalement au moment même oil. il devrait s'en 48 Voir coypel, Projet adressé â Lenormant de Tournehem, cité dans saint-Girons, Esthétiques du XVIIze siècle, 239.

49 «Lettre XII» dans Année Littéraire, (octobre 1757), 266; Un régime de conférences, instauré au XVIIe siècle, complète aussi cet enseignement, quoique de façon plus théorique, voir Locquin, La peinture d'histoire en France, 92-95.

(32)

éloigner.

Le travail du ré~érent

Bien avant les premières critiques des salons, qui allaient

mettre à jour la confrontation des opinions personnelles et

confirmer dans les faits la relativité du jugement esthétique, lee théoriciens français avaient reconnu la diversité du public et des

voix exprimées. Cette diversité co=espond le plus souvent aux

intérêts professionnels des amateurs, où l'on distingue l'homme de lettre, le géomètre, l'antiquaire, le bon déclamateur, le poète et l 'historien. «Les juges qui prononcent sur les ouvrages du pinceau

peuvent se réduire à trois classes», écrit l'Année Littéraire, «à

l 'homme de lettres qui n'observe que le point d 'histoire et le

costl~~, à l'homme d'esprit qui n'est touché que des expressions, à l'homme d'art qui ne prend garde qu'à l'exécution50». si Roger de Piles voit dans cette contingence du public la manifestation d'esprits bornés inaptes à bien juger de toutes les parties de la

peinture51 , d'autres, comme Coypel, la préfèrent aux pompeux

galimatias de ceux qui «négligent de parler sur les parties

50 Caylus, «Description d'un tableau représentant le sacrifice

d'Iphigénie, peint par M. Carle-Vanloo», dans Année Littéraire,

(octobre 1757), 316.

51 «Un homme, par exemple, qui saura bien l'histoire et la fable ne donnera son approbation à un tableau, qu'à mesure que l'une ou l'autre y Sera fidèlement représentée. Ceux qui aiment l'Antique ne croient pas qu'on puisse faire un beau tableau s'il

n'y entre de l'architecture, et si les figures peintes ne

ressemblent aux statues et aux bas-reliefs antiques», Roger de

Piles, Dissertation sur les ouvrages des plus fameux peintres,

(Paris: 1681), 29-30; voir aussi Conversations, préface et

(33)

auxquelles ils doivent se connaitre52».

Des divers jugements exprimés, le plus appréhendé était

assurément celui des Hommes de Lettres. Leur connaissance des

chronologies, des dynasties, des détails archéologiques,

géographiques, et climatiques, bien supérieure à celle de la

majorité des artistes, les mettait à l'affüt du moindre

anachronisme. Quiconque connait la réception critique des oeuvres

de David sait à quel point il fut souvent pris à partie par ces

amateurs lettrés. Leur présence dans le paysage critique, plus que

toute autre, amène le peintre à effectuer un va-et-vient constant

entre son oeuvre et sa source, à parfaire ses connaissances.

Cette attention au détail juste, au Costume, comme on dit à

l'époque, désormais exigée du peintre, ne saurait toutefois se

faire sans méthode. A cette fin le peintre d'histoire dispose donc

de plusieurs techniques. si l'on excepte l'enthousiasme,

qu'encouragent Batteux, Diderot et Dandré-Bardon, et qui se résume

en un vague transport onirique, proto-romantique, au sein de

l'épisode que l'on cherche à représenter53 , d'autres méthodes,

52 Coypel, «Dialogue de M. Coypel», dans Oeuvres, 98.

53 «Ils doivent oublier leur état, sortir d'eux-mêmes et se

mettre au milieu des choses qu'ils veulent représenter», Charles

Batteux, Les Beaux-Arts réduits à un même principe, (Paris, 1773;

Genève: Slatkine Reprints, 1969), 55; «Avant que de prendre son

pinceau, il faut avoir frissonné vingt fois de son sujet, avoir perdu le sommeil, s'être levé pendant la nuit, et avoir couru en

chemise et pieds nus jeter sur le papier ses esquisses à la lueur

d'une lampe de nuit», Denis Diderot, sur l'art et les artistes,

présenté par Jean Seznec, (Paris, Hermann, 1967), 54; ••De même que

les songes agréables ou funestes, qui nous font illusion pendant le

sommeil, sont ordinairement le fruit des occupations qui l'ont

précédé, l'heureux succès d'une invention pittoresque est l'ouvrage des affections du coeur et des réflexions de l'esprit»,

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plus concrètes sont à sa disposition. L'une d'entre elles consiste,

selon Du Bos, à imiter les grands maîtres, comme Poussin, qui

poussait le scrupule à inclure dans ses tableaux dont l'action se

passe en Ég'.iPte «des bâtiments, des arbres ou des animaux, qui, par

différentes raisons, sont regardés comme étant particuliers à ce

paysS4". La Font de Saint-Yenne, quelques années plus tard,

soutiendra un parti semblable en soulignant l'importance pour un peintre d'employer ses loisirs «à étudier la partie du Costume,

c'est-à-dire la religion, les moeurs, les habillements, les

bâtiments, les sites, les arbres même de chaque pays, de chaque nation et surtout de celle qui fait le sujet du tableau auquel il travailless". Mais la technique la plus efficace demeure toutefois l'utilisation de plusi6urs sources historiques. Il s'agit en fait

d'une lecture comparative de deux ou trois livres d'histoire

permettant au peintre, là où la source consultée est équivoque ou incomplète Cà quel moment du jour l'action s'est-elle passée? De quel côté du Tibre le sacrifice a-t-il eu lieu? etc.), de compléter ses connaissances en lisant le récit de cet épisode chez un autre historien ayant relaté la même action, ou une action semblable. Comme l'écrit Dandré-Bardon :

L'attention de lire, non seulement dans les meilleurs auteurs mais encore dans divers historiens le sujet qu'on doit peindre,

contribue infiniment à la fécondité et à la justesse des

pensées. Par la lecture réitérée on en grave profondément

l'image dans la mémoire, et les différentes tournures que les

Bardon, Trai~é de pein~ure, 90.

S4 Dubos, Réflexions cri~iques, l, 75-76.

(35)

e

e-·

écrivains prêtent à un événement, les divers aspects sous

lesquels ils se présentent sont autant de flambeaux qui

éclairent, qui vivifient, qui avivent le génie. La combinaison de leurs différentes lueurs produit des jours, qui donnent au

sujet une clarté nouvelleS6 •

L'utilisation de plusieurs sources iconographiques comme les bas-reliefs, les médailles, les camées ou les recueils de bosses - on

pense à Montfaucon, aux Costumes Universel.l.es, à l'Abrégé de

l.'Histoire Universel.le en figures par Vauvilliers - sert aussi de

soutien à l'invention, quoique les détails qu'elles fixent touchent

le plus souvent la physionomie (age des personnages, port de barbe, coiffure) et l'habillementS7 •

Enfin on recommande aux peintres d'histoire, si le recours au

costume ou à la méthode comparative ne suffit pas pour assurer une

compréhension sans équivoque de l'action représentée, en dernière

instance, d'inscrire sur la toile, en toutes lettres, le sujet

choisi ou une citation extraite du texte qui a servi de source.

Artifice encourageant l'ignorance selon Le BrunS8 , au contraire

De Piles, Du Bos et Dandré-Bardon en souligneront tous les

56 Dandré-Bardon, Traité de peinture, 89-90.

57 «Et le }:;':ln goQt de l'invention, interrompit Damon, oil

voudriez-vous qu'on le prit? Dans l'histoire, répondit Pamphile, dans la fable, dans les figures, et les bas-reliefs antiques qui sont des instructions très exactes des choses qui conviennent aux sujets que l'on veut représenter», De piles, Conversations sur la

connaissance de l.a peinture, 66: voir aussi Hould, Claudette,

L'image de la Révolution française, (Québec : Musée du Québec, 1989), 85.

58 «Le peintre qui satisfait à l'ignorance des uns ou anticipe

la malice des autres doit tout compte fait inscrire sur ses oeuvres le nom des objets qu'il représente», Le Brun, cité dans H. Jouin, Conférences de l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture,

(Paris: 1883), 393.

(36)

avantages et rappeleront son emploi par des peintres aussi savants que Raphael, Annibale Carrache, Rubens et Valentin de Boulogne.

Malheureusement si l'inscription d ' extraits et un profond

respect du costume favorisent la lecture de l'oeuvre, le résultat

inverse est aussi possible : un trop grand attachement à la lettre

de l' histoire risque d'en égarer plusieurs. En effet certains

sujets, notamment les sujets religieux, étaient illustrés depuis si longtemps qu'une convention certaine, sans rapport nécessaire au texte de référence, avait fini par présider à la distribution des divers figures et éléments de l'oeuvre et, par extension, à leur

lecture par le public. En fait un soudain historicisme, au nom du

costume, aurait rendu incompréhensibles de nombreux tableaux

religieux. Pire, entre les tenants d'une distribution

traditionnelle et ceux d'une distribution scrupuleusement

historique s'élevaient là tous les germes d'un affrontement

esthétique : en effet quelle voie un artiste, engagé à peindre un tel sujet, devait-il choisir, celle du costume et de la vérité historique, ou celle des conventions et d'une certaine licence à

l'égard du référent? Devant ce dilemme, les théoriciens et les

protecteurs de l'Académie tranchèrent assez tôt en faveur des conventions et de la licence historique. Comme l'écrit Du Bos, «en imitation, l'idée reçue et généralement établie, tient lieu de la

vérité». L'épisode phare de ce débat fut sans aucun doute la

conférence lue par Philippe de Champaigne devant l'Académie le 7

janvier 1668, portant sur un tableau de Poussin, Rebecca et:

(37)

à l'histoire en omettant de peindre tous les chameaux dont la Bible

fait mention. outré par ces propos, Le Brun, multipliant à juste

titre les exemples, aurait défendu le parti contraire : le peintre

n'aurait aucune fidélité imitative à respecter envers l'histoire,

tout au plus se doit-il de suggérer les détails historiques. L'assemblée, séduite par la défense de Le Brun, mais troublée par

l'argumentation de Champaigne, ne sachant quel parti prendre, se serait tournée vers son protecteur, Colbert, qui, solennellement,

aurait alors tranché en faveur de Poussin et de la liberté face à

la lettre de l' histoire59 • De Piles, dans L'idée du peintre

parfait:, consacrera tout un chapitre à cette question, la résumant

dans cette belle formule :

Que si je veux apprendre l'histoire, ce n'est pas un peintre que je consulterai, il n'est historien que par accident; mais je

lirai les livres qui en traitent expressémentGo •

Ce bémol apporté à l'imitation du vrai historique en peinture

ne saurait cependant appartenir exclusivement aux débats

théoriques. Il se vérifie aussi dans la pratique et, comme nous allons le voir, dans celle de David en particulier.

59 Voir Jouin, Conférences de l'Académie Royale, 391-397.

GO Voir André Félibien [Roger de Piles], L'Idée du peintre

parfait:, (Londres, 1707; Genève: Slatkine Reprints, 1970), 2~-25.

Pour l'attribution de ce· texte à Roger de piles, voir Jacques

Thuillier, «Pour André Félibien» dans XVIre siècle, 138,

(janvier-mars 1983), 92.

(38)

On ne connait pas de commentaires théoriques de ~avid sur ses choix de sujets et encore moins, a fortiori, sur les raffinements apportés par ses prédécesseurs, théoriciens et artistes, à cette premièr'~ partie de la peinture. David aurait, tout au plus, signifié à son élève Suau avoir eu en aversion l'oeuvre littéraire

de Dandré-Bardon, «il ne faut pas vous servir d'André-Bardon» aurait-il dit, «ce n'est pas un bon auteur, nous l'appel.ions, lorsque j'étais élève, M. d'Andron Bardés61». Affaire avant tout de pratique, le choix d'un sujet chez David ne saurait être appréhendé autrement que par des documents d'ordre également pratique, on pense par exemple à sa correspondance et à ses carnets d'esquisse annotés, mais aussi à ses tableaux d'histoire, où les traces d'un laborieux travail littéraire sont souvent demeurées. Ces documents, surtout les manuscrits, n'ayant d'organisation initiale que celle, insuffisante, de la chronologie, nous nous sommes permis, afin de les mieux étudier, de les regrouper thématiquement. Ces thèmes, il va sans dire, reprendront certains de ceux mentionnés en première partie, mais dans un contexte proprement davidien, à savoir les lectures de David, ses choix de

61 Lettre de Suau à son père, 15 janvier 1812, citée dans Wildenstein, Documents complémentaires, 190.

(39)

sujets, son travail du référent. David et les livres

Le contenu de la bibliothèque de David ne nous est pas

parvenu, ni inventaire, ni liste de vente, n'ont semble t-il été

dressé. On ne sait même pas d'ailleurs s'il en possédait une. Les

données documentaires que nous avons sur ses lectures, limitées en

nombre, périphériques, ne nous renseignent guère d'avantage, ne

donnant, au plus, qu'un fragment d'invention : la source d'un

sujet, sa façon de consulter un ouvrage, l'utilisation d'une

traduction, ainsi de suite. Nous nous en contenterons.

C'est au collège des Quatres-Nations que David fut

vraisemblablement initié aux littératures grecques et latines. si Guérin, son professeur de rhétorique et ami de la famille, n'est pas le célèbre Guérin, traducteur de Tite-Live, mort dix ans plus tôt, il n'en est pas moins un grand humaniste, auteur de nombreux

ouvrages en latin62 • Est-ce lui qui donne à son élève le goüt des

belles-lettres, dont Mercier signale l'importance dans le cursus du collège? On ne saurait le dire. Seule certitude, David garde en

haute estime l'éducation libérale qu'il y reçoit. Porte d'accès, à

ses yeux, à la peinture d'histoire, «un artiste sans instruction

prive son art de son plus bel ornement63» disait-il, elle de~ient,

quelques années plus tard, celle de son atelier comme en témoigne ses propos sur Fabre et Girodet :

62 Voir Schnapper, David, 560

63 cité dans J.L.J. David, Le peintre Louis David, 502.

(40)

Il {Girodet} entra chez moi jeune, présenté par Boullée, fameux architecte d'alors, au moment oü il venait de finir ses études (car c'était une condition que je mettais en acceptant un élève), je voulais qu'il sut au moins le latin, aussi de ceux dont j'ai parlé et notamment de M. Fabre qui connaissait aussi

à fond la langue Grecque ..• 64

Élève à l'Académie, alors qu'il a l'âge de Fabre et de Girodet, David démontre une maîtrise certaine des péripéties antiques. S'il n'est certes ni un jeune Dacier, ni un jeune Casaubon, ses compétences sont toutefois suffisantes pour lui permettre d'esquisser de mémoire les sujets imposés aux quatre concours pour le Grand Prix auxquels il participe de 1771 à 1774. celui de 1772, pour lequel i l mémorise des extraits entiers des Métamorphoses

d'Ovide, est relaté dans son autobiographie :

Plein d'ardeur, j'écoute la lecture du sujet, c'était Diane et Apollon perçant de leurs flèches les enfants de Niobé. Aussitôt mon Ovide se retrace à mes yeux, je fais ma composition, le professeur y met son cachet. Rentré chez moi, je cours aux

Métamorphoses, j'explique celle qui traite mon sujet, je cOlDlllençais à m'ap~laudir de m'en être assez bien ressouvenu, je fais mon tableau •

Source évidente de fierté, « •••je cOlDlllençais à m'applaudir •••», la performance de David au Prix de Rome de 1772 demeure toutefois embryonnaire si on la compare aux imposants travaux d'érudition, combinants plusieurs sources historiques et iconographiques, auxquels i l allait désormais se consacrer. Ainsi, d'un simple épisode fort connu, tiré d'un seul auteur, et tout en symétrie -Niobé avait six garcons et six filles - David allait s'appliquer pour son tableau des Sabines (1799), entrepris lors de son

64 cité dans J.L.J. David, Le peintre Louis David, 503.

Figure

Fig. 2. Le vieil Horace défendant son fils, 1783. Pierr~ noire et lavis, Paris, musée du Louvre.
Fig. 3. Platon, 1786. Pierre noire, Tours, musée des Beaux-Arts.
Fig. 5. Etude pour la «Douleur d' ....'&#34;ldromaque», 1783. Pierre noire, collection particulièr~.
Fig. 6. Modèle pour «La Douleur d'Andromaque», 1783. Toile, Y.oscou, musée pouchkine.
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